EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La mort dans des circonstances tragiques d'une jeune femme au mois de septembre 2024 a mis en lumière les conséquences que peuvent engendrer les failles dans le cadre politique, administratif et juridique en matière de lutte contre l'immigration et le séjour illégal. Le suspect, déjà connu des services de police pour des faits de viol durant sa minorité et sous le coup d'une obligation de quitter le territoire, avait été libéré de rétention peu de temps avant la délivrance du laissez-passer consulaire par le pays de renvoi - et quelques jours avant le crime.
Cette affaire illustre les difficultés rencontrées dans le chaînage du placement - et du maintien - en rétention et de l'éloignement effectif des étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement, et les conséquences terribles que peut avoir un échec à éloigner rapidement et efficacement certains profils. Or, le placement en rétention avant l'exécution des mesures d'éloignement reste le moyen le plus efficace d'éloigner.
La rétention fait l'objet d'un encadrement strict, indispensable dans le cas de mesures de privation de liberté. Sa durée « normale » peut aller jusqu'à un mois. Cependant, le législateur a déjà judicieusement mis en place plusieurs mécanismes de prolongement de la rétention. Elle peut ainsi intervenir au-delà de 30 jours pour des motifs fondés sur l'ordre public ou l'impossibilité d'exécuter à temps la décision d'éloignement, jusqu'à 90 jours. Enfin, dans les cas où l'étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes terroristes, ou si sa décision d'expulsion se fonde sur des considérations liées à des activités terroristes pénalement constatées, la durée maximale de rétention peut même atteindre 180 jours, voire 210 jours « à titre exceptionnel ».
Ce dispositif est en pleine conformité avec le cadre européen : il intervient à condition que l'éloignement constitue une perspective raisonnable et que l'assignation à résidence ne soit pas suffisante, et est même en deçà des possibilités laissées par celui-ci en termes de durée. En effet, l'article 15 de la directive « retour » laisse aux États membres beaucoup de souplesse dans la fixation des durées de rétention précédant l'éloignement, permettant une rétention initiale allant jusqu'à six mois, elle-même prolongeable de jusqu'à douze mois en cas de refus ou retard de coopération de l'État de renvoi.
Il est donc raisonnable et conforme au droit européen d'envisager une prolongation plus importante de la rétention d'un étranger condamné à une interdiction de territoire français en cas d'infraction sexuelle ou violente grave, ou en lien avec le crime organisé, alignant notre pays sur ce qui est applicable pour les individus liés au terrorisme. Cette mesure permettra de donner des marges supplémentaires aux administrations afin de faire en sorte que les individus les plus menaçants soient bel et bien éloignés avant de pouvoir récidiver, y compris en cas de complications procédurales.
Pour cette raison, la commission des lois du Sénat avait d'ores et déjà adopté le 30 octobre 2024 un dispositif similaire lors de son examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes. Le nouvel article 4 du texte prévoyait la possibilité de prolonger jusqu'à 180 jours - voire 210 jours - la rétention d'un étranger condamné à une interdiction du territoire pour une infraction sexuelle ou violente grave commise à l'encontre d'un mineur. Cet ajout fut toutefois supprimé du texte final en séance, suite à un échange avec le Gouvernement, qui avait soutenu cette initiative, tout en exprimant son souhait de voir figurer la mesure sous une forme amplifiée dans un vecteur législatif dédié.
Les auteurs du présent texte proposent par conséquent de réadopter cette mesure par ce biais (article 1er), et d'en étendre la portée aux infractions violentes graves commises par des majeurs ainsi qu'au crime organisé. Cette procédure ne serait plus seulement applicable en cas de décision d'interdiction de territoire français comme initialement envisagé, mais également à la suite d'autres mesures d'éloignement.
Ils proposent également de compléter ce dispositif par une extension des circonstances dans lesquelles l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention élargissant une personne retenue possède un caractère suspensif. En cas d'appel, il est parfaitement cohérent de maintenir en rétention pendant la durée de la procédure les individus menaçants s'étant rendus coupables de ces mêmes infractions sexuelles ou violentes graves qui justifient l'application proposée d'une durée de rétention dérogatoire (article 2).
Tel est l'objet de cette proposition de loi.