EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs.
Adoptée à la fin de l'année 2021 dans un contexte de sortie de crise sanitaire, cette loi s'est donné pour objectif de soutenir une filière majeure de l'industrie culturelle et ses acteurs, confrontés, d'une part, à la concurrence agressive de certaines grandes plateformes de vente à distance de livres neufs, d'autre part à l'évolution des pratiques de consommation de biens culturels.
La préservation de la diversité culturelle et de l'accès de tous les citoyens à la culture était alors en jeu.
Si elle a permis de poser les bases de relations à la fois loyales et équilibrées entre auteurs et éditeurs et de conforter les librairies indépendantes, lieux de diffusion indispensables des oeuvres de l'esprit, elle mérite d'être actualisée au regard des négociations conclusives entre les acteurs de la filière, qui se sont traduites par la signature de l'accord interprofessionnel du 20 décembre 2022.
Cet accord scelle la volonté commune des éditeurs et des auteurs de promouvoir les bonnes pratiques en matière de contrat d'édition relatif à une oeuvre littéraire.
Fruit des discussions entre organisations représentatives d'auteurs et d'éditeurs organisées depuis 2021 sous l'égide du ministère de la culture, il contient un certain nombre de mesures issues de la mission de médiation confiée au Professeur Pierre Sirinelli. Il s'inscrit dans le droit fil du précédent accord datant de 2014.
Pour autant, le dialogue entre auteurs et éditeurs s'est poursuivi au-delà de la conclusion de l'accord interprofessionnel de 2022 et a permis de dégager un consensus sur un certain nombre de points nouveaux relatifs au contrat d'édition, dans une logique de transparence accrue envers les auteurs et de recherche d'un meilleur équilibre dans la relation contractuelle qui lie l'auteur à l'éditeur.
La présente proposition de loi apporte une traduction concrète aux mesures de portée législative négociées entre les parties.
En revanche, bien que le texte ne fasse pas référence au code des usages et bonnes pratiques en cours d'élaboration au sein de la filière du livre, il n'en demeure pas moins que celui-ci aura vocation à préciser l'application concrète de certaines dispositions de la proposition de loi, dans un sens qui soit respectueux de la volonté du législateur, à savoir la valorisation des pratiques contractuelles qui protègent effectivement et efficacement l'auteur.
Dans cette même perspective, la proposition de loi est complémentaire des initiatives lancées par le centre national du livre (CNL), établissement public du ministère de la culture, qui visent à conditionner l'octroi des aides destinées aux éditeurs à leur respect des bonnes pratiques en matière contractuelle. Le CNL a d'ores et déjà érigé le principe de conditionnalité des aides à l'ensemble de la filière du livre, les professionnels devant adhérer à une Charte des valeurs pour en bénéficier (cette Charte cible en particulier la lutte contre les violences et harcèlements sexuels et sexistes et la lutte contre les discriminations).
De plus, les organisations d'auteurs et d'éditeurs ont prévu de mettre en place une commission de conciliation ayant pour objectif de traiter les différences d'interprétation et les différends individuels entre auteurs et éditeurs concernant l'exécution des contrats et de proposer, sur le fondement de cette compétence, des évolutions des pratiques afin de fluidifier les rapports entre auteurs et éditeurs. Elle pourrait ainsi être appelée à traiter des différends survenant dans le cadre de déstockages d'exemplaires invendus, à l'occasion de la cession à un tiers des droits d'exploitation d'une oeuvre et de la vente de livres dans certaines zones géographiques hors du territoire national, en matière de progressivité des taux de rémunération des auteurs ou encore concernant la rémunération des contributions à caractère accessoire.
Première réforme globale du contrat d'édition depuis la loi de 1957 à faire l'objet d'un débat au Parlement, cette proposition de loi n'épuise pas toutes les problématiques afférentes à la condition d'auteur aujourd'hui. Elle se veut complémentaire des autres initiatives parlementaires en cours qui visent, notamment, à renforcer les droits sociaux des artistes-auteurs. En s'attachant à faire oeuvre utile au sujet de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs, les auteures de la présente proposition de loi ont également voulu traiter un enjeu décisif aujourd'hui : celui du partage équitable de la valeur.
Le texte est donc une première pierre qui a autant pour finalité de reconnaître à sa juste valeur le travail de création que de reconnaître le rôle entrepreneurial, de conseil et d'accompagnement du projet par les éditeurs. Les deux études conduites par le ministère de la culture sur la question du partage de la valeur entre auteurs et éditeurs permettront d'objectiver et d'éclairer plus encore le débat.
Enfin, la proposition de loi comporte deux dispositions importantes dans les domaines suivants :
- Le contrat d'édition musicale : le texte transpose et opère des renvois, dans le code de la propriété intellectuelle, au code des usages et des bonnes pratiques de l'édition des oeuvres musicales, accord interprofessionnel conclu le 4 octobre 2017 entre les organisations représentatives d'auteurs, de compositeurs et les éditeurs de musique.
Ces modifications visent à permettre l'extension de l'accord, rendue possible depuis la création de l'article L. 132-17-9 du code de la propriété intellectuelle par l'article 3 de la loi du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs.
- L'accès aux oeuvres par les personnes en situation de handicap : il est proposé d'aménager le dispositif d'exception au droit d'auteur en faveur des personnes en situation de handicap, d'une part en simplifiant la procédure d'habilitation des personnes morales de droit public et des personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public (les bibliothèques et les établissements médico-sociaux pourraient ainsi accéder plus facilement au dispositif, ce qui encouragerait les efforts de lecture publique à destination de tous), d'autre part en complétant les missions de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) concernant le contrôle du respect du cadre juridique de ce dispositif (celui-ci est aujourd'hui limité aux obligations des éditeurs de déposer leurs fichiers sur la plateforme PLATON de la Bibliothèque nationale de France et pourrait être élargi aux obligations de transparence et de dépôt des fichiers des documents adaptés par les organismes habilités).
L'article 1er précise que les dispositions de l'article L. 132-10 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables lorsque le contrat d'édition a pour objet l'édition d'un livre, afin de prévoir l'obligation pour les contrats d'édition de fixer un minimum de droits d'auteur garantis par l'éditeur.
L'article 1er pose également l'obligation du versement d'un minimum de droits d'auteurs garantis par l'éditeur. Ce minimum garanti doit être versé au plus tard à la remise du manuscrit dans une forme acceptée tant par l'auteur que par l'éditeur. Non remboursable, il est par conséquent définitivement acquis à l'auteur, sauf dans l'hypothèse où celui-ci ne remettrait pas l'objet prévu au contrat.
Par ailleurs, l'article 1er précise que la rémunération proportionnelle due à l'auteur en cas de cession à un tiers, par l'éditeur, des droits qu'il détient est assise sur les sommes brutes comptabilisées et encaissées, sans que puissent être déduits les frais engagés dans le cadre de cette cession.
L'article 1er a également trait à la reddition des comptes, qui interviendrait désormais deux fois par an, conformément à l'accord du 20 décembre 2022. Le paiement des droits d'auteur serait effectué au plus tard dans les trois mois suivant chaque reddition, étant entendu qu'il serait loisible aux parties d'aménager contractuellement un délai de paiement différent.
L'article 1er insère dans le droit positif plusieurs mesures contenues dans l'accord interprofessionnel de 2022 : le principe selon lequel la reddition des comptes pour les contributions à caractère accessoire ou non essentiel n'est effectuée que sur demande de l'auteur et dans la limite d'une fois par an ; l'obligation d'information incombant à l'éditeur en cas de sous-cession de l'exploitation de l'oeuvre ainsi que l'obligation de présenter, à la demande de l'auteur, les contrats de sous-cession lorsque l'exploitation de l'oeuvre est réalisée hors de France ou dans une autre langue que celle de la première publication ; l'obligation, pour l'éditeur, d'informer le traducteur de la fin de l'exploitation d'une traduction à la suite de la perte des droits sur l'oeuvre première, l'auteur de la traduction disposant alors de la faculté de demander la résiliation du contrat de traduction dès réception de l'information.
Afin de mieux associer les auteurs au succès de l'oeuvre et d'assurer un partage de la valeur plus équitable, l'article 1er énonce le principe d'une rémunération proportionnelle aux produits de la vente. Le taux de cette rémunération serait progressif et augmenterait par paliers selon le nombre d'exemplaires vendus.
Par ailleurs, il est institué une obligation de rémunération appropriée et proportionnelle de l'auteur en cas de vente, par l'éditeur, d'exemplaires restant dans ses stocks à une personne dont l'activité consiste en l'écoulement de livres invendus.
L'éditeur serait assujetti à un devoir d'information de l'auteur sur cette vente ainsi que sur le calcul de sa rémunération dans un délai de trois mois.
Il est par ailleurs précisé que la vente du stock d'exemplaires invendus à un « soldeur » emporterait la cessation concomitante des effets de la partie du contrat d'édition relative à l'exploitation de l'oeuvre sous forme imprimée. La partie du contrat d'édition relative à la cession des droits d'exploitation du livre sous une forme numérique prendrait fin, quant à elle, trois mois après l'information de l'auteur, sauf si ce dernier exprime formellement son accord auprès de l'éditeur pour la poursuite de l'exploitation du livre sous forme numérique.
Enfin, il est mentionné que lorsque le contrat d'édition cesse de produire ses effets, l'éditeur procède à l'arrêt de la commercialisation du livre, en informe les différents opérateurs économiques et adresse à l'auteur un dernier état des comptes. Il assure en outre la ventilation du reliquat des stocks en se conformant aux dispositions du code de l'environnement relatives à la lutte pour le réemploi et contre le gaspillage.
L'article 1er procède enfin à l'insertion, à l'article L. 132-17-8 du code de la propriété intellectuelle, d'un certain nombre de dispositions de la présente proposition de loi dont l'accord interprofessionnel fixe les modalités d'application. Il s'agit des dispositions ayant trait à la reddition des comptes en cas de contributions à caractère accessoire ou non essentiel ; aux conditions d'information de l'auteur sur les contrats de sous-cession ; aux modalités de résiliation du contrat de traduction ; aux règles de décompte des ventes d'exemplaires intervenant pour le déclenchement des paliers de rémunération ainsi qu'aux obligations incombant à l'éditeur lorsque le contrat d'édition prend fin.
L'article 2 a trait au contrat d'édition musicale et transpose dans le code de la propriété intellectuelle des dispositions convenues entre organisations d'éditeurs de musique et organisations d'auteurs-compositeurs par voie d'accord interprofessionnel.
Les articles 3 et 4 renforcent l'accès aux oeuvres pour tous en simplifiant l'exception au droit d'auteur pour les personnes en situation de handicap. La procédure d'habilitation des personnes morales de droit public et des personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public serait ainsi simplifiée afin de la rendre plus efficace au service d'un unique objectif : la diffusion la plus large possible des oeuvres de l'esprit auprès des personnes atteintes d'un handicap. Elle s'inscrit dans le contexte des travaux menés autour du projet de portail national de l'édition accessible et adaptée.
Les articles 5 et 6 fixent les dates d'entrée en vigueur d'un certain nombre de dispositions relatives au contrat d'édition de livres et au contrat d'édition musicale, ainsi que leurs conditions d'application en outre-mer.