EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis une quinzaine d'années, les nouveaux produits de la nicotine émergent en France et dans le monde : cigarette électronique, tabac à chauffer, sachets de nicotine... Présentés par les industriels comme des alternatives moins nocives que le tabac combustible pour les fumeurs, nos collègues de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) concluaient toutefois dans une note de septembre 20231(*) qu'il fallait encore renforcer drastiquement l'évaluation du rapport bénéfices / risques de ces produits pour, le cas échéant, pouvoir ou non les insérer dans les stratégies nationales de lutte contre le tabagisme. C'est par exemple le cas de la cigarette électronique dont les autorités de santé reconnaissent aujourd'hui que son utilisation, en dehors du parcours de soin, peut aider certains fumeurs à diminuer leur consommation de cigarette, voire à complètement arrêter la nicotine.

Les rapporteurs de l'OPECST concluaient également à l'importance de réglementer rapidement, en fonction de l'évaluation de leur nocivité, les produits oraux de la nicotine, dont les sachets. Pour rappel, les sachets de nicotine sont des produits composés de fibres de cellulose ou végétale, d'une dose de nicotine et d'un arôme. À l'inverse du snus, ce produit ne contient pas de tabac. Apparue trop récemment, cette forme de consommation de la nicotine n'a fait l'objet que d'un nombre limité d'évaluations scientifiques d'organismes publics à ce stade. Il faut toutefois citer les États-Unis, qui, par l'intermédiaire de leur agence fédérale (FDA) et après des analyses scientifiques approfondies, viennent d'autoriser leur commercialisation dans la catégorie des « produits à risques modifiés », avançant que ces produits « présenteraient un risque plus faible de cancer et autres pathologies graves »2(*). L'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR) estime de son côté que, pour les fumeurs, le passage aux sachets de nicotine pourrait représenter une réduction des risques pour la santé3(*), ce que rappelle également l'OPECST. En Suède, les produits oraux de la nicotine, dont les sachets de nicotine, ont remplacé la cigarette, faisant passer le nombre de fumeurs de 19 % en 2000 à 5,6 % aujourd'hui (contre 23,1 % en France), soit le pays européen avec la prévalence tabagique la plus faible.

Ainsi, l'annonce du ministère de la Santé visant à interdire en France ce produit contraste fortement avec les approches d'autres pays et viendrait mécaniquement faire émerger un marché clandestin hors de tout contrôle (volumes, composition, taux de nicotine, consommation par les jeunes...), que l'on observe par exemple en Belgique où le produit a été interdit. À titre d'illustration, l'interdiction légitime récente des « puffs » (cigarettes électroniques jetables) en France a fait pulluler sur le marché noir, notamment sur les réseaux sociaux, des milliers de produits désormais interdits. Il faut donc, quand cela est possible, privilégier un encadrement légal et fiscal drastique à une interdiction aux effets méconnus et souvent mésestimés.

Face à l'ingéniosité et aux moyens de l'industrie, l'interdiction d'un produit pourrait rapidement s'avérer inefficace. L'industrie viendrait contourner cette mesure en proposant un nouveau mode d'administration de la nicotine ou un nouveau format de consommation. À l'inverse, une réglementation et une fiscalisation strictes, accompagnées d'une évaluation renforcée du produit, permettraient à la fois de contrôler sa commercialisation pour protéger les jeunes, assurer une composition normée du produit (le cas échéant via une norme de l'association française de normalisation « AFNOR »4(*)) et suivre précisément les quantités mises à la consommation, du fait des nécessaires déclarations de volume pour le paiement de la taxe.

Enfin, si les cas avérés d'intoxication par ingestion de sachets de nicotine remontés par l'Anses dans son rapport de toxicovigilance5(*) doivent évidemment nous alerter, la mise en place d'une réglementation dédiée comprenant notamment un dispositif de sécurité pour l'ouverture du produit permettra de limiter drastiquement ce phénomène et de protéger, notamment les jeunes, d'accidents de consommation qui concernent par ailleurs également d'autres produits. Grâce à l'évolution des moyens technologiques, il est proposé d'obliger tous les revendeurs à mettre en place un dispositif de contrôle électronique certifié par la CNIL.

À l'inverse, d'autres produits tels que les billes et les perles de nicotine dont le nombre de cas d'intoxications avérés est presque dix fois plus élevé, doivent être interdits. Ces produits, à l'inverse des sachets de nicotine, commercialisés sous la forme de bonbons, sont directement adressés aux plus jeunes et constituent une réelle porte d'entrée vers la nicotine et le tabagisme. Tel était d'ailleurs l'objet des amendements adoptés au Sénat lors de l'examen du PLFSS 20256(*) (retirés dans le texte adopté en application de l'article 49.3 de la Constitution). Ces amendements visaient à interdire ces produits, à fiscaliser les sachets de nicotine, à en limiter le taux de nicotine et à en confier la distribution exclusive au réseau légal des buralistes. Cette distribution encadrée et la fiscalisation du produit permettront également de compenser les pertes considérables de recettes fiscales des taxes tabac (-1,6 milliard d'euros depuis 2021, hors TVA) induites par la fuite des consommateurs vers le marché parallèle et de protéger les buralistes dont la pérennité est menacée par cette nouvelle forme de criminalité.

Enfin, la fixation d'une accise similaire aux pays frontaliers permettrait d'éviter le développement du marché parallèle vers lequel le consommateur pourrait se diriger en cas de taxation excessive et ainsi, d'éviter une situation de concurrence déloyale entre les buralistes frontaliers. Cette fiscalité évolutive, portée progressivement à la moyenne européenne des pays ayant déjà fiscalisé ce produit, permettrait d'anticiper la révision de la directive sur les accises qui viendra harmoniser la fiscalité au niveau européen.

C'est pourquoi cette proposition de loi vise, en remplacement d'une interdiction incontrôlable, à réglementer et à fiscaliser les sachets de nicotine afin de protéger les jeunes populations face à un marché en constante évolution, tout en prenant des mesures plus larges pour tous les produits de la nicotine. Elle propose ainsi :

· d'interdire la vente de tous les produits contenant de la nicotine aux mineurs et rendre le contrôle de l'âge obligatoire lors de leur achat, notamment par la mise en place d'une technologie certifiée de contrôle de l'âge - recommandation du rapport 2024 de la MECSS7(*) (article 1) ;

· de mettre en place un monopole de vente pour les buralistes pour tous les produits de la nicotine, à l'exception des produits du vapotage (article 2) ;

· de mettre en place un cadre réglementaire dédié aux sachets de nicotine comprenant (article 3) :

- l'interdiction des sachets de nicotine dont le taux de nicotine dépasse 16,6 milligrammes par sachet (mesures adoptées au Sénat lors de l'examen du PLFSS 2025) ;

- l'interdiction des mentions attractives auprès des mineurs sur les emballages du produit ;

- la mise en place d'un dispositif de sûreté obligatoire sur le produit afin de protéger les enfants ;

- l'interdiction de la publicité, du parrainage et du mécénat ;

- la mise en place d'un régime de notification à l'Anses six mois avant la mise sur le marché du produit, comme pour le tabac et le vapotage ;

- l'obligation de faire figurer des avertissements sanitaires et les caractéristiques du produit sur les paquets et emballages.

· d'interdire les perles et les billes de nicotine - mesure adoptée au Sénat lors de l'examen du PLFSS 2025 (article 4) ;

· de prévoir des sanctions pénales similaires à celles prévues pour les produits du vapotage en cas de non-respect des mesures précédentes (article 5) :

· de créer une taxation spécifique aux sachets dont le dosage de nicotine est inférieur ou égal à 16,6 mg par sachet - mesure adoptée au Sénat lors de l'examen du PLFSS 2025 (article 6).

* 1 Les Notes scientifiques de l'Office

* 2 FDA Authorizes Marketing of 20 ZYN Nicotine Pouch Products after Extensive Scientific Review | FDA

* 3 Health risk assessment of nicotine pouches

* 4 Structure AFNOR/NICOPOUCH | Norm'Info

* 5 "Rapport de toxicovigilance de l'Anses

* 6 Aperçu de l'amendement

* 7 Rapport MECSS

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