EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un paysage en profonde mutation

L'enseignement supérieur est en pleine mutation depuis les deux dernières décennies et se heurte désormais à un cadre opérationnel et juridique qui s'avère obsolète. La massification de l'accès aux études supérieures, liée à la dynamique démographique et au taux de succès au baccalauréat en constante progression, a provoqué une onde de choc difficile à amortir par les seuls établissements publics. De plus, l'évolution des attentes éducatives « sur mesure » a provoqué l'apparition d'une multitude d'acteurs et une multiplication des formations, ce qui complexifie la compréhension par les futurs étudiants et leur famille des parcours possibles dans l'enseignement supérieur.

Dans le même temps, l'enseignement supérieur privé a semblé mieux répondre à ces nouveaux publics ainsi qu'aux besoins réels exprimés par les familles et les territoires. Il connaît une croissance significative et accueille désormais 26,5 % des 3,1 millions d'étudiants français. En 2025, les formations du secteur privé sont au nombre de 10 761 sur les 24 500 référencées sur Parcoursup, ce qui représente 44 % de l'offre globale. Le nombre de formations issues du secteur privé a par ailleurs augmenté de 629 par rapport à l'année dernière.

Mais le secteur de l'enseignement supérieur privé est lui-même hétérogène. Il regroupe dans cette appellation trop large aussi bien le secteur privé dérégulé et purement lucratif que les établissements d'intérêt général (EESPIG), bien identifiés pour le sérieux de leurs formations. Les EESPIG, établissements privés à but non lucratif et en contrat avec l'État, sont engagés dans le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche, au titre de l'article L. 732-1 du code de l'éducation, et reconnus comme opérateurs de la recherche publique selon l'article L. 112-2 du code de la recherche. Ces établissements, qui prodiguent un enseignement et une recherche de grande qualité, pâtissent aujourd'hui d'une confusion instaurée par les pratiques de certains établissements privés peu scrupuleux.

En effet, l'évolution rapide du secteur s'est accompagnée de dysfonctionnements tels que des droits d'inscription excessifs, un manque de transparence ou une qualité d'enseignement et d'insertion insuffisante. Le choix de démultiplier des diplômes aux dénominations diverses avec les termes de « bachelors », « master of » ou encore « mastères » non reconnus par les procédures d'évaluations du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) exploitent aussi la méconnaissance des étudiants et des familles souvent exacerbée par le sentiment d'urgence face à des choix d'orientation délicats.

Un dérèglement lié à la réforme de 2018

La réforme, issue de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » (loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018) associée aux mesures de soutien à lembauche, a produit des effets bénéfiques tant sur l'insertion des jeunes dans le monde professionnel que la démocratisation de laccès à lenseignement supérieur. Alors que le cap du million de jeunes en apprentissage a été franchi l'année dernière, le succès de cette politique de l'apprentissage s'est accompagné d'une inflation d'offres de formations dans les établissements privés lucratifs et un véritable dévoiement du dispositif. La promesse d'études supérieures gratuites - car financées par l'apprentissage - a séduit un large public qui ne possédait pas les outils pour identifier les potentielles pratiques abusives.

Le coût total pour les finances publiques de la politique publique de l'apprentissage était estimé par la Cour des comptes, en 2022, à 16,8 milliards d'euros. Alors que les fonds publics alloués à l'apprentissage ont structurellement augmenté depuis 2018, selon le rapport de la Cour des comptes d'avril 2025, aucun contrôle de qualité n'est assuré. Les ressources publiques sont détournées par certains acteurs privés pourtant bien connus car ces institutions n'ont aucune réputation établie et peu de contraintes réglementaires. Cependant, en l'absence de critères de sélection de formation à l'apprentissage, l'argent public est ainsi détourné par des établissements à seul but lucratif. Toute dépense publique implique une évaluation pour son efficacité et doit être scrupuleusement contrôlée ; l'apprentissage n'y fait pas exception.

L'ouvrage de la journaliste Claire Marchal intitulé « Le Cube » (Flammarion, 2025), mettant en cause les pratiques du groupe Galileo s'appuyant largement sur le recours aux aides publiques à l'apprentissage, déplore ainsi la surcharge des classes, la vétusté des bâtiments, la baisse de salaires des enseignants, des modules d'enseignement sans rapport avec la formation et une course effrénée aux bénéfices, loin des enjeux primordiaux de l'enseignement supérieur.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a ainsi contrôlé 80 établissements identifiés, sur demande du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors d'une enquête nationale de « Protection économique du consommateur dans les établissements privés d'enseignement supérieur » en 2020. Cette enquête a révélé des pratiques abusives telles que la présence de clauses de modification unilatérale des prix ou l'absence de remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l'étudiant.

Plus globalement, des établissements misent sur une stratégie daffichage « hors Parcoursup », en surfant sur le caractère anxiogène et peu transparent de cette plateforme, comme le souligne le rapport d'information « Parcoursup : l'urgence à gagner la confiance des lycéens et des étudiants » du Sénateur Jacques GROSPERRIN. Il est donc urgent de valoriser les formations présentes sur cette plateforme en labellisant la qualité de leur enseignement.

Une nécessaire régulation

L'absence de régulation efficace de l'enseignement supérieur laisse des étudiants et des familles vulnérables exposés à une multitude d'offres opaques sans capacité de faire un choix éclairé. Face à des pratiques commerciales abusives et des offres éducatives de qualité incertaine, choisir une formation relève de l'épreuve semée d'embûches. Il apparaît essentiel d'offrir une valorisation aux formations d'excellence par rapport aux cursus dépourvus de garanties académiques.

La présente proposition de loi propose ainsi une régulation de l'enseignement supérieur, pour assurer plus de lisibilité et de garanties sur la qualité de l'offre de formation aux familles et aux jeunes, afin de permettre un accès à l'enseignement supérieur transparent pour chacun. Elle définit juridiquement des critères de qualité et renforce les outils de contrôle et de sanction à disposition des autorités compétentes. Une labellisation rigoureuse dans l'enseignement supérieur est essentielle pour la mise en application de mesures ciblées. Il est impératif que les choix d'orientation soient éclairés pour bénéficier de leur droit à l'éducation.

La proposition de loi prévoit dans un deuxième volet une réflexion approfondie sur le soutien financier de l'État à l'apprentissage et son pilotage, basé sur une évaluation préalable des formations. L'objectif n'est pas de réduire la politique de soutien à l'apprentissage mais au contraire de flécher les aides publiques uniquement vers les établissements offrant une formation académique de qualité. L'objectif est double en permettant, d'une part, une meilleure affectation de la dépense publique vers les établissements de qualité, et d'autre part, de garantir aux étudiants que leur formation offre de réelles perspectives d'insertion pour leur avenir professionnel.

Une meilleure identification des formations sur Parcoursup

Larticle 1er étend la règle de l'accès via Parcoursup, aujourd'hui obligatoire pour les formations dispensées par les établissements publics d'enseignement supérieur, les EESPIG, les établissements privés sous contrat d'association ainsi que pour certaines formations identifiées par arrêté du ministre de l'enseignement supérieur, aux formations dispensées par les établissements privés agréés. L'entrée en vigueur de la mesure est fixée au 1er janvier 2027.

L'article 1er précise également les modalités de cet agrément, en définissant la procédure de son octroi et de son renouvellement, ainsi qu'une liste minimale des critères de qualité devant être pris en compte. Ces critères incluent la qualité des formations dispensées, la composition et la qualification des équipes pédagogiques et administratives, les conditions de l'encadrement pédagogique et administratif des étudiants et apprentis, les caractéristiques des locaux et la proportion des enseignements qui y sont dispensés, les caractéristiques des équipements mis à la disposition des étudiants ainsi que les taux de réussite aux examens, d'obtention de diplôme, d'abandon de scolarité en cours de formation et d'insertion professionnelle.

Afin d'assurer la bonne information des candidats et de leurs familles, une liste minimale des caractéristiques devant être portées à leur connaissance pour chacune de ces formations proposées par les établissements privés sur Parcoursup, incluant la proportion de cours assurés en présentiel ou encore le taux d'abandon d'études en cours de scolarité, est proposée. Il est précisé que la présentation de ces caractéristiques doit permettre aux candidats d'identifier les formations sanctionnées par un diplôme national, celles qui permettent l'accueil d'étudiants boursiers et étrangers et celles qui permettent un accès à l'apprentissage. L'article 1er prévoit à ce titre la possibilité pour tous les EESPIG d'accueillir des étudiants boursiers.

Cette présentation, dont les modalités précises seront définies par décret, pourra se traduire par la mise en avant de labels ou de toute autre marque distinctive traduisant le niveau de reconnaissance par l'État des formations et des opérateurs qui les proposent.

L'article 2 introduit, pour les établissements privés d'enseignement supérieur, une conditionnalité des aides financières à l'apprentissage, qui ne pourront bénéficier qu'aux établissements proposant des formations à la qualité reconnue par l'État. À compter du 1er janvier 2027, seuls les EESPIG et les établissements ayant reçu l'agrément mis en place par l'article 1er pourront ainsi recevoir la certification de qualité obligatoire pour bénéficier des financements publics de l'apprentissage. Il est également proposé de supprimer la condition de non-lucrativité qui conditionne, pour les établissements privés, l'habilitation à percevoir le solde de la taxe d'apprentissage, qui n'est pas définie en droit et est source d'ambiguïté, pour prévoir que cette habilitation bénéficie aux établissements dont la qualité des formations est reconnue par l'État.

L'interdiction des pratiques commerciales trompeuses et leur sanction

Les articles 3 et 4 visent à protéger les étudiants et apprentis des pratiques contractuelles abusives aujourd'hui constatées de la part de certains établissements privés à but lucratif, en interdisant notamment la pratique des « droits de réservation ».

L'article 5 prévoit des sanctions pour les responsables d'établissements privés denseignement supérieur qui se livreraient à des pratiques commerciales trompeuses.

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