EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La surpopulation carcérale en France atteint un point de plus en plus critique, avec 84 447 personnes détenues pour 62 566 places au 1er juin 2025, soit un taux doccupation moyen de 135 %, et 166 % dans les maisons darrêt. Plus de 5 700 personnes dorment à même le sol. Laggravation est constante. En deux ans, la population carcérale a augmenté de plus de 10 000 personnes. À ce rythme, les 90 000 détenus seront atteints fin 2025.
Pour faire face à cette augmentation, le Garde des Sceaux Didier Migaud avait déclaré devant le Sénat qu'il faudrait construire une prison par mois !
Les effets de cette saturation sont connus : promiscuité extrême, hygiène dégradée, accès aux soins, à la formation et au travail largement insuffisants, violence accrue. Cette situation structurelle, que la Cour européenne des droits de lhomme a condamnée dès 2020 (affaire J.M.B.), porte atteinte à la dignité humaine, compromet la réinsertion, nuit aux personnels pénitentiaires et alimente la récidive.
Cette surpopulation carcérale s'est aggravée depuis plusieurs années, après que les gouvernements successifs ont multiplié les mesures ayant aggravé le phénomène, tout en se refusant à instaurer la régulation pourtant réclamée de toutes parts. Plusieurs décisions ont eu un effet inflationniste sur la population pénale. La loi du 22 décembre 2021 a supprimé les crédits de réduction de peine et restreint les aménagements. Ce changement sest traduit par plusieurs milliers de détenus supplémentaires en quelques mois.
La même administration reconnaît limpasse actuelle : devant la remontée record des effectifs et les vagues de chaleur successives de l'été 2025, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a demandé à ce que soient appliquées des « mesures de désengorgement » temporaires : libérations anticipées, crédits de peine exceptionnels en fin de peine ... Une régulation carcérale qui ne dit pas son nom. Ces solutions durgence illustrent la contradiction du discours gouvernemental. Pourtant, depuis près de 10 ans, l'unique solution apportée par les gouvernements successifs est la promesse de construire davantage de prisons, qui ne sont par ailleurs jamais livrées à temps.
Dans un rapport remis en mars 2025, lInspection générale de la justice (IGJ) dresse un constat sans appel : le système pénitentiaire est « au bord de la rupture ». La mission considère que la surpopulation doit désormais être appréhendée pour ce qu'elle représente effectivement : un état durgence sanitaire et sécuritaire. La mission recommande de recourir à un mécanisme sinspirant de celui adopté le 25 mars 2020, lors de la pandémie de COVID-19, « pour adapter les règles de procédure pénale pendant la crise sanitaire ».
Ce diagnostic rejoint ceux de la Cour des comptes, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), de nombreux travaux parlementaires, des syndicats de magistrats, davocats, de directeurs de prison et de professionnels de terrain. Tous pointent linefficacité dune stratégie reposant uniquement sur la construction de nouvelles places de prison : plus on construit, plus on enferme, sans résoudre durablement cette crise.
Malgré ces nombreuses alertes, rien na été fait.
Face à linertie du Gouvernement, la présente proposition de loi vise à inscrire dans le droit un mécanisme pérenne et contraignant de régulation carcérale, afin de faire respecter un principe élémentaire : nul ne doit être incarcéré au-delà des capacités daccueil effectives du service public pénitentiaire.
Ce mécanisme de régulation carcérale sarticule autour de deux piliers :
- Une obligation de ne pas dépasser les capacités réelles d'accueil, avec un contingent de cellules réservées aux nouveaux arrivants ;
- Un déclenchement automatique de mesures de libération ou d'aménagement de peine, strictement encadrées, pour les personnes condamnées à de courtes peines ou ayant un reliquat de peine inférieur à deux ans.
Ce processus ninstaure ni impunité ni abandon de la fermeté : il sagit de concilier exécution des peines, respect de la dignité humaine et efficacité de la sanction pénale. La mission de lIGJ le rapporte clairement : sans un tel outil de régulation, toute réforme est vouée à l'échec. Cette proposition de loi ne prétend pas tout résoudre. Mais elle est le premier pas vers un système pénal soutenable. Une peine privative de liberté doit sexécuter dans des conditions conformes aux exigences constitutionnelles et à la dignité humaine, faute de quoi elle perd son sens et son efficacité de lutte contre la récidive.
Si lon juge une société à l'état de ses prisons, il est temps que la France se montre à la hauteur.