EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Il faut que la transparence l'emporte sur l'obscurité ambiante et que tous les lieux de privation de liberté soient librement accessibles. » (Sir Nigel Rodley, Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, 3 juillet 2001)

Le 29 avril 2025, le Conseil constitutionnel a rendu une décision historique (n° 2025-1134 QPC) déclarant contraire à la Constitution, au regard du principe d'égalité devant la loi, le premier alinéa de l'article 719 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Cette disposition autorisait notamment les parlementaires et les bâtonniers à visiter divers lieux de privation de liberté, tels que les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative et les zones d'attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés, mais excluait les geôles et dépôts situés au sein des juridictions judiciaires.

Le Conseil constitutionnel a, ce faisant, constaté une atteinte caractérisée au principe d'égalité devant la loi, inscrit à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En effet, rien ne justifie, au regard des exigences constitutionnelles, que les personnes privées de liberté soient soumises à des régimes de contrôle différenciés selon le lieu de leur enfermement. La distinction opérée par la loi entre des lieux de détention comparables quant à leur nature et à leur finalité ne repose sur aucun critère objectif et rationnel en lien avec l'objectif poursuivi par le législateur, à savoir le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Conscient de la portée de cette abrogation, le Conseil a toutefois différé ses effets au 30 avril 2026. Il a, ce faisant, conféré au législateur un délai d'un an pour adapter le dispositif de sorte qu'il soit conforme à la Constitution. Passé ce délai, si aucune modification législative n'est intervenue, les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, avec le droit d'être accompagnés par des journalistes, ainsi que les bâtonniers, perdront leur droit de visite dans l'ensemble des lieux de privation de liberté mentionnés à l'article 719 du code de procédure pénale.

Il est donc impératif que le Parlement adopte, avant cette échéance, une loi modifiant l'article 719 pour y inclure, non seulement les geôles et dépôts des juridictions judiciaires, mais également dans un cadre plus général « tous les lieux de privation de liberté ». Cette modification garantirait l'égalité de traitement de l'ensemble des personnes privées de liberté et préserverait le droit de visite des parlementaires et des bâtonniers, outil essentiel pour le contrôle des conditions de détention et la protection des droits fondamentaux.

L'importance d'étendre la liste limitative prévue par l'article 719 à l'intégralité des lieux de privation de liberté s'inscrit dans un objectif de pérennisation de ce droit. Effectivement, l'ajout de certains lieux de privation de liberté et l'exclusion persistante d'autres d'entre eux amènent à un schéma répétitif : le Conseil constitutionnel serait de nouveau saisi pour rupture d'égalité en raison de l'exclusion par la loi d'un autre lieu de privation de liberté, l'inconstitutionnalité de la loi serait déclarée et la modification de celle-ci exigée. Puis une nouvelle saisie relative à un énième lieu de privation de liberté exclu de l'article s'effectuerait, et ainsi de suite. En ce sens, seule l'inclusion dans la loi de la formule générale « tous les lieux de privation de liberté » paraît pertinente.

La présente proposition de loi vise donc à corriger cette carence en étendant explicitement le droit de visite à tous les lieux de privation de liberté.

Les lieux de privation de liberté regroupent une grande diversité d'établissements dont la liste peut être dressée en suivant plusieurs catégories : les lieux de privation de liberté reliés aux mesures pénales, aux mesures médicales (les individus sont retenus en raison de leur état de santé mentale sans leur consentement) et aux mesures administratives. 

Néanmoins, la doctrine reste encore vague quant à la définition précise des lieux de privation de liberté. Il convient ainsi, afin d'appréhender cette notion, de s'inspirer du droit positif et notamment de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il est prévu que celui-ci peut visiter « tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique ».

Les personnes privées de liberté dans les espaces non mentionnés par l'article 719 du code de procédure pénale, potentiellement en situation de vulnérabilité, sont soumises aux mêmes contraintes de privation de liberté sans bénéficier des mêmes garanties de contrôle.

Il est par ailleurs important de rappeler que le droit de visite des lieux de privation de liberté ne relève pas d'un privilège symbolique, mais constitue un instrument de contrôle démocratique des lieux de détention et de rétention. Il participe pleinement à la prévention des traitements inhumains ou dégradants, à la protection des droits fondamentaux et au maintien de la confiance dans les institutions judiciaires et pénitentiaires.

Ainsi, ce pouvoir de contrôle ne peut être effectif qu'à la condition d'être exercé inopinément. C'est la faculté de visiter sans préavis, prévue à l'article 719 du code de procédure pénale, qui garantit la sincérité des constats opérés sur le terrain. La planification systématique des visites tend en effet à neutraliser leur portée en permettant des mises en conformité superficielles, voire temporaires.

L'article unique de cette proposition de loi souhaite ainsi tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2025, en inscrivant expressément dans la loi le droit de visite de tous les lieux de privation de liberté pour les parlementaires et les bâtonniers.

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