EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi part d'un constat simple : le capitalisme, en crise permanente de valorisation, se nourrit de la guerre. Après avoir méthodiquement épuisé le monde du travail et la planète, le capital cherche aujourd'hui des débouchés alternatifs susceptibles de soutenir la croissance de ses profits. Il les identifie notamment dans l'intensification des tensions géopolitiques, processus auquel il contribue activement, tout en se garantissant une rente alimentée par la commande publique de matériel militaire.
Dans ce contexte, l'offensive états-unienne contre le multilatéralisme commercial participe à l'aggravation des déséquilibres internationaux. En s'attaquant aux cadres collectifs de régulation, elle accentue les logiques de repli nationaliste, renforce les dynamiques guerrières et fragilise les coopérations. Les puissances impérialistes n'hésitent plus désormais à recourir à la force pour redéfinir les frontières et imposer leur domination : l'agression de la Russie de Poutine contre l'Ukraine en constitue une illustration dramatique, tout comme les velléités annexionnistes de Donald Trump à propos du Groenland, ou encore la guerre coloniale menée par le gouvernement d'Israël à l'encontre du peuple palestinien.
À cette étape, la trajectoire suivie par la France apparaît d'autant plus préoccupante que ses orientations stratégiques semblent s'éloigner progressivement de cette exigence de paix. La tonalité des prises de position récentes émanant des plus hautes autorités militaires en témoigne. Ainsi, les déclarations du chef d'état-major des armées, prononcées lors du Congrès des maires de France le 19 novembre 2025, invitant les Français à se préparer « à perdre leurs enfants », constituent un signal alarmant. Elles traduisent une normalisation insidieuse d'un imaginaire guerrier qui, loin de préparer la Nation à affronter les défis du siècle, contribue à banaliser l'hypothèse du conflit et à inscrire la société dans une logique sacrificielle profondément contraire à l'idéal républicain de progrès humain. Le peuple de France ne saurait s'y résigner.
En Europe, cette logique se traduit par un plan d'investissement massif de 800 milliards d'euros voulu par la Commission de l'Union Européenne. Officiellement, ce plan entend renforcer des partenariats avec des pays du monde entier qui partageraient les mêmes valeurs que l'UE, renforcer nos frontières extérieures notamment celles avec la Russie et la Biélorussie, soutenir l'industrie de défense et approfondir ce marché à l'échelle de l'UE en simplifiant la réglementation.
La plupart des exécutifs européens soutiennent cette stratégie et notamment en ce qui concerne la livraison massive d'armes à l'Ukraine. L'idée dominante est que seule la guerre, seule la force, permettra de contraindre Moscou à reculer. Mais après trois années de conflit, les résultats sont tragiquement clairs : des centaines de milliers de morts, une guerre sans issue, et une Ukraine qui, chaque jour, perd un peu plus de terrain face à l'agression russe.
Cette fuite en avant belliciste s'accompagne d'un discours sur l'« Europe puissance » soutenu par une politique de relance par le canon et la poudre. Sous couvert de partenariats et de renforcement de coopérations avec d'autres États sur la base de valeurs communes de liberté et de droits fondamentaux, celles-ci sont instrumentalisées pour justifier des alliances opportunistes. D'un côté avec la Turquie occupant illégalement une partie de l'île de Chypre depuis 1974 et dont des millions de citoyens protestent contre le régime autoritaire d'Erdogan ; de l'autre avec l'Inde du suprémaciste hindou Modi dont les milices d'extrême droite poursuivent et passent à tabac musulmans et chrétiens, rasent leurs domiciles au bulldozer comme leurs mosquées et leurs églises.
En réalité, l'Union européenne et avec elle, la France, dissimulent derrière la défense de valeurs occidentales et de la démocratie ainsi que derrière la nécessité de réindustrialiser notre continent, le grand retour du continuum entre rivalités économiques et militaires. Cette proposition de loi vise donc à mettre un coup d'arrêt à cette dérive dangereuse. Elle entend protéger notre pays de la spéculation sur les conflits et mettre à contribution les grandes entreprises de défense qui entendent retirer les dividendes de la guerre.
Ainsi, entre 2021 et 2024, les dépenses militaires européennes ont augmenté de 30 % pour atteindre 326 milliards d'euros. En France, le budget de la défense est passé de 32,7 milliards en 2017 à 50,7 milliards en 2025, et la loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit 413 milliards sur sept ans. Cette trajectoire prépare un basculement historique : 100 milliards d'euros de dépenses militaires annuelles à l'horizon 2030. Sans cette fuite en avant militariste, et sans le désarmement fiscal qui a privé l'État de dizaines de milliards de recettes depuis 2017, le déficit public ne dépasserait pas 1,3 % du PIB.
Dans le même temps, la France est devenue en 2024 le deuxième exportateur mondial d'armement, devant la Russie, avec 10 % des parts de marché mondial. La France est désormais le deuxième exportateur mondial d'armement, devant la Russie. Avec 21,6 milliards de commandes, l'industrie militaire a connu en 2025 sa deuxième meilleure année. Par ailleurs, les exportations à destination de l'État d'Israël ont atteint un montant inégalé depuis huit ans et ce alors que c'est la notion de génocide qui est en débat pour caractériser les massacres en cours de la part des forces armées israéliennes.
Les grands maîtres d'oeuvre de la base industrielle et technologique de défense (BITD) - Dassault, Thales, Safran, Airbus Defence & Space, Naval Group, Nexter, Arquus, Ariane Group - ont vu leurs carnets de commandes se remplir à des niveaux historiques et leurs capitalisations boursières s'envoler. Ces envolées boursières ne traduisent pas un surcroît d'innovation au service de la société, mais l'anticipation spéculative de profits futurs nourris par les conflits et les tensions internationales.
Ainsi, l'économie de guerre devient un moteur de la valorisation des portefeuilles boursiers. La commande publique se transforme en dividendes privés. La destruction et la peur deviennent des indices pour les marchés financiers.
Cette dynamique dangereuse est économiquement inefficace. D'abord, elle détourne massivement des ressources publiques et privées des secteurs vitaux. Les études économiques sont claires : une hausse des dépenses publiques de 1 % du PIB dans la santé ou l'éducation génère un effet multiplicateur cinq fois supérieur à celui des dépenses militaires. La production d'armes crée deux à quatre fois moins d'emplois qu'un investissement équivalent dans la santé, l'éducation ou la transition écologique.
Ensuite, elle appauvrit la recherche civile. La Banque centrale des États-Unis elle-même a montré que l'augmentation de la R&D militaire est corrélée à une baisse de la productivité globale à long terme. L'intégration progressive des programmes militaires dans le programme-cadre européen de recherche réduit mécaniquement les financements disponibles pour la science ouverte. La Banque européenne d'investissement, autrefois bras armé du financement durable, finance désormais des industries de défense. Quant aux régimes de « sécurité nationale », ils verrouillent la circulation des savoirs et privatisent les connaissances. La France, déjà en retard en matière de recherche publique - ses dépenses par habitant représentant 60 % du niveau allemand et 47 % du niveau suédois - se prive ainsi de moyens indispensables pour son avenir scientifique et écologique.
La présente proposition de loi ne vise pas à remettre en cause l'existence d'une BITD souveraine. Au contraire, l'évolution récente du secteur montre que l'économie de guerre, entendue comme effort national de reconstruction des capacités militaires, engendre une hausse des bénéfices au sein des entreprises maîtres d'oeuvre comme chez certains sous-traitants de premier rang. Lorsque ces bénéfices croissent plus vite que les capacités de production elles-mêmes, ils alimentent des circuits financiers -- dividendes, rachats d'actions, placements de trésorerie -- qui ne renforcent ni la souveraineté, ni les chaînes industrielles, ni la résilience technologique du pays. Un tel décalage entre profits et investissement constitue un risque structurel pour la BITD elle-même : celle-ci ne peut durablement dépendre de logiques d'extraction de valeur qui privilégient le rendement au détriment des cycles longs qui caractérisent l'industrie de défense.
C'est dans cette optique que la proposition de loi poursuit trois objectifs complémentaires, structurés par une logique de maîtrise par l'État des trajectoires économiques prises par l'industrie de défense.
1. D'abord, fiscaliser les bénéfices réalisés sur la production et la livraison de matériels de guerre, en instaurant une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés ciblée sur les maîtres d'oeuvre industriels et leurs sous-traitants de premier rang. La contribution intervient en aval du processus économique, une fois la commande publique transformée en bénéfice net. Autrement dit, elle ne pénalise ni la production, ni les capacités industrielles, ni l'investissement, mais la rente issue d'une activité dont la demande est intégralement déterminée par l'État et par les tensions géopolitiques.
La fixation d'un seuil de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé ainsi que l'exigence d'une activité principale dans le domaine de l'armement, définie comme représentant au moins 20 % du chiffre d'affaires, garantissent que la mesure cible exclusivement les entreprises de grande taille effectivement insérées dans la chaîne de production d'armements. Parmi les neuf maîtres d'oeuvre industriels (MOI) composant la base industrielle et technologique de défense (BITD), tous dépassent d'ailleurs largement ce seuil, avec un chiffre d'affaires supérieur à 500 millions d'euros en 2024.
La progressivité du barème, fixé entre 33 % et 41 %, permet de proportionner l'effort fiscal à la rentabilité réelle des entreprises concernées. Les auteurs de la proposition assument pleinement la majoration de 15 points applicable aux groupes dont l'activité est massivement orientée vers la défense. En effet, une spécialisation excessive dans la production de systèmes d'armes appelle, selon eux, une fiscalité à visée désincitative : la surproduction d'armements accroît mécaniquement les risques de leur utilisation, ce qui constitue, avant tout, un échec diplomatique et politique. Cette majoration vise ainsi à corriger une externalité négative propre à l'industrie de l'armement et à favoriser une orientation plus équilibrée des capacités industrielles, tournées vers la production civile.
2. D'autre part, la proposition de loi est assortie d'une surtaxe sectorielle sur les transactions financières portant sur leurs titres afin d'enrayer la spéculation sur la guerre. Le militarisme ne se contente plus d'être une branche de la production, il devient un support d'accumulation financière. La surtaxe sectorielle instituée par l'article 235 ter ZH du code général des impôts a précisément pour objet de frapper les opérations de marché qui transforment la guerre en rente. En modulant le taux de surtaxe selon la part du chiffre d'affaires réalisée dans l'armement, le dispositif introduit un second levier désincitatif : plus une entreprise est massivement tournée vers la production militaire, plus les transactions sur ses titres sont taxées. Ce mécanisme est complété par l'instauration d'un prélèvement annuel sur les plus-values latentes afférentes aux titres des entreprises de la BITD cotées sur un marché réglementé ou organisé selon les modalités du PFU.
3. Enfin, les mécanismes constitutionnels issus du principe d'universalité budgétaire, et plus particulièrement de la règle de non-affectation des recettes, font obstacle à la création d'un fonds alimenté par les recettes générées par les deux dispositifs. Pour autant, l'esprit de la présente proposition de loi demeure inchangé. À travers la création du Fonds national de financement de la recherche fondamentale, de l'école, de la santé et de la rénovation énergétique, les auteurs affirment que les recettes issues de la taxation des industries d'armement ont vocation à financer les priorités collectives de la Nation, c'est-à-dire les secteurs qui construisent la paix, la connaissance et la solidarité.
L'article 1 porte création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises de la BITD.
L'article 2 porte création d'une surtaxe sectorielle sur les transactions financières portant sur les titres des entreprises de la défense.
L'Article 3 instaure un prélèvement annuel sur les plus-values latentes afférentes aux titres des entreprises de la BITD cotées.
L'article 4 porte création d'un Fonds national de financement de la recherche fondamentale, de l'école, de la santé et de la rénovation énergétique ; fonds qu'il conviendrait d'abonder en affectant le produit de la contribution additionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises de la BITD et de la surtaxe sectorielle sur les transactions financières portant sur les titres des entreprises de la défense.