EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Malgré la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 dont l'ambition était de renforcer substantiellement le rôle du Parlement, les quinze dernières années ont démontré, dans la pratique, une réduction pernicieuse des droits du Parlement.

Le recours accru, pour ne pas dire systématique, aux procédures d'urgence conduit à la précipitation et à l'absence de débats constructifs, consensuels et qualitatifs au sein du Parlement. De surcroît, l'utilisation drastique, voire arbitraire, des dispositions prévues aux articles 40 et 45 de la Constitution entraîne inévitablement une restriction du droit d'amendement, qui est pourtant un droit inaliénable protégé par cette même Constitution. Par ailleurs, les sollicitations aux cabinets de conseil pour élaborer notre règlementation, devenues aujourd'hui quotidiennes et sans aucune garantie déontologique et aucune considération de conflits d'intérêts éventuels, en lieu et place de l'expertise, des ressources et des compétences de l'administration sont fortement préjudiciables pour notre démocratie.

Enfin, la multiplication de conventions citoyennes, organe quasi législatif, vient parachever cette « oeuvre » d'effritement des droits et du rôle du Parlement. C'est dans ce contexte incertain que la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale, à l'initiative du président du groupe Les Républicains, a décidé de saisir le Conseil constitutionnel, le mardi 11 avril 2023, pour défaut de sincérité de l'étude d'impact jointe au projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense. L'article 47-1 du Règlement de l'Assemblée nationale prévoit en effet que « La Conférence des présidents est compétente pour constater, s'agissant des projets de loi déposés sur le bureau de l'Assemblée, une éventuelle méconnaissance des conditions de présentation fixées par la loi organique relative à l'application de l'article 39 de la Constitution ».

Créée par la révision constitutionnelle de 2008, cette procédure est très rarement mise en oeuvre. Également prévue à l'article 29 alinéa 6 du Règlement du Sénat, elle fut utilisée en 2014 par le Sénat concernant le projet de loi de réforme territoriale. Cet alinéa prévoit en effet que « La Conférence des Présidents peut, dans un délai de dix jours suivant le dépôt d'un projet de loi, constater que les règles fixées par la loi organique pour la présentation de ce projet de loi sont méconnues ; dans ce cas, le projet de loi ne peut être inscrit à l'ordre du jour du Sénat. En cas de désaccord entre la Conférence des Présidents et le Gouvernement, le Président du Sénat ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours».

Dès lors, compte tenu des dégâts, pour ne pas dire des ravages, résultant de lois adoptées mais accompagnées d'études d'impact artificielles, il apparaît désormais nécessaire de faire un meilleur usage de cette disposition qui confère aux Conférences des Présidents des deux assemblées un outil de contrôle puissant au service de la simplification et de la qualité du droit.

À cet égard, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « Climat et résilience » prévoit notamment le principe de « zéro artificialisation nettes » (ZAN) des sols. Or, ce principe coercitif est déjà entré en application, alors même que l'étude d'impact présentait des carences importances concernant les effets et les conséquencesd'une telle réforme pour nos territoires. Outre son extrême complexité administrative et malgré les avis défavorables du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), cette réforme s'avère totalement « ruralicide » en interdisant toute nouvelle construction. Les citoyens, les entreprises et les élus locaux n'ont pu anticiper la mise en oeuvre du ZAN, faute d'une étude d'impact sincère fondée sur des données scientifiques et techniques.

Ainsi, il faut aujourd'hui considérer que les études d'impact « alibis » ou bâclées sont constitutives de dol : elles vicient le consentement des parlementaires qui ont étéinsuffisamment éclairés pour se prononcer sur le bien-fondé d'une règlementation envisagée. Cet usage récent par l'Assemblée nationale de l'article 47-1 de son Règlement fait écho à la position défendue par le Président du CNEN, M. Alain Lambert,qui soutient la possibilité d'un recours élargi contre les études d'impact insuffisantes et insincères, afin de simplifier et d'améliorer la qualité du droit. Cette évaluation ex ante est primordiale pour évaluer les coûts réels résultant des nouvelles règlementations. En effet, selon le dernier rapport d'activité du CNEN, les charges nettes supplémentaires pour les collectivités territorialeset leurs établissements publics sont évaluées à 2,5 milliards d'euros en 2022, contre 791 millions d'euros en 2019, soit une augmentation de plus de 200 % en quatre ans.

C'est pourquoi la présente proposition de résolution vise à modifier le Règlement du Sénat afin de permettre à un président de groupe politique d'engager la procédure permettant le contrôle des études d'impact par le Conseil constitutionnel dans l'hypothèse où la Conférence des présidents n'utilise pas cette prérogative. Cette faculté serait conditionnée à un vote favorable du Sénat.