EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'Unédic, régime d'assurance chômage français, a récemment indiqué que l'indemnisation chômage des frontaliers coûtait 800 millions d'euros par an à la France. En effet, les frontaliers paient leurs cotisations dans le pays où ils exercent mais cest leur pays de résidence qui leur verse les allocations. 1 milliard d'euros d'indemnisation ont été versés aux chômeurs frontaliers, quand la France n'a reçu que 200 millions d'euros de la part des pays frontaliers qui perçoivent les cotisations des frontaliers.
Avant l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 883/2004 en 2010, les pays d'exercice de l'activité reversaient à l'État de résidence la totalité des cotisations qu'ils percevaient des travailleurs frontaliers. Mais depuis l'entrée en vigueur du règlement, également applicable à la Suisse depuis 2012, il est prévu que le pays d'exercice reverse au pays de résidence seulement une petite partie des cotisations chômage qu'il perçoit de la part des frontaliers. 3 mois dindemnisation sont remboursés à l'État de résidence si le frontalier a travaillé moins de 12 mois dans les 24 derniers mois dans le pays frontalier. 5 mois dindemnisation sont remboursés si le frontalier y a travaillé plus de 12 mois dans les 24 derniers mois. Le règlement prévoit toutefois que les États parties peuvent négocier en bilatéral pour prévoir dautres méthodes de remboursement ou renoncer à tout remboursement. Un tel accord bilatéral a été conclu entre la France et le Luxembourg, qui ont convenu que le Luxembourg ne verserait que 3 mois de prestations, peu importe la durée d'exercice du frontalier.
Or, le fait que seulement 3 à 5 mois d'indemnisation soient reversés ne tient compte ni des flux ni de la durée moyenne de chômage observée chez les travailleurs frontaliers. En effet, les frontaliers sont au chômage plus longtemps en moyenne car ils préfèrent rester au chômage jusqu'à ce qu'ils retrouvent un emploi mieux payé dans le pays frontalier plutôt que de chercher un emploi en France, où les salaires sont moins élevés. Dans les faits, la durée dindemnisation des frontaliers dépasse en moyenne largement les 5 mois dindemnisation remboursés par les pays employeurs. La plupart des demandeurs demploi vont même au bout de la durée légale dindemnisation car ils gagnent plus en touchant le chômage quen travaillant aux conditions salariales proposées en France. Conséquence : le taux de chômage est de 15 % dans les zones à proximité de la Suisse.
Bien évidemment, puisque le montant de la compensation est le fruit d'un règlement et/ou d'une négociation entre la France et le pays frontalier, cette charge pour les finances publiques n'est pas imputable aux frontaliers. Il est en effet logique que leurs dépenses soient calculées en fonction de leurs revenus et qu'il soit donc difficile pour eux d'accepter en France un salaire plus bas, qui ne permet pas de payer le crédit de leur maison par exemple.
La France devant indemniser les frontaliers proportionnellement à leur ancienne paie, ces chômeurs coûtent plus cher qu'un chômeur non frontalier. En 2023, ils ont donc coûté 800 millions deuros à la France, soit 10 000 euros par chômeur frontalier. La situation est principalement liée aux frontaliers exerçant en Suisse et au Luxembourg, dans une moindre mesure à ceux exerçant en Allemagne et en Belgique. Il convient par ailleurs de noter que, selon lInsee, la France est le pays membre de lUnion européenne qui compte le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers, soit près de 443 000. La Suisse en emploie à elle seule 250 000.
LUnédic, chargé d'indemniser le chômage, dont le financement est assuré par les cotisations de lensemble des employeurs et des salariés, a en réalité dépensé un milliard deuros pour indemniser les travailleurs frontaliers en 2023. Mais il a récupéré 200 millions deuros grâce à la compensation prévue par le règlement. Chacun peut convenir que ce montant est trop bas et injuste en ce qu'il fait peser une charge sur l'État français alors même qu'il n'est pas l'État qui perçoit les cotisations. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, avec un déficit s'approchant des 6 % et une dette de près de 3 000 milliards d'euros, cette injustice ne peut pas perdurer. Récupérer ces 800 millions d'euros manquants, ou supprimer la charge de l'indemnisation pour la France pour la faire peser sur l'État d'exercice, contribuera au redressement des finances publiques françaises.
Il ne paraît pas opportun de baisser les indemnités chômage des frontaliers, tel qu'envisage de le faire le Gouvernement, puisqu'ils ne sont pas responsables du montant de la compensation qui résulte du règlement européen et de l'absence de négociation engagée par la France, d'autant plus que d'autres solutions apparaissent plus adaptées. Une baisse des indemnités chômage spécifique aux frontaliers pourrait en outre être considérée comme une rupture d'égalité vis-à-vis des autres assurés.
Deux autres solutions principales peuvent alors être envisagées. De son côté, lUnédic propose une révision du règlement européen par la Commission européenne. Cette révision viserait à conférer la charge de lindemnisation à l'État membre ayant perçu les cotisations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois et à la faire supporter par l'État de résidence dans les autres cas. En conséquence, la procédure de remboursement actuelle serait supprimée.
Le sujet inquiète également dans les rangs patronaux, ce qui a conduit Emmanuel Viellard, président du Medef Territoires franc-comtois, à piloter une « mission flash » sur le travail transfrontalier à la demande du conseil exécutif du mouvement patronal. Les entreprises françaises, selon le Medef, voient leur compétitivité pénalisée en payant des charges sociales qui bénéficient à des travailleurs qui ne cotisent pas en France. De même, cette situation favorise les États percevant les cotisations sans avoir à les reverser et où se trouvent des entreprises concurrentes aux entreprises françaises. Le Medef propose lui aussi de réviser le règlement (CE) n° 883/2004 en prévoyant que l'État demploi soit l'État qui verse les prestations. Selon le Medef, cela permettrait au régime dassurance chômage français, dont, pour mémoire, le financement est assuré aux deux tiers par les contributions des entreprises, d'économiser environ 800 millions d'euros par an.
La seconde solution consisterait à réviser le règlement pour prévoir que l'État d'emploi reverse la totalité des cotisations perçues à l'État de résidence. Toutefois, en raison des règles d'indemnisation qui peuvent être différentes selon les pays, cette solution peut entraîner des complications et une absence de couverture de la totalité des cotisations versées par le pays de résidence. Cependant, puisqu'une révision du règlement a plusieurs fois été envisagée sans jusqu'ici réussir à aboutir, il ne paraît pas opportun de laisser de côté cette solution si elle peut permettre de débloquer les négociations.
Enfin, dans l'attente d'une révision globale du règlement, une troisième voie est possible pour la France : celle de la négociation bilatérale visant à revaloriser le montant des rétrocessions perçues, telle que l'autorise le règlement.
Au regard de ces éléments, cette proposition de résolution européenne appelle donc la Commission européenne à initier une révision du règlement. Cette révision devra permettre soit de conférer la charge de lindemnisation à l'État membre ayant perçu les cotisations, soit de prévoir que le pays de résidence continue de verser les prestations, mais qu'il récupère la totalité des cotisations versées à l'État d'exercice par le travailleur frontalier. Dans l'attente d'une telle révision, la proposition de résolution européenne invite également le Gouvernement français à engager des négociations bilatérales dans l'optique de percevoir des rétrocessions correspondant davantage à la durée d'indemnisation des travailleurs frontaliers.