EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Souvent promis, promesse jusqu'ici constamment restée lettre morte, le débat sur le changement du mode de scrutin pour les élections législatives et l'introduction de la proportionnelle a enfin passé une nouvelle étape en France.
Dans la foulée des élections législatives de juillet 2024, le débat a en effet pris une tournure nouvelle, par l'étendue du consensus politique autour du bien-fondé de cette demande tout d'abord, mais aussi par l'engagement du Gouvernement à y travailler sérieusement avec les parlementaires, affirmé par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale du 1er octobre 2024.
Alors que la France est aujourd'hui le seul pays de l'Union européenne à élire ses députés au scrutin majoritaire, cette résolution s'inscrit dans ce contexte de discussion nouveau, au moment où les parlementaires français sont appelés à engager un travail de fond sur les modalités qu'un tel changement pourrait recouvrir.
Elle vise à tracer des pistes de réflexion pouvant constituer un socle de départ pour le débat qui doit s'ouvrir au Parlement mais aussi dans la société.
Nous partageons un terrible constat : alors que les défis auxquels nous sommes confrontés sont immenses et nécessitent des réponses politiques puissantes, la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de notre régime démocratique explose. Elles et ils se sentent de plus en plus mal représentés par des institutions qu'ils considèrent trop souvent impuissantes, empêchées et déséquilibrées.
La confiance des Françaises et des Français envers leur gouvernement est inférieure à la moyenne des pays de l'OCDE1(*). D'après l'eurobaromètre, la France est même le pays de l'UE où la défiance envers le Gouvernement est la plus répandue, juste avant la Slovaquie2(*). Retrouver cette confiance est plus urgent que jamais.
Il n'y a pas de solution unique ni simple à cet affaissement. Mais à l'évidence, l'introduction du mode de scrutin proportionnel pour la désignation des députés à l'Assemblée nationale est une amélioration à la fois majeure, avec la capacité d'avoir un impact très concret sur notre démocratie, mais aussi parfaitement envisageable en vue des prochaines élections.
Le mode de scrutin actuel pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale, uninominal majoritaire à deux tours, pose en effet une série de problèmes importants, tant pour la représentativité du Parlement français, pour la légitimité démocratique des décisions prises par la représentation nationale, pour le rôle du Parlement dans l'équilibre institutionnel que pour la culture politique qui en découle dans notre pays.
Tout d'abord, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour élire l'Assemblée nationale ne permet pas et ne peut pas permettre une représentation équitable de la société française. Il crée en effet une distorsion, potentiellement extrêmement forte, entre les voix exprimées par les électrices et électeurs pour les différentes forces politiques et les sièges obtenus par ces dernières. Un scrutin proportionnel permettrait une représentation plus juste des différentes sensibilités à l'Assemblée nationale.
Cet effet est de plus majoré par les effets du mode de scrutin sur les choix électoraux eux-mêmes. En effet, le scrutin majoritaire pousse les électrices et les électeurs qui n'ont pas choisi de s'abstenir à établir des stratégies de vote les amenant à ne pas, voire pour certains à ne jamais, voter pour la formation politique dont ils et elles se sentent pourtant les plus proches. Ils considèrent - à juste titre malheureusement - que ces votes pourtant de conviction sont potentiellement des votes inutiles. Ce système crée par ailleurs structurellement de l'abstention. En effet, pour toutes celles et ceux qui savent ou anticipent que le ou la candidate pour laquelle ils souhaiteraient voter n'a pas de chance d'accéder au second tour, le sens de l'acte civique de se rendre au bureau de vote, pourtant au coeur de l'exercice citoyen, peut être considéré réduit à néant. Le scrutin proportionnel permettrait de remplacer le système majoritaire où, in fine, chaque voix ne compte pas, par un système de confiance où chaque voix compte à égalité.
Le scrutin majoritaire ne permet pas non plus de garantir une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes à l'Assemblée. La proportion de femmes a d'ailleurs diminué lors des deux derniers scrutins. Or, l'effet positif de la proportionnelle sur la parité est documenté depuis longtemps3(*) et est par ailleurs confirmé par la progression considérable de la représentation des femmes dans les instances délibératives locales élues à la proportionnelle avec des listes paritaires. En effet, les femmes représentent 48,5 % des effectifs des conseils régionaux ou territoriaux4(*), ce qui contraste avec le taux de parité de seulement 36 % au Palais Bourbon.
À l'injustice électorale s'ajoute par ailleurs l'impact concret sur le rôle du Parlement dans le paysage institutionnel français. En effet, le scrutin majoritaire produisant des majorités fictives, puisque n'existant pas dans la société, il aboutit la plupart du temps, dans la Cinquième République, à une atrophie du travail parlementaire, souvent réduit à enregistrer les décisions de l'exécutif. Pourtant, c'est justement au coeur du Parlement que devrait se situer le lieu de pouvoir réel, là où devraient se travailler et se déterminer les majorités encadrant l'action du gouvernement.
Enfin, le système majoritaire favorise une culture politique de l'affrontement plutôt que d'inciter celle du dialogue et de l'intelligence collective issue des négociations et des compromis démocratiques qui sont normalement au coeur d'un fonctionnement parlementaire efficace et sain. Le Sénat, élu pour grande partie à la proportionnelle, est d'ailleurs coutumier de cette culture.
Avec ses nombreux défauts, le système majoritaire a pourtant été accepté pendant des décennies, contre les promesses de stabilité et de gouvernabilité et de tenue à l'écart de l'extrême droite. Ces deux promesses ont, depuis 2022 et plus encore en 2024, volé en éclat.
Très loin d'engendrer de la stabilité, notre mode de scrutin nourrit aujourd'hui crise politique et instabilité. De la même manière, la capacité de ce mode de scrutin à contenir la représentation parlementaire de l'extrême droite, souvent évoquée comme raison suffisante pour renoncer à la représentativité de l'Assemblée nationale, est en réalité parfaitement illusoire et pourrait bien produire l'effet exactement inverse au cours des prochaines élections.
Pour toutes ces raisons, il est urgent de modifier notre mode de scrutin pour l'élection des députés afin de garantir que, dès les prochaines élections législatives, la confiance puisse être retrouvée entre les citoyens et citoyennes et notre démocratie représentative.
L'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives ne constitue pas une réforme inédite, le scrutin proportionnel étant déjà utilisé pour de nombreux scrutins en France5(*).
La présente résolution, sans arrêter définitivement un modèle spécifique parmi les nombreux possibles, pose un certain nombre de principes et de jalons importants, à même de constituer une base de discussion commune pour le travail législatif et le débat citoyen qui doivent s'ouvrir.
Elle évoque tout d'abord la nécessité de garantir la représentativité de l'Assemblée, en s'assurant que le mode de scrutin retenu in fine assure une représentation aussi fidèle que possible des préférences politiques exprimées par les électeurs et électrices.
Elle insiste ensuite sur celle d'assurer un ancrage et un équilibre territorial, afin que le changement du mode de scrutin n'entraîne ni sous-représentation ni sur-représentation de parties du territoire national.
Elle rappelle par ailleurs l'importance de la lisibilité du mode de scrutin pour les électrices et électeurs, soutenant des modalités simples et compréhensibles, nécessaires pour renforcer le lien entre les citoyens et leurs représentants.
Elle insiste enfin sur la nécessité de pouvoir mettre en oeuvre ces changements sans modification constitutionnelle, considérant que le législateur bénéficie dans la Constitution actuelle, en dehors du nombre de sièges à pourvoir, d'une marge de manoeuvre largement suffisante pour introduire la proportionnelle aux élections législatives.
Elle demande que ces travaux se matérialisent rapidement à travers l'amorce d'un travail parlementaire concret, large et ouvert.
* 1 OCDE, « Instaurer la confiance dans un contexte complexe. Enquête de l'OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques. » Paris, 2024.
* 2 Commission européenne, « L'opinion publique dans l'Union européenne ». Eurobaromètre standard, 101 (2024).
* 3 Commission européenne pour la démocratie par le droit, « Rapport sur l'impact des systèmes électoraux sur la représentation des femmes en politique » CDL-AD(2009)029-f. Strasbourg, 2009.
* 4 Direction générale des collectivités territoriales, « Les femmes sont de plus en plus présentes dans la vie politique locale en 2022, mais les plus hautes fonctions restent majoritairement l'apanage des hommes », Bulletin d'information statistique, 162 (mars 2022).
* 5 Nommément les élections sénatoriales dans les départements élisant trois sièges ou plus, les élections des représentantes et représentants au Parlement européen, les élections municipales dans les communes d'au moins 1 000 habitantes et habitants, les élections régionales, les élections à l'assemblée de Corse, de Guyane, de Martinique ainsi que l'élection des conseillères et conseillers territoriaux de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.