Indemnisation de l'aléa médical et responsabilité médicale
N°
221
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 février 2001
PROPOSITION DE LOI
relative à l'
indemnisation
de
l'
aléa médical
et à la
responsabilité médicale
,
PRÉSENTÉE
par M. Claude HURIET,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Santé publique |
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
I. - La
présente proposition de loi, en son titre premier consacré
à l'indemnisation de l'aléa médical, étonnera
probablement l'exégète de l'initiative parlementaire en la
matière.
Brève, simple sur le plan institutionnel, elle ne crée, ni «
fonds », ni commission d'indemnisation, ni troisième ordre de
juridiction.
Elle n'institue pas de taxe ou prélèvement à la charge des
patients, des professionnels de santé ou des assureurs.
Elle ne prétend pas ôter le contentieux de la
responsabilité médicale au juge administratif, au juge judiciaire
ou aux deux ordres de juridiction.
Elle est applicable sans délai.
Ses caractéristiques répondent à ses objectifs, qui sont
au nombre de quatre :
1.
Améliorer l'indemnisation des victimes, tout en maintenant la
faute comme fondement de la responsabilité médicale
La présente proposition de loi retient, d'abord, le « mieux disant
» des jurisprudences administratives et judiciaires, tel que, par exemple,
le principe d'une responsabilité sans faute en matière
d'infections nosocomiales.
Mais elle va beaucoup plus loin que ce « mieux disant », en
prévoyant la réparation intégrale des dommages non fautifs
lorsqu'ils sont graves et anormaux.
2.
Répondre à l'urgence de la situation
Maintes fois promise, la réponse législative à
l'insatisfaction des usagers, s'estimant mal indemnisés lorsque survient
un accident médical, comme à celle des professionnels de
santé, qui craignent une dérive « à
l'américaine », est toujours différée.
Seule une initiative parlementaire semble aujourd'hui à même
d'offrir aux uns et aux autres cette réponse dans de brefs délais.
Et la présente proposition de loi, très simple à mettre en
oeuvre, sera applicable dès sa date de promulgation, à
l'exception de ses dispositions relatives aux commissions régionales de
conciliation et à la réforme de l'expertise.
3.
Eviter les inconvénients du détour par une commission
d'indemnisation
Bien des propositions de loi intervenues en matière d'aléa
médical visent à instituer, aux fins d'accélérer le
règlement des litiges, des commissions ou fonds d'indemnisation
censés répondre aux victimes dans des délais plus brefs
que ceux qui sont actuellement constatés devant le juge. Cette «
fausse bonne idée » ne constitue que sur le papier une
réponse appropriée aux difficultés rencontrées par
les victimes.
En effet, une telle commission ou un tel fonds se trouverait destinataire de
tout le contentieux médical constaté actuellement et d'un
contentieux nouveau induit par la perspective de délais plus courts ou
d'une meilleure indemnisation. Elle éprouverait alors les mêmes
difficultés que l'institution judiciaire à y répondre
rapidement, sauf à disposer de moyens en personnel très
importants.
Si l'institution d'un fonds ou d'une commission est une « fausse bonne
idée », c'est aussi parce que le règlement des litiges, loin
d'être accéléré, pourrait s'en trouver ralenti.
Toutes les propositions de loi ayant retenu cette solution prévoient, en
cas de désaccord d'une des parties, des recours judiciaires aux
décisions de la commission ou du fonds qu'elles instituent. On imagine
aisément que de tels recours seraient fréquemment
intentés, notamment dans les cas où la commission conclurait
à une faute médicale ou en cas de refus d'indemnisation.
Pour ces raisons, la présente proposition de loi confie au juge, comme
c'est le cas aujourd'hui, la résolution des litiges entre usagers et
professionnels ou établissements de santé. Les ordres judiciaire
et administratif demeureront compétents, chacun pour ce qui le concerne.
Certes, d'aucuns souligneront l'importance des inconvénients
résultant, aujourd'hui, d'une dualité de juridiction en
matière de responsabilité médicale, et ils estimeront
peut-être qu'il conviendrait, à tout le moins, de confier le
contentieux médical à un seul juge, judiciaire ou administratif.
L'auteur de la présente proposition de loi considère que les
difficultés actuelles tiennent à la dualité de
jurisprudence, et non à la dualité de juridiction. Et cette
dualité de jurisprudence n'existe qu'en raison de l'absence d'une loi
consacrée à l'indemnisation de l'aléa médical.
Lorsque la loi sera votée, non seulement la dualité de
juridiction ne constituera pas un inconvénient, mais elle aura pour
avantage de respecter les statuts respectifs des acteurs du système de
santé.
4.
Eviter une dérive des finances publiques
L'auteur de la proposition de loi estime que la solidarité nationale,
à travers l'assurance maladie, doit prendre à sa charge les
préjudices graves, non fautifs et anormaux susceptibles de
résulter de l'accès au système de soins.
Aller au-delà, non seulement favoriserait une dérive des finances
publiques, mais serait illégitime, les Français qui le souhaitent
pouvant par eux-mêmes se couvrir, en s'assurant contre les risques de
faible importance, obtenant par cette voie la réparation de
préjudices mineurs.
Compte tenu des dispositions constitutionnelles et organiques relatives aux
pouvoirs financiers du Parlement, la présente proposition de loi ne peut
avoir pour ambition d'organiser la prise en charge par la solidarité
nationale des conséquences des accidents médicaux sériels,
et notamment de la réparation des contaminations transfusionnelles par
le virus de l'hépatite C.
II. - Dans un titre second consacré à la responsabilité
médicale, la proposition de loi entend faciliter le règlement des
litiges survenant à l'occasion d'un dommage fautif.
Ainsi, la proposition de loi propose de généraliser la
souscription d'assurances professionnelles pour les médecins et les
établissements de santé. Ceux-ci doivent en effet toujours
être en mesure de répondre, par l'intermédiaire de leur
assurance, des conséquences de leurs actes fautifs, ou même non
fautifs lorsqu'est prévue une responsabilité sans faute, comme
c'est ici le cas pour les infections nosocomiales.
La proposition de loi institue par ailleurs, dans chaque région, une
commission de conciliation destinée à favoriser des solutions
rapides et apaisées aux difficultés rencontrées par les
patients dans leur accès au système de santé.
Au-delà de sa mission de conciliation, la commission peut aussi, avec
l'accord des parties (l'usager, d'une part, et le médecin,
l'établissement de santé public ou privé ou leur
assureur), rendre des sentences arbitrales.
Des dommages fautifs au règlement facilité, une indemnisation de
l'aléa médical organisée : l'adoption de la
présente proposition de loi apportera, sans nul doute, des solutions
plus justes aux difficultés rencontrées par les patients, et sera
de nature à durablement préserver la qualité de la
relation médecin-malade.
PROPOSITION DE LOI
TITRE Ier
DE L'INDEMNISATION DE L'ALÉA MÉDICAL
Article 1er
Il est
inséré, après l'article L. 321-3 du code de la
sécurité sociale, un article L. 321-4 ainsi rédigé :
«
Art. L. 321-4. -
L'assurance maladie prend en charge la
réparation de l'intégralité du dommage subi par un
patient, ou par ses ayants droits en cas de décès, à
l'occasion d'un acte ou de soins médicaux dès lors que la
juridiction compétente aura établi que :
« - aucune faute n'a été commise à l'occasion de
l'acte ou des soins médicaux ;
« - le dommage est sans lien avec l'état du patient ou son
évolution prévisible ;
« - et que ce dommage est grave et anormal.
« Le montant du préjudice est fixé par la juridiction
compétente.
« Si la situation économique de l'intéressé le
justifie et si sa demande n'apparaît pas sérieusement contestable,
le juge peut ordonner une dispense de consignation pour l'expertise. Cette
dispense doit être sollicitée par l'intéressé. »
Article 2
Même en l'absence de faute, les établissements de santé sont responsables vis-à-vis des patients qu'ils accueillent des dommages résultant d'infections nosocomiales. En cette matière, les organismes sociaux bénéficient d'un recours sur la base de la faute prouvée.
Article 3
Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des médecins ou des établissements de santé à l'occasion d'actes ou de soins médicaux se prescrivent par dix ans. Le délai court à compter de la consolidation du dommage.
Article 4
Dans
l'ordre judiciaire ou administratif, l'expertise en responsabilité
médicale est confiée à des médecins experts
figurant sur une liste nationale établie par un Collège de
l'expertise en responsabilité médicale.
Ce Collège est composé de magistrats des deux ordres de
juridiction, de représentants de la Conférence des doyens, du
Conseil national de l'ordre des médecins, des associations de malades et
de personnalités qualifiées.
Peuvent être inscrits sur la liste nationale les médecins
justifiant des compétences médicales nécessaires et d'une
évaluation périodique des connaissances et pratiques
professionnelles. L'inscription vaut pour une durée renouvelable de cinq
ans.
Le Collège de l'expertise en responsabilité médicale peut,
après une procédure contradictoire, radier de la liste un expert
dont les qualités professionnelles se sont révélées
insuffisantes ou qui a manqué à ses obligations
déontologiques ou d'indépendance.
Les modalités d'application de cet article sont fixées par
décret en Conseil d'Etat.
Les dispositions du premier alinéa de cet article entreront en vigueur
six mois après la publication du décret instituant le
Collège de l'expertise en responsabilité médicale.
TITRE II
DE L'AMÉLIORATION DU RÈGLEMENT DES LITIGES EN
RESPONSABILITÉ MÉDICALE
Article 5
Il est
créé, dans chaque région, une Commission régionale
de conciliation ayant pour mission de faciliter le règlement amiable des
litiges entre usagers du système de soins et les professionnels et
établissements de santé.
La Commission régionale de conciliation est composée de
représentants des usagers, des professionnels et établissements
de santé ainsi que de personnalités qualifiées. Elle est
présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire ou par un
magistrat administratif. Elle peut être saisie par tout usager,
médecin ou établissement de santé.
Lorsqu'elle l'estime nécessaire, la commission peut recourir à
l'expertise et peut exiger la communication de tout document, médical ou
non.
Les accords obtenus devant la commission valent transaction au sens de
l'article 2044 du code civil.
La commission peut aussi, avec l'accord des parties, rendre des sentences
arbitrales.
Les modalités d'application du présent article sont fixées
par décret en Conseil d'Etat.
Article 6
Les médecins et sages-femmes libéraux ou salariés ainsi que les établissements de santé sont tenus de souscrire une assurance de responsabilité à raison de leur activité. La même obligation s'impose, pour leurs fautes personnelles détachables du service, aux médecins et sages-femmes exerçant leur activité dans les établissements publics de santé.
Article 7
Les dépenses résultant de la présente loi sont compensées par l'augmentation à due concurrence des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.