Suppression du régime de l'offense à chef d'Etat étranger
N°
234
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8
février 2001
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mars 2001
PROPOSITION DE LOI
tendant à la
suppression
du
régime
de l'
offense à chef d'Etat étranger
issu de
l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881,
PRÉSENTÉE
par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Presse, édition et imprimerie. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'offense au chef de l'état constituait dans notre Ancien droit le crime
de lèse-majesté. La loi sur la presse du 17 mai 1819 punissait
ainsi, dans son article 9, les offenses publiques envers la personne du roi.
Aujourd'hui, c'est l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 qui traduit cet
héritage dans notre droit positif. Le législateur a entendu, dans
l'article 36 de la même loi, associer les chefs d'Etat étrangers
à cette protection juridique. L'article 36 étant
rédigé comme suit : "L'offense commise publiquement envers les
chefs d'Etat étrangers, les chefs de gouvernements étrangers et
les ministres des affaires étrangères d'un gouvernement
étranger sera punie d'une amende de 300 000 F".
Cette protection particulière serait nécessaire dans une
société démocratique pour préserver notamment
l'ordre public et les droits ou la réputation des étrangers
concernés. Le délit d'offense répondrait aussi au souci du
législateur de faciliter les relations internationales de la France en
accordant à des hauts responsables politiques étrangers, une
protection spécifique.
Or, ce régime de l'offense à chef d'Etat étranger n'est
pas acceptable en l'état actuel du monde. Une série de
singularités juridiques viennent en effet réduire
considérablement les capacités de défense de l'auteur de
l'offense à dignitaire étranger. Les auteurs de propos
qualifiés d'offense peuvent ainsi être punis plus
sévèrement que les auteurs de diffamations. En France et en
matière de diffamation, qui correspond à l'atteinte portée
à l'honneur et à la dignité d'autrui, il est toujours,
s'agissant de la vie publique, possible au prévenu d'opposer
l'
exceptio veritatis
, c'est-à-dire de rapporter la preuve de la
vérité des faits allégués, ce qui l'exonère
de toute peine. D'autre part, et en matière d'offense à chef
d'Etat étranger, aucune réciprocité n'est
nécessaire de telle manière que, même sans qu'il y ait
réciprocité entre la France et le pays considéré,
la poursuite est obligatoire à la demande du dignitaire étranger.
On peut enfin s'interroger sur la compatibilité de l'article 36 de la
loi de 1881 avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales relative à la
liberté d'expression. Où est cette liberté si l'on n'est
pas recevable à prouver que ce qu'on a dit est vrai ? Le même
article paraît également contraire à la Convention de
sauvegarde prise en son article 6 qui exige un procès équitable.
Surtout, les chefs d'Etat étrangers ne doivent pas être
protégés dans tous les cas. C'est évident à une
époque où la France vient de ratifier le traité instaurant
un Tribunal Pénal International. Auraient-ils dû être
poursuivis et condamnés automatiquement en France, ceux qui à
juste titre ont tracé des portraits fidèles d'Hitler, Polpot,
Pinochet, Milosevic et d'autres, alors que ceux-ci étaient en fonction ?
Le droit commun de la diffamation et de l'injure protège convenablement
chacun y compris les dignitaires qu'ils soient français ou
étrangers. Il est donc proposé de supprimer l'article 36 de la
loi du 29 juillet 1881.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 est supprimé.