Coopération avec la cour pénale internationale

N° 163

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2001

PROPOSITION DE LOI

relative à la coopération avec la Cour pénale internationale ,

PRÉSENTÉE

Par M. Robert BADINTER,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 juillet 1998 à Rome, la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies adoptait le Statut de la Cour pénale internationale. Ouverte depuis à la ratification des États, ce traité a déjà recueilli 43 ratifications, de sorte que son entrée en vigueur est très proche. Cinquante ans après l'adoption de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide, convention qui posait le principe d'une telle juridiction, la mise en place de la Cour marque combien les progrès de la communauté internationale ont été grands dans la lutte contre l'impunité des criminels. Cette lutte doit mobiliser tant les juridictions internationales que les juridictions nationales.

La Cour pénale internationale n'a pas vocation à se substituer systématiquement aux juridictions internes. Bien au contraire : la Cour pénale internationale, contrairement aux deux Tribunaux pénaux internationaux, n'a pas primauté sur les juridictions étatiques.

Il est donc essentiel que l'ordre juridique interne des États parties au traité de Rome soit adapté à cette nouvelle forme de collaboration avec une juridiction indépendante.

La France a ratifié le traité de Rome le 9 juin 2000, après avoir révisé sa constitution, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel n°98-408 DC du 22 janvier 1999. Il n'en demeure pas moins que certaines adaptations de notre droit sont encore nécessaires pour assumer pleinement l'ensemble de nos obligations conventionnelles. Il en va particulièrement ainsi pour l'obligation de coopérer avec les organes de la Cour ainsi que de les assister. Notre procédure pénale doit prévoir les procédures par lesquelles la France répondra aux demandes de coopération de la Cour, notamment en vue de l'arrestation et de la remise de certaines personnes à la Cour. Il faut également désigner les structures nationales officiellement en charge des échanges et communications avec les organes de la Cour et prévoir les modalités d' éventuelles exécutions de peines sur notre territoire.

Certains de nos voisins européens ont d'ores et déjà adopté une législation d'adaptation de leur droit interne au statut de la Cour. La France, qui a ratifié dès 2000 le statut de la Cour, se doit d'adapter au plus tôt sa législation pour être prête à oeuvrer sans délai avec la Cour dans la lutte contre l'impunité des criminels contre l'humanité.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Pour l'application du Statut de la Cour pénale internationale signé le 18 juillet 1998, la France participe à la répression des infractions et coopère avec cette juridiction dans les conditions fixées par la présente loi.

Les dispositions qui suivent sont applicables à toute personne poursuivie devant la Cour pénale internationale ou condamnée par celle-ci à raison des actes qui constituent, au sens des articles 6 à 8 du Statut, un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

TITRE I er

DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE


CHAPITRE I er

De l'entraide judiciaire

Article 2

Les demandes d'entraide émanant de la Cour pénale internationale sont adressées aux autorités compétentes en vertu de l'article 87 du Statut en original ou en copie certifiée conforme accompagnées de toutes pièces justificatives.

Ces documents sont transmis au procureur de la République de Paris qui leur donne toutes suites utiles.

En cas d'urgence, ces documents peuvent être transmis directement et par tout moyen à ce magistrat. Ils sont ensuite transmis dans les formes prévues aux alinéas précédents.

Article 3

1. Les demandes d'entraide sont exécutées, selon les cas, par le procureur de la République ou par le juge d'instruction de Paris qui agissent sur l'ensemble du territoire national en présence, le cas échéant, du procureur près la Cour pénale internationale ou de son représentant, ou de toute autre personne mentionnée dans la demande de la Cour pénale internationale.

Les procès-verbaux établis en exécution de ces demandes sont adressés à la Cour pénale internationale par les autorités compétentes en vertu de l'article 87 du Statut.

En cas d'urgence, les copies certifiées conformes des procès-verbaux peuvent être adressées directement et par tout moyen à la Cour pénale internationale.

2. L'exécution sur le territoire français des mesures conservatoires mentionnées au (k) du paragraphe 1 de l'article 93 du Statut est ordonnée, aux frais du Trésor, par le procureur de la République de Paris. La durée maximale de ces mesures est limitée à deux ans. Elles peuvent être renouvelées dans les mêmes conditions avant l'expiration de ce délai à la demande de la Cour pénale internationale.

Le procureur de la République de Paris transmet aux autorités compétentes, en vertu de l'article 87 du Statut, toute difficulté relative à l'exécution de ces mesures, afin que soient menées les consultations prévues aux articles 93§3 et 97 du Statut.

CHAPITRE II

De l'arrestation et de la remise

Article 4

Les demandes d'arrestation aux fins de remise délivrées par la Cour pénale internationale sont adressées, en original et accompagnées de toutes pièces justificatives, aux autorités compétentes en vertu de l'article 87 du Statut qui, après s'être assurées de leur régularité formelle, les transmettent au procureur général près la cour d'appel de Paris et, dans le même temps, les mettent à exécution dans toute l'étendue du territoire de la République.

En cas d'urgence, ces demandes peuvent aussi être adressées directement et par tout moyen au procureur de la République territorialement compétent. Elles sont ensuite transmises dans les formes prévues à l'alinéa précédent.

Article 5

Toute personne appréhendée en vertu d'une demande d'arrestation aux fins de remise doit être déférée dans les vingt-quatre heures au procureur de la République territorialement compétent. Dans ce délai, les dispositions des articles 63-1 à 63-5 du code de procédure pénale lui sont applicables.

Après avoir vérifié l'identité de cette personne, ce magistrat l'informe, dans une langue qu'elle comprend, qu'elle fait l'objet d'une demande d'arrestation aux fins de remise et qu'elle comparaîtra, dans un délai maximum de cinq jours, devant le procureur général près la cour d'appel de Paris. Le procureur de la République l'informe également qu'elle sera assistée par un avocat de son choix ou, à défaut, par un avocat commis d'office par le bâtonnier de l'ordre des avocats, informé sans délai et par tout moyen. Il l'avise de même qu'elle pourra s'entretenir immédiatement avec l'avocat désigné.

Mention de ces informations est faite au procès-verbal, qui est aussitôt transmis au procureur général près la cour d'appel de Paris.

Le procureur de la République ordonne l'incarcération de la personne réclamée à la maison d'arrêt.

Article 6

La personne réclamée est transférée, s'il y a lieu, et écrouée à la maison d'arrêt du ressort de la cour d'appel de Paris. Le transfèrement doit avoir lieu dans un délai maximum de cinq jours à compter de sa présentation au procureur de la République, faute de quoi la personne réclamée est immédiatement libérée sur décision du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à moins que le transfèrement ait été retardé par des circonstances insurmontables.

Le procureur général près cette même cour lui notifie, dans une langue qu'elle comprend, la demande d'arrestation aux fins de remise ainsi que les chefs d'accusation portés contre elle.

Lorsque la personne réclamée a déjà demandé l'assistance d'un avocat et que celui-ci a été dûment convoqué, le procureur général reçoit ses déclarations.

Dans les autres cas, ce magistrat lui rappelle son droit de choisir un avocat ou de demander qu'il lui en soit désigné un d'office. L'avocat choisi ou, dans le cas d'une demande de commission d'office, le bâtonnier de l'ordre des avocats en est informé par tout moyen et sans délai. L'avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et communiquer librement avec la personne réclamée. Le procureur général reçoit les déclarations de cette dernière après l'avoir avertie qu'elle est libre de ne pas en faire. Mention de cet avertissement est faite au procès-verbal.

Article 7

La chambre de l'instruction est immédiatement saisie de la procédure. La personne réclamée comparaît devant elle dans un délai de huit jours à compter de sa présentation au procureur général. Sur la demande de ce dernier ou de la personne réclamée, un délai supplémentaire de huit jours peut être accordé avant les débats. Il est ensuite procédé à un interrogatoire dont il est dressé procès-verbal.

Les débats se déroulent et l'arrêt est rendu en audience publique, sauf si la publicité est de nature à nuire au bon déroulement de la procédure en cours, aux intérêts d'un tiers, à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Dans ce cas, la chambre de l'instruction, à la demande du ministère public, de la personne réclamée ou d'office, décide par un arrêt rendu en chambre du conseil qui n'est susceptible de pourvoi en cassation qu'en même temps que l'arrêt portant sur la remise prévue à l'article 8.

Le ministère public et la personne réclamée sont entendus, cette dernière assistée, le cas échéant, de son avocat et, s'il y a lieu, en présence d'un interprète.

Article 8

Lorsque la chambre de l'instruction constate qu'il n'y a pas erreur évidente, elle ordonne la remise de la personne réclamée et, si celle-ci est libre, son incarcération à cette fin. Toute autre question soumise à la chambre de l'instruction est renvoyée à la Cour pénale internationale qui lui donne les suites utiles.

La chambre de l'instruction statue dans les quinze jours de la comparution devant elle de la personne réclamée. En cas de pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation statue dans un délai de deux mois suivant la réception du dossier à la Cour de cassation.

Article 9

La mise en liberté peut être demandée à tout moment à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris qui procède conformément à l'article 59 du Statut et à la procédure prévue aux articles 148-1 du code de procédure pénale.

La chambre de l'instruction statue par un arrêt rendu en audience publique et motivé par référence aux dispositions du quatrième paragraphe de l'article 59 susvisé.

Article 10

L'arrêt rendu par la chambre de l'instruction et, le cas échéant, le lieu et la date de la remise de la personne réclamée, ainsi que la durée de la détention subie en vue de cette remise, sont portés à la connaissance de la Cour pénale internationale par tout moyen.

La personne réclamée est remise dans un délai d'un mois à compter du jour où cette décision est devenue définitive, faute de quoi elle est immédiatement libérée sur décision du président de la chambre de l'instruction à moins que sa remise ait été retardée par des circonstances insurmontables.

Article 11

Les dispositions des articles 6 à 10 sont également applicables si la personne réclamée est poursuivie ou condamnée en France pour d'autres chefs que ceux visés par la demande de la Cour pénale internationale. Toutefois, la personne détenue dans ces conditions ne peut bénéficier d'une mise en liberté au titre des articles 6, 9 et 10 second alinéa.

La procédure suivie devant la Cour pénale internationale suspend, à l'égard de cette personne, la prescription de l'action publique et de la peine.

Article 12

Le transit sur le territoire français est autorisé conformément à l'article 89 du Statut par les autorités nationales compétentes visées à l'article 87.

Article 13

Lorsque la Cour sollicite l'extension des conditions de la remise accordée par les autorités françaises, la demande est transmise aux autorités compétentes en vertu de l'article 87 du Statut, qui la communiquent, avec toutes les pièces justificatives ainsi que les observations éventuelles de l'intéressé à la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris.

Article 14

La personne qui a fait l'objet d'une arrestation provisoire dans les conditions prévues à l'article 92 du Statut de la Cour pénale internationale peut, si elle y consent, être remise à la Cour avant que les autorités françaises aient été saisies d'une demande formelle de remise de la part de la juridiction internationale.

La décision de remise est prise par la chambre de l'instruction après que celle-ci a informé la personne concernée de son droit à une procédure formelle de remise et a recueilli son consentement.

Au cours de son audition par la chambre d'instruction, la personne concernée peut se faire assister par un avocat de son choix ou, à défaut, par un avocat commis d'office par le bâtonnier et, s'il y a lieu, par un interprète.

La personne qui a fait l'objet d'une arrestation provisoire dans les conditions prévues à l'article 92 du Statut de la Cour pénale internationale et qui n'a pas consenti à être remise à la Cour peut être libérée si les autorités françaises ne reçoivent pas de demande formelle de remise dans le délai prescrit par le règlement de procédure et de preuve de cette juridiction internationale.

La libération est décidée par la chambre de l'instruction sur requête présentée par l'intéressé. La chambre de l'instruction statue dans les huit jours de la comparution devant elle de la personne arrêtée.

Article 15

Toute personne détenue sur le territoire de la République peut, si elle y consent, être transférée à la Cour pénale internationale à des fins d'identification ou d'audition ou pour l'accomplissement de tout autre acte d'instruction. Le transfert est autorisé par le garde des Sceaux, ministre de la justice.

TITRE II

L'EXÉCUTION DES PEINES ET DES MESURES
DE RÉPARATION PRONONCÉES PAR
LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE


CHAPITRE I er

L'exécution des peines d'amende et de confiscation
ainsi que des mesures de réparation en faveur des victimes

Article 16

Lorsque la Cour pénale internationale en fait la demande, l'exécution des peines d'amende et de confiscation ou des décisions concernant les réparations prononcées par celle-ci est autorisée par le tribunal correctionnel de Paris saisi, à cette fin, par le procureur de la République. La procédure suivie devant le tribunal correctionnel obéit aux règles du code de procédure pénale.

Le tribunal est lié par la décision de la Cour pénale internationale, y compris en ce qui concerne les dispositions relatives aux droits des tiers. Toutefois, dans le cas d'exécution d'une ordonnance de confiscation, il peut ordonner toutes les mesures destinées à permettre de récupérer la valeur du produit, des biens ou des avoirs dont la Cour a ordonné la confiscation, lorsqu'il apparaît que l'ordonnance de confiscation ne peut pas être exécutée. Le tribunal entend le cas échéant, le condamné ainsi que toute personne ayant des droits sur les biens, au besoin par commission rogatoire. Ces personnes peuvent se faire représenter par un avocat.

Lorsque le tribunal constate que l'exécution d'une ordonnance de réparation aurait pour effet de porter préjudice à un tiers de bonne foi qui ne peut relever appel de ladite ordonnance, il en informe le procureur de la République aux fins de renvoi de la question à la Cour pénale internationale qui lui donne toutes suites utiles.

Article 17

L'autorisation d'exécution rendue par le tribunal correctionnel en vertu de l'article précédent entraîne, selon la décision de la Cour pénale internationale, transfert des biens en cause ou du produit de leur vente à la Cour ou au fonds en faveur des victimes. Ces biens ou fonds peuvent également être attribués aux victimes, si la Cour en a décidé et a procédé à leur désignation.

Toute contestation relative à l'affectation des biens ou du produit de leur vente est renvoyée à la Cour pénale internationale qui lui donne les suites utiles.

CHAPITRE II

L'exécution des peines d'emprisonnement

Article 18

Lorsque, en application de l'article 103 du Statut de la Cour pénale internationale, le Gouvernement a accepté de recevoir une personne condamnée par la Cour pénale internationale sur le territoire de la République afin que celle-ci y purge sa peine d'emprisonnement, la condamnation prononcée est directement et immédiatement exécutoire dès le transfert de cette personne sur le sol national, pour la partie de peine restant à subir.

Sous réserve des dispositions du Statut et de la présente loi, l'exécution et l'application de la peine sont régies par les dispositions du code de procédure pénale, à l'exception des articles 713-1 à 713-7.

Article 19

Dès son arrivée sur le territoire de la République, la personne transférée est présentée au procureur de la République du lieu d'arrivée, qui procède à son interrogatoire d'identité et en dresse procès-verbal. Toutefois, si l'interrogatoire ne peut être immédiatement effectué, ladite personne est conduite à la maison d'arrêt où elle ne peut être détenue plus de vingt-quatre heures. A l'expiration de ce délai, elle est conduite d'office devant le procureur de la République, par les soins du chef d'établissement.

Au vu des pièces constatant l'accord entre le Gouvernement français et la Cour pénale internationale concernant le transfert de l'intéressé, d'une copie certifiée conforme du jugement de condamnation et d'une notification par la Cour de la date de début d'exécution de la peine et de la durée restant à accomplir, le procureur de la République ordonne l'incarcération immédiate de la personne condamnée.

Article 20

Si la personne condamnée dépose une demande de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de réduction de peine, de fractionnement ou de suspension de peine, de placement sous surveillance électronique ou de libération conditionnelle, sa requête est adressée au Procureur général près la Cour d'appel dans le ressort de laquelle elle est incarcérée qui la transmet au garde des Sceaux, ministre de la Justice. Celui-ci communique la requête à la Cour pénale internationale dans les meilleurs délais, avec tous les documents pertinents.

La Cour pénale internationale décide si la personne condamnée peut ou non bénéficier de la mesure considérée. Lorsque la décision de la Cour est négative, le Gouvernement indique à la Cour s'il accepte de garder la personne condamnée sur le territoire de la République ou s'il entend demander son transfert dans un autre État qu'elle aura désigné

Article 21

Lorsqu'en application de l'accord entre le Gouvernement de la République française et L'Organisation des Nations Unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, fait à La Haye le 25 février 2000, la France a donné son accord pour recevoir une personne condamnée par le Tribunal international afin que celle-ci y purge sa peine d'emprisonnement, les dispositions des articles 18 à 20 sont applicables.

Les références à la Cour pénale internationale sont alors remplacées par des références au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. De même, les références aux articles du Statut de la Cour pénale internationale sont remplacées par des références aux articles correspondants des instruments internationaux régissant ledit tribunal.

Article 22

La présente loi est applicable en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française, à Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en tenant compte des dispositions du code de procédure pénale applicables localement.

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