Liberté de l'information sportive
N°
293
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21
février 2002
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18
avril 2002
PROPOSITION DE LOI
relative à la
liberté de l'information
sportive
,
PRÉSENTÉE
par M. Adrien GOUTEYRON,
Sénateur.
( Renvoyée à la commission des Affaires culturelles sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ).
Sports. |
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi du 12 juillet 1992 avait inséré dans la loi
n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et
à la promotion des activités physiques et sportives un dispositif
destiné à concilier l'exercice du droit d'exploitation des
manifestations sportives attribué à leurs organisateurs -
notamment les fédérations délégataires- avec le
droit à l'information du public.
L'évolution des textes et de la pratique tend malheureusement à
remettre en cause cet équilibre, et à assimiler le journalisme
sportif à une forme de communication commerciale.
La présente proposition de loi a donc pour objet de restaurer et de
mieux garantir le droit à l'information du public, ainsi que les
conditions de la liberté et du pluralisme de l'information sportive.
1- Les atteintes au droit à l'information sportive
Le texte
adopté en 1992 n'était certes pas parfait - sans doute d'ailleurs
aurait-il été mieux rédigé si la loi n'avait pas
été adoptée en urgence...
Il avait cependant permis de mettre un terme aux excès engendrés
par la concurrence entre les chaînes de télévision et de
réaliser un certain équilibre entre le droit de cession exclusive
des droits de retransmission télévisée des
événements sportifs, le respect du droit à l'information
du public et celui du pluralisme et de la liberté de l'information.
Cet équilibre reposait sur deux éléments : d'une
part, la reconnaissance aux chaînes non cessionnaires des droits du droit
de diffuser des extraits de la manifestation qu'elles choisissaient librement
et pouvaient tourner elles-mêmes et, d'autre part, l'affirmation de la
liberté d'accès des journalistes de la presse écrite et
audiovisuelle aux enceintes sportives.
?
Les modifications apportées en 1998 au texte de 1992
-contre l'avis du Sénat-
ont remis en cause les garanties du droit de
l'information :
- le service cessionnaire des droits bénéficie désormais
d'un véritable
monopole des images de la compétition
, les
autres services n'ayant plus le droit,
« sauf autorisation de
l'organisateur »
, d'en tourner des images pour exercer leur
« droit de citation » ;
- les fédérations délégataires se sont vues
reconnaître le droit de
« proposer »
des
règlements relatifs aux conditions d'accès des journalistes aux
enceintes sportives. L'exercice de cette compétence leur a permis, en
fait, de restreindre très largement cet accès afin de
protéger l'exclusivité du cessionnaire des droits, voire de
contrôler la liberté d'expression des journalistes : aux
termes de la réglementation applicable au Grand prix de France de
Formule 1, la délivrance des accréditations a ainsi pu être
soumise à l'envoi préalable de reportages antérieurs,
à l'engagement de rendre compte de la manifestation, à la
signature d'une « convention » par le directeur de la
publication...
?
L'annonce par la ligue nationale de football de son intention de
commercialiser le droit pour les radios de rendre compte de certaines
épreuves,
qui se fonde sur une interprétation contestable du
droit d'exploitation prévu en 1992, constitue une nouvelle et grave
menace pour la liberté et le pluralisme de la communication sportive.
On peut certes regretter que le législateur n'ait pas mieux
défini la portée du droit d'exploitation des manifestations
sportives. Du moins ne peut-on douter - comme en témoignent les travaux
préparatoires qui ne visaient que les retransmissions
télévisées - que ce droit devait être entendu comme
le droit d'exploitation du « spectacle sportif ».
Or ce spectacle est, par définition, visuel : l'audition de la
bande sonore d'un match de football, d'un 100 mètres nage libre ou
d'un grand prix de Formule 1 ne permet évidemment pas de suivre la
compétition. Le « droit de diffusion sonore » d'un
spectacle sportif n'a donc guère de sens - ni de valeur marchande.
En fait, ce que « vendrait » l'organisateur d'une
manifestation sportive aux radios - et peut-être, demain, à la
presse écrite- c'est tout simplement un droit d'accès à
l'événement, et le droit d'informer leur public.
Cette
« commercialisation » du droit d'informer
n'est acceptable ni dans son principe, ni dans les conséquences qu'elle
aurait inévitablement sur la liberté d'expression des
journalistes, le pluralisme de l'information sportive et, par suite, le droit
à l'information du public.
2- Restaurer les conditions de la liberté de l'information sportive
Afin
d'enrayer ces dérives, la présente proposition de loi propose de
modifier sur trois points les articles 18-1 à 18-4 de la loi de 1984
modifiée :
? la définition du droit d'exploitation des manifestations
sportives
On l'a dit, la rédaction de la loi de 1992 définit trop largement
le droit de propriété incorporelle sur l'exploitation des
manifestations sportives qu'elle a reconnu à leurs organisateurs.
Il est donc proposé de restreindre ce droit, conformément
d'ailleurs à l'intention du législateur, à la
télédiffusion du
spectacle
sportif, c'est-à-dire
à sa retransmission par un service de télévision ou -
évolution des techniques oblige - par un service de communication en
ligne.
C'est le sens du texte proposé pour le premier alinéa de
l'article 18-1 de la loi de 1984.
La proposition de loi prévoit par ailleurs d'harmoniser avec la nouvelle
définition du droit d'exploitation des manifestations sportives
l'article 18-3 de la loi de 1984, qui prohibe les pratiques de
« gel » des droits.
? la restauration des droits des services non cessionnaires du droit
d'exploitation
La proposition de loi réaffirme le principe du droit à
l'information du public (I du texte proposé pour l'article 18-2) et
définit les droits des services de télévision ou de
communication en ligne non cessionnaires du droit d'exploitation.
-
Pour les services de télévision
(II du texte
proposé pour l'article 18-2), il est proposé de revenir au
texte de 1984.
Les chaînes non cessionnaires des droits, qui recouvreraient leur droit
de filmer les manifestations sportives (article 18-4), pourraient à
nouveau choisir parmi leurs propres images les extraits correspondant à
leur « droit de citation ».
-
Pour les services de communication en ligne
(III du texte
proposé pour l'article 18-2), il est prévu que la cession
exclusive du droit de retransmission d'une manifestation ne fera pas obstacle
au droit des clubs sportifs de la diffuser en différé sur leur
site. Il paraît en effet normal que les supporters d'un club puissent
avoir accès, sur son site, aux images des rencontres auxquelles il a
participé. C'est d'ailleurs très largement la pratique actuelle.
? la réaffirmation du droit d'accès des journalistes aux
enceintes où se déroule un événement sportif
La proposition de loi propose enfin de revenir à la rédaction
adoptée en 1992 pour l'article 18-4 de la loi de 1984. Ainsi serait
réaffirmé sans ambiguïté le principe du libre
accès des journalistes aux enceintes sportives.
Les dispositions proposées sont d'application directe : il est
cependant proposé, comme en 1992, qu'un décret en Conseil
d'État puisse venir préciser ses conditions d'application,
notamment pour concilier l'exercice de ce libre accès avec le respect
des règlements de sécurité.
*
* *
Telles sont les dispositions de la proposition de loi dont le texte figure ci-après et qu'il est demandé au Sénat d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La loi
n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et
à la promotion des activités physiques et sportives est ainsi
modifiée :
I. Le premier alinéa de l'article 18-1 est ainsi
rédigé :
« L'organisateur, au sens des articles 17 et 18, d'une manifestation
ou d'une compétition sportive est titulaire du droit de diffusion de
cette manifestation ou compétition par les services de
télévision, ou par les services de communication en ligne autres
que de correspondance privée mentionnés au chapitre VI du titre
II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la
liberté de communication. »
II. L'article 18-2 est ainsi rédigé :
«
Art. 18-2. -
I. - La cession du droit défini au
premier alinéa de l'article 18-1 ne peut faire obstacle à
l'information du public.
« II. - La cession du droit de diffusion d'une manifestation ou d'une
compétition sportive à un service de télévision ne
peut faire obstacle à la diffusion, par d'autres services de
télévision, de brefs extraits librement choisis par le service
qui les diffuse.
« Ces extraits sont diffusés gratuitement au cours des
émissions d'information.
« Leur diffusion s'accompagne dans tous les cas d'une identification
suffisante du service de télévision cessionnaire du droit de
diffusion de la manifestation ou de la compétition sportive.
« III. - La cession du droit de diffusion d'une manifestation ou
d'une compétition sportive à un service de communication en ligne
autre que de correspondance privée ne peut faire obstacle à la
diffusion en différé, intégrale ou partielle, de cette
manifestation ou de cette compétition par d'autres services de
même nature édités par une association sportive ou une
société mentionnée à l'article 11.
« IV.- Un décret en Conseil d'État, pris après
avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, précise en tant que
de besoin les conditions d'application du présent article. »
III. Le premier alinéa de l'article 18-3 est ainsi
rédigé :
« La cession du droit de diffusion d'une manifestation ou d'une
compétition sportive à un service de télévision ou
à un service de communication en ligne autre que de correspondance
privée ne fait pas obstacle à sa diffusion intégrale ou
partielle par un service de même nature que le service cessionnaire,
dès lors que ce dernier n'assure pas la diffusion en direct de
l'intégralité ou d'extraits significatifs de cette manifestation
ou de cette compétition. »
IV. L'article 18-4 est ainsi rédigé :
«
Art. 18-4.
- La cession du droit défini au premier
alinéa de l'article 18-1 n'autorise ni le cédant ni le
cessionnaire de ce droit à s'opposer au libre accès des
journalistes et des personnels des entreprises de presse écrite ou
audiovisuelle aux enceintes sportives.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis
du Conseil supérieur de l'audiovisuel, précise en tant que de
besoin les conditions d'application du présent
article. »