Structures économiques face aux risques de blanchiment (PPL) - Texte déposé - Sénat

N° 877

SÉNAT


2024-2025

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 août 2025

PROPOSITION DE LOI


pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment,


présentée

Par Mme Nathalie GOULET et M. Raphaël DAUBET,

Sénateurs





Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment


TITRE Ier

Lutter contre les entreprises éphémères


Article 1er

Après l’article L. 561-15-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-15-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 561-15-2. – Les personnes mentionnées à l’article L. 561-2, notamment les greffiers des tribunaux de commerce, procèdent à une déclaration de soupçon dans les conditions définies à l’article L. 561-15 lorsqu’elles constatent, à l’occasion de l’immatriculation ou de la modification d’une personne morale, des éléments laissant présumer l’existence d’une entreprise éphémère.

« Est notamment considérée comme entreprise éphémère, au sens du présent article, toute personne morale présentant plusieurs des caractéristiques suivantes :

« 1° Une durée de vie prévisible ou observée inférieure à douze mois ;

« 2° Une cessation d’activité ou une dissolution anticipée sans justificatif économique ;

« 3° Une domiciliation commerciale sans activité physique ;

« 4° L’usage d’un établissement de paiement ou d’une néobanque, telle que définie à l’article L. 561-32-1, ne disposant pas d’agrément européen ;

« 5° Un siège statutaire situé hors d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ;

« 6° Une structure sociale atypique dès la constitution, caractérisée par la présence de plus de dix associés ou salariés dès le premier mois, ou de plus de vingt dès le deuxième mois ;



« 7° Un lien direct ou indirect avec une série de sociétés créées ou dissoutes par une même personne physique ou morale. »


Article 2

Après le chapitre VIII du titre II du livre Ier du code de commerce, il est inséré un chapitre VIII bis ainsi rédigé :

« Chapitre VIII bis

« Du fichier national des identités fictives et des prête-noms

« Art. L. 128-6. – I. – Afin de lutter contre les fraudes et de prévenir la commission de faits de blanchiment, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce est autorisé à mettre en œuvre un fichier national automatisé recensant les identités fictives et les prête-noms impliqués dans des affaires de blanchiment dans les conditions fixées par le décret prévu au III.

« Le fichier est dénommé : “Fichier national des identités frauduleuses liées à des opérations de blanchiment”.

« Le fichier est régi par le présent chapitre et par la loi  78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« II. – Les greffiers des tribunaux de commerce et les greffiers des tribunaux civils statuant en matière commerciale bénéficient d’un accès permanent au fichier national mentionné au I.

« Peuvent être destinataires, au sens du 9) de l’article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), sur simple demande et sans frais, des informations et des données à caractère personnel enregistrées dans le fichier national mentionné au I du présent article :

« 1° Les magistrats et les personnels des juridictions de l’ordre judiciaire, pour les besoins de l’exercice de leurs missions ;



« 2° Les personnels des services du ministère de la justice, pour les besoins de l’exercice de leurs missions ;



« 3° Les représentants de l’administration et d’organismes définis par décret en Conseil d’État, dans le cadre de leur mission de lutte contre les fraudes ;



« 4° Les personnels des chambres de métiers et de l’artisanat départementales et de région et les personnels des chambres de métiers d’Alsace et de Moselle, dans le cadre de leurs missions de validation et de contrôle relatives au registre national des entreprises, désignés selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.



« Les consultations du fichier national mentionné au I font l’objet d’un enregistrement comprenant l’identifiant du consultant, la date et l’heure de la consultation.



« Aucune interconnexion au sens du 3° du I de l’article 33 de la loi  78-17 du 6 janvier 1978 précitée ne peut être effectuée entre le fichier national mentionné au I et tout autre fichier ou traitement de données à caractère personnel détenu par une personne quelconque ou par un service de l’État ne dépendant pas du ministère de la justice.



« III. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »


TITRE II

Rendre systématique la vérification de l’origine des fonds avant la reprise d’une entreprise


Article 3

L’article L. 141-1 du code de commerce est ainsi rétabli :

« Art. L. 141-1. – I. – Dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce ou constatant la cession de parts sociales ou d’actions entraînant la prise de contrôle d’une entreprise au sens de l’article L. 233-3, l’acheteur est tenu de justifier l’origine des fonds apportés pour l’acquisition.

« II. – Selon des modalités précisées par décret, la justification de l’origine des fonds est remise, selon les cas, au professionnel chargé de la rédaction de l’acte ou au greffier du tribunal de commerce. Le professionnel ou le greffier est tenu, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, de déclarer au service mentionné à l’article L. 561-23 du même code l’opération s’il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que les fonds proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liés au financement du terrorisme.

« III. – Le présent article s’applique systématiquement lorsque l’entreprise exerce une activité dans un secteur à risque défini par décret, ou lorsque le montant de la cession excède un seuil fixé par voie réglementaire. »


TITRE III

Obligation pour les sociétés commerciales de déclarer auprès de l’administration fiscale l’ensemble des comptes bancaires qu’elles détiennent à l’étranger


Article 4

L’article 1649 A du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « n’ayant pas la forme commerciale » sont supprimés ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les déclarations effectuées en application du présent article révèlent des incohérences ou des éléments susceptibles de caractériser un risque de fraude, de blanchiment ou de financement du terrorisme, l’administration fiscale peut transmettre ces informations au service mentionné à l’article L. 561-23 du code monétaire et financier, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. »


TITRE IV

Dispositif de vigilance renforcée sur les comptes rebonds et sur le contrôle des néobanques


Article 5

Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Après le II de l’article L. 561-5, il est inséré un II bis ainsi rédigé :

« II bis. – Lorsque les informations disponibles au moment de l’entrée en relation laissent apparaître un risque que le compte ouvert soit utilisé comme compte rebond, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 mettent en œuvre des mesures de vigilance renforcées. Est un compte rebond tout compte bancaire ou de paiement utilisé de manière transitoire pour recevoir des fonds, avant leur transfert rapide vers un ou plusieurs autres comptes, sans justification économique apparente ni cohérence avec la relation d’affaires, notamment dans le cadre de schémas de blanchiment ou d’escroquerie visant à entraver la traçabilité des flux financiers ou à dissimuler l’origine et les bénéficiaires effectifs des fonds. Dans ce cas, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 procèdent à la déclaration de ce compte au registre national des comptes rebonds, conformément à l’article L. 565-1. » ;

2° L’article L. 561-6 est ainsi rédigé :

« Art. L. 561-6. – Pendant toute la durée de la relation d’affaires, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 exercent une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées, en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaires.

« Lorsqu’un compte présente les caractéristiques d’un compte rebond au sens du II bis de l’article L. 561-5, des mesures de vigilance renforcée sont mises en œuvre, conformément aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme du présent titre. Dans ce cas, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 procèdent à la déclaration de ce compte au registre national des comptes rebonds, conformément à l’article L. 565-1. »


Article 6

Après le titre VI du livre V du code monétaire et financier, il est inséré un titre VI bis ainsi rédigé :

« Titre VI bis

« Registres nationaux de traçabilité des comptes à risque

« Chapitre unique

« Registre national des comptes rebonds

« Art. L. 565-1. – Il est institué un registre national des comptes rebonds, géré par la direction générale des finances publiques, dans les conditions prévues à l’article 1649 A du code général des impôts. Pour l’application du présent article, la notion de compte rebond s’entend au sens du II bis de l’article L. 561-5.

« Ce registre national est accessible aux autorités judiciaires, aux services d’enquête et aux établissements financiers dans le cadre de leurs obligations de vigilance. Les comptes identifiés comme comptes rebonds y sont enregistrés sans délai, avec une mise à jour en temps réel. Tout nouveau compte bancaire ou de paiement ouvert par une personne physique ou morale fait l’objet d’un délai d’activation de soixante-douze heures avant autorisation de tout virement sortant. Les établissements mettent en œuvre une surveillance renforcée pendant les trente premiers jours suivant l’activation du compte.

« Art. L. 565-2. – Les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 sont tenues de mettre en œuvre des dispositifs de détection des comptes présentant les caractéristiques d’un compte rebond. Lorsqu’un tel compte est identifié, elles procèdent sans délai à sa déclaration au registre national prévu à l’article L. 565-1.

« Cette obligation s’applique dès l’entrée en relation, conformément à l’article L. 561-5, et pendant toute la durée de la relation d’affaires, conformément à l’article L. 561-6.



« Art. L. 565-3. – Le non-respect des obligations prévues aux articles L. 565-1 et L. 565-2 expose les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 à des sanctions administratives et financières, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre VI du présent livre.



« En cas de préjudice causé à une victime d’escroquerie du fait de l’absence de détection ou de signalement d’un compte rebond, la responsabilité civile de l’établissement peut être engagée. Cette responsabilité est appréciée au regard du défaut de mise en œuvre des mesures de vigilance et de transmission au registre national. »


Article 7

Après l’article L. 561-32 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-32-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 561-32-1. – Les néobanques sont tenues de faire l’objet d’un audit externe annuel, réalisé par un tiers indépendant, portant sur la conformité de leurs dispositifs opérationnels, techniques et organisationnels aux exigences du présent titre. Les modalités de cet audit sont fixées par décret pris par le ministre chargé de l’économie, après avis de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

« Pour l’application du présent article, est qualifiée de néobanque tout établissement de crédit ou prestataire de services de paiement agréé dont l’activité est exercée exclusivement en ligne, sans point de contact physique, et dont les procédures d’entrée en relation sont entièrement automatisées. »


TITRE V

Renforcer le rôle des greffiers des tribunaux de commerce


Article 8

I. – Le dernier alinéa de l’article L. 123-2 du code de commerce est complété par les mots : « afin de prévenir les risques de fraude ».

II. – Le dernier alinéa de l’article L. 561-47 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° À la fin de la deuxième phrase, les mots : « et du ministère public » sont remplacés par les mots : « du ministère public et de l’Institut national de la propriété industrielle » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « La société ou l’entité peut demander au greffier de rapporter la radiation après régularisation, dans des conditions précisées par décret. »


Article 9

À titre expérimental, les greffiers de trois tribunaux de commerce peuvent accéder aux données cadastrales relatives aux immeubles détenus par des personnes morales immatriculées dans leur ressort, dans des conditions fixées par décret.

L’expérimentation est conduite pour une durée de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi.

Les données recueillies ne peuvent être cédées à des tiers ni utilisées à des fins commerciales.

Le Gouvernement transmet au Parlement, six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation portant notamment sur :

1° Le nombre de demandes effectuées ;

2° Les cas de fraude ou d’anomalie détectés ;

3° Les effets sur la qualité du contrôle des greffiers ;

4° Les recommandations sur une éventuelle généralisation.

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