Disponible au format Acrobat (198 Koctets)
N° 483
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 juin 1996
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 1996
PROPOSITION DE LOI
relative à la prévention de la violence à la télévision,
PRÉSENTÉE
par M. Jean CLUZEL,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
Audiovisuel.- Télévision - Violence.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
La violence dans les programmes de télévision est devenue un sujet de préoccupation majeure.
Dans le sondage publié par le journal « La Vie » le 15 février 1996, les Français, interrogés sur les raisons de la violence citent, en tête, la démission des parents, et immédiatement après le spectacle de la violence à la télévision.
Un colloque, organisé au Sénat par le Comité français pour l'audiovisuel le 29 janvier 1996, s'en est fait largement l'écho.
La violence ne doit pas être proposée aux jeunes comme le meilleur moyen pour réussir.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité de régulation de l'audiovisuel a, pour sa part, publié, en novembre 1995, une enquête éclairante sur la représentation de la violence dans la fiction à la télévision.
Elle pallie opportunément l'absence regrettable d'études sociologiques de nature qualitative sur les conséquences des programmes de télévision sur le comportement des téléspectateurs, et en particulier des jeunes téléspectateurs, contrairement aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada.
En France, la régulation de la violence à la télévision se fonde sur l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, qui assigne au Conseil supérieur de l'audiovisuel la mission de veiller à la protection de l'enfance et de l'adolescence dans les programmes. Sur ce fondement, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a publié, le 5 mai 1989, une directive à cet effet.
Aujourd'hui, force est de constater que cette directive est insuffisante.
Certains ont donc proposé de renforcer la réglementation relative à la violence.
Le rapport d'information de notre collègue député Mme Christine Boutin sur la relation enfant/télévision, du 12 octobre 1994, suggère ainsi l'introduction dans le droit de la communication audiovisuelle de dispositions comparables à celles incluses dans la loi n° 49-456 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Celles-ci ne doivent pas présenter « sous un jour favorable tous actes qualifiés de crimes ou délits ».
La présente proposition de loi reprend cette disposition, en l'adaptant à l'audiovisuel.
Nos collègues sénateurs du groupe RPR ont, pour leur part, déposé une proposition de loi ( ( * )1) visant à rendre obligatoire l'incorporation d'une « puce anti-violence » dans les téléviseurs et les magnétoscopes. Ce système permettrait aux parents de sélectionner les programmes que regarderont leurs enfants en fonction du degré de violence qu'ils contiennent.
Il suppose cependant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel classifie les programmes en fonction de leur degré de violence.
11 obligerait donc les services du Conseil supérieur de l'audiovisuel à visionner l'ensemble des programmes audiovisuels diffusés, ce qui rend ce système difficile à mettre en oeuvre dans la pratique.
La présente proposition de loi emprunte, pour sa part, une démarche fondée sur la responsabilisation des diffuseurs.
Pour être efficace, la régulation de la violence à la télévision doit provenir des diffuseurs eux-mêmes.
Cette autorégulation respectera l'indépendance éditoriale des diffuseurs.
Il s'agit d'une démarche volontariste et pédagogique,
identique à celle mise en oeuvre au Canada par le Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes.
La proposition de loi adapte, par ailleurs, les dispositions du Broadcasting Act de novembre 1990 qui interdisent, sans viser uniquement les mineurs, la diffusion de programmes offensant le « bon goût et la décence, incitant au crime ou conduisant au désordre ou à la violence, ou constituant une offense aux sentiments du public en général ».
Simple, le dispositif proposé s'articule autour de deux dispositions :
•
L'article premier
transpose
à la communication audiovisuelle, en les modernisant, les dispositions
de la loi n°49-456 du 16 juillet 1949 sur les publications
destinées à la jeunesse.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel devra ainsi veiller à ce que les programmes destinés à la jeunesse "ne présentent pas sous un jour favorable tous actes qualifiés de crime et délits".
Par ailleurs, les diffuseurs devraient veiller à ce que les programmes destinés à la jeunesse ne comportent pas de scènes de violence gratuite, non strictement indispensables au déroulement de l'intrigue, à l'évolution des personnages ou au développement du thème de l'émission dans son ensemble, n'encouragent pas ou ne glorifient pas la violence.
•
L'article 2
oblige les diffuseurs
à
élaborer dans les douze mois suivant la publication de
la présente loi, des codes de déontologie
précisant leurs engagements concernant la représentation
de la violence à la télévision (informations,
documentaires, fictions).
•
L'article 3
propose que les
opérateurs souscrivent des
engagements concernant le respect de
l'éthique au sein des programmes,
notamment pour réguler
la représentation de la violence dans les émissions
destinées aux enfants ou bien dans les fictions destinées au
grand public.
Les collaborateurs des diffuseurs, quel que soit leur statut, devraient respecter les prescriptions contenues dans les codes de déontologie que les chaînes élaboreraient.
Ces engagements seraient soumis au Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, après les avoir approuvés, les annexera aux conventions conclues entre les opérateurs privés et le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou aux cahiers des charges des chaînes publiques. Leur publication serait assurée au Journal officiel.
Cette publication permettra aux téléspectateurs d'en avoir connaissance et, le cas échéant, de saisir le Conseil pour non respect de ces dispositions.
Ainsi pourrait se développer une fonction de médiation du Conseil supérieur de l'audiovisuel entre les diffuseurs et leur public.
Les engagements pris dans les codes de déontologie seraient ajoutés à la liste des obligations que les diffuseurs doivent respecter, en application du premier alinéa de l'article 42 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, et qui sont actuellement limitées aux textes législatifs et réglementaires et aux principes définis à l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986.
Cette disposition, qui permettra au Conseil supérieur de l'audiovisuel de sanctionner le non respect des engagements pris, aura pour effet d'assurer l'application effective des codes de déontologie.
Une telle démarche a été entreprise depuis longtemps, au Canada, à l'initiative du Conseil de Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes, et sous la responsabilité des diffuseurs.
Elle est entreprise, depuis le mois de novembre 1995, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; il convient que le législateur soutienne cette démarche.
Par définition, il ne peut s'agir de la mise en place d'une censure ni d'un appel à un quelconque ordre moral, mais simplement du double exercice de la responsabilité et de la liberté, qui doivent être entières, de l'auteur, du programmateur et du diffuseur, comme elles doivent l'être du téléspectateur.
•
L'article 4
consacre le dispositif
de classification proposé par le Conseil supérieur de
l'audiovisuel, qui propose cinq degrés d'appréciation de
l'acceptabilité des oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques
au regard de la protection de l'enfance ou de l'adolescence.
Cette classification sera l'expression de la responsabilité éditoriale du diffuseur. A cet effet, chaque diffuseur devra créer une commission interne de visionnage, dont la tâche sera de proposer à la direction de la chaîne une classification des oeuvres.
A chaque catégorie correspondrait une signalétique, définie par le diffuseur en concertation avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Cette signalétique serait portée à la connaissance du public au moment de la diffusion de l'oeuvre concernée dans les bandes-annonces et dans les avant-programmes communiqués à la presse. Cette disposition ne serait pas applicable aux oeuvres considérées comme accessibles à tout public.
Les diffuseurs devront adapter les horaires de diffusion en fonction de la classification proposée.
Les oeuvres à caractère pornographique ou d'extrême violence, susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement des mineurs, ne pourront être diffusées par des services de communication audiovisuelle bénéficiant d'une autorisation nationale en clair.
• En outre, et dans un souci de renforcement de la
réglementation en cas de diffusion d'un programme pornographique ou
violent, il conviendrait de donner au Conseil supérieur de l'audiovisuel
la possibilité d'intervenir dans la procédure pénale. Tel
est l'objet de
l'article 5
de la proposition de loi.
En effet, à défaut de disposition expresse, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 5 décembre 1989, qu'il est irrecevable à présenter des observations.
Cette jurisprudence limite la portée du contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, notamment pour ce qui concerne le contrôle des chaînes diffusées par satellite.
Or, le Conseil supérieur de l'audiovisuel est le seul organisme en France à pratique la "veille satellitaire" par la surveillance systématique des programmes diffusés par ce mode de diffusion.
Il serait utile de profiter de cette expérience.
• Enfin,
l'article 6
propose que le
Conseil supérieur de l'audiovisuel réalise ou fasse
réaliser une étude sur les conséquences des programmes de
télévision comportant des scènes de violence sur le
comportement des téléspectateurs, en particulier des jeunes
téléspectateurs.
Cette étude serait transmise au Parlement, afin de lui permettre d'évaluer l'efficacité des dispositions de la présente proposition de loi.
Tel est l'objet de la proposition de loi que je vous demande de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article premier.
L'article 15 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il veille en particulier à ce que les programmes ne présentent pas sous un jour favorable tous actes qualifiés de crime ou délit. »
Art. 2.
Des codes de déontologie relatifs à la violence dans les programmes sont élaborés par les diffuseurs dans les douze mois suivant la publication de la présente loi. Les engagements pourront être modulés selon le mode de diffusion des programmes.
Art. 3.
Il est inséré, après l'article 20-1 de la loi précitée, un article 20-2 ainsi rédigé :
« Art. 20-2. - I - Les titulaires d'autorisation d'usage de fréquences radioélectriques pour la diffusion de services de radiodiffusion sonore ou de télévision diffusée par voie hertzienne terrestre ou par câble, les sociétés nationales de programmes mentionnées à l'article 44 et la société mentionnée à l'article 45, adoptent des codes de déontologie.
« Ces codes définissent des engagements en matière d'éthique et de qualité des programmes. Ces engagements doivent être respectés par l'ensemble des collaborateurs, quel que soit leur statut, des opérateurs définis à l'alinéa précédent.
« Les engagements des opérateurs définis au premier alinéa sont soumis au Conseil supérieur de l'audiovisuel qui les approuve.
« Ils sont inclus dans les conventions conclues en application du titre II de la présente loi ou annexés aux cahiers des charges des sociétés nationales de programmes mentionnées à l'article 44 et de la société mentionnée à l'article 45. Ils sont publiés au Journal Officiel.
« II - Toute personne peut saisir le Conseil supérieur de l'audiovisuel en cas de non-respect d'un engagement figurant dans les codes de déontologie visés au paragraphe précédent. »
Art. 4.
Il est inséré, après l'article 20-1 de la loi précitée, un article 20-3 ainsi rédigé :
« Art. 20-3. - I - Les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles diffusées par des organismes de radiodiffusion télévisuelle sont classées, par les diffuseurs, en fonction de leur acceptabilité au regard de la protection de l'enfance et de l'adolescence.
« II - A chaque catégorie visée par l'alinéa précédent correspond une signalétique, définie par le diffuseur en concertation avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui est portée à la connaissance du public au moment de la diffusion de l'oeuvre concernée dans les bandes-annonces et dans les avant-programmes communiqués à la presse. Cette disposition n'est pas applicable aux oeuvres considérées comme accessibles à tout public.
« III - Les services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par câble adaptent les horaires de diffusion en fonction de la classification visée au premier alinéa. Les oeuvres à caractère pornographique ou d'extrême violence, susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement des mineurs, ne peuvent être diffusées par des services de communication audiovisuelle bénéficiant d'une autorisation nationale en clair. »
Art. 5.
L'article 20 de la loi précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut exercer, dans l'intérêt de l'État et accessoirement au ministère public, les actions et poursuites en réparation des infractions à la présente loi. »
Art.6.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel déposera devant le Parlement, dans un délai de deux ans à compter la publication de la présente loi, une étude relative aux conséquences des programmes de télévision comportant des scènes de violence sur le comportement des téléspectateurs, en particulier des jeunes téléspectateurs.
Afin de réaliser cette étude, il peut recourir à toute collaboration extérieure.
* (1) Proposition de loi n° 96 du 27 novembre 1995.