N°140

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 1" décembre 1997

PROPOSITION DE LOI

relative au secret défense,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Danielle BEDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces années, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Défense. - Secret défense - Code pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Certaines affaires retentissantes de ces dernières années ont été marquées par l'usage abusif du secret-défense, invoqué pour soustraire divers individus à leurs responsabilités pénales.

La loi devrait être égale pour tous. Aucun individu ne saurait bénéficier devant la justice d'un traitement privilégié. Mais le secret-défense, utilisé en France, sans qu'un juge d'instruction puisse passer outre pour recueillir des informations, constitue un instrument politique de pression pour empêcher la justice de suivre son cours normal.

Les conditions dans lesquelles il a été invoqué dans diverses affaires ont jeté une suspicion légitime sur les institutions nationales dans leur ensemble.

L'article 34 de la Constitution précise que la loi « détermine les principes fondamentaux de l'organisation de la défense nationale ».

A l'évidence, le fait de savoir s'il doit y avoir un secret-défense et, dans ce cas, la définition du secret de la défense nationale relèvent de l'article 34, et c'est à tort que l'exécutif, par le décret n° 81-514 du 12 mai 1981, a cru pouvoir en déterminer les principes. Relèvent, par contre, du domaine réglementaire les conditions d'application pour les différents ministères du principe défini par le législateur et par lui seul.

Le système actuel, hérité des périodes de guerre, est dangereux pour les libertés, la démocratie et la justice. Il l'est donc aussi pour la défense nationale, l'attachement des citoyens à leurs institutions et à leurs droits constitutionnels en étant une composante essentielle.

Il importe pour le législateur de protéger l'indépendance nationale en refusant l'arbitraire.

Le décret précité du 12 mai 1981 distingue trois niveaux de protection : très secret défense, secret défense et confidentiel défense. La distinction entre les deux premiers niveaux, graduant les éléments à ne pas divulguer en fonction des priorités gouvernementales, se comprend. Par contre, on peut s'interroger sur le troisième, qui vise « des informations ne présentant pas en elles-mêmes un caractère secret, mais dont la connaissance, la réunion ou l'exploitation peuvent conduire à la divulgation d'un secret ».

Un objet, un procédé est secret ou il ne l'est pas. Un niveau qui se définit par sa propre imprécision est seulement une source de bureaucratie et d'arbitraire.

Les intérêts de la France, sa sécurité extérieure, exigent que des renseignements, des objets ou des documents soient spécialement protégés.

L'existence d'un secret-défense est nécessaire. Mais il ne saurait être détourné de sa finalité. Dans l'Histoire, la raison d'Etat a trop souvent servi à des intérêts partisans ou personnels et non à l'intérêt véritable de la Nation.

Des règles de discipline interne s'imposent aux services de défense mais c'est en raison des fonctions et missions exercées. Il ne saurait s'agir pour quiconque, membre du Gouvernement, fonctionnaire civil ou militaire, à quelque niveau que ce soit, d'exercer un droit personnel ou politique, d'accéder à des informations ou d'en refuser l'accès aux autorités judiciaires.

Au plan judiciaire, le secret défense ne saurait créer des immunités au bénéfice de qui que ce soit. Faut-il rappeler qu'aux Etats-Unis le Vice-président et le Président ne purent refuser l'accès de la justice à des informations d'Etat et durent démissionner. Et en France n'importe qui pourrait bénéficier, en invoquant le sésame absolu du secret défense, d'une immunité totale. De surcroît, même les députés et les sénateurs dans l'exercice de leurs fonctions électives ne bénéficient pas d'une telle protection.

Le secret défense, quelle que soit sa classification, ne doit pas être un moyen d'effacer les preuves, d'interdire les sanctions, d'empêcher les juges de forger librement leur conviction sur la réalité des faits.

fl ne saurait davantage empêcher le droit de contrôle du Parlement de s'exercer normalement dans les commissions d'enquête que le Sénat et l'Assemblée nationale peuvent décider de créer.

Nous sommes convaincus que les nouvelles dispositions que nous proposons en matière de secret défense sont nécessaires au renforcement de la justice, de la démocratie et de l'indépendance de la France.

Telles sont, Mesdames, Messieurs, les raisons qui nous conduisent à vous demander d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les renseignements, objets, documents, procédés intéressant la défense nationale et dont la divulgation à des personnes non qualifiées est de nature à nuire à la défense nationale font l'objet d'une classification comprenant deux niveaux de protection :

- secret défense I ;

- secret défense II ;

Les critères et modalités de la protection des informations sont définis par décret.

Article 2

L'article 413-11 du code pénal est complété, in fine, par un alinéa ainsi rédigé :

« Le secret défense ne peut être invoqué dans le cadre de poursuites judiciaires pour crime ou délit. »

Article 3

Dans le deuxième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les mots : « à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, et » sont supprimés.

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