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N° 22
SÉNAT
PREMIERE SESSION ORDINAIRE DE 1980-1981
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 octobre 1980.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission de contrôle sur l'appartenance à la Police nationale d'agents suspects d'activités en liaison avec les menées néo-nazies, et sur l'organisation de la riposte policière aux attentats racistes et antisémites,
PRÉSENTÉE
Par MM. André MÉRIC, Léon EECKHOUTTE, Mlle Irma RAPUZZI, MM. Philippe MACHEFER, Claude FUZIER, Paul MISTRAL, Robert LAUCOURNET, Mme Cécile GOLDET, MM. Jacques CARAT, Tony LARUE, Robert SCHWINT, Louis PERREIN, Robert PONTILLON, Franck SÉRUSCLAT, Marcel DEBARGE, Bernard PARMANTIER, Pierre NOÉ, Jacques BIALSKI, Maurice JANETTI et les membres du groupe socialiste et apparentés (1),
Sénateurs.
(Renvoyée à la Commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel,
du Règlement et d'Administration générale.)
(1 ) Ce groupe est composé de : MM. Antoine Andrieux, Germain Authié, André Barroux, Gilbert Baumet, Gilbert Belin, Noël Berrier, Jacques Bialski, Marc Boeuf, Charles Bonifay, Jacques Carat, René Chazelle, Bernard Chochoy, Félix Ciccolini, Raymond Courrière, Roland Courteau, Georges Dagonia, Michel Darras, Marcel Debarge, Gérard Delfau, Lucien Delmas, Michel Dreyfus-Schmidt, Henri Duffaut, Guy Durbec, Emile Durieux, Léon Eeckhoutte, Jules Faigt, Claude Fuzier, Gérard Gaud, Jean Geoffroy, Mme Cécile Goldet, MM. Roland Grimaldi, Robert Guillaume, Maurice Janetti, Tony Larue, Robert Laucournet, André Lejeune, Louis Longequeue, Philippe Machefer, Philippe Madrelle, Michel Manet, Marcel Mathy, Pierre Matraja, André Méric, Gérard Minvielle, Paul Mistral, Michel Moreigne, Pierre Noé, Bernard Parmantier, Louis Perrein, Jean Peyrafitte, Maurice Pic, Edgard Pisani, Robert Pontillon, Roger Quilliot, Mlle Irma Rapuzzi, MM. René Régnault, Roger Rinchet, Gérard Roujas, André Rouvière, Robert Schwint, Franck Sérusclat, Edouard Soldani, Georges Spénale, Edgar Tailhades, Femand Tardy, Jean Varlet, Marcel Vidal.
Apparentés : MM. Albert Pen, Raymond Tarcy.
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Ordre public. - Commissions d'enquête et de contrôle - Police - Racisme.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis six mois, les attentats que l'on peut attribuer à des mouvements néo-nazis et souvent revendiqués par leurs porte-parole se sont multipliés. On en dénombrait trente entre janvier et avril 1980.
Pour les derniers mois, la liste est également impressionnante :
18 mai 1980 : diverses déprédations sont commises à Versailles contre le troisième festival des immigrés, signées « Regroupement Occident chrétien ».
25 mai 1980 : des lettres de menaces sont envoyées à la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, à Paris. Elles portent le sigle de la F.A.N.E.
27 mai 1980 : une fois de plus, les vitrines du local de la F. N. D. I. R. P. sont brisées.
30 mai 1980 : des cocktails Molotov sont découverts, non explosés, à la synagogue de Marseille. Le même jour, premier des « événements de Bondy » : un commando agresse un jeune Algérien. Des militants du P. F. N. sont soupçonnés.
31 mai 1980 : le local de l'Union locale C. G. T. est saccagé à Trappes.
2 juin 1980 : nouvel incident à Bondy : un cocktail Molotov est lancé sous un porche où stationnent habituellement de jeunes Algériens.
5 juin 1980 : un ouvrier turc est assassiné à Sochaux par un de ses compatriotes connu pour ses opinions et fréquentations d'extrême droite.
7 juin 1980 : incendie chez un membre du P. C. F. à Aubervilliers. Revendiqué par les commandos Delta.
8 juin 1980 : toujours à Bondy, un coup de feu est tiré contre des Maghrébins. Deux des agresseurs sont arrêtés et condamnés à quatre mois de prison avec sursis.
12 juin 1980 : un attentat fait sept blessés à Orly. Il est revendiqué par « Action directe », mais il pourrait s'agir d'une provocation.
14 juin 1980 : plusieurs agressions sont commises dans le Marais par des groupes de fascistes.
15 juin 1980 : les mêmes incidents se renouvellent dans le Marais et le local de la commission Justice et paix, où a lieu une exposition sur le Nicaragua, est saccagé. Ces incidents sont provoqués par des membres de la F. A. N. E. Le même jour, un coup de feu blesse un Algérien à Bobigny et, à Orléans, un militant autonomiste réunionnais est agressé par des membres d'« Action Jeunesse ».
17 juin 1980 : un local du P. C. F. est incendié à Trappes.
20 juin 1980 : des croix gammées sont tracées sur le monument aux morts de Bondy.
21 juin 1980 : deux militants socialistes sont agressés à Clichy.
22 juin 1980 : un attentat est tenté contre le monument aux morts de Châtillon-d'Azergues (Rhône). Au même moment, à quelques kilomètres, se tient un rassemblement de membres de la F.A.N.E. Le même jour, des cocktails Molotov sont lancés contre un comité de ville à Bobigny.
26 juin 1980 : important attentat contre le siège du M.R.A.P. revendiqué par la F.A.N.E.
1 er juillet 1980 : attentat contre un magasin Daniel Hechter, attribué à la F. A. N. E. À la suite de ces deux derniers attentats, onze militants de la F.A.N.E. et du M.N.R. sont interpellés et dix relâchés. Début juillet, quatre personnalités musulmanes reçoivent, à Paris, des menaces de mort, et, à Saint-Ouen, la plaque commémorant la fin des combats en Algérie est détruite.
14 juillet 1980: des croix celtiques sont tracées sur les murs de la crypte de l'église Saint-Voluzien, à Foix (Ariège).
16 juillet 1980 : un Maghrébin est tué à Bicêtre (Val-de-Marne).
17 juillet 1980 : des cocktails Molotov sont lancés contre l'ambassade d'Afghanistan, à Paris. Attentat revendiqué par un « Groupe d'intervention nationaliste ».
19 juillet 1980: coups de feu contre un foyer d'immigrés, à L'Hay-les-Roses. Dans le courant juillet, des menaces sont adressées à Jean-François Kahn.
1 er août 1980 : agression contre un jeune juif, rue des Rosiers ; sept hommes sont déférés au parquet et trois laissés en liberté.
2 août 1980: incendie d'un local du Parti communiste international, à Paris.
5 août 1980 : attentat contre la librairie « Les Reclus », à Paris.
6 août 1980 : cocktail Molotov contre la librairie « Les Mille Feuilles », à Paris. À la suite de ces deux attentats contre des librairies, trois militants d'extrême droite sont arrêtés.
11 août 1980: important attentat contre l'imprimerie « Encre noire », à Paris. Onze blessés et un mort. Revendiqué par « Ordre et justice nouvelle ». Une dizaine de militants d'extrême droite sont interpellés puis relâchés.
13 août 1980 : cocktail Molotov contre le domicile de Rosette Curiel, veuve d'Henri Curiel. Revendiqué par un commando Mario-Tuti. Cet attentat fait suite à plusieurs lettres de menaces. Le même jour : profanation, à Suresnes, de la stèle à la mémoire de Salvador Allende.
14 août 1980 : incendie au centre culturel irakien, à Paris. L'auteur, arrêté, se revendique d'extrême droite. Le même jour, hold-up chez Daniel Hechter.
21 août 1980 : menaces contre un restaurant coopératif à Marseille, signées « Ordre et justice nouvelle », avec un tract de la F. A. N. E.
23 août 1980 : un Algérien reçoit une balle dans le dos, à Bondy. L'agresseur, sympathisant du Front national, est arrêté.
28 août 1980 : plusieurs dizaines de stèles sont profanées dans le cimetière Israélite de Forbach (Moselle). Courant août, des actes de vandalisme sont commis à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne).
Vendredi 26 septembre, des coups de feu ont été tirés sur le Mémorial du Martyr juif inconnu, sur une crèche, sur l'école Lucien-Hirsch, sur la synagogue de la Victoire.
L'intensification des attentats visant des personnes doit être traitée d'urgence.
Une bombe a été déposée vendredi 3 octobre, rue Copernic, devant une des synagogues les plus fréquentées de Paris, à l'occasion de l'office du Shabbat. L'explosion ayant eu lieu plus tôt que prévu, seuls des passants ont été atteints : on dénombre quatre morts et dix blessés.
Depuis des mois, les socialistes appellent l'attention du Gouvernement sur cette montée de la violence raciste et antisémite, et lui demandent de prendre des mesures pour que les groupuscules d'extrême droite cessent de bénéficier d'une impunité quasi totale.
La police, cependant, a prouvé qu'elle pouvait se montrer efficace ; Jacques Mesrine a bien été « abattu » alors qu'il semblait insaisissable. Plus récemment, la capture de deux responsables du groupe « Action directe » a démontré que, lorsqu'elle peut et veut mettre en oeuvre les moyens nécessaires, les autorités policières peuvent faire preuve d'une efficacité réelle.
Ce potentiel d'intervention de la police étant connu, une impuissance persistante à mettre hors d'état de nuire les auteurs d'attentats néo-nazis ou racistes susciterait un doute quant à la volonté gouvernementale de mettre fin à ces agissements.
Le Ministre de l'Intérieur déclarait qu'il ne fallait pas dramatiser les premiers attentats commis alors que des mesures préventives pouvaient être prises ; les principales synagogues, La Victoire, Montevideo, Copernic, pouvaient faire l'objet d'une protection renforcée.
D'autre part, des indications précises fournies notamment par les organisations syndicales les plus représentatives démontrent la présence d'éléments fascistes et nazis parmi les policiers.
Il ne s'agit pas de dénoncer des opinions politiques des fonctionnaires de police, mais d'examiner si l'appartenance au service public de la police est compatible avec des activités proscrites par la loi, qu'il s'agisse de menées racistes, d'incitation à la violence ou de participation à des ligues armées.
La police, comme tous les corps de fonctionnaires, est soumise à l'autorité politique. Les policiers ne sont responsables ni de la présence dans leurs rangs de nombreux activistes d'extrême droite, ni de l'orientation politique des missions qui leur sont confiées. C'est le Gouvernement qui est responsable.
Le cas de l'inspecteur Durand, des renseignements généraux, est tout à fait exemplaire. Il était en effet affecté à des missions où son activité en liaison avec des groupes factieux représentait un danger vital : il fut, par exemple, chargé d'assurer la surveillance du Grand Rabbin de France, Jacob Kaplan.
Ce policier, dénoncé par ses collègues italiens après l'attentat de Bologne, a bénéficié, avant d'être révoqué, de trois mois de suspension avec traitement, alors que l'Administration n'y était pas tenue.
Le Parlement ne peut refuser d'utiliser les moyens que lui offre la procédure parlementaire pour que les lois de la République ne soient pas bafouées et que la protection qu'elles offrent soit effective.
À cet égard, la Déclaration des Droits de l'Homme donne à la société le droit de demander compte à tout agent public de son Administration (art. 15).
Il est de notre devoir de demander des comptes à l'Administration policière sur la présence en son sein de personnes tombant sous le coup de la loi n° 72-546 du 1 er juillet 1972, articles 23 et 24 de la loi modifiée du 29 juillet 1881.
Enfin, les minorités, elles, n'oublient pas et n'oublieront pas que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés.
C'est pour toutes les raisons qui précèdent que nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article premier.
Il est institué conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat une commission de contrôle chargée de rechercher la présence d'éléments fascistes et nazis parmi le personnel de la police nationale et les circonstances dans lesquelles ces personnes ont été recrutées.
Art. 2.
La commission instituée à l'article premier est composée de 21 membres.
Art. 3.
La commission pourra proposer toute réforme qui lui paraîtra nécessaire au renforcement de l'efficacité de la police dans le renforcement de la paix civile.