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N° 515
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SÉNAT
QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1991-1992 |
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8 juillet 1992. Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 septembre 1992. |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d'enquête sur le marché des fruits et légumes de la production à la consommation
PRÉSENTÉE
Par MM. Louis MINETTI, Félix LEYZOUR, Jean-Luc BÉCART, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Danielle BIDARD-REYDET, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Mme Hélène LUC, MM. Robert PAGÈS, Ivan RENAR, Paul SOUFFRIN, Hector VIRON, Robert VIZET et Henri BANGOU,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, en application de l'article 11, alinéa 1, du Règlement)
Ordre public . - Commissions d'enquête - Mafia |
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Les producteurs français de fruits et de légumes sont confrontés à une crise sans précédent qui met en cause l'avenir même de bon nombre d'exploitations.
Alors qu'ils connaissent d'importantes difficultés de trésorerie, ils en sont réduits à brader leurs productions à des prix inférieurs aux coûts de revient, voire à les détruire.
Face aux échéances qui sont les leurs, désespérés pour certains, ils ont été dans la dernière période conduits à mener de nombreuses et parfois spectaculaires actions revendicatives, afin d'alerter l'opinion et de tenter de se faire entendre des pouvoirs publics.
Cette crise, qui se traduit par un effondrement vertigineux des cours à la production, une inquiétante mévente et des destructions massives de produits, est due à l'addition de multiples facteurs qui sont loin de relever d'une quelconque fatalité.
Evoquer la responsabilité du seul mouvement des chauffeurs routiers est une manière d'éluder les problèmes de fond qui sont posés.
Sauf pour quelques produits, la production fruitière et légumière française ne couvre pas la demande du marché national ; invoquer une surproduction ne tiendrait pas compte de la réalité.
Au-delà donc des apparences et lieux communs, il convient de rechercher et d'examiner les causes réelles du marasme actuel, dont les répercussions ne peuvent que se faire sentir en terme d'activité et d'emploi sur l'ensemble de la filière concernée.
Qu'elles proviennent de la C.E.E. ou de pays tiers, les importations intempestives auxquelles se livrent les centrales d'achats des groupes de la grande distribution constituent, une fois de plus, la première des sources des dérèglements actuellement constatés.
Une étude du Centre d'études des revenus et des coûts (C.E.R.C.) de 1982 le montrait : sur un même marché, un dépassement de 3 % du volume total des utilisations d'un produit (consommation interne + exports) entraîne automatiquement une chute de 5 % des cours à la production.
Les centrales d'achats, qui ont bien compris tout le parti qu'elles pouvaient tirer d'une telle situation pratiquent ainsi une double stratégie qui consiste tout à la fois à peser sur les producteurs et sur les consommateurs.
En s'efforçant de maintenir artificiellement les prix élevés de la vente au détail pratiqués l'an dernier à cause des gels de printemps, elles limitent la capacité d'achat et le volume des produits sur le marché, réduisant ainsi arbitrairement la demande.
En important à bas prix des quantités de fruits et légumes qui dépassent le volume des utilisations, les capacités du marché, elles entraînent les prix français à la production dans une baisse sans fin, souvent au-dessous des prix de revient, et mettent ainsi en péril des dizaines de milliers d'exploitations et d'emplois à la campagne.
Les distributeurs organisent le marché à leur profit, au détriment des intérêts nationaux.
Les tomates belges ou néerlandaises, cultivées sous serre, grâce à un gaz naturel au prix insignifiant, les pêches et abricots d'Espagne ou les productions du Maghreb récoltés et conditionnés par un personnel aux conditions de vie dérisoires, les poires et les pommes importées de l'hémisphère sud stockées en frigo depuis plusieurs mois, viennent concurrencer directement les productions de notre terroir.
Les producteurs français sont victimes d'une concurrence déloyale à tout point de vue, concurrence organisée par les distributeurs et autres intermédiaires qui choisissent sciemment de mettre les productions étrangères sur le marché au moment même où les productions nationales arrivent à maturité dans nos vergers et plantations.
Cette pression sur les prix à la production ne bénéficie pas aux consommateurs puisque, par exemple, les poires «Guyot» et les tomates cultivées en France, achetées par les distributeurs autour voire même en dessous d'un franc à la production, sont vendues entre 8 et 12 F dans les super et hypermarchés.
Face à cette inadmissible situation, aux ententes illicites entre distributeurs, le Gouvernement se doit de réagir et d'imposer avec les moyens qui sont à sa disposition une régulation des marchés qui préserve les revenus des producteurs et la pérennité des exploitations.
Des fraudes n'existent-elles pas en regard des règles commerciales et de la qualité phytosanitaire des produits ?
Les seuls retraits, qui ne bénéficient qu'aux puissantes sociétés du commerce et du négoce, ne peuvent et ne doivent pas servir de politique gouvernementale.
Le Gouvernement doit agir d'autant plus vite qu'avec les menaces que la récente réforme de la P.A.C. fait peser sur eux, certains agriculteurs, bloqués dans leurs productions habituelles, se tournent sans aucune garantie vers d'autres types de cultures et notamment vers celles des fruits et légumes.
Des solutions existent pour intervenir, il doit tout d'abord faire respecter les protections communautaires inscrites dans le Traité de' Rome.
Si les importations sont utiles pour compléter les productions nationales, elles ne doivent pas servir, comme c'est le cas aujourd'hui, à détruire l'équilibre des marchés et à accélérer l'élimination des exploitations.
L'établissement d'un calendrier prévisionnel des importations en provenance de la C.E.E. comme des pays tiers pourrait être mis en place afin de moduler, dans le but de prévenir les situations de crise, les arrivages en fonction de la demande.
Application de la clause de sauvegarde et respect de la préférence communautaire permettraient de le faire appliquer dans l'intérêt des agriculteurs comme des consommateurs.
Une amélioration de la maîtrise des circuits intermédiaires par une augmentation de la fréquence des contrôles et un renforcement de la législation sur les marges bénéficiaires deviennent indispensables.
Il convient également de développer l'implantation des industries de transformation des produits agricoles dans les zones de production, ce qui à l'évidence aurait l'avantage de favoriser l'étalement de la mise des produits sur le marché et de créer des emplois en milieu rural, dans l'agro-alimentaire.
Des mesures ponctuelles et urgentes s'imposent enfin pour débloquer la situation actuelle : accélération du processus d'indemnisation des agriculteurs dont l'exploitation a été touchée par les gels printaniers de 1991, rééchelonnement du remboursement des emprunts, reports d'impôts, indemnisation couvrant le prix de revient des produits perdus cette année, organisation d'une table ronde réunissant les pouvoirs publics et les syndicats de la filière pour examiner l'ensemble des questions posées.
Afin de permettre une étude précise de la situation du marché des fruits et légumes dans notre pays et de proposer des moyens pour que les mêmes maux ne produisent chaque année les mêmes difficultés, les sénateurs communistes et apparenté proposent la constitution d'une commission d'enquête qui serait chargée notamment de :
-- faire toute la lumière sur les raisons qui ont empêché la mise en place des mécanismes prévus par le Traité de Rome pour remédier à de semblables situations de crise ;
-- faire la clarté sur les conditions selon lesquelles les centrales d'achats des groupes du négoce international ont pu utiliser les accords avec les pays méditerranéens et ceux de Lomé pour déstructurer l'ensemble de la filière fruits et légumes ;
-- établir l'ensemble des responsabilités, gouvernementales et communautaires, dans la crise actuelle ;
-- étudier les modes de formation des prix agricoles à la production et à la consommation,
-- évaluer l'endettement réel des agriculteurs, en rapport avec la valeur monétaire des récoltes et de leurs exploitations, et les potentialités de développement de la filière fruits et légumes.
Au bénéfice de l'ensemble de ces considérations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article unique.
En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres.
Elle est chargée d'établir un rapport qui permette :
-- de faire toute la lumière sur les raisons de l'absence de mise en place des mécanismes prévus par le Traité de Rome pour remédier à la situation de crise que connaît actuellement la production fruitière et légumière ;
-- d'établir toutes les responsabilités en la matière ;
-- d'examiner les modes et conditions de la formation des prix des fruits et légumes à la production et à la consommation ;
-- de proposer un ensemble de solutions afin de prévenir nos agriculteurs contre ces calamités économiques et de les indemniser des préjudices subis.