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N° 576
SÉNAT
TROISIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1993 - 1994
Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juillet 1994.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur l'avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1995 - (Volume 4 - Section III Commission - État des dépenses - Partie B - Crédits opérationnels - Titre 7-6 - Chapitre 7-60 - Coopération avec les pays de l'Europe centrale et orientale) - (n° E-263),
Par M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne - Budget.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans l'avant-projet de budget général des Communautés européennes pour 1995, les crédits inscrits au chapitre « coopération avec les pays de l'Europe centrale et orientale » (programme PHARE) sont en forte augmentation. Les dépenses passent, en autorisations d'engagements, de 985 millions d'écus à 1.106 millions d'écus (soit + 12,3 %) et, en crédits de paiements, de 592 millions à 885 millions d'écus (soit + 49,5 %). Au sein de ce chapitre, les dépenses d'aide à la restructuration sont en hausse particulièrement forte : ils passent de 830 à 995 millions d'écus en engagements (+ 19,9 %) et de 487 à 804 millions d'écus en paiements (+ 65,1 %). Les pays bénéficiaires de ces dépenses sont les six pays ayant conclu un accord européen avec l'Union (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Bulgarie, Roumanie), les trois États baltes, la Slovénie et l'Albanie.
Les dépenses de coopération actuelles avec ces pays ne peuvent être jugées trop élevées et peuvent même paraître très inférieures aux besoins, ce qui justifierait les hausses proposées. En effet, les États bénéficiaires sont tous engagés dans un processus de restructuration économique dont les difficultés sont très nombreuses et dont le succès est particulièrement souhaitable non seulement pour ces pays, mais pour l'Union européenne elle-même (sur le plan politique comme sur le plan économique) ; de plus, les pays signataires d'accords européens - ou du moins certains d'entre eux -semblent de plus en plus clairement destinés à adhérer à l'Union européenne dans les premières années de la prochaine décennie : un important effort de coopération est manifestement nécessaire pour favoriser le rapprochement qui doit nécessairement précéder cette adhésion.
Ainsi, le montant des dépenses proposées ne paraît pas, en lui-même, excessif. Encore faudrait-il que ces crédits soient gérés avec efficacité et employés de manière effectivement utile aux pays bénéficiaires. Or, des critiques nombreuses et concordantes suggèrent que tel n'a pas été suffisamment le cas jusqu'à présent.
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1. Tout d'abord, la Commission a entendu assurer seule la gestion du programme PHARE, sans s'appuyer sur les administrations des États membres ; cependant elle n'a pas redéployé ses services pour disposer des moyens en personnels nécessaires. De ce fait, la gestion a été assurée par des fonctionnaires trop peu nombreux et des contractuels recrutés parfois à la hâte ( ( * )1) .
Le résultat n'a guère été probant : la Cour des comptes des Communautés européennes, dans son dernier rapport annuel (publié en novembre 1993), relève ainsi qu' « en raison du contexte difficile qui varie d'un pays bénéficiaire à l'autre, mais aussi en raison des procédures trop centralisatrices et parfois lourdes de la Commission, la réalisation des objectifs communautaires s'effectue à un rythme lent et variable selon les pays » (p. 197).
Ces défauts sont particulièrement visibles dans le système des paiements : « Les procédures de paiement d'avances aux unités de gestion PHARE sont alourdies par un centralisme des services de la Commission. Hormis la première avance, le paiement est conditionné par l'approbation, par la Commission, des rapports d'exécution et des plans de mise en oeuvre subséquente (« work-programs ») présentés par l'unité de gestion à la délégation. Outre celle-ci, ces procédures impliquent l'intervention de nombreux services centraux de la Commission. Le délai total entre la réception de la demande en délégation et l'arrivée du paiement sur le compte de l'unité de gestion se situe à près de trois mois et dépasse parfois un semestre. Les services de Bruxelles se trouvent éloignés des préoccupations et contraintes locales nationales, ce qui amène des malentendus. Ils ignorent souvent les décisions qui sont prises sur place (...). Les rapports d'exécution ne sont pas standardisés, donc peu compréhensibles. » (p. 192).
2. Par ailleurs, la gestion de la Commission ne paraît pas sans reproche, si Ton en croit le même rapport de la Cour des Comptes :
- « alors que les enquêtes sur place de la Cour ont relevé des dépenses non éligibles, il n'y a eu aucun cas de correction financière par la
Commission » (p. 182) ;
- « des crédits opérationnels ont été utilisés pour financer du personnel extérieur exerçant son activité dans les services de la Commission » (ibid.) ;
- le financement par le programme PHARE d'aides humanitaires d'urgence sous forme de fourniture de produits agricoles semble avoir donné des résultats inattendus : « en faveur de la Roumanie, l'urgence était invoquée par la Commission le 2 janvier 1992 en raison de l'hiver, mais les produits n'ont été livrés qu'au cours de l'été et de l'automne suivant » (p. 188) ; « l'aide alimentaire accordée à la Bulgarie en 1991 n'était pas nécessaire, ce qui, du reste, pourrait expliquer l'aisance avec laquelle les opérateurs bulgares ont pu réexporter du lait en poudre vers l'Egypte » (ibid.) ; toujours en Bulgarie, « 2.700 tonnes de maïs, provenant notamment des États-Unis, ont été livrées début 1991 sur fonds communautaires », et un tiers de ce maïs était encore en stock à la fin 1992 ;
- des « opérations triangulaires » (financement, à partir de crédits du programme PHARE, de livraisons d'un ou de plusieurs pays bénéficiaires vers un autre pays bénéficiaire) ont été réalisées en dehors des procédures réglementaires, en invoquant l'urgence, sans que celle-ci ait pu être démontrée par la suite ; ainsi, « début novembre 1991, l'urgence a été invoquée par la Commission pour la conclusion de contrats de fourniture d'électricité en faveur de la Bulgarie », mais l'électricité fournie par la Pologne et la Roumanie « n'a été livrée qu'après l'hiver, en mars-avril 1992 » (p. 188) ;
- s'agissant des fonds de contrepartie créés dans le cadre de la vente à prix réduits des aides alimentaires financées par la Communauté, « la négligence de la Commission dans ce domaine a lourdement affecté l'utilité de ces mesures » (p. 198).
3. Enfin, une partie importante des crédits a été affectée à des dépenses d'expertise d'un coût peu convenable et d'une utilité parfois incertaine.
La Cour des Comptes des Communautés souligne ainsi : « Après avoir financé, au cours des trois premières années, de nombreuses études parfois onéreuses confiées à des consultants occidentaux, la Commission devrait à présent, conjointement avec les pays bénéficiaires, se concentrer sur l'exploitation de l'expérience acquise. Il serait utile que la Commission établisse, dans toute la mesure du possible, un lien entre les honoraires des consultants et les résultats obtenus ou escomptés. »
Les conditions de cette assistance technique ont au demeurant suscité une certaine perplexité chez les bénéficiaires du programme. Ainsi, le secrétaire d'État polonais aux Affaires européennes déclarait il y a un an : « la seule limite aux voyages d'experts bruxellois à Varsovie est la capacité des lignes aériennes » ( ( * )2) . Quelques mois auparavant, le vice-premier ministre bulgare observait : « La C.E.E. est en train de dépenser un argent fou pour envoyer en Bulgarie des experts en mission de quatre ou cinq jours, chacun revenant avec un rapport. Cette assistance technique représente plus que les concessions commerciales que la Communauté accorde à nos exportateurs. » ( ( * )3) . Il exprimait par ailleurs des doutes sur la pertinence des aides : « On propose un mois de formation pour apprendre l'informatisation de l'exploitation au paysan qui a un besoin urgent d'un tracteur d'occasion » ( ( * )3) .
Le coût excessif et l'efficacité aléatoire des expertises ont été soulignés par un rapport fait au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour les Communautés européennes (n° 696, 10 novembre 1993) par M. Jean de Lipkowski, (qui relève que les tarifs des cabinets de consultants ont atteint, dans certains cas, 14 000 francs par jour et par personne) et par un rapport fait au nom de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale par M. Roland Blum (n° 788, 2 décembre 1993). Ces critiques ont été reprises dans un récent rapport du Conseil économique et social ( ( * )4) , qui déplore par ailleurs l' « opacité des procédures » d'attribution des contrats du programme PHARE, ainsi que la « rétention de l'information » sur les projets et le bilan de leur mise en oeuvre.
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Cette question discutable devrait conduire le Gouvernement, au sein du Conseil de l'Union, à demander des garanties de meilleure utilisation des crédits du programme PHARE.
a) Ces garanties devraient tout d'abord concerner les orientations du programme.
- Il ne s'agit pas d'en éliminer l'assistance technique, mais de limiter celle-ci à la restructuration de quelques grands secteurs - notamment le secteur bancaire - de veiller à ce qu'elle réponde effectivement aux besoins des États bénéficiaires, et de s'efforcer d'en maîtriser le coût (ce qui pourrait être favorisé par une gestion plus transparente).
- Par ailleurs, il convient de donner toute sa portée au souhait exprimé par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993 - à la demande d'ailleurs des pays bénéficiaires - de réorienter en partie le programme PHARE vers un soutien à l'amélioration des infrastructures.
- En outre, comme le suggère la Cour des comptes des Communautés (rapport précité, p. 198), « la Commission devrait renforcer sa contribution au développement du secteur privé » et s'efforcer pour cela « d'exploiter le savoir-faire de la B.E.I. et de la B.E.R.D. dans toute la mesure du possible ».
- Enfin, comme le souligne également la Cour des comptes « l'aide humanitaire dans le cadre du programme PHARE ne devrait plus, à l'avenir, être financée que dans des cas d'extrême urgence et en connaissance des besoins réels » (ibid.).
b) Ces garanties devraient également concerner la mise en oeuvre de l'aide.
- En premier lieu, il paraît indispensable de mieux coordonner le programme PHARE avec l'aide bilatérale. Outre qu'on peut s'étonner de voir l'action internationale de la Communauté être en partie mise en oeuvre par des organismes à but lucratif alors qu'il serait possible, au moins dans certains cas, de s'appuyer sur les administrations des États membres, il est clair qu'une association de l'aide communautaire et de l'aide bilatérale permettrait une efficacité plus grande. Comme le souligne le rapport précité de M. Roland Blum, « la France participe à hauteur de 20 % au financement de PHARE ; cette contribution est près de cinq fois supérieure au montant de ses crédits de coopération avec les pays de l'Europe centrale et orientale. Souvent, les projets initiés par la coopération bilatérale pourraient être utilement relayés par PHARE. Jusqu'à présent, la Commission européenne n'a pas su définir une formule permettant d'institutionnaliser cette articulation. » (p. 20).
- Ensuite, comme le suggère la Cour des comptes, une coordination devrait également être recherchée avec les aides « du G 24, du G 7 et des autres organisations telles que la Banque mondiale, le F.M.I., la B.E.I. et la B.E.R.D. Toutes ces aides doivent se compléter harmonieusement, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui ». Cette coordination pourrait notamment tendre à encourager les investissements directs étrangers, notamment dans le cadre du processus de privatisation.
- Par ailleurs, les pays bénéficiaires devraient être mieux associés au développement du programme, qu'il s'agisse de la définition des besoins ou de la continuité du financement des projets.
- Enfin, il serait nécessaire que les États membres puissent disposer d'un bilan complet et d'une évaluation du programme PHARE (qui a été engagé il y a plus de quatre ans) ce qui permettrait au demeurant à la Commission, comme le souligne la Cour des comptes, « de tenir dûment compte de l'expérience acquise ».
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C'est pourquoi il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1995, section III Commission, État des dépenses, Partie B, Crédits opérationnels, titre 7-6,
Considérant que la gestion du programme PHARE par la Commission européenne n'a pas jusqu'à présent été satisfaisante, tant en ce qui concerne ses modalités que ses orientations,
invite le Gouvernement à demander, lors de l'examen des crédits du chapitre 7-60 :
- une meilleure coordination du programme PHARE avec les aides des États membres de l'Union ainsi qu'avec les actions de la B.E.I. et de la B.E.R.D. ;
- une association plus étroite des pays bénéficiaires à la préparation et à l'exécution des programmes ;
- le recentrage de l'assistance technique vers des projets d'une utilité indiscutable, une meilleure maîtrise des coûts de cette assistance et un contrôle de sa qualité et de son efficacité ;
- une plus grande transparence dans l'attribution des contrats et une plus large diffusion de l'information sur les projets, notamment auprès des administrations des États membres,
- une réorientation de l'aide vers le soutien à la modernisation des infrastructures et le développement du secteur privé, en liaison notamment avec les activités de la B.E.R.D.
* (1) Voir Philippe Lemaître, « PHARE, le programme de soutien aux réformes », Le Monde , 10 avril 1993
* (2) Le Monde , 10 avril 1993.
* (3) Le Monde , 12 octobre 1992.
* (4) Les relations économiques entre la France et l'Europe centrale et orientale , rapport de M. Bertrand Renouvin, 26 avril 1994, pp. 112-114.