EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 avril 2015 sous la présidence de M. Jacques Gautier, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. André Trillard et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 353 (2014-2015) autorisant la ratification de la convention n° 188 de l'Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche.
M. André Trillard, rapporteur . - Le projet de loi dont nous sommes saisis vise à autoriser - à la suite de l'Assemblée nationale, qui l'a fait le 19 mars dernier - la ratification de la convention n° 188 de l'Organisation internationale du travail (O.I.T.), relative au travail dans la pêche. Cette convention a été adoptée par la Conférence internationale du travail en 2007, soutenue par la France et, plus largement, par une volonté commune des gouvernements, des organisations représentant les pêcheurs et des armateurs. Dans le contexte de la mondialisation du secteur, elle tend à actualiser et à renforcer les règles de l'O.I.T. existantes, et elle complète la convention du travail maritime adoptée par l'O.I.T. en 2006, qui a déjà été ratifiée par notre pays.
La définition de standards internationaux, en matière de travail dans la pêche, n'est pas facile. De petites entreprises artisanales ou familiales coexistent avec des sociétés qui pratiquent la pêche industrielle. On observe, entre les pays et les continents, une grande disparité des conditions de vie et de travail à bord des navires, ainsi qu'en termes de normes de sécurité et de contrôle... Néanmoins, avec cette convention, le secteur de la pêche disposera d'un véritable « code du travail mondial ».
Il s'agit d'offrir aux pêcheurs des conditions décentes de travail, alors que leur activité se caractérise par sa dureté et sa dangerosité. À travers le monde, quelque 55 millions de pêcheurs sont concernés - main d'oeuvre dont l'Asie fournit 80 % -, et plus de 4 millions de navires - flotte dont l'Asie fournit les trois quarts. La convention s'applique en effet, en principe, à tous les pêcheurs qui sont engagés dans des opérations de pêche commerciale. Elle comporte d'ailleurs des obligations plus contraignantes pour les plus gros navires - ceux dont la longueur est supérieure à 24 mètres ou qui naviguent durablement loin des côtes de l'État de leur pavillon.
Les responsabilités respectives de chaque acteur sont fixées par la convention. D'un côté, le patron a la responsabilité de prendre les mesures relatives à la sécurité des pêcheurs et du navire. De l'autre côté, l'armateur a l'obligation de fournir au patron les moyens nécessaires pour lui permettre de s'acquitter de ses obligations.
L'approche est à la fois globale et concrète : la convention fixe des garanties minimales qui concernent le nombre et la qualité de l'effectif des navires ; l'âge minimum des pêcheurs ; le régime de leur recrutement ; l'existence d'un accord d'engagement ; la régularité et la durée suffisante des repos ; le paiement mensuel ou à intervalles réguliers du salaire ; les conditions de logement, d'alimentation et d'hygiène à bord ; l'accès aux soins médicaux ; l'information et la formation en matière de sécurité et de prévention des accidents du travail ; le droit au rapatriement ; enfin, la sécurité sociale.
L'accent est mis sur l'information des pêcheurs quant à leurs droits, et sur la dimension humaine des accidents maritimes, donc sur l'importance des normes techniques. À cet égard, la convention n° 188 de l'O.I.T. s'inscrit dans un ensemble cohérent de normes internationales, aux côtés de la convention de Torremolinos de 1977, ratifiée par la France, qui contient des prescriptions de sécurité pour la construction et l'équipement des navires de pêche industrielle, et de la convention de l'Organisation maritime internationale (O.M.I.) sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille - convention dite « STCW-F » -, adoptée en 1995 et dont la France a engagé la ratification.
En outre, les procédures de contrôle sont accrues. D'une part, il revient aux États d'exercer leur juridiction et leur contrôle sur les navires battant leur pavillon, et une procédure de certification est instituée pour les plus gros navires : un document devra comporter la mention des inspections effectuées pour certifier la conformité des navires aux dispositions de la convention. D'autre part, cette convention introduit le principe du « contrôle de l'État du port » : tout État partie à la convention pourra ainsi assurer un contrôle de la conformité à cette convention des conditions de travail et de vie à bord des navires qui font escale dans ses ports, quel que soit leur pavillon. C'est une importante avancée.
Cela dit, la ratification et l'entrée en vigueur de cette convention entraîneront assez peu de conséquences pour la France, et pour la grande majorité des 18 000 marins et 7 200 navires qu'emploie notre pêche maritime. Je laisse de côté la pêche fluviale car, compte tenu du caractère marginal de cette pêche non-maritime en France, notre pays fera application des dispositions de la convention qui lui permettent de l'exclure du champ d'application du texte.
Il convient ici de rappeler que le droit social maritime français a été considérablement modernisé ces dernières années. Il comporte déjà un niveau de protection supérieur à celui que prévoit la convention n° 188 de l'O.I.T. En dernier lieu, la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable a pris en compte les dispositions de la convention de l'O.I.T. sur le travail maritime de 2006, et a anticipé sur certaines stipulations de la convention n° 188 - par exemple en inscrivant, dans le code des transports, la procédure de certification que j'évoquais.
Quelques ajustements seront encore nécessaires dans notre droit, mais la plupart à la marge, et d'ordre technique. Il n'y a qu'un enjeu vraiment significatif : il s'agit de la prise en compte de la main d'oeuvre non résidente, soit actuellement 600 marins, donc 3 % des hommes de notre pêche maritime seulement. D'une part, des non-résidents sont employés dans le cadre des accords de pêche de l'Union européenne avec les pays tiers. Cette main d'oeuvre se trouve d'ores et déjà couverte par les garanties prévues dans les accords européens, mais ces garanties devront être complétées pour tenir compte de la convention de l'O.I.T., notamment en ce qui concerne la couverture sociale des intéressés. D'autre part, des navires immatriculés en France métropolitaine, à Mayotte et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) font appel à des non-résidents en dehors des accords de pêche de l'Union européenne. Pour ces pêcheurs, un régime juridique de protection sociale « ad hoc » devra être aménagé.
Hormis ce point, la mise en oeuvre de la convention, pour la France, ne conduira à aucune modification majeure, et par conséquent, à aucune adaptation substantielle pour les armateurs et les patrons.
En revanche, cette ratification par la France pourra avoir un effet d'entraînement sur d'autres États. Pour l'heure, seuls cinq États, tous côtiers, ont ratifié la convention : la Bosnie-Herzégovine, l'Argentine, le Maroc, l'Afrique du Sud et la République démocratique du Congo. Or, pour entrer en vigueur, la convention doit avoir été ratifiée par dix États, dont huit côtiers. Il est évidemment opportun que la France, grande nation maritime, figure parmi les dix premiers à ratifier une convention dont on peut attendre, au plan international, une amélioration du niveau de protection sociale des pêcheurs.
Mais la mise en oeuvre de cette convention représentera surtout un enjeu d'harmonisation juridique au sein de l'Union européenne. En effet, comme je l'ai indiqué, la convention s'applique, en principe, à tous les pêcheurs, y compris les pêcheurs rémunérés « à la part ». En France, ces pêcheurs se trouvent couverts par l'ensemble de la législation sociale applicable au secteur. Dans d'autres États-membres, au contraire, ils sont considérés comme des travailleurs indépendants et, de ce fait, ils ne se voient pas appliquer les directives européennes concernant les pêcheurs, notamment en matière de temps de travail ou de santé et sécurité au travail. La ratification de la convention n° 188 de l'O.I.T. au sein de l'Union européenne devrait donc conduire à une convergence juridique favorable à la protection sociale.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'autoriser la ratification de cette convention et d'adopter en conséquence le projet de loi.
M. Jacques Gautier, président . - Merci pour ce rapport à la fois précis et concis.
M. André Trillard, rapporteur . - J'ajoute que la faible portée de cette convention pour notre pays justifie que l'on procède à un examen en forme simplifiée du projet de loi qui autorise sa ratification.
La commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté sans modification le projet de loi. Conformément aux orientations de son rapport d'information n° 204 (2014-2015) adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du rapport du rapporteur sous une forme synthétique.