EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 mai avril 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Monique Lubin, rapporteur, sur la proposition de loi (n° 230, 2024-2025) visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Monique Lubin et du texte de la commission sur la proposition de loi, présentée par Thierry Cozic, visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés.
Ce texte est inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat, dans le cadre de l'espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), le jeudi 15 mai après-midi.
Notre rapporteure n'ayant pu se libérer ce matin, elle sera suppléée, dans sa présentation, par Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou, rapporteure, en remplacement de Mme Monique Lubin. - Avant toute chose, je vous prie de bien vouloir excuser la rapporteure Monique Lubin, qui ne peut être présente parmi nous ce matin, et qui m'a chargée de présenter ses travaux sur la base des auditions menées.
La proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic prévoit de limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés. Les mesures envisagées s'inscrivent dans un contexte de multiplication des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), que nous constatons malheureusement toutes et tous sur nos territoires, appelant ainsi à une action rapide et déterminée du législateur.
Avant d'en venir aux dispositions de la présente proposition de loi, et à leur intérêt pour répondre aux abus identifiés auprès de certaines grandes entreprises, permettez-moi de rappeler brièvement le cadre légal propre aux licenciements pour motif économique.
Le licenciement économique est un cas unique en droit du travail, puisqu'il trouve sa cause non pas dans la situation ou le travail du salarié, mais dans des circonstances qui lui sont extérieures : les « raisons économiques » qui légitiment son licenciement. Cette exception a longtemps valu qu'une autorisation administrative préalable soit accordée, avant de faire place à une appréciation a posteriori des motifs allégués par l'entreprise par le juge judiciaire.
Progressivement, les critères relevant du licenciement économique ont été précisés par le juge, puis codifiés par le législateur. Ils sont aujourd'hui au nombre de quatre. D'abord, le critère le plus commun, puisqu'il a été invoqué par 46 % des entreprises ayant procédé à un plan de sauvegarde de l'emploi en 2024, est celui des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise. Ces difficultés économiques sont définies par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique de l'entreprise : baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, pertes d'exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation. Restent ensuite des critères plus généraux, qui correspondent aux mutations technologiques se traduisant par une transformation de l'emploi, liée par exemple à la numérisation, à la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou à la cessation d'activité de l'entreprise.
Il convient de souligner que ces causes de licenciement sont appréciées au niveau du secteur d'activité commun à l'entreprise au sein du groupe, sur le seul territoire national, et non de l'ensemble du groupe, ce qui explique qu'un groupe de dimension européenne ou mondiale puisse être fortement profitable, tout en procédant à des licenciements pour motif économique sur un site particulier.
Enfin, compte tenu de l'objet de la présente proposition de loi, qui concerne les entreprises d'au moins 250 salariés, je présenterai brièvement la procédure propre aux licenciements économiques dits « grands licenciements collectifs », c'est-à-dire concernant plus de 10 salariés dans une même période de trente jours.
Dans ce cas, les entreprises de plus de 50 salariés sont en effet tenues de recourir à un PSE. Ce dernier doit, afin de limiter les destructions d'emplois, comporter des actions en vue du reclassement interne des salariés sur le territoire national, des mesures favorisant la reprise de tout ou partie des activités pour éviter la fermeture d'un établissement, ou encore des actions facilitant le reclassement externe dans le bassin d'emploi. Il peut également prévoir un plan de départs volontaires. Ce PSE peut être déterminé par un accord collectif ou, à défaut, être établi par un document unilatéral de l'employeur, et fait l'objet respectivement d'une validation ou d'une homologation par les services déconcentrés de l'État, qui peuvent dès lors proposer des modifications du PSE avant la dernière réunion du comité social et économique (CSE).
Je formulerai quelques éléments de constat.
Je l'évoquais en préambule, et ces chiffres ne surprendront malheureusement personne, nous assistons à une hausse inquiétante des PSE et des licenciements économiques en France. Lors de son audition, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a précisé que le nombre de PSE avait augmenté de 30 % de 2023 à 2024, et que 129 PSE avaient déjà été enclenchés entre le 1er janvier et le 28 février 2025. Le constat est sans appel, puisque plus de 77 000 emplois risquent ainsi d'être supprimés au titre des PSE validés en 2024, et les prévisions de l'Insee indiquent que cet étiage devrait être dépassé en 2025. Or, nous le savons tous, il est beaucoup plus difficile pour un travailleur de retrouver une activité dans un bassin d'emploi sinistré à la suite d'un PSE qu'ailleurs.
Face à ce constat, plusieurs organisations syndicales entendues lors des auditions ont souligné l'inadaptation du droit pour caractériser les « difficultés économiques » rencontrées par une entreprise ouvrant la possibilité de recourir au licenciement économique. Ces critiques visent tout particulièrement certaines opérations, notamment d'ordre financier, réalisées par les entreprises. Elles soulignent notamment que la capacité d'une entreprise à distribuer des dividendes, parfois de façon massive, ou à poursuivre un programme d'actionnariat salarié en faveur de ses dirigeants, peut légitimement être considérée comme le signe d'une absence de difficultés économiques réelles, et devrait logiquement faire obstacle au recours à un licenciement économique.
Ce constat avait déjà conduit à une proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, qui avait été adoptée par notre commission en 2012. Cette logique peut être étendue à d'autres critères, à commencer par le fait d'avoir bénéficié d'aides publiques, telles que le crédit d'impôt recherche (CIR), ou encore d'exonérations de cotisations patronales consenties afin de soutenir la compétitivité des entreprises.
Cette réflexion trouve un sens nouveau dans le contexte actuel. En effet, les PSE qui font l'objet de la plus grande visibilité médiatique semblent accréditer les observations formulées par les organisations syndicales. J'attire votre attention, à titre d'exemple et non pas de stigmatisation, sur le cas de quelques entreprises.
Le groupe Michelin a annoncé un PSE tendant à la suppression de 1 254 salariés sur les sites du Maine-et-Loire et du Morbihan, après avoir versé 1,4 milliard d'euros à ses actionnaires en 2024. De même, Sanofi entend supprimer plus de 330 postes, alors que le groupe a bénéficié de plus de 100 millions d'euros de CIR, a versé près de 4,4 milliards d'euros de dividendes en 2023 et procédé à 600 millions d'euros de rachat d'actions. Enfin, l'instruction de cette proposition de loi a été rattrapée par l'actualité avec le cas d'ArcelorMittal, qui annonce un PSE de l'ordre de 637 emplois, et qui pourtant a distribué en moyenne 200 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires sur les dix dernières années.
La proposition de loi que nous examinons ce matin tend précisément à répondre aux incohérences qui viennent d'être soulignées et qui choquent, à juste titre, les salariés concernés et une grande partie de l'opinion publique.
L'article 1er prévoit d'interdire le recours au licenciement économique pour les entreprises d'au moins 250 salariés qui, durant leur dernier exercice comptable, ont procédé à une distribution de dividendes, à une attribution d'actions gratuites ou à un rachat d'actions. Le recours au licenciement économique serait également rendu impossible si, dans les mêmes bornes temporelles, l'entreprise a réalisé un résultat positif, a bénéficié du CIR ou du dispositif des allégements généraux de cotisations patronales.
L'article 2 tend en conséquence à prévoir une sanction pour l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant de certaines aides publiques comme le CIR ou les allégements dégressifs de cotisations sociales. Il s'agit là de dissuader les entreprises de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, alors que le plafonnement des indemnités de licenciement, par les ordonnances dites « Macron » de 2017, a réduit le risque encouru pour les employeurs fautifs.
Au terme des auditions, l'intérêt de cette proposition de loi paraît réel, et l'encadrement qu'elle prévoit équilibré. Elle ne consiste pas en effet à nier l'importance pour les entreprises placées en réelle difficulté, en raison d'activités devenues non rentables, de pouvoir procéder à des licenciements. Il s'agit plutôt d'opérer une mise en cohérence, voire même une moralisation, des actions des entreprises. Les opérations financières concernées peuvent en effet répondre à des besoins des entreprises, voire être utilisées au bénéfice des salariés. Toutefois, dans ce cas, il faut bien convenir que l'on ne peut pas véritablement parler de « difficultés économiques ».
Plus fondamentalement, il me semble que cet encadrement relève d'une forme de justice. En effet, de même que les bénéfices font l'objet, au sein de l'entreprise, d'un partage de la valeur, les risques d'une activité économique devraient être portés conjointement par les salariés et par l'actionnariat en cas de plan de redressement. Lorsqu'un PSE est accompagné d'une distribution de dividendes pour les actionnaires, les efforts sont répartis de manière manifestement déséquilibrée. Cet encadrement permettrait également de limiter les cas, fort heureusement assez rares, où le licenciement économique est utilisé comme un levier pour augmenter la valorisation financière de l'entreprise à court terme, sans lien avec une activité économique pérenne.
Évidemment, les mécanismes prévus ne permettront pas de répondre à l'ensemble des enjeux sous-jacents à cette multiplication des PSE. Le rééquilibrage du droit du travail en faveur de la protection des salariés pourra faire intervenir d'autres dispositifs : ajout de nouvelles missions à l'administration chargée de contrôler les PSE, redéfinition des causes économiques justificatives du licenciement ou de son périmètre d'application.
Enfin, la proposition de loi apporte une première réponse au sujet, peut-être encore plus complexe, de la conditionnalité des aides publiques. Dans un contexte de finances publiques plus dégradées que jamais, il ne paraît pas légitime qu'une entreprise bénéficiant d'allégements de cotisations sociales ou du CIR, et donc d'un soutien coûteux pour les finances publiques, puisse procéder à des licenciements économiques sans en rendre compte.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite à adopter cette proposition de loi, afin d'apporter une réponse concrète au désarroi des salariés victimes de licenciement économique.
Pour finir, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il revient à la rapporteure de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Il vous est proposé que ce périmètre comprenne des dispositions relatives au droit du licenciement économique, et notamment aux conditions de mise en oeuvre du licenciement.
En revanche, ne présenteraient aucun lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux dispositifs de dépenses fiscales ou d'allègements de cotisations sociales patronales, ainsi qu'au droit régissant la distribution de dividendes ou la modification du capital social et de l'actionnariat des salariés.
Mme Frédérique Puissat. - Je remercie Thierry Cozic, Mme la rapporteure, ainsi que tous nos collègues qui ont porté cette proposition de loi, et ce pour deux raisons.
Dans nos territoires, nous sommes tous touchés - parfois très directement, jusque dans notre entourage proche - par les licenciements économiques, qui représentent un enjeu sensible pour les personnes concernées. En outre, nos collègues font preuve de constance : ce texte visant à « administrer l'économie » n'est pas le premier du genre et avait déjà été adopté par la commission des affaires sociales en 2012, sous la présidence d'Annie David, sans toutefois être voté en séance publique.
Cela étant dit, nous n'avons pas la même vision de l'économie, car notre approche est plus libérale. La décision de licencier est toujours très difficile à prendre pour un chef d'entreprise. Mais certains licenciements économiques, bien qu'ils doivent être justifiés par une cause réelle et sérieuse, sont nécessaires pour préserver la compétitivité des entreprises et éviter des suppressions massives d'emplois. Des entreprises de plus de 250 salariés ont parfois dû procéder à des licenciements tout en poursuivant leur activité, voire en réembauchant par la suite.
Si le présent texte était adopté, il empêcherait les entreprises de s'inscrire dans cette logique et entraînerait des pertes d'emplois. En effet, si l'on considère les critères proposés, notamment celui des allégements de cotisations, qui concerne, en réalité, toutes les entreprises de plus de 250 salariés, nous pouvons en déduire qu'aucune entreprise de cette taille ne pourrait plus licencier.
C'est pourquoi, même si nous respectons la vision économique de nos collègues, le groupe Les Républicains (LR) ne votera pas ce texte.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je remercie également Mme la rapporteure.
Il ne s'agit pas simplement d'une question de vision. Une approche de l'économie présentée comme libérale peut parfaitement coexister avec une intervention massive de l'État. L'Inspection générale des finances (IGF) évalue à 99 milliards d'euros l'ensemble des dispositifs d'aides, sans compter les allégements généraux estimés en 2024 à 75 milliards d'euros par la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), soit un total de 174 milliards d'euros d'aides publiques. Cela ne correspond pas à une vision libérale fondée sur la non-intervention de l'État. On pourrait même parler d'un « acharnement thérapeutique » pour maintenir ces aides !
Lorsque vous dites, Madame Puissat, que la décision de licencier est difficile à prendre, vous parlez très certainement des PME au sein de vos territoires. Mais je vous invite à regarder ce qui se passe dans les grands groupes. Forte de mon expérience en tant que consultante, notamment dans le cadre des lois Auroux sur les licenciements et les PSE, j'ai constaté que ces mesures sont souvent utilisées comme des leviers de valorisation boursière. Après des licenciements, le capital des entreprises se porte très bien et ces dernières redistribuent dividendes et actions gratuites.
La Cour des comptes estime que les aides publiques aux entreprises en réponse à la crise du covid ont représenté jusqu'à 260 milliards d'euros pour la période 2020-2022, soit environ 10 % du PIB. Si cela relève d'un modèle libéral, je dois sans plus tarder réviser mes anciens cours d'économie...
Il me semble nécessaire d'évaluer en amont l'efficacité de ces aides, tant en matière d'emploi que de compétitivité, au regard des sommes en jeu. On prétend soutenir l'emploi, mais qu'en est-il réellement ? Le cas du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est parlant : plusieurs milliards d'euros ont été mobilisés pour, en définitive, 100 000 emplois créés, et l'on admet aujourd'hui que cette politique fut une erreur.
Je suis convaincue que ces aides gagneraient à être ciblées - sur la recherche, l'emploi ou la compétitivité -, et conditionnées à des résultats. On exige bien des contreparties de la part des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ; il doit en être de même pour les entreprises.
Chaque année, nous déposons des amendements en ce sens, et je ne comprends pas pourquoi vous refusez cette logique de conditionnement. Cela permettrait, par exemple, d'exiger le remboursement des aides lorsqu'un groupe comme Michelin décide de licencier tout en distribuant des dividendes.
Il faut aussi renforcer les contrôles, l'administration elle-même reconnaissant qu'ils demeurent largement insuffisants. Je pense notamment aux aides à la recherche, dont bénéficient certains groupes comme Solvay, y compris pour la transition écologique, tout en continuant à polluer et à mettre en danger la santé de leurs salariés.
Enfin, si les conditions ne sont pas respectées, il faut pouvoir exiger un remboursement, selon la logique que vous préconisez pour les prestations sociales : conditionner, contrôler, évaluer et rembourser en cas d'usage abusif. Cette chaîne du bon usage de l'argent public devrait s'appliquer de la même manière aux aides aux entreprises, qui représentent désormais une part non négligeable du PIB.
Pour autant, je ne suis pas défavorable à l'attribution d'aides, surtout aux très petites entreprises, souvent composées de moins de trois salariés. Ces entreprises licencient souvent à contrecoeur, en raison de pertes de compétences ou de difficultés de recrutement, mais ce n'est pas le cas des grands groupes, qui perçoivent d'importantes aides et licencient malgré tout. Ces aides, notamment les exonérations sociales censées soutenir l'emploi, doivent pouvoir être remboursées a posteriori.
Mme Marion Canalès. - Mme la rapporteure a indiqué que 46 % des entreprises justifient leurs licenciements par des difficultés économiques. C'est précisément l'objet de cette proposition de loi : non pas administrer, mais réguler l'économie pour que les licenciements demeurent justifiés.
Nous visons, avec ce texte de loi, de grandes entreprises, qui organisent parfois leur propre fragilité dans le cadre juridique du groupe. Je pense notamment à la galaxie Mulliez, propriétaire d'Auchan, qui supprime 2 400 emplois alors qu'elle verse 1 milliard d'euros de dividendes, grâce à des enseignes très rentables comme Decathlon ou Leroy Merlin, tout en ayant perçu, en dix ans, 630 millions d'euros d'aides fiscales, 1,3 milliard d'euros de réductions de cotisations sociales et 67 millions d'euros d'aides à l'embauche. Ce groupe fait aussi le choix de fermer certaines enseignes moins rentables dans des quartiers prioritaires de la ville, avec des conséquences directes pour nos territoires.
Le président d'Auchan a reconnu, lors d'une récente audition devant la commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, que le soutien de l'État avait contribué à renforcer la compétitivité de l'entreprise et qu'il serait probablement légitime de flécher des contreparties. C'est précisément le sens de cette proposition de loi : s'il y a rupture du pacte moral que représente l'aide publique, il est légitime d'empêcher les licenciements ou de procéder à des remboursements.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je salue la présentation de cette proposition de loi, dans la continuité de celle qui a été déposée en son temps par Annie David, et j'attends les conclusions de la commission d'enquête précitée, rapportée par notre collègue Fabien Gay. Nous serons nombreux, je le crois, à être interpellés par ses travaux, tant certains faits sont proprement scandaleux.
Mon département du Pas-de-Calais est depuis longtemps fortement touché par les licenciements économiques. Je pense notamment aux salariés de Logil, qui, voilà deux ans, ont découvert la fermeture de leur entreprise de Noyelles-sous-Lens en arrivant le matin au travail, sans aucun interlocuteur pour les accueillir. Je pourrais citer aussi Prysmian à Calais, ou encore ArcelorMittal, des entreprises qui ont reçu des centaines de millions d'aides publiques, de l'État ou des collectivités territoriales.
Pour moi, il est clair qu'une entreprise qui ferme ou délocalise du jour au lendemain doit rembourser les aides perçues. Il est inadmissible que l'argent public serve à financer des dividendes, puis des licenciements.
Mme Corinne Bourcier. - S'il est vrai que certaines aides publiques ont pu être mal utilisées, interdire les licenciements économiques pour les entreprises qui bénéficient d'aides ou d'allégements de cotisations n'est pas une solution. J'ai bien conscience des difficultés dans lesquelles les licenciements plongent les salariés et leurs familles - je vois notamment le cas de l'entreprise Michelin à Cholet -, mais je n'ai pas la même vision que vous sur la manière d'agir, tout en reconnaissant votre constance sur ces sujets, à l'instar de Frédérique Puissat.
Un dirigeant d'entreprise a la responsabilité de rémunérer ses salariés, d'investir pour l'avenir et, parfois, de verser des dividendes pour sécuriser les investissements de ses actionnaires. Interdire les licenciements ne sauvera pas les emplois quand une entreprise est en difficulté ; cela pourra même précipiter sa chute. Aucun dirigeant ne licencie par plaisir.
Rappelons enfin que le code du travail encadre strictement le licenciement économique. S'il n'est pas justifié, le juge peut l'annuler. Ce débat est utile, mais nous restons opposés à l'administration de l'économie que vous proposez au travers de ce texte.
Mme Pascale Gruny. - Le sujet est important et mérite débat, mais je trouve la proposition prématurée. Attendons les conclusions de la commission d'enquête sur les aides publiques. Au regard des critères retenus dans le texte, nous avons l'impression que vous souhaitez interdire tous les licenciements économiques. Or, c'est plutôt au cas par cas qu'il faut raisonner, chaque situation d'entreprise étant différente. Certaines entreprises licencient pour préserver l'essentiel, notamment lorsque les prévisions économiques sont mauvaises, même si leurs résultats sont bons à court terme.
Quant aux dividendes, ce n'est pas le diable ! Ils rémunèrent un risque. Si tous les actionnaires partaient investir ailleurs, il n'y aurait plus d'emplois. Il faut arrêter de les caricaturer. Ce sont aussi des épargnants, des retraités...
J'ai dû, par le passé, procéder à des licenciements économiques, parfois localement, même quand le groupe était rentable. Ce sont des décisions extrêmement douloureuses, mais parfois nécessaires.
Quant aux allégements de charges sociales, il faut encore le rappeler : ils sont indispensables, car le coût du travail en France demeure trop élevé. Je suis d'accord sur la nécessité de mieux contrôler, mais votre texte est trop général. Je voterai contre.
M. Olivier Henno. - Dans un contexte de turbulences économiques et de faible croissance, il est tout à fait logique que ces sujets reviennent dans le débat public. Pour moi, il n'y a aucun tabou : quand une entreprise ne respecte pas ses engagements, elle doit rembourser les aides publiques. Mais il ne me semble pas pertinent de lier mécaniquement la question des aides publiques à celle des licenciements économiques.
Le monde est concurrentiel. Il faut que nos entreprises puissent s'adapter, même celles de plus de 250 salariés. Si l'on interdit les licenciements, certaines ne survivront pas, et quand une entreprise disparaît, c'est un savoir-faire, un bassin d'emploi, un tissu économique qui s'effondre.
Je comprends les préoccupations, elles sont légitimes, mais ce texte apporte de mauvaises réponses. Je ne le voterai pas.
Mme Émilienne Poumirol. - Je souhaite apporter une précision importante : cette proposition de loi ne vise en aucun cas à interdire l'ensemble des licenciements économiques. Elle n'a pas pour objet de contester la réalisation de profits par les entreprises, puisqu'il s'agit du principe même d'une entreprise. L'objectif du texte est de mieux encadrer certaines pratiques choquantes, dans un esprit de responsabilité.
Permettez-moi de rappeler l'exemple emblématique de l'entreprise Sanofi, auditionnée en 2021 par notre commission. À cette occasion, le directeur de Sanofi France a assumé, non sans un certain cynisme, la suppression de 400 postes de chercheurs sur le site de Strasbourg. Cette décision, qualifiée de « choix stratégique », visait à réorienter l'activité vers la thérapie génique, jugée plus prometteuse économiquement. Or, dans le même temps, Sanofi affichait un bénéfice net de 11 milliards d'euros, dont 4 milliards reversés aux actionnaires sous forme de dividendes, et continuait par ailleurs de bénéficier du crédit d'impôt recherche, pourtant conçu pour soutenir l'emploi et l'innovation sur notre territoire.
Ces pratiques posent clairement question. Peut-on encore justifier l'octroi de fonds publics à des entreprises qui, tout en réalisant des profits considérables, suppriment massivement des emplois ? Cette proposition de loi, soutenue par notre groupe, entend justement poser des limites à ces dérives.
Mme Anne-Marie Nédélec. - Il est important de ne pas caricaturer. Il serait injuste de considérer que toutes les entreprises bénéficiant d'aides publiques se comportent comme des bandits. Si la commission d'enquête actuellement en cours sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dont je suis membre, a permis de mettre en lumière des dysfonctionnements, ils ne sont pas non plus majoritaires.
Il convient également de rappeler que chaque aide publique répond à une finalité bien précise. Le crédit d'impôt recherche, par exemple, n'a pas vocation à maintenir l'emploi, mais à soutenir l'effort de recherche et développement. D'autres dispositifs sont conçus pour accompagner la transition écologique ou favoriser l'innovation industrielle.
Notre système économique est complexe : d'un côté, la fiscalité française reste lourde, notamment sur le travail ; de l'autre, les exonérations et subventions permettent d'en atténuer les effets. Idéalement, il faudrait une réforme systémique, qui irait bien au-delà du cadre de la présente proposition de loi.
La commission d'enquête ne vise par ailleurs que les grandes entreprises, dont il ne faut pas oublier qu'elles contribuent de manière significative à la richesse nationale, à l'emploi, mais aussi à la fiscalité. Les impôts qu'elles payent en France sont souvent supérieurs au chiffre d'affaires qu'elles réalisent sur notre sol.
La proposition de loi vise, pour sa part, toutes les entreprises de plus de 250 salariés. Or, un grand nombre d'entre elles sont des sous-traitantes, notamment dans le secteur automobile, qui subit actuellement une transformation industrielle majeure avec la perspective de la disparition des moteurs thermiques en 2035. Ces entreprises sont fragilisées et doivent s'adapter. Il serait contre-productif de leur imposer des contraintes supplémentaires, qui pourraient nuire à leur survie. Ne tombons pas dans la caricature en opposant systématiquement travail et capital.
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Nous sommes tous d'accord : les licenciements économiques peuvent, dans certains cas, être nécessaires, notamment pour permettre aux entreprises de rester compétitives. Cette proposition de loi vise simplement à répondre à certains abus que nous connaissons bien. Je pense notamment à ces grandes entreprises qui, tout en versant régulièrement des dividendes très importants - le cas d'Auchan a été cité -, procèdent à des licenciements. Ces décisions ont des conséquences humaines très lourdes, et nous en faisons tous l'expérience dans nos départements. Chaque fois, cela nous affecte profondément.
Je veux être claire : il ne s'agit nullement de revenir à une économie administrée en réimposant une autorisation préalable aux licenciements comme cela a existé en France jusque dans les années 1970. L'objectif est tout autre. Il s'agit de responsabiliser davantage les entreprises, en particulier celles qui bénéficient d'un soutien public conséquent.
En 2019, sur cinq euros de profits, un euro était distribué aux actionnaires. En 2023, la moitié du profit revient désormais aux actionnaires. Il est donc légitime de s'interroger : comment partager de façon équilibrée la richesse produite ? Quelle part revient aux actionnaires ? Quelle part doit revenir aux salariés, en termes de rémunération, mais aussi en termes de sécurité de l'emploi ? Car, faut-il le rappeler, une entreprise ne fonctionne pas sans ses salariés.
L'objectif est donc bien de limiter les excès que l'on constate aujourd'hui dans certaines entreprises.
Il me semble indispensable d'évaluer l'impact des aides publiques accordées aux entreprises. Ces exonérations ont un objectif - préserver l'emploi, soutenir la compétitivité -, mais encore faut-il que cela soit vérifié. Il faut que ces objectifs fassent l'objet d'un contrôle effectif.
Je pense aussi que la commission d'enquête en cours sur les aides publiques mettra en lumière des éléments importants, et confirmera la nécessité de trouver un juste équilibre entre la liberté d'entreprendre, qui doit être garantie, et le droit à l'emploi, qui est fondamental. Mme Nédélec l'a rappelé à juste titre, l'entreprise, c'est à la fois du capital et des salariés. L'un ne doit pas s'opposer à l'autre. Il faut trouver un équilibre durable entre les deux.
Depuis 2012, plusieurs réformes ont allégé le droit du travail, notamment la loi dite El Khomri en 2016, puis les ordonnances dites Macron. Le droit du licenciement a été assoupli. La première des contreparties, c'est d'éviter que cela ne donne lieu à des dérives. C'est aussi l'esprit de ce texte.
Il faut rappeler que les indemnités prud'homales ont été plafonnées en 2017. Le risque juridique pour l'employeur est donc aujourd'hui limité. Il me semble que, dans ces conditions, il est juste d'attendre en retour un effort de maintien de l'emploi, et a minima une absence d'abus. On ne peut accepter que, d'un côté, des dividendes soient distribués à grande échelle, et que, de l'autre, des licenciements soient engagés sans justification réelle en termes de difficultés économiques ou de perte de compétitivité.
Enfin, il faut interroger le périmètre retenu pour apprécier la situation économique de l'entreprise. Le droit actuel limite cette évaluation au périmètre national, sans tenir compte de la situation globale du groupe, au niveau européen ou mondial. Cela facilite certaines dérives. Je pense ici aux transferts de savoir-faire. Nous avons vu des entreprises recevoir des aides pour développer des compétences précises, puis délocaliser en Inde ou ailleurs une fois l'aide encaissée. Résultat : les emplois sont détruits, le savoir-faire disparaît, et nous perdons des capacités de production et d'innovation sur notre propre territoire.
Il y a donc aussi là un enjeu de souveraineté économique. Il faut pouvoir soutenir les entreprises, mais à condition qu'elles jouent le jeu. Ce texte s'inscrit dans cette logique de réciprocité et d'équité.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles 1eret 2
Les articles 1eret 2 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.