N° 750
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur le projet de loi autorisant l'approbation de la
convention d'entraide
judiciaire
en matière
pénale entre le Gouvernement de
la République française
et le
Gouvernement de la
République du
Suriname
(procédure
accélérée),
Par M. Ludovic HAYE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
553 et 751 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le présent projet de loi a pour objet, dans le contexte d'une relation bilatérale en construction, l'approbation d'une Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
Longtemps considéré comme un narco-État, le Suriname, à la faveur des élections générales de 2020, a entrepris un retour sur la scène internationale qui a permis notamment d'importantes avancées dans les relations unissant nos deux pays. C'est ainsi que le différend frontalier, qui constituait un « irritant » depuis plus d'un siècle, est en passe de résolution ; qu'une coopération a pu être développée sur le fleuve Maroni pour lutter contre l'orpaillage illégal grâce à des patrouilles armées conjointes ; que TotalEnergie a annoncé l'investissement de 10,5 milliards de dollars (Mds USD) dans le projet pétrolier GranMorgu visant à l'exploitation offshore du « bloc 58 » -soit plus de 750 millions de barils.
Cependant, les promesses de développement du pays sont entachées par l'emprise grandissante du narcotrafic, pour lequel le Suriname représente une plaque tournante : hub régional du réseau logistique du trafic de cocaïne, notamment d'origine colombienne, il est devenu l'un des principaux pourvoyeurs de la drogue à destination de l'Europe et de la France.
Le texte proposé, conforme aux standards juridiques français et internationaux, devrait permettre de lutter plus efficacement contre la criminalité organisée et en particulier contre ce fléau, en définissant un cadre juridique stable sur la base duquel pourra être mise en place une coopération judiciaire « la plus large possible ».
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.
I. APPROCHE CONTEXTUELLE : LE SURINAME, FRAGILITÉS ET PROMESSES
Ancienne colonie néerlandaise, qui a obtenu son indépendance en 1975, la république du Suriname, située sur le plateau des Guyanes - entre le Guyana et la Guyane française-, représente, avec ses 163 270 km² et ses 628 886 habitants, le plus petit pays d'Amérique du Sud. Elle est recouverte à 95% par la forêt amazonienne.
Source : Quai d'Orsay
A. UNE ÉCONOMIE REPOSANT SUR LE SECTEUR PRIMAIRE ET LES RICHESSES MINIÈRES
1) La nécessaire modernisation du secteur agricole
Avec à peine 1% de terres arables - concentrées principalement dans les régions côtières -, dont seulement la moitié cultivées, l'agriculture surinamaise apparaît peu développée. Le secteur agricole produit essentiellement, selon un modèle traditionnel, du riz -principale culture vivrière du pays-, de la canne à sucre, des bananes et du bois ; il représente moins de 10% du PIB surinamais ; cependant, il emploie près d'un quart de la population du pays.
Pour combler ce retard de développement, le secteur devra relever les défis de la productivité et de la diversification, et faire face à des enjeux fonciers et environnementaux majeurs.
2) L'industrie minière, principale activité économique du pays...
Le Suriname exploite ses ressources minières depuis le début du XXème siècle : il jouit d'importants gisements d'or et de bauxite, dont l'exploitation génère près de la moitié des revenus du secteur public.
Cependant, ces richesses, exploitées pour l'essentiel par des multinationales étrangères (USA, Canada, Pays-Bas, Australie, Chine...), sont exportées en totalité et ne créent que peu d'emplois dans le pays.
Les réserves de bauxite, localisées notamment dans les zones de haute altitude (Bakhuis et Nassau), ainsi que dans les zones côtières, sont estimées à plus de 580 millions de tonnes. L'entreprise américaine Alcoa (via sa filiale Suralco) a dominé le secteur pendant des années, construisant des mines, des raffineries et même un barrage hydroélectrique (le barrage de Brokopondo) pour alimenter les usines en électricité. Cependant, depuis les années 2000, la production de bauxite a fortement diminué en raison de l'épuisement des réserves les plus accessibles et du désengagement d'Alcoa à compter de 2015, laissant derrière elle des dommages environnementaux et sociaux importants1(*). Une partie des réserves potentielles n'est pas exploitée à ce jour en raison de défis logistiques, environnementaux et économiques dans des régions reculées ou difficiles d'accès.
La production d'or annuelle, en 2022, s'élevait à 18 tonnes2(*) et elle génère 80% des recettes d'exportation du Suriname. Le district de Brokopondo, au nord-est du pays, recèle notamment des gisements considérables, qui ont fait récemment l'objet d'importants investissements chinois : ainsi, en 2022, la société Zijin Mining a acquis 95% de l'important site de Rosebel - l'une des plus grandes mines d'or à ciel ouvert opérationnelles en Amérique du Sud - et 70% du site adjacent de Saramacca. L'exploitation illégale de ces ressources, avec ses conséquences dramatiques sur l'environnement, constitue par ailleurs un fléau majeur auquel le pays, comme ses voisins guyanais et brésilien), se trouve confronté (voir C.2. ci-après).
3) ...confrontée aux défis de la diversification et de la modernisation
La COFACE3(*) cite parmi les points faibles de l'économie surinamaise son « Économie peu diversifiée : dépendante de l'or, du pétrole et de l'aluminium ». De fait, si le potentiel de développement du pays est important dans le contexte actuel de reprise économique, tant ses infrastructures que ses petites et moyennes entreprises et ses services appellent une « mise à niveau » pour que le pays devienne pleinement attractif.
La dernière crise en date occasionnée par les difficultés de mise à niveau des infrastructures surinamaises est la suspension de l'autorisation de vol de la compagnie Suriname Airways dans l'espace aérien européen - et notamment guyanais, suite au défaut de conformité constaté par l'Agence européenne de la sécurité aérienne. En conséquence, la liaison avec Cayenne est actuellement interrompue4(*).
* 1 Cf L'aluminium au Suriname (1898-2020) : Une industrie qui disparaît, mais dont les impacts sur les communautés marrons demeurent, Revue internationale de politique et de développement, 16/2023.
* 2 Source : https://www.ceicdata.com/en/indicator/suriname/gold-production.
* 3 Cf https://www.coface.com/fr/actualites-economie-conseils-d-experts/tableau-de-bord-des-risques-economiques /fiches-risques-pays/suriname
* 4 Voir France-Guyane, 6 juin 2035 : Après l'arrêt des vols surinamais, « nous sommes coupés du monde », par Eric Gernez.