Rapport n° 114 (1995-1996) de M. Charles JOLIBOIS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 décembre 1995
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I. LA CONFIRMATION DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE
CASSATION NE JUSTIFIE PAS DE STATUER SUR LE FOND DANS L'URGENCE
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II. LA COMMUNICATION DES COPIES DES PIÈCES DU
DOSSIER PAR L'AVOCAT À SON CLIENT N'EST ENVISAGEABLE QUE DANS LE CADRE
D'UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR LA TRANSPARENCE DE LA MISE EN
ÉTAT
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ANNEXES
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ANNEXE 1 - EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA
RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 8 NOVEMBRE 1995
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ANNEXE 2 - PROPOSITIONS DE CONCLUSIONS SOUMISES PAR
M. DREYFUS-SCHMIDT À LA COMMISSION DES LOIS LE 8 NOVEMBRE 1995
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ANNEXE 3 - EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DE LA
RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 6 DÉCEMBRE 1995
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ANNEXE 1 - EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA
RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 8 NOVEMBRE 1995
N° 114
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 6 décembre 1995.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi présentée par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mmes Françoise SELIGMANN, Josette DURRIEU et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachés, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
Par M. Charles JOLIBOIS,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès. Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ;Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich
Voir le numéro :
Sénat : 378 (1994-1995).
Justice.
Mesdames, Messieurs,
A l'occasion de deux arrêts rendus par la Cour de cassation en assemblée plénière le 30 juin 1995, M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste ont déposé le 17 juillet la proposition de loi autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
Or, loin de poser un problème nouveau, ces arrêts ne faisaient que confirmer la jurisprudence constante de la Cour de cassation devant le texte clair de l'article 114 du code de procédure pénale : aux termes de cette disposition, l'avocat peut se faire délivrer, à ses frais, pour son usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.
En conséquence, dit la Cour de cassation, s'il peut examiner ces copies avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, « il ne saurait en revanche lui remettre ces copies (... qui) doivent demeurer couvertes par le secret de l'instruction». Secret que l'avocat, soumis au secret professionnel, doit respecter mais auquel la personne mise en examen et la partie civile ne sont pas soumises, en l'état actuel du droit.
Le lien entre la communication des copies et le secret de l'instruction n'avait pas échappé à la mission d'information de la commission des lois sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction.
Parmi les 23 propositions et 4 recommandations issues de ses travaux menés d'octobre 1994 à avril 1995, figurait une proposition n° 16 qui en traitait dans le cadre global d'une réflexion sur la transparence des procédures de mise en état.
Car la question de la remise des copies du dossier à une partie est indissociable tant de celle de la protection de la présomption d'innocence des autres parties, que de l'évolution du secret de l'instruction, notamment dans les affaires où la protection des témoins se pose avec acuité ou dans celles concernant le crime organisé.
C'est ce qu'a estimé la commission des lois lors de l'examen du rapport de M. Michel Dreyfus-Schmidt sur la présente proposition de loi, le 8 novembre 1995.
Elle a en conséquence décidé qu'il était inopportun de se prononcer immédiatement sur le problème de la communication des copies du dossier aux parties.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui avait soumis à la commission des conclusions tendant à une nouvelle rédaction de sa proposition initiale, a indiqué qu'il ne pouvait en conséquence demeurer rapporteur.
Sur la proposition de son nouveau rapporteur, la commission des lois a confirmé le 6 décembre qu'aucune urgence particulière ne justifiait de traiter isolément cette question, indissociable d'une réflexion globale susceptible d'aboutir dans le cadre de la réforme d'ensemble de la procédure pénale annoncée par le ministre de la justice.
Votre commission des lois a également émis le souhait que cette réflexion puisse aboutir rapidement.
Pour ces motifs, votre commission a décidé de ne pas retenir le texte proposé par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste.
Aux termes de l'article 42 (6, c) du Règlement du Sénat : « lorsque la commission ne présente aucune conclusion ou si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le Sénat est appelé à discuter le texte initial de la proposition. »
En application de cet article, la commission des lois propose au Sénat de se prononcer en faveur de ses conclusions négatives.
I. LA CONFIRMATION DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION NE JUSTIFIE PAS DE STATUER SUR LE FOND DANS L'URGENCE
A. LA COUR DE CASSATION CONFIRME L'ÉTAT DU DROIT
1. Les textes en vigueur
Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale prévoit que « après la première comparution ou la première audition, les avocats des Parties peuvent se faire délivrer à leurs frais, copie de tout ou partie des Pièces et actes du dossier pour leur usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction ».
Adopté à la suite d'une initiative de notre
excellent collègue Charles de Cuttoli, ce texte résulte de la loi
du 10 juin 1983. Figurant à l'époque dans
•'article 118
du code de procédure pénale, il a été repris dans
l'actuel article 114 par la loi du 4 janvier 1993.
Au préalable, la loi du 2 février 1981 avait permis aux avocats des Parties d'obtenir, sans pouvoir les rendre publiques, des copies du dossier au stade de la chambre d'accusation (article 197 du code de procédure pénale).
Ces textes traduisaient législativement la faculté accordée par l'usage au juge d'instruction d'autoriser le greffier à établir des copies des pièces que celui-ci remettait, moyennant finances, aux avocats.
Cette pratique fut l'une des conséquences matérielles de l'accès des avocats au cabinet du juge d'instruction à partir de 1897. L'article 10 de la loi du 8 décembre 1897 prévoyait en effet que la procédure soit mise à la disposition du conseil la veille de chaque interrogatoire. L'usage facilitait l'accès au dossier du défenseur en lui permettant ainsi de l'emporter en dehors du greffe pour préparer les comparutions et plus généralement la défense.
2. La jurisprudence
Dès le 2 mai 1903, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait eu l'occasion de distinguer la situation de l'avocat de celle de la partie et d'exclure la communication directe par le juge des copies à la partie :
« L'article 10 de la loi du 8 décembre 1897 édicte une prescription qui a été jugée nécessaire mais suffisante pour garantir, en ce qui concerne la communication de la procédure, le libre exercice des droits de la défense aucune disposition légale n'impose au juge d'instruction l'obligation de communiquer la procédure en dehors des conditions déterminées par ledit article ; en décidant, par suite, que le magistrat instructeur avait pu légalement refuser de communiquer à l'inculpée elle-même, le dossier de la procédure et de lui faire donner copie des pièces, l'arrêt attaqué n'a commis aucune violation des droits de la défense ».
En 1961, la Cour d'appel d'Aix précisait que l'avocat, lui non plus, ne pouvait remettre les copies à son client :
« Il appartient donc à l'avocat qui a pris copie de pièces d'information (ou s'est fait délivrer copie de ces pièces en vertu d'une tolérance justifiée uniquement par sa qualité), d'apprécier en son âme et conscience si les nécessités de la défense lui font un devoir d'en informer son client mais (...) il ne peut en aucun cas lui remettre ces pièces qui par leur nature même doivent rester secrètes tant que dure l'information ; (...) si (...) pendant le cours de l'information une partie pouvait détenir copies des pièces de celle-ci, l'information cesserait d'être secrète puisque non seulement cette partie en connaîtrait les éléments, mais l'article 11 du code de procédure pénale ne lui étant pas applicable, elle pourrait les faire parvenir à des tiers ».
La Cour de cassation confirme constamment cette analyse notamment dans un arrêt du 2 février 1994 :
« Il résulte tant de l'article 11 du code de procédure pénale que de l'article 89 du décret n°72-468 du 9 juin 1972, applicable en l'espèce, fixant les règles professionnelles de l'avocat, que si celui-ci autorisé par l'article 118, alinéa 4 du code de procédure pénale à se faire délivrer des copies de pièces du dossier d'instruction, peut en communiquer la teneur à son client pour les besoins de la défense, il ne peut en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour « son usage exclusif », ces pièces devant rester secrètes tant que dure l'instruction ».
Les arrêts du 30 juin 1995 n'énoncent donc pas une règle nouvelle.
Ils ont été rendus sur un arrêt de la Cour d'appel d'Aix du 24 février 1995 qui, reprenant l'interdiction de communication des copies, qualifiait (à tort) la remise des copies de « manquement à l'honneur» et un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 27 juin 1994 qui s'en remettait en la matière à la « prudence de l'avocat ».
La Cour de cassation n'a retenu aucune de ces deux analyses. Elle a décidé que, en application de l'article 114 du code de procédure pénale et de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991, « si l'avocat, autorisé à se faire délivrer des copies du dossier d'instruction, peut procéder à leur examen avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, il ne saurait en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour « son usage exclusif » et doivent demeurer couvertes par le secret de l'instruction ».
B. LES EFFETS PRATIQUES D'UNE MODIFICATION LÉGISLATIVE TELLE QUE CELLE PROPOSÉE
1. Les conséquences actuelles de la jurisprudence
L'acceptation par la jurisprudence de la faculté pour l'avocat d'examiner les copies des pièces avec son client permet à la défense, ou à la Partie civile, d'avoir en pratique accès à l'ensemble du dossier dans la plupart des cas.
Les avocats peuvent ainsi discuter avec leur client, copies de pièces en mains, le fondement des conclusions des rapports d'expertise ou la validité des témoignages. Ils peuvent retranscrire des passages et les commenter pour leur client.
En revanche, ils ne peuvent les leur faire parvenir en prison, hors de leur présence, ni remettre ces copies à des tiers, seraient-ils experts.
Certains barreaux estiment pourtant que, s'agissant particulièrement des rapports d'expertise, « les dispositions de l'article 114 ne font pas obstacle à ce que l'avocat dispose de la possibilité, s'il l'estime opportun et nécessaire, de remettre cette copie en communication à son client ».
Ainsi, l'usage exclusif imposé par cet article devrait-il « s'entendre comme visant le seul exercice des droits de la défense, laissé à la libre appréciation et à la prudence de l'avocat auquel on ne saurait prétendre imposer les moyens par lesquels il entend organiser sa défense » (conseil de l'ordre des avocats à la Cour de Paris, 20 juillet 1994).
Leur argumentation renvoie en outre très expressément à l'article 11 du code de procédure pénale et au décret de 1991 qui prévoient que le secret de l'instruction s'entend sans préjudice des droits de la défense.
Elle néglige en revanche de préciser quel usage le client, qui n'est pas soumis au secret de l'instruction, peut faire de ces copies.
2. Les propositions ciblées de modification
Plusieurs propositions de loi ont été déposées depuis les arrêts de juin 1995 pour modifier la législation sur ce seul point.
A l'Assemblée nationale, celle de MM. Marsaud et Voisin (n° 2146, dixième législature) propose la communication à la personne mise en examen des pièces et actes du dossier « strictement nécessaires à sa défense ». Celle de M. Michel Hunault (n° 2286, dixième législature) suggère que les parties puissent se voir délivrer les copies dans les mêmes conditions que l'avocat mais que n'apparaisse dans les deux cas ni le nom, ni les coordonnées des témoins.
La présente proposition de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste prévoit la délivrance gratuite des copies aux avocats, ou aux parties elles-mêmes en l'absence d'avocat. Elle ne prévoit de restriction ni sur l'usage, ni sur la reproduction.
Ces propositions ignorent donc la difficulté d'articulation entre la communication des copies et la protection de la présomption d'innocence et du secret de l'instruction.
II. LA COMMUNICATION DES COPIES DES PIÈCES DU DOSSIER PAR L'AVOCAT À SON CLIENT N'EST ENVISAGEABLE QUE DANS LE CADRE D'UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR LA TRANSPARENCE DE LA MISE EN ÉTAT
La question ponctuelle de la remise des copies doit être replacée dans son contexte : celui des droits de la défense, mieux respectés dans le cadre d'une procédure que l'on peut hésiter à qualifier d'inquisitoire tant le contradictoire y est omniprésent ; celui du respect de la présomption d'innocence des autres parties ; celui de la confidentialité nécessaire à la bonne fin des investigations ou à la protection des témoins ; celui de la liberté de communication.
Au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, contrairement à ce qui est souvent prétendu, la Cour de cassation affirme avec raison, dans ces arrêts du 30 juin que les actuelles dispositions de l'article 114 du code de procédure pénale ne se sont pas incompatibles avec l'article 6-3 de la convention.
En effet, l'article 6-3 prévoit que « tout accusé a droit notamment à (...) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » - et à « se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix... ».
Et la Cour européenne des droits de l'Homme a décidé que, « aux fins de l'article 6, il n'est pas incompatible avec les droits de la défense de réserver à l'avocat d'un accusé l'accès au dossier de la juridiction saisie » (« Kremzow contre Autriche », 21 septembre 1993).
Dans cette affaire, comme dans l'arrêt Kamasinski du 19 décembre 1989 ou l'arrêt Lamy du 30 novembre 1989, la Cour examine globalement les conditions de l'accès au dossier et se refuse à focaliser le respect des droits de la défense sur la remise de copies à la partie.
A. L'ARTICULATION NÉCESSAIRE
Dans le cadre de la procédure pénale française, il importe, de même, de prendre en compte l'équilibre d'ensemble des règles qui régissent l'accès aux pièces et l'utilisation du dossier. Sans insister sur les aspects matériels, deux points permettent d'éclairer l'imbrication de ces questions : l'étendue du secret de l'instruction et la nature des pièces du dossier.
1. Avocats et parties ne sont pas soumis aux mêmes obligations
En l'état actuel de la rédaction de l'article 11 du code de procédure Pénale, seules les personnes concourant à l'instruction sont soumises au secret de l'instruction.
Ce texte s'applique donc aux magistrats, aux fonctionnaires de justice ou de police ainsi qu'aux experts.
Les avocats et les parties, malgré le caractère de plus en plus contradictoire de la procédure pénale, ne sont pas considérés comme « concourant à la procédure ».
En revanche, les avocats sont soumis au secret professionnel sous les Peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, auquel se réfère également l'article 11.
L'article 160 du décret du 27 novembre 1991 fait la synthèse de ces textes en précisant que l'avocat doit « respecter le secret de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une information en cours ».
La partie, elle, n'est pas soumise en l'état des textes au secret de l'instruction.
Peut-on imaginer de lui remettre des copies des pièces du dossier de l'instruction sans s'interroger sur l'usage qu'elle pourrait en faire alors qu'elle n'est pas tenue au secret ? Pourrait-elle la remettre à des tiers aux fins d'expertise ? Pourrait-elle les présenter publiquement ? Le mis en examen et la partie civile doivent-ils être mis sur le même plan ?
La réponse à ces questions est indissociable des règles de transparence de la procédure pénale au cours de l'instruction.
2. La nature des pièces n'est pas indifférente
Doit-on, comme le font la plupart des propositions ponctuelles, considérer l'ensemble du dossier de l'instruction de manière homogène ou bien certaines pièces sont-elles plus facilement « communicables » que d'autres ?
Ainsi la thèse a-t-elle été soutenue, par M. le Professeur Jean Pradel, notamment, d'une limitation de la communication aux pièces techniques, c'est-à-dire aux expertises dont seules les conclusions sont actuellement communiquées aux parties (art. 167 du code de procédure pénale), à l'exclusion des raisonnements et analyses y ayant conduit.
Ces pièces apparaissent en effet, en raison de leur volume dans certaines affaires, comme les plus difficiles à examiner sans disposer de la copie.
A l'inverse, l'accès de la partie aux minutes d'un témoignage ou au détail des coordonnées des témoins apparaît, notamment aux magistrats instructeurs, comme susceptible d'accroître les risques de pression sur les témoins et d'aller à l'encontre des nécessités de l'enquête, par exemple en matière de crime organisé ou de terrorisme.
Doit-on en conséquence prévoir un filtre du juge d'instruction pour réserver la possibilité de s'opposer à la communication de certaines pièces ou de préserver les témoins ?
B. LA DÉMARCHE DE LA COMMISSION DES LOIS EST GLOBALE
1. Les travaux de la mission d'information
La mission d'information, créée en son sein par la commission des lois, sur la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction a eu connaissance au cours de ses travaux, qui se sont déroulés d'octobre 1994 à avril 1995, des arrêts des cours d'appel de Toulouse et d'Aix ayant conduit aux arrêts de la Cour de cassation du 30 juin 1995.
Parmi ses 23 propositions et 4 recommandations, son rapport «Justice et transparence» (n° 247, 1994-1995) contenait donc une Proposition n° 16 qui s'inscrivait à l'intérieur d'un dispositif d'ensemble renforçant la protection de la présomption d'innocence, notamment par une meilleure garantie du secret de l'enquête et de l'instruction, et accroissant la transparence des procédures de mise en état. Dans cet édifice cohérent, la mission avait pensé pouvoir proposer que l'avocat, sous sa propre responsabilité, puisse communiquer à son client les copies à lui remises. ( ( * )2)
La mission ouvrait le débat sur un nouvel équilibre en cours d'instruction entre les droits de la défense, la liberté de communication, la protection de la présomption d'innocence et les nécessités de l'instruction. Elle n'envisageait la communication des copies que dans la mesure où leur non-publication était mieux garantie. Elle aménageait simultanément des « fenêtres » sur l'instruction respectueuses des règles du débat contradictoire et public.
2. Le texte proposé par M. Michel Dreyfus-Schmidt
Le 8 novembre 1995, la commission des lois a examiné une première fois sur le rapport de M. Michel Dreyfus-Schmidt sa proposition de loi autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
M. Michel Dreyfus-Schmidt souhaitait remanier la proposition initiale tout en restant dans le cadre d'une modification limitée pour l'essentiel à l'article 114 du code de procédure pénale.
Il a donc proposé à la commission de renoncer à la gratuité proposée Par la proposition initiale ainsi qu'à la remise directe des copies à la personne ne bénéficiant pas d'un avocat. Il a en revanche suggéré de permettre à l'avocat de transmettre à son client des copies du dossier tout en prévoyant la possibilité pour le juge d'instruction de s'y opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée susceptible d'appel devant la chambre d'accusation.
Il a également proposé de subordonner la communication de la copie à la signature préalable par la partie d'une attestation par laquelle elle prendrait acte de la double interdiction de publier la copie, sous peine d'une amende de 25 000 F et de la communiquer à un tiers pour des besoins autres que ceux de la défense.
Il a enfin complété ce dispositif par trois modifications concernant l'obtention par les parties de copies du dossier de l'instruction, une fois celle-ci achevée ( ( * )3) .
La commission a estimé qu'elle ne pouvait traiter isolément ce problème, notamment au regard de la réflexion d'ensemble menée par la mission.
A l'issue d'un vote par lequel elle a décidé qu'il serait inopportun d'examiner immédiatement cette question, M. Michel Dreyfus-Schmidt a indiqué qu'il ne pouvait demeurer rapporteur ( ( * )4) .
3. Les conclusions négatives de la commission des lois
Lors d'une deuxième réunion ( ( * )5) , le 6 décembre 1995, la commission des lois a entendu son nouveau rapporteur. Il a rappelé la chronologie dans laquelle s'inscrivait la proposition n° 378 : travaux de la mission d'information, arrêts purement confirmatifs de la Cour de cassation, perspective d'une future réforme de la procédure pénale, notamment à l'issue de la réflexion confiée par le Garde des Sceaux à Mme le Professeur Michèle-Laure Rassat.
Dans ce contexte, il a indiqué à la commission que la question de la communication des copies des pièces ne pouvait être considérée, contrairement à ce que laissait supposer les défenseurs de la proposition, comme la simple régularisation d'une pratique inévitable. Au contraire, la remise des copies à une personne tenue au secret de l'instruction suppose une approche globale de l'équilibre des droits de la défense, des nécessités de l'instruction et de la protection de la présomption d'innocence.
En conséquence, à l'issue d'un échange de vues prolongé, la commission a estimé qu'aucune urgence particulière ne justifiait de traiter isolément cette question, et que celle-ci ne devait pas être dissociée de la réflexion globale qu'elle souhaitait voir aboutir rapidement dans le cadre de la réforme de procédure pénale d'ensemble annoncée par le Garde des Sceaux.
Pour ces motifs, votre commission des lois a décidé de ne pas retenir le texte de la proposition n° 378 de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste apparenté et rattachés.
En application de l'article 42 (6, c) du Règlement, votre commission propose au Sénat de se prononcer en faveur de ses conclusions négatives.
ANNEXES
ANNEXE 1 - EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 8 NOVEMBRE 1995
La commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Michel Dreyfus-Schmidt, à l'examen de la proposition de loi n° 378 (1994-1995), présentée par ce dernier et les membres du groupe socialiste, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a fait observer que le problème de la communication des copies de pièces du dossier d'instruction avait été abordé par la mission d'information de la commission sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction, laquelle avait adopté, sur le rapport de M. Charles Jolibois, une proposition n° 16 permettant aux avocats, sous leur propre responsabilité, de transmettre de telles copies à leur client pour l'usage exclusif de celui-ci.
Il a précisé que l'assemblée plénière de la Cour de cassation avait rendu depuis, le 30 juin 1995, deux arrêts considérant comme coupables de violation du secret de l'instruction des avocats ayant remis à leur client mis en examen des copies du dossier.
Après avoir mis en avant l'émotion suscitée par ces arrêts chez les praticiens, M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a fait observer que la Cour de cassation avait appliqué à la lettre le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale en vertu duquel la copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier est délivrée aux avocats des parties, pour leur usage exclusif et sans qu'ils puissent en établir de reproduction.
Il a rappelé que certains membres de la mission d'information, notamment M. François Blaizot, avaient considéré la possibilité pour une personne mise en examen d'accéder au dossier de l'instruction comme élémentaire pour l'exercice des droits de la défense.
Le rapporteur a estimé que l'interdiction faite à l'avocat de donner ces copies apparaîtrait bientôt aussi archaïque que pouvait l'apparaître aujourd'hui celle qui lui était faite jusqu'en 1897 d'avoir accès au dossier de l'instruction.
Il a considéré les arguments avancés pour justifier l'état actuel du droit, et notamment la protection du secret de l'instruction et des témoins, comme n'étant pas convaincants dans la mesure où l'avocat d'une partie peut d'ores et déjà lire ou montrer le contenu du dossier à son client, lequel n'est pas tenu audit secret.
Il a en revanche souligné les difficultés posées par cette situation, reconnues tant par les magistrats instructeurs que par les avocats, au regard des droits de la défense. Il a illustré son propos en évoquant l'impossibilité pour les parties d'obtenir communication d'un rapport d'expertise au-delà des seules conclusions alors que s'impose la connaissance du rapport lui-même par les parties, comme par un éventuel contre-expert amiable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a ensuite reconnu que sa proposition de loi pouvait paraître aller trop loin, dans la mesure où elle prévoyait, d'une part, la remise gratuite des copies et, d'autre part, la possibilité pour les parties n'ayant pas d'avocat d'obtenir directement la délivrance de ces copies. Il a fait observer que le premier point serait contraire à l'article 40 de la Constitution et que le second point ne répondait pas à une nécessité absolue, toute personne mise en examen pouvant avoir un avocat, le cas échéant grâce à l'aide juridique.
Il a en conséquence proposé à la commission de modifier l'article 114 du code de procédure pénale afin de permettre à l'avocat de transmettre à son client des copies du dossier tout en prévoyant la possibilité pour le juge d'instruction de s'y opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée susceptible d'appel devant la chambre d'accusation. Une telle opposition lui a semblé devoir être exceptionnelle en pratique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a également proposé à la commission de s'inspirer d'une solution consacrée en droit allemand en subordonnant la communication de la copie à la signature préalable par la partie d'une attestation par laquelle elle prendrait acte de la double interdiction de publier la copie sous peine d'une amende de 25.000 F et de la communiquer à un tiers pour des besoins autres que ceux de la défense.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a en outre proposé trois modifications concernant la législation relative à l'obtention par les parties de copies du dossier de l'instruction une fois celle-ci achevée :
- consacrer une pratique en prévoyant que, en matière criminelle, chaque accusé et chaque partie obtiendrait gratuitement copie du dossier sans distinguer, comme le fait le texte actuel, entre, d'une part, les copies des procès-verbaux constatant l'infraction, délivrées gratuitement, et, d'autre part, les copies des autres pièces, délivrées moyennant paiement ;
- inscrire dans la loi le droit prévu actuellement par le règlement pour les parties de se faire délivrer copie du dossier une fois l'instruction achevée, dans les domaines délictuels et contraventionnels, ce droit ne concernant actuellement que la matière criminelle ;
- tirer les conséquences de la suppression par le nouveau code pénal des peines de réclusion criminelle de cinq à dix ans en prévoyant que la copie du dossier serait délivrée gratuitement aux prévenus et parties civiles lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement. M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a justifié cette proposition par le souci d'éviter une régression du droit, les personnes passibles d'une peine privative de liberté supérieure à cinq ans pouvant obtenir gratuitement cette copie avant l'entrée en vigueur du nouveau code pénal.
M. Charles Jolibois a fait observer que les propositions du rapporteur ne concernaient qu'un aspect d'un problème plus vaste, qui nécessitait une réflexion d'ensemble telle que celle initiée par la mission d'information sur la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction.
Il a souligné que la proposition n° 16 de la mission d'information, rappelée par le rapporteur, était indissociable de la proposition n° 10 tendant à appliquer les peines relatives à la violation du secret professionnel à l'avocat ayant fait publiquement état du contenu d'un dossier d'instruction pour des raisons étrangères à l'exercice des droits de la défense.
Sans s'opposer sur le fond aux propositions de M. Michel
Dreyfus-Schmidt, il a considéré que leur examen devait s'inscrire
dans le cadre d'une réflexion globale. Il a ajouté que toute
réforme de la procédure pénale poserait à nouveau
le problème du secret de
•instruction.
Tout en comprenant le souci de M. Charles Jolibois, M. François Blaizot a rappelé son souhait de permettre aux personnes mises en examen d'obtenir copie des pièces du dossier de l'instruction pour assurer le plein exercice des droits de la défense. Il a estimé que le secret de l'instruction avait pour premier objectif la protection des intérêts des Personnes poursuivies et ne saurait donc justifier une atteinte à leurs droits. Il a ajouté qu'il appartenait au mis en examen d'apprécier si des éléments du dossier devaient ou non être divulgués. Il a estimé que les règles applicables en matière de diffamation suffiraient alors à protéger les tiers.
M. François Giacobbi a approuvé ce point de vue.
M. Robert Badinter a souligné que, dans ses arrêts du 30 juin 1995, l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'avait fait qu'appliquer la loi. Il a mis en avant les difficultés résultant de l'état actuel du droit au regard notamment des droits de la défense.
Afin de prendre en considération les objections de M. Charles Jolibois, il s'est déclaré partisan d'une modification a minima de la législation, limitée à la reconnaissance aux avocats des parties de la faculté de transmettre une copie à leur client.
Mme Nicole Borvo a estimé que, si la proposition de M. Robert Badinter était retenue, il conviendrait de conserver la précision actuelle selon laquelle les copies ne sont remises que pour l'usage exclusif de leur destinataire.
M. Pierre Fauchon a rejoint le souci de M. Charles Jolibois de conduire une réflexion globale. Tout en admettant l'urgence du problème, du moins à l'égard des Personnes mises en examen, il a estimé que les poursuites pour de tels faits demeuraient exceptionnelles.
M. René-Georges Laurin a approuvé ce point de vue.
M. Jacques Larché, président, a tenu à souligner que l'institution par la dernière révision constitutionnelle de la journée d'initiative parlementaire ne trouverait sa pleine justification que si l'opposition parvenait à faire inscrire ses propositions à l'ordre du jour du Sénat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a rappelé que, comme l'avait indiqué Monsieur le Président du Sénat, la dernière révision de la Constitution avait notamment cherché, en réservant une journée par mois à l'ordre du jour fixé par chaque
Assemblée, à renforcer les droits de la minorité en permettant à celle-ci de soumettre au Sénat des propositions de loi.
Il a donc indiqué à la commission qu'il demanderait l'inscription de sa proposition de loi à l'ordre du jour réservé au Sénat que la commission approuve ou non son rapport -quitte à ne plus être rapporteur-.
Il a par ailleurs considéré comme urgente la solution du problème de la communication des copies aux parties dans la mesure où, en pratique, la nécessité conduisait les praticiens à ne pas tenir compte de la législation.
Il a indiqué à M. Charles Jolibois que la proposition n° 10 de la mission d'information ne faisait que reprendre une disposition d'ores et déjà consacrée en droit positif, à savoir l'article 160 du décret du 27 novembre 1991.
Il a ajouté avoir pris en considération les impératifs liés à la protection du secret de l'instruction en permettant au juge d'instruction de s'opposer à la transmission des copies et en sanctionnant le fait de les publier.
M. Robert Badinter a considéré que, par ses arrêts du 30 juin 1995, la Cour de cassation avait, selon toute vraisemblance, invité le législateur à se pencher sur l'étude d'une modification de l'article 114, dernier alinéa, du code de procédure pénale.
M. Jacques Larché, président, s'est inquiété de la portée des modifications proposées par le rapporteur dans la mesure notamment où la possibilité de transmettre des copies concernerait les parties civiles. Il a indiqué sa préférence, si l'article 114 du code de procédure pénale devait être modifié, pour une communication aux seules personnes mises en examen.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, lui a objecté que le droit actuel permettait déjà à l'avocat de toute partie, et non seulement d'un mis en examen, de tout dire à son client. Il a souligné l'intérêt que peut avoir la partie civile à obtenir la communication, par exemple, d'une copie complète d'un rapport d'expertise.
M. Jacques Larché, président, et M. Charles Jolibois ont estimé souhaitable que les conclusions de la mission d'information soient traduites dans une proposition de loi dont l'examen permettrait un débat d'ensemble auquel pourrait être joint l'examen de la proposition de loi de M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Pierre Fauchon a partagé ce point de vue.
A l'issue de cet échange de vues, et compte tenu de cette suggestion, la commission a estimé inopportun d'examiner immédiatement la proposition présentée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur.
A la suite de ce vote, M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur, a indiqué qu'il ne pouvait pas demeurer rapporteur. La commission a alors désigné M. Charles Jolibois pour le remplacer.
ANNEXE 2 - PROPOSITIONS DE CONCLUSIONS SOUMISES PAR M. DREYFUS-SCHMIDT À LA COMMISSION DES LOIS LE 8 NOVEMBRE 1995
PROPOSITION DE LOI
relative à la communication aux parties de la copie du dossier de l'instruction
Article premier
Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale est remplacé par les dispositions suivantes :
« Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.
« Les avocats peuvent transmettre à leur client la copie ainsi obtenue. Celui-ci atteste au préalable par écrit avoir pris connaissance des dispositions des deux alinéas suivants qui sont reproduits sur chaque copie.
« Cette copie ne peut être communiquée à des tiers que pour les besoins de la défense.
« Le fait de la publier par tous moyens, en tout ou en partie, est puni de 25 000 francs d'amende.
« A titre exceptionnel, le juge d'instruction peut s'opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée, à la transmission par l'avocat à son client de certaines copies de pièces ou actes du dossier. »
Article 2
Après le premier alinéa de l'article 180 du code de procédure pénale, est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'ordonnance de renvoi est devenue définitive, le prévenu et la partie civile peuvent se faire délivrer copie du dossier et ce, sauf lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement, à leurs frais.»
Article 3
Au troisième alinéa de l'article 186 du code de procédure pénale, après les mots: "de l'ordonnance", sont insérés les mots : "prévue au dernier alinéa de l'article 114 ainsi que de l'ordonnance".
Article 4
L'article 194 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé:
« En matière d'appel de l'ordonnance prévue au dernier alinéa de l'article 114, la chambre d'accusation doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de l'appel, faute de quoi l'avocat est en droit de transmettre à son client les copies de pièces ou actes du dossier en cause.»
Article 5
L'article 279 du code de procédure pénale est ainsi rédigé: « Il est délivré gratuitement à chacun des accusés et parties civiles copie du dossier. »
Article 6
L'article 280 du code de procédure pénale est abrogé.
ANNEXE 3 - EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DE LA RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 6 DÉCEMBRE 1995
La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Charles Jolibois sur la proposition de loi n° 378 (1994-1995) présentée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le problème de la transmission des copies du dossier de l'instruction aux parties avait été abordé par la mission d'information de la commission sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction.
Il a cependant précisé que cette mission, présidée par M. Jacques Bérard, avait conduit une réflexion globale, concernant l'ensemble des problèmes liés au secret de l'instruction.
Il a fait observer que deux des vingt-trois propositions de cette mission concernaient directement les avocats :
- la proposition n° 10, précisant que, tenu au secret professionnel, un avocat ne pourrait faire publiquement état d'un dossier d'instruction en cours que pour exercice des droits de la défense ;
- la proposition n° 16, permettant aux avocats, sous leur propre responsabilité, de transmettre à leurs clients, pour leur usage exclusif, des copies du dossier de l'instruction.
Il a rappelé que cette dernière proposition ne correspondait pas pleinement à la solution qu'il avait proposée, en sa qualité de rapporteur, à la mission, laquelle avait conféré au juge d'instruction la faculté de s'opposer à la transmission des copies au client de l'avocat.
Le rapporteur a ensuite indiqué que les deux arrêts rendus par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 30 juin 1995 avaient souligné le problème en confirmant que l'article 114 du code de procédure pénale interdisait à l'avocat de transmettre la copie d'une pièce du dossier à son client.
Puis, M. Charles Jolibois, rapporteur, a présenté la proposition de loi n° 378 (1994-1995) déposée en juillet 1995 par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachés pour remédier à la situation résultant de cette jurisprudence laquelle plaçait les avocats devant la nécessité de transgresser la loi pour assurer le plein exercice des droits de la défense.
Ila qualifié cette proposition de radicale dans la mesure où elle permettait aux parties d'obtenir des copies du dossier de l'instruction sans que quiconque ne puisse s'y opposer. Rappelant que les parties n'étaient pas tenues au secret de l'instruction, il a craint qu'une telle solution conduise à vider ledit secret de sa substance.
Il a contesté le bien-fondé de l'argumentation des signataires de la proposition de loi. Rappelant que, selon l'exposé des motifs de celle-ci, la législation actuelle conduirait à considérer le principal intéressé à l'instruction comme un étranger à sa propre affaire, à ignorer totalement le contenu du dossier s'il n'avait pas d'avocat et posait un problème de conformité avec la convention européenne des droits de l'homme, M. Charles Jolibois, rapporteur, a fait observer que toute personne mise en examen pouvait être assistée par un avocat et que la Cour européenne des droits de l'homme n'avait pas considéré une législation ne prévoyant pas la remise de copies aux parties comme contraire aux droits de la défense au sens de la convention précitée. Il a ensuite abordé la solution proposée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, en sa qualité de rapporteur, lors de l'examen par la commission, le 8 novembre 1995, de la proposition de loi. Il a indiqué que ce dernier avait prévu des limites à la transmission des copies de pièces du dossier en permettant au juge d'instruction de s'y opposer et en interdisant non seulement leur publication mais aussi leur transmission à des tiers pour des besoins autres que ceux de la défense.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a rappelé que la commission avait rejeté la solution de M. Michel Dreyfus-Schmidt, estimant préférable d'intégrer cette question dans une réflexion d'ensemble sur le secret de l'instruction et la présomption d'innocence.
Après avoir précisé que cette position avait conduit M. Michel Dreyfus-Schmidt à se démettre de son rapport, M. Charles Jolibois, rapporteur, a demandé à la commission de confirmer sa position et donc de ne pas adopter la proposition de loi.
M. Jacques Larché, président, a indiqué que les journées d'initiative parlementaire, permettant à chaque Assemblée de fixer une fois par mois son ordre du jour, devraient notamment conduire à examiner en séance publique des textes émanant de l'opposition. Il a néanmoins souligné que ce souci ne préjugeait en rien de la position de la commission sur les propositions en question.
M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est déclaré déçu par les conclusions du rapporteur, qu'il a assimilées à un déni de justice.
Il a rappelé que la proposition de loi avait pour objet de régler un problème irritant en modifiant une législation qui conduit les avocats à méconnaître la loi pour assurer le plein exercice des droits de la défense.
Il a estimé que le souhait manifesté par la commission de mener une réflexion d'ensemble sur le secret de l'instruction aurait dû logiquement conduire le rapporteur à proposer un dispositif complet inspiré des conclusions de la mission d'information.
Sur le fond, il a considéré qu'une solution limitée à la transmission des copies du dossier de l'instruction ne revenait pas à vider le secret de l'instruction de sa substance dès lors que serait appliqué l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, interdisant la publication des actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture en audience publique.
Il a ajouté que la nécessité pour une partie d'obtenir la copie de certaines pièces, notamment des rapports d'expertise, conduisait à des transgressions quotidiennes de la loi justifiant l'adaptation de celle-ci à la réalité. Il a enfin évoqué les propos tenus par le garde des sceaux devant le Syndicat des avocats de France (S.A.F.) selon lesquels la transmission de copies du dossier à une partie pourrait être autorisée sous certaines conditions, destinées notamment à assurer la sécurité des témoins.
M. Jacques Larché, président, a fait observer à M. Michel Dreyfus-Schmidt que le rapporteur, loin de commettre un « déni de justice », avait exposé une position claire, à savoir le rejet de la proposition. Il a indiqué que la commission serait appelée à se prononcer sur cette position et que, dans l'hypothèse où elle suivrait son rapporteur, le Sénat serait appelé, en vertu de l'article 42 (6, c) de son règlement, à se prononcer sur ses conclusions négatives.
M. Robert Badinter a estimé nécessaire de modifier rapidement l'article 114 du code de procédure pénale, sans attendre le dépôt, au demeurant aléatoire, d'un projet de loi réformant l'ensemble de la procédure pénale ou tout au moins la législation relative au secret de l'instruction.
Il a considéré comme indispensable de remédier à une situation conduisant les avocats à transgresser constamment la loi pour des raisons évidentes liées au bon exercice des droits de la défense. Il a indiqué que la transmission de copies du dossier d'instruction à des experts ou aux clients correspondait à une pratique constante liée à la technicité croissante des dossiers.
Tout en reconnaissant la possibilité de prévoir certaines exceptions dans des affaires sensibles, telles que celles liées au terrorisme, il a estimé nécessaire de modifier modestement une législation obsolète bien que, a-t-il reconnu, ni la jurisprudence de la cour européenne ni la convention européenne des droits de l'homme ne l'imposent. En conclusion, il a souligné que la proposition de loi permettait de régler un problème simple qui pouvait être abstrait d'autres réformes d'importance.
M. Michel Rufin a fait observer que la plupart des personnes entendues par la commission lors de la journée d'auditions du 8 juin 1994 n'avait pas jugé utile de modifier la législation sur le secret de l'instruction. Il a illustré son propos en évoquant l'intervention du professeur Jean Pradel, lequel avait estimé que l'application des textes existants permettrait d'assurer un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux de la personne et le bon fonctionnement de la justice.
Il s'est en conséquence déclaré partisan de l'adoption de la position du rapporteur.
M. Robert Badinter lui a objecté que la proposition de loi ne concernait pas les relations entre la presse et l'avocat ou son client, mais seulement les relations entre l'avocat et son client.
Il s'est déclaré partisan d'une modification à minima de l'article 114 du code de procédure pénale autorisant les avocats à se faire délivrer, sous leur responsabilité, copies de tout ou partie des pièces du dossier pour leur usage exclusif et celui de leur client. Il a précisé que, dans la mesure où l'ordre public serait menacé par cette transmission, le juge d'instruction pourrait s'y opposer.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a indiqué que la solution préconisée par M. Robert Badinter était très proche de la proposition n° 16 de la mission d'information et qu'il y était opposé non sur le fond mais en raison de la nécessité d'une modification globale de la législation tenant au secret de l'instruction. Il a estimé que l'on ne pouvait isoler un élément des propositions de la mission, lesquelles formaient un tout cohérent.
Il s'est par ailleurs engagé à interroger le garde des sceaux en séance publique pour obtenir de sa part l'engagement de soumettre rapidement au Parlement un projet de réforme globale de la procédure pénale dans lequel pourrait s'insérer la question de la communication des pièces.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a de nouveau regretté que le rapporteur n'ait pas au moins proposé de reprendre la proposition n° 16 de la mission d'information tout en maintenant qu'elle n'écartait pas tout risque de sanctions pour l'avocat puisque la transmission des pièces se ferait sous « la seule responsabilité » de celui-ci.
A titre personnel, M. Maurice Ulrich a approuvé la position du rapporteur et a également appelé de ses voeux une réflexion d'ensemble sur la procédure pénale.
M. François Blaizot a en revanche fait part de son souci de modifier sans délai l'article 114 du code de procédure pénale pour réformer une législation qu'il a qualifiée de « moyenâgeuse ».
M. Pierre Fauchon a approuvé la position du rapporteur, estimant qu'il ne fallait pas dramatiser la situation actuelle dans la mesure où, en pratique, les avocats transmettent des copies du dossier à leurs clients sans être poursuivis. Il a estimé que le rejet de la proposition de loi permettrait de hâter le dépôt d'un texte d'ensemble sur la procédure pénale. Enfin, il a considéré que la transmission des copies du dossier aux parties devait être précédée d'une modification de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 afin de rendre cette disposition opérationnelle. Il a jugé que l'inapplication de celle-ci résultait notamment du fait que seul le parquet pouvait y recourir.
A l'issue de cet échange de vues, la commission, suivant la proposition de son rapporteur, a adopté des conclusions négatives sur la proposition de loi n° 378 (1994-1995)
* (2) cf p. 180 du rapport « Justice et transparence », le compte rendu de la réunion de la mission du 5 avril 1995.
* (3) cf. annexe 2, texte intégral des propositions soumises par M. Dreyfus-Schmidt.
* (4) . cf. annexe 1, l'extrait du compte rendu de la réunion du 8 novembre 1995.
* (5) cf. annexe 3, l'extrait du compte rendu de cette réunion.