CONCLUSION GÉNÉRALE
Au terme
de ses investigations, la commission d'enquête se doit de dresser un
constat global
des régularisations d'étrangers en
situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet
1997 mais aussi d'essayer de proposer quelques
perspectives
quant au
problème lancinant de l'immigration irrégulière.
1. Un constat
Le
constat
qu'a établi la commission d'enquête a
porté tout à la fois sur la
méthode
retenue pour
l'opération de régularisation et sur les
résultats
de celle-ci
qui, s'ils ne sont pas encore tous connus, peuvent
d'ores et déjà être observés.
Le droit de régulariser la situation de certains étrangers ne
saurait être contesté à l'administration. Il permet de
prendre en compte des cas individuels complexes que les textes
législatifs et réglementaires -quel que soit leur raffinement
croissant- ne sauraient appréhender. Pour autant, cette
prérogative doit être mise en oeuvre dans des conditions telles
que la simple faculté de régulariser des situations individuelles
ne cède pas la place à un supposé systématique
" droit à la régularisation "
qu'il appartiendrait
à l'administration de satisfaire.
Or la
méthode
retenue par le Gouvernement n'a pas permis qu'il en
soit ainsi. Le choix d'une opération globale de régularisation
par voie de circulaire, répondant au souci de satisfaire des engagements
politiques,
a favorisé un afflux de demandes
.
Ce choix d'une opération globale
de régularisation
-là où des instructions ponctuelles auraient pu être
données aux préfets pour régler, sans effet
médiatique, les situations difficiles-,
a eu un effet direct sur les
résultats
de l'opération de régularisation.
Celle-ci aboutit à des régularisations massives dont les
conséquences sociales n'ont pas été anticipées et
qui produiront un " appel d'air " inévitable sur les flux
migratoires.
De plus, la méthode retenue par le Gouvernement
ne garantit en rien
le retour dans leur pays d'origine des étrangers non
régularisés
. Le choix de suspendre jusqu'au 24 avril les
reconduites à la frontière, l'hypothèse de faire produire
tous ses effets à une nouvelle procédure d'aide au retour
s'avèrent inopérants. Si le Gouvernement avait réellement
voulu éloigner les étrangers non régularisés, il
n'aurait pas différé la prise d'arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière.
Mais le Gouvernement ayant écarté tout dispositif
spécifique pour assurer ces mesures d'éloignement,
l'opération de régularisation s'achève par le maintien sur
le territoire des intéressés. En conséquence, des
étrangers en situation irrégulière pourront, après
avoir présenté leur demande de régularisation, retourner
dans l'irrégularité sans avoir la perspective d'être
reconduits dans leur pays d'origine. L'opération de
régularisation aura ainsi produit 70.000 "
clandestins
officiels
", au risque d'affaiblir plus encore le respect de la loi
républicaine et de démobiliser les fonctionnaires chargés
de l'appliquer. Chacun saura à l'extérieur que l'on peut en
France être en situation irrégulière et le rester. La
commission d'enquête ne saurait souscrire à une telle situation.
2. Les perspectives
Ayant dressé ce constat, la commission d'enquête s'est
interrogée sur les
perspectives
résultant de la
présence d'une immigration irrégulière persistante sur le
sol national.
Elle ne peut se satisfaire de cette nouvelle catégorie de
" clandestins officiels " issue de l'opération de
régularisation. L'inverse reviendrait à admettre que
l'irrégularité du séjour ne serait qu'un état
transitoire avant une autre régularisation. Il appartient au
Gouvernement de refuser cet état de fait et de faire respecter la loi.
Telle est la condition préalable pour une intégration des
étrangers
dans le respect des lois républicaines.
Comme le Sénat l'affirme depuis de nombreuses années,
cette intégration est, en effet, indissociable de la
maîtrise effective des flux migratoires
. Or certains courants,
certes minoritaires mais dont les positions recueillent un écho
médiatique disproportionné à leur véritable impact
dans l'opinion publique, souhaitent contester le droit de l'Etat, qui est le
droit de tout État souverain, de régler l'entrée et le
séjour des étrangers sur son territoire et de reconduire à
la frontière ceux d'entre eux qui s'y seraient maintenus
illégalement. A l'inverse, le maintien sur notre sol d'étrangers
en situation irrégulière nourrit des positions incompatibles avec
le respect de la dignité humaine et des valeurs républicaines.
La politique d'intégration, poursuivie dans notre pays depuis des
siècles, est compromise par ces flux importants et
répétés, dont l'origine a profondément
évolué, qui périodiquement déstabilisent le
dispositif national d'intégration et conduisent à la formation de
ghettos.
Sortir de cette confrontation suppose une approche fondée sur la
recherche d'une meilleure connaissance du phénomène de la
clandestinité. Une telle approche implique l'élaboration et
l'application d'une législation rigoureuse, ménageant
parallèlement la faculté régalienne de régulariser,
en dehors de tout effet d'annonce, les situations individuelles complexes non
prises en compte par les textes.
Cet objectif raisonnable aurait justifié -dans un contexte
dépassionné- une
refonte du cadre législatif et
réglementaire devenu au fil du temps, et de modifications successives,
extrêmement complexe voire illisible (25 modifications
depuis
1945)
.
Malheureusement, le Gouvernement a préféré soumettre au
Parlement au lendemain même des élections législatives,
dans la hâte et après avoir utilisé la procédure
d'urgence, un projet de loi révisant une nouvelle fois l'ordonnance de
1945.
Enfin, la commission d'enquête souligne que la question de la
maîtrise des flux migratoires s'inscrit de plus en plus dans le cadre
d'une
coopération renforcée avec nos partenaires
européens
, coopération engagée par l'accord de
Schengen et sa convention d'application. Le Traité d'Amsterdam fixe
à cet égard de nouvelles perspectives qui appelleront un examen
attentif de la part du Parlement.
Force est d'observer, qu'en dépit de certains progrès, le
chantier de cette coopération européenne reste immense. Il
intéresse tout à la fois les conditions d'entrée, de
séjour et de circulation des étrangers sur l'espace
européen mais aussi les conditions dans lesquelles les différents
partenaires organisent l'éloignement de ceux qui se maintiennent
illégalement dans cet espace. En un mot, une politique européenne
de l'immigration doit être conçue et conduite en commun. Elle est
étroitement liée aux politiques de coopération que
l'Europe devra développer avec les pays tiers, africains notamment.
La France elle-même devra faire un très grand effort d'adaptation
pour que cette coopération européenne puisse se développer
et porter tous ses fruits. Cet effort devra porter non seulement sur la
définition des règles applicables mais aussi sur les questions
matérielles que suscite la prise en compte de l'immigration. A cet
égard, une " révolution des esprits " paraît
s'imposer pour que la dimension européenne soit complètement
intégrée dans l'organisation administrative et qu'elle se
traduise par un effort d'informations réciproques et de
coopération renforcée. Jusqu'à ce jour, notre propension
nationale est à la pratique d'une politique hexagonale qui l'emporte le
plus souvent en matière d'immigration sur la prise en compte des flux
d'immigrants qui seront de plus en plus nombreux à s'inscrire aux
guichets des frontières extérieures communes de l'Europe du
XXIème siècle.