Remise en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication
M. Jean FRANÇOIS-PONCET et M. Gérard LARCHER
Rapport de commission d'enquête 479 - 1997 / 1998
Table des matières
- RÉSUMÉ DU RAPPORT
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE -
LAISSONS UNE CHANCE À LA VOIE D'EAU- I. LE PROJET DE LIAISON " SAÔNE-RHIN " A-T-IL ÉTÉ VICTIME D'UNE COALITION ?
- II. TRANSPORT FLUVIAL, TRANSPORT D'AVENIR ?
- III. QUELLE POLITIQUE FLUVIALE ET QUELLES RÉALISATIONS ?
-
DEUXIÈME PARTIE -
TIRONS PARTI DE NOTRE RÉSEAU FERROVIAIRE EN VUE D'UNE OUVERTURE SUR L'EUROPE- I. UNE PROGRAMMATION DES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES DÉFAILLANTE
-
II. LES INCERTITUDES NE SONT PAS LEVÉES
- A. LE NOUVEAU CONTEXTE DE LA POLITIQUE FERROVIAIRE
- B. LES PROJETS DE LIGNES NOUVELLES ANNONCÉS PAR LE GOUVERNEMENT : LES INCERTITUDES DEMEURENT
- C. UNE ABSENCE D'ORIENTATIONS CLAIRES CONCERNANT LE DÉVELOPPEMENT DES LIGNES CLASSIQUES
-
III. LA NÉCESSAIRE RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE FERROVIAIRE
- A. LA POURSUITE DE LA POLITIQUE DE MODERNISATION DU RÉSEAU FERROVIAIRE S'IMPOSE
- B. LE TRAFIC DE VOYAGEURS : DES SOLUTIONS POUR AMÉLIORER LA DESSERTE DU TERRITOIRE
- C. DÉVELOPPER UNE POLITIQUE DE FRET FERROVIAIRE
-
TROISIÈME PARTIE -
ACHEVONS ET MAINTENONS UN RÉSEAU AUTOROUTIER DE QUALITÉ DANS UNE PERSPECTIVE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE-
I. LA REMISE EN CAUSE DE LA PRÉFÉRENCE FRANÇAISE POUR LA
ROUTE
- A. L'AMBITION DU SCHÉMA DIRECTEUR ROUTIER NATIONAL DE 1992
- B. NATIONAL
- C. APERÇU DE LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE DES AUTRES PAYS ET DE L'UNION EUROPÉENNE
-
II. UNE REMISE EN CAUSE REPOSANT SUR DES FONDEMENTS DOUTEUX
- A. L'ARGUMENTATION ÉCOLOGIQUE : RÉALITÉ OU IDÉOLOGIE ?
- B. LES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DU SECTEUR CONCÉDÉ : VÉRITÉ OU ERREURS
- C. LES OBLIGATIONS EUROPÉENNES : PRÉTEXTE OU INCOHÉRENCE
-
III. LES PROPOSITIONS : ACHEVER ET PERENNISER UN RESEAU AUTOROUTIER
PERFORMANT
- A. UNE VERITABLE PROCEDURE DE PROGRAMMATION
- B. DÉVELOPPER DES " OBJETS AUTOROUTIERS ALLÉGÉS " POUR RÉDUIRE LES COÛTS DE CONSTRUCTION DES AUTOROUTES
- C. RÉNOVER EN PROFONDEUR LE SYSTÈME DE FINANCEMENT
- D. APPLIQUER LES DIRECTIVES EUROPEENNES COMME ELLES DOIVENT L'ÊTRE
-
I. LA REMISE EN CAUSE DE LA PRÉFÉRENCE FRANÇAISE POUR LA
ROUTE
- CONCLUSIONS GÉNÉRALES
- EXPLICATION DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE
- CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN À LA COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE CHARGÉE D'EXAMINER LE DEVENIR DES GRANDS PROJETS D'INFRASTRUCTURES TERRESTRES D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DANS UNE PERSPECTIVE DE DÉVELOPPEMENT ET D'INSERTION DANS L'UNION EUROPÉENNE
-
ANNEXE N° 1 -
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES MENTIONNÉES AU JOURNAL OFFICIEL -
ANNEXE N° 2 -
LE CANAL MAIN-DANUBE
-
ANNEXE N° 3 -
INTERMODALITÉ ET TRANSPORTS AÉRIENS -
ANNEXE N° 4 -
SCHÉMA DU RESEAU TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT, SECTION VOIES NAVIGABLES (HORIZON 2010) -
ANNEXE N° 7 -
AUDITION DE MME DOMINIQUE VOYNET,
MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
ET DE L'ENVIRONNEMENT,
LE 6 MAI 1998 -
ANNEXE N° 8 -
L'ÉVOLUTION DU TRAFIC SUR LA VOIE FLUVIALE RHIN-MAIN-DANUBE APRÈS L'ACHÈVEMENT DU CANAL
DU MAIN AU DANUBE EN 1992
-
ANNEXE N° 9 -
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
LORS DES DÉPLACEMENTS À L'ÉTRANGER -
ANNEXE N° 10 -
COMMUNIQUÉ DE LA RÉUNION INTERMINISTÉRIELLE DU 4 FÉVRIER 1998 -
ANNEXE N° 13 -
DESSERTE DU TERRITOIRE
PAR LA TÉLÉPHONIE MOBILE
N°
479
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 4 juin
1998
Dépôt publié au Journal officiel du 5 juin 1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 1998
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) chargée d'examiner les conditions dans lesquelles semblent aujourd'hui remis en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication , et les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans l'Union européenne, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 11 décembre 1997,
Président
M. Jean FRANÇOIS-PONCET,
Rapporteur
M. Gérard LARCHER,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
Mme Janine Bardou
,
MM.
Jacques Bellanger, Claude Belot, Roger Besse, Jean Clouet, Jean-Paul Emorine,
Léon Fatous, Jean François-Poncet, Aubert Garcia , Alain
Gérard, François Gerbaud, Francis Grignon, Georges Gruillot, Jean
Grandon, Jean Huchon, Gérard Larcher, Michel Mercier, Jacques Oudin,
Daniel Percheron, Roger Rinchet, Mme Odette Terrade.
Voir les numéros
:
Sénat
:
61
,
107, 101
et T.A.
51
(1997-1998).
|
Aménagement du territoire. |
RÉSUMÉ DU RAPPORT
PRINCIPALES PROPOSITIONS
La
politique des transports terrestres doit s'appuyer sur la combinaison de la
route, du rail et de la voie d'eau. Compte tenu des spécificités
françaises en termes de superficie, de densité, de
géographie et de la nécessité de faire de notre pays l'une
des " plaques tournantes " du transport en Europe, la commission
d'enquête propose de :
RÉSEAU FLUVIAL
- soutenir et achever la réorganisation et la modernisation de la
batellerie française, ainsi que le développement d'une batellerie
artisanale compétitive ;
- achever la réfection du réseau existant
-spécialement celle du réseau à grand gabarit- ;
- améliorer la desserte fluviale du Port du Havre
- choisir rapidement le tracé du canal Seine-Nord afin de lancer
les études d'avant projet et de ne pas retarder sa construction.
RÉSEAU FERROVIAIRE
- poursuivre la réalisation d'un réseau à grande
vitesse dans une perspective européenne grâce à un phasage
des investissements privilégiant les projets les plus rentables ;
- accroître les capacités du transport ferroviaire de
marchandises en adoptant des conditions d'exploitation du réseau plus
favorables au fret et en réalisant des investissements destinés
à remédier à la saturation de l'infrastructure sur
certains noeuds ferroviaires stratégiques ;
- établir des liaisons dédiées au transport de fret
sur l'axe Nord-Sud afin de créer un " Rhin-Rhône
d'acier " et sur l'axe Est-Ouest, notamment dans la perspective d'une
amélioration des dessertes des ports français ;
- définir une logique nationale de développement du
transport combiné et remédier à la saturation des
équipements existants.
RÉSEAU AUTOROUTIER
- Instaurer une véritable procédure de programmation
autoroutière, décidée et revue tous les cinq ans par le
Parlement et comprenant les trois éléments nécessaires
à sa réalisation : une définition des travaux
(construction, réhabilitation), un échéancier, des
enveloppes d'investissement assorties de modalités de financement.
- Définir un concept d'autoroute évolutive à
coût réduit (autoroute allégée), initialement
à deux fois une voie, adapté à une intensité
kilométrique inférieure ou égale à
10.000 véhicules/jour.
- Réformer en profondeur le système de financement des
autoroutes en établissant le principe (et non plus l'exception) de
l'autoroute à péage, en transformant les sociétés
d'autoroutes en deux véritables entreprises publiques concessionnaires,
en adaptant la durée des financements à la durée de vie
des infrastructures, en faisant du Fonds d'investissement des transports
terrestres et des voies navigables l'instrument privilégié de
l'action de l'Etat sur le réseau non concédé (construction
et entretien) par une réforme de ses recettes (remplacement de la taxe
d'aménagement du territoire par un autre prélèvement) et
de ses dépenses (remplacement des dépenses autoroutières
par des dépenses routières et d'entretien).
- Appliquer les directives européennes comme elles doivent
l'être en matière de péage, de TVA et de mise en
concurrence régulière des concessions (déjà
octroyées ou à venir), en défendant toutefois le principe
indispensable de la péréquation, au sein du réseau
concédé, entre liaisons réalisées et liaisons
à construire.
INTRODUCTION
Depuis
plus de trente ans, beaucoup a été fait, en France, en
matière d'infrastructures de transports terrestres. Pour autant, les
pouvoirs publics peuvent-ils considérer que les plus
" rentables " des liaisons terrestres ayant été
réalisées, seules compteraient désormais les liaisons
locales et les services de proximité ? Le Sénat s'est
interrogé à ce sujet. Il a ainsi décidé de
créer, le 11 décembre 1997, une commission
d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets
d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire dans une
perspective de développement et d'insertion dans l'Union
européenne.
Aussi, l'annonce par le Gouvernement, au Comité interministériel
d'aménagement et de développement du territoire du
15 décembre 1997, d'une révision de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire du 4 février 1995, et celle de l'élaboration
de plusieurs " schémas de services collectifs " fixant les
orientations de l'Etat, notamment en matière de politique des
transports, n'ont fait que renforcer les interrogations de la Haute
Assemblée par rapport à ce qui pouvait apparaître comme une
remise en cause des principes qui avaient, jusqu'à présent,
inspiré la politique d'aménagement du territoire.
Toutes les études prospectives montrent que dans les années
à venir la demande de transports se développera. Le marché
unique et l'intégration progressive des économies
européennes favoriseront la progression des échanges. Ce
mouvement concernera tant les trafics vers l'Europe centrale que vers la
Méditerranée, qu'il s'agisse de la Péninsule
ibérique ou, plus largement, de l'ensemble du bassin
méditerranéen. Il est donc vital de placer la France au centre du
réseau européen de transports.
Notre pays est susceptible de devenir la " plaque tournante " des
échanges entre l'Europe du nord et l'arc Méditerranéen.
Mais il pourrait tout aussi bien être marginalisé,
contourné, se retrouver en dehors d'une Europe de plus en plus
continentale, s'il devait continuer à être frileux ou incapable de
stabilité dans ses décisions.
Compte tenu des efforts déjà réalisés, de la
rareté des ressources et de la persistance de disparités
régionales, les objectifs de la politique des transports peuvent entrer
en conflit avec ceux de l'aménagement du territoire : "
les
premiers conduisent à orienter les investissements là où
les besoins sont les plus forts, c'est à dire là où ils
sont induits par un développement déjà vigoureux, et par
conséquent sur les axes sur lesquels les flux sont déjà
massifiés. Ainsi se trouve entretenu un " cercle vertueux ",
dans la mesure où le développement en cours se trouve à
son tour favorisé par une meilleure accessibilité. La politique
des transports favorise ainsi un effet d'accompagnement qui
bénéficie aux régions dynamiques. Mais si l'on prend en
considération les problèmes d'aménagement du territoire,
cette concentration des moyens sur les axes lourds provoque une diminution de
fait de l'accessibilité relative dont bénéficient les
régions peu développées ou moins peuplées [...].
Ainsi se trouvent aggravées les inégalités de
développement à mesure que se développent les
investissements d'infrastructure les plus rentables [...].
"
1(
*
)
Bien qu'elle soit une condition nécessaire, la création
d'infrastructures n'est cependant nullement en soi suffisante. Elle ne
contribue au développement économique qu'accompagnée de
financements et d'autres politiques sectorielles (formation des hommes,
développement de la recherche). C'est pourquoi la loi d'orientation et
la loi de finances pour 1995 ont créé divers fonds concourant
à l'aménagement du territoire.
Certains feront valoir le risque de voir des villes moyennes affaiblies par
l'existence de grandes liaisons à l'instar des villes du bassin parisien
qui gravitent dans l'orbite de Paris. Pour autant, le " laisser
faire " en la matière constituerait un choix : celui de la
stratégie du déclin. Si, à l'évidence, la politique
des transports ne peut s'affranchir des contraintes économiques, elle ne
doit pas davantage manquer d'ambition.
La conception dynamique et ambitieuse de l'aménagement du territoire
qu'a toujours défendue le Sénat ne fait cependant pas
l'unanimité. Elle semble actuellement mise en question par une nouvelle
politique qui invoque pèle mêle le respect de l'environnement, le
" développement durable ", le recours aux nouvelles
technologies de communication, et la situation des finances publiques...
Aucun des membres de votre commission d'enquête ne conteste au
Gouvernement le droit de choisir une autre politique que celle qui a
été conduite jusqu'à présent. Encore faut-il que
les raisons qu'il invoque soient conformes à la réalité
des choix qu'il effectue et des objectifs qu'il poursuit.
La loi n°95-115 du 4 février 1995 tendait à assurer à
chaque citoyen l'égalité des chances et l'égal
accès au savoir en compensant les handicaps territoriaux par des
dispositions dérogatoires. Elle proclamait le caractère
d'intérêt général de la politique
d'aménagement et de développement du territoire qui concourt
à l'unité et à la solidarité nationales.
Ce texte, traduisant une prise de conscience et une volonté politique
sans équivalent depuis le " premier choc pétrolier ",
reposait sur l'idée qu'il n'existe pas d'aménagement du
territoire sans infrastructures, qu'il s'agisse d'infrastructures
financières (système approprié de
péréquation des ressources), de communication (acheminement des
hommes et des marchandises) ou intellectuelles (universités et centres
de recherche).
Partant de l'idée que les infrastructures de communication sont l'un des
piliers de la politique d'aménagement du territoire, la loi
d'orientation du 4 février 1995 disposait que le schéma national
d'aménagement et de développement du territoire (SNADT)
"
établit les principes régissant la localisation des
grandes infrastructures de transport [...] "
.
Le SNADT devait être approuvé par le Parlement après
consultation des régions, des départements et des principales
organisations représentatives des communes urbaines et rurales et des
groupements de communes.
Des schémas sectoriels, pris par décret, auraient
précisé les orientations générales fixées
par le schéma national. L'article 17 de la loi d'orientation,
consacré aux schémas des infrastructures de transport fixait,
tout d'abord, un objectif : "
en 2015, aucune partie du territoire
français métropolitain continental ne sera située à
plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d'automobile d'une autoroute
ou d'une route express à deux fois deux voies en continuité avec
le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau
ferroviaire à grande vitesse
"
.
Le même texte
prévoyait la révision du schéma directeur routier national
et du schéma directeur des voies navigables jusqu'en 2015 ainsi que
l'établissement à la même échéance, d'un
schéma du réseau ferroviaire, d'un schéma des ports
maritimes et d'un schéma des infrastructures aéroportuaires.
Afin d'échapper à la seule logique de rentabilité
financière, l'article 17 énonçait aussi que les
schémas prendraient en compte les orientations nationales de
développement du territoire -les trafics constatés n'étant
pas le seul critère de choix- ainsi que les orientations des
schémas européens à travers le territoire français.
Chacun des cinq schémas sectoriels était explicitement
visé par l'article 18 de la loi d'orientation
précitée.
Le schéma directeur routier national devait définir les grands
axes des réseaux routiers et autoroutiers dans une perspective de
desserte équilibrée et de désenclavement, quels que soient
les trafics constatés.
Au schéma directeur des voies navigables revenait de préciser les
axes reliant les bassins économiques pour favoriser le report du trafic
des marchandises sur la voie d'eau, ainsi que la mise en réseau des
voies fluviales à grand gabarit et leur raccordement aux grands sites
portuaires français.
Le schéma du réseau ferroviaire révisait et prolongeait le
schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande
vitesse, les liaisons ferrées de transports d'intérêt
national, les " autoroutes ferroviaires " et les liaisons
régionales afin que soient assurées la continuité et la
complémentarité des réseaux pour les personnes et les
marchandises.
La loi confiait au schéma des ports maritimes le soin de définir
les grandes orientations de l'organisation portuaire.
Enfin le schéma des infrastructures aéroportuaires
prévoyait le développement international des aéroports
situés en dehors de la région Ile-de-France, ainsi que
l'adaptation des aéroports commerciaux installés dans cette
région aux évolutions du trafic aérien civil.
Les nouvelles orientations de la politique des transports du Gouvernement ont,
par leur ambiguïté, suscité un certain trouble dans
l'opinion en général et dans la Haute Assemblée, en
particulier.
Dans le domaine routier, un certain nombre de liaisons autoroutières
prévues au schéma directeur ont été remises en
cause.
En matière de transports ferroviaires, les grands projets de
création de lignes à grande vitesse (achèvement du TGV
Méditerranée, du TGV Rhin-Rhône, et du TGV Atlantique)
n'ont fait l'objet d'aucun engagement chiffré ni d'aucun calendrier
précis. Quant au TGV Est, dont la construction a été
annoncée par le Gouvernement à grand renfort de publicité,
il semble que le problème de son financement soit toujours en suspens.
Dans le domaine fluvial, l'abandon du canal Rhin-Rhône,
décidé sans que soit modifiée la loi d'orientation du 4
février 1995 qui disposait que ce projet devait être
réalisé en 2010, a pu traduire, aux yeux de certains, une forme
de mépris à l'égard de la loi et de la
représentation nationale.
Le respect de l'environnement, le développement durable, l'utilisation
des nouvelles techniques de communication et l'intermodalité -souvent
présentée comme une innovation majeure- sont
périodiquement évoqués par le Gouvernement pour justifier
la réorientation de la politique des infrastructures de transport.
A y regarder de plus près, le Gouvernement ne fait, en la
matière, pas preuve d'autant d'imagination qu'il y paraît. Des
préoccupations strictement analogues figuraient explicitement dans le
texte de la loi d'orientation.
C'est ainsi que le respect de l'environnement et du développement
durable constituait l'un des objectifs du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire (article 2 de la
loi d'orientation). Quant à la nécessité d'une approche
intermodale, elle était explicitement formulée par le dernier
alinéa du même article qui disposait que les schémas
sectoriels : "
comporteront une approche multimodale
intégrant le mode étudié dans une chaîne de
transport et prenant en compte les capacités retenues pour les autres
modes de transport
".
N'est-ce donc pas avec une certaine exagération que l'on présente
aujourd'hui ces concepts -somme toute bien connus des spécialistes-
comme l'alpha et l'oméga de la nouvelle politique des transports ?
Enfin, l'idée que les nouvelles techniques de communication pourraient
se substituer -au moins en partie- aux infrastructures classiques a
été également souvent formulée.
Cette affirmation méritait un examen. La mission d'information du
Sénat sur l'aménagement du territoire avait, certes,
déjà jugé que : "
les
télécommunications joueront dans l'avenir pour
l'aménagement du territoire un rôle aussi important que les
infrastructures de transport "
2(
*
)
. Mais
peut-on considérer que le développement de ces nouveaux
instruments soit, à lui seul, susceptible de pallier la carence des
infrastructures de transport terrestre ?
PREMIÈRE PARTIE -
LAISSONS UNE CHANCE
À LA VOIE D'EAU
Dans le
cadre des engagements pris lors de la campagne électorale du
printemps 1997, au travers de l'accord politique avec les Verts, le
Premier Ministre a abrogé, le 30 octobre dernier, la
déclaration d'utilité publique (DUP) de la liaison fluviale
" Saône-Rhin " entre Laperrière (Côte d'Or) et le
grand canal d'Alsace à Niffer (Haut-Rhin). Cette DUP, signée en
1978 et renouvelée dix ans plus tard, venait à
échéance le 30 juin 1998.
L'abandon du projet de ce qu'il est convenu d'appeler le " canal
Rhin-Rhône " pose avec acuité le problème des
relations commerciales entre bassin rhénan, couloir rhodanien et
Méditerranée occidentale. En effet, depuis l'achèvement
des travaux de mise à grand gabarit du Rhône et de la Saône,
la France dispose d'un axe fluvial continu de près de
520 kilomètres, accessible aux navires de 1.500 tonnes entre
Marseille et la Bourgogne. Cet axe est interrompu au confluent de la
Saône et du Doubs à la hauteur de
Laperrière-sur-Saône. A cet endroit, les plus gros navires ne
peuvent emprunter en direction du nord-est ni le Doubs ni le canal Freycinet
dont le gabarit ne dépasse pas 649 tonnes (classe 1 et 2).
L'aménagement de 169 kilomètres de rivières entre
Laperrière et Niffer aurait permis d'établir une communication
directe, accessible aux plus grands des navires actuellement en circulation
entre le Rhône et le Rhin.
Afin de franchir le relief qui sépare l'Alsace de la
Franche-Comté (la ligne de partage des eaux culmine au nord de
Montbéliard), d'importants travaux de terrassement étaient
nécessaires. Pour compenser la dénivellation
(106 mètres sur le versant alsacien et 158 mètres sur
le versant franc-comtois), il fallait créer 23 biefs
séparés par 24 écluses d'une longueur de
190 mètres et d'une hauteur maximale de chute de
24 mètres. La gestion du débit des eaux nécessitait,
en outre, la construction de 15 barrages tandis que le franchissement de
l'ouvrage par les piétons, les voitures et les trains supposait
l'édification de plus de 100 ponts et passerelles. Au total,
75 millions de tonnes de matériaux auraient été
extraites du chantier en une quinzaine d'années.
La liaison aurait eu un impact majeur sur l'environnement et le cadre de vie
car elle empruntait la vallée du Doubs, traversait les
agglomérations de Mulhouse, Montbéliard, Besançon et
Dôle, passait à proximité de 33 sites classés
ou inscrits, 36 monuments historiques et 196 sites
archéologiques.
Une fois en service, la voie d'eau à grand gabarit aurait permis
à des navires automoteurs de 2.000 tonnes et à des convois
poussés de 4.400 tonnes de se rendre en quatre jours de Niffer, sur
le grand canal d'Alsace, à Port-Saint-Louis, au débouché
du delta du Rhône.
Si l'essentiel des études préalables au projet de voie d'eau
à grand gabarit ont été réalisées par la
Compagnie nationale du Rhône, sa construction fut confiée à
la Société pour la Réalisation de la liaison fluviale
Saône-Rhin.
Depuis sa création,
la
Compagnie nationale du Rhône
(CNR) est le concessionnaire
des travaux d'aménagement du
fleuve
(production d'électricité, navigation et
agriculture
3(
*
)
). La loi n° 80-3 du
3 janvier 1980 lui a expressément confié, outre la
construction de la liaison Saône-Rhin à grand gabarit,
l'exploitation et l'entretien de l'ensemble de la liaison fluviale du
Rhône au Rhin.
La
Société pour la Réalisation de la liaison fluviale
Saône-Rhin ou SORELIF
4(
*
)
a, quant
à elle, reçu aux termes de l'article 35 de la loi
n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire, la
délégation de la maîtrise d'ouvrage des travaux. A ce
titre,
elle était chargée de la construction de l'ouvrage,
ultérieurement exploité par la CNR.
L'article 36 de la loi n° 95-115 du
4 février 1995 d'orientation précitée a
prévu que le
financement
des travaux de construction
effectués par la SORELIF
serait
principalement
assuré
par EDF
, au titre de la mise à disposition de l'énergie
produite par les installations hydroélectriques situées sur le
Rhône. Le système de financement choisi par le législateur
ne grevait donc pas le budget de l'Etat. Le même texte -toujours en
vigueur- prévoit également que l'ensemble des travaux devait
être achevé au plus tard en 2010.
La décision d'abandonner le projet Rhin-Rhône est intervenue au
moment où celui-ci était en passe de débuter,
malgré les oppositions dont il faisait l'objet. Peu de projets
d'infrastructure ont suscité autant de polémiques à cause
des transformations écologiques -réelles ou supposées-
qu'ils étaient susceptibles d'entraîner. " Maillon
manquant " entre la mer du Nord et la Méditerranée pour les
uns, " projet pharaonique " et gouffre financier pour les autres, ce
dossier mérite d'être réouvert. Nul n'a examiné les
conséquences de son abandon sur le moyen terme, dans la perspective de
l'unification européenne.
En effet, actuellement plusieurs de nos voisins européens misent sur le
développement de la voie d'eau.
L'Allemagne qui a d'ores et déjà mis en service le canal Main
Danube auquel est consacrée une annexe du présent rapport, va
réaliser d'importants investissements sur le Mittellandkanal qui
traverse le pays d'Ouest en Est et permet de relier Hanovre et Berlin à
la Pologne. Le coût total des travaux réalisés sur les
283 kilomètres de voies navigables avoisine 15 milliards de
francs. La réalisation de telles infrastructures ne peut laisser
indifférent à l'heure où certains prédisent
l'inéluctable déclin de la voie fluviale.
Lors d'une mission à Bruxelles, les membres de votre commission
d'enquête ont été frappés de constater que les
services de la Commission européenne prévoyaient un
développement du transport fluvial en Europe dans les années
à venir !
D'un point de vue plus général, l'abandon de la liaison
Saône-Rhin pose le problème du développement du transport
fluvial dans notre pays, à l'heure où l'on poursuit des
études sur les canaux " Seine-Nord " et
" Seine-Est ". Quels enseignements la politique fluviale
française peut-elle tirer de l'échec du projet de liaison
Rhin-Rhône ?
*
* *
I. LE PROJET DE LIAISON " SAÔNE-RHIN " A-T-IL ÉTÉ VICTIME D'UNE COALITION ?
En
apparence, le projet " Saône-Rhin " a été victime
de l'hostilité des mouvements écologistes. Or, à y
regarder de plus près il s'est heurté à de nombreuses
autres oppositions plus discrètes mais tout aussi tenaces.
La liaison Saône-Rhin a-t-elle fait les frais d'un manque de
préparation ? A-t-elle subi le contrecoup des transformations de
l'environnement économique ? Est-elle victime d'une coalition
hétéroclite d'adversaires incapables de proposer une solution
alternative aux problèmes de transports entre bassin rhénan et
Méditerranée ?
Telles sont les questions que l'on se propose d'examiner, en première
analyse.
A. L'HOSTILITÉ DES ÉCOLOGISTES
Pour les
associations écologistes réunies au sein du collectif
" Saône et Doubs vivants ", le projet de liaison à grand
gabarit occasionnait une
perte patrimoniale irréparable
, et
causait des
dommages aux hydrosystèmes
sans commune mesure avec
son intérêt économique.
Selon le Comité de liaison pour les alternatives aux canaux interbassins
(CLAC), qui appartient au collectif précité : "
le
transport fluvial ne représente pas systématiquement le mode de
transport le plus respectueux de l'environnement
" car s'il
"
consomme moins d'énergie à la tonne-kilomètre en
plaine et sur parcours dénué d'obstacle que le camion ou
même que le fer, ce n'est pas vrai en zone de relief : le train qui n'est
pas stoppé par les écluses reprend l'avantage, sa vitesse est
également supérieure
".
Pour le CLAC, l'idée que le transport par voie d'eau est
écologique est "
totalement inexacte dès lors que l'on
considère les impacts sur les milieux naturels
" liés
à la réalisation d'une infrastructure à grand gabarit.
Dès lors, la construction d'une liaison interbassin à grand
gabarit empruntant le Doubs entre l'Alsace et la Franche-Comté aurait
entraîné des conséquences dommageables, voire
irréparables, car :
L'approvisionnement en eau
du canal n'aurait pas été
correctement assuré, le déficit annuel de l'écluse de
Besançon pouvant ainsi atteindre de 5 millions de m3 en
année moyenne à 30 millions de m3 en année
sèche.
Une désorganisation du système hydraulique
serait
survenue entre Montbéliard et Besançon, région karstique
où l'imperméabilisation de certains tronçons du cours du
Doubs aurait pu rompre l'équilibre entre eaux superficielles et eaux
souterraines.
La liaison aurait eu un impact sur
l'approvisionnement en eau potable
et menacé 35 des 77 puits existants.
Une
augmentation des
risques d'inondation
aurait
été causée par la suppression des méandres du Doubs
et l'accélération du flux des crues qui auraient augmenté
le risque de conjonction des crues du Doubs et de la Saône (d'autant que
l'endiguement du canal aurait limité l'expansion de la rivière en
crue).
Une
dégradation de la qualité des eaux
serait apparue car
le canal aurait exacerbé l'effet des effluents présents dans
l'eau en ralentissant le courant sur le Doubs à l'étiage et en
empêchant la rivière de jouer son rôle de " station
d'épuration naturelle " (dû à la présence de
micro-organismes qui décomposent et synthétisent la
matière organique excédentaire).
L'ouvrage aurait causé une
perte patrimoniale irréparable
du fait de la
disparition d'espèces piscicoles
(perte de
près de 170 frayères) et de
zones humides
particulièrement riches en faune et en flore
et, d'un point de vue
global, de la transformation d'une rivière méandrée en
voie canalisée.
Les critiques émises par les écologistes ont eu d'autant plus
d'impact dans l'opinion publique que le projet lui-même a souffert,
à l'origine, des approximations des experts.
B. LES APPROXIMATIONS DES EXPERTS
Peu de
projets d'infrastructures ont fait l'objet d'évaluations aussi
controversées que la liaison " Saône-Rhin ". Depuis
1987, les expertises et les contre-expertises se sont succédées
quasiment sans interruption. Nous ne citerons, parmi les
estimations de
trafic
, de
rentabilité
et de
coût du projet
, que
les principales, notamment :
- l'étude du projet Rhin-Rhône élaborée par
l'Observatoire économique et statistique des transports en 1987 ;
- l'étude des prévisions de trafic de la liaison fluviale
à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin réalisée
par le cabinet néerlandais NEA, en 1993, pour la CNR ;
- le rapport " Seligmann " du Conseil général des
Ponts et Chaussées (CGPC) sur les études économiques des
liaisons fluviales à grand gabarit Seine-Nord et Saône-Rhin, de
1994 ;
- enfin, le rapport de la mission d'expertise de l'Inspection
générale des Finances (IGF) et du CGPC sur le projet de liaison
Saône-Rhin dit " Renié-Wallon " de 1996.
Force est de constater, avant d'examiner chacune de ces études plus en
détail, la
fragilité des évaluations de trafic
. En
effet, la France ne dispose pas d'un véritable réseau fluvial
à grand gabarit. Les dernières réalisations sont anciennes
(elles remontent à la mise à grand gabarit du Canal du Nord), et
les simulations restent, par conséquent, délicates. Comme
l'observait une personnalité auditionnée par votre commission
d'enquête "
Pouvait-on prévoir le trafic du canal de Suez
en observant le trafic sur le dos des chameaux ?
"
Une remarque récemment formulée par le
sénateur Philippe Marini sur la difficulté de calculer la
rentabilité des investissements portuaires s'applique également
aux liaisons fluviales. Notre collègue note que : "
la question
de fond reste de savoir si l'investissement doit être calibré pour
le trafic existant ou pour le trafic prévisible. Pour rompre ce cercle
vicieux, il faudrait disposer d'études de rentabilité qui font
défaut aussi bien a priori qu'a posteriori
"
5(
*
)
.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations liminaires que
doivent être examinées des prévisions de trafic, fort
dissemblables au demeurant.
1. Les prévisions de trafic
L'analyse de l'OEST réalisée en 1987
Dans une note publiée en 1987, l'Observatoire économique et
statistique des transports a présenté une critique des
prévisions élaborées par la CNR. Pour le service du
Ministère de l'Équipement, la liaison Saône-Rhin
était : "
Un projet trop coûteux au regard des
alternatives d'investissements possibles à long terme ".
Il
concurrençait les réseaux existants "
sans que les
transferts modaux soient assurés, ni que ces transferts conduisent
réellement à une réduction des coûts globaux
d'acheminement pour la collectivité ".
Il "
ne
bénéficiait pas aux agents nationaux même à terme,
et constituait un transfert net vers des pays limitrophes sans que sa
rentabilité soit elle-même garantie sur le plan
communautaire
".
Tout en soulignant que son appréciation "
découlait
essentiellement du constat de non-rentabilité économique du
projet Rhin-Rhône compris comme une opération isolée et ne
préjugeait pas celle de la création d'un réseau national
à grand gabarit
", l'étude de l'OEST évaluait le
transfert de trafic à moins de 3 milliards de
tonnes/kilomètres dont 2 milliards provenant du rail.
En valorisant, sur la base d'un taux d'actualisation de 8 % les avantages
liés à ce transfert, compte tenu d'un investissement total alors
estimé à 9,3 milliards de francs, l'étude estimait le
déficit global de l'opération entre 6,6 et 8 milliards de
francs selon que l'on examinait cette perte au niveau de la France seule ou
à l'échelon européen.
Pour la France, la perte avoisinait 8 milliards de francs. Le gain pour
les Etats voisins étant estimé à 1,3 milliard de
francs, le déficit total de l'opération approchait
6,6 milliards de francs pour tous les pays concernés.
Ces estimations sont reproduites dans le tableau ci-dessous.
SOLDES DES GAINS ET PERTES PAR ACTEURS
en millions de francs 1987
ACTEURS |
FRANCE
|
ÉTRANGER
|
TOTAL TOUS PAYS (1 + 2) |
Chargeurs/consommateurs |
996 |
996 |
1.992 |
Compagnies de navigation/Bateliers |
586 |
586 |
1.172 |
Chemins de fer |
- 290 |
- 290 |
- 580 |
Transporteurs routiers |
- 23 |
- 23 |
- 46 |
État |
80 |
80 |
160 |
CNR |
- 9.320 |
0 |
- 9.320 |
Compagnies routières |
- 26 |
0 |
- 26 |
TOTAL |
- 7.996 |
1.349 |
- 6.647 |
Source : Ministère de l'Equipement, OEST.
L'OEST expliquait ce résultat par l'existence d'importants coûts
fixes sur les réseaux concurrents qui "
ne permettait pas
d'espérer une réduction des coûts globaux d'acheminement
sur la liaison
". En clair : le projet bénéficiait aux
Etats voisins, et concurrençait le rail.
L'étude NEA de 1993 et les critiques émises à son
encontre par le Conseil général des Ponts et Chaussées
A la demande de la CNR, le bureau d'études néerlandais NEA a
réalisé, en 1993, une volumineuse étude
6(
*
)
dont il ressort qu'en tablant sur un doublement du
gisement du trafic entre 1990 et 2010 de 100 à 200 millions de
tonnes, la circulation sur la liaison Saône-Rhin pourrait atteindre en
2010 :
- de 11 à 13 millions de tonnes ;
- de 7,1 à 8,6 millions de tonnes/kilomètre.
Comme le souligne le rapport rédigé pour la 4e section du Conseil
général des Ponts et Chaussées (CGPC) à la demande
du directeur des transports terrestres, les prévisions de NEA reprises
par la CNR dépassent très largement celles
élaborées par l'OEST sept ans plus tôt. Ce service du
ministère des transports chiffrait, en effet, entre 2,2 et
3,2 milliards de tonnes/kilomètre le trafic fluvial à
l'ouverture de la liaison Saône-Rhin, alors prévue pour 2005.
Le même rapport du CGPC rappelait, en outre, que sur le Rhône et la
Saône à grand gabarit le trafic fluvial ne dépassait pas
1,4 million de tonnes depuis 1980 ce qui rendait peu vraisemblable
l'estimation avancée par NEA.
Aussi le CGPC estimait que les évaluations du cabinet néerlandais
étaient à la fois "
incertaines, extrêmement
optimistes et aléatoires
". Il soulignait que le modèle
utilisé par NEA fonctionnait comme une " boîte noire "
du fait d'un "
cheminement des calculs obscur
" et de la
fixation de certains paramètres de façon arbitraire. Il relevait
également que les hypothèses de croissance s'avéraient
trop optimistes car elles tablaient sur un quadruplement du trafic fluvial, ce
dont on pouvait douter s'agissant d'un flux principalement constitué de
pondéreux.
Le CGPC exprimait des réserves sur la substituabilité des modes
de transport. Il notait que : "
le report de trafic de la route ou du
fer à la voie d'eau n'est pas automatique : il suppose que soient
surmontés les principaux handicaps du transport fluvial, ce qui implique
toute une série de mesures sur lesquelles l'étude NEA
renchérit sans pour autant conclure sur les dispositions à
prendre
. " Il soulignait enfin que le taux de rentabilité
économique et social évalué entre 10,4 et 11,1 % pour
" Rhin-Rhône " "
ne pouvait être
sérieusement pris en considération en raison des imperfections de
la méthodologie, de la surestimation du coût des transports
routiers qui faussent considérablement l'évaluation de l'avantage
apporté par la voie d'eau et de la surestimation du trafic attendu [...]
particulièrement sensible pour Rhin-Rhône
". Il estimait
enfin que l'impact du canal sur la congestion routière serait
" très limité ".
Le coût prévisionnel du canal fit également l'objet
d'évaluations divergentes.
2. Les prévisions de coût
L'évaluation du coût de l'ouvrage lui-même
donna
lieu à autant de controverses que l'estimation de la rentabilité
du projet en termes de résultat d'exploitation.
Le coût de l'ouvrage
Selon les estimations de la CNR le projet coûtait, en juillet 1993,
17,3 milliards de francs hors TVA. Les principaux postes concernaient les
écluses et stations de pompage (31 %), le chenal navigable et le
tunnel (26 %), l'environnement et la dépollution (12 %), les
ponts et routes (10 %). L'acquisition de terrains ne représentait
que 6 % du coût total.
Pour l'IGF et l'IGPC
7(
*
)
, chargées
d'examiner la validité de ces évaluations, l'estimation avait
été sérieusement effectuée au plan technique et ne
comportait pas de sous-évaluation grossière. Les inspections
considéraient cependant que le coût du projet initial était
d'environ 19,3 milliards de francs, soit 10 % de plus que
l'estimation de la CNR.
Elles suggéraient
également
diverses adaptations au projet et notamment
des améliorations
:
-
techniques
(mise du tirant d'air à la norme de
7 mètres pour le transport de conteneurs et construction
d'écluses en nacelle pour le passage de petits bateaux) ;
-
patrimoniales
(conservation de sections du canal Freycinet,
protection des sites archéologiques et amélioration de la
traversée de Dôle) ;
-
hydrauliques
(amélioration des étiages et meilleure
protection contre les crues).
Au total, la mission de l'IGF et de l'IGPC chiffrait à
2,5 milliards de francs les surcoûts liés à
l'adaptation du projet
8(
*
)
.
C'est ainsi que le
coût total hors taxe
en valeur 1993
était évalué à 22,087 milliards de francs
,
soit 23,275 milliards de francs hors taxe en 1995. Encore fallait-il
ajouter à ce montant la TVA, ce qui avait pour effet de porter
le
coût toutes taxes comprises de l'investissement à
27,885 milliards de francs
.
Le même rapport observait que le
coût des ressources
immobilisées par EDF
pendant les travaux correspondants aux
" intérêts intercalaires " actualisés au taux de
8 % compte tenu de l'échéancier des dépenses,
représentait 21,5 milliards de francs
.
Le coût total de l'ouvrage en valeur 1995 était par
conséquent estimé à 49,4 milliards de francs.
La même mission présenta également une évaluation du
résultat d'exploitation de l'ouvrage.
Le résultat d'exploitation prévisionnel
Selon les calculs de la mission " Regnié-Wallon ",
les
recettes tirées de l'exploitation n'auraient pas permis
d'équilibrer les dépenses d'exploitation hors charge
d'amortissement
.
Avec un trafic de 2,5 millions de tonnes en 2010 et de 13 millions de
tonnes en 2030, le déficit d'exploitation aurait été de
108 millions de francs tant en 2010 qu'en 2030. Ainsi, comme l'observent
les auteurs du rapport précité, "
le résultat
d'exploitation aurait été relativement indifférent au
niveau effectif de trafic ou au rythme de montée en puissance de la
liaison
".
Si le trafic avait atteint 13 millions de tonnes, il aurait malgré
tout été nécessaire de fixer le péage à
6 centimes la tonne kilomètre pour que le résultat
d'exploitation soit équilibré. Or, ce montant se serait
avéré prohibitif, aussi bien par rapport aux péages
pratiqués sur les autres réseaux fluviaux européens que
comparé à celui fixé sur les autoroutes (en moyenne
5 centimes par tonne/kilomètre).
Dans ces conditions la mission d'inspection estimait que
l'attribution d'une
subvention d'équilibre était indispensable
. Restait à
savoir si celle-ci devait provenir d'EDF, de l'Etat, de VNF ou de la CNR.
Il va sans dire que compte tenu de l'importance des sommes en jeu, des opinions
contrastées se firent jour au sein de l'Etat sur l'opportunité de
construire le canal.
C. LES RÉTICENCES DES ADMINISTRATIONS ET DES ORGANISMES PUBLICS
Rares
sont les projets d'infrastructures qui ont encouru autant de critiques de la
part des services de l'Etat que la liaison Saône-Rhin. Les
ministères, les corps d'inspections, et de grands établissements
publics ont clairement fait connaître leur hostilité à son
sujet.
Tout se passe d'ailleurs comme si le transport fluvial faisait l'objet d'une
indifférence voire d'une méfiance de la part de certaines
administrations françaises. Comme le souligne un géographe, on se
heurte en la matière, au conservatisme des mentalités :
"
Pour changer d'état d'esprit, il faudrait réformer de
" nobles institutions ", changer la mentalité des hauts
fonctionnaires plus ou moins acquis pour diverses raisons à d'autres
intérêts, encourageant ainsi le transport routier et
défendant, malgré ses contre-performances, le chemin de fer dont
les structures demandent à être repensées, mais dont
l'évolution semble paralysée comme celle des ports maritimes
l'est et le fut par la toute-puissance d'un syndicalisme conservateur. Ils
vivent encore à l'heure de la concurrence, alors que celle de la
complémentarité, à travers l'intermodal, à
déjà sonné depuis dix ans "
9(
*
)
.
Parmi les critiques, celles du
Ministère des finances
ne furent
pas les moindres. Dans une note " confidentielle "
rédigée en mai 1996 puis remise au comité de liaison
anti-canal, -dix huit mois après l'arbitrage du Premier Ministre et un
an après le vote des articles 35 et 36 de la loi d'orientation pour
l'aménagement du territoire- le Ministère des finances critiquait
l'étude CNR-NEA de 1993. Il estimait qu'elle reposait sur des
hypothèses de trafic beaucoup trop favorables et sur un modèle
statistique qui n'avait fait l'objet d'aucun calage à partir de
données observées.
Après avoir contredit les éléments retenus par NEA pour
mesurer les avantages économiques du projet (surestimation du gain de
temps des chargeurs, majoration de l'effet de décongestion de la voie
routière, de l'incidence positive sur le port de Marseille et des
avantages en termes d'économie d'énergie), la note
révisait les prévisions de rentabilité interne du projet
de façon drastique.
Elle évaluait la
perte nette en valeur 1993 dans une fourchette de
- 8,3 à - 11,1 milliards de francs soit, en valeur
actualisée 2011
(date prévue pour la mise en service de
l'ouvrage)
- 33,2 à - 44,4 milliards de francs
.
Quelles qu'aient été les imprécisions de l'étude
NEA il est loisible de s'interroger sur les raisons qui poussaient les services
du Ministère des finances à critiquer un projet dont la mise en
oeuvre, décidée vingt ans plus tôt, venait d'être
confirmée par le Premier Ministre en fonction et dont le
législateur avait récemment déterminé les
modalités de financement au moyen de la " rente du
Rhône ". Peut être cette manne financière
suscitait-elle certaines convoitises du côté du Quai de Bercy ?
Le doublement du prélèvement sur les ouvrages
hydroélectriques immédiatement opéré au profit du
FITTVN
10(
*
)
, par la loi de finances pour 1998,
après l'abandon de " Rhin-Rhône ", tendrait à
confirmer cette analyse, d'autant que d'autres grands projets dont le
financement n'est pas assuré ont vu le jour.
Comme l'indiquait M. Raymond Barre devant votre Commission d'enquête
: "
Le TGV-Est, ce sont 38 milliards de financement et c'est parce
que l'on en cherche le financement que la rente du Rhône est aujourd'hui
en l'air [...] c'est la Direction du Budget qui veut mettre la main
là-dessus. C'est clair. Je les comprends, ils ont suffisamment de
problèmes. Mais la captation des rentes ne devrait pas se substituer
à la vision des intérêts stratégiques d'un
pays ".
S'agissant des critiques adressées à
" Rhin-Rhône ", le
Ministère de l'environnement
n'était pas en reste !
Un rapport publié en juillet 1995 par sa cellule de prospective et
de stratégie exprimait des réserves sur le projet. Ses auteurs
estimaient que "
la forte controverse économique sur la
rentabilité du canal Rhin-Rhône sur de nombreux
éléments du schéma autoroutier, sur certains
tronçons du TGV montr[ait] l'existence d'incertitudes beaucoup trop
importantes au regard de l'irréversibilité certaine des
conséquences environnementales. [...] la percée difficile d'un
canal de montagne en zone de forte valeur écologique n'ét[ait]
pas forcément une solution correcte au plan de l'environnement, ni au
plan du montant des fonds publics ainsi mobilisés au regard de
l'intérêt économique global du projet. En ce qui
concern[ait] plus précisément la liaison Rhin-Rhône,
l'option ferroviaire sembler[ait] nettement préférable aux plans
financiers (car l'usage permettrait dans ce cas de payer les travaux),
économique global (éventail plus large des produits
intéressés) et environnemental
"
Le ministère se déclarait hostile à l'idée que les
infrastructures favorisent le développement qu'il qualifiait de
"
mythe du développement socio-économique par les
infrastructures
" en estimant "
qu'il n'était pas
prouvé que la traversée d'un territoire par des services, a
fortiori par des infrastructures de transport soit garante de son
développement [...]
"
11(
*
)
.
L'opposition des ministères s'est également fondée sur les
analyses techniques élaborées par les grands corps de l'Etat.
Selon de hautes personnalités entendues par votre commission
d'enquête, certains
grands corps de l'Etat
se sont
incontestablement montrés plus " réceptifs " au
discours des promoteurs des transports routiers ou ferroviaires qu'à
celui des transporteurs fluviaux.
Ceci explique peut-être, par exemple, qu'un rapport de l'IGF et du CGPC
relève que "
la réalisation de la liaison
Saône-Rhin a fait l'objet d'une
décision politique
au
regard des enjeux d'aménagement du territoire et d'organisation à
long terme du système de transport
"
12(
*
)
. Une telle formule n'est pas sans susciter
d'interrogations. En effet, quelle décision relative à un grand
projet d'infrastructure ne peut être qualifiée de politique ? On
peut ici se demander si l'expression " décision politique " ne
tend pas à opposer le " parti pris " supposé du
" politique " au " détachement "
présumé des grands corps de l'Etat.
Chacun appréciera la justesse de cette expression !
Outre l'Etat, d'autres personnes publiques ont également pris parti
contre la liaison Saône-Rhin.
Le projet s'est notamment heurté à l'hostilité
d'
Électricité de France
et de la
Société
nationale des Chemins de Fer Français
.
Selon une haute personnalité entendue par votre commission
d'enquête et qui livrait sa conviction personnelle : "
on
n'aurait jamais trouvé ce projet rentable si EDF ne devait pas tout
payer
". Cette opinion était d'ailleurs partagée par les
défenseurs des intérêts financiers
d'EDF
.
Comme l'ont montré les débats du Conseil supérieur de
l'Électricité et du gaz (CSEG) du 25 juin 1995, les
critiques des syndicats du personnel d'EDF portaient principalement sur
l'article 36 de la loi n° 95-115 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire, qui instituait
un prélèvement sur le producteur d'électricité pour
financer Rhin-Rhône.
Un intervenant estima devant le CSEG que l'article 36
précité "
institutionnalisait un détournement de
fonds publics produits par l'exploitation de l'énergie électrique
à des fins étrangères à cet objet
". Pour
les opposants au prélèvement sur EDF, celui-ci n'était pas
justifié car le coût apparemment bas du kilowattheure produit sur
le Rhône résultait de l'amortissement
accéléré des barrages (en quinze ans environ) auquel EDF
avait procédé antérieurement. Dès lors, les usagers
avaient " payé d'avance " une partie du coût de
l'électricité du Rhône en remboursant la construction des
usines à un rythme accéléré.
De son côté, la
SNCF
voyait d'un mauvais oeil la
construction d'un ouvrage dont elle aurait nécessairement subi la
concurrence. Elle soulignait d'ailleurs, au début des années
1990, l'existence de réserves de capacité ferroviaires sur l'axe
Rhin-Rhône. Elle estimait également que le rail constituait la
solution la plus simple, la plus rapidement opérationnelle et la moins
coûteuse pour lutter contre la saturation progressive du sillon
rhodanien.
Comme l'observait une personnalité auditionnée par votre
commission d'enquête "
la SNCF expliqu[ait] qu'elle avait la
capacité de réaliser ce que pouvait faire le canal sur
Rhin-Rhône. D'ailleurs, quand il s'agissait de Rhin-Rhône, elle
disait " parlez plutôt de Seine-Nord ", et alors que cette
liaison devient d'actualité, son attitude est plutôt favorable
à Seine-Est
".
Un tel comportement, consistant à considérer que le
" bon " canal est celui que l'on ne réalise pas a d'ailleurs
été observé chez plusieurs opposants au
développement de la voie fluviale qui se sont exprimés devant
votre Commission d'enquête.
Au total, et bien qu'il soit difficile d'en démonter tous les ressorts,
le projet de liaison à grand gabarit a fait l'objet d'une opposition
souvent feutrée mais générale des administrations. En
dehors du soutien de quelques hautes personnalités il n'a reçu
aucun appui des services de l'Etat qui se sont, au contraire, employés
à en souligner les imperfections, alors même qu'il eût
été souhaitable de s'employer à y remédier.
Encore aurait-il fallu pour cela que le projet élaboré de 1978
à 1995 fût exempt de tout reproche.
D. UN PROJET QUI A MAL VIEILLI
Projet trop ancien, élaboré dans un esprit qui a réduit la concertation à la portion congrue, le projet de canal n'a pas reçu tous les soutiens que ses promoteurs espéraient trouver lors de sa déclaration d'utilité publique.
1. Un projet trop ancien
Aux
dires de nombreuses personnalités auditionnées par votre
commission d'enquête, la lenteur avec laquelle le dossier
Rhin-Rhône a été géré explique son
échec : plus de vingt ans séparent les procédures
préalables à la déclaration d'utilité publique et
l'abrogation de cette dernière.
Tel qu'il était conçu, le projet de canal correspondait, grosso
modo, aux besoins du système de transport fluvial du début des
années 1970. Il s'ensuit que les options choisies à cette
époque ne répondaient plus aux évolutions du marché
du transport fluvial du XXIe siècle.
La perte de part de marché subie par le transport fluvial
entre
la fin des années 1970 et la fin des années 1990
a
considérablement diminué la rentabilité
prévisionnelle du projet de liaison à grand gabarit.
En 1980, la part de marché du transport fluvial par rapport au rail et
à la route (ou " part modale ") était
légèrement inférieure à 5 %. La
rentabilité du projet Rhin-Rhône s'avérait par
conséquent nettement plus élevée qu'en 1997. A cette date,
la part modale du transport fluvial a presque diminué de moitié
par rapport à 1978 et reste légèrement inférieure
à 3 %.
Sans nul doute, la régression tendancielle du transport par voie d'eau
fut accentuée par l'existence d'un " maillon manquant " entre
Rhin et Rhône. Réciproquement, la rentabilité
prévisionnelle de la voie fluviale à grand gabarit
calculée au début des années 1990 souffrait de
l'affaiblissement du transport fluvial par rapport aux autres modes. Le temps a
travaillé pour les adversaires de Rhin-Rhône : plus il passait
moins la liaison était rentable.
Les caractéristiques techniques du projet initial répondaient
aux besoins du début des années 1970.
Or, le transport
fluvial avait évolué depuis cette époque. Tel qu'il
résultait des travaux menés par la Compagnie Nationale du
Rhône (CNR) entre 1980 et 1993, le projet s'avérait
inadapté pour trois raisons principales :
- sa conception répondait aux nécessités du transport
de
matériaux pondéreux
, et ne prenait pas assez en compte
le développement prévisible du transport de
conteneurs
(qui nécessite un tirant d'air plus élevé) ;
- il n'accordait pas une place suffisante aux exigences de la
navigation de plaisance
car il était avant tout conçu pour
le
trafic commercial
;
- il ne prenait pas en considération la meilleure connaissance des
systèmes hydrauliques et la nécessité d'une
meilleure
gestion des crues et de l'étiage
.
Evoquée dans le rapport " Renié-Wallon ",
présenté en 1996 par l'Inspection générale des
finances et le Conseil général des Ponts et Chaussées, la
question de la gestion des eaux, avait fait l'objet d'études
approfondies qui soulignaient les limites du projet élaboré par
la CNR.
Examinant le projet de liaison à grand gabarit en 1995, le
Conseil
scientifique du Comité de bassin
Rhône-Méditerranée-Corse
estimait souhaitable de
compléter les études
sur l'état initial de
l'environnement
par une approche plus qualitative
afin de
mieux
définir les mesures compensatoires
.
S'agissant du fonctionnement hydraulique de la région empruntée
par la liaison Saône-Rhin, le Conseil scientifique considérait que
l'étude du système hydraulique antérieur à la
réalisation du projet et l'impact de ce dernier laissaient à
désirer, s'agissant en particulier de :
- l'incidence des crues concomitantes du Doubs, de la Loue et de la
Saône ;
- la gestion des débits d'étiage en cas de sécheresse
;
- l'impact du projet sur l'équilibre entre eaux de surface et eaux
souterraines ;
- la gestion des crues inondantes.
Un rapport du Conseil général des Ponts et Chaussées
publié en avril 1996, présentant des
éléments préliminaires d'évaluation de
l'incidence de la liaison fluviale Saône-Rhin au regard des enjeux de la
loi sur l'eau
, formulait trois réserves vis-à-vis du projet,
dans le droit fil des analyses du Conseil scientifique du Comité de
bassin précité.
Il soulignait, en premier lieu, que la liaison se traduisait par une
"
perte écosystémique et patrimoniale
" en ce
qui concernait les
écosystèmes aquatiques
. Cette perte
-
non compensable
- provenait du bouleversement occasionné par
l'aménagement d'une rivière rapide qui limitait la
diversité des biocénoses
13(
*
)
aquatiques, et conduisait à une "
banalisation du patrimoine
hydrographique initial
".
Il considérait, en second lieu, que loin de garantir contre toute
pollution, le projet "
constituait, par sa conception
, un risque
d'aggravation des manifestations de la pollution
par
l'eutrophisation
14(
*
)
et les toxiques
".
Il jugeait enfin que l'ouvrage était susceptible
d'aggraver les
conséquences des inondations
dans tout le secteur du Doubs aval, de
la Saône amont, ainsi qu'en aval de leur confluence. Il recommandait, en
conséquence, "
l'examen de scénarios diversifiés
de genèse et de transfert des crues de la Saône, du Doubs et de la
Loue
", ainsi que "
la formulation de règles de gestion
des crues
".
Au total, le rapport préconisait une "
remise à plat
généralisée du projet
".
2. Une concertation trop tardive et des procédures mal maîtrisées
Parmi
les critiques auxquelles la gestion du dossier Rhin-Rhône a
prêté le flanc, le
manque de concertation
est sans doute
l'une des plus graves. Une haute personnalité estimait d'ailleurs devant
votre commission d'enquête qu'à tort ou à raison le projet
de liaison à grand gabarit était apparu aux citoyens comme
"
un travail d'ingénieurs qui n'ouvraient pas leurs dossiers
à la consultation locale
".
Deux périodes ont marqué l'évolution du dossier : durant
la première (1978-1995) celui-ci a été géré
par la CNR. Au cours de la seconde (1996-1997) il a été
confié à la SORELIF.
Au
début 1996
, -dix huit ans après la déclaration
d'utilité publique des travaux- la SORELIF, qui venait d'être
constituée, ne disposait que d'un
avant-projet sommaire
. Ce
document devait faire l'objet d'une concertation avec les services de l'Etat et
avec les acteurs locaux (collectivités locales et population). Ainsi,
à moins de deux ans de la fin de la validité de la
déclaration d'utilité publique
(le 30 juin 1998)
qui permettait de procéder aux expropriations,
un très
important travail de consultation et de concertation restait sur le
métier
.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, prenant acte de la situation qui perdurait avait d'ailleurs,
dès 1993, recommandé l'ouverture d'un débat
démocratique et d'un suivi indépendant
15(
*
)
.
C'est dans ce contexte que le Premier Ministre décida de lancer, au
début 1996, "
une consultation à l'occasion de
laquelle les habitants des départements concernés par le projet
pourraient s'exprimer
"
16(
*
)
; afin de
compenser le déficit de concertation qui grevait le dossier depuis
l'origine. Cette
consultation se déroula du 30 mai au
15 septembre 1996
dans le Haut-Rhin, le Territoire de Belfort, le
Doubs, le Jura et la Côte d'Or. 180.000 documents d'information
furent déposés au domicile des riverains. Au total,
7.000 personnes participèrent à 35 réunions et
plus de 1.500 livrets-réponses contenant des observations furent
adressés à la boîte postale créée à
cette fin.
La consultation marqua une inflexion dans la politique de communication
menée au sujet de la liaison. Le préfet de la région
Franche-Comté ne relevait-il pas, dans la synthèse publiée
en octobre 1996, que "
l'évolution positive dans la
façon dont le maître d'ouvrage aborde ses relations avec les
acteurs locaux : particuliers, élus, administrations, dans le cadre
d'une concertation plus ouverte ne sera pas le moindre des mérites de
cette consultation et facilitera son action
"
17(
*
)
?
La procédure choisie avait cependant pour inconvénient de
retarder le début des travaux. Le Gouvernement souhaita, en effet, que
durant les quatre mois nécessaires à la consultation, les
enquêtes parcellaires préalables aux expropriations soient
bloquées. Elles ne recommencèrent qu'en octobre 1996, alors
que toutes les formalités d'expropriation devaient être
réalisées avant le 30 juin 1998, soit moins de
2 ans plus tard !
Parallèlement à la consultation décidée par le
Gouvernement, deux enquêtes publiques devaient être conduites pour
l'application de la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983
relative à la démocratisation des enquêtes publiques et
à la protection de l'environnement dite " loi Bouchardeau " et
de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.
Afin de clarifier les conditions dans lesquelles ces deux enquêtes
publiques se dérouleraient, le Gouvernement décida que
l'enquête " Bouchardeau " précéderait
l'enquête " loi sur l'eau ". Comme l'indiquait le Ministre de
l'Environnement dans une lettre adressée au Préfet de la
Région Franche-Comté le 23 juillet 1996 :
"
Les deux procédures ne peuvent être confondues :
- la première doit couvrir l'ensemble des questions d'environnement
(eau, risques, déblais, paysages, nuisances, etc...) et leurs liens
réciproques afin de recueillir, grâce à l'enquête
" Bouchardeau ", les avis et suggestions des populations
concernées ;
- la seconde permettra aux riverains et aux ayant-droits de prendre une
connaissance précise des conséquences concrètes pour leurs
biens de la réalisation du projet en termes d'hydraulique, de crues,
d'approvisionnement en eau.
Pour informer au mieux les populations et assurer au maître de l'ouvrage
la plus grande sécurité juridique possible, les résultats
de l'enquête " Bouchardeau ", en particulier hydrauliques,
devront être intégrés à l'étude sur l'eau.
Aussi les deux procédures doivent se dérouler successivement.
Le déroulement des procédures d'enquête publique
" Bouchardeau " et " loi sur l'eau " était
incontournable
. Un jugement du tribunal administratif de Dijon du
14 décembre 1993 et un arrêt du Conseil d'Etat du
25 mai 1994 portant annulation des autorisations de dragage sur la
Saône pour non-respect de la procédure " Bouchardeau "
ne laissaient subsister aucun doute sur ce point.
Le maître d'ouvrage délégué fut contraint de
préparer, dans un délai record, des consultations dont
l'enchevêtrement n'était pas loin de s'apparenter à un
imbroglio juridique !
Fallait-il dès lors " repartir de zéro " et lancer une
nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique qui
aurait momentanément relâché la pression pesant sur le
maître d'ouvrage ? Sans répondre à cette question,
votre
commission d'enquête s'étonne que l'on n'ait pas pris, entre 1980
et 1995, de mesures pour engager une véritable concertation, avec les
populations, les élus
et l'Etat
et
pour respecter
les dispositions de la loi Bouchardeau et de la loi sur l'eau
.
Les errements de la gestion administrative du dossier ont, en effet, affaibli
la position occupée par les promoteurs du projet.
3. Un soutien politique " à éclipse "
Au cours
des années qui ont précédé l'abrogation de la DUP,
le projet de canal Rhin-Rhône a, malgré le soutien public de
personnalités éminentes, souffert, d'un relatif
désintérêt de la part d'un bon nombre de ceux qui l'avaient
défendu.
Dès l'origine, le projet reçut l'appui de
plusieurs
personnalités éminentes
. En 1962, les partisans du canal
créèrent l'association Mer du Nord-Méditerranée
à la présidence de laquelle se succédèrent
notamment MM. Wilfried Baumgartner, Pierre Sudreau, Edgar Faure, Louis
Mermaz et Raymond Barre. Du côté des pouvoirs publics, les plus
hautes autorités de l'Etat se déclarèrent favorables
à la réalisation de la liaison, à l'exemple du
Général de Gaulle (on se souvient de son célèbre
discours de Lyon sur la régionalisation du 24 mars 1968), de
M. Pompidou alors Premier ministre, ou encore de M. Jacques Chirac,
également Premier ministre, en 1974.
Parmi les élus
, le groupe des partisans de la liaison à
grand gabarit a réuni des
hommes de sensibilités fort
différentes
. M. Raymond Barre a déclaré devant
votre commission d'enquête que, dans le cadre de son action en faveur de
Rhin-Rhône, il avait reçu "
un soutien unanime, quels que
soient les partis politiques depuis Strasbourg en passant par Mulhouse, Vienne,
Arles et Marseille "
et que
" les réunions qui ont eu
lieu sur le sujet n'avaient pas de plus fervents supporters que les élus
appartenant au parti socialiste "
.
Lors d'un colloque tenu à Strasbourg le 22 octobre 1991,
Madame Elisabeth Guigou, alors ministre délégué
chargé des affaires européennes déclarait : "
La
France ne doit pas rester à l'écart de l'Europe fluviale. Il y va
du salut du port de Marseille qui ne peut imaginer drainer de nouveaux flux de
marchandises sans l'existence d'un canal à grand gabarit liant le Rhin
au Rhône. Il y va du salut de Strasbourg qui serait ainsi
confortée dans son rôle de capitale européenne. Il y va
enfin de l'intégration de l'économie française dans la
nouvelle économie en gestation de l'Europe centrale "
18(
*
)
.
L'alliance
scellée en faveur d'une grande infrastructure
d'aménagement du territoire
n'a pas résisté
à une opportunité électorale.
Comme le soulignait
également M. Raymond Barre devant votre commission d'enquête
: "
Ce qui m'attriste dans cette affaire, c'est que pour un accord
électoral, un grand parti, en dépit de la position de ses grands
hiérarques, car je peux porter témoignage que j'ai eu leur
soutien, a renoncé à un grand projet qui, certes, était
coûteux, mais qui a été systématiquement
traité de projet pharaonique en vue de sa destruction ".
Il aurait été souhaitable que le projet de liaison soit
jusqu'au dernier moment, fermement soutenu par tous les organes de l'Etat
.
Or, un certain " flottement " s'est manifesté, malgré
le vote de la loi d'orientation n° 95-115, comme l'indiquait l'ancien
directeur adjoint du cabinet de Mme Corinne Lepage, alors ministre de
l'environnement.
"
[...] En apparence, jusqu'en juin 1997, le projet de canal
Rhin-Rhône était à l'ordre du jour et semblait soutenu
officiellement. En réalité, depuis 1995, les signes clairs et
progressifs d'un abandon programmé du projet n'avaient pas
manqué. La mise en place officielle d'un groupe d'experts (parmi
lesquels figuraient, des opposants notoires au projet), chargé
d'organiser tout au long du tracé la consultation des populations, avait
permis de mettre en relief ces oppositions. Les nominations à la
Commission nationale du débat public n'avaient échappé
à personne : un des experts nommés au titre des associations,
opposé à cette réalisation, et le sénateur-maire de
Montbéliard, nommé au titre des maires, juste après qu'il
ait fait connaître son opposition au projet. Il en était de
même pour l'opposition constante, quoique feutrée, des
ministères de l'Economie et de l'Industrie. L'intransigeance de
l'ancienne ministre de l'environnement sur la nécessité d'une
étude d'impact et d'une étude au titre de la loi sur l'eau, que
le maître d'ouvrage n'avait probablement pas les capacités
d'accomplir dans des conditions satisfaisantes avant l'expiration de la DUP,
était un obstacle majeur. Enfin, le refus de Corinne Lepage de signer la
DUP autorisant les travaux d'élargissement de la Saône, partie du
futur canal, rendait impossibles ces travaux avant l'expiration de la DUP
Rhin-Rhône, puisque de tels travaux ne peuvent s'effectuer qu'en
été (c'est-à-dire durant l'été
1997) "
19(
*
)
.
Rien de surprenant, dans ces conditions, à ce que le signal
adressé par le Gouvernement aux responsables du dossier ait
été jugé comme "
complexe
" par ceux-ci.
Malgré le retentissement médiatique des manifestations publiques
organisées par les opposants au projet, telles que celle qui
réunit 10.000 personnes à Montbéliard en
avril 1997, il s'avère qu'une
bonne partie de l'opinion publique
était sensible aux arguments en faveur de la voie fluviale.
Comme l'a relevé une personnalité auditionnée :
"
[...] la consultation des populations a bien montré que
derrière une couche extrêmement visible de passions et de
débats idéologiques, on rencontrait une majorité de
représentants élus et d'industriels qui souhaitaient discuter des
modalités, et qu'il existait un réel gisement
d'amélioration du projet que la concertation pouvait
exploiter
".
Plus nuancé, le préfet de la région Franche-Comté
soulignait dans la synthèse de la consultation de 1996, à
côté de l'inquiétude profonde des particuliers qui
s'étaient exprimés, et de la ferme hostilité des
associations de défense de l'environnement, "
une attitude
relevant plutôt de l'indifférence attentiste de la part du reste
de la population
".
Les deux jugements conduisent à
nuancer fortement l'opposition des
populations
souvent dépeinte comme unanime par les adversaires de la
liaison Saône-Rhin.
Compte tenu de la chronologie des événements et du nombre de ses
détracteurs, la réalisation du projet
" Rhin-Rhône " aurait été, en définitive,
plus surprenante que la décision d'abandon. La remarque d'un haut
fonctionnaire qui déclara à votre commission d'enquête
qu'au cours de sa carrière professionnelle il n'avait "
jamais
vu un dossier qui présentait autant de caractéristiques pour
être tiré vers le fond
" est d'ailleurs
emblématique du cas-limite que constitue le dossier Rhin-Rhône
dans les annales françaises.
Pour autant, l'abandon du projet ne règle pas les questions que posent
le transit des marchandises entre bassin rhénan et sillon rhodanien, la
desserte du port de Marseille et l'utilisation optimale du Rhône à
grand gabarit. Comme l'observait une haute personnalité entendue par
votre commission d'enquête : "
La plupart du temps, on a
tendance, lorsqu'on présente un projet d'investissement qui aura des
effets à très long terme, à comparer ce qui va se passer
à ce qui se passerait si l'on ne faisait rien. Or, la plupart du temps,
il est invraisemblable que l'on ne fasse rien [...]. "
Le rapport du préfet coordinateur sur le TGV Rhin-Rhône l'a
montré : la saturation progressive du réseau routier rend
indispensable un développement du chemin de fer et de la voie d'eau sur
cet axe. Faute d'une liaison à grand gabarit entre Niffer et
Laperrière-sur-Saône, il reste désormais à trouver
des solutions alternatives qui permettront d'utiliser l'extrémité
des deux voies fluviales, ainsi que la plate-forme de Pagny.
Le développement du transport fluvial sur le Rhône est
également souhaitable vu la capacité disponible sur le fleuve.
On estime que le Rhône pourrait acheminer 20 millions de tonnes de fret
contre 5 millions de tonnes actuellement.
Dans le cadre du "
Plan-Rhône
", lancé en
1994-1995, VNF a prévu :
- d'achever les dragages de la Saône ;
- d'améliorer la gestion du réseau en temps réel
(fourniture quotidienne aux armateurs d'information sur les
disponibilités du réseau, en particulier les tirant d'eau et
tirant d'air) notamment pour la traversée de Lyon ;
- d'apporter une aide aux lancements d'un service de transport de
conteneurs et à la politique commerciale de la profession ;
- de favoriser la modernisation de la flotte ;
- d'aider à l'équipement des ports fluviaux dans le cadre
d'un schéma directeur.
Le plan Rhône a d'ores et déjà donné de premiers
résultats : le trafic de fret sur le Rhône a augmenté
de 12 % en tonnes-kilomètres au cours du dernier trimestre 1996.
Pour l'ensemble de 1997, le trafic fluvial a crû de près de
6 % en tonnes-kilomètres.
Il convient également de renforcer la liaison fluviale avec le port de
Marseille : un premier pas a été franchi en 1998 avec l'ouverture
à Fos de la plate-forme interface des Tellines dont la capacité
est de 500 000 tonnes par an.
Tous ces éléments amènent à conclure qu'il n'est
pas possible d'exclure de façon définitive une liaison
historiquement nécessaire pour relier le bassin
méditerranéen, à l'Europe centrale et à la mer du
Nord et l'un des éléments essentiels, tout comme Seine-Nord et
Seine-Est, pour réaliser un maillage du réseau fluvial
français au réseau européen.
II. TRANSPORT FLUVIAL, TRANSPORT D'AVENIR ?
L'abandon du projet de liaison fluviale à grand gabarit
par
la vallée du Doubs rend une réflexion globale sur la place de la
voie d'eau en France plus que jamais nécessaire.
A trop considérer les faiblesses du transport fluvial que ses
concurrents se plaisent à rappeler avec complaisance, on risque d'en
oublier les atouts. L'évolution du marché national du transport
et les risques d'embolie qui menacent certains points névralgiques
impliquent tout au contraire que les pouvoirs publics s'interrogent sur
l'opportunité de favoriser son développement.
A. LA VOIE FLUVIALE, " CENDRILLON DU TRANSPORT "...
A la fin du dix-neuvième siècle, la France disposait de l'un des premiers réseaux fluviaux d'Europe. Elle n'a cependant pas poursuivi l'effort de modernisation de l'infrastructure et d'adaptation de la batellerie susceptible de maintenir la part modale de la voie d'eau. Du fait de l'apathie des pouvoirs publics et du conservatisme de certains professionnels, le transport fluvial subit aujourd'hui un handicap en termes de " masse critique ". Pourtant, malgré une organisation longtemps archaïque, en cours de modernisation, la voie d'eau conserve une part modale non négligeable dans certaines régions françaises.
1. Le transport fluvial subit un handicap en termes de " masse critique "
La
baisse tendancielle de la part de marché du transport fluvial (part
modale) procède du triple handicap qu'il subit en termes
d'investissement, de réseau et de démographie.
Exprimée en tonnes-kilomètres (tkm), la
part modale relative
du transport fluvial de marchandises s'élevait à 2,8 % en
1996,
selon les comptes des transports établis par l'INSEE, ainsi
que le montre le tableau suivant :
PARTS MODALES DU TRANSPORT DE MARCHANDISES (HORS TRANSIT)
(en % des tonnes-kilomètres)
|
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Transport ferroviaire |
30,7 |
28,3 |
26,7 |
24,9 |
24,4 |
23,2 |
22,8 |
21,7 |
20,7 |
20,7 |
19,2 |
19,5 |
Transport routier |
64,5 |
67,3 |
69,3 |
71,4 |
72,0 |
73,0 |
73,7 |
74,7 |
76,1 |
76,3 |
77,9 |
77,6 |
Navigation intérieure |
4,8 |
4,4 |
4,0 |
3,7 |
3,6 |
3,8 |
3,6 |
3,6 |
3,3 |
2,9 |
2,9 |
2,8 |
Tous modes en Md tkm |
158,2 |
158,2 |
165,5 |
180,8 |
187,9 |
189,2 |
191,3 |
193,2 |
182,1 |
192,1 |
203,4 |
202,9 |
Source : Les comptes des transports en 1996, juin 1997
Depuis 1985,
la part modale de la route
a augmenté de plus de
treize points. Elle atteint
77,6 % en 1996
. Dans le même
temps, celle du
transport ferroviaire
s'est réduite de
près de onze points de pourcentage, pour se stabiliser à
19,5 % en 1996
.
La voie fluviale a perdu deux points de part
modale, passant de 4,8 à 2,8 %.
Cette situation s'explique, en partie, par la
réduction du volume des
matériaux pondéreux transportés
, due à la crise
du secteur du bâtiment et à l'interdiction d'extraire des
granulats dans le lit mineur des rivières instituée par la loi
sur l'eau. Elle résulte également, sans nul doute, de la
faiblesse des investissements
réalisés en matière
de transport fluvial depuis le début des années 1980.
Selon les statistiques élaborées par la Commission des Comptes
des transports de la nation et publiées par l'INSEE depuis 1980,
le
montant des dépenses en infrastructures de transport fluvial n'a jamais
dépassé 1 % du total des investissements tous modes
confondus
, hormis en 1986 et en 1996.
Ces éléments sont présentés dans le tableau
ci-dessous :
DÉPENSES EN INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT
en milliards de francs
|
1980 |
1981 |
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Réseau routier |
22,7 |
24,6 |
26,3 |
27,4 |
27,7 |
30,1 |
33,9 |
36,4 |
44,1 |
45,9 |
48,4 |
51,3 |
53,8 |
55,2 |
57,3 |
56,3 |
59,6 |
Réseau principal SNCF |
6,7 |
8,3 |
8,5 |
8,5 |
7,7 |
8,1 |
10,1 |
9,7 |
9,0 |
9,5 |
15,2 |
19,2 |
18,3 |
13,5 |
9,9 |
9,8 |
12,1 |
TCU de province, RATP, banlieue SNCF |
4,3 |
4,2 |
5,7 |
6,5 |
5,7 |
8,1 |
6,1 |
5,7 |
5,6 |
4,8 |
5,4 |
7,0 |
8,1 |
10,5 |
9,8 |
10,0 |
8,5 |
Ports maritimes |
1,7 |
1,5 |
1,6 |
1,2 |
1,0 |
1,0 |
1,0 |
0,9 |
1,1 |
1,3 |
1,6 |
1,7 |
1,7 |
1,5 |
1,7 |
1,5 |
1,5 |
Aéroports |
1,0 |
1,1 |
1,1 |
1,0 |
0,9 |
1,0 |
1,3 |
1,6 |
1,8 |
1,9 |
2,8 |
3,6 |
4,6 |
4,1 |
3,3 |
3,7 |
4,0 |
Voies
navigables
|
0,81 |
0,99 |
0,91 |
0,88 |
0,69 |
0,61 |
1,13 |
0,91 |
0,8 |
0,75 |
0,8 |
0,83 |
0,8 |
0,93 |
0,96 |
0,97 |
1,15 |
Ensemble |
36,7 |
40,1 |
43,5 |
45,0 |
43,3 |
48,6 |
53,0 |
54,9 |
62,0 |
64,0 |
74,1 |
83,6 |
87,3 |
85,6 |
82,9 |
82,1 |
86,6 |
Sources : Les comptes des transports en 1996,
juin 1997
Les concurrents de la voie d'eau soulignent l'importance relative des
investissements fluviaux par rapport à la part modale du transport par
voie d'eau. C'est ainsi, par exemple, qu'en 1996 le transport fluvial
acheminait 2,8 % du transport de marchandises et recevait 1,15 % des
investissements.
Il n'en reste pas moins
qu'en valeur absolue, la part des investissements
consacrés à la voie d'eau reste très inférieure
à celle de la route et du fer.
C'est ainsi qu'en
1996 les investissements en matière de transport
routier étaient soixante fois plus élevés, ceux
réalisés pour le rail
(réseau SNCF et réseau
urbain)
vingt fois plus importants que ceux effectués en faveur des
voies navigables
.
Une politique de développement de la part de marché de la
batellerie passerait nécessairement par un accroissement des
investissements en sa faveur.
Le transport fluvial subit également un handicap en termes de
réseau
Les grandes régions dans lesquelles le transport par voie d'eau est
très développé tel que les Pays-Bas ou la vallée du
Rhin jouissent d'un avantage comparatif en termes géographiques dont ne
dispose pas notre pays.
Du fait de la géographie, seuls 34 départements
français sont parcourus par des voies navigables. Aussi, une
appréciation globale de la part de marché nationale de la voie
d'eau mérite d'être complétée par une approche
régionale qui met en valeur les points forts du réseau fluvial.
En apparence celui-ci est très étendu, comme le montre le tableau
ci-dessous :
RÉSEAU FRANÇAIS DES VOIES NAVIGABLES
(situation au 31 décembre 1995)
en kilomètres
Classe (1) |
Voies navigables - Accessibles aux bateaux ou convois poussés d'un port en lourd |
1980 |
1985 |
1990 |
1994 |
1995 |
1996 |
% |
0 |
De 50 à moins de 250 tonnes dont longueur fréquentée |
1.927 (353) |
1.880 (231) |
1.880 (206) |
1.880
|
1.640
|
1.640
|
19,29 |
I |
De 250 à moins de 400 tonnes dont longueur fréquentée |
3.909 (3.713) |
3.904 (3.662) |
3.904 (3.626) |
3.904 (3.429) |
4.119 (3.654) |
4.033 (3.360) |
47,44 |
II |
De 400 à moins de 650 tonnes dont longueur fréquentée |
266 (213) |
266 (227) |
266
|
266
|
266
|
322
|
3,78 |
III |
De 650 à moins de 1.000 tonnes dont longueur fréquentée |
441 (355) |
441 (327) |
441
|
441
|
462
|
480
|
5,64 |
IV |
De 1.000 à moins de 1.500 tonnes dont longueur fréquentée |
86
|
91
|
91
|
91
|
91
|
91
|
1,07 |
V |
De 1.500 à moins de 3.000 tonnes dont longueur fréquentée |
275 (248) |
271 (248) |
271
|
271
|
240
|
248
|
2,91 |
VI |
De 3.000 tonnes et plus (2) dont longueur fréquentée |
1.664 (1.650) |
1.647 (1.588) |
1.647 (1.540) |
1.647 (1.494) |
1.682 (1.512) |
1.686 (1.511) |
19,83 |
|
TOTAL
|
8.568 (6.568) |
8.500 (6.324) |
8.500 (6.197) |
8.500 (5.703) |
8.500 (5.962) |
8.500 (5.678) |
100 |
Source : Voies Navigables de France et Mémento
statistique
des Transports, 1995.
(1) Classes des voies navigables définies par l'Office Statistique des
Communautés européennes.
(2) Y compris 43 kilomètres de sections maritimes.
Le réseau fluvial français comprend
8.500 kilomètres de voies navigables dont 1.686 à grand
gabarit
, soit environ 20 %.
Selon les services du ministère de l'Equipement,
le trafic fluvial se
concentre à 80 % sur le réseau à grand gabarit.
Seule une faible partie du réseau " Freycinet " reçoit
un trafic significatif. Au total,
environ un
tiers de l'ensemble du
réseau est utilisé pour le transport de fret, 1 500 autres
kilomètres de voies fluviales sont parcourues par des bateaux de
plaisance. Le reste du réseau n'est plus utilisé pour la
navigation.
Les quatre principales voies d'eau à grand gabarit : bassin de la Seine,
canal du Nord, Moselle et Rhin, Saône et Rhône ne sont cependant
pas reliées entre elles et, hormis la Moselle et le Rhin, ne sont pas
connectées au réseau fluvial européen. Comme l'observe un
géographe, ces quatre réseaux " en cul de sac " voient,
de ce fait, leur potentialités commerciales fortement limitées.
L'appréciation portée sur le réseau français, en
1988, dans un rapport remis à MM. Georges Sarre et
Michel Rocard, par Mme Chassagne selon laquelle les autoroutes
fluviales françaises sont reliées entre elles par des
" chemins de traverse " reste donc pleinement d'actualité.
Cette situation pénalise le transport fluvial. Comme l'observait une
personnalité auditionnée par votre commission d'enquête, en
prenant l'exemple de l'axe Nord-Sud : "
on s'imagine mal la
possibilité de faire Lille-Paris en TGV ou en autoroute ensuite un
Paris-Lyon avec une voie départementale pour la voie routière et
un omnibus pour le fer avant de reprendre l'autoroute pour aller jusqu'à
Marseille
".
L'intensité du trafic observé fait les frais de l'absence d'un
réseau fluvial national à grand gabarit.
Selon Mme Marie-Madeleine Damien, seul le réseau rhénan qui
appartient à la classe VI, accessible aux navires de 1500 tonnes
bénéficie d'une bonne interconnexion avec le reste de l'Europe.
De ce fait, la densité du trafic qui y est observée est
31 fois supérieure à celle d'une voie fluviale de même
gabarit isolée.
Plusieurs personnalités auditionnées par votre commission
d'enquête ont souligné
l'influence positive que l'existence
d'un réseau relié au réseau européen
aurait sur
le trafic fluvial français. Il permettrait en effet de
maximiser la
rentabilité des navires en favorisant l'apparition d'un système
de " cabotage interne ".
Le transport fluvial subit enfin un
handicap en termes
démographiques
.
Alors que la population employée dans le secteur des transports s'est
globalement accrue de 4,3 % entre 1990 et 1996, les effectifs
employés dans le transport maritime et fluvial se sont réduits de
23,5 % durant la même période. Désormais, les
effectifs de la batellerie et du transport maritime
, avoisinent
16.000 personnes.
Ils sont
seize fois moins importants que ceux
de la SNCF et dix-sept fois plus faibles que ceux employés dans le
transport routier de marchandises.
Il va sans dire que le poids du " lobby " fluvial se trouve
considérablement affaibli par cette situation, résumée
dans le tableau ci-dessous :
ÉVOLUTION DES EFFECTIFS SALARIÉS ET NON
SALARIÉS
DANS LES TRANSPORTS
en milliers
|
1990 |
1996 |
Variation |
1.
Salariés
|
877,1
|
908,3
|
+ 3,5 %
|
2. Non salariés |
57,5 |
66,0 |
- 0,2 % |
TOTAL |
934,6 |
974,3 |
+ 4,3 % |
Source : Les comptes des transports 1996, juin 1997.
Le transport fluvial est mal connu
En France, le transport fluvial souffre d'un déficit de
notoriété. Pour la plupart de nos compatriotes, la batellerie vit
à l'heure de "
L'Homme du Picardie ".
Cette situation
tranche par rapport au prestige dont est revêtue la batellerie aux
Pays-Bas et, dans une moindre mesure en Belgique, voire même par rapport
au poids économique qu'elle représente en Allemagne.
Le " lobby " de la voie d'eau est trop faible pour avoir l'oreille
des pouvoirs publics. Comme le soulignait un intervenant à la Semaine
internationale du transport et de la logistique 1998 :
" Le
problème de la voie d'eau est sa confidentialité par rapport aux
autres modes de transport. Nous l'observons très bien au niveau
européen. Le lobby voie d'eau n'est pas organisé de
manière forte auprès de la Commission européenne, alors
que le lobby chemin de fer l'est très bien et que le lobby routier est
très puissant. C'est un point important, en effet, de savoir parler de
la voie d'eau, non pas seulement entre nous mais aussi auprès des
citoyens européens qui, justement, prennent conscience progressivement
de la nécessité d'utiliser un mode alternatif qui ne se
substituera pas aux autres modes, c'est clair, mais qui en tout cas, offre de
sérieux avantages ".
Toutes choses égales par ailleurs, cette appréciation
portée sur l'influence du " lobby fluvial " à Bruxelles
vaut pour la France : un effort quasiment pédagogique doit
être entrepris pour sensibiliser l'opinion publique, peu au fait des
questions de transport de marchandises, aux avantages de la voie d'eau.
Le transport fluvial est par conséquent pris dans
un " cercle
vicieux dépressif " où l'absence d'investissement
accélère la réduction de la part modale relative et celle
de la population employée
. Dès lors, rien ne pousse les
pouvoirs publics à s'intéresser à la situation de la
batellerie autrement qu'en gérant les conséquences sociales de sa
récession.
2. Le transport fluvial a souffert d'une organisation administrée et quelque peu archaïque
L'organisation traditionnelle de la batellerie reposait sur le
régime du " tour de rôle ", déjà en
vigueur avant qu'une loi du 22 mars 1941 n'en formalise les
principes.
Dans ce système, les relations commerciales entre transporteurs et
chargeurs n'étaient pas libres. Un artisan désireux de recevoir
un chargement devait se présenter à une bourse
d'affrètement et s'inscrire sur une liste. De leur côté,
les chargeurs proposaient leurs offres de trafic. Puis, à tour de
rôle, les artisans acceptaient ou non les offres en fonction de tarifs
administrés par l'Etat.
Comme l'ont souligné plusieurs personnalités devant votre
commission d'enquête, les bateliers ont eu trop tendance à penser
que le " tour de rôle " était la " garantie de leur
survie ". De leur côté, les armements et les flottes
industrielles se sont plaints de l'insécurité juridique qui
planait sur les contrats passés avec les chargeurs car tout accord
était susceptible d'être " ristourné " au tour de
rôle.
Il est probable que la persistance d'un système archaïque
jusqu'à l'adoption de la
loi n° 94-576 du
12 juillet 1994 relative à l'exploitation commerciale des
voies navigables
a favorisé le déclin de la batellerie
française artisanale
20(
*
)
. Une
personnalité auditionnée par votre commission d'enquête
insistait sur ce point : "
Un peu comme les dockers, la batellerie
française, notamment artisanale, a vécu à l'abri d'une
espèce de marché protégé, mais largement au-dessous
du SMIC d'où une répartition de pénurie dans des
conditions parfois très misérables
".
La loi du 12 juillet 1994 précitée a posé les
bases d'une plus grande compétitivité du transport fluvial en
prévoyant :
- une réforme progressive du tour de rôle pendant une
période de six ans au cours de laquelle la compétitivité
des bateliers français pourrait s'améliorer ;
- un assouplissement du régime des contrats de transport facilitant
leur libre négociation.
Dans le même esprit, une
directive n° 96/75/CE du Conseil
de l'Union européenne
du 19 novembre 1996 relative aux
modalités d'affrètement et de formation des prix des transports
de marchandises par voies navigables
a, quant à elle, prévu
les modalités d'une
libéralisation de l'affrètement
fluvial. Ce texte comporte deux dispositions essentielles.
En premier lieu, il dispose que dans le domaine des transports nationaux et
internationaux de marchandises par voie navigable dans la Communauté,
les contrats sont librement conclus entre les parties
concernées et les prix librement négociés
.
Il prévoit, en second lieu, que
les Etats peuvent, pendant une
période transitoire
qui expire le 1er janvier 2000,
maintenir un régime de tarifs minimaux obligatoires
ainsi que des
systèmes d'affrètement à tour de rôle dans certaines
conditions, sauf pour les marchandises qui en sont de toutes façons
dispensées (hydrocarbures, liquides et marchandises pulvérulentes
en vrac notamment).
Il ressort des auditions que votre rapporteur a effectuées aux Pays-Bas,
que la batellerie néerlandaise souhaite devancer la date de la
libéralisation de l'affrètement afin d'accroître sa
compétitivité.
Comme on le constate, les transporteurs fluviaux français sont, peu
à peu, amenés à sortir du système administré
pour adopter une démarche commerciale, à l'instar de leurs
concurrents néerlandais.
3. Le transport fluvial est inégalement présent sur le territoire
Une appréciation trop globale qui ne considère que sa faible part de marché, ne permet pas de mesurer les points forts du transport fluvial tant dans certains bassins que sur des marchés spécifiques.
a) Situation des divers bassins fluviaux
Comme le
fait observer Voies Navigables de France dans une étude relative
à la part de marché de la voie d'eau, l'interprétation des
statistiques globales relatives au partage modal du transport de marchandise
est un exercice délicat.
En effet, seuls 34 départements sont desservis par la voie d'eau.
La part modale du transport fluvial dans l'ensemble des départements
" mouillés " est très supérieure à la
moyenne nationale. Or les statistiques de VNF ne prennent pas en compte les
marchandises qui ne font que transiter par les ports étrangers
après ou avant d'avoir cheminé par une voie d'eau
française. La part de marché du transport fluvial dans les
transports avec l'étranger est donc nettement plus élevée
que celle considérée par rapport aux transports domestiques.
L'analyse du trafic fluvial par bassins conduit également à
majorer sa part de marché.
Rappelons que 93 % du trafic fluvial domestique s'effectue sur les
5 segments à grand gabarit (Seine, Rhin, Moselle,
Rhône-Saône, Nord-Pas-de-Calais). Or, la part du transport fluvial
s'élève à environ 15 % du transport de marchandises
dans le bassin de la Seine et elle varie entre 15 % et 25 % dans
celui de la Moselle et le Rhin. En revanche, elle est très faible dans
les régions dotées d'un réseau au gabarit Freycinet. C'est
ainsi qu'elle ne s'élève qu'à environ 1,5 % en
Champagne-Ardenne et à 4 % en Bourgogne.
Cependant, comme le souligne VNF, si l'existence d'une voie d'eau à
grand gabarit est une condition nécessaire à l'existence d'un
transport fluvial actif, elle n'est pas suffisante. La voie d'eau ne
représente que 6 % du transport de marchandises en
Nord-Pas-de-Calais et 4 % sur le segment Saône-Rhône.
La situation du transport fluvial de marchandises est donc contrastée.
Absent à l'ouest de la ligne Le Havre-Sète (où la voie
d'eau est principalement utilisée pour le tourisme) il est faible sur
des liaisons qui disposent de capacités inemployées (telles que
la Saône et le Rhône). En revanche, la Moselle est saturée
avec un trafic de 15 millions de tonnes à cause de l'accroissement
du trafic provoqué par la canalisation de la Sarre (1987).
Comme le souligne VNF, la situation des bassins fluviaux ouverts (Rhin et
Moselle) tranche tant par rapport à celle des bassins fermés
" longs " (Rhône, Seine) que vis-à-vis de celle des
bassins fermés " courts " (Loire et Gironde).
Le réseau Rhénan (qui mesure au total 7.200 km) a connu une
croissance moyenne de 2,3 % depuis 1987. Le Rhône et la Seine dont
les bassins accessibles sont d'environ 500 kilomètres ont perdu en
moyenne 2,1 % de trafic par an, la Loire et la Gironde subissent pour leur
part, une perte de trafic moyenne annuelle de 12 % sur la même
période.
b) Evolution des trafics
Le trafic de la navigation intérieure était de 5,6 milliards de tonnes-kilomètres en 1997 contre 5,7 milliards de tonnes-kilomètre en 1996, soit une réduction de -1,09 %. Cette évolution globale masque les taux de croissance très variables qui affectent chacun des marchés du transport fluvial, comme le montre le tableau ci-après :
STATISTIQUES DE LA NAVIGATION INTÉRIEURE 1997
(Cumul douze premiers mois)
Chapitres NST de marchandises |
TONNES |
TONNES-KILOMÈTRES |
|||||
|
1997 |
Variation/1996 |
1997 |
% |
variation/1996 |
||
Produits agricoles |
6.162.905 |
- 3,16 % |
1.042.023.771 |
18,34 |
10,80 % |
||
Denrées alimentaires, fourrages |
2.894.204 |
15,97 % |
377.118.003 |
6,63 |
14,10 % |
||
Combustibles minéraux |
3.473.466 |
- 12,05 % |
405.442.227 |
7,13 |
- 15,92 % |
||
Produits pétroliers |
5.506.316 |
- 5,38 % |
718.924.532 |
12,64 |
- 3,22 % |
||
Minerais, déchets pour la métallurgie |
3.320.312 |
5,40 % |
238.572.752 |
4,19 |
11,45 % |
||
Produits métallurgiques |
1.651.397 |
5,53 % |
272.583.353 |
4,78 |
5,93 % |
||
Minéraux bruts, matériaux de construction |
22.804.430 |
- 3,57 % |
2.095.653.257 |
36,88 |
- 5,34 % |
||
Engrais |
1.036.826 |
- 1,32 % |
147.012.529 |
2,58 |
- 3,17 % |
||
Produits chimiques |
1.747.126 |
- 0,49 % |
245.916.701 |
4,31 |
- 8,75 % |
||
Machines, véhicules, transactions |
886.232 |
1,55 % |
138.690.522 |
2,42 |
- 2,41 % |
||
TOTAL |
49.483.214 |
- 2,35 % |
5.681.937.647 |
100 |
- 1,09 % |
Source : VNF
La réduction en volume du trafic fluvial est plus importante
exprimée en tonnes (-2,35 %) qu'en tonnes-kilomètres
(-1,09 %). Il s'ensuit que la diminution du poids des marchandises
transportées est compensée par un accroissement de la longueur
des trajets. Mais cette évolution est mal prise en compte, du fait d'un
biais statistique observé dans le décompte des relations avec
l'étranger.
Comme le relève VNF dans une étude rétrospective sur
l'évolution des trafics de marchandises par voie fluviale depuis 1970 :
" La progression de l'activité se faisant sur la variable
" distance " et non pas sur celle des tonnages, la mesure statistique
du transport par voie navigable implique un biais, conséquence directe
de la géographie du réseau. Les seuls bassins autorisant une
progression substantielle du parcours moyen sont ceux qui s'ouvrent vers
l'extérieur. Dès lors, le caractère frontalier des points
de génération du trafic ne permet pas de constater un
développement de l'activité mesurée en tkm, puisque
l'évolution du parcours ne peut se mesurer que sur la partie
internationale du voyage ".
L'analyse du trafic par type de marchandises transportées
met en
évidence quatre évolutions majeures :
- une
faible régression
sur certains petits marchés
tels que les
engrais, les machines, véhicules et transactions
;
- une
baisse sensible sur des marchés traditionnels
:
produits pétroliers
(-3,2 %) ;
combustibles
minéraux
(-16 %) ;
minéraux bruts
et
matériaux de construction
(- 5 %) qui
représentent, à eux seuls, plus du tiers du trafic fluvial
exprimé en tkm ;
- une
forte hausse
(+ 11 %) du transport des
produits
agricoles
(20 % du trafic) et du transport de
denrées
alimentaires et fourrages
(+ 14 %) ;
- un
développement
dans le domaine des
produits
métallurgiques
élaborés qui, s'ils ne
représentent que 5 % de l'activité totale, voient leur part
s'accroître de près de 6 %.
Les données globales sont largement tributaires de deux facteurs majeurs
:
la réduction de la part des matériaux de construction
et
le gel survenu en 1997
. Abstraction faite de l'effet
négatif de la diminution du transport de matériaux de
constructions, le trafic fluvial augmente de 1,6 %. Hors effet de gel (qui
a touché les canaux du nord et de l'est en 1997), le trafic
fluvialisé enregistre une progression de 2,02 %.
Le développement du transport par conteneurs sur la ligne LOGISEINE
au départ du Havre, mérite d'être souligné.
5.000 Equivalents vingt pieds (EVP) ont été acheminés
en 1995, 12.000 EVP en 1996 et 18.000 EVP en 1997, soit une
progression de 50 % la dernière année.
B. DONT LE TRAFIC EST APPELÉ A CROÎTRE
1. Les avantages de la voie d'eau
De
l'avis unanime des experts consultés par votre commission
d'enquête, la voie d'eau jouit d'un avantage comparatif en termes de
sécurité, de gabarit, de consommation d'énergie et, par
conséquent, de respect de l'environnement.
Le transport fluvial est particulièrement sûr
Les accidents y sont relativement rares et leur gravité est
limitée
21(
*
)
.
Une personnalité entendue par votre commission d'enquête rappelait
qu'en Allemagne, plus de 45 % des
transports d'hydrocarbures
étaient assurés par la voie d'eau, parce que la navigation
intérieure offrait des conditions de meilleure sécurité.
D'ailleurs, selon la même source, "
les bateaux citernes sont de
plus en plus à double coque [...] Ils sont lents : en cas d'accident,
les conséquences sont toujours beaucoup moins graves
".
Le même interlocuteur soulignait également le
recours
fréquent des entreprises
de
chimie
à la
batellerie
, pour l'acheminement de
matières dangereuses
. Sur
le Rhône, Elf Atochem a récemment décidé de
transporter chaque année par bateau 400.000 tonnes de chlorure de vinyle
monomère.
Le gabarit important de la voie d'eau
lui permet également de
transporter des
objets de dimensions exceptionnelles
, tels que des
pièces lourdes destinées à des projets d'implantation
d'usine, ou encore les éléments de la fusée Ariane.
Tout comme le chemin de fer, le
transport fluvial consomme peu
d'énergie et pollue peu par rapport au transport routier
.
Selon une étude réalisée par l'Institut national de la
santé et de l'environnement des Pays-Bas en 1997,
la consommation
d'énergie
du chemin de fer et celle de la voie d'eau étaient
évaluées à 0,60 mégajoules par
tonne-kilomètres, tandis que celle du transport par semi-remorques
était d'environ 1,2 mégajoule par tkm, soit le double.
De même, les
émissions polluantes
du chemin de fer et de la
voie d'eau étaient beaucoup plus faibles que celles du transport routier
de marchandises. Elles variaient du simple au double pour les émissions
de dioxyde de carbone et le dioxyde de souffre. Elles étaient neuf fois
plus faibles pour l'oxyde de carbone. Ces éléments sont
présentés dans le tableau ci-dessous :
CONSOMMATION D'ÉNERGIE ET FACTEURS D'ÉMISSION
DANS LE TRANSPORT DE MARCHANDISES EN 1995
(y compris les carburants et la production électrique)
|
Semi-remorque |
Train |
Voie d'eau |
Énergie en mégajoules par tonne-kilomètre |
1,2 |
0,61 |
0,60 |
Émissions en
grammes par tonne-kilomètre :
|
88
|
44
|
44
|
Source : Institut national de la santé publique des
Pays-Bas
Les valeurs tutélaires relatives à la pollution
atmosphérique des divers modes de transport destinées aux
évaluations des projets fixées par la circulaire du
13 octobre 1995 relative aux méthodes d'évaluation
économique des grands projets d'infrastructure de transport concordent
avec les données précitées. Dans le cas le plus favorable
à la route (rase campagne)
le transport fluvial est
considéré comme de 4 à 7 fois moins polluant
(selon la taille des navires)
que le transport routier
. Les valeurs
tutélaires retenues en Allemagne pour procéder à des
calculs analogues sont d'ailleurs comparables à celles utilisées
en France, comme le montre le tableau ci-dessous :
VALEURS TUTÉLAIRES RELATIVES À LA POLLUTION
ATMOSPHÉRIQUE
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
|
Valeurs tutélaires françaises (cts/tkm) |
Valeurs tutélaires allemandes |
|
|
rase campagne |
milieu urbain |
|
Route |
7,6 |
9,6 |
8,3 |
Rail
dont :
|
0,1
|
0,1
|
1,15 |
Voie
navigable
|
1,77
|
2,17
|
1,19 |
L'avantage comparatif détenu par la voie d'eau en
termes
de consommation d'énergie
est d'ailleurs souligné par les
personnalités entendues par votre commission d'enquête au titre
des associations écologistes. Ces dernières ne le contestent que
pour le trafic réalisé sur les voies fluviales interbassins
dotées de nombreuses écluses, comme on l'a vu au I, A du
présent chapitre.
La voie d'eau stimule la concurrence
et concourt à faire
baisser les prix des autres modes de transport
.
Transport économique, la voie d'eau à grand gabarit offre une
alternative peu coûteuse pour l'acheminement de frets massifiés.
Ainsi, comme le faisait observer M. Raphaël Walewski, le Directeur
général de Touax, société de transport et de
location de matériel de transport fluvial, lors de la semaine
internationale du transport et de la logistique 1998, la massification des flux
au moyen de grands bateaux permet d'abaisser considérablement le
coût unitaire de la tonne transportée.
Alors que le prix moyen de la tonne-kilomètre sur le réseau
Freycinet -estimé à 30 centimes- n'est pas
compétitif, le transit de convois poussés de 5.000 tonnes
sur 200 à 500 km sur les réseaux de la Seine et du
Rhône, permet d'atteindre un prix de 10 à 15 centimes par
tonne-kilomètre. Sur le Rhin et le Danube, le prix de la
tonne-kilomètre avoisine 5 centimes pour des convois de
12.000 tonnes. Aux États-Unis, entre la Nouvelle-Orléans et
Saint-Louis, ce prix peut atteindre 1 centime pour des convois de plus de
40.000 tonnes.
Alors que le transport d'un conteneur de 40 pieds de Rotterdam à Berne
est facturé 7 500 francs environ par la route, un acheminement par
voie fluviale (avec délivrance par la route au client final)
coûtera environ 4 500 francs, soit 40 % de moins.
Il ressort des informations communiquées à votre commission
d'enquête qu'en Europe la création des voies fluviales à
grand gabarit les plus récentes a été
systématiquement suivie d'une baisse des tarifs ferroviaires, d'environ
30 %. Il en fut ainsi en 1964, après la canalisation de la Moselle
et en 1975 à l'occasion de l'ouverture du canal latéral à
l'Elbe destiné à désenclaver Hambourg. On a observé
le même phénomène en 1988 après la canalisation de
la Sarre et en 1992 à la suite de la mise en service de la liaison
Rhin-Main-Danube.
La voie d'eau française est sous-utilisée
A la différence du rail et de la route qui sont confrontés
à des problèmes d'engorgement, de concurrence entre les trafics
voyageurs et marchandises voire même d'interdiction de circuler certains
jours de la semaine pour des raisons de sécurité, la voie d'eau
à grand gabarit dispose de capacités disponibles.
A l'exception de la Moselle dont on a évoqué la saturation de la
partie allemande, les voies d'eau françaises sont notablement sous
exploitées. Alors que le sillon rhodanien est, en plusieurs noeuds
routiers et ferroviaires, menacé d'embolie,
le Rhône pourrait
accueillir un
trafic cinq fois supérieur
à celui
qui le traverse actuellement
! La flotte publique n'y dépasse
d'ailleurs pas une centaine de navires !
Une personnalité entendue par votre commission d'enquête estimait
que
la Seine
n'était plus utilisée qu'à
25 % de sa capacité
compte tenu de la baisse du trafic
observée ces dernières années.
L'engorgement progressif du sillon rhodanien conduira nécessairement les
pouvoirs publics à s'interroger sur le développement de la voie
d'eau. Comme le déclarait M. Raymond Barre devant votre commission
d'enquête : "
Dans dix ans, nous verrons les mêmes
problèmes de saturation que ceux que l'on a observés en Autriche
ou en Suisse. La SNCF tire argument de cela pour dire : on fera du ferroutage.
Mais les autoroutiers se heurteront aussi à l'opposition
systématique des Verts sur les parcours. Donc ils auraient eu de bonnes
raisons de voir l'intérêt de Rhin-Rhône, d'autant plus
qu'aux divers ports, ils auraient pu organiser la répartition pour les
transports routiers ".
Ce jugement formulé au sujet du couloir rhodanien vaut aussi pour
d'autres liaisons telles que Paris-Lille.
L'accroissement des exigences de l'opinion publique en termes de
sécurité routière et de respect de l'environnement conduit
à s'interroger sur l'utilisation des capacités fluviales
disponibles et le cas échéant, sur leur extension.
La voie d'eau permet une gestion des livraisons en " juste à
temps "
La lenteur du transport par voie d'eau est son principal handicap
concurrentiel. Il est souvent présenté comme radicalement
incompatible avec les nécessités du transport moderne en termes
de gestion des stocks et de fiabilité.
Une telle approche est singulièrement réductrice ! Comme le
soulignait une personnalité auditionnée par votre commission
d'enquête,
la relative lenteur
de la voie d'eau est
parfaitement compatible avec la livraison " juste à
temps
". Le même intervenant ajoutait : "
On peut
très bien concevoir une politique d'optimisation des stocks qui permet
d'entreposer sur le bateau pendant qu'il se déplace. Les experts ne sont
pas assez rigoureux en n'ayant pas une approche globale de la
systématique logistique et en ne s'interrogeant pas sur les lieux de
stockage. Le bateau fait aussi du juste à temps, et comme il est moins
cher, il y a un optimum à trouver
".
L'analyse des flux internationaux de marchandises débarquées dans
les ports français conduit aussi à nuancer la
" lenteur " du transport fluvial. L'acheminement en Europe d'un
conteneur nécessite huit jours de mer à partir de la côte
Est des États-Unis, et 21 jours au départ de
l'Extrême-Orient. Dès lors, le transporteur n'est pas
nécessairement sensible à l'accroissement du délai de
livraison de quelques heures qu'impose le transport fluvial en Europe, tant par
rapport au rail que vis-à-vis de la route.
2. La voie d'eau s'adapte au marché
Parallèlement aux transports de matières
pondéreuses qui ont toujours constitué son principal fonds de
clientèle, la voie d'eau s'est adaptée au cours de ces
dernières années à l'apparition de nouveaux frets.
La voie d'eau conserve un avantage sur ses marchés traditionnels
La voie fluviale a toujours été le mode de transport
d'élection de pondéreux en vrac, qu'ils soient solides ou
liquides. Si certains secteurs comme le Bâtiment et les travaux publics
ont subi une récession qui s'est répercutée sur la
batellerie, le secteur énergétique est, en revanche, susceptible
d'y recourir dans les années à venir, de même que la
sidérurgie :
"
La fermeture des mines en France et en Allemagne aura un effet
favorable sur la demande de transports "
déclarait une
personnalité devant votre commission d'enquête avant d'ajouter
: " aux charbons européens seront substitués des charbons
d'importation, par les grands ports de la Mer du Nord de Rotterdam et Anvers.
Pour alimenter les centrales thermiques du sud de l'Allemagne, il y aura des
distances plus longues qu'à partir des mines de la Ruhr. Les
prévisionnistes pensent que l'évolution du secteur charbonnier va
conduire à une augmentation de la demande de transport fluvial sur le
Rhin. De même, la fermeture des mines de Lorraine avait eu pour effet
d'entraîner une apparition de trafic inexistant auparavant. Maintenant la
sidérurgie locale fonctionne à 100 % avec des minerais
d'importation, du Brésil, de la Mauritanie, de l'Australie ".
Il est vraisemblable que les réticences des mouvements
écologistes face à
l'énergie nucléaire
auront pour conséquence d'accroître le recours au charbon et, par
conséquent, augmenteront la demande de transport des frets
pondéreux fluvialisables.
La voie d'eau permet l'acheminement de trafics conteneurisés
Pour le transport de denrées périssables ou de produits qui
nécessitent une livraison très rapide la voie d'eau n'offre pas
d'alternative au transport routier. En revanche, elle permet une massification
de certains flux grâce au transport par
conteneur
. Les caisses qui
servent d'emballage aux marchandises depuis leur départ du lieu de
production sont empilées sur plusieurs couches dans les navires, ce qui
permet un abaissement considérable du coût unitaire par tonne.
Grâce à leur standardisation, ces " boîtes "
permettent d'atteindre des frais de manutention peu élevés quelle
que soit la marchandise.
Apparue au début des années 1970 dans le transport maritime,
la conteneurisation s'est, peu à peu, étendue aux transports
intérieurs.
En 1995, le Rhin a acheminé 770.000 équivalents vingt pieds
(dits aussi " EVP ", unité de compte normalisée des
conteneurs, 2 EVP équivalent au chargement d'un gros camion en
termes d'encombrement).
La conteneurisation permet d'accroître la valeur ajoutée des
produits transportés par bateaux
. Des marchandises nobles telles que
des composants électroniques ou des eaux de vie fines d'Alsace
destinées au sud-est asiatique transitent désormais par le Rhin.
Le développement du transport fluvial conteneurisé dans les
années à venir
devrait se poursuivre. L'Inspection
générale des finances avait d'ailleurs recommandé (rapport
Renié Wallon de 1996) que des travaux supplémentaires
(estimés à 300 millions de francs hors taxes en 1993) soient
réalisés sur la liaison Rhin-Rhône afin de faciliter le
transit des conteneurs.
Le transport fluvial s'intéresse également à de nouveaux
débouchés. C'est ainsi que
le transport d'ordures
ménagères
peut, dans certaines conditions, lui être
confié.
Depuis dix ans à Liège, 80 000 tonnes d'ordures,
antérieurement transportées par camions, sont acheminées
par barges couvertes entre le Nord et le Sud de l'agglomération.
A la suite de la décision de la Communauté urbaine de Lille de
fermer trois usines d'incinération, il est prévu de confier
à la voie d'eau le transport de 300 tonnes d'ordures par
jour.
a) Elle enregistre une croissance en valeur absolue au niveau de l'Union européenne
Une
augmentation en valeur absolue
En 1995, le transport fluvial acheminait 116 milliards de tonnes
kilomètres dans l'ensemble des pays " mouillés " de
l'Union européenne. Par rapport à 1980, il enregistrait une
hausse de plus de 3 milliards de tonnes kilomètre, en valeur
absolue.
Cette évolution se caractérisait par une augmentation des flux
tant aux Pays-Bas (+ 3%) qu'en Allemagne où le volume transporté
par la voie d'eau croît de près de 13 milliards de tonnes
entre 1980 et 1995, soit (+24%).
Ces éléments sont reproduits dans le tableau suivant :
EVOLUTION DU TRAFIC FLUVIAL
DANS LES ETATS D'EUROPE DOTES DE VOIES FLUVIALES
1980-1995
(en milliards de tonnes/kilomètre)
|
1980 |
1995 |
Pays-Bas |
33,5 |
34,5 |
Belgique |
5,9 |
5,6 |
Allemagne |
51,4 |
64 |
France |
12,2 |
5,9 |
TOTAL |
112,8 |
116 |
Source : VNF
Une meilleure résistance que le rail à la concurrence de la
route
Comme le montre le tableau suivant, l'évolution relative des parts du
marché des transports est plus favorable, au niveau européen,
à la voie d'eau qu'au rail.
Même si la part modale du transport fluvial diminue de deux points de
pourcentage dans les quatre principaux Etats " fluvialisés "
de l'Union européenne entre 1980 et 1995 (de 9,8 à 7,6 %) il
enregistre une croissance en valeur absolue. En revanche, le rail subit une
perte tant en valeur absolue (de 286,9 à 220,1 mdtk) qu'en valeur
relative (de 25 % à 14 %) au cours de la même
période.
RÉPARTITION MODALE DANS LES PRINCIPAUX ETATS EUROPÉENS DOTÉS DE VOIES FLUVIALES
(en milliards de tonnes/kilomètre)
|
RAIL |
ROUTE |
VOIES NAVIGABLES |
OLÉODUCS |
TOTAL |
|||||
|
1980 |
1995 |
1980 |
1995 |
1980 |
1995 |
1980 |
1995 |
1980 |
1995 |
Pays-Bas |
3,4 |
3,1 |
17,7 |
27,1 |
33,5 |
34,5 |
5,0 |
5,3 |
59,6 |
70,0 |
Belgique |
8,0 |
7,3 |
18,3 |
42,6 |
5,9 |
5,6 |
1,8 |
1,4 |
34 |
56,9 |
Allemagne |
64,9 |
69,8 |
124,4 |
271,1 |
51,4 |
64,0 |
13,1 |
16,1 |
253,8 |
421,0 |
France |
66,4 |
47,9 |
97,4 |
132,0 |
12,2 |
5,9 |
34,7 |
22,4 |
210,7 |
208,2 |
TOTAL |
286,9 |
220,1 |
661,4 |
1102,6 |
112,8 |
116 |
91,7 |
85,6 |
1152,8 |
1524,3 |
Source : VNF
Au total, le transport routier est le grand bénéficiaire de cette
évolution puisque sa part modale passe de 661,4 mtk en 1980 à
1102,6 mtk en 1995 soit + 67% pour les quatre Etats où le transport
fluvial représente une part significative.
b) Elle fait l'objet d'un schéma directeur européen
Avec
près de 23 000 kilomètres de long, le réseau fluvial
européen offre de remarquable possibilités de
développement.
Les autorités de Bruxelles ont d'ailleurs manifesté leur
volonté de favoriser l'utilisation optimale des capacités
existantes et l'intégration de tous les réseaux, y compris la
navigation intérieure, en définissant en 1993, un
schéma directeur transeuropéen des voies navigables
et en
dressant la
liste de neuf projets prioritaires
d'intérêt
communautaire.
Le schéma directeur des voies navigables
La décision n°93-630-CEE du 29 octobre 1993 concernant le
développement du réseau transeuropéen de voies navigables
a, tout d'abord établi la carte qui figure en annexe au présent
rapport.
Les voies d'eau figurant au schéma directeur sont de classe IV
(accessible aux bateaux et convois poussés de 80 à 85 m de long
et de 9,5 mètres de largeur). Leur modernisation doit permettre
d'atteindre la classe Va/Vb (bateaux de 110 à 185 mètres de long
et 11,4 mètres de large).
Le schéma transeuropéen a un caractère indicatif
.
Il vise, comme le précise la décision du Conseil du
29 octobre 1993 précitée à "
encourager
les actions des Etats membres et, le cas échéant, de la
Communauté qui visent à réaliser des projets faisant
partie du réseau afin d'assurer sa cohérence et son
interopérabilité ".
Les projets prioritaires d'intérêt communautaire
La décision du Conseil du 29 octobre 1993, range parmi les
neufs projets prioritaires d'intérêt communautaire :
- l'amélioration du Mittellandkanal et le franchissement de l'Elbe
à Magdebourg ;
- l'amélioration de la navigabilité de l'Elbe entre
Magdebourg et la frontière tchèque ;
- l'amélioration des liaisons entre l'Elbe et l'Oder ;
- la liaison Twentekanal-Mittellandkanal ;
- la liaison Rhin-Rhône ;
- la liaison Seine-Escaut en France et Escaut en Belgique ;
- l'axe nord-sud et la liaison entre l'Escaut et le Rhin ;
- l'amélioration de l'axe Anvers-Bruxelles-Charleroi ;
- l'amélioration de la branche orientale en direction du Rhin via
le canal du centre, la Meuse, le canal de Lanaye en Belgique et le canal
Juliana aux Pays-Bas ;
- la liaison Main-Danube et l'amélioration du Main et du Danube
entre Straubing et Vilshofen ;
- l'amélioration de la navigabilité du Danube entre Vienne
et la Mer noire (projet non communautaire).
Les projets prioritaires d'intérêt communautaires devraient dans
la mesure du possible
être engagés dans une perspective de dix
ans
, compte tenu des contraintes financières des Etats.
La décision
du Conseil
précise expressément
qu'elle
ne préjuge pas de l'engagement financier d'un Etat membre ou
de la Communauté
.
III. QUELLE POLITIQUE FLUVIALE ET QUELLES RÉALISATIONS ?
Grâce à ses capacités disponibles,
à sa
sûreté, et à son faible coût, le transport fluvial de
marchandises jouera, à coup sûr, un rôle dans l'organisation
du futur réseau transeuropéen de transports. Parmi les quinze,
certains Etats sont, comme les Pays-Bas et l'Allemagne, naturellement mieux
dotés en voies fluviales, du fait de la géographie. D'autres,
comme la France, n'ont probablement pas encore tiré tout le parti
possible du transport par voie d'eau. Une politique à courte vue misant
exclusivement sur la route et sur le rail, conduirait à négliger
le transport fluvial pour l'acheminement des marchandises.
Elle oublierait qu'il faut se garder de " mettre tous ses oeufs dans le
même panier ".
Les pouvoirs publics ne peuvent pas tirer arguments des handicaps que
connaît la voie d'eau française pour rester dans l'expectative. La
France courrait le risque d'une
marginalisation au sein du continent
européen
dont elle constitue le " Finistère ". Tous
les décideurs ont ils pris conscience déplacement vers l'est du
centre de gravité de l'Europe ? Plus continentale, davantage
tournée vers les anciens pays de l'est, l'Union européenne du
XXIe siècle sera vraisemblablement moins polarisée vers
notre pays et vers l'Allemagne de l'ouest que ne le fut la Communauté
européenne.
La France est menacée d'un isolement progressif
aussi bien
vis-à-vis de l'Europe du Nord que par rapport à l'Europe centrale
qui est naturellement attirée par la Méditerranée
orientale. Les voies empruntées par le fret dans les prévisions
de trafic de marchandises, au départ du Port de Rotterdam, suivent des
liaisons nord-sud qui contournent l'hexagone par l'est. Certaines passent par
l'Autriche et l'Italie vers l'Adriatique, d'autres suivent le cours du Danube
jusqu'au port de Constanza sur la Mer Noire. Les pouvoirs publics l'ont-ils
compris ? Il est loisible d'en douter. Lors de son audition par votre
commission d'enquête, M. Raymond Barre concluait son propos sur la
gestion du dossier " Rhin-Rhône " en soulignant :
"
la faible capacité des administrations françaises
à imaginer l'accroissement des échanges qui va se produire du
fait de l'espace européen et à réaliser la marginalisation
relative de notre territoire si des relations fondamentales ne sont pas
établies
".
A l'évidence,
la demande de transport va croître au cours des
prochaines années entre l'est et l'ouest du continent
européen
. Même si l'on développe le trafic maritime
à courte distance (mer-mer), ce mode de transport ne parviendra pas
à desservir les zones enclavées d'Europe centrale.
Parallèlement, rien ne refrénera
l'exigence croissante de
l'opinion publique
en ce qui concerne la
sécurité
routière
, la
facilité des déplacements
le
week-end et dans les centres-villes ou
l'aspiration à une meilleure
protection de l'environnement.
Le
sommet
de Kyoto
a
marqué une étape dans la prise de conscience du rôle des
émissions de gaz à effet de serre.
La Suisse et l'Autriche ont récemment montré que les pouvoirs
publics sont, à juste titre, de plus en plus réceptifs aux
demandes de la population. L'intervention de nouvelles décisions tendant
à limiter le transit des poids lourds en provenance ou à
destination de l'Italie par leur territoire pourrait favoriser l'apparition
d'un détournement de trafic vers notre pays. De son côté,
le chemin de fer parviendra-t-il à résoudre la concurrence entre
le trafic voyageurs et le trafic marchandises ? Chacun le souhaitera mais
beaucoup reste à faire...
Le développement de la voie d'eau pourrait contribuer à la
satisfaction de certains de ces besoins en apparence contradictoires.
Certes, l'ensemble du trafic routier et ferroviaire est loin d'être
intégralement fluvialisable. Mais la réciproque est tout aussi
vraie. Or, la demande européenne de transport par voie d'eau va
vraisemblablement s'accroître dans les prochaines années.
Pour votre commission d'enquête, il est nécessaire de faire
litière de l'opinion trop simpliste pour laquelle la situation de la
batellerie française rendrait inutile tout investissement dans le
transport fluvial. Appliquée au transport maritime, cette thèse
impliquerait que l'on ne modernise pas les ports de l'hexagone, eu égard
à la situation du pavillon français !
Même s'il est souhaitable de tenir compte des transformations de la
batellerie hexagonale, on ne peut oublier que
l'on ne construit pas des
infrastructures pour les transporteurs, mais avant tout pour les chargeurs
.
Or, ceux-ci ont intérêt à disposer de l'offre logistique la
plus diversifiée afin de satisfaire l'accroissement des échanges
de fret dans l'espace communautaire.
Reste un argument souvent opposé au transport fluvial :
quelle sera
la rentabilité des liaisons futures ?
Dans le passé, l'évaluation du trafic prévisionnel des
liaisons nouvelles a donné lieu à d'interminables querelles de
chiffres. Chacun s'accorde aujourd'hui à penser que les modèles
de calcul utilisant des équations de report de trafic d'un mode à
l'autre sont trop grossiers. Il est donc nécessaire de recourir à
des enquêtes auprès des chargeurs, à l'instar de celles
réalisées pour le projet de canal " Seine Nord ".
Cependant, ces analyses fines de la demande ne parviendront à convaincre
ni les sceptiques ni les concurrents de la voie fluviale. Une haute
personnalité insistait sur ce point devant votre commission
d'enquête en évoquant le projet Rhin-Rhône. Elle se
déclarait "
frappée de l'incapacité de beaucoup de
milieux à comprendre que c'était
un pari sur des structures
nouvelles
".
La réalisation d'infrastructures transeuropéennes tient en partie
du pari.
Sans nul doute, serait-il nécessaire de s'inspirer de la
stratégie néerlandaise. Le rapport précité du
sénateur Marc Massion sur les ports souligne que "
nos voisins
n'hésitent pas à se lancer dans des investissements portuaires
apparemment surdimensionnés, convaincus qu'une fois en place, les
installations sauront générer le trafic
"
22(
*
)
Le
soutien à la profession batelière
et la
mise
à niveau des voies fluviales existantes
sont indissociables d'une
politique tendant à constituer un réseau fluvial français
à grand gabarit connecté au réseau
européen.
A. UN PRÉ-REQUIS : SOUTENIR ET ACHEVER LA RÉORGANISATION DE LA BATELLERIE FRANÇAISE
1. La politique conduite ces dernières années a principalement consisté à gérer la récession
Peu de
secteurs industriels ont connu une transformation aussi rapide que la
batellerie : principalement adaptée au gabarit " Freycinet ",
celle-ci a connu de graves difficultés. Depuis le milieu des
années 1980, les pouvoirs publics, préoccupés par les
capacités excédentaires de la cale française et par la
faible productivité des navires ont mené, de concert avec l'Union
européenne, une politique de réduction du nombre de navires
(" déchirage ") et accompagné la diminution du nombre
des bateliers artisanaux afin d'accroître la compétitivité
du transport fluvial.
Entre 1986 et 1996, un
plan économique et social
a
été mis en oeuvre au profit des exploitants de bateaux captifs et
de navires d'un port en lourd de moins de 450 tonnes. Il a été
prorogé jusqu'en 1998. A compter de 1989, la communauté
européenne a mené une action analogue pour les navires d'un port
en lourd égal ou supérieur à 450 tonnes.
La réduction du trafic fluvial français de 50 % entre 1980
et 1985 a conduit les pouvoirs publics à favoriser la
diminution
progressive de la capacité de la flotte.
En onze ans (1986-1997), 1698 bateaux correspondant à une cale totale de
675 000 tonnes ont été retirés du service. L'effectif
de la flotte a, de la sorte, été réduit de 60 % et
son tonnage total de 45 %.
Au cours de la même période, environ la moitié des artisans
bateliers -soit 1200 personnes- ont pris leur retraite ou cessé leur
activité. Grâce à ces restructurations, la
productivité globale de la cale marchandises générales a
augmenté de 20 % entre 1986 et 1996. Selon le comité des
transports par voie navigable,
il n'existe désormais plus de
surcapacité pour la cale non captive.
Le
coût total de cette politique
a avoisiné
460 millions de francs en dix ans
(1986-1997) dont 27 millions
ont été collectés grâce aux cotisations des
professionnels et 432 millions de francs proviennent de crédits d'Etat.
Ces fonds ont notamment été utilisés pour :
- le
rachat de bateaux
destinés au déchirage
(250 millions de francs) ;
- le versement
d'allocations de départ
(48,6 millions
de francs) ;
-
l'adaptation technique du matériel
existant
(38 millions de francs) ;
- des
facilités données aux jeunes bateliers
(30 millions de francs) ;
Dans la perspective de l'ouverture du transport fluvial à la
concurrence, il est nécessaire de poursuivre dans la voie de la
modernisation de la flotte.
2. Soutenir le développement d'une batellerie artisanale concurrentielle analogue à celle de nos concurrents
Par-delà la diminution du nombre des navires, la
batellerie
artisanale connaît une véritable révolution, sous
l'influence des Pays-Bas qui se sont, les premiers, adaptés à la
prochaine libéralisation. La flotte artisanale achève aujourd'hui
sa mutation d'un système d'économie administrée à
une économie concurrentielle.
Selon les professionnels entendus par votre commission d'enquête, la
batellerie artisanale française n'a pas suffisamment investi dans un
matériel spécialisé et s'est concentrée sur le
transport de frets traditionnels (sables, graviers, céréales).
Tout donne à penser que dans les années à venir, la France
connaîtra une évolution analogue à celle observée
sur le Rhin. Sur ce fleuve, en effet, les grands armements
" disparaissent " progressivement, principalement concurrencés
par les artisans néerlandais. Ils sont, peu à peu, conduits par
la pression de la concurrence à abandonner la gestion directe des
bateaux à des artisans bateliers. Il est vraisemblable que les armements
qui emploient des salariés se spécialiseront désormais sur
des trafics nécessitant une certification " qualité "
(tels que le transport de gaz pour lequel une certification ISO 9002 est
exigée).
En " cassant les prix ", les petits artisans néerlandais -qui
travaillent dans le cadre d'une sorte de " capitalisme familial "-
conquièrent peu à peu des parts de marché. Il n'est pas
rare qu'ils naviguent toute l'année. On comprend, dans ces conditions,
l'inquiétude des professionnels français face à
l'éventuelle application des " 35 heures " dans la batellerie.
En outre, les banques néerlandaises accordent des prêts qui
atteignent parfois 80 % du prix du bateau (jusqu'à 20 millions
de francs) en prenant pour garantie une hypothèque de premier rang.
Grâce au soutien financier des armateurs, l'artisan néerlandais
peut acheter son bateau.
Observée initialement sur le Rhin, où son importance a
été soulignée par les interlocuteurs rencontrés
lors de la mission de la commission d'enquête en Allemagne, cette
transformation de la profession s'étend progressivement à la
Seine. Compte tenu du coût du travail, certains armements ont choisi de
vendre leurs bateaux à d'anciens salariés. Un armateur entendu
par votre commission d'enquête indiquait que tous les
" pousseurs " que sa société possédait autrefois
sur la Seine étaient désormais gérés dans le cadre
de sociétés en participation par d'anciens salariés qui
créent de petites structures et gèrent le bateau. L'armement leur
garantit une recette tandis que les économies sont réparties au
niveau de la société. De la sorte, les bateliers gagnent plus
qu'auparavant en gérant leur propre matériel.
Ce système semble promis à se développer en France, un
professionnel estimait même que "
dans vingt ans, on n'aurait
plus que des artisans en France
".
Les pouvoirs publics doivent
soutenir financièrement les efforts des entrepreneurs individuels
.
Cette évolution nécessite, à n'en pas douter, une
harmonisation des règles sociales
(temps de conduite et de repos
des équipages) au niveau européen. Elle est également
souhaitée par les bateliers allemands. Il appartient au Gouvernement de
saisir la Commission de cette question, faute de quoi la voie d'eau
connaîtrait les mêmes problèmes que le secteur routier du
fait du " dumping " social auquel se livrent les Néerlandais
notamment.
B. DEUX PRIORITÉS A COURT TERME : ACHEVER DE METTRE LE RÉSEAU EXISTANT À NIVEAU ASSURER LA DESSERTE PORTUAIRE
1. Mettre le réseau existant à niveau
Les
inquiétudes des professionnels
La politique des voies navigables ne peut se réduire à quelques
grands projets tels que " Rhin-Rhône ", " Seine
nord ", ou " Seine est ". Les travaux de la commission
d'enquête ont montré que les armateurs jugeaient indispensables
les travaux d'entretien du réseau. Les professionnels expriment un
certain découragement. L'un d'entre eux ne confiait-il pas :
"
je ne veux pas évoquer les grandes liaisons. Voilà
vingt ans que j'en entends parler, nous ne les voyons pas venir, à mon
avis, dans vingt ans on en parlera encore [...] Mon souci est que le peu dont
nous disposons soit en bon état, ce qui n'est pas le cas. "
A côté des travaux d'entretien courant du réseau, les
professionnels souhaitent que quelques réalisations facilitent le
transit des bateaux, en particulier :
- la réfection des écluses du
canal du Nord
;
- la desserte de
Sète
grâce à la construction
d'une digue permettant le passage des bateaux fluviaux par la mer quelques
soient les conditions météorologiques ;
- l'accès au port du
Havre
;
Les efforts de Voies navigables de France
Selon VNF, le
coût de la remise en état de l'ensemble du
réseau fluvial
est compris entre 7,2 et 17,4 milliards de francs,
tandis que son entretien est estimé entre 450 et 550 millions de
francs par an, ainsi qu'il ressort du tableau ci-après :
|
Longueur du réseau en kilomètres |
Coût de la remise
en état
|
Coût annuel de la
maintenance
|
|||
|
|
Minimale |
Initiale |
Optimale |
Pendant la remise en état |
Après remise en état |
1. Voies d'intérêt majeur pour le transport de marchandises |
1 801 |
1 729 |
2 826 |
4 800 |
159 |
193 |
2.
|
909 |
938 |
2 323 |
3 229 |
76 |
86 |
2.2 Voies assurant des liaisons interbassin |
565 |
654 |
1 156 |
1 531 |
35 |
45 |
SOUS-TOTAL |
2 275 |
3 321 |
6 305 |
9 060 |
130 |
324 |
3. Voies à fort trafic touristique |
914 |
987 |
1 249 |
1 973 |
36 |
46 |
4. Reste du réseau |
2 488 |
2 931 |
4 641 |
6 372 |
146 |
180 |
TOTAL GENERAL |
6 677 |
7 239 |
12 195 |
17 405 |
452 |
550 |
Source : VNF
Le
coût
de la seule
remise
en
état du réseau emprunté par le trafic marchandises
varie entre
3,3 et 9 milliards de francs
selon que l'on choisit de
maintenir le trafic existant dans les conditions actuelles ou que l'on
améliore le réseau.
VNF s'est donné
dix ans pour rétablir à l'état
minimum les voies d'intérêt majeur
pour le transport de fret
et les voies utiles au transport de marchandises (catégories 1 et 2-1).
En 1998, les ressources de la section d'investissement -tous gabarits
confondus- de VNF sont estimées à environ 650 millions de francs.
Un long chemin reste à parcourir pour réaliser l'ensemble du
programme de réhabilitation !
2. Assurer la desserte des ports
La
desserte des ports par le rail, la route et la voie d'eau est l'un des
fondements de leur compétitivité. L'Allemagne et les Pays-Bas ont
d'ailleurs procédé à d'importants investissements au cours
des dernières années afin de renforcer les liaisons de leurs
ports avec leurs hinterlands.
Dans le livre vert relatif aux ports et aux infrastructures maritimes,
publié en 1997, la Commission européenne note que :
"
l'amélioration de l'efficacité des ports contribue
à l'intégration des différents modes dans un
système unique, permettant une meilleure utilisation du transport par
rail, par voies navigables et maritime [...] les différents modes de
transport doivent être physiquement reliés entre eux, par exemple
par de meilleures connexions entre l'hinterland et les
ports
"
23(
*
)
.
La proposition de décision du Parlement et du Conseil
élaborée par la Commission en date du
10 décembre 1997, modifiant la décision
n° 1692/96/CE en ce qui concernent les ports maritimes, les ports de
navigation intérieure et les terminaux intermodaux tend à mettre
l'accent sur des projets :
- facilitant le transfert de trafic de la route vers le maritime par la
promotion du transport maritime à courte distance et le transport
fluvial via le développement de l'infrastructure du port ;
- intégrant les ports dans le réseau de transport
européen, en assurant un meilleur accès à l'hinterland, en
particulier par des liaison ferroviaires et fluviales.
Elle tend également à une meilleure prise en compte des ports
intérieurs dans le réseau de transport combiné en
soulignant que "
Si le réseau routier et certaines liaisons
ferroviaires ont atteint un degré de saturation particulièrement
élevé, les voies navigables et les ports intérieurs
disposent cependant d'une capacité suffisante pour un
développement ultérieur ".
Le transport maritime s'effectue désormais à des coûts
très faibles. Une personnalité entendue par votre commission
relevait, par exemple, qu'il est actuellement possible de transporter du
minerai dans des bateaux de 300.000 tonnes au prix de 4 dollars la
tonne à partir du Brésil, dès lors : "
pour
le conteneur Hong-Kong-Marseille, le fret maritime n'est pas plus cher que le
camion Marseille-Avignon
".
La diversité des dessertes modales accroît la
compétitivité des ports maritimes car elle développe
l'offre de services à la clientèle et permet d'abaisser les
prix en favorisant la concurrence.
Tous les grands ports d'Europe du Nord ont misé sur une triple desserte
modale qui associe le rail, la route et la voie d'eau.
Comme l'écrit notre collègue Marc Massion dans un récent
rapport sur les ports français de la Manche et de la mer du Nord face
à leur concurrents du Bénélux :
"
Par l'intermédiaire de plates-formes multimodales
situées en avant port, Anvers et Rotterdam sont en prise directe avec
les réseaux autoroutiers, ferroviaires et fluviaux de l'Europe
entière. Les principaux centres industriels du continent peuvent
être atteints en 24 heures. Ces ports offrent des gammes
étendues de solutions logistiques intégrant tous les modes de
transport à un prix compétitif
"
24(
*
)
.
Aux Pays-Bas, le port de Rotterdam a misé sur une desserte multimodale
complète. Ceci implique de renforcer la part du chemin de fer, comme le
montre le tableau suivant :
ÉVOLUTION PRÉVISIONNELLE DE LA DESSERTE MODALE
DU
PORT DE ROTTERDAM
DE 1991 À 2010
(en millions de tonnes)
|
1991 |
% |
2010 |
% |
Cabotage maritime |
12,4 |
5,4 |
35,7 |
9,64 |
Pipe-line |
46,1 |
19,8 |
40,6 |
11 |
Route |
56,1 |
24,2 |
92,1 |
25 |
Navigation fluviale |
109,2 |
47,1 |
177,3 |
48 |
Chemin de fer |
8 |
3,5 |
24,3 |
6,36 |
TOTAL |
231,8 |
100 |
370,0 |
100 |
(*)
Transport maritime à courte distance
Source : Poste d'expansion économique, La Haye
Comme le montre le précédent tableau, les Pays-Bas envisagent
d'accroître la part modale du chemin de fer de 3 points de pourcentage en
vingt ans, (de 3,5 % à 6 %). Dans le même temps, la
desserte fluviale de Rotterdam, qui absorbe aujourd'hui environ 47 % des
entrées et sorties de marchandises du port en conserverait 48 %.
Le port souhaite également recourir davantage au
cabotage
maritime
qui passerait, selon les prévisions, d'un peu plus de
5 % actuellement à environ 10 % dans douze ans. A n'en pas
douter
le développement du cabotage maritime offre une chance aux
ports français -en particulier à celui de Dunkerque- qui n'ont
pas la " masse critique " atteinte par Le Havre ou Marseille afin
d'en faire des " plates-formes d'éclatement " du trafic
.
Il leur appartient de la saisir.
Rotterdam sera, à terme, desservi par une ligne exclusivement
dédiée au transport de marchandises en direction de l'Allemagne,
la
Betuwelijn
.
C. UN PARI À MOYEN TERME : LA LIAISON FLUVIALE SEINE-NORD
Parmi
les liaisons à grand gabarit susceptibles d'être
créées dans les années à venir, Seine-nord -qui
figure au schéma transeuropéen des transports fluviaux de 1993-
semble devoir être réalisée en priorité.
Son coût estimé à 15 milliards de francs sera dans tous les
cas inférieur à celui de Seine-Est ou à celui d'une
éventuelle liaison Saône-Moselle.
En outre, alors que Seine-Est n'en est encore qu'à des
" études de cadrage " (évaluation
socio-économique, aspects d'aménagement, d'environnement et
modalités techniques) destinées à apprécier son
opportunité, Seine-Nord a fait l'objet de travaux préparatoires
plus approfondis.
De septembre à 1995 à septembre 1996, des études
préliminaires ont été réalisées, sous la
maîtrise d'ouvrage déléguée de Voies Navigables de
France . Elles ont débouché sur la définition d'un
fuseau entre Compiègne et Noyon et de 21 fuseaux techniquement
envisageables entre Noyon et le canal Dunkerque-Escaut. Ces études ont
été validées à l'automne 1996 par la direction des
transports terrestres, avant que ne débute une concertation qui s'est
déroulée de septembre à décembre 1997. Sans
préjuger des conclusions du préfet coordonnateur sur cette
concertation, les travaux de votre commission d'enquête l'ont conduit
à estimer que celle-ci s'était déroulée dans un
véritable souci de transparence, avec la volonté d'informer le
public et de recueillir son avis.
En pratique, si le choix du fuseau par le ministre avait lieu à
l'automne 1998, il serait envisageable de lancer des études d'avant
projet entre 1998 et 1999. Que les pouvoirs publics prennent cependant garde
à ce que Seine-Nord ne soit pas, comme Saône-Rhin, victime du
temps. Rappelons que les premières études de trafic
réalisées par la direction des transports terrestre remontent
à 1991-1992 et qu'elles sont en cours d'actualisation ...
Un autre motif d'interrogation provient de l'incidence de la construction de
Seine Nord sur les ports de Rouen et du Havre, à cause du renforcement
de la concurrence du port d'Anvers. Sur ce sujet, les conclusions
présentées par la commission thématique
" réseaux et territoires " dans le cadre de la
préparation du schéma national d'aménagement du territoire
restent d'actualité : "
la durée de
réalisation de cette réalisation devra être mise à
profit pour préparer les ports de la Basse-Seine à la concurrence
accrue des ports du Bénélux.
"
La réalisation de Seine Nord est donc indissociable d'une politique
globale tendant à accroître la compétitivité des
ports français, notamment du Havre, mais elle permettrait
également d'insérer Dunkerque dans le développement des
ports d'Europe du Nord
.
DEUXIÈME PARTIE -
TIRONS PARTI DE NOTRE
RÉSEAU FERROVIAIRE EN VUE D'UNE OUVERTURE SUR L'EUROPE
La loi
du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire avait affecté un objectif clair et
compréhensible par tous les Français à la politique des
infrastructures ferroviaires. Son article 17 précisait ainsi
qu'
" en 2015, aucune partie du territoire français
métropolitain ne sera située à plus de cinquante
kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile soit d'une autoroute
ou d'une route express à deux fois deux voies en continuité avec
le réseau national,
soit d'une gare desservie par le réseau
ferroviaire à grande vitesse ".
Afin de mettre en oeuvre ce principe, la loi prévoyait notamment
l'établissement d'un schéma du réseau ferroviaire dont la
réalisation, à l'image de l'ensemble des schémas
sectoriels, devait s'achever en 2015 et qui prenait la forme d'une
révision et d'une prolongation du schéma national des liaisons
ferroviaires à grande vitesse publié en 1992.
Cette relance de la planification des investissements ferroviaires avait pour
mission selon les termes de l'article 18 de la loi du 4 février 1995
d'
" assurer la continuité et la complémentarité
des réseaux, aussi bien pour les personnes que pour les
marchandises ".
La consécration législative du schéma national des
liaisons à grande vitesse s'est heurtée à la modification
des conditions économiques et financières qui avaient
fondé son élaboration et qui, d'instrument de programmation, l'a
ravalé au rang de déclaration d'intention.
Néanmoins, la remise en cause du schéma de 1992 pour des raisons
budgétaires ne doit pas aboutir à nier la nécessité
de poursuivre la modernisation du réseau ferroviaire français et
son adaptation aux besoins de l'économie et des citoyens.
Le transport ferroviaire dispose d'atouts incontestables et le regain
d'intérêt qu'il suscite chez nos partenaires augure d'un possible
renouveau de ce mode de transport victime pendant de nombreuses années
de la concurrence de la route.
La construction européenne, tout en lui offrant de nouvelles
perspectives de développement, entraînera dans son organisation de
profondes modifications qui, au prix d'un effort d'adaptation, sont
susceptibles d'en améliorer la productivité.
Les décisions prises par le Gouvernement, si elles affichent une
volonté de favoriser le transport ferroviaire, suscitent de nombreuses
interrogations :
- quels sont les motifs exacts qui ont justifié l'abandon du
schéma directeur national des lignes ferroviaires à grande
vitesse ?
- les décisions du Gouvernement ne remettent-elles pas en cause la
légitimité de la politique d'adaptation et de rénovation
du réseau ferroviaire qui était inscrite dans la loi du 4
février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire ?
- les choix effectués sont-ils les plus pertinents en termes de
rentabilité et d'équité ?
- les décisions prises notamment celles concernant le TGV-Est
n'obèrent-elles pas, dans un contexte de rigueur, des
possibilités d'investissements consacrés aux autres modes de
transport ?
Ce sont ces questions auxquelles votre commission d'enquête a
souhaité répondre.
I. UNE PROGRAMMATION DES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES DÉFAILLANTE
A. UN SCHÉMA AMBITIEUX
L'élaboration d'un schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse a été décidée par le conseil des ministres du 31 janvier 1989 et a été engagée par arrêté du 29 décembre 1989 du ministre de l'Équipement, du Logement, des Transports et de la Mer. Il s'agissait là du premier schéma directeur étudié en vertu des dispositions de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs qui disposait dans son article 14 que, dans le cadre des orientations nationales de la planification et de l'aménagement du territoire, des schémas directeurs d'infrastructures sont établis par l'Etat en consultation avec les régions " pour assurer la cohérence à long terme des réseaux définis pour les différents modes de transport et pour définir les priorités en matière de modernisation, d'adaptation et d'extension des réseaux ".
1. Un schéma conçu dans une période poussant à la surenchère
L'élaboration du schéma directeur national des
liaisons ferroviaires à grande vitesse a fait l'objet d'une
procédure de consultation menée dans une "
période
d'euphorie
" selon les termes utilisés par une
personnalité auditionnée par votre commission d'enquête.
Les propositions du schéma ont été examinées
à partir de 1990 par les régions et les professionnels du
transport. Après avis des conseils régionaux, des comités
régionaux des transports et du conseil national des transports, le
comité interministériel d'aménagement du territoire du 14
mai 1991 a adopté le schéma directeur qui a été
publié par un décret en date du 1er avril 1992.
L'élaboration de ce schéma a été menée dans
un contexte marqué par le succès commercial et technique du train
à grande vitesse. Il est, en effet, très significatif que cet
effort de planification des infrastructures ferroviaires ne concerne que les
seules lignes à grande vitesse, faiblesse à laquelle la loi
d'orientation du 4 février 1995 devait remédier.
En effet, le train à grande vitesse est apparu comme
une prouesse
technologique de l'industrie française
. Rappelons que le TGV
détenait depuis 1990 le record de vitesse mondial sur rail
(513,3 kilomètres/heure).
Les succès à l'exportation confortèrent les
premières réussites commerciales rencontrées par la SNCF
dans l'exploitation des lignes à grande vitesse
. L'ouverture de la
liaison TGV Paris-Lyon se traduisit, au-delà d'une perte de parts de
marché pour le transport aérien et d'un arrêt de la
progression du trafic sur l'autoroute A6, par une augmentation des trafics
supérieure aux reports de la route et de l'avion vers le rail, ce qui
dépassait les prévisions de la SNCF. Par ailleurs, les
résultats du TGV Atlantique s'avéraient satisfaisants.
La grande vitesse ferroviaire semblait
particulièrement
adaptée
à la
géographie française
et
européenne
caractérisée par une concentration de la
population dans de grandes agglomérations situées à des
distances moyennes sur lesquelles elle permet une offre compétitive par
rapport aux autres modes de transport.
Par ailleurs, le TGV a été considéré comme
un
nouvel outil d'aménagement du territoire
. La perspective d'effets
bénéfiques sur le développement local incitèrent,
en effet, de nombreuses collectivités locales à souligner
l'intérêt d'une desserte TGV. Les années 1989 et 1990
furent marquées par de nombreuses prises de position et
déclarations en faveur d'un développement des liaisons à
grande vitesse. Le schéma directeur apparaît pour une large part
comme le résultat de ces demandes.
Répondant à des attentes locales multiples, la planification
ferroviaire privilégiait donc le transport de voyageurs entre les
grandes agglomérations, ce choix reposant sur des conditions techniques
nouvelles susceptibles d'améliorer la compétitivité d'un
mode de transport souffrant depuis de longues années de la concurrence
de la route et, plus marginalement, de l'avion. La part modale du fer dans les
trafics nationaux de voyageurs qui s'élevait en 1971 à 28 %
avait été ramenée en 1992 à 19 %.
2. Un schéma ambitieux
Les
ambitions du schéma directeur étaient considérables, ainsi
qu'en témoigne le nombre élevé de lignes nouvelles
inscrites dans le document : pas moins de 16 projets représentant
environ 3.500 kilomètres de lignes nouvelles, alors qu'un peu moins de
1.200 kilomètres étaient réalisés ou en cours de
construction à la date de sa publication en 1992. Les investissements
nécessaires à la réalisation de ce programme
représentaient, aux conditions économiques de 1989, un
investissement global évalué à 210 milliards de
francs, dont 180 pour les infrastructures et 30 pour le matériel roulant.
Les hypothèses se fondaient sur un coût kilométrique moyen
de construction des lignes nouvelles pouvant varier entre 30 et
70 millions de francs selon la complexité des ouvrages
spéciaux à réaliser.
Les liaisons envisagées figurent au schéma qui figure ci-joint.
Seul le " TGV des estuaires " n'y figure pas.
Les lignes inscrites au schéma directeur concernaient :
-
des lignes nouvelles en service
: TGV Paris Sud-Est (417 km)
et TGV-Atlantique (282 km) ;
-
des lignes nouvelles en construction
(soit 556 km) : TGV
Nord (partie française du projet
Paris/Londres/Bruxelles-Amsterdam/Cologne-Francfort) reliant Paris au nord de
la France, au tunnel sous la Manche et à la Belgique, prolongement de la
ligne Paris-Lyon jusqu'à Valence ; interconnexion Est de
l'Ile-de-France reliant le TGV Sud-Est au TGV-Atlantique et au TGV-Nord via
l'aéroport de Roissy.
-
et des projets de lignes nouvelles
(soit 3446 km),
de
loin les plus nombreux
: prolongement du TGV Atlantique de Tours vers
Bordeaux et le sud de l'Aquitaine, prolongement du TGV-Atlantique du Mans
à Rennes, TGV Auvergne reliant Clermont-Ferrand à la
région parisienne, TGV-Est reliant Paris à Strasbourg, TGV
Grand-Sud reliant Bordeaux, Toulouse et Montpellier, Marseille et la Côte
d'Azur, interconnexion Sud de l'Ile-de-France, liaison transalpine Lyon-Turin
grâce à un nouveau tunnel de base d'environ 54 km sous le
Mont-Cenis, TGV Limousin reliant Limoges et le Sud-Ouest du Massif central
à la région parisienne, TGV Méditerranée qui
regroupait les lignes Paris-Marseille, Marseille-Côte d'Azur et
Marseille-Perpignan, TGV Midi-Pyrénées prolongeant le TGV
Atlantique et Aquitaine jusqu'à Toulouse, TGV-Normandie reliant Caen
à Rouen, TGV-Pays de la Loire prolongeant le TGV-Atlantique du Mans
à Angers, TGV Rhin-Rhône, TGV Picardie reliant le TGV-Nord et le
tunnel sous la Manche et liaison Bourg-en-Bresse-Genève.
Comparés à ceux élaborés dans des pays
européens comme l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne, le schéma
français apparaît de loin comme le plus ambitieux en
kilomètres de lignes à construire.
3. Un schéma qui a été intégré dans une perspective européenne
Un des
objectifs du schéma élaboré entre 1989 et 1991
était, selon les termes du communiqué publié à
l'issue du Conseil des ministres du 31 janvier 1989, d'"
assurer
la cohérence nécessaire entre les perspectives du
développement du réseau français et les projets des autres
pays européens
".
Cette mise en cohérence devait être favorisée grâce
à la mise en oeuvre d'une réflexion européenne sur les
réseaux de transport à l'échelle de l'Union
européenne et dont une des premières concrétisations fut
l'élaboration d'un schéma directeur des TGV européens
adopté en Conseil des ministres européens en décembre
1990.
Le rôle des infrastructures de transport dans l'achèvement du
marché unique fut consacré par le traité de Maastricht en
1992 qui, dans son titre XII (article 129 B, C et D), reconnaît
l'importance du développement des réseaux transeuropéens
de transports. Ces derniers apparurent dans le Livre blanc de
Jacques Delors " Emploi, compétitivité,
croissance " comme un des volets majeurs de la politique de soutien de
l'emploi et de relance économique.
A la suite du rapport Chistophersen, élaboré par un groupe de
représentants personnels des chefs d'État ou de Gouvernement, le
Conseil européen d'Essen adopta le 10 décembre 1994 une liste
prioritaire de quatorze projets d'infrastructure dont cinq sont, en tout ou
partie, des projets de ligne ferroviaire à grande vitesse. Parmi ces
derniers, figurent bon nombre de projets inscrits au schéma directeur de
1992. Il s'agit de la ligne Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam, du TGV-Est
reliant Paris à l'Allemagne et au grand Duché de Luxembourg, du
TGV Lyon-Turin-Milan-Venise-Trieste et des TGV
Montpellier-Perpignan-Barcelone-Madrid et Dax-Madrid par Valladolid.
Dans le livre blanc " une stratégie pour revitaliser les chemins de
fer communautaires ", présenté par la Commission
européenne en juillet 1996, le caractère prioritaire de ces
projets fut réaffirmé. Ils figurent, à titre indicatif, en
annexe de la décision n° 1692/96/CE du Parlement
européen et du Conseil du 23 juillet 1996 sur les orientations
communautaires pour le développement du réseau
transeuropéen de transport.
Les projets ferroviaires arrêtés en 1994 apparaissent plus comme
le résultat d'une conception redistributive de la politique des
réseaux transeuropéens et des propositions de chaque État,
que d'une analyse de leur intérêt économique ou financier
et de leur apport à la construction européenne.
L'article 129 B soulignant la nécessité de relier les
régions insulaires, enclavées et périphériques aux
régions centrales de la Communauté, a en effet abouti à
retenir des projets dont l'intérêt commun paraît
limité mais qui permettent au delà des crédits propres aux
infrastructures de transports, de réunir des crédits substantiels
du fonds de cohésion et des fonds structurels. Les pays
développés de la zone centrale qui possédaient
déjà des réseaux denses ont quant à eux
proposé des projets de réalisation difficiles à l'image
des liaisons transfrontalières entre l'Italie et la France ou l'Espagne
et la France.
Votre commission souligne qu'il existe une analogie dans les principes qui ont
présidé à l'élaboration du schéma national
et à la définition des réseaux transeuropéens. En
effet, dans les deux cas, la logique de redistribution a primé sur
l'analyse économique de la rentabilité des projets
envisagés.
B. UN SCHÉMA À LA VALEUR INCERTAINE
1. Un schéma qui n'est pas un document de programmation
En
dépit de sa prise en compte dans le cadre d'une planification
européenne, le schéma directeur national des lignes à
grande vitesse est doté d'une valeur incertaine.
A la lecture du rapport de présentation qui l'accompagne,
le
schéma publié en 1992 apparaît
plus comme une
déclaration d'intention que comme un effort de programmation de la
dépense publique.
On peut lire ainsi qu'"
un tel schéma a pour vocation
d'évaluer les besoins, avec suffisamment d'anticipation, compte tenu de
l'importance des délais de réalisation des lignes
". Sa
réalisation devait être décidée "
par
l'État et la SNCF dans le cadre des contrats de plan successifs en
tenant compte des enjeux de transport attachés à ces
éléments, des contraintes macro-économiques, de la
situation financière de la SNCF et du développement des liaisons
correspondantes dans les pays voisins
". La prudence de la
rédaction contrebalance à l'évidence les ambitions
exprimées dans l'énumération des projets envisagés.
Le schéma n'est au demeurant accompagné d'aucun
élément relatif au financement des lignes nouvelles. A
l'exception d'une estimation très approximative concernant le coût
moyen kilométrique de construction d'une ligne nouvelle, comprise entre
30 et 70 millions (soit du simple à plus du double), le document ne
comporte
aucune indication chiffrée
.
Cela apparaît d'autant plus regrettable que certains projets
présentent pour la SNCF des taux de rentabilité interne
très faibles, ce qui pose à l'évidence le problème
de leur financement par l'entreprise ferroviaire. C'est le cas en particulier
du TGV Normandie dont le TRI est de 0,1 %, selon les indications contenues
dans le rapport de présentation du schéma directeur.
Par ailleurs,
aucune échéance n'est fixée pour la
réalisation des lignes
inscrites au schéma directeur. Est
indiqué tout au plus que
" pour chaque axe, le schéma
directeur retient un niveau d'équipement possible dans une perspective
d'une vingtaine d'années
".
Comme l'indique le rapport de présentation, le schéma directeur
"
n'est pas un document de programmation
".
Il est donc
difficile d'y voir le résultat d'une politique de planification de
l'investissement ferroviaire
. Il importe de souligner qu'à la
même époque bon nombre de nos partenaires firent également
le choix de la grande vitesse ferroviaire ; néanmoins, certains pays
comme l'Allemagne l'accompagnèrent, à la différence de la
France, d'une véritable planification des investissements.
En Allemagne, le plan des infrastructures fédérales de transport,
le Bundesverkehrswegeplan (BVWP), adopté en 1992, prévoyait un
important programme d'investissement ayant pour objectif de doter le pays,
à l'issue de la période fixée pour sa réalisation,
soit 2012, d'un réseau ferré à grande vitesse d'une
longueur de 3.200 kilomètres, grâce à la création de
lignes nouvelles et à l'aménagement de lignes existantes.
Cependant, si l'ampleur des réalisations envisagées est à
peu près comparable à celui de la France,
les méthodes
de programmation des investissements diffèrent profondément
.
En effet, depuis 1973, la politique suivie en Allemagne en matière
d'infrastructures de transport est inscrite dans le plan des infrastructures
fédérales de transport (BVWP) élaboré par le
ministère des transports et approuvé par le Gouvernement
fédéral. Ce document fixe pour 10 à 15 ans les objectifs
de la politique d'investissement et énumère les projets de
construction, d'aménagement, de rénovation et d'entretien lourd
ainsi que les moyens de financement qui y seront affectés.
Décliné en deux plans relatifs aux grandes routes
fédérales, d'une part, et aux voies ferrées, d'autre part,
il est adopté par le Bundestag et fait l'objet d'une mise à jour
régulière grâce à l'élaboration de plans
quinquennaux.
Cette procédure présente aux yeux de votre commission deux
mérites essentiels : en premier lieu, elle permet une
réflexion globale intégrant les différents modes de
transport et, en second lieu, elle s'accompagne d'un effort de programmation
des investissements. On se rapproche là de la notion de loi de programme
dont la valeur serait incontestablement supérieure à celle d'un
schéma à l'image de celui arrêté pour les liaisons
ferroviaires à grande vitesse en 1992.
En outre, l'exemple allemand souligne
le caractère parcellaire du
schéma de 1992
. En effet, le BVWP concerne non seulement les lignes
à grande vitesse mais aussi les lignes existantes, et, à ce
titre, il prévoit que l'essentiel des investissements prévus
(soit 213,6 milliards de DM) soit consacré à
l'aménagement des voies et à la mise à niveau du
réseau de l'Est de l'Allemagne. Enfin, comportant un volet relatif au
transport combiné, il s'inscrit dans une perspective intermodale.
Il s'agit là, à l'évidence, d'une planification plus
proche de celle voulue par le législateur lors de l'adoption de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire de 1995 que de celle mise en oeuvre pour l'élaboration du
schéma de 1992.
Votre commission souligne que, parmi les témoignages qu'elle a pu
recueillir, nombreux ont été ceux qui déploraient
l'absence d'une véritable planification des infrastructures
ferroviaires.
2. Des choix lourds de conséquence : un schéma doté d'une grande force d'inertie
Cependant, si la valeur du schéma directeur était
incertaine, il n'en avait pas moins des conséquences concrètes.
Comme l'a souligné M. Philippe Rouvillois dans le rapport
qu'il a remis en juillet 1996 à M. Bernard Pons, ministre de
l'Équipement, du logement, des transports et du tourisme, et à
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État aux transports, sur
les modalités de mise en oeuvre du schéma directeur des lignes
à grande vitesse, "
dans la lancée de ce document
très ambitieux quant aux infrastructures à créer, il y
avait un ensemble d'études concernant de nombreuses liaisons, à
peu près une dizaine
" et "
par un processus qui
semblait échapper au contrôle du ministère des finances et
du ministère des transports, on passait d'études
préliminaires en études préalables au lancement
d'enquêtes (...). On lançait un processus inéluctable
où le Gouvernement allait devoir prendre des décisions
très rapidement, portant non pas sur deux ou trois projets, mais sur
cinq ou six projets divers
".
Les termes de la lettre de mission adressée le 28 novembre 1995 à
M. Rouvillois étaient significatifs du sort réservé
aux projets inscrits au schéma directeur : "
La poursuite du
financement des TGV inscrits au schéma directeur selon les
modalités retenues à ce jour et selon le rythme souhaité
par les élus locaux n'est désormais, à l'évidence,
plus compatible avec l'objectif d'un assainissement financier de la SNCF,
compte tenu du coût et de la rentabilité insuffisante de ces
projets. Elle n'est pas non plus compatible avec l'objectif prioritaire de
redressement des finances publiques et de maîtrise des
prélèvements obligatoires
".
On retrouve le même constat mais en termes plus lapidaires dans la
formule utilisée par Mme Idrac au Sénat : "
on
ne va pas en 10 ans financer deux fois plus de TGV deux fois moins rentables
qu'on en a fait en 10 ans
. "
Néanmoins, force est de constater qu'en dépit des remises en
cause financières et techniques, le schéma de 1992 demeure
doté d'une grande force d'inertie, les projets y figurant conservant
pour la plupart d'entre eux une certaine légitimité. Si tout le
monde s'est accordé pour en souligner le caractère
irréaliste, personne n'a osé déclarer publiquement qu'il
était caduc, le législateur ayant pour sa part, lors du vote de
la loi de 1995, exprimé sa volonté de le réviser et de le
prolonger.
C. UN SCHÉMA QUI S'EST RÉVÉLÉ IRRÉALISTE
1. Le réexamen à la baisse de la rentabilité des projets de lignes nouvelles
Le réexamen des calculs de rentabilité effectués lors de l'élaboration du schéma directeur résulte d'une révision à la hausse du coût au kilomètre de réalisation des infrastructures conjuguée à une diminution des estimations des recettes attendues.
-
•
L'augmentation du coût au kilomètre
des lignes TGV
constatée au fil des réalisations successives n'a, en effet,
cessé d'augmenter. Celui-ci est passé aux conditions
économiques de 1994, de 33,6 millions de francs au kilomètre
pour le TGV-Atlantique à 40,1 millions de francs pour le TGV-Nord,
à 55,2 millions de francs pour le TGV Rhône-Alpes
(contournement de Lyon) et à 69 millions de francs pour le
TGV-Méditerranée en cours de réalisation.
Les raisons de cette augmentation tiennent, pour l'essentiel, au renforcement des obligations légales relatives à la protection de l'environnement, en particulier celles sur l'eau et le bruit qui, accentuées dans certains cas par les pressions des populations de plus en plus averties des enjeux environnementaux, exigent des tracés ou des ouvrages qui s'avèrent plus coûteux. Il faut noter, au demeurant, que cette tendance est commune à l'ensemble des infrastructures de transport et qu'elle est constatée dans tous les pays européens, le coût kilométrique moyen des lignes françaises avoisinant désormais la moyenne européenne.
• Parallèlement, les recettes attendues se sont révélées surestimées .
Par ailleurs, la déréglementation du transport aérien intérieur engagée à partir de 1992 a remis en question le postulat de l'avantage des liaisons ferroviaires à grande vitesse sur le trafic aérien pour des distances comprises entre 500 et 800 kilomètres. La forte baisse des tarifs sur les lignes pour lesquelles la concurrence était la plus vive ne permettait pas, en effet, une augmentation significative des tarifs, du moins dans la proportion envisagée par la SNCF lors de l'élaboration du schéma directeur.
La conjugaison de ces deux facteurs a eu pour résultat de faire apparaître que le supplément de recettes attendu des lignes envisagées était très inférieur aux prévisions antérieures. D'après les estimations publiées dans le rapport de M. Philippe Rouvillois, il diminuait de près de moitié pour les TGV Rhin-Rhône (1ère phase) et Lyon-Turin, des deux tiers pour le TGV Languedoc-Roussillon, d'un tiers pour le TGV Bretagne - Pays de Loire et se maintenait au voisinage des prévisions antérieures pour le TGV-Aquitaine.
Il en résultait qu' aucun des projets réestimés n'avait une rentabilité intrinsèque suffisante pour pouvoir être financé à partir de la seule contribution de la SNCF . En effet, les taux de rentabilité interne des projets s'établissent entre 1 et 3,5 % environ, ce qui rendait impossible leur réalisation par la seule SNCF pour laquelle l'investissement n'était réalisable, selon les valeurs en usage, qu'à partir d'une taux de rentabilité interne de 8 %.
Il faut souligner que le champ du rapport confié à M. Philippe Rouvillois excluait le TGV-Est qui fit l'objet d'un rapport de l'Inspection générale des finances et du conseil général des Ponts et Chaussées. Remises en juillet 1996 au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, ses conclusions rejoignent les constats effectués par M. Philippe Rouvillois.
Les auteurs du rapport notent, en effet, que " les raisons profondes de cette dégradation du bilan du projet tiennent à la réduction du trafic ferroviaire dans la région Est au cours des années passées, à la rigueur et au développement rapide de la concurrence aérienne et très probablement à la concurrence routière bien adaptée à beaucoup de liaisons au sein de la zone traversée, généralement peu dense et à l'armature urbaine dispersée ".
Cette analyse ne fait que souligner les inconvénients d'une planification ferroviaire fondée sur le souci d'assurer à tout prix la place d'un mode de transport face à ses concurrents et privilégiant une conception sectorielle des investissements sur une réflexion multimodale.
A travers le réexamen du schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse, est apparue l'idée que la plupart des projets inscrits au schéma directeur national des lignes à grande vitesse ne pouvaient, compte tenu de leur faible taux de rentabilité, être financés sans une contribution importante des collectivités publiques, cette constatation étant accentuée par l'aggravation de la situation financière de la SNCF.
2. L'aggravation de la situation financière de la SNCF
La
remise en cause des projets de lignes nouvelles résulte, en effet,
également de l'aggravation de la situation financière de la SNCF.
Il n'entre pas dans l'intention de votre commission d'examiner de
manière détaillée les raisons des difficultés
financières rencontrées par la SNCF à partir de 1991.
Comme l'a rappelé une personnalité auditionnée par votre
commission, "
la SNCF a financé presque exclusivement
l'extension du réseau TGV
".
Compte tenu de sa faible capacité d'autofinancement, la participation de
l'entreprise au programme de construction de lignes nouvelles et à la
réalisation des infrastructures ferroviaires en général a
contribué de manière déterminante à l'augmentation
de son endettement.
A la fin de l'année 1995, l'endettement global de la SNCF atteignait
quelque 208,5 milliards de francs. Rapporté au chiffre d'affaire
qui s'élevait à 51,9 milliards de francs à la
même date, le ratio d'endettement était considérable.
Rapporté à l'excédent brut d'exploitation qui ne
représentait que 5,4 milliards de francs, le ratio d'endettement
était encore plus défavorable. Le compte d'infrastructures
représentait une grande part de l'endettement, soit 125 milliards
de francs, ce chiffre étant du moins celui pris comme
référence lors des débats sur la loi n° 97-135
du 13 février 1997 portant création de l'établissement
public " Réseau Ferré de France " (RFF).
Les charges financières liées à cet endettement et
à l'amortissement des lignes nouvelles ont pesé lourdement sur le
compte de résultat alors que les recettes d'exploitation diminuaient en
raison d'un volume de trafic inférieur aux prévisions et de la
contrainte exercée par la concurrence aérienne sur les tarifs.
Dans ce contexte, compte tenu de la faible rentabilité interne des
projets de lignes nouvelles à l'étude, il était
évident qu'aucun d'entre eux ne pouvait être financé
à partir de la seule contribution de la SNCF, sauf à poursuivre
des travaux au prix d'un endettement qui à terme condamnait l'entreprise
ferroviaire.
tableau de bord TGV
D. LE BILAN MITIGÉ DU SCHÉMA DIRECTEUR DES LIGNES À GRANDE VITESSE
1. Des réalisations partielles
A ce
jour, plus de 1.300 kilomètres de lignes nouvelles à grande
vitesse ont été réalisés dans le cadre du
schéma directeur national des lignes à grande vitesse.
Les lignes en service en 1998
sont la ligne grande vitesse Sud-Est de
Paris à Valence, la ligne à grande vitesse reliant Paris au Mans
et à Tours, la ligne grande vitesse Nord reliant Paris, Lille (avec
embranchement vers Bruxelles) et le tunnel sous la Manche.
En ce qui concerne les travaux en cours, ils concernent la seule ligne
Sud-Est de Valence à Marseille et de Valence à Nîmes
.
Les chantiers des grands ouvrages d'art ont démarré dans leur
totalité et la mise en service de la ligne devrait être
progressive pour être effective dans sa totalité en l'an 2000.
Les autres projets de lignes font actuellement
l'objet
d'études qui sont à des degrés divers d'avancement
.
Parmi les plus avancés, outre le TGV Est déclaré
d'utilité publique et le TGV Rhin-Rhône pour lequel les
études préparatoires au lancement de l'enquête publique
devraient être lancées et sur lesquels nous reviendrons dans le
cours du rapport, figure le
TGV Languedoc-Roussillon
.
L'avant-projet sommaire (APS) entre Montpellier et le Perthus (frontière
espagnole) a fait l'objet d'une approbation du ministre chargé des
transports en mai 1995.
La section internationale de ce projet, comprise entre Perpignan et Figueras, a
donné lieu à un accord franco-espagnol signé le
10 octobre 1995. Une commission intergouvernementale chargée de
suivre les questions relatives à la construction et à
l'exploitation de la section internationale a été
installée à la fin de l'année 1997.
En novembre 1996, le ministre chargé des transports a
décidé d'engager les études préparatoires à
la déclaration d'utilité publique pour la partie française
de la section internationale, entre Perpignan et le Perthus. Une convention
partenariale a été signée le 19 février 1997
avec les collectivités locales et les études se poursuivent.
En ce qui concerne la
liaison Lyon-Turin
, son caractère
nécessaire a été rappelé lors du sommet
franco-italien de Chambéry, le 3 octobre 1997. Par ailleurs, a
été exprimée la volonté des gouvernements de
réaliser une ligne ferroviaire à grande vitesse à usage
mixte, voyageurs et fret. Il a été confié à une
commission intergouvernementale chargée de la partie internationale du
projet le contrôle des premières études techniques et
financières d'un montant de 200 millions de francs engagés par
Alpes-tunnel, groupement européen d'intérêt
économique qui a en charge la partie internationale.
Compte tenu des éléments dont elle dispose, la commission
intergouvernementale évalue à plus de 39 milliards de francs
le coût du " tunnel de base " transfrontalier long de 52
kilomètres et de ses raccordements aux lignes existantes. Il faut
souligner qu'en raison des difficultés liées aux
caractéristiques géologiques des zones concernées, les
estimations ne peuvent qu'être approximatives.
Sur la partie française du projet, la section Lyon-Montmélian,
les études d'avant-projet sommaire (APS) font actuellement l'objet d'une
consultation.
Pour le
TGV Bretagne et Pays de la Loire
, les études
préliminaires sont en voie d'achèvement.
Le cahier des charges du
TGV Aquitaine
a été
approuvé en septembre 1996, à l'issue d'un débat
préalable sur les grands objectifs du projet. Une convention relative
aux modalités de financement et de réalisation des études
préliminaires ayant été signée entre l'Etat, la
SNCF et les trois régions concernées, elles ont pu être
lancées le 22 décembre 1996.
Les autres projets inscrits au schéma directeur national des lignes
à grande vitesse ont connu des sorts divers.
Si le recours à la technique du train pendulaire est envisagé
pour certaines liaisons comme celles desservant le Limousin, d'autres
tracés à l'image du TGV-Normandie semblent purement et simplement
abandonnés.
2. Le déséquilibre des investissements au profit du TGV
Comme il
l'a été souligné devant votre commission, la
priorité de la SNCF réside désormais "
dans la
qualité de son réseau actuel et dans sa remise à niveau,
les moyens de financement dans les dernières années ayant
été consacrés aux lignes de TGV
".
L'analyse des dépenses d'infrastructures de la SNCF entre 1980 et 1996
souligne, en effet, le poids prépondérant des dépenses
relatives à la réalisation du programme TGV -en particulier entre
1990 et 1996.
Sur la période 1990-1997, les investissements TGV ont
représenté en francs courants 45 milliards de francs sur un
total d'investissements consacrés au réseau principal de
91 millions.
C'est entre 1990 et 1992 que ces dépenses ont connu leur ampleur
maximale. Elles représentaient en effet, au cours de cette
période, plus de la moitié des dépenses d'infrastructures
engagées par la SNCF sur le réseau principal avant de
décroître en 1994 et 1995 et de progresser à nouveau
à partir de 1996, année marquée par la montée en
puissance des travaux de construction du TGV-Méditerranée.
Il faut souligner que la diminution des dépenses d'investissement
intervenue entre 1993 et 1996, qui est liée au ralentissement du
programme TGV, a été accompagnée d'une réduction
des dépenses d'infrastructures affectées au réseau
" grandes lignes ".
Cet engagement de la SNCF en faveur du TGV qui s'est traduit par une
réduction de la part relative des dépenses d'investissement
consacrées au réseau classique trouve aujourd'hui ses limites.
Une remise à niveau de ce dernier s'impose, et cela pour des raisons
essentiellement commerciales.
En effet, si le retard pris dans la mise à niveau du réseau
classique ne pose pas de problèmes de sécurité, il se
répercute sur la qualité des trafics, ce qui est de nature
à handicaper le transport ferroviaire par rapport à ses
concurrents, cette constatation étant plus particulièrement
vérifiée pour le trafic de marchandises.
L'amélioration des infrastructures
du réseau classique
s'avère sur certaines relations nécessaires. Sur certaines
dessertes, comme celles de la région dijonnaise ou encore au Sud de
Nancy, la SNCF est obligée de limiter les vitesses des trains de fret
pour des raisons tenant à la qualité des voies.
Par ailleurs,
certains points du réseau, en raison d'une absence
d'investissement, sont désormais saturés
. En effet,
contrairement à ce que peut laisser penser l'évolution de la part
modale du transport ferroviaire, les trafics sont en croissance en nombre de
trains et, depuis un an, en tonne/kilomètre et en nombre de voyageurs
transportés. Le trafic demeurant concentré sur un nombre
réduit d'axes, cette évolution se traduit par la saturation de
différents noeuds ferroviaires.
C'est le cas, en particulier, de la liaison Bordeaux-Tours et du pont sur la
Garonne, de la grande ceinture au nord et au Sud-Est de l'agglomération
parisienne qui fait l'objet d'un trafic de fret très important devant
coexister avec des trafics " banlieue " ou " grande
lignes " dans des conditions de plus en plus difficiles. Il est de
même dans la région lyonnaise caractérisée par un
trafic régional et " grandes lignes " considérable et
également fortement demandeuse en sillons pour les trains de fret. Les
contournements de Nîmes et de Montpellier constituent également
des points de saturation extrêmement difficiles à surmonter, qui
limitent la capacité de transit vers l'Espagne et le Portugal et
créent des difficultés pour dégager des sillons de fret
vers ces pays.
3. La contribution du TGV à la politique d'aménagement du territoire
Le
rapport de présentation du schéma directeur des liaisons
ferroviaires à grande vitesse soulignait l'intérêt du TGV
comme instrument de la politique d'aménagement du territoire. Cette
affirmation mérite aujourd'hui d'être nuancée.
Le caractère très partiel de la réalisation du
schéma directeur de 1992 a privé le TGV d'une partie de son
intérêt compte tenu de l'absence d'un réel réseau
national
à grande vitesse
.
Pour des raisons évidentes, les liaisons TGV qui sont d'ores et
déjà réalisées ou qui sont en cours de travaux
étaient celles qui étaient les plus rentables et les
préoccupations liées à l'aménagement du territoire
n'étaient pas prépondérantes dans la décision de
leur réalisation. En effet, elles relient des pôles
économiques de première importance pour lesquels
il est
difficile d'évaluer l'impact de la liaison TGV en terme d'accroissement
du développement local
.
Par ailleurs, dans l'hypothèse de la construction d'une ligne
fondée essentiellement sur des préoccupations liées
à l'aménagement du territoire,
la seule réalisation de
l'infrastructure ne peut suffir à induire de nouvelles activités
économiques
. Comme le soulignait les conclusions de la commission
" Réseaux et territoires " précédemment
citée, "
une autoroute ou une gare de TGV ne contribueront
véritablement au développement d'une ville moyenne que si elles
s'accompagnent de la création d'un ensemble de services technologiques,
financiers, universitaires qui contribuent à l'implantation
d'activités nouvelles
". Elles indiquaient également que
"
dans certains cas, l'amélioration des infrastructures de
transport entre des régions de niveaux économiques trop
disparates pouvait même conduire à une relative
dévitalisation de certaines agglomérations
".
Enfin, force est de constater qu'au-delà des contestations liées
aux dommages environnementaux causés par la construction de lignes
nouvelles, la
création d'une liaison TGV peut pénaliser au fur
et à mesure de sa réalisation les régions en situation
intermédiaire
, sans qu'elles puissent bénéficier en
contrepartie de compensations (gares nouvelles, maintien d'une desserte
classique performante). Il s'agit là d'un phénomène
qualifié par certains d'" effet tunnel ". Ce dernier
s'étend plus particulièrement aux sections des lignes classiques
empruntées par les TGV pour les dessertes terminales sur lesquelles de
nombreux arrêts sont supprimés par rapport aux dessertes
antérieures. C'est le cas en particulier des liaisons TGV avec la
Bretagne à partir de Rennes et des liaisons TGV Poitiers-La Rochelle.
Une telle situation est d'autant plus inquiétante que l'utilisation des
trains à grande vitesse pour des relations régionales est loin
d'être négligeable.
Le schéma directeur de 1992 soulignait que le TGV offrait "
une
bonne complémentarité avec le réseau classique
"
grâce, d'une part, à la compatibilité de cette technique
avec des voies classiques, et d'autre part, "
aux correspondances
adaptées des dessertes TGV et des autres dessertes, notamment celles des
systèmes régionaux de transports
".
A cet égard, les critiques suscitées par l'implantation de gares
TGV en rase campagne sont significatives. L'absence de liaisons avec le
réseau classique et en particulier avec les trains express
régionaux (TER) explique la faible fréquentation de ces gares
intermédiaires à la fois éloignées des
centre-villes et dépourvues de correspondances régionales
à l'image de la gare Picardie sur la ligne TGV Nord ou de la gare de
Mâcon-Loché sur la ligne TGV Sud-Est. Ces dessertes exercent un
effet dissuasif sur les voyageurs incités à recourir à
leur voiture, surtout si ils parcourent des trajets requérant par route
une à deux heures. La question se trouve aujourd'hui clairement
reposée à propos du TGV-Est, et particulièrement de la
gare Lorraine, prévue entre Metz et Nancy et qui ne sera pas
reliée au réseau Métrolor.
De façon plus générale, on peut considérer que la
SNCF a eu tendance à minorer l'importance des dessertes
intermédiaires, la méthodologie qu'elle utilise pour le calcul de
ses prévisions de trafic l'y incitant au demeurant. Or, ces dessertes
sont susceptibles d'apporter un trafic non négligeable et de constituer
des atouts pour le chemin de fer face à la concurrence de la voiture
individuelle. Il est donc évident que si ces arrêts
intermédiaires ne bénéficient que d'une desserte
limitée et si de surcroît ils se situent hors des
agglomérations, ils ne permettent pas à la SNCF d'attirer les
voyageurs. Néanmoins, les arbitrages, demeurent en ce domaine
délicats, le contournement des agglomérations conditionnant en
partie le gain de temps obtenu sur l'ensemble de la relation.
4. Le TGV comme instrument de reconquête de la clientèle
Si la
SNCF a su, grâce au TGV, répondre au désir de la
clientèle de disposer d'un transport à grande vitesse et si elle
a, sur certaines liaisons, remporté d'incontestables succès
commerciaux,
il ne lui a pas permis de lutter contre l'utilisation de plus
en plus répandue du véhicule individuel
.
Entre 1982 et 1992, alors que la mobilité mesurée en
voyageurs/kilomètre a progressé à un rythme de 2,6 %
par an, la SNCF a vu sa part modale régresser de 9,9 % à
8,5 %.
Cette dérive est particulièrement sensible pour les trajets les
plus longs. Entre 1982 et 1992, alors que l'ensemble des trafics à
longue distance progressait de 3 %, l'opérateur ferroviaire voyait
sa part modale baisser de près de 3 points (de 17,6 % à
14,4 %).
L'évolution des dépenses des ménages par mode de transport
est révélatrice de la part marginale qu'occupe désormais
le chemin de fer : la part représentée par le chemin de fer est,
en effet, passée de 10 % en 1980 à 5 % en 1992.
Le TGV n'a donc pas permis d'enrayer le déclin du transport ferroviaire,
notamment en raison d'un développement encore relativement limité
du réseau à grande vitesse, mais a donné l'illusion d'une
certaine reconquête du marché qui a retardé des
évolutions nécessaires en termes de coûts de production et
de politique commerciale.
II. LES INCERTITUDES NE SONT PAS LEVÉES
A. LE NOUVEAU CONTEXTE DE LA POLITIQUE FERROVIAIRE
1. L'abandon du " tout-TGV "
Le
rapport remis à M. Bernard Pons et à Mme Anne-Marie Idrac par M.
Philippe Rouvillois en juillet 1996 a consacré le caractère
irréaliste du schéma directeur national des lignes à
grande vitesse. Sa conclusion était, en effet, la suivante :
"
Compte tenu de l'état des finances publiques, il est donc
malheureusement très probable qu'il ne sera pas possible de
réaliser dans les 15 à 20 prochaines années l'ensemble des
infrastructures inscrites au schéma directeur, ni même
l'intégralité de celles qui ont déjà donné
lieu au lancement d'études préliminaires
".
M. Jean-Claude Gayssot, le 24 octobre 1997, lors de l'examen des dispositions
du projet de loi de finances pour 1998 relatif à son ministère
à l'Assemblée nationale, indiquait sous forme de boutade que
"
pour réaliser 2.300 kilomètres de TGV, il faut à
peu près 200 milliards de francs de fonds publics
(et que
compte tenu des sommes disponibles)
il faudrait quatre
siècles
" pour réaliser le programme prévu par le
schéma directeur.
Cependant, votre commission observe que si l'idée d'une
réalisation dans un délai de 10 à 15 ans du schéma
de 1992 a été abandonnée, les lignes inscrites au
schéma demeurent des objectifs auxquels se réfèrent le
Gouvernement comme les collectivités locales. Il y a donc une
pérennité des projets de tracés, ceci s'expliquant par la
poursuite des études et des consultations.
Le schéma directeur de 1992, comme nous l'avons souligné plus
haut, est doté d'une force d'inertie qui constitue incontestablement un
obstacle aux remises en cause nécessaires à l'élaboration
d'une programmation plus réaliste et, pour cette raison, plus dynamique
des investissements ferroviaires.
Il apparaît, à l'évidence, nécessaire que les
priorités en ce domaine soient redéfinies afin de tenir compte
des difficultés de financement et de réalisation des projets mais
également d'éviter que la contrainte budgétaire devienne
le seul critère de planification des investissements ferroviaires.
Pour l'heure, en dépit des annonces relatives au TGV-Est et au
TGV-Rhin-Rhône faites à l'issue de la réunion
interministérielle du 4 février 1998,
il n'existe pas de
nouveau programme TGV
.
Le développement de la grande vitesse n'est pas pour autant
exclu.
Le ministre de l'Équipement, des transports et du logement,
par lettre en date du 27 août 1998 adressée aux présidents
des conseils d'administration de la SNCF et de Réseau Ferré de
France (RFF), a, en effet, indiqué qu'il était "
tout
particulièrement attaché à ce que la grande vitesse, qui a
donné une nouvelle jeunesse au chemin de fer, poursuive sa progression,
compte tenu de ses avantages en matière de service, de
sécurité et d'environnement
" mais a souligné que
"
cette politique
(devait)
rester réaliste, pour pouvoir
effectivement être mise en oeuvre
".
A la suite de la réunion interministérielle du 4 février
1998, le Gouvernement a donné mission à RFF, en concertation avec
la SNCF, pour dresser un état des besoins et formuler des propositions.
Les orientations qui ressortent du communiqué gouvernemental sont celles
qui avaient été définies par le ministre dans sa lettre de
l'été : RFF et la SNCF devront définir des
priorités "
à partir de
l'intérêt
socio-économique des projets, (de) leurs enjeux en terme
d'environnement, d'aménagement du territoire et de liaisons
européennes
". Le communiqué précise, par
ailleurs, que "
la capacité des projets à permettre des
phasages, en assurant une utilisation optimale des ressources publiques devra
être prise en compte
".
L'abandon du " tout-TGV " est consacré par la
référence à la technique pendulaire
faite par le
communiqué gouvernemental : "
les moyens dégagés
en faveur du réseau classique permettront d'engager des actions
d'amélioration de l'offre, utilisant éventuellement la
technologie pendulaire, au bénéfice notamment de régions
qui ne seraient pas concernées à court terme par des projets de
lignes nouvelles à grande vitesse
".
Les résultats de cette mission sont attendus pour la fin du premier
semestre 1998. Sur cette base, le Gouvernement devrait définir les
conditions techniques et financières de la poursuite d'un
"
programme maîtrisé des lignes à grande
vitesse
" respectant les engagements internationaux de la France.
Cette réflexion s'inscrira au sein de la démarche
concertée d'élaboration, qui reste à préciser, des
schémas multimodaux de transports prévus par le projet de loi
d'orientation d'aménagement durable du territoire en préparation.
Ses conclusions devraient être connues avant la fin de l'année
1998.
2. La réforme institutionnelle : une clarification des responsabilités
Les
décisions relatives à la réalisation des infrastructures
ferroviaires sont désormais prises en vertu de la loi du 13
février 1997, selon des modalités qui distinguent plus clairement
les responsabilités des collectivités publiques et celles des
gestionnaires du réseau.
La loi du 13 février 1997
La réforme introduite par la loi du 13 février 1997 est
apparue, selon l'expression utilisée par notre collègue
François Gerbaud, rapporteur du texte au nom de la commission des
affaires économiques, comme la "
quatrième mue de
l'organisation ferroviaire en France
". Elle résulte à
la fois de la crise financière qui a frappé la SNCF à
partir de 1991 et de la nécessité d'adapter les structures
d'exploitation du réseau ferré aux exigences européennes
contenues dans la directive n° 91-440 du 29 juillet 1991. En
effet, la séparation entre les activités relatives à
l'exploitation de l'infrastructure et celles relatives à sa gestion
imposée par la directive ont permis de clarifier la situation
financière de la SNCF par inscription au passif de RFF,
établissement public chargé de l'infrastructure, de l'endettement
de la SNCF à hauteur de 134,2 milliards de francs auxquels se sont
ajoutés, en juillet 1997, 20 milliards de francs.
Cette réforme, si elle n'a pas eu pour objet d'effacer la dette de la
SNCF puisque cette dernière a été transférée
à Réseau ferré de France a permis d'alléger la
contrainte financière pesant sur la SNCF et de la dégager d'un
endettement qui relevait pour partie de la puissance publique.
Un tel objectif satisfait à l'exigence posée par l'article 9
de la directive du 29 juillet 1991 qui précise que "
les
États membres mettent en place, conjointement avec les entreprises
ferroviaires publiques existantes, des mécanismes adéquats pour
contribuer à réduire l'endettement de ces entreprises
jusqu'à un niveau qui n'entrave pas une gestion financière saine
et pour réaliser l'harmonisation de la situation financière de
celles-ci
".
Si le Gouvernement a annoncé son intention de procéder à
un réexamen de la réforme introduite par la loi du
13 février 1997, il est apparu à votre commission qu'il ne
souhaitait plus remettre en cause ni le désendettement de la SNCF ni la
séparation de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise
d'oeuvre. On ne peut que s'en féliciter : ces deux
éléments sont, en effet, des points essentiels car ils
permettent, d'une part, d'éviter une reconstitution de l'endettement de
la SNCF et, d'autre part, d'espérer pour l'avenir que les travaux
d'infrastructures soient conduits dans des conditions plus satisfaisantes.
Néanmoins, la dette ferroviaire n'a pas disparu pour autant ; elle
pèse désormais sur Réseau ferré de France dont
l'objet est, aux termes de l'article premier de la loi du
13 février 1997, "
l'aménagement, le
développement, la cohérence et la mise en valeur de
l'infrastructure du réseau ferré national
" et qui,
à ce titre, "
met en oeuvre, sous le contrôle de l'Etat,
le schéma du réseau ferroviaire prévu au II de
l'article 17 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire
".
De nouvelles règles de financement
Les modifications structurelles introduites par la loi du
13 février 1997 ont été l'occasion de poser les
nouvelles règles du financement des infrastructures ferroviaires.
Le décret n° 97-444 du 15 mai 1997 relatif aux missions et aux
statuts de Réseau ferré de France a fixé les conditions
dans lesquelles l'établissement public exerce ses responsabilités
en matière de gestion de l'infrastructure. Afin de prévenir toute
dérive non maîtrisée de l'endettement du gestionnaire de
l'infrastructure, son article 4 précise que "
RFF ne peut
accepter un projet d'investissement sur le réseau ferré national,
inscrit à un programme à la demande de l'Etat, d'une
collectivité locale ou d'un organisme public local ou national que s'il
fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à
éviter
toute conséquence négative sur les comptes de
RFF sur la période d'amortissement de cet investissement
".
Cet article formalise un impératif de rentabilité. Il apporte
donc sur ce point une réponse très claire à la question
posée par le rapport Rouvillois sur la participation des
collectivités publiques au financement des infrastructures ferroviaires.
Cette règle signifie, en effet, que RFF ne financera les nouvelles
infrastructures ferroviaires que dans la mesure où elles auront une
rentabilité financière suffisante pour permettre un
autofinancement des travaux envisagés, le reste du financement devant
être assuré par les collectivités publiques.
Votre commission ne peut qu'approuver la rigueur de ce dispositif qui vise
à éviter les ambiguïtés qui ont conduit au niveau
d'endettement actuel du secteur ferroviaire français par une
véritable fuite en avant consistant à financer par l'emprunt des
investissements non rentables au strict plan comptable.
Ce nouveau système de financement
souligne les
responsabilités des collectivités publiques -y compris celles des
collectivités territoriales- dans la politique ferroviaire et
permet
de
distinguer dans un projet d'infrastructure ce qui ressort
de la logique de la rentabilité financière et ce qui ressort de
préoccupations socio-économiques telles que la poursuite d'une
politique d'aménagement du territoire
. Il s'agit sans doute
là d'une des ruptures les plus importantes introduites par la
réforme de 1997.
3. L'affirmation de la contrainte financière
Si les
nouvelles règles de financement des infrastructures ferroviaires
clarifient les responsabilités de chacun des acteurs de la
décision publique, elles soulignent également dans quelle mesure
leur marge de manoeuvre est limitée par la contrainte financière.
Celle-ci résulte principalement de la faible rentabilité des
projets escomptés et de la situation financière de RFF qui ne
permet pas de prévoir un autofinancement des projets envisagés.
Compte tenu de ses charges financières, RFF ne peut en effet qu'apporter
qu'une contribution modeste au financement des infrastructures à
réaliser. On retrouve ici la limite principale de la réforme de
1997 : le transfert et non l'apurement de la dette de la SNCF.
Le budget de RFF pour 1997 faisait apparaître un
résultat net
négatif de 12,8 milliards de francs
.
Malgré l'apport d'une dotation en capital de l'Etat de 8 milliards
de francs, le montant des investissements financés par RFF faisait
ressortir un besoin de financement de près de 13 milliards de
francs pour 1997. La situation devrait être le même en 1998 en
dépit d'une augmentation de la dotation en capital versée par
l'Etat qui a été portée par la loi de finances pour 1998
à 10 milliards de francs.
RFF se finance désormais par voie d'émission obligataire. Sur les
marchés financiers, RFF bénéficie de la part de toutes les
agences de notation du triple A et du ratio Cook à 20 %, ce qui
permet à RFF d'emprunter autour de 5,5 %, soit moins cher que la
SNCF, mais un peu plus cher que la CADES qui est adossée
complètement à l'Etat et bénéficie d'une ressource
fiscale pérenne.
Il semblerait qu'aujourd'hui, pour financer son programme d'investissement sans
dégrader excessivement son endettement, RFF ait besoin de dotations en
capital de l'ordre de 15 à 16 milliards de francs. Les frais financiers
annuels de RFF s'élèvent à environ 10 milliards de francs
et devraient culminer entre 2001 et 2008. En outre, 4,5 à 5 milliards de
francs d'investissements sont consacrés à la remise en
état du réseau et ne procurent donc aucun retour financier
à RFF. Si l'on veut réaliser quelques autres investissements
financiers comme la construction de murs antibruit ou la suppression de
passages à niveau, on aboutit, en effet, à un total de
dépenses incompressibles sans retour financier compris entre 15 et
16 milliards de francs.
Par ailleurs, la commission d'enquête ne peut que souligner, ce qui
relève au demeurant du simple bon sens que plus l'Etat tardera à
verser des dotations en capital suffisantes, plus le montant des besoins
financiers de RFF s'accroîtra. Il semble évident que si l'Etat
n'inscrit pas son concours à RFF dans une perspective pluriannuelle et
n'augmente pas le montant des dotations en capital, la faculté de se
financer sur les marchés financiers dans des conditions satisfaisantes
dont dispose RFF aujourd'hui risque d'être remise en cause.
Les tableaux ci-dessous permettent de prendre la mesure de l'endettement pesant
sur RFF. Dans l'hypothèse d'un maintien des dotations de l'Etat à
leur niveau de 1998, le tableau n° 1 retrace l'évolution de la
charge de la dette, et le tableau n° 2, celle de l'endettement de RFF.
TABLEAU N° 1
CHARGE DE LA DETTE
(
1
)
(en millions de francs)
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
16 024 |
16 339 |
17 596 |
20 923 |
20 084 |
(Source : RFF)
( 1 ) remboursement du capital et charge d'intérêts
TABLEAU N° 2
MONTANT DE LA DETTE
(en millions de francs)
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
142 882 |
151 817 |
157 926 |
162 375 |
167 091 |
(Source : RFF)
Par ailleurs, la nature de la dotation annuelle versée par l'Etat
constitue une source d'inquiétude pour votre commission d'enquête.
En effet, elle provient du fonds de privatisation et n'est pas
consolidée dans le budget. Il convient de noter, à cet
égard, qu'un programme plus ambitieux de privatisation pourrait
résoudre cette difficulté.
Le montant de la contribution de l'Etat apparaît aujourd'hui comme la
seule variable d'ajustement dont dispose RFF
.
Le montant des péages versés par la SNCF demeurera
inchangé jusqu'à la fin de l'année 1998. Pour
prévenir toute inquiétude et conformément aux termes du
pacte de modernisation, le Gouvernement avait souhaité bloquer par
avance en 1997 et 1998 les redevances perçues par RFF au titre de
l'octroi des capacités et de leur utilisation par des convois
ferroviaires à un niveau qui ne pourrait être supérieur
à celui payé par la SNCF en 1996 à volume de circulation
constant, soit environ 6 milliards de francs. Cette mesure était
destinée à garantir que RFF n'annule pas par l'effet du
péage les conséquences positives pour la SNCF du
désendettement.
Pour l'heure, une commission d'experts présidée par
M. Alain Bonnafous, vice-président du Conseil national des
transports, élabore des propositions de tarification définitive.
Quels que soient les principes de tarification retenus, il ne semble pas
envisageable, compte tenu de la situation financière de la SNCF, que ces
péages puissent connaître une augmentation de nature à
améliorer significativement les comptes de RFF.
Au-delà de 1998, le niveau des contributions susceptibles d'être
versées à RFF par la SNCF sera conditionné par le rythme
du redressement financier et commercial de la SNCF.
Un tel contexte explique donc la faible marge de manoeuvre dont dispose RFF
pour conduire sa politique d'investissement. Par ailleurs, la part des
dépenses d'investissements de RFF susceptibles d'être
réorientées d'une année sur l'autre est très faible
dans la mesure où la plupart des programmes de travaux s'étalent
sur plusieurs années.
Les dépenses autorisées par le conseil de direction du
comité des investissements à caractère économique
et social (CIES) s'élevaient pour 1997 à 10,3 milliards de
francs, hors subventions. Sur ce budget, 5,06 milliards de francs, soit
49 % sont consacrés aux TGV -principalement au TGV
Méditerranée (5,02 milliards de francs)- et 4,16 milliards
de francs sont affectés à la maintenance du réseau. Le
solde de l'enveloppe (1,345 milliards de francs) permet de réaliser
les autres opérations portant sur les lignes classiques, de
résorber les points saturés ou de désenclaver ou encore de
développer des liaisons périurbaines.
Au cours de l'année 1998, les contraintes liées aux
décisions prises antérieurement se sont encore accentuées,
la prévision de dépense pour le TGV Méditerranée
demeurant soutenue. Ce dernier poste constitue un véritable handicap
pour RFF. Il ne devra au demeurant diminuer qu'à compter de l'an 2000.
Par ailleurs, des opérations lancées en 1997 et qu'il serait
coûteux d'interrompre ou de ralentir, pèsent également
lourdement sur les comptes de RFF. Le nombre d'opérations nouvelles
lancées en 1998, en dehors des projets inscrits aux contrats de plan et
d'ores et déjà programmés, est donc très faible.
Pour l'heure, à contribution constante de l'Etat, il semble donc
impossible que RFF finance concomitamment la réalisation de plus d'une
ligne de TGV.
Par ailleurs, sa contribution ne pourra couvrir, compte tenu
des taux de rentabilité des lignes envisagées, qu'une faible part
de leur coût.
Dans ces conditions, le développement de la
grande vitesse ne pourra résulter que d'un effort de l'Etat ou des
collectivités territoriales.
B. LES PROJETS DE LIGNES NOUVELLES ANNONCÉS PAR LE GOUVERNEMENT : LES INCERTITUDES DEMEURENT
Bien
qu'il ait donné mission à RFF et à la SNCF de dresser un
état des besoins et de formuler des priorités pour les lignes
nouvelles à grande vitesse, le Gouvernement a, lors de la réunion
interministérielle du 4 février 1998, confirmé
l'engagement de réaliser une liaison à grande vitesse entre Paris
et Strasbourg et, d'autre part, annoncé son intention de poursuivre les
études et les concertations sur la liaison Rhin-Rhône.
Votre commission ne peut que s'étonner de la méthode suivie
par le Gouvernement qui " lance " deux nouveaux projets de lignes TGV
dont le coût s'avère extrêmement lourd pour les
collectivités publiques
avant même de disposer des
conclusions des études demandées à RFF et à la
SNCF.
Au-delà de cette constatation, il lui apparaît que les engagements
pris par le Gouvernement, confirmant des décisions déjà
acquises, ne permettent pas de considérer que la France dispose d'un
nouvel instrument de planification de ses infrastructures ferroviaires. En
effet, ils laissent subsister de nombreuses incertitudes et leurs implications
financières doivent être mesurées au regard des contraintes
budgétaires pesant sur la politique ferroviaire. Au rythme actuel de
construction des lignes nouvelles à grande vitesse si ces projets sont
effectivement réalisés, il y a fort à parier qu'il s'agira
des seules infrastructures ferroviaires nouvelles dont la France se dotera au
cours des quinze prochaines années.
1. Des décisions qui laissent subsister de nombreuses incertitudes sur la réalisation de nouvelles infrastructures ferroviaires
a) Le TGV Rhin-Rhône : un projet qui présente des avantages mais qui ne sera pas réalisé avant de nombreuses années
Un
projet encore assez peu avancé
L'état d'avancement des études et concertations concernant le TGV
Rhin-Rhône ne peut laisser à penser que les déclarations
faites par le Gouvernement le 4 février dernier signifient l'annonce de
sa réalisation.
En effet, à l'exception de la décision de lancer les
études préparatoires au lancement de l'enquête publique
dans le courant 1998 -la décision a été prise le
26 mai dernier-, votre commission souligne le caractère
déclaratif de l'annonce gouvernementale. Celle-ci précise que
l'Etat examinera avec l'ensemble de ses partenaires -collectivités
locales, RFF, SNCF- la faisabilité d'un phasage de la première
section et que le comité de pilotage s'attachera à
préparer un plan de financement et un calendrier de réalisation
technique à soumettre à l'Etat et aux collectivités
publiques.
Par ailleurs, il ne s'agit pas du lancement d'une nouvelle ligne TGV. Rappelons
que le lancement des études d'avant-projet sommaire avait
été décidé en décembre 1995, une convention
de financement ayant été signée le 16 février 1996
entre l'Etat, les régions concernées et la SNCF. Ces
études et les consultations qui les ont accompagnées ont
débouché sur une proposition de tracé au ministre de
l'Équipement, des transports et du logement.
Un projet intéressant
Le projet de TGV Rhin-Rhône est inscrit au schéma directeur
national des liaisons ferroviaires à grande vitesse de 1992, sauf pour
la branche sud de la deuxième phase du projet reliant Dijon à la
ligne TGV Sud-Est vers Lyon pour laquelle l'itinéraire n'était
pas arrêté lors de la publication du schéma. Cependant,
bien qu'il figure parmi les projets retenus par le schéma directeur
européen des lignes à grande vitesse de 1990, il ne fait pas
partie des projets prioritaires arrêtés par le sommet d'Essen en
1994.
Ce projet se présente sous la forme d'un " Y " et ferait de
Dijon un carrefour ferroviaire. La branche Est correspond à la
première phase du projet ; elle représente 190
kilomètres en ligne nouvelle entre Mulhouse et Dijon -via l'aire urbaine
de Belfort-Montbéliard et Besançon- qui pourraient être
reliés en 1 heure et 10 minutes, contre 2 heures et 50 minutes
aujourd'hui, soit un gain de temps d'une heure et 40 minutes.
L'intérêt du projet repose sur un phasage qui lui donnerait une
double vocation nord-sud et est-ouest le rendant capable de drainer des flux
entre les Länder rhénans, le Nord de la Suisse, le Sud de l'Alsace,
d'une part, et le grand Sud-Est, l'Espagne, la Bourgogne et la région
parisienne d'autre part. En effet, la deuxième phase du projet est
constituée d'une branche ouest et sud qui prolonge le tracé
Dijon-Mulhouse en ligne nouvelle jusqu'à la ligne TGV Sud-Est vers Paris
et vers Lyon.
La rentabilité du projet reposerait sur cette double orientation des
flux. Sa rentabilité financière avoisinerait, selon la mission
TGV Rhin-Rhône, 6,3 % et sa rentabilité socio-économique
10 % .
Votre commission note que ces taux avoisinent les taux de rentabilité
avancés par le schéma directeur de 1992 alors que ceux-ci ont
été revus à la baisse par le rapport Rouvillois pour des
considérations d'ordre économique qui demeurent aujourd'hui
pertinentes.
Au demeurant, des estimations communiquées à votre commission
font état d'un taux de rentabilité interne de 2,8 %, ce qui
semblerait plus réaliste.
La dernière évaluation de la mission TGV fait apparaître un
coût prévisionnel de 11,9 milliards de francs hors taxes pour
les seules infrastructures (gares comprises) de la première phase, soit
55 millions de francs le kilomètre. On sait par ailleurs que le
nombre moyen d'ouvrages d'art à construire serait de 1,3 au
kilomètre ; pour le TGV-Nord, cette moyenne était de 0,8.
Selon les mêmes estimations, le Rhin-Rhône serait utilisé
par 12 millions de voyageurs par an en 2005 et un accroissement du trafic
ferroviaire de l'ordre de 40 % est attendu sur l'ensemble des relations,
soit 60 % sur l'axe nord-sud et 20 % sur l'axe est-ouest.
Votre commission ne peut que faire preuve de prudence vis-à-vis de ces
estimations qui concernent un projet de ligne dont le raccordement avec
l'Allemagne demeure encore très incertain. Certaines d'entre elles
semblent pêcher par excès d'optimisme. C'est le cas notamment des
études concernant le nombre de créations d'emplois
engendrées par la construction de la ligne nouvelle : 32 000
-dont 19 000 dans le secteur des bâtiments et des travaux publics-
pendant les six années que durerait le chantier, selon le bureau
d'études Géode.
L'appréciation exacte du taux de rentabilité du projet est
nécessaire pour déterminer les modalités de financement de
la ligne nouvelle. Si les estimations avancées jusqu'ici
s'avèrent fondées, la participation de l'Etat et des
collectivités locales sera moindre que celle nécessaire à
des projets moins rentables, à l'image du TGV-Est, et, à supposer
que la situation financière de RFF le permette, serait de nature
à rendre plus aisée sa réalisation.
Quelle que soit la sincérité des estimations de trafic et de
recettes attendues, la réalisation de la ligne demeure encore
incertaine, du moins à court terme, compte tenu notamment des
engagements pris pour le TGV-Est et de leurs conséquences
financières.
b) Le TGV-Est : une réalisation coûteuse et encore incertaine
Une
décision ancienne
La réunion interministérielle du 4 février 1998 a
confirmé l'engagement de l'Etat de réaliser une liaison à
grande vitesse entre Paris et Strasbourg.
Le principe de ce projet a été arrêté, dès
1986, par M. Jacques Chirac, alors Premier ministre, dans un contexte
économique et financier -il importe de le souligner- fort
différent. En 1989, M. Philippe Essig a été
chargé par le premier ministre, M. Michel Rocard, d'une
mission d'évaluation de la faisabilité technique et
financière du TGV-Est dont les conclusions rendues publiques
l'année suivante prévoyaient le début des travaux pour
1995. Cette liaison figurait au schéma directeur national des lignes
ferroviaires à grande vitesse de 1992. Rappelons, par ailleurs, que le
projet de TGV-Est européen a été inscrit dans la liste des
quatorze projets d'Essen avec son prolongement en Allemagne vers
Saarbrücken et Mannheim.
Son tracé fut déclaré d'utilité publique par
décret en Conseil d'État le 14 mai 1996. Un protocole
relatif aux modalités de financement et de réalisation des
études d'avant-projet détaillé a été
élaboré en 1997 et signé par l'Etat et les
collectivités territoriales au début de l'année. Celui-ci
prévoit une enveloppe globale de 740 millions de francs
d'études et de travaux préliminaires, 223 millions de francs
étant à la charge des collectivités territoriales, le
reste incombant à l'Etat qui a bénéficié de
subventions de la Communauté européenne pour un montant
équivalent à la moitié de ce coût.
La commission d'enquête n'a donc pu que s'étonner, dans un tel
contexte, de l'annonce d'un nouveau " lancement " du TGV-Est
. En
effet, il intervient au moment où les discussions relatives au protocole
concernant les études de l'avant-projet détaillé
s'achevaient. Par ailleurs, il fixe le début des premiers travaux en
1999 alors que leur mise en oeuvre aurait pu être envisagée
dès 1998 si le Gouvernement s'était saisi plus rapidement du
dossier.
Ce tracé permettrait de gagner 1 heure 25 minutes entre Paris et
Strasbourg et entre Paris et Metz, 1 heure 20 minutes entre Nancy et Paris et
45 minutes entre Paris et Reims, par rapport aux temps de parcours
actuels.
Selon les intentions du Gouvernement, il serait prévu de lancer les
travaux préparatoires fin 1999, de procéder aux acquisitions
foncières courant 2000 et, enfin, d'entamer les travaux de génie
civil dès 2001, hypothèse qui a été
considérée comme plus volontariste que réaliste par des
personnalités auditionnées par votre commission.
Une réalisation qui ne sera possible que grâce à
une importante contribution des collectivités publiques
C'est, en effet, dans le cadre du rapport confié en 1989 par le ministre
des transports à M. Essig afin de rechercher les concours
financiers nécessaires à sa réalisation et en
étudier le tracé définitif en collaboration avec les
collectivités locales que cette participation avait été
envisagée. La généralisation d'une telle
possibilité fut également évoquée par le rapport
Rouvillois à la suite de la révision à la baisse des taux
de rentabilité des lignes à grande vitesse du schéma
directeur. Elle résulte aujourd'hui des termes de la loi du
4 février 1997 et du décret du 15 mai 1997.
Le TGV-Est devrait être le premier exemple de ligne nouvelle à
grande vitesse qui doive être financée grâce aux concours
des collectivités territoriales. En effet, si l'Etat avait
déjà financé directement une partie -au demeurant minime-
du coût de construction du TGV-Nord, les collectivités
territoriales n'avaient pas jusqu'à présent été
sollicitées pour ce type d'infrastructures. Il s'agit là de la
conséquence des règles nouvelles régissant le
fonctionnement de RFF, si l'Etat ou les collectivités locales veulent
construire des lignes TGV nouvelles dont la rentabilité
financière n'est pas suffisante pour permettre à RFF de les
financer seul, ils doivent apporter les participations financières
nécessaires.
Il faut souligner également que les collectivités locales
participant au financement du projet ne sont pas seulement celles dont le
territoire sera traversé par la ligne projetée mais
également celles qui bénéficieront indirectement des
effets de l'infrastructure nouvelle grâce à une
amélioration de la qualité des relations. En effet, les
collectivités territoriales qui contribueront au TGV-Est sont
principalement les Alsaciens et les Lorrains qui, au moins pour les premiers,
ne seront pas concernés par les travaux de la première phase -mis
à part ceux liés à l'électrification des lignes
vosgiennes qui, selon le document d'enquête publique, faisait partie
intégrante du projet. Si ce principe était accepté par
l'ensemble des collectivités territoriales, il serait ainsi envisageable
que la région Bretagne participe au financement du contournement du Mans.
Il importe de souligner que l'apparition de ce nouveau critère de
participation n'a pas eu pour effet d'exclure des cofinanceurs la région
Ile-de-France qui n'est pas la première bénéficiaire du
projet en termes d'aménagement du territoire.
Votre commission souligne que ces financements croisés -jusqu'ici
inédits pour le financement d'une grande infrastructure ferroviaire- ne
seront légitimes que s'ils s'accompagnent d'un effort spécifique
destiné à faire du TGV un instrument de désenclavement
notamment grâce à une amélioration des dessertes
intermédiaires et à une plus grande intégration des lignes
à grande vitesse au sein du réseau classique. A cette fin, un
dialogue entre la SNCF et les collectivités territoriales doit
s'établir. L'amélioration constatée sur les dessertes
régionales grâce à l'expérience de la
décentralisation de la gestion ferroviaire conduite en vertu de la loi
du 13 février 1997 laisse espérer des possibilités de
coopération fructueuse entre la SNCF et les collectivités
territoriales. Rappelons, en effet, qu'en 1996-1997, l'accroissement du trafic
régional a été de 4,4 % dans les six régions
expérimentales et seulement de 1,5 % dans les quatorze autres
régions et que les revenus, sur l'exercice 1997, ont augmenté de
4,2 % dans ces six régions contre 2,2 % dans le reste du
territoire.
Un financement problématique
Néanmoins pour l'heure, ces nouvelles modalités de financement
laissent subsister des incertitudes sur le niveau du financement mis à
la charge des collectivités territoriales.
Selon le communiqué du Gouvernement du 4 février 1998, l'Etat est
prêt à "
augmenter sa participation jusqu'à
8 milliards de francs dans la mesure où la participation des
collectivités territoriales permettrait, compte tenu des engagements de
l'Union européenne et du Grand Duché du Luxembourg de boucler le
plan de financement
".
Rappelons que le coût de la première phase est estimé par
le Gouvernement à 18,7 milliards de francs, alors que des documents
transmis par le ministère de l'équipement font état de
24,5 millions. La contribution maximale de l'Etat
s'élèverait à 8 milliards de francs auxquels
viendrait s'ajouter la participation de RFF fixée à
2,7 milliards de francs compte tenu de la rentabilité
financière du projet estimée à 1,2 % (dans le cadre
de l'ancienne organisation de la SNCF). Néanmoins, l'engagement de
l'Etat annoncé par le Gouvernement est un niveau de participation
maximale qui serait appelé à être réduit si les
autres financeurs faisaient défaut ou apportaient une contribution
moindre que celle annoncée.
La commission européenne avait annoncé un
" cofinancement
par l'Europe du projet à hauteur de 50 % du coût des
études et d'un maximum de 10 % des travaux de construction
conformément au règlement financier en vigueur "
. Or,
d'après les récentes déclarations de M. Neil Kinnock,
commissaire européen au transport, la participation de l'Union serait
limitée à 2 % du coût du projet -et non 10 %-
soit moins de 400 millions de francs c'est-à-dire moins que la
contribution du Luxembourg et même moins que la moitié de la part
de la Lorraine fixée pour l'heure à 1 milliard de francs. Le
montant de la subvention européenne est désormais liée aux
négociations concernant le prochain règlement financier
2000-2004.
En ce qui concerne l'apport du Grand Duché du Luxembourg, si des
engagements ont été pris lors de la signature du protocole
d'accord franco-luxembourgeois de 1992 sur la réalisation du TGV-Est en
termes d'infrastructures et de service, le montant exact de la contribution
luxembourgeoise n'est pas encore déterminé et doit faire l'objet
d'un avenant. Dans le cadre du projet de protocole précisant les
engagements des États et des entreprises ferroviaires, une participation
de 550 millions de francs avait été envisagée. Pour
l'heure, un groupe de travail bilatéral a été mis en place.
Les collectivités territoriales s'étaient engagées pour
une participation totale de 3,5 milliards de francs dont
2,5 milliards de francs pour la première phase ; la Lorraine
devaient apporter une contribution de 1 milliard de francs, l'Alsace, de
1,5 milliard de francs, la région parisienne et la région
Champagne-Ardennes, de 500 millions de francs et la région
parisienne ayant également " évoqué " un montant
de 500 millions de francs.
Les financements annoncés s'élèvent donc pour l'heure
à 14 milliards de francs avec une hypothèse d'une
contribution de l'Etat s'élevant à 8 milliards de francs ce
qui semble hautement optimiste compte tenu du libellé du
communiqué gouvernemental. Ceci exige donc, à défaut d'une
augmentation de la contribution de l'Union européenne ou du Luxembourg
que la participation des collectivités territoriales soit plus que
doublée.
A la lumière de ces analyses, les dernières déclarations
du ministre de l'équipement ne peuvent que créer des doutes
sérieux sur la réalisation de cette nouvelle
infrastructure : il indiquait le 9 avril 1998 au Sénat,
interrogé par M. Christian Poncelet,
" Il faut maintenant
discuter avec les collectivités locales. Il faut en effet savoir si l'on
veut vraiment le TGV-Est, étant entendu que le Gouvernement et le
ministre que je suis les considèrent à juste raison comme des
partenaires. Nous ne leur demandons pas un effort identique ou proportionnel,
il faut savoir ce qui est possible et ce que chacun peut faire en prenant
également en compte l'apport de la région parisienne, qui a aussi
un intérêt à l'aménagement du territoire ".
Si le principe de la participation des collectivités territoriales au
financement des infrastructures ferroviaires du réseau national n'est
pas condamné par votre commission, sa première application
révèle son ambiguïté et, par là-même,
ses limites.
Elle soulève enfin des interrogations sur les conditions dans lesquelles
les collectivités locales pourront financer leur participation aux
projets de lignes à grande vitesse. L'attention du Gouvernement a
été attirée à de multiples reprises la
possibilité d'utiliser l'épargne administrée
(livret A, livret jeunes, Codevi, etc...) afin de financer des projets
d'intérêt général parmi lesquels pourraient figurer
les infrastructures ferroviaires. Pour l'heure, le Gouvernement n'a pas fait
connaître sa position.
Un projet encore incertain
Au-delà des difficultés liées au financement du TGV-Est,
des incertitudes demeurent sur le projet lui-même qu'il s'agisse de sa
consistance ou de sa pertinence.
Le communiqué gouvernemental précise que l'optimisation du projet
du point de vue technico
-
économique et environnemental
" pourra conduire à des modifications limitées du
tracé pouvant nécessiter des déclarations d'utilité
publique modificatives ".
Une telle hypothèse implique
des
délais supplémentaires
considérables qui se
traduiraient inévitablement par de nouveaux retards en ce qui concerne
le début des premiers travaux d'infrastructures.
Par ailleurs,
les choix relatifs aux matériels roulants ne semblent
pas définitivement arrêtés
. Le Gouvernement a
évoqué la mise en service d'un matériel TGV pendulaire sur
cette nouvelle ligne. Le ministre a, devant le Sénat, le 9 avril
dernier, précisé qu'il s'agirait d'un TGV
-
pendulaire -et
non d'un TGV classique " pendularisé "- qui roulerait à
350 kilomètres/heure sur la ligne TGV et à
220 kilomètres/heure sur la ligne classique. Votre commission
souligne que cette technique n'a pas encore été testée
avec succès, que son coût pour la SNCF reste à
déterminer et que sa rentabilité n'est pas encore prouvée,
compte tenu de l'importante proportion de lignes nouvelles sur
l'itinéraire.
Enfin, votre commission a constaté que
des incertitudes pouvaient
subsister sur l'opportunité même du projet
. Le rapport
Blanc-Brossier établi conjointement en juillet 1996 par l'Inspection
générale des finances et le conseil général des
ponts et chaussées à la demande du ministre de l'économie
et des finances, du ministre délégué au budget, du
ministre de l'équipement du logement, des transports et du tourisme et
du secrétaire d'Etat aux transports concluait ainsi :
" L'analyse effectuée par la mission du projet complet, tel que
présenté à la déclaration d'utilité
publique, sans introduction de variantes, montre à l'évidence que
la réalisation du TGV-Est Européen ne peut, dans les conditions
actuellement prévisibles de trafic, être soutenue sous l'angle
économique ".
Pour ces raisons, il proposait que sa réalisation soit
différée d'au moins une dizaine d'années afin d'observer
les inflexions du contexte économique et européen ainsi que
l'évolution de la coopération ferroviaire franco-allemande,
"
notamment dans le cadre d'un projet de ligne continue à grande
vitesse reliant Paris à Francfort en moins de 3 heures
".
Sur ce dossier, la RFA a prévu au titre du plan quinquennal Rail pour
1998-2002 que l'aménagement de la ligne Saarbrücken-Ludwigshafen
ferait l'objet, dans une première phase, de travaux
d'amélioration et d'aménagements lui permettant de recevoir des
trains à technique pendulaire. Si cette décision justifie le
choix du Gouvernement en faveur du TGV pendulaire sur la ligne
Paris-Strasbourg, elle ne permet pas d'espérer un investissement
allemand en faveur d'une ligne à grande vitesse jusqu'à Francfort
ce qui n'est pas de nature à accélérer le rythme de
réduction de l'effet frontière pour des trafics de
référence qui sont au demeurant très faibles.
La séparation des responsabilités relatives à
l'infrastructure et à l'exploitation des lignes n'a pas eu pour effet de
modifier les conclusions de la mission en ce qui concerne le taux de
rentabilité financière du projet puisque le taux d'actualisation
de 8 % qu'elle avait retenu pour l'analyse de la rentabilité
socio-économique collective et appliqué comme taux de rendement
des capitaux investis a été également retenu pour
arrêter le montant de la participation de RFF au financement du TGV-Est.
Par ailleurs, les exemples de mise en service de lignes nouvelles font craindre
que les gains de temps obtenus ne permettent guère au rail de
concurrencer l'avion. Strasbourg se trouverait en effet à 3 heures 55
minutes de Paris. Les expériences récentes de mise en service de
lignes TGV montrent que si le TGV devient compétitif par rapport au
transport aérien pour les trajets dont la durée est de l'ordre de
deux heures, il conserve ses parts de marché pour les trajets plus
longs. Sur le Paris-Bordeaux, relation desservie en 3 heures par le TGV, la
compagnie nationale aérienne Air Inter a conservé 80 %
environ de son trafic antérieur, c'est-à-dire beaucoup plus que
ce qui était attendu.
2. Les conséquences de la réalisation du TGV-Est sur les capacités de financement de l'Etat en matière de grandes infrastructures de transport
La
commission " Réseaux et territoires " avait
préconisé le réexamen "
d'un certain nombre
d'investissements lourds comme le TGV-Est
(...) ".
Cette conclusion résultait d'un double constat fondé, d'une part,
sur la forte contrainte financière pesant sur le budget de l'Etat et,
d'autre part, sur le niveau de l'endettement ferroviaire.
Votre commission s'est interrogée sur l'effet d'éviction du
projet de TGV-Est par rapport à d'autres investissements, compte tenu du
coût de sa réalisation et de ses conditions actuelles de
financement.
a) L'augmentation des recettes du FITTVN profite essentiellement aux investisseurs ferroviaires
L'augmentation des recettes du FITTVN justifiée par
l'abandon
du canal Rhin-Rhône profitera essentiellement au transport ferroviaire et
au TGV-Est en particulier.
M. Jean-Claude Gayssot a indiqué, devant votre commission
d'enquête, que la participation de l'Etat au financement du TGV-Est
"
sera financée par le fonds d'investissement des transports
terrestres et des voies navigables dont l'enveloppe sera portée
progressivement à 2,3 milliards de francs
. "
Le " recyclage " de la rente du Rhône
Cette augmentation des crédits résultera essentiellement de
l'accroissement des recettes provenant du prélèvement pesant sur
les producteurs d'énergie hydroélectrique, qui, avec celui pesant
sur les sociétés d'autoroutes constitue une des deux sources de
recettes du FITTVN. Ce prélèvement pèse en
réalité sur EDF au travers de la taxe sur les ouvrages
hydroélectriques concédés. Son taux a été
doublé par la loi de finances pour 1998 afin de reconvertir l'effort
prévu par EDF au titre du canal Rhin-Rhône pour lequel la
compagnie d'électricité s'était engagée pour
13 milliards de francs 1996 financés par la marge qu'elle obtient
sur l'électricité produite sur le Rhône par la compagnie
nationale du Rhône (CNR) et qui est habituellement désignée
comme " la rente du Rhône ". Ce surplus de recettes (environ
800 millions de francs) devrait essentiellement bénéficier
au transport ferroviaire et au transport combiné pour 410 millions
de francs, 310 millions de francs étant prévus pour le
réseau routier national et 80 millions de francs pour les voies
navigables.
C'est donc le transport ferroviaire et notamment le TGV-Est qui profitent
essentiellement de la reconversion de la rente du Rhône et de l'abandon
du canal Rhin-Rhône.
- • Les redéploiements des crédits au FITTVN
En effet, sauf à accroître la taxe pesant sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, ce qui semble difficilement envisageable compte tenu de leur situation financière et du niveau des prélèvements étatiques et ce qui aurait sans doute des répercussions sur leurs possibilités d'investissement, les recettes du FITTVN ne pourront pas s'accroître significativement.
Compte tenu du niveau de concours étatique envisagé pour le TGV-Est (8 milliards de francs au mieux), qui est supérieur à celui consenti pour le TGV-Méditerranée, et de la volonté de répartir équitablement les crédits entre les lignes classiques et le réseau à grande vitesse, le financement de ce projet risque de se substituer à d'autres investissements éligibles au FITTVN. Rappelons que l'une des règles de base des comptes d'affectation spéciale est que le total des dépenses engagées ou ordonnancées ne peut excéder le total des recettes affectées disponibles.
D'ores et déjà, la répartition initiale des crédits du FITTVN a été modulée pour augmenter les dotations bénéficiant au transport ferroviaire, ceci résultant d'une part de la volonté affirmée lors du vote de la loi du 13 février 1997 de favoriser le renouveau du transport ferroviaire et, d'autre part, de la décision de lancer le TGV-Est.
Lors du comité de gestion du 26 mars 1997, le montant des crédits affectés au chapitre 3 a été majoré de 83 millions de francs prélevés sur les crédits du chapitre 1 destinés aux investissements routiers.
RÉPARTITION DES CRÉDITS DU FITTVN
( en millions de francs )
|
1996 |
1997 |
1998 |
Chap. 1 : Investissement sur le réseau routier national |
1 453 |
1 525 |
1 835 |
Chap. 2 : Investissements destinés aux voies navigables |
613,7 |
350 |
430 |
Chap. 3 : Subventions d'investissement en matière de transport ferroviaire et de transport combiné |
343 |
1 225 |
1 635 |
TOTAL |
2 409,7 |
3 100 |
3 900 |
Comme en
témoigne le tableau précédent, le montant pour 1998 des
crédits du chapitre 3 a consacré la volonté
d'accélérer le développement du transport ferroviaire. Les
crédits seront affectés de la manière suivante :
- 1.250 millions de francs sont destinés aux investissements
ferroviaires proprement dits, plus de la moitié étant
consacrée aux travaux du TGV-Méditerranée ;
- 350 millions de francs, aux investissements au transport
combiné ;
- et 35 millions de francs, aux études et recherches en
matière de transports terrestres.
Pour 1998, l'impact du TGV-Est est faible. Des besoins de financement
significatifs devraient apparaître à partir de 2001-2002,
concomitamment à la baisse des dépenses relatives au
TGV-Méditerranée. Compte tenu du niveau de la contribution de
l'Etat, les dépenses liées au TGV-Est feront plus que compenser
celles afférentes au TGV-Méditerranée.
Si l'on prend en compte la volonté exprimée par le Gouvernement
de répartir les investissements "
de manière
équilibrée entre la réalisation de lignes nouvelles et
l'amélioration et la réhabilitation de lignes
existantes
" et du coût du TGV-Est, il faut donc envisager soit
un étalement considérable des dépenses du TGV-Est dans le
temps, soit un redéploiement des crédits au détriment des
investissements routiers ou fluviaux.
Le communiqué du Gouvernement précisait que les ressources
seraient dégagées grâce à un rendement croissant des
taxes alimentant le FITTVN et
" par redéploiement des
crédits affectés aux infrastructures routières ".
Compte tenu des témoignages recueillis par votre commission
d'enquête, cette solution ne peut que soulever des interrogations
liées aux besoins du secteur routier, notamment en ce qui concerne
l'entretien des routes nationales.
b) Des perspectives d'investissements limitées pour le secteur ferroviaire
Dans ces
conditions, il apparaît exclu d'envisager d'ici une dizaine
d'années le financement d'une autre ligne à grande vitesse,
concomitamment à celle du TGV-Est. On peut se demander en
conséquence s'il est pertinent de continuer à financer les
études d'avant-projet de TGV-Rhin-Rhône et les études
préliminaires au TGV-Bretagne-Pays de la Loire.
Mais, on peut également a contrario s'interroger sur la pertinence d'un
projet coûteux et peu rentable qui ralentit considérablement la
dynamique de la politique ferroviaire alors que d'autres projets offraient de
meilleures performances socio-économiques et financières pour un
coût moins élevé. C'est le cas en particulier de
réalisations plus modestes permettant de poursuivre des lignes
existantes.
Enfin, il est légitime de s'interroger sur le niveau des ressources dont
dispose l'Etat pour remettre à niveau et développer le
réseau classique. En effet, si on applique le principe suivant :
" 1 franc pour le TGV et 1 franc pour le réseau classique "
cela exigera soit un ralentissement de la réalisation des lignes
à grande vitesse envisagées, soit un redéploiement des
crédits du FITTVN qui trouvera rapidement ses limites.
C. UNE ABSENCE D'ORIENTATIONS CLAIRES CONCERNANT LE DÉVELOPPEMENT DES LIGNES CLASSIQUES
Dans un
souci de rééquilibrage des investissements entre les modes de
transport, le Gouvernement a souhaité rompre avec une logique
privilégiant "
systématiquement la réalisation
d'infrastructures nouvelles en lieu et place d'une optimisation des
infrastructures existantes
" (communiqué du
4 février 1998).
A ce titre, il a indiqué que "
parallèlement au
développement du réseau à grande vitesse, l'adaptation des
infrastructures existantes doivent viser tout à la fois à
améliorer la qualité des services offerts et, en même
temps, à favoriser le développement du fret
".
Ces intentions, si elles sont louables, ne s'accompagnent d'aucune
programmation
. Il est seulement précisé que l'Etat proposera
de porter sa participation au financement des investissements ferroviaires
à inscrire dans les contrats de plan Etat-région à hauteur
de 500 millions de francs par an au moins, soit 2,5 milliards de
francs sur la période 1998-2002.
Par ailleurs, aucune priorité n'est établie entre les
différents objectifs assignés à la modernisation des
lignes existantes que sont le développement de plates-formes de
transport combiné, la création et l'amélioration des
dessertes régionales, l'électrification des lignes ou encore le
contournement d'agglomérations.
Cette absence de priorités laisse donc régner une grande
incertitude alors que des choix déterminants devront être
effectués dans le cadre des schémas multimodaux de transport qui
planifieraient l'offre ferroviaire à l'horizon 2020.
Votre commission souligne, pour le regretter, que les déclarations
gouvernementales du 4 février dernier ne se soient accompagnées
d'aucune concertation et n'aient fait l'objet d'aucun débat au Parlement.
Ceci est d'autant plus regrettable que la politique ferroviaire est à la
croisée des chemins. La réforme de février 1997 a
contribué à clarifier les responsabilités des
différents intervenants : État, régions, SNCF, RFF.
Son environnement réglementaire est appelé à
évoluer profondément sous l'effet de l'harmonisation
initiée par la Commission européenne. Par ailleurs, la
légitimité du transport ferroviaire est susceptible d'être
renouvelée dans un contexte d'augmentation de la demande de transports
engendrée par la construction européenne et de sensibilité
croissante de nos concitoyens aux préoccupations environnementales.
C'est donc à ce titre que votre commission a souhaité examiner
les modalités de la nécessaire réorientation de la
politique ferroviaire et déterminer les objectifs qui devaient lui
être assignés.
III. LA NÉCESSAIRE RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE FERROVIAIRE
A. LA POURSUITE DE LA POLITIQUE DE MODERNISATION DU RÉSEAU FERROVIAIRE S'IMPOSE
1. La légitimité d'une politique d'investissement ferroviaire.
a) Le déclin du chemin de fer
un
déclin ...
Après avoir été le vecteur de la révolution
industrielle au XIXe siècle, le transport ferroviaire n'a pas su
s'adapter aux défis contemporains.
Depuis la fin du XIXe,
le rôle du chemin de fer dans les transports de
voyageurs et de fret n'a cessé de décliner
.
Dans les pays de l'Union européenne, il n'assure plus désormais
que 6 % des transports de voyageurs et 16 % des transports de
marchandises.
Entre 1970 et 1994, le transport de voyageurs par chemin de fer est
passé de 216 à 270 milliards de passagers/kilomètres par
an, soit une augmentation de 25 %. Durant la même période, le
marché global doublait et l'utilisation des voitures individuelles
augmentait de 120 %.
Parallèlement, le chemin de fer a perdu la moitié de sa part de
marché dans le transport de marchandises : on est en effet passé
de 283 à 220 milliards de tonnes kilomètres, alors que le
marché des transports de marchandises augmentait de près de
70 % et le transport routier, de près de 150 %.
La France a connu des évolutions identiques. La part du ferroviaire dans
le transport de voyageurs qui représentait plus de 11 % en 1975 est
tombée à moins de 8 % en 1995. En ce qui concerne le
transport de marchandises, elle est passée de plus de 35 % en 1975
à moins de 20 % en 1995.
Les projections effectuées dans le cadre de l'Union européenne
montrent que la part des chemins de fer dans les transports de voyageurs
passerait de 6 % à 4 % en 2005, en dépit d'une
légère augmentation du volume des trafics en valeur absolue.
En ce qui concerne les transports des marchandises, le transport ferroviaire
dont la part est de 16 % aujourd'hui, ne représenterait plus que
9 % du trafic, les volumes demeurant quasiment stables. Il importe de
souligner que cette contraction des parts de marché se déroulera
dans un contexte de croissance des trafics de l'ordre de 40 % pour les
voyageurs et de 30 % pour les marchandises au cours de la même
période.
Il apparaît dans ces conditions que le rail pourrait
fort bien disparaître totalement de vastes segments du marché du
trafic de marchandises.
A cette situation commerciale menacée s'est ajouté un contexte
économique et financier qui a accru les difficultés des
entreprises ferroviaires européennes. L'endettement des compagnies
ferroviaires européennes a atteint des niveaux particulièrement
alarmants, même pour un secteur fortement capitalistique, en particulier
pour celles ayant mené un effort de modernisation des réseaux
à l'image de la SNCF.
..dont les causes sont connues.
Les causes du déclin sont nombreuses et sont communes à la
quasi-totalité des États européens, la France ne faisant
pas exception.
Le transport ferroviaire, en raison de ses choix techniques, commerciaux et
organisationnels
, qui ne sont pas tous imputables aux entreprises
ferroviaires,
n'a pas su concrétiser ses avantages
théoriques
. Les modes concurrents que sont les transports routier et
aérien ont fait preuve d'un dynamisme considérable et de
performances remarquables ainsi que d'une forte capacité d'innovation
technique ou commerciale dictée par la préoccupation constante de
la satisfaction de la clientèle et encouragée par un mouvement de
libéralisation.
Par ailleurs, le transport ferroviaire a souffert de
l'évolution de
la demande sociale et économique
. Le transport de passagers a subi
les conséquences de la motorisation croissante de notre
société et le transport de marchandises, celles de la perte
d'importance des industries lourdes classiques dont les produits étaient
traditionnellement transportés par chemin de fer.
Cette concurrence a, en outre, été accentuée par la
tarification applicable aux différents modes de transport
. Les
coûts externes liés aux pertes de temps résultant de la
congestion des infrastructures, au bruit et à la pollution sont
très élevés pour les transports routiers mais ne sont que
très partiellement payés par les utilisateurs de la route, ce qui
a pour effet de la favoriser au détriment d'autres modes de transports
moins polluants.
Par ailleurs, il apparaît que
l'harmonisation européenne en
matière de politique ferroviaire a été jusqu'au
début des années 1990 quasi-inexistante.
Alors que les
prescriptions techniques d'un véhicule de transport routier sont
aujourd'hui presque entièrement fixées au niveau européen
et que les trafics routiers s'effectuent au travers de l'Union
européenne sans arrêt aux frontières, l'organisation du
transport ferroviaire s'avère extrêmement cloisonnée. On ne
peut, en effet que constater l'absence totale d'harmonisation en matière
de courant électrique et une harmonisation balbutiante en terme de
sécurité. Bien que la grande vitesse soit susceptible de
rapprocher les capitales européennes, les conducteurs doivent encore
très souvent changer au passage de chaque frontière. Cette
frilosité contraste au demeurant avec l'audace des réalisations
des précurseurs du transport ferroviaire au XIXe siècle. Une
telle situation explique notamment les pertes de marché du fer sur le
secteur du trafic marchandises sur longue distance pour lequel il dispose
pourtant d'atouts incontestables. Dans ce domaine, la clientèle souligne
le manque de fiabilité, de flexibilité et de rapidité du
transport ferroviaire comparé à la route qui offre l'avantage
d'un acheminement rapide de porte à porte compatible avec les exigences
du système du " juste à temps ".
b) des atouts incontestables
En
dépit d'un déclin unanimement constaté, le transport
ferroviaire dispose d'atouts incontestables qui pourraient être
valorisés en France du fait de l'existence d'un réseau irriguant
l'ensemble du territoire.
Ses coûts externes sont faibles.
Le transport ferroviaire présente l'avantage de la
sécurité. Il est, en effet, avec le transport aérien, le
transport le plus sûr : 0,05 tué par milliard de
voyageurs-kilomètre contre 12 environ pour la route. Par ailleurs, il
s'avère économe et peu polluant : il consomme
l'équivalent de 12 grammes-pétrole par voyageur kilomètre
contre 30 pour la route et 51 pour l'avion. Quant au transport de fret, il
consomme l'équivalent de 8 grammes-pétrole contre 62 pour la
route.
Les caractéristiques techniques des infrastructures ferroviaires
présentent des avantages
qui ne peuvent être
négligés. L'emprise totale occupée par une ligne
ferroviaire à double voie est 28 % inférieure à celle
d'une autoroute et permet un débit horaire de voyageurs trois fois plus
important, élément déterminant dans les zones denses.
Les réseaux ferroviaires permettent de desservir le coeur des
agglomérations et présentent donc un avantage en termes
d'accessibilité. Pour cette raison, le transport ferroviaire demeure sur
certaines relations (en milieu urbain et sur des liaisons inter-cités
à grande vitesse allant jusqu'à 600 kilomètres) de
porte à porte le mode de transport de voyageurs le plus rapide. Par
ailleurs, il peut permettre aux passagers de disposer d'un confort que n'offre
ni l'avion ni la route. L'existence d'un réseau dense comme celui dont
la France dispose fait du chemin de fer un outil d'irrigation du territoire.
Enfin, en ce qui concerne le transport de marchandises, il apparaît
particulièrement adapté aux transport massifiés de point
à point, permettant dans le cadre de solutions intermodales de
parer
à la congestion routière
.
c) Un renouveau attesté par des exemples étrangers
Les exemples étrangers tendent à démontrer que le chemin de fer n'est pas un mode de transport du passé tant pour le fret que pour les voyageurs . On assiste, en effet, à une relance du transport ferroviaire dans des pays aussi différents que les États-Unis, l'Allemagne ou les Pays-Bas qui témoigne d'un renouveau de l'intérêt à l'égard des atouts qu'il présente.
- • Aux États-Unis , on assiste à une renaissance du transport ferroviaire qui se traduit par une remontée de la part modale du rail dans le transport de marchandises. A la suite d'une dérégulation radicale, les grandes entreprises américaines ont entrepris d'optimiser leur rentabilité à travers des alliances solides. Les nombreuses fusions survenues récemment dans l'industrie du rail ont donné naissance à un marché oligopolistique que se partage quelques grands groupes. Les fusions ont permis d'accélérer la réduction des coûts d'exploitation des entreprises, engendrant une diminution drastique des effectifs.
Si l'exemple américain doit être apprécié avec précaution compte tenu des spécificités géographiques de ce pays, les orientations retenues aux Pays-Bas comme en Allemagne pour définir les priorités des politiques d'infrastructures sont également éclairantes.
Les Pays-Bas ont annoncé un programme national d'investissement ferroviaire d'un montant de 75 milliards de francs. Ce dernier prévoit, d'une part, le développement des lignes à grande vitesse pour un budget de l'ordre de 24 milliards de francs afin de relier Amsterdam au réseau du TGV-Nord et à l'Allemagne occidentale (Cologne) et, d'autre part, la construction d'une ligne dédiée au transport de fret en provenance ou à destination de l'Allemagne dont le coût est de 30 milliards de francs.
Si l'existence d'un projet de développement des lignes voyageurs à grande vitesse n'apparaît pas comme un fait remarquable de la politique néerlandaise des transports, le projet de construction de la ligne de la Betuwe , par ses caractéristiques, apparaît plus original. Il résulte de la volonté du Gouvernement de renforcer la position concurrentielle du port de Rotterdam vis-à-vis d'Anvers et de Hambourg et se fonde sur le constat d'un développement insuffisant de la desserte ferroviaire de Rotterdam.
LA LIGNE DE LA BETUWE (Betuwelign)
Longue
de 158 kilomètres, elle reliera Europort au réseau allemand
et devrait représenter à terme un trafic de l'ordre de
20 millions de tonnes de marchandises par an transportées par
conteneurs. Cette option confirme la possibilité d'un
développement du fret ferroviaire en Europe, notamment comme moyen de
desserte des ports dans un contexte de congestion routière ou -du moins-
de limitation du potentiel des infrastructures routières. En effet, elle
s'inscrit dans une perspective intermodale mettant en jeu d'une part, le
transport maritime, et d'autre part, le transport routier ou fluvial. La ligne
nouvelle est inscrite parmi les projets prioritaires d'Essen et devrait faire
l'objet d'un financement public à hauteur de 25 milliards de
francs, la Commission européenne apportant une contribution de
900 millions de francs, celle du secteur privé
(sociétés de transport de banques et de compagnies
financières) devant s'élever à 4,5 milliards de francs, la
ligne était considérée comme rentable.
En Allemagne, l'élaboration du plan des infrastructures
fédérales de transport pour la période 1992-2012 a
été l'occasion d'exprimer une volonté politique
destinée à favoriser le transport ferroviaire. Celui-ci
bénéficie de 38,9 % du total des dépenses
d'investissement. Un objectif ambitieux est notamment affiché pour le
fret, ceci résultant du souhait de voir se développer des modes
de transport plus respectueux de l'environnement. La part modale du transport
de fret ferroviaire de 28 % en 1991 devait, selon les estimations du plan,
augmenter pour atteindre 36 % en 2010 au détriment de la route qui
passerait de 52 % à 43 %, les voies navigables ne gagnant dans
ce schéma qu'un point de part de marché avec 21 % en 2010.
Un des aspects de cette reconquête consiste dans un important programme
de développement des centres de transport combiné qui
bénéficie d'un financement fédéral de
13 milliards de francs.
Le transport ferroviaire de voyageurs fait également l'objet
d'investissements importants et devrait bénéficier d'un programme
de construction de lignes à grande vitesse. Le plan prévoit, en
effet, la création ou l'aménagement de lignes existantes aux
caractéristiques de la grande vitesse de 2.200 kilomètres de
voies.
Pour l'heure, seules deux lignes d'orientation nord-sud, ont été
mises en service, l'une va de Hanovre à Kurzburg sur
327 kilomètres, et l'autre de Mannheim à Stuttgart sur
99 kilomètres . La vitesse maximale actuellement autorisée
sur ces liaisons est de 250 kilomètres/heure et elles sont
complétées par un réseau d'un millier de kilomètres
de voies classiques qui ont été réaménagées
pour pouvoir être parcourues par le train à grande vitesse ICE
à 200 kilomètres/heure. Par ailleurs, contrairement aux
lignes françaises, les nouvelles lignes allemandes sont destinées
à être empruntées également par des trains de
marchandises circulant à une vitesse élevée.
Ces exemples -et en particulier ceux que la commission d'enquête a pu
apprécier au cours de ses déplacements à La Haye et
à Bonn- soulignent l'intérêt que suscite le transport
ferroviaire chez nos partenaires comme solution adaptée à
l'augmentation des trafics et aux difficultés soulevées par le
développement du transport routier.
2. Les conséquences de la construction européenne
La
construction européenne constitue, par ailleurs, une des raisons
justifiant la poursuite d'une politique d'investissement ferroviaire.
L'existence d'un marché unique et ses perspectives d'extension à
de nouveaux Etats-membres offrent de nouvelles possibilités de
développement au transport ferroviaire.
Par ailleurs, la construction européenne, en imposant un effort
d'adaptation des entreprises ferroviaires, est susceptible de favoriser une
amélioration de l'efficacité de ce mode de transport.
a) De nouvelles possibilités de développement
-
• Le renforcement du marché unique et les perspectives de
son élargissement aux pays de l'Europe centrale et orientale
entraîneront une
augmentation du volume des échanges
et un
accroissement de la mobilité individuelle.
L'accroissement des flux constitue une incitation à réaliser des investissements de capacité. Occulter cet impératif, alors que les autres États membres s'y préparent, reviendrait pour la France à refuser cette possibilité de croissance fondée sur le dynamisme de la demande européenne .
Le transport ferroviaire est susceptible de bénéficier de cette augmentation de la demande . Cela vaut à l'évidence pour le transport de voyageurs qui pourra profiter d'un effacement de l'effet frontière mais concerne également le transport de marchandises.
L'allongement des distances à parcourir suscitera un intérêt nouveau pour le transport ferroviaire, et plus particulièrement pour le transport combiné qui s'avère compétitif pour les distances supérieures à 500 kilomètres et qui offre de vastes possibilités de livraison et de chargement des marchandises. Par ailleurs, le fer peut être une solution adaptée pour répondre aux problèmes -notamment- environnementaux résultant d'un accroissement des trafics. Ainsi, il est prévisible que l'augmentation des échanges européens se traduira par un accroissement des trafics transalpins dont les conséquences sur l'environnement extrêmement sensible de cette région sont désormais soulignées et pour lesquels s'impose une stratégie plurimodale susceptible de donner au chemin de fer un plus grand rôle.
• Par ailleurs, le développement des réseaux européens de transports apparaît comme un facteur d'intégration européenne dans la mesure où il est une des conditions de la mise en oeuvre du principe de libre circulation.
Ce constat a justifié que l'Union européenne se préoccupe de la constitution d'un réseau transeuropéen de transport .
Si l'Acte unique avait, en 1986, omis d'évoquer la place des réseaux de transport et de communication comme condition essentielle de l'achèvement du marché unique, le traité de Maastricht, en 1992, a reconnu dans son titre XII l'importance du développement des réseaux transeuropéens de transports, de télécommunications et d'énergie.
La grande majorité des projets d'Essen, soit 10 sur 14, intéressent le transport ferroviaire et traduisent l'importance accordée au fer dans la construction d'une Europe des transports.
Projets ferroviaires retenus par le Conseil européen d'Essen les 9 et 10 décembre 1994
1. Train
à grande vitesse / transport combiné Nord-Sud :
Nüremberg-Erfurt-Halle/Leipzig-Berlin
Axe du Brenner : Vérone-Munich
2. Train à grande vitesse Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres
3. Train à grande vitesse Sud
Madrid-Barcelone-Perpignan-Montpellier
Madrid-Vitoria-Dax
4. Train à grande vitesse Est :
Paris-Metz-Strasbourg-Appenweir-Karlsruhe-Saarbrücken-Mannheim et
Metz-Luxembourg
5. Chemin de fer classique / transport combiné : ligne de la Betuwe
6. Train à grande vitesse / transport combiné France-Italie
Lyon-Turin
Turin-Milan-Venise-Trieste
7. Liaison ferroviaire classique Cork-Stranraer
8. Liaison fixe rail / route Danemark-Suède (liaison fixe de l'resund)
9. Triangle nordique (rail / route)
10 Liaison ferrée côte occidentale
Outre ces 14 projets, le Parlement européen et le Conseil ont
défini les critères permettant d'identifier les projets
d'intérêt commun dans le cadre de la décision
n° 1692/96/CEE du 23 juillet 1996. Reconnaissant leur
intérêt pour le bon fonctionnement du marché
intérieur et le renforcement de la cohésion économique et
sociale, cette dernière témoigne de la volonté d'adopter
une approche multimodale destinée à assurer la meilleure
complémentarité possible entre les différents modes de
transport.
Il importe de souligner qu'elle décline les objectifs
à atteindre en cinq réseaux : routes, fer, voies
navigables, ports maritimes, aéroports, transport combiné, ce qui
peut laisser songeur sur le réalisme des planifications intermodales.
Le rôle assigné au réseau ferroviaire est de :
- " (jouer)
un rôle important dans le trafic ferroviaire à
grande distance de marchandises et de passagers,
- (jouer) un
rôle important dans le transport combiné à
grande distance,
-
permettre l'interconnexion avec les réseaux des autres modes de
transport et l'accès aux réseaux ferroviaires régionaux et
locaux ".
Ces objectifs très ambitieux sont cependant à opposer à la
modestie des réalisations conduites dans ce cadre.
Pour réaliser les 14 projets d'Essen, sans parler d'autres projets et
des programmes d'action horizontaux, la Communauté Européenne
dispose de 1 800 millions d'écus pour la période
1995-1999. Le règlement financier de septembre 1995 a
précisé les modalités de participation du budget
communautaire au financement de ces opérations, en fixant à
10 % le montant maximal de la contribution communautaire. Cependant, dans
les faits, les crédits actuellement disponibles ne permettent d'octroyer
qu'une subvention moyenne par projet de 3 %, réalité
décevante qui explique la déconvenue française concernant
le TGV-Est.
Si les crédits des réseaux transeuropéens de transport
bénéficient à 60 % des projets ferroviaires, il faut
souligner qu'ils n'ont pas vocation à financer des projets mais
plutôt à jouer un rôle de catalyseur en assurant les
études de faisabilité, les garanties d'emprunt et des
bonifications d'intérêts.
Dans les pays bénéficiant des fonds de cohésion pour
lesquels peuvent se cumuler les fonds structurels et les crédits
d'infrastructures de transport, le financement communautaire revêt un
caractère nettement plus incitatif. En effet, en ce qui concerne les
projets relevant du domaine des transports, le fonds européen de
développement régional et le fonds de cohésion assurent
respectivement 15,3 % et 22 % du financement.
En vertu de cette logique, les projets d'intérêt national ou
régional ont plus de chances de se réaliser que les grands
projets stratégiques pour la construction européenne comme ceux
proposés par les pays dotés d'un réseau d'ores et
déjà développé et dont la préoccupation est
d'améliorer le franchissement des frontières. Ces projets
très coûteux du fait de leurs caractéristiques techniques,
à l'image de la liaison Lyon-Turin, ne voient donc pas leur chance de
réalisation augmenter du fait de l'intervention communautaire.
La possibilité du recours au financement privé, retenu au conseil
de Milan, ne permettra pas, à l'évidence, de mener à bien
ces réalisations très lourdes et peu rentables.
Il semble que là encore des objectifs trop ambitieux condamnent des
politiques dont la légitimité est incontestable: seulement trois
ou quatre des projets d'Essen devraient être achevés d'ici l'an
2000. Des projets moins coûteux et plus réalistes -qui auraient
pu, au demeurant, résulter de phasages de réalisations
importantes- auraient, en effet, eu l'avantage de rendre plus crédible
la notion de réseaux transeuropéens.
Les propositions faites dans le cadre d'Agenda 2000, soulignant
l'intérêt des réseaux transeuropéens, peuvent sur
certains points apporter des réponses à ces critiques.
L'augmentation des crédits conjuguée à la mise en place
d'une programmation pluriannuelle des dépenses et à une
augmentation du plafond d'aide financière à 20 % du
coût total des investissements apparaît à ce titre comme une
perspective intéressante. Néanmoins, si ces crédits
continuent à être employés pour financer des études
ou des projets dont l'intérêt communautaire n'est pas
évident, on peut s'interroger sur la pertinence de telles
propositions.
b) Un nouveau cadre réglementaire : la remise en cause de l'illusion du " monopole perpétuel "
Une
logique d'harmonisation d'inspiration libérale
Si l'apport des financements communautaires ne peut que contribuer de
manière modeste à la politique d'investissement ferroviaire,
l'harmonisation réglementaire initiée par la Commission
européenne à partir de 1991 est, en revanche, susceptible
d'exercer une influence déterminante sur les conditions de
développement du chemin de fer en Europe dans les années à
venir
.
Cette harmonisation repose sur le constat exprimé en ces termes par la
Commission dans le livre blanc publiée en 1996 :
" Il est paradoxal de constater que la part du rail dans le
marché des transports continue à décliner alors que bon
nombre des problèmes qui pourraient être résolus par le
chemin de fer s'aggravent ".
Afin de remédier à cette inadéquation entre la demande
sociale et l'offre de transports ferroviaires, la commission propose
une
logique d'harmonisation d'inspiration libérale.
Si elle reconnaît la légitimité des services publics
définis contractuellement entre les États et les
opérateurs, elle considère, en effet, que la
compétitivité et l'efficacité du transport ferroviaire
sont conditionnées par la normalisation de la situation
financière des entreprises et par une ouverture à la concurrence
des réseaux nationaux.
La directive n° 91-440 du 29 juillet 1991 a induit des changements
profonds dans l'organisation des transports ferroviaires en Europe.
Au-delà des dispositions définissant les règles de gestion
des entreprises ferroviaires
25(
*
)
qui aboutirent
en, France, à la loi du 13 février 1997, elle
comportait dans son article 10 des dispositions novatrices qui
prévoyaient l'octroi à certaines entités de droit
d'accès aux réseaux ferroviaires nationaux.
Un tel dispositif avait pour objectif de faciliter la réalisation du
marché unique, en contraignant des entreprises monopolistiques à
rendre leurs réseaux accessibles à d'autres opérateurs.
Prenant en compte les risques de désorganisation causés par une
déréglementation trop large, l'ouverture restait prudente.
L'article 10 de la directive prévoit, en effet,
que : "
les
regroupements internationaux
se voient reconnaître des droits
d'accès
et de
transit
dans les
États membres où sont établies les entreprises
ferroviaires qui les instituent, ainsi que des droits de transit dans les
autres États membres pour les prestations des services de
transport internationaux
entre les États membres
où sont établies les entreprises constituant lesdits
regroupements "
" et que les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit
d'accès
, à des conditions équitables, à
l'infrastructure des autres États membres aux fins de
l'exploitation
de services de transport combiné internationaux
de
marchandises ".
Pour pouvoir accéder au réseau d'un État membre autre que
celui auquel il appartient, un opérateur doit donc constituer un
groupement international
ou exercer une activité de transport
combiné
. En outre, en cas de regroupement international, les droits
d'accès sont limités aux États dans lesquels sont
établies les entreprises participant au regroupement, ce dernier ne
bénéficiant que de droits de transit dans les autres États.
En 1995, le Conseil de l'Union européenne adopta deux directives
d'application de la directive de 1991 afin de faciliter la mise en oeuvre des
dispositions relatives aux droits d'accès :
- une directive n° 95/18/CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant les
licences des entreprises ferroviaires ;
- et une directive n° 95/19/CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant la
répartition des capacités d'infrastructures ferroviaires et la
perception des redevances d'utilisation de l'infrastructure (dite
" directive sillons ").
Ces deux directives ne sont pas encore transposées en France. Un des
problèmes principaux soulevés par leur application réside
dans les conditions de fixation des péages versés par les
exploitants des services ferroviaires aux gestionnaires de l'infrastructure.
La " directive sillons " prévoit, dans son article 6, que
" les comptes du gestionnaire d'une infrastructure doivent, dans des
conditions normales d'activité, présenter au moins un
équilibre considéré sur une période de temps
raisonnable entre, d'une part, les recettes tirées des redevances
d'utilisation de l'infrastructure et des contributions de l'Etat et, d'autre
part, les dépenses d'infrastructure ".
Par ailleurs, elle contient des dispositions relatives à la fixation des
redevances d'infrastructure, ces dernières doivent être
fixées de manière non discriminatoire et prendre en compte
notamment la nature du service, la situation du marché ainsi que la
nature et l'usure de l'infrastructure.
Pour l'heure, les modalités de tarification des infrastructures
ferroviaires diffèrent d'un État membre à l'autre et leur
importance dans les recettes de l'établissement chargé de
l'infrastructure sont très variables. A terme,
ces redevances
détermineront pour une large part, la compétitivité des
réseaux nationaux
.
En France, les redevances sont fixées à un niveau forfaitaire de
6 milliards de francs jusqu'à la fin de l'année 1998.
Au-delà de cette date, de nouvelles règles devront être
déterminées. En Allemagne, les redevances s'élèvent
à environ 35 milliards de francs.
Ces redevances sont utilisées aujourd'hui par les entreprises
gestionnaires de réseau à des fins stratégiques. Les
Pays-Bas ont ainsi instauré une redevance zéro jusqu'en 2000,
sauf sur les freeways et, en Allemagne, des ristournes sont accordées en
fonction du kilométrage et de la durée des commandes, ce qui
favorise les entreprises ferroviaires établies de longue date au
détriment de nouveaux arrivants. A terme, se posera, à
l'évidence, la question de la compatibilité des principes de
fixation des redevances avec les règles communautaires de la concurrence.
Au-delà de cette approche, l'harmonisation européenne concerne
également les qualifications des matériels et des
infrastructures. En effet, l'intégration des réseaux ferroviaires
des États membres, comme nous l'avons souligné plus haut, est
retardée par leur cloisonnement, leur interopérabilité
restant encore extrêmement limitée. Cette préoccupation a
justifié l'adoption de la directive n° 96/48/CEE relative
à l'interopérabilité du système ferroviaire
transeuropéen à grande vitesse.
c) Une volonté réaffirmée de libéralisation
-
•
Le livre blanc de 1996
La publication au cours de l'été 1996 du livre blanc de la Commission européenne 26( * ) a marqué la volonté de la Commission européenne de poursuivre le mouvement de libéralisation du secteur ferroviaire engagé en 1991.LE LIVRE BLANC
" UNE STRATÉGIE POUR REVITALISER LES
CHEMINS DE FER COMMUNAUTAIRES "
Après avoir rappelé le déclin du transport ferroviaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale et tenté d'en discerner les causes, le " Livre blanc " émet des propositions pour l'avenir :
- clarification des rapports financiers entre les États membres et les entreprises ferroviaires ;
- subordination éventuelle des aides publiques dans les États à un programme de restructuration destiné à améliorer la viabilité de l'entreprise concernée ;
- renforcement de la concurrence : la Commission Européenne renouvelle sa proposition d'ouvrir l'accès aux réseaux ferroviaires à toute entreprise offrant des services de fret ou des services de transport international de voyageurs ;
- mise en place de quelques " corridors " ferroviaires transeuropéens pour le fret, dans lequel des sillons pourraient être attribués aux entreprises ;
- attribution par appel d'offre de concessions exclusives pour les transports intérieurs de voyageurs ;
- séparation renforcée des services de transport et de la gestion de l'infrastructure;- contractualisation du service public, où le contrat indiquerait le service à fournir, sur la base éventuelle d'un cahier des charges, et où l'aide serait fixée en proportion ;
-amélioration de l'interopérabilité des réseaux et des matériels ;
- évocation des aspects sociaux : amalgame entre les gains d'efficacité indispensables et la défense à terme de l'emploi
Votre commission observe que si, lors de la publication du livre blanc, ses conclusions ont pu être jugées prématurées compte tenu notamment du rythme d'adaptation des entreprises ferroviaires aux exigences posées par la directive de 1991, la volonté d'ouverture à la concurrence des réseaux ferroviaires s'est concrétisée -et ce plus vite qu'on ne le prévoyait mais selon des modalités qui n'étaient pas prévues par la directive de 1991.
• La création des corridors de fret
La Commission, constatant l'absence de telles réalisations, a formulé en juillet 1995 une proposition, qui fut reprise dans le livre blanc, consistant à étendre les droits d'accès sous forme de couloirs de circulation à tous les services de fret aussi bien nationaux qu'internationaux et aux services de transport internationaux de voyageurs, sans la condition préalable de constituer un groupe. Une communication de la Commission a précisé le cadre réglementaire et les spécifications techniques que devraient respecter les entreprises ferroviaires sur de tels itinéraires 27( * ) . Le principe de ces corridors repose sur le mécanisme du " guichet unique " " (one stop-shop )", la gestion du trafic étant assurée non par les gestionnaires des infrastructures participant au projet mais par le biais d'une seule structure qui identifie et distribue les capacités de transport et applique la tarification pour le compte des gestionnaires d'infrastructures. Les avantages de tels itinéraires consistent principalement dans les réductions de temps d'attente aux frontières et les possibilités d'augmentation de la vitesse commerciale, évaluées respectivement à 80 % et à 20 %. D'après les estimations de la Commission, ils devraient permettre un trafic supplémentaire de 2 à 3 millions de tonnes.
Depuis le 1er janvier 1998, deux corridors ont été ouverts :
- le premier, le 12 janvier, par un accord de coopération entre la Belgique, le Luxembourg et la France. Il relie Muizen près d'Anvers (Belgique) à Sibelin près de Lyon et a été prolongé vers l'Italie, d'une part, et vers Marseille, puis vers l'Espagne, d'autre part ;
- le deuxième ouvert à la concurrence le 1er février entre l'Allemagne, la Hollande, l'Autriche, la Suisse et l'Italie relie Rotterdam et Anvers au Sud de l'Italie par l'Est.
Par ailleurs, un corridor auquel la SNCF ne participe pas, reliant les ports de Rotterdam et de Gioia Tauro dans le sud de l'Italie, sera accessible à partir du 1er juillet 1998.
Votre commission relève que, pour l'heure, les itinéraires mis en place marginalisent le territoire français matérialisant les risques d'une desserte du Sud et de l'Est de l'Europe par les Pays-Bas et l'Allemagne, évolution qui aurait notamment pour effet de menacer l'activité de nos ports.
Par ailleurs, elle souligne que le corridor auquel participe la SNCF repose plus sur une logique de coopération que de concurrence et n'est pas totalement un " freeway " à la différence de celui ouvert à l'Est qui prétend au statut d'autoroute du rail. Ce choix semble difficilement tenable compte tenu de l'accélération de l'ouverture à la concurrence dont témoigne la mise en place des corridors eux-mêmes. Il risque d'une part de retarder encore l'adaptation de l'entreprise ferroviaire française aux exigences du marché et d'autre part de se traduire par une marginalisation du territoire français.
Cette logique ne correspond pas à l'évolution de la concurrence. Rappelons que déjà, l'accord d'extension de la concession d'Eurotunnel signé en décembre 1997 a prévu une forme de libéralisation du trafic ferroviaire de fret sur les principales voies menant au tunnel. Un protocole d'intention prévoit que la SNCF et EWS (le nouvel opérateur privé de fret britannique) opéreront à parité commerciale sur ces voies.
Ce développement de la concurrence hors du cadre fixé par la directive de 1991 révèle l'inadaptation, sur ce point, de ses dispositions à la réalité du secteur ferroviaire. Ce constat est partagé par la Commission elle-même comme en témoigne sa communication au Conseil du 31 mars 1998 qui formule diverses propositions afin d'accélérer la libéralisation du secteur ferroviaire.
Soulignant que les droits d'accès prévus par la directive n° 91-440 CEE sont limités en particulier par l'obligation de trouver une entreprise partenaire dans un autre État membre, la Commission relève dans ce texte que " les sociétés nationales de chemins de fer n'ont pratiquement pas de concurrents " et qu'elles peuvent, en dépit des dispositions de la directive, " se comporter comme des monopoles " . Afin de remédier à cette situation contraire à la logique défendue depuis 1991, la Commission propose une ouverture du marché graduelle centrée sur le secteur du transport des marchandises. A ce titre, elle estime que " les activités principales des sociétés de chemins de fer en place ne seraient pas perturbées si la Communauté ouvrait dès à présent 5 % du marché du transport de marchandises dans chaque État membre et si elle poursuivait cette politique de libéralisation par étapes pour atteindre 25 % dans dix ans ".
Pour l'heure, cette proposition débattue lors du sommet informel de Chester (Grande-Bretagne) a été repoussée, notamment sous l'effet de l'opposition catégorique de la France, nos partenaires anglais et allemands approuvant cette suggestion. On peut se demander en ce domaine s'il faut lutter contre le sens de l'histoire ou bien s'adapter le plus rapidement à une nouvelle donne.
L'harmonisation européenne a donc comme première conséquence le développement de la concurrence dans un secteur jusqu'ici monopolistique. Il s'agit sans doute là d'une donnée nouvelle et déterminante à prendre en compte dans la définition de la politique ferroviaire. Il serait sans doute suicidaire pour les acteurs du secteur ferroviaire de ne pas intégrer cette dimension nouvelle de leur action, qui semble pour une part du moins déjà admise par nos partenaires européens. Il faut, en ce domaine, renoncer à l'illusion du " monopole perpétuel "
L'Allemagne s'est engagée, quant à elle, dès 1993 dans une réforme structurelle des chemins de fer fédéraux. Celle-ci, imposée au demeurant par la nécessité d'intégrer en une seule entreprise la Bundesban et la Reichsbahn, a permis un apurement de la situation financière du secteur ferroviaire et son adaptation aux exigences du marché. Cette révolution a été rendue possible par la prise en charge par l'Etat fédéral des charges qui constituaient un obstacle à un redressement significatif de la rentabilité de la nouvelle Deutsche Bahn AG : obligations d'intérêt public, endettement, surplus de coûts induits par les personnels relevant de la fonction publique, financement de l'extention du réseau grâce à un système de financement fondé sur des prêts sans intérêt.
Ce redressement a, par ailleurs, été soutenu par un important effort d'investissement qui s'élèvera entre 1998 et 2002 à près de 270 milliards de francs.
Il s'est traduit par des gains en productivité de 83,5% et une augmentation des trafics de 12 %
Sur la même période, la SNCF enregistrait une progression des trafics voyageurs et de 12 % des trafics de fret, la productivité diminuant quant à elle de 12,5 %.
B. LE TRAFIC DE VOYAGEURS : DES SOLUTIONS POUR AMÉLIORER LA DESSERTE DU TERRITOIRE
1. Poursuivre le développement des lignes à grande vitesse dans une perspective européenne
La
grande vitesse ferroviaire constitue incontestablement une innovation technique
remarquable qu'il importe de continuer à valoriser.
Outre l'atout commercial qu'elle représente pour l'industrie ferroviaire
française, elle demeure pertinente tant pour poursuivre
l'amélioration du réseau ferroviaire national que pour le relier
à l'Europe.
La France dispose d'ores et déjà, à la différence
des principaux pays européens d'un réseau de trois lignes
à grande vitesse. Celles-ci, grâce à la mixité du
matériel TGV, ont permis d'améliorer substantiellement les temps
de parcours sur un grand nombre d'itinéraires du réseau classique.
Grâce à la réalisation du tunnel sous la Manche et à
la mise en service du TGV-Nord, la France se trouve aujourd'hui au centre d'un
réseau à vocation européenne.
La réussite du Thalys qui relie Paris à Bruxelles en
1 heure 25 démontre que la grande vitesse constitue un
élément déterminant de l'avenir du transport ferroviaire
et prouve que le train n'est pas condamné à la disparition pour
les transports interurbains de voyageurs, comme il a pu l'être aux
États-Unis. Il apparaît, en effet, à l'évidence,
qu'il existe un marché pour lui, dans un créneau de durées
de parcours bien défini, à condition qu'il puisse disposer
d'infrastructures modernes.
Les ambitions du schéma directeur national des liaisons ferroviaires
à grande vitesse ne pourront à l'évidence pour des raisons
d'ordre budgétaire être réalisées d'ici 2015. Pour
l'heure, en dépit des " décisions " gouvernementales
annoncées à l'issue de la réunion
interministérielle du 4 février 1998, il n'existe pas
de nouvelle planification des investissements ferroviaires.
Au mieux,
peut-on considérer qu'il existe une planification par défaut.
En effet, il y a fort à parier que si la décision de
réaliser le TGV-Est est mise en oeuvre, il ne sera
réalisé, compte tenu de la contrainte budgétaire pesant
sur l'Etat, les collectivités locales et RFF, qu'une seule ligne
à grande vitesse d'ici 2010. Il apparaît à votre commission
qu'un tel constat, par rapport aux efforts engagés par nos voisins, et
en particulier l'Allemagne, aurait pour conséquence de faire perdre au
réseau ferroviaire français un de ses plus grands atouts.
En effet, les besoins du territoire demeurent considérables et il serait
souhaitable que l'ensemble du réseau national de transports de voyageurs
puisse tirer profit de l'avantage technique et commercial que représente
la grande vitesse ferroviaire, notamment dans une perspective
d'intégration européenne.
Une réflexion doit donc s'engager afin de redimensionner les objectifs
du schéma directeur TGV.
Elle doit s'orienter autour de la question suivante : faut-il mieux
construire une seule ligne à grande vitesse ou procéder à
des réalisations partielles de projets retenus dans leur principe ?
Cette question, il faut le souligner, peut être posée
indépendamment de celle de l'opportunité de la ligne
envisagée. En effet, compte tenu des faibles taux de rentabilité
qu'offrent les lignes à construire, on peut considérer comme
équivalent dans le raisonnement de prendre comme référence
de l'investissement unique la liaison Paris-Strasbourg ou la liaison Lyon-Turin.
La commission " Réseaux et territoires "
précédemment citée avait soulevé cette
interrogation sans y apporter de réponse définitive.
Votre commission considère que le critère premier des
investissements dans le domaine de la grande vitesse doit être de
favoriser l'intégration des régions françaises au sein de
l'Union européenne et qu'il justifie à ce titre un phasage des
investissements.
En cela, le schéma de 1992 apparaît dépassé. La
politique TGV ne doit pas avoir pour ambition de créer un réseau
doublant le réseau classique sur lequel les trains rouleraient à
300 kilomètres heure. Compte tenu des distances séparant les
principaux centres économiques français et des conditions de la
concurrence aérienne, il ne s'agit pas d'un choix financier opportun.
Par ailleurs, la constitution d'un réseau en étoile à
partir de la capitale peut être remis en cause dans une perspective
d'ouverture des régions à l'Europe. La préoccupation ne
doit non plus être de relier l'ensemble des capitales européennes
entre elles. En effet, aucun homme d'affaires n'accepterait de passer sept
heures dans le train pour rejoindre Berlin depuis Paris ou cinq heures pour
aller à Milan ou huit pour aller à Madrid alors que tous ces
trajets ne prennent guère plus d'une heure ou deux en avion. Les
différences de rentabilité commerciale de l'Eurostar et du Thalys
attestent de la véracité de cette observation.
En revanche, il semble essentiel aux yeux de votre commission d'assurer,
grâce à la réalisation de lignes TGV, l'arrimage des
régions à l'Europe. C'est en effet au regard de cet
impératif qu'il importe d'examiner les conditions d'amélioration
de certaines liaisons. Le phasage pertinent des projets serait celui qui
permettrait d'améliorer de manière significative :
- le passage des vallées alpines et pyrénéennes,
- la desserte de l'arc méditerranéen entre la
péninsule ibérique, d'une part, et l'Italie, d'autre part,
- et les liaisons avec l'Allemagne, notamment celles orientées
selon un axe Nord-Sud.
Une telle solution présenterait, par ailleurs, l'avantage de soulager
quelques points de congestion routière, en particulier les
vallées alpines et pyrénéennes dont les populations
souhaitent de plus en plus ardemment la mise en place de solutions alternatives
à la route.
Enfin, elle semble relever d'une conception mieux comprise du principe
d'équité territoriale. Jointe à l'utilisation de
matériels nouveaux comme les trains pendulaires, elle serait susceptible
de donner une cohérence au réseau à grande vitesse
français qui apparaît aujourd'hui comme très partiellement
achevé.
2. Le pendulaire comme alternative au TGV
Compte
tenu des contraintes pesant désormais sur la politique des lignes
à grande vitesse, il est nécessaire de s'interroger sur les
moyens d'améliorer la desserte des villes situées, soit à
l'écart des lignes TGV, soit dans leur prolongement.
La technique pendulaire qui, nous le rappelons, consiste à utiliser les
effets de la force centrifuge afin d'améliorer la vitesse des trains
dans les courbes, a souvent été présentée comme une
solution moins coûteuse que le TGV et pouvant avoir un impact
équivalent en ce qui concerne l'amélioration de la desserte du
territoire.
Il importe d'apprécier la pertinence de ce système sur lequel on
a dit à la fois tout et son contraire en raison notamment de la
confusion existant sur la réalité de la technique
envisagée.
Trois questions se posent :
- est-il une alternative temporaire ou définitive au TGV ?
- est-il le complément naturel d'une ligne TGV ?
- a-t-il son propre intérêt pour des lignes qui ne
relèvent pas du système TGV ?
Il faut souligner avant d'y répondre, que le pendulaire, comme le TGV,
est un système technique pour lequel l'infrastructure et le
matériel roulant sont étroitement liés ; en effet, les
performances du matériel roulant seront d'autant meilleures que
l'infrastructure aura été adaptée. La mise en oeuvre d'une
relation pendulaire exige des investissements en matériel et sur
l'infrastructure. Néanmoins, à la différence du TGV pour
lequel il faut construire toute une portion de ligne nouvelle, le
système pendulaire permet une mise en oeuvre progressive dès
l'achat du matériel. Avec de faibles investissements, il est tout de
suite possible d'améliorer le confort des voyageurs et de réduire
de façon significative le temps de parcours sans pour autant devoir
mobiliser la totalité des investissements d'adaptation de
l'infrastructure.
Plusieurs solutions techniques sont offertes en ce qui concerne le
matériel roulant : ETR 460 (" pendolino italien "),
matériel TGV neuf comme le futur TGV Nouvelle génération
pendulaire dont la vitesse sur ligne TGV atteindrait les 320
kilomètres/heure, matériel TGV ancien dont les rames seraient
modifiées afin de les rendre aptes à la pendulation.
a) Une solution pertinente pour remplacer ou compléter le TGV ?
Il apparaît notamment que sur certaines relations, pour lesquelles le potentiel de clientèle est insuffisant pour justifier la construction d'une ligne TGV nouvelle ou son prolongement et pour lesquelles les temps de parcours seraient suffisamment attrayants, le recours à la technique pendulaire pourrait être opportun.
-
•
Remplacer le TGV
Des études sont en cours sur les relations Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand sur lesquelles il n'est plus envisagé de construire une ligne à grande vitesse.
Cette solution, si elle est séduisante, se heurte, d'une part, aux modalités d'adaptation de l'infrastructure qui, bien que pouvant être progressives, se révèlent coûteuses en raison de la nécessité de supprimer les passages à niveaux dès lors que les trains circulent à plus de 160 kilomètres heure sur la ligne. D'autre part, si l'adaptation de l'infrastructure peut être progressive, la mise en service d'une relation " pendulaire " implique l'achat d'un nouveau matériel.
Pour certaines relations pour lesquelles le renouvellement du parc est prévu à brève échéance, il est probable que, pour un léger surcoût d'achat de matériel, la technique pendulaire permettra d'améliorer les performances de la desserte avec un matériel nouveau qui aura, de plus, de meilleures caractéristiques de puissance.
Par contre, s'agissant des relations pour lesquelles le parc actuel est de qualité (par exemple le matériel CORAIL modernisé), il est probable que la SNCF se heurtera, au moins jusqu'en 2005, à des difficultés de financement de renouvellement d'un parc qui est loin d'être amorti.
• Compléter le TGV
Un exemple d'application de ce concept pourrait, à cet égard, être envisagé sur l'ensemble des territoires desservis par le TGV Atlantique. Ce dernier dessert actuellement un vaste territoire à partir d'une ligne à grande vitesse réalisée uniquement de Paris au Mans et de Paris à Tours. Il permettrait ainsi de relier Paris à la façade atlantique, à la ville de Toulouse et aux contreforts pyrénéens jusqu'à Tarbes.
Il est probable que, si la modification des rames nouvelles s'avère possible, une telle politique permettrait une amélioration immédiate de l'ensemble des relations desservies par le TGV Atlantique pour un coût raisonnable. On rappellera que l'ensemble des projets TGV Bretagne - Pays de la Loire et Aquitaine, représente un investissement de 32 milliards de francs.
Pour les portions de lignes pour lesquelles une ligne nouvelle pourrait, à terme, être construite, les adaptations de l'infrastructure devraient être " légères " mais malgré tout permettre une amélioration des performances.
Pour les prolongements des lignes à grande vitesse projetées, les adaptations de l'infrastructure pourraient être progressives mais plus conséquentes.
En résumé le TGV pendulaire pourrait constituer un outil :
de mise en service, par étape, des relations TGV
d'amélioration de la vitesse pour les prolongements des lignes à grande vitesse
d'amélioration de la vitesse et du confort pour les lignes situées hors du champ économique de la réalisation de la ligne nouvelle à grande vitesse.
b) Un moyen d'améliorer les relations interurbaines régionales ?
Par
ailleurs, le recours à la technique pendulaire offre des
possibilités d'amélioration des relations interurbaines
régionales ou interrégionales qui sont le plus souvent non
électrifiées et desservies soit par du matériel
tracté par des locomotives soit par des autorails.
Une étude en cours sur la liaison Clermont-Ferrand-Lyon présente
des résultats encourageants.
Pour de nombreuses relations, il serait sans doute dès aujourd'hui
pertinent de réfléchir à l'acquisition de matériel
de type pendulaire qui, à l'image des résultats de l'étude
concernant la liaison Clermont-Ferrand-Lyon, serait de nature à
permettre un doublement des gains de temps. Il est probable que cette technique
trouverait tout son intérêt sur les lignes peu et moyennement
chargées et dont les temps de parcours seraient suffisamment importants.
Cependant, pour les relations sur lesquelles la vitesse est déjà
proche de 160 km/h, la suppression des passages à niveau
représente un coût d'investissement qui sera probablement
difficilement finançable pour de tels projets.
Il existe donc incontestablement en ce domaine des possibilités de
développement du système pendulaire. Elles impliquent que soient
examinées avec précaution les difficultés liées au
financement de l'adaptation des infrastructures et de l'acquisition du
matériel roulant.
Certaines dessertes ne relèvent probablement pas du champ d'application
du système pendulaire. C'est le cas :
des relations sur lignes très chargées pour lesquelles la
circulation de trains pendulaires trop rapides serait incompatible avec la
circulation de trains plus lents (trains fret, trains TER avec arrêts
fréquents) ;
des relations sur les très courtes distances pour lesquelles les
faibles gains de temps ne présenteraient pas de caractère
déterminant eu égard à l'investissement ;
des relations à faible potentiel de voyageurs, sur voies de mauvaise
qualité pour lesquelles les travaux de régénération
de l'infrastructure seraient d'un coût prohibitif comparé aux
avantages pour la collectivité ;
des lignes de faible sinuosité peu propices à des augmentations
significatives de la vitesse.
3. Une meilleure prise en compte des besoins des usagers
Si la
SNCF a su au cours des dernières années considérer les
voyageurs dont elle a la charge plus comme des clients que des usagers d'un
service public placés dans une situation légale et
réglementaire, il a semblé évident à votre
commission que des progrès pouvaient être encore accomplis.
Le train, et cela fut souligné par de nombreuses personnalités
devant votre commission, est, comparé à l'avion et à la
voiture individuelle, un mode de transport qui permet de transformer le temps
de trajet en un temps de loisir ou de travail, l'espace des wagons s'y
prêtant. Néanmoins, pour tirer profit de cet avantage
incontestable, l'entreprise ferroviaire se doit d'offrir un meilleur service
aux voyageurs. Ceci exige certes des investissements sur le matériel
roulant (installations d'équipements audiovisuels, services de
restauration plus performants), mais également une amélioration
des prestations fournies par le personnel. Ainsi, on peut se prendre à
rêver quand on apprend que les contrôleurs allemands servent du
café aux voyageurs. Sur des liaisons où le train est en
concurrence avec l'avion, ces considérations prosaïques prennent
tout leur sens.
Par ailleurs, le transport ferroviaire pourra gagner en
compétitivité si il fonde son développement sur une
analyse plus fine des besoins du marché. A ce titre, les
résultats des dessertes par chemin de fer des aéroports de
Satolas, et dans une moindre mesure, de Roissy, sont significatifs. En effet,
en l'absence de liaisons pertinentes (desserte des vallées alpines
à partir de Lyon) ou d'horaires adéquats (absence de trains lors
des heures de pointe à Roissy), les infrastructures ferroviaires mises
en place sont peu utilisées alors qu'une analyse plus fine des besoins
permettrait de tirer parti d'équipements dont la
légitimité reposant une logique intermodale ne doit pas
être remise en cause de l'aveu même des autorités
aéroportuaires. Néanmoins, en ce domaine, comme le soulignaient
le général Jean Fleury, président des
Aéroports de Paris, et M. Jacques Douffiagues, auteur d'un rapport
sur le troisième aéroport dans la région parisienne, des
solutions plus radicales devraient être mises en oeuvre. Ainsi,
l'amélioration de la desserte ferroviaire de Roissy, qui n'est pas
assurée de façon satisfaisante par la ligne B du RER, peu
adaptée aux besoins des voyageurs aériens, ne pourrait
résulter que de la mise en place d'une liaison directe
dédiée entre l'aéroport et la gare de l'Est où des
capacités en quais et en sillons existent.
Cette meilleure prise en compte des besoins des usagers exige un changement des
mentalités à la SNCF qui a, semble-t-il, d'ores et
déjà concédé d'importants efforts en ce sens. Elle
résultera également -et ce point est apparu capital à
votre commission- d'un dialogue entre les responsables des différents
modes de transport qui, s'il a été engagé, reste encore
dominé par de nombreux a priori.
C. DÉVELOPPER UNE POLITIQUE DE FRET FERROVIAIRE
1. Un recul global recouvrant des évolutions contrastées
Au cours
des dernières années,
la part modale du transport ferroviaire
de marchandises a très sensiblement reculé
en raison de la
vive concurrence de la route qui, grâce à des prix de plus en plus
compétitifs, a su faire valoir ses avantages en termes de souplesse et
da rapidité. En effet, sa part qui représentait plus de 35 %
des trafics de fret en 1975 est passée à moins de 20 % en
1995 alors que les trafics augmentaient de 2% par an.
Néanmoins,
cette évolution générale
mérite d'être nuancée
.
En premier lieu, le recul global du transport ferroviaire de fret recouvre des
évolutions contrastées. Si les transports par trains entiers ou
wagons isolés stagnent ou reculent, le transport combiné
connaît une croissance rapide. Il enregistre depuis 1996 une croissance
de 14 % par an et son poids dans l'ensemble des transports ferroviaires de
marchandises est passé de 15 à 25 % entre 1990 et 1996.
Cette nouvelle répartition s'explique par la diminution du transport par
wagon isolé qui constituait traditionnellement l'essentiel du fret
ferroviaire mais qui nécessitait une main-d'oeuvre très
importante et impliquait des ruptures de charge et des pertes de temps
considérables. Elle découle également de l'absence de
progression du transport par trains entiers résultant notamment du recul
du trafic des pondéreux.
En second lieu, les résultats récents du transport ferroviaire
témoignent d'un regain de vigueur du trafic de fret comme en
témoigne le tableau suivant :
|
ROUTE |
FER |
VOIE D'EAU |
1995 |
158,5 |
46,4 |
5,9 |
1996 |
158,2 |
48,3 |
5,7 |
1997 |
159,8 |
52,6 |
5,7 |
(Source : SNCF) (en millions de tonnes-kilomètre)
L'année 1997 a, en effet, été marquée par le
redressement du fret ferroviaire : le fer a accru sa part modale de 1
point, ce qui constitue un retournement par rapport à la tendance
constante, observée au cours des quinze dernières années.
Cette évolution semble se confirmer en 1998. Au cours des deux premiers
mois de l'année, le trafic de fret de la SNCF a augmenté de
8 % par rapport à 1997.
Ces chiffres témoignent de la reprise de la croissance économique
mais également de la capacité du transport ferroviaire à
absorber une part plus importante que par le passé de l'augmentation du
trafic. Ils reflètent, sans aucun doute, l'effort consenti par la SNCF
dans ce domaine.
2. Le fret ferroviaire : une possibilité de développement longtemps méprisée.
Les
raisons économiques du déclin du transport ferroviaire de
marchandises ont été analysées à de maintes
reprises et elles sont désormais suffisamment connues : recul des
trafics de pondéreux, absence de compétitivité en termes
de délais, de coûts et de souplesse par rapport à la route,
faible rentabilité, pénalisation aux passages de
frontières.
Néanmoins, l'absence de dynamisme du fret tient également
à une cause moins souvent soulignée mais qui est apparue
déterminante aux yeux de votre commission :
l'absence d'une
politique de développement du transport ferroviaire de marchandises
tant au niveau de l'Etat qu'au sein de la SNCF.
En dépit des atouts dont dispose la France en ce domaine (réseau
dense, nombreux embranchements particuliers) et de l'intérêt
qu'était susceptible de représenter ce mode de transport compte
tenu de la longueur des distances à parcourir,
le fret a longtemps
été considéré comme le parent pauvre de
l'activité ferroviaire
.
Ceci résulte principalement de l'organisation du réseau
ferroviaire qui repose, en effet, traditionnellement en France sur la
priorité accordée au transport de voyageurs. Ce principe a pour
conséquence de faire circuler les trains de marchandises quand aucun
train de voyageurs n'est susceptible d'emprunter la voie. Rappelons, en effet,
que la plupart des trains de marchandises roulent de nuit et à des
vitesses limitées en raison des travaux d'entretien des voies.
Il en résulte pour le fret des problèmes de circulation
aggravés par des phénomènes de congestion résultant
de la saturation des infrastructures en certains points du territoire. Ainsi,
sur la liaison Grande-Bretagne-Italie via le tunnel sous la Manche, qui
transite par Modane et à laquelle se joignent les trafics venant de
France ou de Belgique, 23 % des trains ont plus de 6 heures de retard et
certains enregistrent des retards de plus de 24 heures. Cela ne peut que
laisser songeur quand on sait que le tunnel sous la Manche doit se
développer selon un rythme annuel qui avoisine 40 %.
La politique de développement du réseau ferroviaire conduite par
l'Etat depuis le début des années 80 axée
quasi-exclusivement sur la réalisation de lignes TGV reflète
cette conception de l'exploitation de notre réseau. Les
caractéristiques techniques des lignes à grande vitesse
elles-mêmes en témoignent. En effet, à la différence
des lignes construites en Allemagne, elles n'ont pas été
conçues pour permettre le passage à des vitesses
élevées de trains de marchandises. Par ailleurs, compte tenu des
contraintes d'entretien qu'elles impliquent durant la nuit, elles n'offrent que
peu de possibilités d'exploitation mixte. La modestie des subventions
d'investissements consacrés au transport combiné par le biais du
FITTVN qui ne s'élèvent qu'à 350 millions de francs
alors qu'il apparaît aujourd'hui comme l'avenir du transport ferroviaire
de fret est également très significative.
Le choix effectué en faveur du transport de passagers s'est traduit dans
l'organisation interne de la SNCF comme dans ses options stratégiques.
Ce n'est en effet que récemment qu'a été
créée une direction du fret à la SNCF et que son
responsable siège au conseil de direction de l'entreprise. Pendant
longtemps, le fret n'a pas été considéré comme une
véritable possibilité de développement pour l'entreprise
ferroviaire. Ce n'est que depuis trois ans qu'une mobilisation a
été engagée au sein de la SNCF autour de l'activité
de fret en particulier dans le secteur du transport combiné dont
l'avenir avait pourtant été considéré comme
condamné par le directeur du fret de la SNCF lui-même devant la
commission d'enquête sur la situation de la SNCF constituée
à l'Assemblée nationale en 1994 !
28(
*
)
Votre commission n'a pu disposer des éléments nécessaires
pour déterminer le montant des investissements dont a
bénéficié le fret au cours des 10 ou 15 dernières
années. En effet, si on peut aisément identifier au cours des dix
dernières années les investissements consacrés au
réseau classique, il est très difficile de mesurer la part dont a
bénéficié le fret. En effet, rares sont les
investissements uniquement consacrés au transport de marchandises, de
telles opérations étant au demeurant d'un coût modeste. Par
ailleurs, les travaux de développement des lignes voyageurs, y compris
ceux du TGV, ont pu bénéficier de manière
déterminante au fret, dans la mesure où ils libèrent des
sillons.
3. Quelles possibilités de développement pour le fret ferroviaire ?
Votre
commission d'enquête ne prétend pas affirmer que le fret
ferroviaire peut se développer au point d'inverser les parts modales
respectives de la route et du fer. Une telle ambition serait hautement utopique.
En effet, la route dispose d'incontestables atouts et est appelée
à demeurer maîtresse sur une part importante du marché. En
effet, il faut savoir
que 80 % du trafic de marchandises concernent des
distances inférieures à 200 kilomètres et que le
transport ferroviaire n'est véritablement pertinent qu'à partir
de 500 kilomètres
29(
*
)
.
Néanmoins, il semble exister de réelles possibilités de
développement du trafic ferroviaire de fret comme en témoignent
les chiffres de croissance de ce secteur.
Il se dégage incontestablement une
demande sociale
en faveur
de
solutions alternatives
au transport routier dont les
inconvénients en terme de congestion et de pollution, s'il apparaissent
plus ou moins fondés, sont de plus en plus soulignés.
Il constituerait une solution adaptée pour permettre sur certains axes
ou points du territoire d'absorber un surplus de trafic ou de développer
des courants d'échange.
Dans les prochaines années, les grandes évolutions
économiques prévisibles conduisent à anticiper
l'arrivée à maturité des marchés de la
péninsule ibérique et l'émergence des marchés des
pays d'Europe centrale et orientale. Ceci entraînera une
augmentation
des trafics sur longue distance qui pourrait bénéficier au
transport ferroviaire
.
Les investissements réalisés ou programmés chez nos
partenaires commerciaux du Nord
(ligne de la Betuwe aux Pays-Bas, Netz 21
en Allemagne, Rhin d'acier à Anvers)
confirment la pertinence de la
voie ferrée pour le transport de marchandises
et nous incitent
à développer une véritable ambition nationale en ce
domaine. Il importe que la France valorise sa place stratégique au sein
du territoire européen et écarte grâce à des
investissements adaptés la menace d'une marginalisation.
Cette analyse apparaît particulièrement applicable à la
question de la desserte des ports français
. En effet, les ports du
Nord de l'Europe, notamment le port de Rotterdam, bénéficieront
dans les années à venir d'investissements ferroviaires
considérables et de la mise en place de corridors internationaux de fret
leur permettant d'améliorer leurs dessertes vers l'Est et le Sud de
l'Europe. Les flux de trafics ainsi mis en place ne transiteraient que dans une
très faible mesure par la France, l'axe rhénan étant
appelé à se développer considérablement.
L'affaiblissement qui en résulterait pour la position de la France
serait d'autant plus regrettable qu'elle dispose avec les ports de Marseille,
du Havre et de Dunkerque de sites exceptionnels aux potentialités
considérables.
Pour l'heure, la prise de conscience ne s'est pas encore opérée.
En effet, en ce qui concerne le trafic de conteneurs, à partir de
Rotterdam sont organisées plus de 25 connexions ferroviaires vers
l'Europe, à partir d'Anvers plus de 20 tandis qu'il n'y en a que 4
à partir du Havre et 2 à partir de Marseille. Par ailleurs, les
quantités unitaires paraissent insuffisantes en France pour promouvoir
à grande échelle la technique de la " navette " qui
consisteraient en la mise en circulation régulière de trains
entiers, la SNCF préférant, pour l'heure, développer la
technique du " hub " qui repose sur l'éclatement des trafics
à partir d'un point nodal. Cette technique répond mieux à
des dessertes peu massifiées et permet de desservir l'ensemble du
territoire français et quelques villes européennes mais se heurte
à la priorité accordée aux transports de voyageurs, soit
au niveau des grandes lignes dans leurs approches terminales soit au niveau des
lignes régionales de dessertes d'agglomération. Nos partenaires
étrangers sont au demeurant avertis de cette faiblesse de nos ports, le
responsable du port de Rotterdam ayant confié à votre commission
qu'en France,
" on privilégierait toujours un TER transportant
trois ou quatre voyageurs sur un train de fret ".
S'il est évident, aujourd'hui, que les ports français, selon une
expression utilisée M. du Mesnil, directeur des transports terrestres au
ministère de l'Équipement, du logement et des transports,
" ne jouent pas dans la même cour que les ports du
Nord ",
l'exemple de ces derniers souligne le rôle que jouent
l'hinterland et les dessertes terrestres comme facteur du développement
portuaire. Partageant cette conviction, les responsables auditionnés ont
admis devant votre commission l'intérêt d'une amélioration
des dessertes ferroviaires, qu'il s'agisse du Havre ou de Marseille, et
exprimé leurs attentes en ce domaine.
Actuellement, l'essentiel du trafic (75 à 80 %) est acheminé par
la route, mais au-delà d'une certaine distance de l'ordre de 600
à 800 kilomètres, le moyen privilégié de
transport de marchandises devient la voie ferrée dont un des atouts
essentiels, le transport combiné, est particulièrement
adapté aux trafics de conteneurs.
Si certaines solutions radicalement nouvelles ont pu être
évoquées, comme la mise en oeuvre de liaisons exploitées
directement par les autorités portuaires sans l'entremise de la SNCF,
elles demeurent encore largement hypothétiques, et la mise en place de
sillons compétitifs en nombre suffisant, voire de lignes
dédiées au transport de marchandises, semble pour l'heure
privilégiée.
En ce qui concerne le port de Marseille, l'exploitation de la rive droite du
Rhône pour le transport de marchandises a été
évoquée devant votre commission comme une solution qui
permettrait d'établir des liaisons pour le transport combiné
entre le nord et l'est de l'Europe et la Méditerranée. Ces
dernières seraient susceptibles de compenser, au bénéfice
de la France, les corridors développés par les opérateurs
nord-européens qui se mettent en place entre Rotterdam et le Sud de
l'Italie. Par ailleurs, elles constitueraient une solution alternative à
la desserte autoroutière du Rhône dont les possibilités du
développement sont limitées pour des raisons géographiques.
Le port du Havre a également élaboré des projets
d'amélioration de sa desserte ferroviaire afin de répliquer
notamment à l'offensive des ports néerlandais et d'élargir
son hinterland vers l'est et le nord. Afin de concurrencer les
opérateurs néerlandais qui envisageaient la création d'une
navette entre Rotterdam et Lyon, le port a mis en place avec CNC (compagnie
national de conteneurs) une navette ferroviaire entre le port et Lyon. Mais
l'objectif principal consiste dans la création d'un axe lourd
ferroviaire vers l'est entre le Havre et Metz, ce qui ouvrirait la voie vers
l'Allemagne du sud, la Suisse et l'Italie.
L'analyse faite pour les ports vaut également pour les
aéroports.
En effet, les conditions d'accès et de desserte des aéroports
jouent un rôle fondamental dans le choix des entreprises de transport de
marchandises recourant au mode aérien. A ce titre, le choix de
l'aéroport de Roissy par l'entreprise américaine Federal Express
est significatif, l'importance et la qualité des dessertes notamment
autoroutières étant très probablement entrées en
ligne de compte dans la décision de l'entreprise américaine. Si
les dessertes routières des aéroports français peuvent
être considérées comme plus ou moins satisfaisantes, la
commission a pu prendre conscience de l'insuffisance des dessertes ferroviaires
pour le fret à destination ou en provenance des plates-formes
aéroportuaires. Les propos convergents du général
Jean Fleury, président d'Aéroports de Paris, et de M.
Jacques Douffiagues, auteur d'un rapport sur le troisième
aéroport en région parisienne, ont souligné la
nécessité pour permettre un développement du fret
aérien de disposer d'un accès par chemin de fer fiable et rapide.
En ce domaine, ces exigences revêtent, en effet, une importance
particulière, les marchandises concernées étant pour la
plupart des produits à haute valeur ajoutée ou des denrées
périssables. Elles imposent que soient mises en place des liaisons
rapides et si possible dédiées afin de garantir la
sécurité de l'acheminement. Ces infrastructures -ou du moins
cette affectation du réseau- correspond à un véritable
besoin mais permettrait également à une activité qui est
en voie d'affirmation de disposer de capacités de développement.
4. Les moyens à mettre en oeuvre
La
France dispose d'un réseau qu'il importe d'exploiter au mieux afin de
revitaliser le transport ferroviaire de marchandises et de lui permettre
d'absorber une part croissante des trafics.
En l'état actuel des infrastructures et de la
compétitivité de la SNCF, il n'est pas apparu à votre
commission qu'un développement significatif du fret ferroviaire
était possible
. En effet, bien qu'il soit à la fois
nécessaire et souhaitable, il se heurte à des obstacles
techniques qui exigent non seulement des opérations de modernisation de
l'infrastructure mais également des modifications des modalités
d'exploitation du réseau. D'après les estimations
communiquées à votre commission, l'augmentation possible du
trafic, compte tenu de l'état des infrastructures, se situe dans une
fourchette de 56 à 60 milliards de tonnes-kilomètres, ce qui
représente un accroissement de l'ordre de 7 à 14 %.
Votre commission considère qu'en ce domaine il n'existe pas de solution
miracle. En effet,
le réseau français ne permet pas la
réalisation de sauts de productivité majeurs, qu'il s'agisse de
l'infrastructure ou du matériel roulant
.
Les autoroutes ferroviaires, en raison de leur coût et des ruptures de
charge qu'elles engendrent, ne constituent pas des solutions réalistes
à l'exception de quelques itinéraires comme le passage des
vallées alpines ou pyrénéennes sur lesquels il importerait
au demeurant d'en vérifier la rentabilité. En effet, elles
impliquent des travaux d'infrastructures très lourds pour offrir un
gabarit suffisant permettant de charger des poids lourds sur des wagons plats
à roues normales et offrir des fréquences attractives aux
transporteurs routiers. Il n'est pas sûr, dans ces conditions, que cette
solution soit la mieux adaptée sur le plan technique et la plus
performante sur le plan économique, les expériences
étrangères n'étant pas très probantes en ce domaine.
Par ailleurs, la construction de nouvelles lignes, outre les contraintes
financières et environnementales qu'elles induiraient, nous renverrait
à un horizon où la compétition aurait déjà
été gagnée par nos partenaires étrangers.
En ce qui concerne le matériel roulant, compte tenu des
caractéristiques de notre réseau, il est impossible d'envisager
la mise en circulation de double " stacks " qui présenteraient
l'inconvénient de ne pas passer sous les ponts et dans les tunnels ou
encore la circulation de trains de marchandises aussi longs que ceux existant
aux États-Unis compte tenu de la longueur des voies d'évitement.
Pour ces raisons, quatre orientations semblent à votre commission devoir
être retenues afin d'offrir au transport ferroviaire de fret de
véritables possibilités de développement.
- • Une modification des conditions d'exploitation du réseau en faveur du fret
Le choix de ces itinéraires doit s'appuyer sur plusieurs critères. Ils devront être susceptibles de capter la plus grosse part de l'augmentation prévue des trafics de fret et donc revêtir une importance stratégique pour la desserte ferroviaire fret du territoire national. Il est évident qu'ils seront plus aisément mis en place sur des lignes présentant des caractéristiques techniques adaptées et qui, compte tenu des trafics voyageurs actuels ou futurs et de la mise en service de lignes nouvelles à grande vitesse, accueillent un très faible nombre de trains " grandes lignes ". Enfin, ils devront assurer la plus grande intermodalité possible entre le rail et la route.
En ce qui concerne les trafics européens Nord-Sud , un tel axe serait envisageable sur la ligne existante allant du tunnel sous la Manche jusqu'à Ambérieux près de Lyon en passant par Aulnoye à l'est de Valenciennes, Conflans-Jarny à l'est de Metz et Dijon. Un tel itinéraire permettrait des raccordements vers la Belgique, l'Allemagne et le Bénélux.
Il pourrait également être prolongé vers l'Italie après la traversée de Chambéry et vers la vallée du Rhône après la traversée de Lyon. Une telle solution serait particulièrement pertinente si était mise en place, parallèlement, une liaison dédiée fret sur la rive droite du Rhône afin d'assurer la desserte du port de Marseille.
A moyen terme, cette desserte nord-sud du territoire pourrait être améliorée, d'une part, grâce à la mise en place d'itinéraires alternatifs, afin notamment de contourner Dijon et, d'autre part, grâce à un raccordement vers Mulhouse puis vers la Suisse et l'Allemagne par Besançon et Belfort. Enfin, une meilleure exploitation de la liaison Ambérieux-Modane et de la ligne Mâcon-Genève pour le TGV Paris-Genève qui permettrait de libérer des sillons peut être envisagée.
Votre commission souligne à cet égard que le phasage des investissements TGV recommandé plus haut jouerait un rôle déterminant dans la recherche d'une exploitation du réseau destinée à permettre un développement du fret.
En ce qui concerne les trafics européens Ouest-Est , il serait possible à court terme de consacrer au fret une ligne Le Havre - Metz contournant Paris par Amiens avec des raccordements mixtes pour Strasbourg, l'Allemagne ou la Suisse, puis l'Autriche et la Hongrie.
Par ailleurs, la commission souligne la nécessité de scinder totalement les trafics de voyageurs et les trafics fret au niveau de la grande ceinture de la région parisienne qui interconnecte le réseau étoilé des principales lignes ferroviaires françaises.
Sur ces itinéraires dédiés au fret, il serait ainsi possible de parvenir à des améliorations significatives de qualité des circulations afin de répondre à la demande des chargeurs, notamment dans le domaine du transport combiné.
- • Des investissements de capacité
Ces investissements qui accroîtront la rentabilité de l'activité marchandises de la SNCF pourraient permettre une augmentation des péages versés par l'entreprise ferroviaire à RFF.
-
Votre commission souligne le caractère stratégique de ces
investissements qui permettraient à la France de se doter d'un
réseau fret capable d'absorber une augmentation des trafics. Certaines
des réalisations envisagées dont le coût n'est pas
considérable (1 milliard de francs pour la grande ceinture de
Paris, 2 milliards pour le contournement de Chambéry ou encore
1 milliard de francs pour le pont Saint-Jean à Bordeaux)
revêtent une importance particulière et devraient, à ce
titre, être prioritaires.
Par ailleurs, des améliorations techniques pourront être apportées au matériel roulant afin notamment d'accroître la longueur, la vitesse et le tonnage des trains. En effet, la mise en circulation de trains pouvant aller jusqu'à 1.500 kilomètres et atteindre des vitesses de l'ordre de 120 kilomètres/heure permettrait d'accroître la compétitivité du fret ferroviaire. De telles améliorations porteraient sur les locomotives utilisées pour le fret ainsi que sur le système de commande de freins et pourraient résulter de l'installation de la télécommande radio des locomotives. Par ailleurs, les opérations de transbordement pourraient être facilitées grâce à l'automatisation dans les chantiers de transport combiné.
Le renforcement de la priorité fret
Au-delà de ces aménagements, il est apparu à votre commission que la SNCF devait poursuivre son effort de mobilisation en faveur du transport de marchandises. Ceci suppose un changement de stratégie dans l'utilisation du réseau mais également une amélioration de sa productivité qui, aux yeux des opérateurs de transport combiné français demeure largement insuffisante. La fiabilité des liaisons ferroviaires s'avère, en effet, encore insuffisante face à la route dont les taux de fiabilité de l'ordre de 95 à 98 % la rendent totalement adaptée à un fonctionnement des entreprises en flux tendus.
Par ailleurs, il importe de promouvoir une nouvelle conception des infrastructures permettant de garantir leur mixité, c'est-à-dire leur utilisation aussi bien pour des trafics de fret que pour des trafics de voyageurs.
Il semble que, dans ce domaine, des évolutions se fassent jour. Elles sont notamment dictées par des raisons financières. Il est aujourd'hui évident que la construction d'une ligne TGV Lyon-Turin pour le trafic des voyageurs n'est légitime en raison de sa faible rentabilité que s'il s'agit d'une ligne mixte voyageurs-fret se justifiant en raison de l'augmentation prévisible des trafics orientés nord-sud. Votre commission considère que cette perspective qui n'est pas familière à la SNCF doit être désormais systématiquement explorée.
• Une amélioration des capacités du transport combiné
Il s'agit donc en ce domaine à la fois de réaliser des investissements de capacités -au demeurant souvent modestes (entre 30 et 40 millions de francs)- afin de remédier aux phénomènes de saturation et d'affirmer une logique nationale de développement.
TROISIÈME PARTIE -
ACHEVONS ET MAINTENONS
UN RÉSEAU AUTOROUTIER DE QUALITÉ DANS UNE PERSPECTIVE
D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
La qualité du réseau autoroutier français est légendaire, et appréciée des usagers, tant français qu'étrangers, qui acquittent librement chaque année 24 milliards de francs de péage. Le " tout autoroute " est aujourd'hui remis en cause. Mais il n'y a pas de place en la matière pour l'idéologie. On peut favoriser la multimodalité par la congestion d'un trafic inéluctablement croissant et le délabrement des autoroutes. On peut aussi la favoriser par un maillage complet d'autoroutes à péages, tarifées à leur niveau, et pérennes en qualité.
I. LA REMISE EN CAUSE DE LA PRÉFÉRENCE FRANÇAISE POUR LA ROUTE
A. L'AMBITION DU SCHÉMA DIRECTEUR ROUTIER NATIONAL DE 1992
Le
principe des schémas directeurs routiers nationaux (SDRN) a
été introduit par la loi d'orientation des transports
intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982. Elle prévoit
que les schémas sont élaborés en prenant compte de
nombreux critères tels que les besoins des usagers, l'aménagement
du territoire, les coûts, les besoins de la nation et le plan de la
nation.
L'adoption de la LOTI ne marque cependant pas le début de la
programmation en matière d'infrastructures routières. Les SDRN
ont des prédécesseurs, le " Plan directeur
d'aménagement du réseau routier " de 1960, le
" schéma directeur des grandes liaisons routières " de
1971 ou encore " schéma d'aménagement à long terme du
réseau national " de 1978.
Depuis la décision commune du Parlement européen et du Conseil du
23 juillet 1996, le schéma directeur de la France a été
fondu dans un ensemble plus vaste, le réseau transeuropéen de
transport (RTE). L'article 2 de la décision prévoit que le RTE
"
est mis en place progressivement à l'horizon 2010, à
l'échelle communautaire, en intégrant des réseaux
d'infrastructure de transport terrestre, maritime et aérien
".
La décision comporte une carte du réseau routier
transeuropéen, dont la partie française reprend très
largement les tracés établis par le SDRN.
La programmation routière française est critiquée de
manière récurrente par la Cour des comptes, qui lui reproche de
ne pas fixer de priorités et de n'avoir pas de caractère
contraignant. Le schémas ne sont pas discutés au Parlement et
sont seulement approuvés par décret, en application de la LOTI.
Le schéma directeur actuellement en vigueur a été
décidé en 1990 mais n'a été approuvé que
deux ans plus tard par le décret n°92-379 du 1er avril 1992.
Le Sénat revendique depuis longtemps une consultation du Parlement sur
les grands schémas d'infrastructures, et l'avait rappelé lors de
la période, aujourd'hui interrompue, d'élaboration du
schéma national d'aménagement du territoire et des schémas
de service prévus par la loi d'orientation pour l'aménagement et
le développement du territoire (LOADT) du 4 février
1995.
1. Le SDRN de 1992 renforce la place de l'autoroute dans le réseau français
Les
schémas directeurs routiers nationaux sont des documents
" d'affichage des choix publics ", auxquels doit se conformer tout
projet de voie rapide de plus de 25 kilomètres. Les schémas
s'appliquent aux liaisons interurbaines. Par conséquent, les autoroutes
de la régions Ile-de-France n'y figurent pas. Elles sont inscrites au
schéma directeur de l'Ile-de-France.
Trois schémas nationaux se sont succédés depuis
l'entrée en vigueur de la LOTI. Le schéma directeur du 14
février 1986, le premier document de programmation depuis 1978, tirait
les conséquences du ralentissement du développement autoroutier
depuis 1981 en abandonnant 1.570 kilomètres d'autoroutes par rapport au
programme de 1978.
Le schéma du 18 mars 1988 constitue la base du programme actuel. Il
relançait le programme autoroutier en ajoutant 1.700 kilomètres
de liaisons à péage aux 1 100 kilomètres non encore
engagés du schéma précédent. Ces 2.800
kilomètres étaient prévus pour être
réalisés en dix ans.
CARTE
N° 1
LE RÉSEAU AUTOROUTIER
CARTE N° 2
LE SCHÉMA DIRECTEUR ROUTIER NATIONAL
CARTE N° 3
RESEAU DE VOIRIE RAPIDE
Le
schéma directeur routier national (SDRN) de 1992 amplifie l'orientation
autoroutière du schéma de 1988. Il ambitionne, en quinze ans, de
doter la France d'un réseau national de 37.700 kilomètres
environ, au sein duquel se distinguent trois types de liaisons à
vocation structurante :
Les autoroutes de liaison
S'étendant sur 9.540 kilomètres, elles sont, lorsqu'il s'agit de
constructions nouvelles, "
généralement
réalisées sous le régime de la concession et donnent lieu
à péage pour leur exploitation
".
Le régime de la concession
Au
lendemain de la seconde guerre mondiale, nombreux étaient ceux qui
pensaient que la qualité et la densité du réseau routier
de la France la dispensaient de la réalisation d'autoroutes. Le vote de
la loi du 18 avril 1955 a permis de rattraper le retard pris en disposant que
"
l'acte déclaratif d'utilité publique peut, dans des cas
exceptionnels, décider que la construction et l'exploitation d'une
autoroute seront concédées par l'Etat à une
collectivité publique, à un groupement de collectivités
publiques, ou à une chambre de commerce, ou à
une
société d'économie mixte dans laquelle les
intérêts publics sont majoritaires
".
Les sociétés dont la création est ainsi autorisée
signent avec l'Etat une convention de concession, qui leur transfère la
responsabilité du
financement
, de la
construction
, de
l'entretien
et de
l'exploitation à péage
de la
section faisant l'objet de la convention.
La loi de 1955 a été par la suite assouplie. La mention
" dans les cas exceptionnels " a été supprimée
par le décret du 4 juillet 1960. Mais surtout, la loi de finances pour
1969, complétée par un décret du 12 mai 1970,
a
autorisé la création de sociétés à capitaux
privés
.
La gestion des emprunts nécessaires au financement de la construction
des autoroutes par les sociétés d'économie mixtes (SEMCA)
est assurée par la
Caisse nationale des autoroutes (CNA)
,
établissement public créé en 1963 et géré
par la Caisse des dépôts et consignations.
L'établissement public
Autoroutes de France (ADF),
créé en 1982, accorde des prêts aux sociétés
d'économie mixte ayant des besoins de trésorerie.
Le label " autoroute de liaison " tend de plus en plus à
devenir synonyme d'" autoroute concédée ". En effet,
à l'exclusion des autoroutes de liaisons gratuites en service lors de la
publication du schéma directeur en 1992, soit environ 500
kilomètres, les autoroutes de liaisons prévues au schéma
directeur sont toutes à péage.
Les liaisons assurant la continuité du réseau autoroutier
Les LACRA sont soit des routes nouvelles, soit des voies existantes
aménagées. Elles sont destinées à
"
être intégrées dans la catégorie des
autoroutes au sens de l'article L. 122-1 du code de la voirie
routière
30(
*
)
et sont
réalisées soit par aménagement sur place de voies
existantes, soit en site nouveau, de façon à recevoir à
terme le statut d'autoroutes tout en restant hors péage
".
Leur construction, sur crédits budgétaires, se justifie par
l'impact négatif, pour le fonctionnement général du
réseau comme pour l'aménagement du territoire, des
discontinuités entre les tronçons autoroutiers. Elles prennent la
forme :
- de liaisons à 2x2 voies continues dénivelées de
façon, comme le prévoit le décret, à recevoir
à terme le statut d'autoroutes. Elles sont financées dans le
cadre des contrats de plan Etat-régions ;
- d'autoroutes aux caractéristiques traditionnelles. Ainsi, les
grandes autoroutes gratuites construites depuis 1992, telles que l'A 75 et l'A
20, entrent dans la catégorie des LACRA. Leur financement est
" hors contrat de plan Etat-régions ". Il est assuré
par le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies
navigables, le FITTVN.
Au terme de la mise en oeuvre du schéma directeur, les LACRA devraient
s'étendre sur 2.580 kilomètres.
Les grandes liaisons d'aménagement du territoire
Prévues sur 4.410 kilomètres, elle complètent le
"
réseau de base
". Leur fonction est
"
d'assurer une armature structurante du territoire. A ce titre, elles
bénéficieront pour leur aménagement d'une attention
prioritaire pouvant conduire à anticiper les stricts besoins du
trafic
".
Les GLAT ne sont pas de nouvelles voies à proprement parler. Elles font
partie du réseau existant mais, compte tenu de leur importance en
matière géographique, elles sont considérées comme
prioritaires dans l'allocation des crédits budgétaires.
Le tableau ci-dessous met en évidence le parti pris en faveur de
l'autoroute qui a présidé à la modification du
schéma directeur de 1988 :
|
SDRN 1988 |
SDRN 1992 |
Evolution en % |
Evolution en km |
Réseau national dont : |
36.800 |
37.700 |
+ 2,4 |
+ 900 |
Autoroutes de liaison |
8.590 |
9.540 |
+ 11,1 |
+ 950 |
LACRA |
2.740 |
2.580 |
- 5,9 |
- 160 |
GLAT |
4.850 |
4.410 |
- 9,1 |
- 440 |
Le
rapport de la direction des routes relatif au schéma directeur de 1992
constatait, notamment, que "
si le réseau autoroutier à
péage prévu par le schéma directeur de février 1986
pouvait être achevé pour l'essentiel en huit années, il
aurait fallu près de trente ans pour terminer les réalisations
dépendant des financements budgétaires
. " Ce
délai n'était pas considéré "
compatible
avec les objectifs actuels de désenclavement, d'efficacité
économique et d'ouverture européenne
" de la France.
En revanche, le rapport jugeait les sociétés concessionnaires
d'autoroutes "
à même de supporter le poids financier d'un
réseau plus étendu sous réserve d'une évolution des
péages au même rythme que les prix
".
La décision prise en 1992 de réviser le schéma directeur
routier national de façon à accroître la part des
autoroutes à péage repose donc sur la reconnaissance de
l'efficacité du recours à la concession pour satisfaire les
besoins en matière d'autoroute en période de rareté des
crédits budgétaires.
Le graphique ci-dessous témoigne de l'ampleur de la réduction des
financements budgétaires du programme autoroutier dans un contexte
d'accroissement du montant total des ressources.
Parallèlement à la révision des tracés, le SDRN de
1992 décidant de supprimer les avances budgétaires aux
sociétés concessionnaires, confirmant par là le parti pris
du financement privé des constructions d'autoroutes.
2. Les objectifs du schéma directeur de 1992
a) Les objectifs affichés
Le choix
des tracés figurant au schéma de 1988, consolidé par celui
de 1992, résulte d'une analyse des besoins du territoire en
matière d'infrastructures routières. Ainsi, la direction des
routes constatait en 1992 que "
l'insuffisance de notre réseau
de grandes liaisons rapides se traduit notamment par une nette
prédominance des radiales centrées sur l'agglomération
parisienne qui correspondent aux flux de trafic les plus importants. Notre
réseau autoroutier ne comporte actuellement que peu de grandes liaisons
transversales directes entre grandes métropoles régionales qui
sont pourtant nécessaires à leur développement et à
l'équilibre des activités sur l'ensemble du territoire
. "
Cette analyse des besoins a conduit à inclure dans le SDRN les
tracés dont la réalisation était susceptible de
répondre aux critères suivants :
1°) renforcer la capacité de l'axe Nord-Sud Est, en le doublant par
des itinéraires alternatifs permettant le désenclavement de
nouvelles régions ;
2°) créer de nouvelles transversales Est-Ouest, reliant la
façade Manche-Atlantique et ses ports à l'arrière-pays ;
3°) relier directement entre elles les grandes villes de province et
assurer un contournement complet du bassin parisien ;
4°) assurer, dans de bonnes conditions d'efficacité, nos relations
avec l'Europe.
b) Des objectifs compatibles avec ceux du réseau transeuropéen de transport
La
décision commune du Parlement européen et du Conseil
n°1692/96/CE du Parlement européen et du Conseil relative au
réseau européen de transport détermine, dans son article
9, les objectifs du réseau routier transeuropéen qui
"
est composé d'autoroutes et de routes de haute qualité,
existantes, nouvelles, ou à aménager qui :
- jouent un rôle important dans le trafic à grande distance, ou
- permettent, sur les axes identifiés par le réseau, le
contournement des principaux noeuds urbains, ou
- l'interconnexion avec les autres modes de transport, ou
- permettent de relier les régions enclavées et
périphériques aux régions centrales de la
Communauté.
"
Le réseau routier doit, par ailleurs, garantir "
aux usagers un
niveau de services, de confort et de sécurité
élevé, homogène et revêtant un caractère de
continuité
".
La partie française du réseau routier transeuropéen
reprend, pour l'essentiel, les tracés inscrits au schéma
directeur autoroutier national. Un certain nombre de liaisons françaises
ont pu bénéficier de financements communautaires ou du
mécanisme de prêts temporaires de la Banque européenne
d'investissement en raison de leur inscription au réseau de transports
européens. Il s'agit, par exemple, de l'élargissement du tunnel
de Chamoise et des viaducs de Nantua et Neyrolles, de l'autoroute A39 entre
Lons-le-saunier et Bourg-en-Bresse ou de l'A 6 entre Amiens et Boulogne.
De manière générale, les financements communautaires sont
orientés vers la réalisation de tronçons qui n'auraient
pas forcément d'intérêt particulier pour un pays pris
isolément, mais qui permettent de mailler le réseau au niveau
européen.
3. L'accélération de 1993-95
Le changement de majorité de 1993 a eu des conséquences importantes en matière autoroutière. Une accélération de la réalisation du schéma directeur a été décidée. Parallèlement, le vote de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 a replacé les choix en matière de politique autoroutière dans une perspective d'aménagement du territoire.
a) L'accélération de 1993 et ses conséquences sur l'organisation du " système autoroutier "
Le
comité interministériel d'aménagement du territoire,
réuni à Mende en 1993, a évoqué l'idée
d'achever le schéma directeur autoroutier en dix ans au lieu des quinze
initialement prévus. Le Premier ministre de l'époque,
M. Edouard Balladur, a confirmé ce projet.
Afin d'achever le SDRN en 2003, l'ensemble des sections inscrites au
schéma devait être mis en travaux avant l'an 2000. Compte tenu de
la situation financière fragile de certaines des sociétés
autoroutières, due notamment à l'augmentation des coûts et
des taux d'intérêt, il a été décidé,
avant de s'engager dans la voie de l'accélération, de
procéder à une réforme du financement du secteur
autoroutier.
Cette réforme, mise en oeuvre en 1994, a été
analysée par le rapporteur spécial de la commission des finances
du Sénat pour les crédits des routes et de la
sécurité routière dans son rapport sur le projet de loi de
finances pour 1996 :
*
* *
LA REFORME DU FINANCEMENT DU SECTEUR AUTOROUTIER
1. Les
raisons de la réforme : le blocage du système de
péréquation
Le réseau autoroutier concédé est géré par
sept sociétés d'économie mixte et une
société privée (COFIROUTE), auxquelles s'ajoute la
société du tunnel du Mont-Blanc(STMB).
Les sociétés d'économie mixte étaient
réunies dans le cadre d'un mécanisme de péréquation
des ressources financières géré par l'établissement
public "Autoroutes de France" qui a été créé par la
loi de finances rectificative pour 1982. ADF est géré par la
Caisse des dépôts et consignations et détenait 34 % du
capital des SEM.
Ce mécanisme consistait à faire rembourser leurs dettes (envers
l'Etat) par les sociétés excédentaires à ADF qui
rétrocédait ces sommes aux entreprises déficitaires.
Mais, au fur et à mesure du processus, les sociétés
excédentaires se sont désendettées et ont quitté le
système, laissant les sociétés déficitaires sans
refinancement.
Ainsi, en 1993, ASF, totalement désendettée, est sortie du
mécanisme. Dès lors, celui-ci ne disposait plus de ressources
suffisantes pour faire face aux besoins en trésorerie des
sociétés déficitaires. Le dispositif atteignait ainsi ses
limites, et perdait sa principale raison d'être.
Enfin, la disparition du mécanisme de péréquation a
été précipitée par le remboursement par
anticipation, dès 1994, via Autoroutes de France, de 4 milliards de
francs d'avances consenties dans le passé par l'Etat au secteur.
Dans ces conditions, la révision de l'ensemble de l'organisation et du
fonctionnement du secteur autoroutier d'économie mixte est apparue
nécessaire, d'autant plus que la disparité des situations
financières entre sociétés était appelée
à s'aggraver rapidement compte tenu des programmes chargés
déjà attribués.
2. Les trois étapes de la réforme
La réforme aura connu trois étapes :
- une recapitalisation des sociétés d'économie mixte ;
- leur réorganisation en trois pôles géographiques ;
- la mise en place de relations contractuelles avec l'Etat,
entraînant une nouvelle définition de la politique tarifaire.
a) La recapitalisation des sociétés d'économie mixte
Les six SEMCA intéressées par la réforme du secteur
autoroutier souffraient d'un handicap important : une forte
sous-capitalisation. Alors que leur chiffre d'affaires global annuel
dépassait 17 milliards de francs en 1993 et que leur endettement
était supérieur à 80 milliards de francs, leur capital
cumulé représentait moins de 28 millions de francs.
La structure du capital jusqu'à l'intervention de la réforme en
cours était globalement identique pour chacune des six SEMCA et se
présentait de la façon suivante :
- Autoroutes de France 34 %
- Caisse des Dépôts et Consignations 17 %
- Collectivités territoriales et chambres consulaires 49 %
ADF détenant quelque 950 millions de francs d'avances d'actionnaires sur
les six sociétés concernées, il a été
décidé, dans un premier temps, de transformer ces avances en
véritable capital social au cours d'une procédure d'augmentation
de capital ouverte à l'ensemble des actionnaires de chaque
société.
A l'issue de cette phase, et compte tenu de l'intérêt
limité attaché par les autres actionnaires (essentiellement les
collectivités locales) à une telle souscription, ADF s'est
trouvé détenir une majorité du capital de chaque
société généralement supérieure à 90
%. la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) devait
également suivre l'augmentation pour détenir 8,5 % du
capital des sociétés-mères.
Dans un second temps, ADF a rétrocédé à l'Etat la
moitié de ses participations dans les
sociétés-mères en contrepartie d'une réduction
à due concurrence de la dotation que détenait l'Etat au passif de
l'établissement. Ainsi, dans les sociétés-mères, la
participation de l'Etat est désormais répartie entre une
détention directe et une détention par l'intermédiaire des
établissements publics ADF et CDC.
b) La création de trois pôles géographiques
Parallèlement à la cession à l'Etat de 50 % de ses
participations dans les mères, ADF a cédé à
celles-ci la totalité de ses participations dans les filiales. De la
sorte, chaque société-mère détient au moins 95 % du
capital de sa filiale. Les groupes sont ainsi constitués :
- SAPRR avec AREA pour filiale,
- ASF avec ESCOTA pour filiale,
- SANEF avec SAPN pour filiale.
La configuration des groupes a été déterminée avec
le triple souci de maintenir un certain équilibre entre les trois
pôles (en termes d'effectifs, de longueur du réseau
exploité, de chiffre d'affaires), d'assurer la viabilité et
l'autonomie financière de chacun des pôles, et de respecter une
certaine cohérence géographique propre à faciliter des
politiques de gestion coordonnée des trafics sur les réseaux.
Ayant écarté l'idée de fusionner les différentes
SEMCA, l'Etat a tenu à conserver à chacune d'entre elles son
existence, son autonomie de gestion et son identité propre. Par
conséquent, la filialisation n'est en aucun cas synonyme de
subordination des sociétés-filles à leurs mères
respectives.
Cependant, l'une des principales raisons d'être de la réforme
ayant été de donner à chaque société les
moyens de réaliser le programme qui lui a été
confié par l'Etat, la forte intégration financière entre
mères et filles met les premières en mesure d'apporter aux
secondes des moyens de financement.
En effet, dans le cadre de chaque groupe, et dans les conditions
définies par les deux partenaires, les mères peuvent consentir
aux filles, en tant que de besoin, des avances de trésorerie à
taux très bas. Ce dispositif "interne" viendra prendre le relais du
mécanisme de péréquation "externe" existant.
La nature du rôle d'ADF est donc radicalement modifiée. Il a perdu
son rôle de péréquation financière pour devenir une
instance de concertation entre l'Etat, les collectivités locales et les
sociétés d'autoroutes sur la gestion du réseau autoroutier.
Dans ce but, son conseil d'administration a été modifié.
Il est passé de 12 à 20 personnes, l'Etat et les
collectivités locales gagnant chacun quatre administrateurs
supplémentaires. Les collectivités locales sont notamment
représentées par un administrateur désigné, pour
chacune des six SEM, par le collège des administrateurs
représentant les collectivités territoriales.
Participation d'ADF au capital des SEM
45 % |
ASF/ESCOTA,
|
49 % |
SFTRF |
c)
L'instauration de relations contractuelles de long terme entre l'Etat et le
système autoroutier
C'est la troisième étape de la réforme, et la seule qui
concerne la totalité des sociétés concessionnaires, y
compris Cofiroute,
la société française du tunnel
du Fréjus (SFTRF) et la société du Tunnel du Mont Blanc
(STMB).
Des contrats de plan passés entre l'Etat et chacun des groupes pour une
durée de cinq ans formalisent les engagements de chacune des parties
dans les principaux domaines de la politique autoroutière :
investissements et tarifs surtout, mais aussi objectifs financiers et politique
de gestion.
A partir d'une programmation nationale fixant un volume d'investissements sur
cinq ans, les contrats de plan portent sur les engagements de chaque pôle
en matière d'investissements. Les contrats comportent notamment le
montant global d'investissements et le besoin prévisionnel d'emprunts
nécessaires, compte tenu de l'autofinancement attendu. Sont
également précisés les échéanciers annuels
de dépenses sur la durée du contrat. Enfin, des engagements sont
pris sur les délais de réalisation. A partir des montants
d'investissement prévus dans les contrats de plan, les présidents
des sociétés élaborent une liste indicative des programmes
physiques à lancer pendant les cinq ans.
Sur la base des contrats de plan, le programme de lancements, de
dépenses d'investissements et d'emprunts continuent d'être
arrêté annuellement par le Gouvernement dans le cadre du Fonds de
développement économique et social (FDES), dont le rôle
sera donc moins autoritaire. Il devra en effet décider de lancements
conformes aux contrats de plan, en fonction d'une mission quinquennale et plus
seulement annuelle.
Enveloppes de lancement des contrats de plan 1995-1999
(MF 1994)
Pôle SANEF
|
A29 RN
28 - Amiens
|
6.825
|
11.120 |
|
Pôle SAPRR
|
A432
Pusignan - A43 Saint Laurent de Mure
|
2.351
|
4.911 |
|
Pôle ASF
|
A20
Brive - Montauban
|
26.504
|
31.879 |
|
COFIROUTE |
A28 Le
Mans - Tours
|
|
17.871 |
|
SFTRF |
A43 La Praz- Le Freney |
|
1.315 |
|
STMB |
A400 Annemasse - Thonon |
|
4.952 |
|
|
TOTAL 1995/1999 |
|
72.048 |
*
Concessionnaires non définitivement désignés.
3. Les conséquences de la réforme sur la politique tarifaire
Les sociétés bénéficient désormais d'une
souplesse de gestion en matière tarifaire
. Une norme moyenne
d'évolution est fixée pour chaque société, dans le
cadre des contrats. Le contrôle de l'Etat ne s'exerce plus dans le cadre
d'autorisations annuelles, mais a posteriori, par la vérification du
respect des engagements. Le nouveau dispositif tarifaire s'appuie sur les
contrats de plan, mais aussi sur les cahiers des charges des
sociétés qui sont modifiés en conséquence.
Evolutions tarifaires prévues dans les contrats de
plan
(Hausses moyennes annuelles)
|
Hausse VL |
Hausse PL |
|
|
|
Minimum |
Maximum |
ASF |
0.85 i |
0.85i = 0.5 |
0.85 + 1 |
ESCOTA |
i |
i + 0.5 |
i + 1 |
SAPRR |
1.13i |
1.13i + 0.5 |
1.13i + 1 |
AREA |
i |
i + 0.5 |
i + 1 |
SANEF |
i |
i + 0.5 |
i + 1 |
SAPN |
1.88i |
1.88i + 0.5 |
1.88i + 1 |
i =
inflation hors tabac constatée depuis la précédente
revalorisation tarifaire
VL : véhicules légers
PL : poids lourds
Ce nouveau dispositif tarifaire a nécessité une réforme de
la réglementation tarifaire entraînant une abrogation du
décret du 30 décembre 1988, qui régissait les
modalités de fixation et d'évolution des tarifs de péage.
Ce fut fait par le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995.
Article premier du décret 95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux
péages autoroutiers
" Art. 1er - Les tarifs de péage autoroutiers sont fixés
chaque année par les sociétés concessionnaires
d'autoroutes dans les conditions définies ci-après.
" Le cahier des charges de la société concessionnaire
prévu par l'article L. 122-4 du code de la voirie routière
définit les règles de fixation des tarifs de péages,
notamment les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen
servant de base aux tarifs de péages et qui tient compte de la structure
du réseau, des charges d'exploitation et des charges financières
de la société, ainsi que les possibilités de modulation de
ce tarif kilométrique moyen.
" Le contrat de plan, conclu pour une durée maximale de cinq
années renouvelable entre l'Etat et la société
concessionnaire, fixe les modalités d'évolution des tarifs de
péages pendant la période considérée.
Cette modification de la réglementation des péages tient mieux
compte du rôle nouveau qui leur est dévolu
. Ce rôle est
actuellement triple :
- financer l'achèvement du schéma directeur autoroutier, par
le remboursement des emprunts contractés pour lui ;
- imputer à l'usager le coût de l'utilisation des ouvrages ;
- mais le péage sert désormais, et de plus en plus, à
la régulation du trafic par les prix, qu'il s'agisse de gérer les
pointes de trafic (en encourageant/décourageant la circulation sur
certains tronçons) ou qu'il s'agisse d'orienter en profondeur la
structure du trafic selon les différents axes.
*
* *
b) L'insertion de la politique autoroutière dans une perspective d'aménagement du territoire
La loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire (LOADT) du 4 février 1995 a constitué un pas vers la
rationalisation des choix d'infrastructures d'aménagement du territoire
en prévoyant l'élaboration d'un schéma national
d'aménagement du territoire (SNADT) et de schémas sectoriels qui,
dans l'esprit des rédacteurs de la loi, devaient être, pour la
première fois, débattus au Parlement, sinon votés par lui.
La logique de la LOADT est celle du désenclavement, par le branchement
de l'ensemble du territoire sur les grands axes transeuropéens. Dans
cette perspective, le développement du mode autoroutier, à
travers la révision du schéma directeur et la réalisation
d'autoroutes dites " d'aménagement du territoire ",
était jugé primordial.
Une révision du schéma directeur routier national était
prévue de façon à permettre d'atteindre un objectif
fixé par l'article 17 de la loi : "
en 2015, aucune partie du
territoire français métropolitain continental ne sera
situé à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq
minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route express à deux
fois deux voies, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire
à grande vitesse
".
Ce paragraphe de la loi est aujourd'hui l'un des plus décrié par
le Gouvernement issu des élections de juin 1997. Il est jugé
irréaliste et technocratique. En réalité, la distance par
rapport à un grand axe routier est un indicateur fréquemment
rencontré dans le cadre de réflexions portant sur les liens entre
infrastructures routières et aménagement du territoire.
Il figure parmi les facteurs pris en compte par le groupe de travail
" Autoroutes " du comité des infrastructures de transport mis
en place par la Commission européenne, qui a rendu, en octobre 1994, un
rapport consacré à l'impact du réseau routier
transeuropén sur le développement spatial, régional et
économique
31(
*
)
(voir carte figurant dans
le chapitre II - A - 1.).
Les auteurs du rapport préconisent que "
toute ville
moyenne
, dont la définition varie selon le pays
concerné (40 000 habitants ou moins pour des pays comme le Portugal,
l'Irlande ou la Grèce), mais aussi en fonction de l'attractivité
particulière de ces villes (fonction commerciale, industrielle,
administrative, culturelle,...)
devrait être située à
trente minutes maximum d'un point d'entrée du réseau routier
transeuropéen
".
L'importance accordée à la distance entre un point du territoire
et une infrastructure routière connectée aux grands axes
européens reflète la conception communautaire de
l'aménagement du territoire, qui est une approche en terme de maillage
du territoire en réseau.
Le schéma directeur routier national se situe dans la lignée de
la conception communautaire de maillage du territoire. La durée
d'accès à un axe autoroutier a été prise en compte
lors du choix des tracés. Les cartes contenues dans le rapport de la
Direction des routes du ministère des transports accompagnant la
publication du schéma directeur en 1992 l'attestent, en mettant en
évidence les zones situées à plus de trente minutes d'un
grand axe à caractéristique autoroutière au début
et au terme de la réalisation du schéma directeur.
Le schéma directeur actuel ne permet pas de situer tout point du
territoire à moins de trente minutes d'une autoroute, mais il y tend
fortement. Dès lors, l'inscription de l'objectif,
légèrement assoupli, dans la loi constitue une approbation des
orientations du SDRN, dont la réalisation devient, sinon suffisante, du
moins nécessaire.
CARTE
N° 4]
DESSERTE DU RÉSEAU DU TERRITOIRE PAR LE RÉSEAU
AUTOROUTIER
4. L'état d'avancement du schéma directeur de 1992
a) Un état des lieux difficile à réaliser
Evaluer
l'état d'avancement du schéma directeur routier national est une
opération qui se heurte à plusieurs difficultés.
En premier lieu, la réforme du SDRN prévue par la loi
4 février 1995, ainsi que les annonces, non suivies d'effets,
par différents ministres de l'inscription de certains tracés au
schéma directeur, compliquent les évaluations. Ainsi, certains
tracés
32(
*
)
, ont été
annoncés et, sans être inscrits au schéma directeur, font
ou ont fait l'objet d'études et de débats publics.
A l'inverse, certaines portions d'autoroutes, très courtes, sont
réalisées sans figurer au schéma directeur. Il s'agit
principalement d'échangeurs et de raccordements. Ajoutées les
unes aux autres, ces petites réalisations contribuent à modifier
le kilométrage réalisé par rapport au kilométrage
inscrit au schéma directeur.
Enfin, le statut de certains tracés a évolué depuis 1992.
C'est le cas du viaduc de Millau, longtemps considéré comme
devant être gratuit, pour lequel la solution du péage s'impose peu
à peu. A l'inverse, la transformation de la RN 10 dans les Landes en A
63 entre Bordeaux et Bayonne sera effectuée sur crédits
budgétaires, la solution de la concession ayant finalement
été écartée.
b) Un niveau d'exécution très satisfaisant
Le SDRN
de 1992 prévoyait de doter la France de 12.120 kilomètres de
voies autoroutières ou ayant vocation à le devenir. Ces 12.120
kilomètres se répartissent en 9540 kilomètres d'autoroutes
de liaison et 2.580 kilomètres de LACRA. Une autre distinction est
envisageable, et sépare environ 9.040 kilomètres d'autoroutes
à péages de 3.080 kilomètres de voies gratuites
autoroutières ou à vocation autoroutière.
Lors de la publication, du SDRN, 6.116 kilomètres d'autoroutes restaient
à mettre en service avant d'atteindre l'objectif, 3.536 dans le cadre de
la concession et les 2 580 kilomètres de LACRA.
Les réalisations depuis 1992
Le réseau autoroutier français s'est allongé de 1 818
kilomètres depuis 1992. 1.086 kilomètres d'autoroutes à
péage et 782 d'autoroutes gratuites ont été mises en
service, soit 29,7% des sections nouvelles prévues au SDRN.
Au 1er janvier 1998, le réseau concédé s'étendait
sur 6722,776 kilomètres, 242 kilomètres de plus que
l'année précédente.
Réseau autoroutier concédé au 1/01/98
Société concessionnaire |
Kilométrage concédé |
AREA |
366,236 |
ASF |
1 913,000 |
ATMB |
106,701 |
COFIROUTE |
798,648 |
ESCOTA |
430,267 |
SANEF |
1 171,590 |
SAPN |
304,948 |
SAPRR |
1 597,599 |
SFTRF |
33,787 |
TOTAL |
6 722,776 |
S'agissant des LACRA, leur réalisation se répartissait de la manière suivante au 1er janvier 1997 :
Type de LACRA |
Kilométrage |
% du total |
Statut autoroutier |
728 |
28 |
2x2 voies |
1 283 |
50 |
En cours d'aménagement progressif |
571 |
22 |
TOTAL |
2582 |
100 |
Les
sections restant à réaliser
Aujourd'hui, 2450 kilomètres d'autoroutes concédées
inscrites au schéma directeur ne sont pas en service, et 1798
kilomètres de LACRA restent sans statut autoroutier :
Au 1er janvier 1998, il était acquis que le réseau autoroutier
serait, à terme, plus long de 1.441 kilomètres, puisque 1.046
kilomètres d'autoroutes à péage et 395 d'autoroutes
gratuites étaient en travaux. Une fois achevées, les sections
nouvelles prévues au schéma de 1992 auront été
réalisées à 53,2%. S'agissant du secteur
concédé, le taux de réalisation sera de 60,2%.
Les prévisions de mise en service d'autoroutes concédées
étant de 328,7 kilomètres en 1998, de 159 kilomètres en
1999 et 194 kilomètres en 2000, 50% des nouvelles sections seront en
service pour l'entrée dans le XXIème siècle. Le
réseau concédé s'étendra alors sur 7 404,47
kilomètres, soit 77,6% des autoroutes de liaison prévues au
schéma directeur.
Début 1998, 1 404 kilomètres d'autoroutes de liaison inscrites au
schéma directeur n'étaient ni en service, ni en travaux. Au sein
de cet ensemble :
- 833 kilomètres ont fait l'objet d'une déclaration
d'utilité publique et ont été concédés ;
- 142 kilomètres ont fait l'objet d'une déclaration
d'utilité publique mais n'ont pas de concessionnaire : il s'agit des 17
kilomètres de l'autoroute A 86 ouest en région Ile-de-France et
des 125 kilomètres de l'A 28 entre Rouen et Aleçon ;
- 429 kilomètres n'ont toujours pas fait l'objet d'une
déclaration d'utilité publique
33(
*
)
;
Par ailleurs, environ 300 kilomètres, inscrits ou non au schéma
directeur, font l'objet d'études sans que leurs tracés
définitifs éventuels aient été arrêtés.
Récapitulatif de l'état d'avancement du schéma directeur routier national
|
SDRN |
Autoroutes de liaison (en km) |
LACRA (en km) |
Km inscrits au SDRN |
12 120 |
9 540 |
2 580 |
Réseau existant en 1992 |
6 004 |
6 004 |
- |
Sections à réaliser dans le cadre du SDRN |
6 116 |
3 536 |
2 580 |
Mises en service entre 1992 et le 1/01/98 |
1 818 |
1 086 |
782 |
En travaux au 1/01/98 |
1 441 |
1 046 |
395 |
DUP+concession |
833 |
833 |
- |
DUP mais pas de concessionnaire |
142 |
142 |
- |
Pas de DUP |
429 |
429 |
- |
Au début de l'année 1998, presque 80% des autoroutes de liaison figurant au schéma directeur de 1992 étaient en service, et près de 30% des LACRA avaient acquis le statut autoroutier. Ces taux d'exécution, très satisfaisants, sont à la mesure de l'effort réalisé entre 1993 et 1997. Ils témoignent de l'efficacité du modèle autoroutier français à résorber les besoins en infrastructure dans des délais très rapprochés.
B. NATIONAL
Les
élections législatives du printemps 1997 marquent un tournant en
matière de politique autoroutière. Symboliquement, le ministre de
l'équipement et des transports a choisi, peu de temps après son
entrée en fonction le 9 juin 1997, de suspendre l'ouverture de
l'enquête d'utilité publique sur le tronçon central de
l'autoroute A 51 Grenoble-Sisteron.
Ces revirements sont légitimes en démocratie. En outre, plusieurs
nouveaux députés de la majorité de l'Assemblée
nationale avaient axés leur campagne électorale sur la remise en
cause de projets d'infrastructures dans leur région.
Les évolutions en matière de politique autoroutière se
manifestent à deux niveaux :
- le changement de climat politique permet la structuration des critiques
à l'encontre du modèle autoroutier français, aboutissant
à la mise en place d'une rhétorique nouvelle et d'un argumentaire
solide ;
- le caractère nécessaire de la réalisation du
schéma directeur n'est plus affirmé avec la même force, le
SRDN retrouvant soudain son statut de document purement consultatif.
1. La contestation du modèle autoroutier français
La structuration des différentes critiques formulées à l'encontre du modèle autoroutier français aboutit à la mise en place d'un argumentaire en quatre points :
a) Il faudrait rompre avec une " logique de l'offre "
"
L'essentiel du réseau autoroutier
français
est aujourd'hui constitué.
" Cette affirmation constitue le
point de départ de l'analyse que porte la Cour des comptes sur le
système autoroutier.
Dans le même sens, un conseiller d'Etat a pu écrire : "
le
sentiment que l'administration et le Conseil d'Etat avec celui-ci, qu'il soit
conseiller ou juge, ont mangé leur pain blanc, naît ainsi de la
raréfaction de l'espace. Compte tenu de la manière dont se
dessinent sur le territoire les activités économiques, force est
de faire passer dans le même couloir et l'autoroute et
l'élargissement de celle-ci, et la voie à grande vitesse. Les
populations qui croient avoir payé leur tribut à
l'intérêt général sont confrontées à
de nouveaux chantiers (...) il y aura bien un moment où il pourra
être nécessaire de dire que telle infrastructure n'est pas utile
ou que tel tronçon, viaduc ou tunnel, ne doit pas être
réalisé
"
34(
*
)
.
Le constat de l'arrivée à maturité du réseau
autoroutier français semble confirmé par des
éléments tangibles, tels que l'absence de congestion, les points
d'encombrement étant géographiquement circonscrits et
limités à quelques périodes de l'année. En
conséquence, l'effort devrait plutôt porter sur les liaisons
intra-urbaines, qui n'entrent pas dans le champs du schéma directeur,
réservé aux liaisons interurbaines.
Deux arguments viennent appuyer la préconisation d'une stabilisation de
l'offre autoroutière au niveau existant :
Le lien entre infrastructure autoroutière et développement
local est contesté
Le lien, aujourd'hui contesté, entre infrastructure et
développement local, est un principe fondamental de la doctrine
française et européenne de l'aménagement du territoire,
résumée ainsi par le rapport final du groupe de travail
" Autoroutes " mis en place par la Commission européenne,
daté d'octobre 1994 et consacré au financement des
infrastructures routières en Europe : la route
a
" un
impact direct sur l'économie mais également sur le
développement régional. En effet, on a montré que la route
était un facteur de développement si des mesures d'accompagnement
appropriées étaient prises. La route est également un
outil d'aménagement du territoire car elle améliore
l'accessibilité
".
Le Gouvernement issu des élections législatives de juin 1997
remet en cause ce principe. Ainsi, le ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement cite souvent l'exemple de la vallée de
Moiran-en-Montagne qui, bien que totalement enclavée, assure la
moitié de la production nationale de jouets. A l'inverse, la ville de
Dole, bien pourvue en matière d'autoroutes et disposant d'une gare TGV,
connaît un taux de chômage important.
L'impact des autoroutes sur l'activité économique serait encore
plus faible s'agissant des autoroutes concédées car, compte tenu
du péage, les points d'entrée sont moins nombreux que sur les
autoroutes gratuites. Ainsi, certaines autoroutes traversent des territoires
sans permettre aux habitant de ces régions d'en
bénéficier.
Enfin, le développement des autoroutes pourrait même avoir des
effets pervers, en transformant les régions nouvellement desservies en
banlieues des grands centres économiques.
Il faudrait tenir compte de " la demande "
Dans le cadre de la préparation du comité interministériel
d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 15
décembre 1997, la Gouvernement a demandé à l'institut
IPSOS Opinion de réaliser un sondage sur la conception de la politique
d'aménagement du territoire par les français. Les
résultats de cette enquête, "
réalisée
auprès de 959 personnes constituant un échantillon
représentatif de la population française âgée de
18 ans et plus interrogées par téléphone les 24 et 25
octobre 1997
", sont fréquemment cités par le
Gouvernement pour justifier les changements d'orientation. Ils ne sont pas
très favorables au mode autoroutier :
Les
français et l'aménagement du territoire
(enquête
IPSOS réalisée à la demande du Gouvernement en octobre
1997)
La
construction de grands équipements comme les autoroutes, les lignes TGV
à vocation européenne ou les universités arrive au dernier
rang des priorités identifiées par les personnes
interrogées
35(
*
)
, avec 24%, contre
77 % au soutien du développement économique et de l'emploi
au niveau local.
L'accroissement du réseau routier et autoroutier est jugé
prioritaire par 17 % des personnes interrogées et secondaire par
43 %, tandis que la réorientation du trafic de marchandise vers le
rail ou les voies navigables est considéré prioritaire par
50 % et secondaire par 18 % des sondés.
Enfin, l'Etat doit plutôt favoriser la construction d'équipements
de proximité (routes, dessertes locales de trains) pour 72% des
personnes interrogées, tandis que seulement 21 % se prononcent en
faveur de la construction de grands équipements tels que des autoroutes
ou des TGV.
Conforté dans ses présupposés, le Gouvernement à
décidé de rompre avec les schémas d'infrastructures tels
qu'ils étaient envisagé jusqu'ici. L'avant-projet de loi portant
réforme de la LOADT de 1995 envisage de remplacer les schémas
d'infrastructures modaux par des schémas de service multimodaux, qui
devraient permettre d'éviter la concurrence entre les modes et de
permettre un rééquilibrage au sein de l'existant, au
détriment de la route et au profit du fer.
Cette évolution est motivée par le sentiment, exprimé
devant la commission d'enquête par le ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement, que "
l'indice de satisfaction
vis-à-vis de l'élaboration de schémas d'infrastructures,
tant pour les élus demandeurs que pour les services ou les
opérateurs, est réglé sur le nombre d'infrastructures
nouvelles venant s'inscrire sur la carte. C'est la dynamique du " toujours
plus ", qui ignore fondamentalement les ressources ouvertes par une
meilleure exploitation du patrimoine existant (...) on sait bien que
l'amélioration de l'exploitation et l'optimisation du réseau
existant recèlent de potentialités considérables qu'il ne
faut pas occulter au seul bénéfice de la création de
nouvelles infrastructures
".
La philosophie du Gouvernement semble donc être celle d'un ralentissement
délibéré de la croissance des infrastructures, au profit
de la recherche d'une meilleure utilisation de l'existant.
b) Il faudrait mettre fin à une allocation absurde des ressources
L'allocation des ressources dans le cadre du système
autoroutier actuel est remise en cause à trois points de vue :
Le système autoroutier actuel aboutirait à un
surdimensionnement des investissements
Le cloisonnement entre le financement des autoroutes concédées,
financées par des emprunts gagés sur des péages, et celui
du réseau national, dépendant des crédits
budgétaires, aurait conduit à décider la construction
d'autoroutes concédées, neutres pour les finances publiques,
là où un aménagement des voies existantes aurait suffi.
Compte tenu des coûts de construction croissants des autoroutes et du
faible trafic prévu sur ces infrastructures, le financement privé
de ces liaisons à la rentabilité faible n'est possible que
grâce au mécanisme de l'adossement, qui permet à la
société concessionnaire d'une autoroute non rentable de financer
sa construction grâce à l'allongement de la concession d'une
section très profitable exploitée par elle. Or, lorsqu'un projet
privé n'est parfois même pas financé à hauteur de
50 % par ses usagers, il est permis de se demander si les limites du
système de l'adossement et de la péréquation entre les
sections exploitées par une même société ne sont pas
atteintes.
L'annulation par le Conseil d'Etat
36(
*
)
, le 28
mars 1997, de la déclaration d'utilité publique de la section de
l'autoroute A 400 entre Annemasse et Thonon, au motif qu'elle présentait
"
un intérêt limité
" et que son
coût financier au regard du trafic attendu suffisait, "
à
lui seul
", à disqualifier ce projet, doit être
interprété comme allant dans le sens de la thèse du
surdimensionnement. En outre, le commissaire du Gouvernement a
considéré que le financement de l'A 400 par les usagers, et
non par des crédits budgétaires, "
ne saurait justifier
que l'on couvre la France d'autoroutes
". Implicitement, c'est le
système de la concession avec adossement qui est ainsi remis en cause.
Le caractère d'utilité publique d'une infrastructure autoroutière selon le Conseil d'Etat, à travers l'exemple de l'A 400
La
décision du Conseil a été élaborée en
application de la méthode du bilan coût-avantage, inaugurée
en 1971 avec l'arrêt " Ville nouvelle est ".
Conformément à cette théorie, le juge administratif a tout
d'abord vérifié que le projet d'autoroute entre Annemasse et
Thonon présentait un intérêt public, avant d'analyser les
éventuels inconvénients de sa réalisation.
1. L'intérêt public de l'opération
Toute autoroute présente un intérêt public en soi du fait
de l'amélioration des conditions de circulation et de
sécurité. Toutefois, cet intérêt est inhérent
à toute liaison autoroutière, et ne saurait justifier à
lui seul un projet de cette ampleur. Le Conseil a utilisé d'autres
critères pour juger de l'intérêt de l'opération :
la connexion de l'autoroute
avec des axes de communication
internationaux : en l'espèce, le projet de connexion avec une autoroute
suisse ayant été abandonné, l'A 400 ne présentait
pas cet avantage ;
l'utilité de la liaison au regard du désenclavement
: le
Conseil avait retenu ce moyen en faveur de l'A 71 entre Bourges et
Clermont-Ferrand. Dans le cas l'A 400, le Conseil a considéré que
l'autoroute ne présentait qu'un intérêt local ;
la qualité de la desserte existante
: le Conseil a estimé
que les deux villes étaient déjà desservies par deux
trajets, de longueur inférieure ou égale à celle
prévue pour l'autoroute, comportant des deux fois deux voies et que, de
ce fait, la réalisation de l'infrastructure ne s'imposait pas.
Le Conseil a donc considéré que "
l'intérêt
que présente l'opération apparaît, dans les circonstances
de l'espèce, limité
".
2. Les inconvénients
les atteintes à l'environnement
il est arrivé au
Conseil d'Etat d'annuler un projet parce que celui-ci "
nuirait
gravement au caractère des lieux
" ou amputerait un site
protégé. Il a explicitement choisi de ne pas le faire dans le cas
de l'A 400 puisque la déclaration d'utilité publique a
été annulée "
sans qu'il y ait lieu de rechercher
si les atteintes à l'environnement seraient excessives ".
Le coût de l'opération
: les décisions
prononçant l'annulation sur la base d'un coût financier excessif
sont restées relativement rares dans la jurisprudence du Conseil.
Pourtant, s'agissant de l'A 400, "
le coût financier au regard du
trafic attendu (
10 000 véhicules jours pour un coût de 80
millions de francs le kilomètre, le coût moyen d'une autoroute de
plaine étant estimé par le commissaire du Gouvernement à
35 millions de francs le kilomètre
) doit être
regardé comme à lui seul excédant l'intérêt
de l'opération, et comme de nature à lui retirer son
caractère d'utilité publique
".
L'allocation actuelle des ressources traduirait une conception
singulière de l'aménagement du territoire
Cette critique est formulée à l'encontre du financement du
réseau routier par les contrats de plan entre l'Etat et les
région. En effet, les contrats en cours ont été
élaborés dans la perspective de consacrer plus de richesses aux
régions les moins favorisées. Mais, comme ces régions sont
celles où le trafic est le plus faible, elles ne sont pas celles qui
connaissent le plus de problèmes en matière de saturation du
réseau. Par conséquent, certains noeuds d'encombrement, tels
qu'en connaît par exemple la région Provence Alpes Côte
d'Azur, ne peuvent être résorbés faute de moyens.
La tradition consistant à baser la contractualisation sur les enveloppes
précédentes ne permettrait pas d'envisager des
redéploiements. De plus, le faible taux d'exécution du
XIème plan, par rapport aux précédents (70 % contre
plus de 90%) contribuerait à l'assèchement des ressources des
régions qui ont des besoins.
L'émergence d'un réseau à deux vitesses
Aujourd'hui, avec le renforcement des normes environnementales, les autoroutes
mises en service, à péage notamment, sont de très haute
qualité et sont sans cesse perfectionnées. Parallèlement,
les tronçons plus anciens, construits selon des normes moins exigeantes,
ne sont pas mises à niveau.
L'exemple du bruit est très révélateur. Sur certains
nouveaux tronçons, les coûts sont majorés de plusieurs
milliards de francs pour réduire les nuisances sonores de 60 à 55
décibels. Dans le même temps, les riverains d'autoroutes plus
anciennes restent soumis à 75 ou 85 décibels.
c) Le système autoroutier actuel se dirigerait vers une crise financière généralisée
La Cour
des comptes a estimé, dans son rapport public particulier de 1992
consacré à la politique routière et autoroutière de
la France, que "
le système autoroutier a été
développé en dehors de toute logique économique,
financière, juridique et comptable ; le maintien d'une organisation
aussi ambiguë n'est pas à même de garantir le
développement optimal de l'infrastructure de notre pays
".
Dès 1990, la Cour indiquait "
qu'une grave crise
financière n'est pas à exclure
".
Le point de vue, sévère, défendu par la Cour a longtemps
été isolé. Depuis les élections législatives
de 1997, il est également défendu par certaines administrations.
L'argumentaire contre le mode de financement du système autoroutier
tient en trois points :
Le système des " charges de structures différées
" constituerait un lourd handicap
Le mécanisme des charges différées constituerait un
dispositif d'incitation permanente à la construction d'autoroutes
nouvelles et à l'extension du réseau à des axes de moins
en moins rentables. Cette tendance est renforcée par le fait que
l'autonomie de gestion des sociétés autoroutières
d'économie mixte est en réalité très faible. Ces
dernières ne sont en effet pas en mesure de refuser à
l'administration la réalisation des sections pour lesquelles elles sont
pressenties.
D'un point vue comptable, ce mécanisme, qui avait une justification en
période de préexploitation des investissements, conduit à
mettre ou à retirer de l'actif des sociétés
d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes le montant des pertes
constatées. Il permet aux sociétés d'afficher
artificiellement un résultat comptable nul en toutes circonstances et
compromet la juste appréciation de la situation financière des
sociétés. En conséquence, l'Etat actionnaire ne peut
percevoir de dividendes alors qu'il assume beaucoup de risques.
Il serait donc souhaitable que les sociétés concessionnaires
évoluent vers un fonctionnement de réelles
sociétés, disposant de contraintes de fonds propres.
L'endettement des sociétés autoroutières est
jugé préoccupant
La dette contractée par les sociétés autoroutières
a augmenté de 50 % au cours des cinq dernières
années. L'encours total des prêts de la Caisse nationale des
autoroutes aux sociétés est passé de 78,7 milliards de
francs fin 1993 à 127,5 milliards de francs fin 1997.
Le poids total de la dette des sociétés d'autoroutes, capital et
intérêts, a dépassé 200 milliards de francs à
la fin de 1997 : il s'établissait à 186,1 milliards de
francs fin 1996 et à 202,5 milliards de francs fin 1997.
Cette forte augmentation est due à quatre facteurs :
l'accélération du programme autoroutier décidée en
1993, une évolution du trafic inférieure aux prévisions,
la hausse des coûts, et l'augmentation des prélèvements,
notamment de remboursement d'avances et le doublement de la taxe
d'aménagement du territoire, qui grève 10% du chiffre d'affaire
des sociétés.
L'augmentation de l'endettement du système autoroutier est
critiquée de trois points de vue :
- d'un point de vue macro-économique, l'endettement public ne se
justifie que s'il permet de procurer des avantages socio-économiques. La
rentabilité socio-économiques des nouvelles sections étant
jugée trop faible, la légitimité de la pression sur
l'épargne que constituent les emprunts des sociétés
autoroutières est mise en cause.
Toutefois, il est permis à ce stade de préciser que le
caractère d'établissement public de la Caisse nationale des
autoroutes, qui supporte l'endettement des sociétés
d'économie mixte, n'implique pas forcément que cet endettement
doive être considéré comme public. En effet, la dette des
sociétés autoroutières n'est pas comprise dans
l'endettement public au sens du traité sur l'Union européenne ;
- les paramètres essentiels sur lesquels reposent les concessions, le
trafic, les taux d'intérêts ou l'inflation, sont très
fragiles. Une surestimation, même légère, de l'un d'entre
eux peut modifier les recettes de plusieurs dizaines de milliards de francs,
mettant ainsi en péril la capacité des sociétés
à rembourser la dette ;
- le bilan comptable des sociétés concessionnaires est atypique.
Aujourd'hui, la dette est près de 130 fois plus élevée que
le montant cumulé du capital social des sociétés
d'économie mixtes. Dans le secteur privé et pour des projets de
l'ampleur d'une autoroute, la dette maximale représente ne
représente que 5 fois les capitaux investis.
Le système autoroutier comporte des " maillons
faibles "
Les sociétés autoroutières sont dans des situations
financières très diverses. La seule société
privée, Cofiroute, est en bonne santé. Il n'en va pas de
même pour l'ensemble des sociétés d'économie mixte,
en dépit des filialisations intervenues en 1994.
Deux sociétés ne sont pas en situation de rembourser leurs dette
avant le terme de leur concession. Il s'agit de la Société des
autoroutes Paris-Normandie (SAPN) et de la société du tunnel de
Fréjus (SFTRF), dans le capital de laquelle l'Etat n'est pas
majoritaire. Ces sociétés ont été mises en
difficulté par des investissements trop importants au regard de leur
taille, et dont les coûts ont dérivé (notamment la
réalisation de l'A 14 entre Orgeval et La Défense pour la SAPN).
Toutes deux ne pouvaient en effet " adosser " leurs investissements
que sur une seule section rentable, le tunnel du Fréjus pour la SFTRF et
l'A 13 pour la SAPN.
Ces deux sociétés ont été exclues du champ du
décret du 26 décembre 1997, qui a concédé
l'ensemble des sections faisant l'objet d'une déclaration
d'utilité publique favorable à la fin de 1997 et a allongé
en conséquence les concessions de chacune des sociétés
concernées.
Une troisième société pourrait rejoindre les deux
première si les paramètres de sa concession connaissaient une
modification. Il s'agit de la société ESCOTA dont, compte tenu de
l'évolution actuelle des paramètres, la dette ne serait
remboursée que quelques mois avant le terme de la concession.
D'autres sociétés connaissent des problèmes de moindre
importance. Par exemple, la SAPRR est obligée d'emprunter pour
refinancer sa trésorerie.
A la lumière de ces éléments, le président de la
septième chambre de la Cour des comptes a déclaré, devant
la commission d'enquête, que "
si le système autoroutier
n'est pas modifié et si l'extension du réseau autoroutier est
poursuivie en dehors de toute logique économique et financière,
il est clair qu'une crise financière de grande ampleur est
inéluctable, à terme, dans le secteur
".
d) Le droit communautaire rendrait nécessaire l'abandon du modèle autoroutier français
Depuis
les années 60, l'Etat français désignait les
concessionnaires de façon tout à fait libre. Avant la signature
de la concession, un concessionnaire était pressenti, de façon
à ce qu'il soit associé à la réalisation des
études.
Ce système est remis en cause par l'évolution du droit
communautaire, notamment la directive européenne dite " directive
travaux ", qui est entrée en vigueur le 22 juillet 1990, mais n'a
pas été immédiatement appliquée par la
France
37(
*
)
. A la suite de discussions avec les
institutions communautaires, la France s'est engagée à solder
avant le 31 décembre 1997 l'ensemble des concessions fondées sur
la notion de pressentiment.
Cet engagement a été respecté par le Gouvernement issu des
élections d'avril 1997, et s'est traduit par le décret du 26
décembre 1997 déjà cité. Depuis le 1er janvier
1998, aucun " pressentiment " accordé ne peut plus emporter
attribution automatique de la concession.
La mise en conformité de la France avec la directive a pris un
caractère d'urgence absolue à la suite de l'annulation par le
Conseil d'Etat de la concession de l'A 86, attribuée de gré
à gré à Cofiroute en dehors des règles
communautaires.
Le nouveau régime prévoit donc la publicité des appels
d'offre des nouvelles concessions afin de respecter les règles de la
concurrence entre les entreprises communautaires.
Cette évolution remettrait en cause le modèle français de
l'adossement, et plus précisément la pratique de l'allongement
des concessions. En effet, la Commission européenne considérerait
qu'il faille distinguer entre :
- l'adossement financier, d'une part, c'est à dire la
péréquation entre sections rentables et non rentables au sein du
réseau exploité par une même société.
Celui-ci serait compatible avec le droit communautaire ;
- l'allongement des concessions, d'autre part. Cette pratique est
assimilée à une concession nouvelle. Elle devrait donc faire
l'objet d'une mise en publicité spécifique en bonne et due forme,
et non plus être accordée à la société en
place.
La rentabilité des nouvelles sections concédées
étant très faible, l'interprétation de la directive
retenue par certaines administrations françaises équivaut
à remettre en cause les fondements du mode de financement des autoroutes
françaises.
Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement l'a
d'ailleurs confirmé devant la commission d'enquête : "
Le
droit communautaire est un droit de la concurrence. L'obligation de
publicité ne se réduit pas à une obligation de pure forme.
L'égalité des chances entre les candidats interdit qu'un candidat
puisse, à la différence des autres, faire reposer une partie du
financement de l'ouvrage à construire sur les recettes procurées
par le reste du réseau.
Le déficit éventuel lié
à une section nouvelle doit être couvert par une subvention
publique
.
"
La contestation du modèle autoroutier français repose sur des
arguments de nature politique, juridique, économique, comptable et
financière émanant des plus nobles institutions de l'Etat. Ils
appellent donc de la part de la commission d'enquête une analyse
rigoureuse. Utilisés politiquement par le Gouvernement, ils servent de
support au tournant de la politique autoroutière.
2. Le tournant de 1997
Le
changement de Gouvernement en 1997 s'accompagne d'une volonté de revoir
l'organisation du système autoroutier. Pour autant, la
réalisation du schéma directeur routier national ne fait pas
l'objet d'une remise en cause globale.
Respectant l'engagement pris par son prédécesseur, le
Gouvernement a concédé avant le 31 décembre 1997
l'ensemble des tracés faisant l'objet d'une déclaration
d'utilité publique aux concessionnaires pressentis. Depuis, des
tracés continuent à faire l'objet de déclarations
d'utilité publiques publiées au Journal officiel.
Le changement est pourtant réel. La loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire du 4
février 1995, en fixant l'objectif de situer l'ensemble du territoire
à moins de cinquante kilomètres d'une route à deux fois
deux voies ou d'une autoroute, avait implicitement approuvé le SDRN de
1992 et prévu de le compléter. Le bon niveau d'exécution
du SDRN confirme l'attachement des gouvernements de 1993-97 à la
réalisation d'infrastructures autoroutières.
En remettant en cause l'article 17 de la LOADT, le Gouvernement ne s'estime
plus lié par le schéma directeur. Celui-ci n'est plus
considéré comme un document de référence et le
Gouvernement, comme il en a le droit, se réserve la possibilité
de choisir les tracés qu'il entend réaliser.
Outre les sections bloquées pour des raisons juridiques, telles que
l'A 86 et l'A 400, et financières, dans le cas de l'A 28 entre
Rouen et Alençon, la pertinence de la réalisation de certaines
sections a été explicitement remise en cause, en raison notamment
de l'impact négatif pour l'environnement que leur réalisation
était censée comporter. Il s'agit de l'A 51 entre Grenoble et
Sisteron et de l'A 58 entre Grasse, Mandelieu et La Turbie, dont le SDRN
prévoit qu'elle est censée doubler l'A 8 lorsque celle-ci serait
saturée. Ces décisions ont un caractère ouvertement
politique, et marquent le changement de cap en matière de politique
autoroutière. En Ile-de-France, le prolongement de l'A 16 jusqu'à
la Courneuve et la réalisation de l'A 103 entre Noisy-le-Grand et
Rosny-sous-Bois ont été annulés.
Au lendemain de la suspension de l'ouverture de l'enquête
d'utilité publique de l'A 51 afin de procéder un
"
réexamen approfondi
" de l'ensemble du dossier, le
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a
écrit : "
nous avons pu donner un premier contenu à
l'idée d'un moratoire sur les autoroutes
"
38(
*
)
.
Durant la campagne électorale précédant les
élections législatives de 1997, le Premier ministre actuel
s'était engagé à ne réexaminer que les projets
n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.
Aujourd'hui, si le principe du moratoire n'est pas la position officielle du
Gouvernement, le ministre des transports et de l'équipement a
annoncé sa volonté de réexaminer les tracés au cas
par cas. Il a également fait part de ses réticences à
autoriser la réalisation de tracés à la rentabilité
financière incertaine.
C. APERÇU DE LA POLITIQUE AUTOROUTIÈRE DES AUTRES PAYS ET DE L'UNION EUROPÉENNE
1. Les divers modes de financement utilisés par les différents pays européens
Il n'existe que deux sources de financement possibles pour les infrastructures autoroutières : le contribuable et l'usager. En revanche, l'organisation du financement varie d'un pays à l'autre. Trois modèles coexistent en Europe :
a) Le régime de la concession
Deux
types de concession sont possibles :
La concession " classique " avec péage
C'est le système français. Il a également
été choisi par l'Espagne, l'Italie et le Portugal. Certains pays
ne l'utilisent que pour le financement de la construction d'ouvrages d'art,
tels que les tunnels et les ponts.
L'Espagne a opté pour la concession dans les années 60, lors de
l'apparition de besoins importants en infrastructures autoroutières, en
raison de son décollage économique. Le choix espagnol
résulte de trois considérations :
- un financement par le budget de l'Etat aurait été trop lent ;
- les différences de population et de niveau de développement
entre les régions auraient conduit certaines à être plus en
mesure que d'autres de participer au financement des projets, accentuant ainsi
les déséquilibres territoriaux ;
- le péage permet de faire participer les usagers étrangers,
touristes notamment, au financement des infrastructures.
Au milieu des années 80, la situation financière difficile du
secteur concédé a contraint l'Espagne à freiner son
expansion au profit de voies gratuites à caractéristiques
autoroutières. Le financement public est devenu majoritaire, et des
taxes spéciales, sur les carburants ou les infrastructures, ont
été instaurées.
Aujourd'hui, le réseau espagnol " à haute
capacité " s'étend sur environ 8.000 kilomètres, dont
2.000 d'autoroutes à péage, 5.000 d'autoroutes gratuites, et
1.000 kilomètres de deux fois deux voies.
Le modèle autoroutier italien est très proche du modèle
français. Le choix de la concession de réseau, comparable
à l'adossement, permet une péréquation entre autoroutes
rentables et autoroutes d'aménagement du territoire. Il est
présenté comme transformant de fait la concession
autoroutière en service public de haute qualité.
S'agissant des sections au coût très élevé et au
faible niveau de trafic, l'Etat a anticipé d'éventuelles
difficultés financières des concessionnaires en créant un
fonds de garantie, partiellement financé par le revenu des
péages. Le fonds est massivement intervenu dans les années 70, et
ces interventions ont été inscrites au débit des
sociétés, qui les remboursent progressivement.
La bienveillance de l'Etat à l'égard des concessionnaires est
attribuée au fait que c'est lui qui deviendra propriétaire des
autoroutes au terme des concessions.
L'argument le plus répandu en Europe en faveur du
péage
39(
*
)
est qu'il permet de
réaliser plus d'investissements que le seul budget de l'Etat. De plus,
le recours à la péréquation rend possible la desserte des
zones à faible trafic.
Le péage est également associé à une organisation
routière plus efficace, notamment à orienter le trafic sur le
réseau routier. Il permet également le financement des
infrastructures par l'ensemble des usagers indépendamment de leur
nationalité.
La difficulté du péage réside en son acceptabilité
sociale. S'il est aujourd'hui entré dans les moeurs sur les axes
interurbains neufs, il est encore difficile de la faire admettre sur des
liaisons actuellement gratuites, ainsi que dans les zones urbaines. Toutefois,
des études réalisées en Autriche tendraient à
montrer que la mise à péage de l'ensemble du réseau
interurbain serait réalisable.
La concession avec péage " fictif "
Ce système est principalement développé en Grande
Bretagne, sous le nom de DFBO ("
design, finance, build,
operate
"). Le principe est celui d'une concession à une
entreprise privée, qui construit et finance l'infrastructure, mais ne
perçoit pas de péage auprès des usagers, qui utilisent
l'infrastructure gratuitement. L'Etat, par l'intermédiaire de la
Highways Agency créée en 1994, rémunère le
concessionnaire pendant toute la durée de la concession en fonction du
trafic recensé et du gabarit des véhicules.
Ce système présente l'avantage d'être indolore pour
l'usager et de supprimer les coûts de perception des péages (qui
sont estimés entre 10 et 15 % des recettes). En revanche, il
maintient le principe d'un financement de l'infrastructure par la puissance
publique.
L'efficacité de ce système n'a pas convaincu le Gouvernement
britannique issu des élections de 1997, qui a annoncé son
intention de ne pas réaliser d'infrastructure autoroutière
nouvelle dans un proche avenir.
b) La création d'un fonds routier
Cette
solution a été retenue par les Pays-Bas, le Luxembourg et la
Flandre, en Belgique.
Le fonds luxembourgeois est entièrement alimenté par des
crédits budgétaires. Le fonds néerlandais perçoit
le produit de plusieurs taxes, dont la taxe sur les carburants.
L'avantage de l'affectation permet, en période d'austérité
budgétaire, de ne pas sacrifier les dépenses prévues dans
les secteurs protégés, comme les dépenses d'entretien des
routes. Toutefois, les directeurs des routes des pays
européens
40(
*
)
considèrent que la
création d'un fonds routier ne peut être utile que pour venir en
aide à une administration routière déjà
efficace.
c) Le financement par le budget de l'Etat
Ce mode
de financement est retenu, de manière quasi-exclusive, par la
majorité des pays du nord de l'Europe, tels le Danemark, la
Suède, la Finlande, l'Autriche et l'Allemagne, qui a entièrement
financé son réseau de 11 000 kilomètres par des
crédits budgétaires.
L'avantage du financement budgétaire est de permettre à l'Etat
d'assumer ses missions de solidarité et d'assurer les conditions
d'interventions d'autres sources de financement, notamment lors de la phase de
lancement de projets d'infrastructures ou en cas de risques excessifs et de
rentabilité insuffisante du financement privé. Il est donc
largement incontournable, même dans les pays qui ont majoritairement fait
le choix de la concession.
Les inconvénients du financement budgétaire sont, d'une part, la
soumission aux fluctuations des recettes fiscales et, d'autre part, la
difficulté d'une programmation rigoureuse des investissements. Ce
dernier problème se pose de manière particulièrement
aiguë au Danemark.
2. Le développement du recours au péage dans les autres pays européens
Du fait de la raréfaction des ressources budgétaires, les directeurs des routes des pays d'Europe occidentale constatent " une tendance en Europe vers la mise à péage, des mouvements significatifs vers une autonomie de gestion 41( * ) ".
a) L'évolution symbolique de l'Allemagne
L'évolution de l'Allemagne vers le système du
péage est symbolique, la gratuité du réseau allemand
étant légendaire. Cette évolution provient de la
conjonction de plusieurs facteurs : les contraintes budgétaires, le
poids de l'unification, la nécessité d'accroître le
réseau de 2.000 kilomètres, ainsi que, du fait de l'ouverture des
frontières à l'est, du développement du passage de
voyageurs traversant gratuitement l'Allemagne sans s'y arrêter.
Le 1er janvier 1995, l'Allemagne a mis en place avec le Danemark, les Pays-Bas,
la Belgique et le Luxembourg un système commun de vignette temporelle
pour autoriser l'usage de leur réseau autoroutier aux poids lourds de
plus de douze tonnes. Ce droit d'usage, plafonné à 1.250 euros
par an, donne accès au réseau des cinq pays.
A moyen terme, l'idée est d'introduire un péage
kilométrique pour tous les véhicules. Seul un péage
électronique permettra cette évolution car le réseau
autoroutier allemand est très maillé, avec de très
nombreuses entrées/sorties et des volumes de trafic importants.
Parallèlement, le Gouvernement allemand étudie les
modalités d'un financement privé de la construction, l'entretien
et l'exploitation des autoroutes. Une loi sur la construction et le financement
privé de routes fédérales existe déjà depuis
1994.
b) Une généralisation progressive
La
Grande Bretagne a choisi de financer ses infrastructures autoroutières
selon la méthode du péage fictif. Néanmoins, depuis 1991,
le " New Roads ans Streetworks Act " autorise la mise à
péage des nouvelles infrastructures. Le Gouvernement britannique a par
ailleurs, en 1993, fait part de son intention d'introduire le péage
électronique dès que la technologie sera suffisamment fiable.
En Autriche, une loi de 1991 autorise la privatisation des voies et
l'élargissement du réseau à péage. Il est possible,
par décret, de transformer toutes les routes fédérales,
même celles actuellement gratuites, en routes à péage.
En Irlande, la responsabilité du développement du réseau
routier national a été transférée en 1994 à
une Agence nationale des routes (NRA), qui a le pouvoir de lever des
péages. L'Agence est également chargée de recenser les
routes nationales susceptibles d'être mises à péage. Les
recettes dégagées viennent s'ajouter aux crédits
budgétaires. La volonté de développer l'investissement
privé basé sur le péage conduit à une mise en
concurrence de chaque concession et de la construction de chaque route à
péage. En outre, la loi prévoit que les capitaux privés
devront représenter au moins 20 % du coût total de chaque
opération.
La Suède, où le financement des routes par le budget de l'Etat a
toujours été revendiqué, prévoit la mise à
péage d'ouvrages d'art, de ponts notamment, et l'introduction du
péage urbain à Stockholm et Gotteborg.
II. UNE REMISE EN CAUSE REPOSANT SUR DES FONDEMENTS DOUTEUX
La
remise en cause du schéma directeur routier national met en avant des
arguments sérieux, d'ordre
écologique
, liés
à la
réglementation
européenne
, ou relatifs
aux
obstacles financiers
.
Ces difficultés ne doivent pas être négligées.
Pourtant, toutes peuvent être résolues, et aucune ne peut
justifier que l'équipement autoroutier national ne soit pas
achevé. Leur apparente révélation vient à point
nommé pour dissimuler les erreurs du passé.
A. L'ARGUMENTATION ÉCOLOGIQUE : RÉALITÉ OU IDÉOLOGIE ?
Trois types d'arguments écologiques sont mis en avant pour justifier l'interruption de la mise en oeuvre du schéma directeur routier national : la saturation du pays en voies autoroutières, la protection des sites, la protection des riverains. Le premier argument est inexact. Les deux autres sont réels, mais des solutions peuvent leur être apportées.
1. La France n'est pas suréquipée en autoroutes
Au
fondement de la politique gouvernementale se trouve l'affirmation selon
laquelle la France aurait atteint un niveau d'équipement autoroutier
suffisant. Cette affirmation n'est pas exacte, pour une raison simple : le
développement économique s'accompagne de besoins accrus en
déplacements routiers. Ceci est particulièrement vrai du trafic
routier de marchandises dont le taux de croissance en Europe reste toujours
supérieur à celui du produit intérieur brut.
Un modèle de développement différent, s'il se
révélera peut-être un jour, n'est pas encore
d'actualité. Dans un contexte de retour de la croissance, la question du
niveau d'équipement routier est d'autant plus cruciale que celui de la
France n'a pas accompagné le développement de la mobilité
des personnes et des biens au cours des dernières décennies :
entre 1980 et 1997, la superficie autoroutière a cru d'environ 25%
tandis que le trafic routier augmentait de 60%
42(
*
)
.
a) Les comparaisons européennes ne démontrent pas un suréquipement de la France
La carte
d'Eurostat servant de document de travail pour les schémas
transeuropéens de transport démontre un
net
sous-équipement de la France à l'ouest d'une ligne Le Havre -
Montpellier.
Ce sous-équipement est manifeste par rapport à
l'Europe du nord et à l'Italie.
La commission d'enquête constate d'ailleurs que la Commission
européenne utilise le critère de l'éloignement d'une
demi-heure d'une autoroute ou d'une route à 2 x 2 voies
pour caractériser l'équipement autoroutier de l'Europe. Ce
critère est également utilisé par le schéma
directeur routier national de 1992, paru sous un Gouvernement qui
n'était pas celui à l'origine de la loi d'orientation de 1995.
Or ce critère est brocardé comme insignifiant par le Gouvernement
actuel, comme s'il avait été inventé par les promoteurs de
la loi d'orientation.
CARTE
N° 5
STATISTIQUES DE TRANSPORT
En
niveau absolu de kilomètres d'autoroutes, la France est au
troisième rang des pays de l'Union européenne.
Toutefois, elle se situe au septième rang de l'Europe des quinze du
point de vue de la densité autoroutière par habitant, et au
neuvième rang du point de vue de cette densité par rapport
à la superficie du territoire.
Réseaux Autoroutiers Européens en 1995
Pays de l'UE |
Autoroutes |
Population |
Surface |
Densité AR |
Densité AR |
Unités |
km |
million d'habitants |
1.000 km² |
km/million d'hab. |
Km/ km² |
Irlande |
72 |
3,6 |
70,3 |
20,0 |
1,0 |
Grèce |
420 |
10,5 |
131,9 |
40,0 |
3,2 |
Grande-Bretagne |
3 308 |
58,6 |
230,0 |
56,5 |
14,4 |
Portugal |
687 |
9,9 |
88,9 |
69,4 |
7,7 |
Finlande |
394 |
5,1 |
338,0 |
77,3 |
1,2 |
Allemagne |
11 190 |
81,7 |
357,0 |
137,0 |
31,3 |
France |
8 275 |
58,1 |
551,0 |
142,4 |
15,0 |
Pays-Bas |
2 208 |
15,5 |
41,2 |
142,5 |
53,6 |
Suède |
1 262 |
8,8 |
411,1 |
143,4 |
3,1 |
Italie |
8 860 |
57,3 |
301,3 |
154,6 |
29,4 |
Danemark |
830 |
5,2 |
43,0 |
159,6 |
19,3 |
Belgique |
1 666 |
10,1 |
30,5 |
165,0 |
54,6 |
Autriche |
1 596 |
8 |
83,9 |
199,5 |
19,0 |
Espagne |
8 133 |
39,2 |
504,7 |
207,5 |
16,1 |
Luxembourg |
123 |
0,4 |
2,6 |
307,5 |
47,7 |
Moyenne UE |
49 024 |
372,1 |
3.337,0 |
131,7 |
14,7 |
Source : Direction des routes.
Cette situation est le reflet du rang de la France au regard de plusieurs
facteurs : il s'agit d'un grand pays, à la densité
(habitants/surface) parmi les plus faibles d'Europe. Si on compare cette
densité autoroutière au niveau de développement du pays,
exprimé en produit intérieur brut par habitant, on constate que
la France est relativement sous-équipée : selon l'OCDE, elle
se situe en effet au cinquième rang des quinze sous ce critère.
On remarque, d'ailleurs fort logiquement, que les pays qui
précèdent la France en niveau de PIB/habitant, la
précèdent également en densité autoroutière.
C'est le cas du Luxembourg, de l'Autriche, du Danemark au regard du
critère de population, et de ces trois pays auxquels s'ajoute
l'Allemagne au regard du critère de superficie.
Dans un article publié en novembre 1997
43(
*
)
, le délégué à
l'aménagement du territoire a contesté cette analyse,
considérant, en utilisant une pondération du niveau
d'équipement par la densité de population, que le degré
d'équipement de la France était suffisant (données
1996).
|
Densité de
population
|
Densité autoroutière pondérée par la densité de population |
Densité routière pondérée par la densité de population |
France |
106 |
15 |
1.670 |
Allemagne |
229 |
14 |
815 |
Royaume-Uni |
239 |
7 |
696 |
Pays-Bas |
372 |
15 |
720 |
Italie |
191 |
12 |
550 |
Autriche |
96 |
21 |
1 458 |
Belgique/Luxembourg |
318 |
17 |
1 382 |
Suisse |
170 |
23 |
1 048 |
Portugal |
107 |
6 |
712 |
Union européenne moyenne |
114 |
10 |
863 |
Le
délégué explique ainsi que le niveau d'équipement
de la France est nettement supérieur à celui de la moyenne des
pays de l'Union, ce qui est exact.
Toutefois, son argumentation n'est pas convaincante :
-
au regard de son niveau de développement, il est normal que la
France soit mieux équipée que l'Irlande, la Grèce, le
Portugal et même l'Italie ;
-
même au regard du critère développé
par le délégué (densité autoroutière
pondérée par la densité de population), la France ne se
situe guère qu'en milieu de tableau, comme au regard de critères
plus simples ;
-
le critère le plus pertinent est celui de la
densité superficiaire. Le critère de densité par habitant
n'a en effet guère de signification. Dans un pays densément
peuplé, la largeur des autoroutes a plus d'importance pour le trafic que
leur longueur, nécessairement limitée par l'exiguïté
du territoire. Ainsi, les Pays-Bas, qui ont une densité
autoroutière par habitant égale à celle de la France, ont
une densité superficiaire plus de trois fois
supérieure.
b) Il y a contradiction entre les souhaits exprimés par les Français et leurs besoins réels
Les
travaux effectués à l'appui du CIAT tenu le 17
décembre dernier démontraient que la préférence des
Français s'établit désormais nettement en faveur des
équipements de proximité plutôt que des grandes
infrastructures, de type autoroute ou TGV.
Parmi les mesures importantes en termes d'aménagement du territoire,
l'accroissement du réseau routier arrivait en huitième et
dernière position, 39% des sondés jugeant cet objectif important
mais pas prioritaire, tandis que 43% l'estimaient secondaire. 72% se
déclaraient favorables à la construction d'équipements de
proximité contre 21% de partisans de grands équipements routiers
ou ferroviaires.
Toutefois, les évolutions récentes ainsi que les études
prospectives démontrent que les besoins réellement
exprimés vont à l'encontre de ces intentions.
Ainsi, à partir de 1986, le trafic sur le réseau routier national
s'est mis à progresser sur un rythme nettement supérieur à
celui de l'augmentation de la taille du réseau
44(
*
)
.
Par ailleurs, les études menées par la direction des routes
montrent que le trafic routier continuera à se développer
fortement, entre 2 et 3,3% par an d'ici à 2015, selon les cas de figure.
Même avec une politique d'intermodalité très volontariste
et appuyée en faveur du réseau ferroviaire et du réseau
fluvial -politique qui aurait le soutien de la commission d'enquête- il
sera nécessaire d'accueillir dans les années à venir
nettement plus de trafic routier que sur les autres modes.
[GRAPHIQUES C. LEYRIT]
Evolution du interurbain de voyageurs
En
outre, le développement des télécommunications, en
particulier des nouvelles technologies de l'information, s'accompagnera
vraisemblablement de besoins accrus en déplacements physiques de
personnes, et surtout de biens. Concrètement, le développement du
commerce mondial, lié à celui du commerce électronique,
rendra de plus en plus nécessaire l'existence d'infrastructures
permettant d'acheminer les produits dans des délais rapprochés.
On peut déplorer ce hiatus entre les
désirs
des
Français et leurs
besoins
. Mais, on ne peut le nier. Seule une
récession économique d'une extrême gravité pourrait
aujourd'hui entraver le développement du trafic routier. Par
conséquent, il sera nécessaire d'accompagner ce
développement par des infrastructures nouvelles.
c) L'intermodalité va de pair avec le développement de la route
Les
Etats d'influence germanique (Allemagne, Autriche, mais aussi Suisse ou
Luxembourg) sont ceux où le trafic routier et le réseau
autoroutier sont les plus développés, et où dans le
même temps les préoccupations écologiques sont les plus
grandes.
Aussi ces pays ont-ils développé une politique très
volontariste de développement du rail, et dans une moindre mesure, des
voies navigables.
Ainsi, en Autriche, le rail absorbe 36,2 % du trafic marchandises. En
Allemagne, le rail absorbe 16,6 % du trafic marchandises, et la voie
fluviale 15,2 %. La France compte 63,4 % de fret routier, soit beaucoup
plus que l'Autriche (40,9 %) ou la Suisse, et presque autant que
l'Allemagne (64,4 %).
On sait que, de son côté, la Suisse a développé une
politique ferroviaire contraignante, obligeant les poids lourds en transit
à traverser le pays en train, et décidant, par votation
populaire, la construction de deux tunnels ferroviaires de plus de 100 km
de long au total, pour un coût supérieur à
15 milliards d'euros.
Une comparaison intéressante peut également être
établie avec les Pays-Bas. Champions incontestés du transport de
fret par voie d'eau et du transport urbain à bicyclette, les Pays-Bas
sont également couverts d'autoroutes. Il faudrait à la France
près de 30.000 km d'autoroutes pour ressembler au pays des fleurs
sous cet aspect !
Tous ces Etats sont nettement mieux équipés que la France en
autoroutes.
Il n'y a donc aucune incompatibilité entre une politique
de développement durable, donnant sa préférence au
réseau ferroviaire ou à la voie d'eau et un niveau
d'équipement élevé du réseau autoroutier.
Ceci
tient essentiellement à deux raisons : la croissance
économique s'accompagne d'un besoin accru de transport, mais les
différents modes -qui peuvent être complémentaires (c'est
l'intermodalité)- ne sont que très partiellement substituables.
La France est simplement un pays moins riche que l'Allemagne, l'Autriche ou la
Suisse. On ne peut à la fois souhaiter un retour durable de la
croissance économique et se refuser les équipements autoroutiers
qui lui sont corrélatifs.
Il n'est pas nécessaire que la commission d'enquête se prononce
sur le point de savoir si l'autoroute génère le
développement ou si le développement génère
l'autoroute
45(
*
)
. Il n'y a simplement pas de
développement sans autoroutes.
2. Les autoroutes ont aussi leur intérêt écologique
Les
autoroutes, plus particulièrement les autoroutes concédées
à péage, peuvent présenter un certain intérêt
écologique, non bien sûr par rapport aux autres modes de
transports, mais surtout par rapport aux routes urbaines ou interurbaines
classiques.
L'autoroute est en effet une infrastructure plus sûre. Et le péage
permet de réguler le trafic.
a) L'autoroute est une infrastructure plus sûre
Du point
de vue de la sécurité, l'autoroute ne se compare pas
favorablement au train ou à l'avion. Mais, la commission d'enquête
ne soutient nullement l'idée qu'il faille favoriser le transport routier
par rapport à ces deux modes.
En revanche, elle soutient qu'il faut le plus possible achever le maillage
du territoire en substituant aux routes nationales interurbaines un
véritable réseau autoroutier.
A l'appui du récent projet de loi relatif à la
sécurité routière
46(
*
)
, le
Gouvernement s'est fixé pour objectif de réduire la
mortalité routière de moitié en cinq ans, soit un rythme
deux à trois fois plus rapide que la tendance actuelle.
La commission d'enquête approuve cet objectif, et rappelle ce
constat : les autoroutes sont des infrastructures plus sûres, et une
des manières d'atteindre l'objectif gouvernemental est de concentrer le
transport routier sur les autoroutes.
Sur les 8.000 tués de la route déplorés chaque
année, 300 le sont sur autoroutes (soit moins de 4 %), alors que
celles-ci concentrent 18 % du trafic
47(
*
)
.
Les autoroutes présentent donc des avantages non négligeables en termes de santé publique.
b) Le péage permet de réguler le trafic et favorise la multimodalité
Le
transport par route est plus polluant que le transport ferroviaire,
particulièrement en ville. Or, la pollution est d'autant plus forte que
le trafic est plus congestionné.
Le recours à l'autoroute à péage est le moyen le plus
efficace de limiter ce phénomène de congestion. Le péage
est en effet devenu un moyen de dissuader les usagers d'emprunter la route aux
heures les plus chargées.
Les expériences de modulation des tarifs
Pour
permettre la régulation des flux de trafic par le péage, une
modulation des tarifs dans l'espace ou dans le temps est progressivement mise
en oeuvre, comme l'a suggéré l'une des conclusions du
débat national sur les infrastructures de transport, animé par
M. Carrère en 1992. Elle est poursuivie selon deux approches :
- dans une optique de gestion à long terme des trafics, par une mise en
oeuvre de hausses annuelles de péage différenciées selon
les axes pour inciter à l'utilisation des itinéraires alternatifs
et décharger les axes plus anciens ;
- par ailleurs, plusieurs expériences sont menées pour tenter
d'atténuer des phénomènes de pointes de trafic.
Modulations horaires
a) A1 Lille - Paris (SANEF)
Appliquée depuis le 26 avril 1992 aux retours sur Paris le
dimanche, elle est constituée d'heures vertes (14 h 30
- 16 h 30 et 20 h 30-23 h 30) avec une
réduction de 25 % du tarif normal. Grâce à cette
modulation, environ 10 % des automobilistes (soit en moyenne
2.000 véhicules par jour pendant les quatre heures de tarifs rouges
chaque week-end) qui circulaient aux heures de pointes ont décalé
leur voyage vers d'autres horaires. Ceci suffit à écrêter
la pointe du trafic qui se produit traditionnellement à 19 heures.
Les retours sur Paris sont donc bien étalés grâce à
cette modulation.
b) Sur le réseau AREA
L'opération " Destination neige-heures bleues " conduite lors
des hivers 1993-1994 et 1994-1995 visait à inciter les habitants de la
région Rhône-Alpes à partir tôt le matin ou tard le
soir en direction des stations, pendant les " heures bleues "
(5 heures - 7 heures et 19 heures - 21 heures) afin
d'éviter les encombrements des samedis de vacances de sports d'hiver.
L'opération, fondée sur la remise de cadeaux aux automobilistes
pendant ces périodes bleues en 1994 a été un succès
et reconduite en 1995, 1996 et 1997 avec distribution de tickets retours
gratuits.
c) A10 - A11 (Cofiroute)
Du 24 mars au 25 novembre 1996, Cofiroute a appliqué une
modulation tarifaire le dimanche, pour les retours de week-ends aux abords de
Paris. Elle concernait toutes les classes de véhicules et s'appliquait
du dimanche 9 heures au lundi 3 heures, avec quatre tarifs
différents sur 24 heures. Les tarifs s'échelonnaient de
- 35 % à + 25 %.
Malgré quelques difficultés de démarrage, liées
notamment à une certaine complexité de l'opération et
à un déficit d'information, 8 à 12 % du trafic s'est
déporté de la période rouge et les conditions de
circulation ont été nettement améliorées avec une
réduction des bouchons de plus de la moitié tant sur le
réseau Cofiroute que sur les infrastructures en aval.
Pour des raisons d'équilibre financier, l'opération n'a toutefois
pas été reconduite en 1997.
Modulations d'itinéraires
a) A1/A26 (SANEF et SAPRR)
Une modulation de péage a été mise en place afin d'inciter
les usagers provenant du Nord et allant vers le Sud à utiliser
l'itinéraire alternatif A26 - A5 - A31 plutôt
que l'axe A1 -A6. Lors des week-ends de grands départs pendant
l'été 1993 et au cours de l'été 1994, les
tarifs ont été sensiblement réduits sur A26
(- 30 francs) et légèrement augmentés sur A1
(+ 9 francs).
L'itinéraire par A26 est désormais bien connu des usagers pour
éviter la région parisienne. Une modulation tarifaire n'est plus
opportune compte tenu des risques de congestion sur l'A31 au sud de Langres qui
entacheraient la crédibilité de l'opération de modulation.
C'est pourquoi cette opération a été abandonnée en
1995.
b) A5 - A6 (SAPRR)
Une modulation de péage a été appliquée pour les
week-ends de grands départs de la région parisienne vers les
stations de sports d'hiver afin de reporter une partie du trafic d'A6 sur A5.
La différence de tarif de l'ordre de 50 francs en faveur de l'A5
permet de compenser un trajet un peu plus long (70 kilomètres en
moyenne).
L'opération menée pour la première fois en février
1995 s'est bien déroulée et a obtenu des taux de report d'A6 vers
A5 de l'ordre de 15 % et une réduction sensible des bouchons sur A6.
La modulation n'a pas été reconduite pour les départs des
vacances de Pâques 1995 en raison des risques d'encombrement sur
l'A31 (section Langres - Dijon) mais a été
réalisée dans le sens des retours le 1er mai. Ces retours se
sont bien déroulés puisque 13 % du trafic longue distance a
emprunté l'A5 pendant la période de modulation à comparer
aux 2 à 4 % les week-ends de retour non modulés.
L'opération a été reconduite en 1996 pour les vacances
d'hiver. Les taux de report ont été du même niveau.
A la différence de l'année précédente, aucune
modulation tarifaire n'a été appliquée pour les vacances
de Pâques 1997, les estimations de trafic ne la justifiant pas.
L'opération a été renouvelée en
février 1997 mais devait être abandonnée à la
fin de l'année avec la mise en service du barreau autoroutier A19 entre
Sens et Courtenay qui réalise un raccordement entre l'A5 et l'A6 au sud
de Paris, ne permettant plus de distinguer l'itinéraire suivi par les
véhicules en amont du péage.
Contrairement aux autres infrastructures routières, les autoroutes
à péages sont donc les plus respectueuses de l'environnement. En
jouant un rôle dissuasif, le péage est l'allié objectif de
la plurimodalité : il restitue au train sa
compétitivité sur les longues distances.
Les défenseurs de l'environnement sont souvent hostiles au péage.
Cette attitude est contradictoire. Le meilleur moyen de répartir
harmonieusement les usagers entre les différentes infrastructures est de
les tarifer -toutes- à leur juste prix, selon une théorie
développée au sein de l'Union européenne, et qui a
trouvé à s'appliquer en France sur le rail avec la
création de Réseau ferré de France.
3. La plupart des obstacles environnementaux ont leur solution technique
Depuis
quelques années, la contestation des riverains d'infrastructures
autoroutières à construire s'est développée. Ce fut
le cas notamment en Ile-de-France, au sujet des chantiers de l'A14 (Orgeval-La
Défense), l'A86 (notamment le bouclage Ouest), l'A16 (L'Isle-Adam/Paris)
ou l'A104 (La Francilienne).
Par ailleurs, des lois de protection de l'environnement ont été
votées, notamment la loi sur l'eau, puis la loi sur l'air. Outre le
respect de ces textes, les concessionnaires d'autoroutes doivent
désormais consacrer 1 % du coût kilométrique au
paysage, pour aménager et boiser les abords des autoroutes.
Ces contraintes ont entraîné une forte augmentation du coût
de construction des autoroutes. Celui-ci, qui avait diminué de 30 %
en volume de 1963 à 1983, a augmenté de 50 % depuis.
En atteignant des sommets, comme sur l'A14 ou sur l'A86-Ouest, il est toujours
possible de respecter totalement l'environnement par des couvertures
intégrales ou partielles (A14) ou par des tunnels (A86). La direction
des routes a engagé un recensement des ouvrages les plus bruyants, qui
sont progressivement équipés de dispositifs anti-bruit.
Le
tunnel prévu pour les voitures particulières sur l'A86 - Ouest
[INSERER COUPE 1/2 page]
Bien entendu, ces coûts d'insertion dans l'environnement ne peuvent devenir supportables qu'en établissant un péage. L'autoroute à péage la plus chère sera toujours mieux insérée dans l'environnement qu'une route aux normes habituelles dans les années 70. De ce point de vue, les contraintes écologiques nécessiteraient d'accroître considérablement les efforts d'équipement autoroutier.
B. LES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DU SECTEUR CONCÉDÉ : VÉRITÉ OU ERREURS
L'obstacle majeur à l'achèvement du programme
autoroutier serait la situation financière des sociétés
concessionnaires d'autoroutes.
Les travaux de la commission d'enquête n'ont cependant pas
établi que le système concédé fût
déséquilibré sur un plan global.
Certaines sociétés sont certes en graves difficultés, et
des dysfonctionnements manifestes existent, ainsi que l'a établi la Cour
des comptes. La tutelle du système est ici en cause.
Mais on ne peut
à la fois ponctionner 30 % des recettes de péages, affirmer
que les facilités financières du système favorisent la
construction d'équipements non rentables et prétendre que le
système est au bord de la faillite
.
1. Un système globalement équilibré
L'équilibre global du système peut se
déduire
du niveau moyen de trafic sur l'ensemble du réseau autoroutier
concédé. En effet, le trafic moyen, de 25.000
véhicules/jour sur le réseau, couvre quatre à
cinq fois les dépenses d'exploitation courantes et permet le
remboursement des emprunts. Par conséquent, si certaines sections sont
rentables et d'autres pas, globalement, le système est
équilibré.
Cette considération intuitive est vérifiée par l'analyse
de la situation financière du système autoroutier.
a) L'équilibre global des sociétés concessionnaires
Le
secteur autoroutier concédé est certes endetté de
près de six fois son chiffre d'affaires, et les perspectives à
programme inchangé démontrent une progression très rapide
de cet endettement dans les années à venir.
Fin 1996, l'endettement de l'ensemble des sociétés
s'élève à 130 milliards de francs. Fin 1997, pour les
seules sociétés d'économie mixte, l'endettement atteint
120,5 milliards de francs. En comptant les intérêts, la dette
totale (Cofiroute compris) s'élève à 202,5 milliards de
francs selon la Cour des comptes.
Au terme des contrats de plan actuellement en cours (2002), la dette des six
principales SEM s'élèverait à 160 milliards de francs.
Toutefois, dans l'hypothèse la plus défavorable, celle où
la taxe d'aménagement du territoire alimentant le fonds d'investissement
des transports terrestres et des voies navigables n'aurait pas
été compensée par les tarifs de péage (ce qui n'a
pas été la solution retenue), l'endettement des SEM atteindrait
192 milliards de francs en 2005, et décroîtrait ensuite.
Endettement des SEM
Malgré le poids très important de leur endettement, la situation financière des sociétés concessionnaires d'autoroute n'est pas assimilable à celle de la SNCF, car la structure de leur compte d'exploitation est très différente. Seule les charges de construction sont réellement importantes. Les autres charges, en particulier le fonctionnement et le personnel sont proportionnellement très faibles.
Tableau des flux financiers 1997 des
sociétés
d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes
(millions de francs)
Excédent brut d'exploitation |
14 368 |
Excédent de trésorerie d'exploitation |
13 888 |
Disponible après emplois obligatoires |
184 |
Investissements |
16 442 |
Besoin de financement après investissements |
- 17 812 |
Emprunts nouveaux |
17 733 |
Trésorerie nette au 31/12 |
+ 95 |
Dette MLT au 31/12 |
133 739 |
Source : Direction des routes
Ainsi, pour un chiffre d'affaires de 23,7 milliards de francs en 1997, les
sociétés d'économie mixte dégagent un
excédent brut d'exploitation de 14,4 milliards de francs, et une
capacité d'autofinancement de 6,3 milliards de francs. Par comparaison,
la SNCF a réalisé un excédent brut d'exploitation de
6,7 milliards de francs pour un chiffre d'affaires de 74,2 milliards
de francs. Par ailleurs, alors que les contribuables doivent réaliser un
effort annuel de l'ordre de 60 milliards de francs pour les chemins de fer
(SNCF et RFF), les sociétés d'autoroutes
rétrocèdent chaque année environ 8 milliards de
francs à la collectivité.
Structure simplifiée du compte de résultat des sociétés d'autoroutes (1996)
Produits |
en milliards de francs |
en % |
Charges |
en milliards de francs |
en % |
Péages |
25,9 |
97 |
Construction |
11,9 |
46 |
Autres |
0,8 |
3 |
Exploitation |
4,7 |
18 |
|
|
|
Grosses réparations |
1,3 |
5 |
|
|
|
Impôts et taxes |
6,0 |
23 |
|
|
|
Rémanence de TVA sur la construction |
2,1 |
8 |
Source : ASFA
L'équilibre des concessions étant défini comme la
capacité à rembourser les dettes deux ans avant en fin des
concessions, les prévisions actuelles laissent penser que cet objectif
sera atteint d'une façon générale
48(
*
)
.
Jusqu'à maintenant, le péage a fait la preuve qu'il constitue un
système structurellement équilibré : il est capable de
rembourser la dette contractée pour financer la construction et de
dégager un résultat d'exploitation.
Sur la base d'hypothèses prudentes, à savoir une augmentation du
trafic de 1,5 % à 2,5 % par an selon les sociétés (il ne
faut plus compter sur des augmentations annuelles de 10 %) et une augmentation
des tarifs calquée sur l'inflation, l'ensemble du système peut
avoir remboursé sa dette en 2019. A condition toutefois qu'aucun
élément exogène ne viennent perturber cet équilibre
(taxes nouvelles, modifications des concessions, etc...).
Cette analyse a été confirmée lors de la dernière
réunion du conseil de direction du comité des investissements
à caractère économique et social (comité
spécialisé autoroutes, le 27 octobre 1997). Il y fut
confirmé le caractère globalement tenable de la situation
financière du système, mais avec des contrastes par
sociétés :
Le ratio des dettes rapportées à la capacité
d'autofinancement, qui mesure la capacité d'endettement des
sociétés, s'établit à 21,4 pour l'ensemble du
secteur, ce qui reste admissible, compte tenu de la spécificité
de la structure financière des sociétés concessionnaires
qui doit s'apprécier sur une longue durée. Ce ratio est à
comparer à la durée résiduelle des concessions.
Là encore, la situation apparaît contrastée selon les
sociétés, certaines devant recourir massivement à
l'emprunt, telles que la SAPN, la SFTRF et, dans une moindre mesure, la SAPRR.
Le ratio des frais financiers rapportés à la marge
dégagée par le cycle d'exploitation, qui mesure le poids de la
structure financière dans l'activité des sociétés
concessionnaires, reste élevé (...). L'examen de ce ratio par
société confirme la situation tendue de la SAPN et, dans une
moindre mesure, de la SAPRR et d'AREA.
La réalisation à terme de l'équilibre repose sur
l'acceptation par les usagers du paiement d'un péage, non plus seulement
destiné à amortir la construction, mais aussi à financer
le service rendu sur les sections concédées. Cette acceptation
est aujourd'hui acquise : le chiffre d'affaires croissant des
différentes sociétés montre que les voyageurs et
transporteurs acceptent de payer pour utiliser des sections amorties, alors
qu'il ont toujours le choix d'emprunter des voies gratuites.
Il est donc impératif de maintenir l'attrait de cette clientèle
non captive pour parvenir à achever le maillage autoroutier du
territoire.
b) La nécessité de tenir compte des bénéfices externes retirés par la collectivité
Du point
de vue de l'équilibre financier pur, la commission d'enquête ne
s'est pas vu confirmer que le système autoroutier concédé
fût hors d'état d'achever le schéma directeur.
Mais elle considère en outre qu'il est nécessaire de tenir
davantage compte de la rentabilité socio-économique, et non de la
seule rentabilité financière, dans des choix d'infrastructures
qui restent des choix de service public et d'aménagement du
territoire.
Ce critère était recommandé par le rapport
du Commissariat général du plan de 1996
49(
*
)
.
Or il semble que le Gouvernement fasse actuellement plus de cas de la seule
rentabilité financière que de l'ensemble des retombées
socio-économiques, notamment la desserte du territoire, l'impact sur le
développement économique régional, et le trafic
international.
Parmi ces gains pour la collectivité, quantifiables en termes
financiers, il en est un particulièrement appréciable :
l'amélioration de la sécurité routière. L'autoroute
est quatre fois plus sûre que la route. La direction de la
sécurité et de la circulation routières a estimé le
coût pour la collectivité des accidents et des tués de la
route. Il faut aussi en tenir compte.
Coût d'un tué pour la collectivité
Pays |
Coût en millions de francs |
Royaume-Uni |
7,8 |
Allemagne |
4,7 |
Danemark |
3,7 |
France |
3,4 |
Belgique |
3,0 |
Portugal |
2,8 |
Luxembourg |
2,6 |
Espagne |
1,4 |
Pays-Bas |
0,8 |
Source : DSCR
Ainsi, lorsqu'on remplace une 2 x 2 voies classique sur laquelle vingt
personnes meurent chaque année, non seulement le nombre de tués
passe à huit, mais ce bon résultat s'accompagne d'un gain de
41 millions de francs pour la collectivité.
c) Deux discours contradictoires
Le
rapport du commissariat au plan précédemment cité,
publié il y a deux ans à peine, et qui réunissait tout
l'aréopage administratif concerné par les infrastructures,
notamment autoroutières, s'inquiétait que la facilité
financière permise par le recours à la concession n'occasionne la
multiplication d'autoroutes non rentables
50(
*
)
.
La commission d'enquête peut prendre acte de ce risque, tout en
considérant pour sa part qu'il n'y a pas lieu de renoncer à un
système de cette nature lorsque l'aménagement du territoire,
objectif d'intérêt général, peut justifier qu'il
soit fait recours à cette facilité .
Mais en tout état de cause, on ne peut tenir deux discours
contradictoires.
On ne peut à la fois dire que les
sociétés autoroutières sont surendettées et
incapables de faire face à leur programme d'une part, et que le recours
à la concession est d'une telle facilité financière qu'il
permettrait de construire des autoroutes n'importe où
.
2. Un système qui souffre néanmoins de difficultés ponctuelles
Le secteur concédé ne se trouve toutefois pas dans une situation aussi confortable que dans les années 70 ou 80. Cette situation est sérieuse pour certaines sociétés.
a) Un incontestable tassement des marges
Les
autoroutes à péages souffrent depuis le début des
années 90 d'un phénomène de ciseaux : les coûts
augmentent plus rapidement, alors que la croissance des recettes ralentit.
L'augmentation des coûts est liée à deux
phénomènes : le durcissement de la législation de
protection de l'environnement, et le fait que les autoroutes récemment
construites, ou qui restent à construire, sont situés dans des
zones très difficiles, agglomération urbaine ou montagne.
Le tassement des recettes provient d'un net ralentissement dans la croissance
du trafic, qu'on observe depuis 1991
51(
*
)
. Ce
ralentissement est lui-même probablement lié en partie à
une inversion de tendance dans la politique tarifaire suivie par les pouvoirs
publics : après avoir augmenté moins vite que l'inflation
jusqu'en 1991, les tarifs ont augmenté ensuite plus vite qu'elle, par
effet de rattrapage et aussi en raison d'une augmentation des
prélèvements sur les sociétés. Votre rapporteur y
reviendra.
Il est résulté de ce changement de circonstances que les
tronçons les plus récents, et aussi ceux qui restent à
construire sont fréquemment peu ou pas rentables.
Il en est ainsi, par exemple, de la section Angers-Vivy de l'A 85 (38 km),
ouverte à la circulation en 1997 et exploitée par Cofiroute, qui
peine à atteindre les 3.000 véhicules/jour, et qui souffre ainsi
d'une absence de rentabilité.
b) Trois sociétés en difficulté
Trois sociétés ont particulièrement souffert de cette détérioration des conditions de rentabilité. Escota (Esterel- côte d'Azur), SAPN (Autoroutes Paris-Normandie) et SFTRF (tunnel routier du Fréjus). La première est à la limite de l'équilibre au terme de sa concession, et ne supporterait pas une détérioration du trafic sur les sections aujourd'hui en service. Les deux autres souffrent de difficultés très graves, qui mettent effectivement leur programme en péril.
Principaux ratios financiers des sociétés concessionnaires 1997
|
Capacité
d'autofinancement/
|
Dettes/capacité d'autofinancement |
Frais financiers/excédent brut d'exploitation en % |
|||
|
mai |
octobre |
mai |
octobre |
mai |
octobre |
ASF |
44,47 |
51,19 |
13,31 |
11,97 |
42,21 |
41,27 |
ESCOTA |
55,08 |
64,62 |
24,47 |
23,37 |
56,82 |
56 |
SAPRR |
24,42 |
27,07 |
40,85 |
37,15 |
69,55 |
69,74 |
AREA |
49,60 |
71,74 |
32,08 |
23,70 |
67,00 |
62,42 |
SANEF |
57,05 |
65,67 |
17,12 |
16,50 |
50,78 |
48,12 |
SAPN |
- 2,52 |
- 3,90 |
- 299,28 |
- 207,25 |
104,01 |
106,91 |
ATMB |
62,50 |
69,22 |
4,57 |
4,34 |
18,26 |
18,16 |
SFTRF |
6,45 |
5,82 |
49,38 |
55,97 |
29,91 |
31,75 |
Moyenne |
33,7 |
38,07 |
23,18 |
21,4 |
55,4 |
54,17 |
Source : Direction du Trésor
Direction
des Routes
La SFTRF et la SAPN ont accumulé les handicaps liés au changement
de circonstances apparu dans les années 90, et qui ont été
absorbés sans trop de difficultés par l'ensemble du
système. L'une et l'autre sont de petites sociétés, ne
pouvant adosser leur programme de construction que sur un seul ouvrage
important en service : le tunnel du Fréjus pour la SFTRF et l'A 13
(Paris-Rouen-Caen) pour la SAPN.
D'un côté, elles ont souffert d'un trafic plus médiocre que
prévu sur leurs ouvrages. Ainsi, le trafic sur l'A 13 a diminué
de plus de 2 % en 1996, ce qui ne s'était jamais vu et qui
n'était pas anticipé en période de croissance
économique. De même, le trafic dans le tunnel du Fréjus a
été inférieur aux prévisions (- 2,23 % pour
les véhicules légers en 1996).
D'un autre côté, les deux sociétés ont eu à
faire face à la dérive sans précédent des
coûts de construction dans des zones très difficiles : l'autoroute
de la Maurienne (A43), en montagne (8,5 milliards de francs) et l'autoroute
A 14, la plus coûteuse autoroute urbaine jamais
réalisée (4,6 milliards de francs 1995, soit
290 millions de francs le kilomètre).
3. Des dysfonctionnements manifestes
Globalement à même de faire face à leur
programme, les sociétés d'autoroutes souffrent néanmoins
de difficultés croissantes liées au coût grandissant et
à la rentabilité incertaine des liaisons à construire.
Mais au lieu d'en améliorer la gestion, l'Etat, qui les contrôle,
contribue à accroître leurs difficultés, alors qu'il serait
nécessaire de leur restaurer des marges de manoeuvre pour garantir
l'achèvement du schéma directeur.
a) Une politique tarifaire longtemps inadaptée
Sur une
base 100 en 1970, les tarifs des péages autoroutiers ont atteint 364,8
en 1997, alors que les prix de détail atteignaient l'indice 532,8. Si la
politique tarifaire poursuivie dans les années 1970 pouvait se
justifier par la volonté de lutter contre l'excessive dérive des
prix de l'époque, il n'en était pas de même dans les
années 1980.
De 1980 à 1991, les tarifs ont reculé de 13 % en termes
réels, à une époque où la croissance du trafic
était très dynamique
52(
*
)
.
Cette politique avait à l'époque été constamment
dénoncée par la commission des finances du Sénat. Elle a
en effet eu pour conséquence de réduire la capacité
d'autofinancement des sociétés d'autoroutes.
L'ensemble du
secteur serait aujourd'hui nettement moins endetté si une politique
tarifaire adaptée avait été poursuivie.
A l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1989, le rapporteur
spécial de la commission des finances pour les crédits des
routes, Paul Loridant, écrivait déjà :
"
Les prévisions font apparaître que l'endettement actuel
de 50 milliards de francs (soit plus de quatre fois le montant des
recettes de péages, ce qui est considérable) devrait fortement
progresser pour atteindre le montant de 125 milliards de francs à
l'horizon de l'an 2000.
Cependant, ces prévisions indiquent aussi que l'évolution
financière des sociétés après 2005 devrait
s'améliorer de façon extrêmement rapide, permettant ainsi
d'envisager favorablement la relance du programme autoroutier. Encore
convient-il d'observer que cette prévision d'amélioration prend
en compte une évolution des tarifs identique à celle de
l'évolution des prix (de l'ordre de 2 % par an), ce qui n'a pas
été le cas ces dernières années.
A défaut d'un maintien des tarifs de péage en francs constants,
la sortie du rouge des sociétés serait, selon ces
prévisions, retardée de cinq ans, soit 2010, en cas d'une
actualisation des tarifs, diminuée d'un point, et de beaucoup plus, en
l'absence totale de revalorisation des péages
"
.
Bien entendu, la commission des finances n'a pas été
écoutée du Gouvernement de l'époque, qui a gelé les
tarifs en 1988 et 1990, ne les augmentant que de 2,5 % en 1989
(l'inflation étant alors de 3,6 %).
La France était
à cette époque en pleine croissance économique et les
sociétés auraient pu accumuler des réserves pour
l'avenir
. Le changement de politique tarifaire n'est intervenu, à
contre-courant, qu'en 1991, à la veille du ralentissement puis de la
récession.
Dans son rapport spécial sur les crédits des routes pour le
projet de loi de finances pour 1992, Paul Loridant écrivait à
nouveau :
"
L'évolution du produit des péages conditionne la
capacité d'autofinancement et d'emprunt des sociétés
autoroutières.
Cette évolution est entièrement contrôlée par
l'Etat, la fixation des tarifs de péage étant
réglementée, pour toutes les sociétés
concessionnaires, par le décret du 30 décembre 1988.
Or, depuis de nombreuses années, les relèvements effectués
sont restés très largement inférieurs au rythme de
l'inflation.
Les tarifs ont diminué de 15 % en francs constants depuis 1980.
Votre rapporteur se félicite du réajustement tarifaire mis en
place le 1er août 1991 (+ 3 % pour les véhicules légers et
+ 8 % pour les poids lourds).
Ce réajustement intervient
après une période de trente mois de blocage des tarifs qui a
généré,
selon l'Association des sociétés
françaises d'autoroutes, un
manque à gagner équivalent
au financement de 50 kilomètres d'autoroutes nouvelles
(...).
Votre rapporteur tient à souligner la nécessité d'une
revalorisation régulière des tarifs afin d'assurer le maintien
à long terme du niveau des péages en francs constants, qui
apparaît comme une condition indispensable au financement d'un programme
d'investissement essentiel pour l'avenir des infrastructures de
transports
"
.
Il reste aujourd'hui à faire le calcul du manque à gagner
à la fois financier et en nombre de kilomètres de plus de dix ans
d'une politique tarifaire imprévoyante.
b) L'accumulation des prélèvements de toute nature
Nul
ne peut se prévaloir de sa propre turpitude
, dit l'adage juridique.
Or l'Etat, qui prétend que les sociétés d'autoroutes n'ont
plus aujourd'hui la capacité d'achever leur programme, a fait peser sur
elles des prélèvements de plus en plus lourds.
Les remboursements anticipés des avances de l'Etat ont conduit
globalement à un prélèvement de 27 milliards de francs
entre 1994 et 1996.
Et les prélèvements sur les recettes de péage sont
passés de 8 % en 1980 à 23 % aujourd'hui.
Impôts, taxes et prélèvements divers
(dont TVA nette, taxe d'aménagement du territoire,
taxe professionnelle et redevance domaniale)
(en millions de francs)
|
Acoba |
APEL |
ASF |
ESCOTA |
SANEF |
SAPN |
SAPRR |
AREA |
ATMB |
SFTRF |
COFI-ROUTE |
Total |
1985 |
3 |
10 |
153 |
33 |
28 |
20 |
44 |
20 |
14 |
|
|
325 |
1986 |
5 |
|
146 |
51 |
52 |
24 |
47 |
32 |
17 |
|
|
374 |
1987 |
5 |
|
141 |
44 |
59 |
15 |
50 |
27 |
18 |
|
201 |
560 |
1988 |
6 |
|
160 |
50 |
75 |
31 |
63 |
27 |
20 |
|
230 |
662 |
1989 |
8 |
|
224 |
56 |
78 |
31 |
67 |
35 |
27 |
|
531 |
1 057 |
1990 |
10 |
|
209 |
62 |
103 |
37 |
90 |
31 |
31 |
|
1 004 |
1 577 |
1991 |
|
|
613 |
172 |
232 |
73 |
347 |
72 |
37 |
|
498 |
2 044 |
1992 |
|
|
634 |
136 |
318 |
80 |
309 |
88 |
52 |
|
766 |
2 383 |
1993 |
|
|
416 |
121 |
194 |
45 |
242 |
77 |
163 |
5 |
632 |
1 895 |
1994 |
|
|
707 |
174 |
312 |
61 |
258 |
108 |
64 |
19 |
784 |
2 487 |
1995 |
|
|
1 008 |
289 |
450 |
85 |
486 |
180 |
232 |
31 |
1 215 |
3 976* |
1996 |
|
|
1 249 |
406 |
715 |
133 |
802 |
252 |
138 |
21 |
n.c |
3 716 |
1997 |
|
|
1 855 |
402 |
722 |
166 |
929 |
329 |
133 |
15 |
n.c |
4 551 |
1998 |
|
|
1 716 |
447 |
792 |
187 |
1 015 |
296 |
136 |
20 |
n.c |
4 609 |
*
1995 : instauration de la taxe d'aménagement du territoire
Dans son rapport public général de 1990, puis dans son rapport
public particulier de 1992, comme dans ses rapports de contrôle
particuliers non publics (relatifs à ESCOTA et à la SAPN
notamment),
la Cour des comptes a dénoncé la plupart des
prélèvements, considérant qu'ils n'ont aucun lien avec
l'exploitation des sections confiées aux concessionnaires
53(
*
)
. Ainsi les coûts
générés par ces prélèvements n'ayant aucun
investissement en contrepartie, entraînent une
détérioration de la rentabilité des sections
exploitées. La Cour visait notamment les fonds de concours à
l'Etat ou à des collectivités locales, destinés à
financer des tronçons de route ou d'autoroute sur lesquels la
société ne perçoit pas de péage, et qu'elle ne peut
donc rentabiliser.
Plus grave encore est la situation de deux prélèvements
spécifiques : le prélèvement relatif aux charges de
fonctionnement de la gendarmerie, et celui relatif aux frais de contrôle
des travaux réalisés sur les autoroutes. Ces
prélèvements sans aucun lien avec l'exploitation d'un point de
vue économique, ont été annulés par le Conseil
d'Etat lorsqu'ils avaient la forme de fonds de concours.
Le Conseil a en
effet considéré que les dépenses ainsi financées
relevaient de l'impôt, et ne devaient pas être financées par
l'usager des autoroutes.
Les fonds de concours " gendarme " et de " contrôle "
Les
dispositions des cahiers des charges des sociétés d'autoroutes
prévoyaient que ces dernières contribuent, par voie de fonds de
concours, à deux sortes de dépenses :
- d'une part aux dépenses relatives au financement des charges de
fonctionnement de la gendarmerie en service sur le réseau autoroutier.
Cette dépense a été instaurée par le décret
du 12 avril 1991 approuvant des avenants aux conventions de concession des
sociétés d'autoroutes ;
- d'autre part, aux dépenses pour les frais de contrôle incombant
à l'Etat concernant les travaux réalisés sur les
autoroutes. Cette dernière dépense existe depuis la mise en place
du système de concession, créé par la loi du 8 avril
1955.
Or, dans un arrêt du 30 octobre 1996, le Conseil d'Etat a annulé
les décrets du 7 février 1992 et du 18 septembre 1992 qui
approuvaient les dispositions des cahiers des charges des
sociétés ASF et SANEF prévoyant la prise en charge par les
sociétés concessionnaires d'autoroutes des dépenses de
gendarmerie et des frais de contrôle de l'Etat
. Dans le premier cas,
il a estimé que ces dépenses incombaient par nature à
l'Etat et qu'elles étaient en conséquence
étrangères à l'exploitation du réseau
concédé ; dans le deuxième cas, il a
considéré que, si les frais de contrôle du concessionnaire
par le concédant constituent des dépenses qui présentent
un lien suffisamment étroit avec la concession, leur fixation
forfaitaire n'était pas justifiée car elle ne tenait pas compte
du coût réel des frais de contrôle
.
L'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes ont ensuite
demandé le remboursement des sommes perçues par l'Etat, soit
3,157 milliards de francs en prenant en compte les intérêts.
Les sommes réellement versées par les sociétés
concessionnaires d'autoroutes depuis 1992 s'élèvent à :
Fonds
de concours " gendarmes " et frais de contrôle
réellement payés par les sociétés concessionnaires
d'autoroutes au 30 octobre 1996
|
FONDS
DE CONCOURS GENDARMES
|
FRAIS
DE CONTRÔLE
|
||||||
SOCIÉTÉS |
1992* |
1993 |
1994 |
1995 |
1996
|
1992 |
1993 |
1994 |
ASF |
111 |
136 |
146 |
143 |
133 |
32 |
35 |
42 |
ESCOTA |
53 |
34 |
36 |
35 |
32 |
8 |
7 |
8 |
SAPRR |
187 |
111 |
121 |
118 |
114 |
25 |
27 |
29 |
AREA |
46 |
30 |
31 |
31 |
28 |
8 |
8 |
8 |
SANEF |
135 |
83 |
88 |
86 |
84 |
17 |
24 |
24 |
SAPN |
28 |
16 |
16 |
16 |
17 |
6 |
8 |
12 |
ATMB |
7 |
9 |
9 |
10 |
8 |
2 |
2 |
2 |
SFTRF |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
3 |
COFIROUTE |
50 |
61 |
65 |
63 |
56 |
16 |
15 |
18 |
TOTAL |
617 |
480 |
512 |
502 |
472 |
114 |
127 |
146 |
TOTAL REELLEMENT DECAISSE |
|
|
||||||
TOTAL GENERAL |
2970 |
1992*
: inclut la somme due au titre de 1991
L'Etat n'ayant pas répondu aux demandes de recours gracieux des
sociétés, deux d'entre elles (ATMB et Cofiroute) ont
attaqué ces rejets implicites devant les tribunaux administratifs de
Grenoble et de Paris. La société ASF a, quant à elle,
demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler un titre de
perception de 1997 qu'elle n'avait pas honoré, pour un montant de
158 millions de francs.
Pour faire face aux conséquences budgétaires de cet arrêt,
le Gouvernement a mis au point une double riposte :
- une validation législative des titres de perception des fonds de
concours, intervenue dans la loi de finances rectificative pour 1998,
contre
l'avis du Sénat qui l'avait rejetée
;
- l'instauration d'une redevance domaniale en remplacement des fonds de
concours par un décret du 31 mai 1997. Cette redevance règle
peut-être le problème juridique pour l'avenir (elle a toutefois
été elle-même attaquée). Elle ne règle pas le
problème de fond.
L'accumulation de ces prélèvements, particulièrement
depuis le début des années 90, a provoqué un changement
d'orientation sensible dans la politique tarifaire imposée aux
sociétés d'autoroutes. Depuis 1992, les tarifs évoluent
plus vite que l'inflation. Mais cette politique se révèle tout
aussi inadaptée que la sous-tarification des années 80.
En effet, alors que le rapport du Commissariat au plan précité
concluait début 1996 que le trafic sur autoroute était insensible
au niveau des tarifs de péage, force est de constater, avec un recul un
peu plus grand, que tel n'est plus le cas après quelques années
d'augmentation supérieure à l'inflation. Cette
insensibilité supposée n'était probablement que le reflet
de la relative lenteur de l'évolution des tarifs dans les années
80. Il apparaît aujourd'hui que le seuil de 40 centimes du
kilomètre constitue une forte dissuasion du trafic. Psychologiquement,
les usagers de véhicules légers supportent mal que le poste
"
péage "
soit supérieur au poste
" carburant ".
Par
conséquent, alors même que la capacité d'autofinancement
des sociétés est grevée par l'accroissement des
prélèvements, le niveau de leurs recettes commerciales est
affecté par les conséquences tarifaires de ces
prélèvements.
En outre, ces prélèvements frappent les sociétés de
façon aveugle, car ils sont dénués de liens avec leurs
résultats. Ils aggravent les difficultés des
sociétés qui, telles que la SAPN ou la SFTRF, peinent à
achever leur programme.
L'expression la plus achevée de cet effet pervers se manifeste avec la
taxe d'aménagement du territoire (TAT, dite taxe
"
Pasqua ") créée par la loi d'orientation de
1995 pour alimenter le fonds d'investissement des transports terrestres et des
voies navigables.
c) Le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, ou le piège de la débudgétisation
Prévu comme un outil de financement de
l'aménagement du territoire par ses concepteurs en 1995, le FITTVN a
été détourné de ses objectifs, pour ce qui concerne
les routes tout au moins.
Le FITTVN est ainsi devenu à la fois le meilleur et le pire des outils
de financement des infrastructures.
Le meilleur, il l'est par la taxe sur les ouvrages hydroélectriques
concédés, passée à 8 centimes par kilowattheure
dans la loi de finances pour 1998 ; et dans le financement des chemins de fer
et des voies navigables.
Le pire, il l'est par la taxe de 4 centimes par kilomètre parcouru sur
le réseau autoroutier concédé, et le financement des
autoroutes d'aménagement du territoire (les trois radiales de
désenclavement du massif central : A 75, A 20 et A 77).
FITTVN 1998
(Millions de francs)
Recettes |
|
Dépenses |
|
Taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés |
|
Investissement sur le réseau routier national |
|
Taxe sur les concessionnaires d'autoroutes |
|
Investissement sur les voies navigables |
430 |
|
|
Subventions d'investissement en matière de transport ferro-viaire et de transport combiné |
|
Total |
3 900 |
|
3 900 |
S'agissant du financement des lignes à grande vitesse
et des
voies navigables, le FITTVN fonctionne de façon rationnelle. Un
prélèvement est opéré sur la production d'ouvrages
hydroélectriques constituant pour EDF une forme de rente. Il ne s'agit
donc pas d'un prélèvement pesant sur des infrastructures de
transport.
Par ailleurs, les investigations menées par la commission
d'enquête auprès de la direction du budget ont montré que
le FITTVN avait apporté des moyens supplémentaires sur le
réseau ferroviaire et sur la voie d'eau :
TGV-Méditerranée, transport combiné, canal Seine-Nord ;
tous projets non auparavant financés par le budget.
En revanche, s'agissant des autoroutes, le FITTVN a un effet
désastreux
: il prélève des moyens de financement sur
le secteur autoroutier concédé, dont la capacité
d'autofinancement est ainsi réduite. Et il finance des programmes
auparavant financés par le budget de l'Etat : il s'agit d'une
débudgétisation se traduisant par une perte sèche de
moyens pour le réseau autoroutier.
En outre, à l'effet de la débudgétisation s'ajoute une
perte supplémentaire de 400 millions de francs pour le
réseau routier, résultant de la différence entre la taxe
d'aménagement du territoire et les dépenses sur le réseau
national.
Mais il y a plus grave : le financement par le FITTVN de la construction des
autoroutes A 75, A 20 et A 77, autoroutes disposant d'un niveau de service
équivalent à celui d'autoroutes payantes, accrédite
l'idée qu'il peut exister des autoroutes véritables sans
péage, ce qui est un leurre dangereux, à l'origine d'un cercle
vicieux.
L'Etat impécunieux ne pourra pas entretenir à l'avenir les
autoroutes non concédées qu'il construit, tant il est vrai qu'il
ne consacre déjà pas les moyens nécessaires à
l'entretien et aux réparations du réseau routier national. Leur
délabrement à terme est déjà programmé,
alors même qu'elles ne sont pas encore en service.
Par
conséquent, le Gouvernement sera tenté de faire financer cet
entretien par le FITTVN, qui n'a pourtant nullement été
conçu dans ce but. Cette tentation est déjà à
l'oeuvre, puisque le loi de finances pour 1998 a prévu que 83 millions
de francs serviraient à financer les actions de renforcement et de
réhabilitation des chaussées.
Or, ces autoroutes de l'Etat étant gratuites, elles seront
fréquentées davantage qu'elles ne l'auraient été
s'il y était perçu un péage, ce qui occasionnera des
coûts d'entretien croissants.
Dans le même temps, le prélèvement opéré sur
les autoroutes concédées pour financer les autoroutes gratuites
est répercuté en grande partie sur le péage, ce qui
occasionne des pertes de trafic et de recettes sur les autoroutes
concédées.
En outre, et pour contribuer à ce cercle vicieux, il est probable que
les autoroutes gratuites feront partiellement concurrence aux autoroutes
payantes.
Les recettes sur autoroutes concédées seront donc
altérées alors même que cette ressource devra servir
à financer l'entretien de plus en plus coûteux des autoroutes
gratuites.
En conclusion, tel qu'il fonctionne pour le financement des autoroutes, le
FITTVN est un facteur de pertes de ressources, alors qu'il avait
été imaginé pour les accroître.
Cette perte de
ressources comprend deux degrés :
- au premier degré, la débudgétisation par
prélèvement sur le financement des autoroutes
concédées ;
- au second degré, ce prélèvement tend à
réduire le niveau des recettes commerciales des sociétés
d'autoroutes du fait de ses répercussions tarifaires, alors même
que les besoins à satisfaire pour l'entretien du réseau non
concédé seront grandissants.
Une réforme de la partie autoroutière du FITTVN doit donc
être entreprise, ainsi qu'une réflexion sur le financement de
l'entretien.
d) Un processus de décision opaque fondé sur des critères non rationnels
Un
processus de " non décision "
Le processus de décision aboutissant aux choix effectués en
matière de construction autoroutière, régi par la loi
d'orientation des transports intérieurs de 1982, est complètement
irrationnel, à la fois dans sa procédure et dans ses fondements.
Le schéma directeur routier national, instruit par les services du
ministère de l'équipement, est décidé par
décret. Il est révisé relativement fréquemment,
mais irrégulièrement. Les derniers schémas datent de 1986,
1988 et 1992.
Il s'agit d'un document d'orientation dit de " planification à
long terme ", et non de programmation. Il n'a aucun caractère
prescriptif, et ne comporte a fortiori ni échéancier (que ce soit
pour la procédure de déclaration d'utilité publique ou
pour les travaux), ni moyens de financement.
Il est toujours donné au schéma directeur une publicité
spectaculaire. Celle-ci accompagne aussi les adjonctions de sections
décidées par les comités interministériels
d'aménagement du territoire successifs.
Le schéma directeur
fonctionne ainsi comme un guichet de demande, où les élus peuvent
faire " décider " par le Gouvernement des liaisons
autoroutières. Ces décisions ne sont en réalité
accompagnées d'aucun moyen de les réaliser.
Après cette prise de décision spectaculaire, les
collectivités concernées peuvent penser que l'autoroute à
réaliser viendra prochainement. Or, il n'en est
généralement rien.
Le tableau suivant démontre le caractère aléatoire du lien
entre la date d'inscription d'un projet au schéma directeur et sa
réalisation effective. La vie économique de régions
entières peut être perturbée par la perspective de la mise
en chantier d'une autoroute, sans savoir quand, ni même si, cette mise en
chantier interviendra. Des entreprises s'installent en misant sur l'autoroute.
Au contraire, des habitants s'inquiètent. Mais l'absence totale
d'échéancier empêche d'adopter une attitude rationnelle, et
peut scléroser la région au lieu de la dynamiser.
TABLEAU DES MISES EN CHANTIER DE 1992 À 1997
Années |
Autoroutes |
Sections |
Longueur en km |
Dates d'inscription aux SDRN |
1992 |
A5 |
Raccordements à la Francilienne |
20 |
|
|
A14 |
Orgeval-La Défense |
16 |
|
|
A16 |
L'Isle Adam-Amiens |
105 |
14.02.86 |
|
A19 |
Bretelle de Sens |
10 |
18.03.88 |
|
A29 |
Le Havre - Yvetot |
56 |
18.03.88 |
|
A83 |
Montaigu-Sainte Hermine |
53 |
18.03.88 |
|
A64 |
Toulouse-Muret |
15 |
|
|
A64 |
Bretelle de Peyrehorade |
7 |
|
|
|
TOTAL |
282 |
|
1993 |
A40 |
Doublement du tunnel de Chamoise et du viaduc de Nantua |
|
|
|
A54 |
Saint-Martin de Crau-Salon |
25 |
18.03.88 |
|
A64 |
Pinas-Martres |
55 |
18.08.88 |
|
|
Bretelles de Tancarville |
14 |
18.03.88 |
|
A85 |
Angers-Langeais |
76 |
01.04.92 |
|
|
TOTAL |
170 |
|
1994 |
A16 |
Amiens-Boulogne |
116 |
18.03.88 |
|
A39 |
Poligny-Bourg |
69 |
14.02.86 |
|
A43 |
Aiton-Ste-Marie de Cuines |
31 |
01.04.92 |
|
A83 |
Sainte-Hermine-Oulmes |
39 |
18.03.88 |
|
A51 |
Grenoble-Vif |
15 |
18.03.88 |
|
A719 |
Antenne de Gannat |
9 |
18.03.88 |
|
A837 |
Saintes-Rochefort |
37 |
18.03.88 |
|
|
TOTAL |
316 |
|
1995 |
A13 |
Bretelle de Louviers |
7 |
|
|
A19 |
Sens-Courtenay |
25 |
18.03.88 |
|
A20 |
Montauban-Cahors Sud |
40 |
18.03.88 |
|
A20 |
Brive-Souillac |
21 |
18.03.88 |
|
A39 |
Choisey-Poligny |
35 |
14.02.86 |
|
A43 |
Sainte-Marie de Cuines-St Michel |
20 |
01.04.92 |
|
A68 |
Bretelle de Verfeil |
9 |
|
|
A77 |
Dordives-Montargis |
27 |
18.03.88 |
|
A77 |
Montargis-Cosne sur Loire |
66 |
01.04.92 |
|
A404 |
Antenne d'Oyonnax |
13 |
|
|
|
TOTAL |
263 |
|
1996 |
A28 |
Alençon-Le Mans-Tours |
134 |
18.03.88 |
|
A29 |
Yvetot-Neufchâtel |
30 |
18.03.88 |
|
A43 |
Saint-Michel-Le Freney |
14 |
18.03.88 |
|
A51 |
Sisteron-La Saulce |
30 |
18.03.88 |
|
A66 |
Toulouse-Pamiers |
40 |
01.04.92 |
|
A131 |
Pont de Normandie-A13 |
16 |
01.04.92 |
|
A710 |
Antenne de Lussat |
7 |
|
|
|
TOTAL |
271 |
|
1997 |
A20 |
Cahors Sud-Cahors Nord |
23 |
18.03.88 |
|
A20 |
Souillac-Cahors Nord |
46 |
18.03.88 |
|
A29 |
Bretelle de Dieppe |
12 |
01.04.92 |
|
A41 |
Saint-Julien-Annecy |
17 |
18.03.88 |
|
A86 |
Section ouest |
14 |
|
|
A89 |
Arveyres-Coutras |
25 |
01.04.92 |
|
A89 |
Coutras-Montpon Est |
34 |
01.04.92 |
|
A89 |
Ussel Ouest-Laqueuille |
40 |
18.03.88 |
|
|
TOTAL |
211 |
|
Car,
à supposer que la déclaration d'utilité publique ait
ensuite été prise,
la véritable instance de
décision est le conseil de direction du comité des
investissements à caractère économique et social
(CIES).
Cette autorité administrative, présidée par le
ministre chargé de l'économie, dont le secrétariat est
assuré par la direction du Trésor, et qui rassemble les
administrations concernées, se réunit deux fois par an (au
printemps et à l'automne).
Le conseil de direction du CIES prend les
décisions de lancement des nouvelles infrastructures, et autorise les
entreprises publiques à contracter des emprunts pour les financer.
Peu connue des élus, cette autorité travaille en toute
discrétion. Il n'est donné aucune publicité à ce
qui s'y prépare, ni même à ce qui a été
décidé. La direction du Trésor y dispose d'un pouvoir
déterminant.
Or, ultime maillon de la chaîne de décision, c'est bien cette
autorité qui donne -ou ne donne pas- un contenu concret au schéma
directeur. Lors du dernier conseil de direction du CIES, c'est la direction du
Trésor qui s'est opposée à la réalisation de la
section Rouen-Alençon de l'autoroute A28 en raison des
difficultés excessives de la SAPN, concessionnaire pressenti.
Des fondements contestables
Si le processus décisionnel des choix autoroutiers est très
contestable, il en est de même des fondements de ces décisions.
Les critères de choix ne sont ni objectifs, ni impartiaux. Des calculs
de rentabilité financière, ou économique et sociale sont
réalisés mais ils ne déterminent pas nécessairement
les choix.
La durée des concessions
est calculée de façon
sommaire, et ne correspond pas à la durée de vie des
équipements autoroutiers, généralement d'au moins
50 ans. Il en résulte que les sociétés
autorisées à emprunter et à construire ont des charges
d'amortissement généralement très supérieures
à ce que leurs comptes peuvent absorber chaque année. Cette
situation les mettrait en faillite comptable rapidement si le conseil national
de la comptabilité ne les avait autorisées à constituer
des charges différées, qui sont épongées à
l'achèvement de la concession.
La direction du Trésor critique très fortement cette pratique qui
nuit à la sincérité des comptes des
sociétés, et aussi à une juste analyse de la
rentabilité des sections construites. Pour autant, elle s'accommode de
cette situation : elle n'exige pas que la durée des concessions soit
calculée pour éviter ce phénomène et surtout, elle
fait émettre les obligations de la caisse nationale des autoroutes au
profit des sociétés d'économie mixte sur une durée
de 15 ans, très inférieure à la durée de vie des
autoroutes alors qu'il serait de son ressort de développer des outils
d'endettement adaptés, cohérents avec la durée de vie
réelle des équipements autoroutiers.
En outre, des considérations n'ayant rien à voir avec la logique
de l'amortissement entrent en ligne de compte dans la durée de
concession. Ainsi, la création de la taxe d'aménagement du
territoire en 1995 a été intégralement compensée
par un allongement des durées
54(
*
)
, et
son doublement en 1997 l'a été à hauteur de 12 %
(88 % dans les tarifs de péage). Il s'agit d'une aberration
comptable et financière.
Par ailleurs, pour des raisons qui échappent à la commission
d'enquête, l'Etat traite différemment les SEM qu'il possède
de la société Cofiroute. La durée des concessions de cette
dernière est calculée afin de garantir à ses actionnaires
la rentabilité de leurs fonds propres. A l'inverse, celle des SEM est
calculée au plus juste, quitte à les plonger dans des
difficultés financières. En outre, l'Etat n'a doté les SEM
de quasiment aucun fonds propres.
L'Etat ne fait donc pas son possible pour restaurer des marges de manoeuvre au
système autoroutier.
Les mésaventures de l'Autoroute A28, ou la péréquation Province-Paris à rebours
Les
déboires de la section Rouen-Alençon sont un concentré
illustrant l'ensemble des dysfonctionnements de la gestion de notre
système autoroutier, qui peut aboutir, contrairement à ses
objectifs, à une péréquation inversée entre la
province et l'Ile-de-France.
Est d'abord incriminée l'absence d'échéancier de
décision. Ainsi, l'autoroute A28 a été inscrite au
schéma directeur de 1988. Tout commence par aller très vite sur
le plan formel, mais rien ne suit sur le plan réel.
La concession de l'A28 Rouen-Alençon a été
attribuée à la SAPN plusieurs années avant la
définition précise du projet et sa déclaration
d'utilité publique. A cette époque, d'une part, la situation
financière de la société au moment où la concession
devait être régularisée ne pouvait pas être connue,
d'autre part, la coût de cette autoroute n'était pas
évalué.
La SAPN a été " pressentie
" comme
concessionnaire de cette section par lettre du ministre de l'équipement
du 12 avril 1988. Une convention de concession, parue le 12 avril
1991, a ensuite attribué à cette société la
concession de l'autoroute, mais seulement sur son principe puisque le projet
n'était pas réellement défini ; ceci signifie que
l'A28 figurait sous la forme d'une simple mention dans la concession, sans que
les paramètres, notamment financiers, de sa réalisation aient
été évalués.
La déclaration d'utilité publique de l'autoroute est intervenue
par décret du 5 décembre 1994, soit six ans après la
date à laquelle la SAPN avait été pressentie et trois ans
après la concession de principe. Le coût de cette section de
125 km était alors évalué à
4.280 millions de francs (aux conditions économiques de 1994).
A la suite d'échanges épistolaires intervenus avec la Commission
européenne en 1996 et 1997, le Gouvernement français s'est
engagé à intégrer avant le 31 décembre 1997
par avenants aux conventions de concession les conditions techniques et
financières de réalisation des sections d'autoroutes dont la
concession avait été attribuée sur le principe
après le 22 juillet 1990, date d'entrée en vigueur de la
directive " travaux ", sans publicité préalable, sur le
fondement d'un " pressentiment " antérieur de la
société et de sa participation active à la mise au point
du projet
55(
*
)
.
Parmi les concessions
à régulariser figurait la section Rouen-Alençon.
C'est ensuite qu'intervient un second défaut du système de
décision : le mauvais suivi financier des sociétés et
l'absence de maîtrise du coût des travaux. Ce n'est en effet qu'au
cours de l'année 1997 que la capacité financière de la
SAPN à assumer le projet A28 a été examinée dans
cette optique
, d'une part en fonction du nouveau coût estimé
de ce projet, qui s'est accru par rapport au coût figurant dans la DUP
compte tenu de nouvelles contraintes de réalisation, d'autre part en
fonction de nouveaux éléments qui ont gravement
dégradé la situation de la société.
Le résultat de cette étude montre que la situation
financière de la société et de sa société
mère, la SANEF, ne permettait pas cette régularisation.
En effet, entre le moment où la SAPN a été pressentie
comme concessionnaire de l'A28 et où cette concession lui a
été attribuée sur le principe et l'année 1997
où cette concession devait être régularisée dans ses
paramètres financiers, notamment par un allongement de concession, la
situation financière de la SAPN s'est modifiée de façon
très significative, en raison de trois facteurs :
D'abord, les prévisions de hausse soutenue du trafic sur
l'autoroute A13, qui représente la quasi-totalité des
ressources de la SAPN, ont dû être revues, compte tenu d'une
tendance générale de ralentissement constatée à
partir de 1995. En 1996, et contre toute attente, le trafic a diminué
sur l'A13.
Ensuite, la SAPN a mis en service, en novembre 1996, l'autoroute A14,
concédée en 1987, et dont le coût, compte tenu des
aménagements successifs apportés au projet, est passé
d'une estimation de départ de 1,6 milliard de francs en valeur
1995, au coût final de 4,6 milliards de francs. Par ailleurs, et
dans le contexte général rappelé plus haut, les
prévisions de trafic sur l'autoroute ont dû être revues dans
une perspective plus prudente, malgré de bons résultats depuis la
mise en service.
Enfin, la SAPN a mis en service, en mai 1996, la section de 56 km Le
Havre-Yvetot de l'autoroute A29 et mettra en service fin 1998 la section de
30 km Yvetot-Neufchâtel, pour un coût total de près de
6 milliards de francs 1995. De plus, le trafic à l'ouverture de la
section Le Havre-Yvetot s'est révélé moindre que
prévu. Par ailleurs, la SAPN va mettre en service la section de
16 km Pont de Normandie-A13 de l'A29 en juillet 1998, pour un coût
final estimé à 733 millions de francs.
Enfin, le dernier défaut est l'excessif morcellement des SEMCA, qui
ne peuvent s'aider entre elles
.
La situation financière de la SAPN était donc fortement
dégradée lorsqu'a été examinée au fond la
confirmation de la concession de l'A28. Cette situation aurait
éventuellement pu être améliorée si la
société mère du groupe, la SANEF, avait pu aider sa
filiale dans d'importantes proportions. Mais la SANEF subit elle-même sur
son réseau les conséquences du ralentissement
général des progressions de trafic, ce qui rend sa situation
financière équilibrée mais tendue. Par ailleurs, il
n'existe aucun mécanisme de solidarité financière avec les
autres pôles : ASF - ESCOTAet PAPRR - AREA.
L'examen de la situation financière actuelle, c'est-à-dire sans
l'A28, des deux sociétés fait ainsi apparaître un
déséquilibre de la concession de la SAPN. Compte tenu de son
passif prévu, de l'ordre de 3 milliards de francs, que la
société mère SANEF devra prendre en charge, cette
dernière voit son propre équilibre financier menacé.
Si l'on voulait alors également assurer la prise en charge de l'A28 par
la SAPN, il faudrait envisager, outre un allongement de l'ordre de
12 à 14 ans de la concession de la SAPN pour l'ensemble des
autoroutes qui lui sont concédées un apport total de financement
de plus de 5 milliards de la part de la SANEF. Or, cette dernière
ne dispose pas de cette capacité financière.
Pour que la SANEF puisse soutenir sa filiale dans ces proportions, il serait
nécessaire d'allonger sa propre concession d'une durée de l'ordre
de cinq ans.
Dans ces conditions, il est apparu impossible de confirmer la concession de
l'A28 à la SAPN. On a ainsi assisté à une sorte de
péréquation inversée, le coût d'une autoroute
francilienne empêchant la construction d'une autoroute
provinciale.
C. LES OBLIGATIONS EUROPÉENNES : PRÉTEXTE OU INCOHÉRENCE
Un des
arguments fondamentaux de la remise en cause de notre processus de construction
autoroutière est une directive européenne, brandie telle une
statue du commandeur, la directive 93/37 CEE portant coordination des
procédures de passation des marchés publics de travaux. Plus
précisément, il s'agit de sa version antérieure, en date
du 18 juillet 1989.
Une campagne soigneusement orchestrée dans la presse tend à
accréditer l'idée de la péremption de notre système
de financement des autoroutes par la pratique dite de
" l'adossement ", consistant à faire financer le remboursement
des emprunts contractés pour la construction des autoroutes neuves par
une partie des péages des autoroutes partiellement ou totalement
amorties.
Pourtant, les règles européennes que la France devrait appliquer
ne sont pas nécessairement celles que l'on prétend telles. Et
inversement, la directive " travaux " paraît servir de
prétexte.
1. Les conséquences de la directive " marchés publics de travaux "
La
directive " marchés publics de travaux " est l'une des
très nombreuses directives d'application de l'Acte unique
européen, relatif à la liberté de prestation de services
et à la libre concurrence dans la Communauté européenne.
Elle impose aux marchés publics d'un montant supérieur à
5 millions d'écus l'établissement d'un appel d'offre
européen.
a) L'obligation de mise en concurrence, conséquence certaine de la directive, n'a pas été appliquée dans les délais prescrits
La
directive devait entrer en application dans les Etats membres dès le
19 juillet 1990.
La conséquence certaine qui en résultait pour la France
était que, dès cette date, le ministère de
l'équipement devait mettre fin à la pratique habituelle de
passation des conventions de concession autoroutière, qui était
une procédure de gré à gré
. Cette
procédure consistait à " pressentir " une
société concessionnaire d'autoroutes déjà titulaire
de contrats sur le territoire où la nouvelle autoroute était
à construire. Après définition d'un cahier des charges, un
avenant à la concession de la société était conclu,
avenant qui faisait l'objet d'un décret.
La procédure prescrite par la directive est toute
différente : elle nécessite de mettre en concurrence, par
voie d'appel d'offres, toute entreprise européenne capable de
répondre au cahier des charges prévu. Les concurrents doivent
être placés sur un pied d'égalité. Cela ne signifie
pas qu'ils ne puissent bénéficier d'aides publiques, mais cela
implique que ces aides éventuelles soient égales pour tous.
La France a cru pouvoir s'affranchir de l'application de la directive sous
plusieurs gouvernements à partir du 22 juillet 1990. En effet,
à la suite d'un échange de lettres intervenu entre le ministre de
l'équipement et le commissaire européen chargé des
transports, il avait été convenu entre l'Etat français et
la Commission que les sociétés " pressenties " avant le
22 juillet 1990 ayant déjà engagé des études
approfondies et des investissements sur une section autoroutière, selon
la procédure ancienne, pourrait en conserver le marché ainsi
pré-attribué à condition que l'avenant à la
convention de concession fût passé en bonne et due forme avant le
1er janvier 1998.
Le réveil est venu du Conseil d'Etat qui a, dans l'affaire de la
concession de la section ouest de l'A86 à Cofiroute, porté une
appréciation stricte de la réalité de l'engagement
d'études préalables approfondies avant le 22 juillet 1990.
L'affaire A86-Ouest
Certaines collectivités locales s'estimant
lésées par le chantier avaient attaqué devant le Conseil
d'Etat, pour excès de pouvoir, le décret du 21 avril 1994,
confiant à Cofiroute les travaux de construction, l'exploitation et
l'entretien de la section de l'A86 située entre Rueil-Malmaison et
Vélizy.
Le Conseil d'Etat a fait droit aux requérants et annulé le
décret sur ce point dans un arrêt du 20 février 1998.
Il ne l'a pas annulé au motif que la France n'aurait pas
transposé en droit interne les règles de la directive
" travaux ". Cette transposition était accompagnée de
mesures transitoires, permettant à l'Etat de régulariser sous
forme de marché de gré à gré les procédures
très avancées avant l'entrée en vigueur de la directive.
La haute juridiction administrative n'a rien trouvé à redire
à ces mesures transitoires, qui devaient permettre, en pratique,
à l'Etat de conclure des conventions de gré à gré,
jusqu'au 31 décembre 1997 pourvu que la procédure ait
été significativement entamée avant le 22 juillet
1991 ; c'est-à-dire que la société ait
été " pressentie ",
et
qu'elle ait engagé
à la demande du ministère de l'équipement des
études et travaux préliminaires.
Le Conseil a considéré que, dans le cas d'espèce, cette
seconde condition de fait n'était pas satisfaite :
"
Sur la légalité du décret
attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er ter de la directive du
Conseil des communautés économiques européennes en date du
18 juillet 1989, modifiant la directive 75/305/CEE portant coordination
des procédures de passation des marchés publics de travaux,
ultérieurement repris à l'article 3 de la directive 93/37 du
14 juin 1993 : " Dans le cas où les pouvoirs
adjudicateurs concluent un contrat de concession de travaux, les règles
de publicité définies à l'article 12, paragraphes 3,
6, 7 et 9, ainsi qu'à l'article 15 bis sont applicables
à ce contrat, lorsque sa valeur égale ou dépasse 5.000.000
d'écus " ; qu'aux termes de l'article 12 de la directive
du 18 juillet 1989, repris à l'article 4 de la directive du
14 juin 1993 : " Les pouvoirs adjudicateurs désireux
d'avoir recours à la concession des travaux publics font connaître
leur intention au moyen d'un avis ".
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du
31 mars 1992 pris pour assurer la transposition de la directive du
18 juillet 1989, applicable notamment à certains contrats de l'Etat
pour lesquels la rémunération de l'entrepreneur consiste en tout
ou partie dans le droit d'exploiter un ouvrage : " La personne qui se
propose de conclure un contrat fait connaître son intention au moyen d'un
avis conforme à un modèle fixé par arrêté du
ministre chargé de l'économie et des finances " ; que,
cependant, aux termes de l'article 6-1 du même décret, issu
des dispositions du décret du 21 février 1994 :
" Les dispositions du présent titre ne sont pas applicables aux
contrats dont le titulaire a été pressenti avant le
22 juillet 1990 et a, en contrepartie, engagé des études et
des travaux préliminaires " ; qu'il ressort de ces
dispositions que ne peuvent être pris en compte que les études et
travaux effectués, avant le 22 juillet 1990, à la suite de
la décision par laquelle le titulaire du contrat a été
pressenti
...
Considérant toutefois que si, par une lettre du 18 juillet 1990,
le ministre chargé de l'équipement et des transports a fait
connaître à la Compagnie financière et industrielle des
autoroutes son intention de lui attribuer la concession de l'autoroute A86
entre Versailles et Rueil-Malmaison et si cette société a ainsi
été pressentie avant le 22 juillet 1990, il ne ressort pas
des pièces du dossier soumis au Conseil d'Etat et notamment du
supplément d'instruction auquel celui-ci a procédé, que
cette société ait, avant cette date, engagé en
contrepartie de la décision du ministre, des études ou travaux
préliminaires autres que ceux qu'elle avait engagés et
financés de sa propre initiative
... "
Il y avait donc lieu d'appliquer la directive dès son entrée en
vigueur. Mais l'attention de la presse a été moins attirée
sur cet aspect de la directive que sur une conséquence qui, aux yeux de
la commission d'enquête est plus qu'hypothétique.
b) La suppression du mécanisme de l'adossement n'apparaît nullement comme une conséquence certaine
Le
ministère de l'équipement, des transports et du tourisme, celui
de l'aménagement du territoire et de l'environnement, et celui de
l'économie, des finances et de l'industrie, présentent la fin de
l'adossement
56(
*
)
comme une conséquence
inéluctable de la directive, bien que celle-ci ne traite en rien des
modalités de financement des travaux publics en question.
Votre président et votre rapporteur se sont rendus à la
Commission des communautés européennes pour élucider ce
problème auprès des directions générales IV
(concurrence), VII (transports) et XV (marché unique et services
financiers). Ils avaient été précédés par
notre collègue Jacques Oudin, membre de la commission
d'enquête, qui s'était déplacé pour la
délégation du Sénat pour l'Union
européenne
57(
*
)
.
La moindre des conclusions qui puisse être tirée de ces
déplacements est que les fonctionnaires de la Commission sont loin
d'être aussi affirmatifs que ceux de l'Etat français
. La
nécessité de mettre fin au mécanisme n'est absolument pas
avérée. Et le plus étrange est que le Gouvernement ne
semble pas préoccupé de défendre un système ne
coûtant rien aux finances publiques, claironnant à qui veut
l'entendre qu'il sera désormais nécessaire de recourir au
contribuable et à la subvention pour financer les autoroutes non
rentables. Curieuse façon de gérer les deniers publics !
La Commission est actuellement en phase de réflexion au sujet des
concessions publiques. Elle s'est entourée de deux comités
consultatifs en vue de rédiger, pour la fin de l'année 1998, une
communication interprétative de la directive de 1993 sur cet aspect
précis. La problématique est celle de l'appel au financement
privé pour les concessions publiques. La particularité de la
concession par rapport aux autres marchés publics de travaux est, qu'en
plus de la prestation de service que le concessionnaire s'engage à
réaliser (la construction de l'autoroute), le concessionnaire endosse le
risque d'exploitation de l'ouvrage.
A la suite de ces entretiens, les points suivants ont paru acquis à
votre rapporteur et à votre président :
une attribution de concession doit être
précédée d'un appel d'offre européen ;
s'agissant des attributions de concession pour réaliser des
travaux comme dans le cas des autoroutes, la mise en concurrence doit se faire
au stade de la concession, et pas seulement en aval de celle-ci, au stade des
travaux ;
une aide publique est possible, à condition d'être
égale pour tous les concurrents ;
si l'attribution porte à la fois sur un ouvrage non rentable et un
ouvrage rentable, l'un et l'autre peuvent faire l'objet d'une mutualisation.
Les interlocuteurs de votre président et de votre rapporteur ont
confirmé que le modèle français de la concession
(d'autoroutes en particulier) se répandait, notamment dans l'Europe du
Sud (Espagne, Italie, Grèce). Ils ont également expliqué
que la définition européenne du droit de la concession
s'inspirait largement de l'expérience française.
Extrait d'une communication de la commission
du
11 mars
1998 sur les marchés publics
Le traitement des concessions et autres formes de partenariat
public-privé
"
La notion de "partenariat public-privé" vise
les
différentes formes de participation des capitaux privés au
financement et à la gestion d'infrastructures et de services publics. Le
rôle que les pouvoirs publics assument encore dans ces partenariats varie
grandement selon les situations. La Commission n'entend nullement intervenir
dans les choix que les Etats membres opèrent quant au financement et
à la gestion publique ou privée de ces infrastructures et
services, ces choix relevant de leur responsabilité. Par contre, pour
être pleinement en phase avec la réalité, la Commission se
doit de définir un encadrement juridique qui permette le
développement de ces formes de partenariat tout en garantissant le
respect des règles de concurrence et des principes fondamentaux du
Traité.
Actuellement, seules les concessions de travaux sont soumises à un
régime spécifique dans une directive. Les concessions de
services, les contrats de service public ou autres partenariats de services ne
sont par contre pas couvertes
58(
*
)
. Certes, les
règles et les principes du Traité tels que
l'égalité de traitement et la non-discrimination, sont
applicables mais leur application aux cas concrets n'est pas toujours
aisée. C'est pourquoi un encadrement juridique de ces
phénomènes s'impose en vue de clarifier et de simplifier les
conditions dans lesquelles ils peuvent s'exercer et assurer ainsi une plus
grande sécurité juridique ".
" Dans un souci de simplification et de clarification, la Commission
envisage les actions suivantes visant à instaurer des principes
uniformes pour tous les cas de concession :
Ainsi, dans une première phase,
la Commission élaborera un
document interprétatif qui explicitera et précisera les
règles et les principes qu'elle considère comme étant
applicables aux concessions sur la base des cas dont elle a eu à
traiter
. Dans ce contexte, la Commission examinera également les
autres formes de partenariat public-privé afin de déterminer dans
quelle mesure les règles des marchés publics peuvent constituer
ou non un cadre juridique approprié afin de garantir le respect des
règles du Traité tout en permettant le développement de
ces formes de coopération. Cette réflexion pourra aboutir
à des éclaircissements apportés aux textes existants,
voire à leur aménagement. De même, la Commission entend
répondre à certains problèmes urgents
d'interprétation qui se posent dans le domaine des réseaux
transeuropéens (RTE). Dans le cadre du groupe à haut niveau
Kinnock et dans d'autres instances, la Commission a déjà
annoncé son intention de publier un guide explicatif donnant des
solutions concrètes à certaines questions posées dans ce
domaine à la lumière du cadre juridique actuel.
Dans une deuxième phase, la Commission envisage de proposer une
modification des directives afin de couvrir les formes de concessions qui ne
sont pas encore réglementées. Il s'agirait de garantir que le
choix du partenaire s'effectue après une mise en concurrence au niveau
communautaire par le biais d'une publication préalable et d'un minimum
de règles de procédure qui, dans un souci de flexibilité,
permettant un large recours au dialogue entre les parties impliquées
tout en respectant le principe d'égalité de traitement. Par
ailleurs, afin de prendre en compte les soucis légitimes exprimés
par certains opérateurs, des dispositions seront envisagées
prévoyant que le consortium choisi puisse passer des contrats avec ses
partenaires pourvu que l'existence de ces contrats ait été
annoncée lors de la procédure d'adjudication ".
L'extrait qui précède montre que la " religion " de la
Commission n'est pas faite sur la manière de traiter
précisément les concessions.
On peut, en outre, remarquer que la logique de l'aménagement du
territoire apparaît pertinente à la Commission. Dans le rapport de
1994 sur le réseau routier transeuropéen, celle-ci écrit
notamment :
"
La réalisation du Réseau routier transeuropéen
s'inscrit, notamment pour les liaisons du maillage routier du territoire
européen, dans une
logique d'anticipation
. La rentabilité
économique à long terme de certaines infrastructures repose ainsi
sur un pari difficilement mesurable au présent. Aussi :
- la possibilité
d'utiliser les produits financiers obtenus sur
les axes très fréquentés pour financer les autoroutes
moins fréquentées
devrait être étudiée
... "
Dans le cadre de la consultation que la Commission organise en vue d'une
communication interprétative,
il appartient aux autorités
françaises de défendre un système qui a fait ses
preuves
.
On peut d'abord très bien imaginer que l'aide publique correspondant
à un allongement de la durée des concessions sur le réseau
existant fasse l'objet d'un calcul actuariel à comparer avec une aide
publique en espèces.
Ensuite, il serait absurde de considérer que les sociétés
concessionnaires existantes ne pourraient plus concourir en vue de se voir
attribuer de nouvelles sections au motif qu'elles seraient avantagées
dans la compétition. Ce serait créer une inégalité
de traitement inverse de celle qu'on prétend combattre. La Commission
n'exige rien de cela pour le moment.
Enfin, on ne voit pas pourquoi l'Union européenne, très soucieuse
d'équilibrer les finances publiques par ailleurs, obligerait la France
à se doter d'un système coûteux, alors qu'elle pourrait
faire fonctionner un système reposant sur le consentement des usagers
des sections amorties à financer l'achèvement du réseau
autoroutier national.
S'agissant de l'exemple particulier de l'A86 Ouest, depuis l'annulation de la
concession, un avis d'appel d'offres conforme au droit européen est paru
le 10 avril. La procédure a pris du retard, et risque de
coûter cher à l'Etat au titre des indemnités dues aux
sous-traitants de Cofiroute.
Il sera intéressant de voir, au cas où le marché serait
finalement attribué à cette société, si les
services de l'équipement, conformément à leur discours
dominant, imposeront à Cofiroute une réduction de la durée
de sa concession hors A86 pour s'assurer qu'aucun adossement n'est
effectué entre la nouvelle section et le reste de la
concession.
c) Deux discours contradictoires
On ne
peut à la fois dire que la péréquation, au sein des
sociétés d'autoroutes, entre autoroutes construites et autoroutes
à construire serait devenue impossible en raison des règles
européennes, et vouloir généraliser cette
péréquation au sein du réseau routier national entre les
autoroutes concédées d'une part, et le reste du réseau
routier (construction et entretien) d'autre part. La commission d'enquête
considère qu'il y a là une contradiction.
Ainsi, une société d'autoroutes ne pourrait
bénéficier d'un prolongement de sa concession pour construire une
nouvelle section d'autoroute. En revanche, l'Etat pourrait effectuer un
prélèvement sur les péages pour construire lui-même
cette nouvelle section, sur laquelle un péage ne serait pas
perçu, et qui ne pourrait donc pas autofinancer son exploitation et son
entretien.
L'établissement public " Routes de France ", dont il est
parfois question, et qui unifierait le réseau routier national (hors
Cofiroute) en collectant l'ensemble des péages pour financer tous les
coûts de construction et d'entretien serait l'aboutissement de cette
logique contradictoire.
Le problème de la coordination des sommes versées sur le
réseau par les sociétés d'autoroutes, les régions
et l'Etat est un problème réel et il doit être
résolu.
De même, l'impécuniosité de l'Etat en matière
d'entretien et de réparation sur le réseau non
concédé doit être combattue. Mais la méthode choisie
doit être rationnelle.
2. La directive sur l'utilisation des péages d'infrastructures
Curieusement, aucune campagne de presse n'est
orchestrée par
le Gouvernement sur la compatibilité de notre système de
péages avec la directive 93/89/CEE du conseil "
relative
à l'application par les Etats membres des taxes sur certains
véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route,
ainsi que des péages et droits d'usage perçus pour l'utilisation
de certaines infrastructures
". Il y aurait pourtant quelques
enseignements intéressants à tirer sur ce sujet.
La Commission de l'Union européenne prône le principe d'une
tarification équitable des infrastructures de transport à leurs
usagers. Ce principe a été étendu aux chemins de fer
français par la création de Réseau ferré de France.
Ce principe a un objectif de multimodalité : la tarification de la
route à son juste coût, contrairement à ce qui est
généralement pratiqué, est susceptible de favoriser les
autres modes de transport. Il a aussi un double objectif
économique :
faire reposer autant que possible sur l'usager, plutôt que le
contribuable, le coût d'usage et les nuisances qu'il occasionne aux
infrastructures ;
rentabiliser les infrastructures plutôt que de les transformer en
sources de recettes fiscales.
Cet objectif nécessite que les
péages bénéficient à l'exploitant du réseau
sur lequel ils sont perçus
.
Les interlocuteurs de la direction générale VII avec lesquels se
sont entretenus votre président et votre rapporteur ont affirmé
que pour être efficace et équitable la tarification d'usage doit
couvrir les coûts sous-jacents occasionnés par l'usager. A cet
égard, ils n'ont pas formulé de remarque quant au
niveau
des péages français. En revanche, ils en ont formulé quant
à
leur affectation
, remarquant en particulier que le financement
par le péage de la taxe d'aménagement du territoire posait des
problèmes de compatibilité avec la directive, puisque cette taxe
ne finance en rien les coûts occasionnés par l'usager sur une
autoroute donnée.
En revanche, il a paru admissible à ces interlocuteurs que la
tarification s'apprécie au niveau d'un réseau
. On peut
comprendre en effet que l'usager régulier de la liaison
Fontainebleau-Montargis paie un péage qui puisse être
utilisé pour réparer un jour une glissière de
sécurité située au nord de Lyon, et qu'il ne puisse exiger
que le prix de son péage soit affecté section par section. Ce
raisonnement peut être étendu : l'usager de l'A6 a
intérêt, grâce au prix qu'il acquitte sur cette autoroute,
à ce que l'A5 qui la déleste soit construite et entretenue.
Ce principe de la tarification en fonction des coûts du
réseau
, et non seulement de ceux de la section empruntée,
justifie la pratique de l'adossement au regard de la directive sur les
péages. Ainsi, on peut concevoir qu'un usager de l'A10 se voit
répercuter une partie du coût de la construction de l'A28 entre le
Mans et Tours, car il bénéficie de l'achèvement du
réseau.
En revanche, ce principe ne peut légitimer nombre de
prélèvements effectués sur les sociétés
d'autoroutes, tels que la taxe d'aménagement du territoire, mais aussi
et surtout les prélèvements destinés à financer la
gendarmerie ou les frais de contrôle des travaux. En effet, ces
prélèvements sont dépourvus de lien avec l'exploitation du
réseau et n'obéissent en aucun cas à une logique de
couverture des coûts de ce réseau. Ces prélèvements,
critiqués par la Cour des Comptes, censurés par le Conseil d'Etat
pour certains d'entre eux,
paraissent également incompatibles avec la
directive
.
La directive sur les péages, méconnue, apporte donc un argument
supplémentaire à l'opposition à un système qui
affecterait une partie des péages à un établissement qui
ne serait pas l'exploitant des autoroutes sur lesquelles ils sont
perçus.
3. La sixième directive de coordination de la taxe sur la valeur ajoutée
Peu de
publicité est également donnée à la situation dans
laquelle se trouve la France à l'égard de l'application des
règles de TVA aux sociétés autoroutières.
Car,
si la Commission n'a rien demandé à notre pays quant à la
pratique de l'adossement, elle a, en revanche, bel et bien engagé une
procédure d'infraction à son encontre sur le respect du droit
commun de la TVA.
En effet, les sociétés d'autoroutes françaises ne sont pas
assujetties à la TVA, ce qui constitue un cas unique en Europe. Les
péages ne sont pas soumis à la TVA. En contrepartie, les
sociétés ne peuvent récupérer la TVA sur leurs
investissements (construction et entretien).
L'enjeu budgétaire est important pour l'Etat, car ce
non-assujettissement provoque une rémanence à la charge des
sociétés de l'ordre de 2 milliards de francs
59(
*
)
. Ceci explique le peu d'empressement des
gouvernements successifs à appliquer la directive.
Mais, outre son caractère incompatible avec les règles
européennes, cette pratique de la TVA est économiquement absurde,
car elle conduit les sociétés d'autoroutes à emprunter
pour payer cet impôt, qui est ainsi remboursé par le péage
sur la durée des concessions, alors qu'il ne s'agit pas d'un
investissement.
III. LES PROPOSITIONS : ACHEVER ET PERENNISER UN RESEAU AUTOROUTIER PERFORMANT
La
politique des transports devra limiter le développement du trafic
routier et favoriser, autant que possible, le trafic ferroviaire et
accessoirement le trafic fluvial.
Toutefois, les études actuellement disponibles montrent qu'il sera
nécessaire d'écouler un trafic routier croissant. Seul un
réseau autoroutier performant, et dont il faudra assurer l'entretien
à long terme, permettra d'écouler ce surcroît de trafic
dans de bonnes conditions.
Il ne doit pas exister de débat entre la nécessité de
relier des populations et celle de relier des territoires. Les deux objectifs
sont complémentaires.
Trois séries de réformes peuvent être entreprises :
créer une véritable procédure de programmation des
investissements,
rénover en profondeur le système de financement,
appliquer les directives européennes qui doivent l'être,
comme elles doivent l'être.
A. UNE VERITABLE PROCEDURE DE PROGRAMMATION
1. Réaffirmer l'utilité d'un schéma autoroutier
Il
n'y a pas de procès d'intention à instruire contre les
schémas de service, dont le contenu ni la conception ne sont connus
aujourd'hui.
En revanche, il est possible d'affirmer que ces schémas de service
devront se décliner en schémas modaux. Il sera nécessaire
d'établir à nouveau une carte de France des autoroutes. La
commission d'enquête remarque que l'Union européenne ne fait pas
autre chose pour le territoire des quinze, et pour celui de la France en
particulier.
Carte du schéma européen pour la France
2. Créer un cadre de décision
Il faut mettre fin aux effets d'annonce spectaculaires, que tout Gouvernement a la tentation de faire, mais qui ne sont pas suivis d'effet.
a) Un processus clair et opératoire au niveau national
Il
faut créer un plan de développement routier et autoroutier qui
soit véritablement un cadre programmatique, et qui comprenne :
- les liaisons à réaliser, mais aussi à
améliorer ou à réparer
- un échéancier des travaux, hiérarchisant les
priorités
- des enveloppes d'investissement et des choix de financement
Le modèle allemand de programmation
Interrogé par votre président et votre
rapporteur, le
chef de notre service d'expansion économique a notamment fait parvenir
le document suivant :
Depuis 1973, la politique en matière d'infrastructures de
transport allemande est inscrite dans le plan des infrastructures
fédérales de transport (Bundesverkehrswegeplan ou BVWP). Ce
document élaboré par le ministère des transports est
approuvé par le Gouvernement fédéral. Il fixe pour 10
à 15 ans les objectifs de la politique d'investissement et
énumère les projets de constructions nouvelles,
d'aménagement, de rénovation et d'entretien lourd des voies
existantes. Il détermine les besoins, permet d'arrêter les
arbitrages entre les différents modes de transport et fixe un plan de
financement.
Le BVWP est décliné en un plan des besoins pour les grandes
routes fédérales et son équivalent pour les voies
ferrées. Ces deux textes sont adoptés par le Bundestag et font
l'objet d'une mise à jour régulière grâce à
l'élaboration d'un plan quinquennal. Ce dernier n'est juridiquement pas
contraignant en application de la règle de l'annualité
budgétaire.
Le plan en vigueur actuellement est le BVWP 92, premier plan suivant la
réunification dont la validité a été étendue
jusqu'en 2012.
Le réseau routier fédéral
Les projets inscrits au plan portent sur la construction ou
l'élargissement de tronçons d'autoroutes, l'élargissement
des routes fédérales et la construction de déviations
d'agglomérations.
|
Longueur
|
Coût
|
Cohérence
|
330
|
26,2
|
Projets unité allemande
|
1.060
|
23,5
|
Projets 85 et nouveaux projets
|
1.220
|
58,9
|
Total projets prioritaires |
|
108,6 |
La
construction de nouveaux tronçons d'autoroutes (2.890 km) concerne
pour l'essentiel les anciens Länder (1.800 km) de même que les
élargissements (1.680 km sur un total de 2.600). La construction de
nouveaux tronçons de routes fédérales comprend les
déviations d'agglomérations (5.218 km) situées pour
la plupart dans les anciens Länder (3.700 km). Les
élargissements de routes fédérales (906 km) comme les
nouveaux tronçons autres que les déviations (955,3 km) sont
prévus pour plus de 60 % dans les anciens Länder.
Ce programme doit être discuté et voté au Parlement,
et revu de façon glissante tous les cinq ans.
Le Sénat est concerné au premier chef, car ce programme doit
associer les collectivités locales concernées.
Ce programme doit ensuite être exécuté au niveau
gouvernemental. La direction des routes et celle du Trésor doivent
définir les modalités techniques et financières des
décisions votées, et non prendre elles-mêmes ces
décisions.
Le comité des investissements à caractère
économique et social pourrait être présidé par le
Premier ministre.
b) Une association des parlements nationaux aux décisions européennes
De la même façon, il apparaît nécessaire, par une juste application de l'article 88-4 de la Constitution, pour ce qui concerne la France, d'associer plus étroitement les parlements nationaux à la définition des schémas européens d'infrastructures. La décision du 23 juillet 1996 sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport aurait dû être débattue au Sénat. On y observe, en effet, de petites différences avec le schéma directeur national.
B. DÉVELOPPER DES " OBJETS AUTOROUTIERS ALLÉGÉS " POUR RÉDUIRE LES COÛTS DE CONSTRUCTION DES AUTOROUTES
La
rentabilité prévisionnelle des autoroutes d'aménagement du
territoire restant à réaliser est très faible, voire
nulle, en raison de l'insuffisance du trafic anticipé et du niveau trop
élevé des coûts de construction.
Ce constat résulte partiellement d'une analyse à courte vue. En
effet, l'objet de la réalisation de ces liaisons est
précisément d'anticiper le développement économique
des territoires nouvellement desservis, dans lesquels le trafic est
mécaniquement appelé à croître. Plus largement, les
projections de croissance continue du trafic routier d'ici à 2015
concernent également des liaisons d'aménagement du territoire.
Il est toutefois incongru de consacrer le même budget à une
autoroute qui accueillera à sa mise en service 8.000 à 9.000
véhicules/jour qu'à des autoroutes qui en accueillent 40.000
à 50.000. Des gisements d'économies sont fréquemment
évoqués : le couplage des aires de repos et des diffuseurs, le
phasage de la construction des ouvrages d'art non courants, la
réduction, au détriment de la bande d'arrêt d'urgence, du
profil en travers en section courante. Pour autant, si les économies
ainsi réalisées s'appliquent à de véritables routes
à 2x2 voies, il est illusoire d'envisager une diminution des coûts
supérieure à 10 ou 15% des coûts moyens usuels.
De même, il faut éviter que les économies ne proviennent
d'aménagements " au rabais ", pour des raisons de
sécurité. Les autoroutes à coût réduit
doivent être de véritables autoroutes : voies
séparées, pas de carrefour à niveau, pas d'accès
riverains.
Ceci explique le développement de réflexions relatives à
la réalisation de voies de type nouveau, à aménagement
progressif. Le rapport du groupe de travail " Autoroutes " de la DG
VII de la Commission européenne paru en 1994 présente
l'idée en ces termes :
"
le RRTE (réseau routier transeuropéen) doit pouvoir
s'adapter au niveau de développement des régions d'Europe.
L'intégration de seules voies autoroutières dans le RRTE ne se
justifiait pas et aurait même pu être un sérieux handicap
pour le développement de certaines régions
périphériques.
Toutefois le RRTE doit se réserver la
possibilité d'évoluer, de se transformer, par exemple une voie
express doit pouvoir devenir une autoroute lorsque les caractéristiques
socio-économiques des territoires desservis l'exigeront.
Aussi, il
serait intéressant de définir des standards minima, par exemple
en terme d'accessibilité, d'urbanisme des zones traversées, pour
préserver les possibilités d'évolution du RRTE. Ces
précautions techniques ainsi que la réservation
systématique d'espaces qui accompagneront les axes nouveaux
contribueront à limiter les coûts d'investissement
ultérieurs nécessaires à l'adaptation des
capacités.
"
Sur les axes à très faible trafic, et présentant un
intérêt régional ou interrégional, la
réalisation de voies à caractéristiques
autoroutières, combinant fluidité du trafic, dénivellation
des carrefours, séparation des sens de la circulation et
homogénéité des trafics (interdiction des tracteurs ou des
vélos), pour un coût substantiellement inférieur aux
coûts traditionnels est étudiée de très près,
tant par la direction des routes que l'Association des sociétés
françaises d'autoroutes (ASFA).
Selon cette dernière, une diminution d'environ 30% du coût de
l'investissement et des dépenses d'entretien ultérieures est
possible, à condition que tous les prescripteurs diminuent leurs
prétentions et que l'on diminue, au moins dans une première
phase, les caractéristiques géométriques en admettant
qu'une partie de l'itinéraire soit à 2x1 voie, des
créneaux de dépassement étant aménagés avec
un espacement approprié pour que les éventuels
" pelotons " soient rapidement dissous.
Dans ces conditions, les calculs financiers prévisionnels montrent que
l'on peut sans doute concéder des itinéraires selon les
critères suivants :
- un trafic de 6.000 véhicules/jour ;
- un coût de 23 millions de francs le kilomètre pour la
première phase à 2x1 voie. Pour mémoire, le coût
moyen du kilomètre d'autoroute est aujourd'hui supérieur à
40 millions de francs ;
- un tarif moyen de 0,40 franc le kilomètre, le tarif actuel
étant de 0,48 franc le kilomètre ;
- une subvention publique s'élevant à 50% du coût
total. Cette subvention pourrait provenir du FITTVN, dont le mode
d'alimentation aurait été rénové ;
- une durée de concession de 50 ans.
Si les sociétés autoroutières étaient enfin
soumises au régime général de TVA et que la taxe
d'aménagement du territoire n'était pas exigée, le niveau
de trafic requis pourrait descendre au voisinage de 5.500
véhicules/jour. La longueur des segments réalisés selon ce
standard ne devrait pas dépasser 100 kilomètres.
ETUDE
FINANCIÈRE PRÉVISIONNELLE
D'UNE AUTOROUTE À 2X1 VOIES
C. RÉNOVER EN PROFONDEUR LE SYSTÈME DE FINANCEMENT
1. Etablir le principe de l'autoroute à péages
Il
faut réformer la loi de 1955 afin d'établir le principe (et non
plus l'exception) de l'autoroute à péage, en consacrant dans la
loi les multiples rôles (financement du réseau, de l'entretien,
fluidité du trafic, sécurité) que le péage joue
aujourd'hui.
Quatre arguments peuvent être avancés dans ce sens :
- il est nécessaire de permettre le financement, à terme, du
haut niveau d'entretien et d'aménagement requis sur le réseau. Ce
sont des dépenses permanentes qui appellent des ressources
pérennes.
- le péage permet de faire participer les voyageurs et
transporteurs étrangers, et non le seul contribuable national aux
coûts du réseau. Les ressources ainsi dégagées sont
très importantes, notamment dans les régions frontalières.
Par exemple, le tiers du produit des péages perçu par la SANEF
est aujourd'hui libellé en devises.
La France est la plaque tournante du trafic routier en Europe, de la
Grande-Bretagne vers l'Italie ou encore de l'Allemagne à l'Espagne. Il
importe de ne pas se priver de cette ressource.
- préserver les 15.000 emplois, répartis sur le
territoire, du secteur concédé,
- dégager des marges de manoeuvre pour construire
éventuellement de nouvelles autoroutes.
Il faut établir un péage sur les autoroutes nouvelles en
construction. En d'autres termes, il s'agirait de généraliser le
principe retenu s'agissant du viaduc de Millau. Le péage est
accepté s'il est perçu comme la contrepartie d'un service rendu,
et non comme une taxe. Le service rendu doit être apprécié
au niveau du réseau, et non de la seule section empruntée par
l'usager.
De la même façon, il faut généraliser le
péage sur les pénétrantes urbaines. Le péage permet
de réguler le trafic. Il est le complément indispensable de la
plurimodalité. Partout où se trouve un service autoroutier de
niveau équivalent, il doit y avoir un péage.
Evolution des dépenses d'entretien du réseau routier
(en millions de francs)
|
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Non concédé |
3246 |
3110 |
3005 |
2727 |
2766 |
2952 |
3191 |
3165 |
3175 |
3225 |
Concédé |
2318 |
2633 |
2877 |
3011 |
3079 |
3234 |
3479 |
3772 |
3927 |
3700 |
En
fonction de l'accroissement de la taille du réseau, les besoins
d'entretien progressent. Qui peut penser sérieusement que les
coûts d'entretien du réseau concédé, qui atteignent
4 milliards de francs, puissent être à nouveau supportés
par l'impôt ? Plus le réseau concédé à
péage sera proportionnellement important, plus les besoins en entretien
seront satisfaits, et moins le poids de cet entretien pèsera sur l'Etat.
La politique tarifaire doit obéir à une logique économique
et non servir à des prélèvements ou à assister la
politique de lutte contre l'inflation.
2. Poursuivre le regroupement de sociétés d'économie mixte
La
réforme de 1994 était bonne dans son principe, mais elle se
révèle aujourd'hui insuffisante : il subsiste aujourd'hui,
à côté de sociétés prospères, des
sociétés en difficulté que les premières ne peuvent
aider. Il faut donc regrouper les huit SEMCA (les trois pôles de deux
sociétés, l'ATMB et la SFTRF) en deux grandes holding publiques,
sur une base Nord/Sud.
Ce groupe public ne devra toutefois se consacrer qu'aux seules autoroutes
à péage, éventuellement à leurs abords
immédiats. Le reste du réseau national doit rester
géré directement par l'Etat, via un FITTVN rénové.
Ces groupes, qui seraient des entreprises publiques de droit commun,
devront bénéficier d'une grande liberté de gestion,
à l'exception de la définition du réseau, restant de la
compétence de l'Etat : liberté tarifaire, échelonnement
des investissements, fiscalité de droit commun, respect des clauses
contractuelles entre lui et l'Etat.
En revanche, l'idée de créer un grand établissement
public " Routes de France " centralisant l'ensemble des recettes de
péage pour financer tous les investissements sur le réseau
national doit être écartée. Cette idée, qui
généralise la pratique actuelle du FITTVN, et qui ressemble
à une sorte de " super-adossement " (mise en avant par
ceux-mêmes qui récusent l'adossement) mènerait le
système à une impasse financière. Il est donc
nécessaire de maintenir une séparation des deux logiques :
système concédé d'un côté, système non
concédé de l'autre. Cette option nécessite de revoir les
ressources du réseau non concédé.
3. Rechercher des outils de financement adaptés
Les
outils utilisés traditionnellement pour le financement des autoroutes
sont beaucoup trop courts par rapport à la durée de vie des
autoroutes. En effet, les obligations émises par la Caisse nationale des
autoroutes le sont pour une durée de quinze ans alors que les
infrastructures ont une durée de vie de cinquante, voire cent ans. Cette
distorsion oblige les sociétés d'autoroutes à amortir
leurs investissements sur des durées trop brèves.
Il est donc nécessaire :
- s'agissant des concessions,
de prolonger les contrats actuels
jusque vers 2035/2040 pour garantir l'équilibre du système par
des durées conformes à l'amortissement des ouvrages, et la
suffisance de ses ressources en vue de l'achèvement du SDRN ;
puis de
réattribuer régulièrement les concessions sur le
réseau existant
par appels d'offres européens. Le principe de
concessions permanentes conduit à garantir que le réseau sera
entretenu convenablement, l'entretien étant financé par le
péage, d'un montant modique s'agissant des infrastructures amorties.
L'allongement des concessions actuelles permettra également un
allongement corrélatif des amortissements, et donc la suppression du
système des charges différées.
La publication d'appel d'offres réguliers, pouvant conduire au
renouvellement du concessionnaire, permettra de maintenir le jeu de la
concurrence et de garantir la qualité des services offerts par les
concessionnaires.
-
d'allonger la durée des financements
. Cette
évolution pourrait se traduire par un appel aux fonds d'épargne
de la Caisse des dépôts et consignations par des prêts de
32 ans à taux réduit, comparable au système
appliqué en matière de logement social. Une diminution du taux du
livret A permettrait, à cet égard, de réduire les taux
d'intérêt des emprunts.
L'allongement de la durée des financements pourrait également
passer par des émissions d'obligation à 30 ans par la CNA, sur le
modèle des OAT à 30 ans.
- de
doter de fonds propres véritables les SEMCA
ou le
groupe public qui s'y substituerait (au moins 15 milliards de francs), par
dotations en capital, ouverture au privé, voire à terme
privatisation. Une telle évolution serait conforme à la logique
européenne.
4. Modifier les ressources et les dépenses du FITTVN
De son
côté, le FITTVN peut devenir l'outil privilégié de
l'Etat pour le financement du réseau routier national, hors autoroutes
concédées, dans une perspective d'aménagement du
territoire.
Il doit à cette fin être réformé, en
dépenses, mais surtout en recettes.
S'agissant des dépenses, si les deux conditions suivantes sont
remplies :
- le plus d'autoroutes possibles est concédé,
- une étanchéité est maintenue entre les fonctions
exercées directement par l'Etat sur le réseau national d'une
part, et le système concédé d'autre part ;
alors le FITTVN pourra consacrer une part rapidement croissante de ses
dépenses à l'entretien du réseau routier national. En
effet, il n'aurait plus, à terme, à financer la construction
d'autoroutes, à l'exception toutefois de son appui aux " autoroutes
allégées ".
Mais la ressource doit être profondément modifiée.
Il est nécessaire de supprimer -progressivement au moins- la taxe
d'aménagement du territoire, dont le mécanisme mène
l'ensemble du système dans une impasse. Le produit de la TAT est de 2,2
milliards de francs par an. Plusieurs substituts à cette taxe sont
envisageables :
- une vignette, selon le modèle suisse, actuellement importé
par l'Autriche et l'Allemagne. Le produit de cette vignette serait toutefois
affecté au réseau national non concédé.
- une contribution sur les bénéficiaires indirects des
dessertes autoroutières. Il n'est pas inconcevable d'envisager, par
exemple, que les entreprises bénéficiant de la desserte
participent à son financement. Des dispositifs de ce type existent aux
Etats-Unis, où les entreprises participent également parfois
à l'élaboration des tracés.
- une taxe additionnelle, très modique, sur les carburants. Cette
solution est celle que les Etats-Unis ont retenu. En France, une augmentation
de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) de 6
à 7 centimes par litre, permettrait d'assurer un rendement de 3
milliards de francs supplémentaires, qui pourraient être
affectés au FITTVN. Cette solution paraîtrait la plus commode et
la plus efficace.
5. Améliorer la contractualisation
a) Contractualiser l'entretien (Etat/régions)
L'entretien du réseau routier national est à la
charge
du seul Etat, alors que sa construction est partagée entre l'Etat et les
régions.
On peut imaginer que, au fur et à mesure de l'achèvement des
investissements routiers, l'entretien fasse aussi l'objet des contrats
Etat-régions. Les régions seraient incitées à se
préoccuper des suites de la construction, car la construction
d'aujourd'hui est l'entretien de demain.
Associée à la mise en concession du plus long réseau
possible d'autoroutes, cette solution pallierait l'insuffisance des
crédits d'entretien.
b) Encourager une contractualisation entre les sociétés autoroutières et les collectivités locales
Une
collaboration entre les sociétés autoroutières et les
collectivités locales, qui participent déjà aux conseils
d'administration des sociétés autoroutières, est
envisageable à deux niveaux :
- sur les voies " allégées " d'aménagement
du territoire, la localisation et la fréquence des échangeurs,
autour desquels se concentre le développement économique ;
- l'insertion des tracés dans les paysages, facteur
d'amélioration de l'acceptabilité de l'autoroute par les
riverains.
S'agissant des collectivités locales, une réflexion sur
l'opportunité de créer des fonds régionaux
d'infrastructures ainsi que sur leur mode d'alimentation, pourrait se
révéler fructueuse et susceptible de permettre un meilleur niveau
d'exécution des contrats de plan Etat-régions.
D. APPLIQUER LES DIRECTIVES EUROPEENNES COMME ELLES DOIVENT L'ÊTRE
Pour
remettre en cause le schéma directeur routier national, le Gouvernement
met en avant la réglementation européenne.
Pourtant, il est douteux qu'elle doivent s'appliquer comme il le prétend.
En revanche, il est certain qu'il ne pourra refuser longtemps d'appliquer
d'autres aspects de cette réglementation.
1. Appliquer la directive sur les péages
Le 4) de
l'article 7 de la directive de 1993 sur les péages
d'infrastructures précise que :
" les taux des
péages sont liés aux coûts de construction, d'exploitation
et de développement du réseau d'infrastructures
concerné ".
Cette règle remet en cause les prélèvements de nature
diverse qui pèsent aujourd'hui sur les péages et qui ne
répondent pas à ces critères.
En revanche, elle répond à la logique de réseau
défendue par la commission d'enquête.
2. Appliquer la sixième directive TVA
La
France est mise en cause par la Commission dans le cadre d'une procédure
d'infraction relative à l'application de la TVA aux
sociétés concessionnaires.
Elle n'échappera pas à la condamnation si elle n'applique pas le
droit commun rapidement.
L'enjeu est important, mais il est possible de substituer au mécanisme
de TVA dérogatoire un prélèvement de droit commun sur les
résultats d'exploitation qui resterait neutre pour les finances
publiques.
Il serait possible de substituer à l'ensemble des
prélèvements actuels, qui ne tiennent pas copte de la situation
financière des sociétés, un impôt sur le
résultat d'exploitation associé au versement de dividendes.
Couplé à l'allongement des concessions, ce système serait
d'un rendement supérieur aux prélèvements actuels pour
l'Etat.
3. Appliquer la directive sur les marchés publics de travaux en défendant l'adossement
Le
Gouvernement prétend que la directive " marchés publics de
travaux " remet radicalement en cause le financement des constructions
nouvelles par les recettes des tronçons déjà amortis.
L'arrêt récent du Conseil d'Etat sur la concession de
l'autoroute A86 a montré qu'il aurait fallu recourir à des
appels d'offre européens pour l'attribution des concessions dès
juillet 1990 ; alors que la France n'a pas appliqué cette
règle jusqu'en décembre 1997.
Il conviendra donc à l'avenir d'utiliser cette méthode pour
attribuer les sections nouvelles à construire (concession de
construction), mais aussi pour renouveler régulièrement les
concessions sur réseau existant (concession d'exploitation).
En revanche, rien de démontre que la technique dite de
" l'adossement " soit interdite par cette directive. Celle-ci exige
que les aides d'Etat aux attributaires de concession soient transparentes. Ces
aides peuvent prendre la forme de subventions directes, ou celles d'allongement
de concessions sur le réseau exploité par ailleurs. Il n'y a pas
de concurrence déloyale, dès lors que des règles claires
sont établies.
Il faut plaider à Bruxelles en ce sens, au lieu
de condamner le système par avance.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Sur la voie d'eau :
Dans la réflexion intermodale, nous n'avons pas, en France, de
véritable alternative " voie d'eau ".
L'observation d'une carte interdit de comparer la France aux Pays-Bas ou
à l'Allemagne, pays de géographie et de culture fluviales. Dans
ces deux pays, la navigation fluviale est une donnée naturelle dans la
chaîne de transport dont la part modale reste au demeurant stable depuis
de nombreuses années ; la rupture d'équilibre au profit de
la route ayant eu le rail pour seule victime.
Une politique volontariste en France pourrait se heurter à
" l'inertie " de nos opérateurs qui, professionnellement et
culturellement, sont plutôt adaptés au statu quo et souhaitent
avant tout l'amélioration de l'entretien du réseau existant.
L'adaptation de la profession semble, en conséquence, la condition sine
qua non d'une relance du transport par voie fluviale.
A contrario, les professionnels allemands et surtout néerlandais
verraient d'une bon oeil la connexion des réseaux français avec
les grands bassins européens (Saône-Rhin, Seine Nord, Seine Est).
Ils encourageraient donc plutôt la France à se lancer dans ces
coûteux investissements (relayés, dans une large mesure, par la
commission de Bruxelles) même si ces réalisations n'auraient pour
eux qu'un impact somme toute secondaire.
Les considérations environnementales, la lenteur et la
complexité des procédures de consultation et de
réalisation des grandes infrastructures constituent désormais une
donnée incontournable favorisant, à certains égards,
l'attentisme voire l'immobilisme (exemple du projet de canal Saône-Rhin).
Cette considération vaut, au demeurant, désormais pour l'ensemble
des grands investissements publics.
Les considérations écologiques sont invoquées par
certains groupes de pression allemands qui observent que l'on ne referait sans
doute pas le canal Main-Danube aujourd'hui, même si les paramètres
financiers pèseraient également d'un poids lourd dans un
débat de cette nature, compte tenu de la situation actuelle de la
République fédérale, encore que le projet de
Mittellandkanal ne semble pas faire l'objet d'oppositions de fond.
Paradoxalement, les grands projets fluviaux sont perçus sans
enthousiasme par les professionnels français : le milieu portuaire de
Marseille semble se résigner sans trop de difficultés à
l'abandon du canal Saône-Rhin, tandis que le milieu portuaire du Havre
redoute, non sans malthusianisme, la concurrence des puissants voisins belges
et néerlandais que pourrait générer la réalisation
du canal Seine-Nord.
Le trafic relativement faible sur le canal Main-Danube n'enlève rien au
fait que cette réalisation a constitué, pour les Allemands, un
formidable pari sur le décollage de l'Europe centrale et le boom des
échange qui devrait en résulter dans les vingt prochaines
années.
Le raccordement, par le canal Seine-Nord, du Havre et du Bassin parisien aux
grands bassins fluviaux de l'Europe du Nord constituerait aussi un pari dont
les retombées économiques sont au demeurant probables à
moyen terme.
Ne convient-il pas d'ailleurs de privilégier les investissements qui
misent sur l'avenir (en faisant peser l'effort financier sur l'actuelle
génération) par rapport aux choix d'infrastructures qui reportent
au contraire le coût financier des opérations sur les
générations futures. De ce point de vue et sans préjudice
des considérations présentées plus haut, on doit
encourager la réalisation du canal Seine Nord.
Sur la voie ferrée :
La France bénéficie, à la différence de certains
pays européens, d'un réseau ferré existant dense, bien
entretenu et relativement moderne qui devrait lui permettre de valoriser les
atouts du fer dans la perspective de la réalisation du marché
unique et de l'insertion de la France dans le courant des échanges entre
l'Europe du Nord et le Sud.
La logique de libéralisation adoptée par la Commission
européenne, et soutenue par nos grands voisins européens,
condamne, à terme, l'illusion du monopole perpétuel à
laquelle semble s'accrocher encore la SNCF et, dans une certaine mesure, ses
autorités de tutelle. Cette logique imposera nécessairement,
à terme, un considérable effort d'adaptation aux entreprises
ferroviaires européennes et notamment à la SNCF. Seule cette
logique permettra en réalité d'améliorer
l'efficacité et l'attractivité du transport ferroviaire.
Même si elle exige des étapes, l'instauration progressive de la
concurrence intra-modale demeure une nécessité. Une politique qui
ne miserait que sur le développement de la concurrence inter-modale
(telle que semble la concevoir l'actuel Gouvernement) condamnerait
inéluctablement le transport ferroviaire de marchandises en France.
Il importe de poursuivre le développement des lignes TGV dans une
perspective européenne. Le schéma national de lignes à
grande vitesse est désormais caduc, en raison de son coût
exorbitant (sa réalisation aurait nécessité 200 milliards
de francs, soit au rythme actuel de l'investissement, un achèvement en
2200 !). Seul un phasage des investissements privilégiant les
projets les plus rentables devrait être retenu.
A cet égard, de grandes approximations affectent la
crédibilité du programme de financement du TGV Est
Européen, tel qu'il a été présenté par le
Gouvernement.
En Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, sont planifiés des projets
d'investissement considérables concernant le fret ferroviaire. Des
corridors de fret -ouverts à la concurrence- ont été mis
en place entre le port de Rotterdam et le sud de l'Italie, contournant le
territoire français.
En France, dans son état actuel d'exploitation du réseau, le
trafic-fret ne peut croître, à moyen terme, que de 7 à
14 %, la SNCF persistant à accorder une priorité absolue au
transport de voyageurs, y compris sur des liaisons peu
fréquentées.
En certains points du territoire, des modifications des conditions
d'exploitation du réseau ne pourront suffire à rendre possible
une augmentation du fret. Le trafic voyageurs y induit une saturation des
sillons . Il importe de réaliser des investissements sur les noeuds
ferroviaires : grande ceinture de Paris, accès à Bordeaux,
contournement de Lyon, passage de Nîmes-Montpellier et traversée
des Alpes via Modane. Ces investissements, d'un coût relativement
modeste, présentent un caractère stratégique.
Des liaisons ferroviaires dédiées au fret devront
être nécessairement établies :
- sur l'axe Nord-Sud (Marseille-Lyon-Mulhouse-Bâle) afin de
créer un grand axe structurant entre l'Europe du Nord et l'Europe du
Sud, voire les nouveaux marchés d'outre-Méditerranée, afin
d'empêcher la marginalisation déjà en marche de la France
qui pourrait, si l'on n'y prenait garde, devenir rapidement le
" Finistère " de l'Europe ;
- sur l'axe Est-Ouest (Le Havre-Allemagne via Metz)
La croissance à deux chiffres du trafic combiné se heurte
à la saturation de nos capacités actuelles, interdisant de
satisfaire une demande en pleine expansion. Le chantier de transport
combiné de Lhomme dans le Nord fonctionne, par exemple, à
120 % de sa capacité. Des investissements de capacité d'un
montant au demeurant modeste (entre 30 et 40 millions de francs par chantier)
pourraient remédier au phénomène de saturation et affirmer
une logique nationale de développement.
Sur la route :
Le développement du trafic routier en France est apparu comme une
donnée incontournable, dont le rythme est lié, au demeurant,
à la situation économique générale du pays et
à la vigueur de ses échanges avec ses partenaires. Vouloir
enrayer cette progression est une bataille largement illusoire, voire une
bataille contre la croissance économique et le développement. Il
importe en revanche de rechercher des solutions pour réguler
raisonnablement ce trafic.
Dans le domaine routier, la comparaison de la France avec ses voisins du Nord
ou avec l'Allemagne fait apparaître, chez ces derniers, un
équipement nettement supérieur. Ils connaissent sur l'ensemble de
leurs axes autoroutiers un phénomène de saturation expliquant la
politique volontariste de rééquilibrage vers le rail
engagée par leurs gouvernements successifs, notamment en ce qui concerne
le fret.
En France, seul l'axe Lille-Paris-Lyon-Marseille connaît une saturation
" à l'allemande ". Le territoire français, surtout
à l'ouest d'une ligne Le Havre-Montpellier, comprend nombre de
régions encore mal desservies, qui souffrent d'un déficit
d'infrastructures routières et le maillage du territoire, en ce qui
concerne ces dernières, ne butte que sur des considérations
financières.
A cet égard, il est apparu que le postulat " désenclavement
égal développement économique " n'avait rien perdu de
sa validité en dépit des principes qui semblent inspirer l'actuel
Gouvernement sur ce sujet.
L'actuel système de financement du système autoroutier est
globalement équilibré. Il a permis à la France, dans des
délais remarquables, de rattraper son retard par rapport à ses
partenaires et de se doter d'un réseau autoroutier de qualité
exceptionnelle. Ce système de financement des autoroutes
concédées, reposant sur le mécanisme de l'adossement,
présente le double avantage d'être à la fois capable de
fournir des ressources abondantes, tout en étant neutre pour les
finances publiques, et en reposant sur le libre consentement de l'usager au
péage.
La commission d'enquête a établi que le principe de l'adossement,
du financement de la construction de sections non rentables par une
société grâce aux excédents dégagés
par des sections rentables exploitées par la même
société, n'était pas contraire au droit communautaire. Il
faut être conscient que toute remise en cause de ce système aurait
un coût élevé pour les finances publiques.
A contrario, tout système administratif de péréquation
financière entre le réseau autoroutier et le réseau
routier classique ne pourrait qu'assécher les ressources des
sociétés d'autoroutes tout en augmentant, au passage, le
coût d'entretien de la voirie nationale non concédée. Une
entropie de l'ensemble du système serait inévitable.
La commission d'enquête a toutefois émis des critiques sur
certains aspects de ce système de financement. Le morcellement des
sociétés autoroutières conduit certaines d'entre elles
à demeurer dans de graves difficultés alors que d'autres,
beaucoup plus rentables, ne peuvent pas les aider.
Les prélèvements opérés sur le système par
l'Etat sont trop élevés et trop aveugles (ils ne tiennent pas
compte de la situation financière des sociétés). La
plupart de ces prélèvements sont contraires à la directive
européenne sur les péages, qui n'admet qu'une logique de
réseau : la ressource tirée du péage doit
exclusivement revenir à l'exploitant d'un réseau pour le
construire, l'entretenir et le faire fonctionner.
La tarification d'usage des infrastructures (le péage) n'obéit
pas à une logique économique. Cette tarification a
été longtemps trop faible, lorsque le trafic était
très dynamique : les concessionnaires ont eu un manque à
gagner de recettes important. Inversement, les tarifs augmentent aujourd'hui
trop vite, en vue de financer des prélèvements nouveaux : le
trafic ne suit pas et les recettes non plus.
La durée des financements n'est pas adaptée à la
durée de vie des infrastructures : les concessions sont trop
courtes, occasionnant des charges différées nuisibles à
une comptabilité sincère des sociétés.
La construction d'autoroutes gratuites conduit à une impasse
financière, car l'Etat, déjà incapable d'entretenir son
réseau actuel, le sera plus encore à l'avenir lorsque ce
réseau sera plus vaste. Or le prélèvement
opéré sur les autoroutes payantes pour financer le FITTVN nuira
à la fréquentation de ces dernières tandis que les besoins
de financement des autoroutes gratuites seront grandissants. Il est donc
nécessaire que le FITTVN soit alimenté par une ressource non
prélevée sur le réseau lui-même.
Le principe du péage doit être affirmé, tant pour des
raisons pragmatiques liées à la nécessité de
financer l'entretien et l'exploitation dans un contexte de maîtrise des
dépenses publiques, que pour les vertus du péage en
matière de régulation du trafic (et donc de multimodalité).
Les impératifs de l'aménagement du territoire et la
nécessité de satisfaire les besoins en infrastructures
routières de nos régions les moins développées
conduisent à encourager une réflexion active sur un nouvel
" objet autoroutier allégé " avec pour objectif une
économie de 10 % à 15 % (deux fois deux voies
allégées) voire de 30 % (deux fois une voie). Il est
souhaitable que ces nouvelles liaisons d'aménagement du territoire
soient des voies à péage, ce dernier étant d'un niveau
éventuellement plus faible que les coûts sous-jacents, mais devant
permettre à terme d'assurer la viabilité de l'autoroute.
La planification routière de nos voisins est établie à
échéance de 2015 ou 2020. Nous devons nous inspirer de modes de
planification efficaces, comprenant non seulement un schéma directeur,
mais aussi un échéancier prévisionnel et des
modalités de financement. En ce qui nous concerne, il convient donc
d'ores et déjà de programmer l'après
schéma-directeur routier (dont l'achèvement est prévu pour
2004/2005), afin de renforcer la liaison Est-Ouest, mais aussi de créer
un véritable axe structurant en direction de la péninsule
ibérique qui aurait aussi pour effet, à travers deux liaisons
routières traversant les Pyrénées, de raccorder le grand
Sud-Ouest au centre de l'Espagne.
Réunie le mercredi 3 juin 1998, sous la présidence de
M. Jean François-Poncet, président, la commission
d'enquête a adopté le rapport présenté par M.
Gérard Larcher, rapporteur.
Les opinions divergentes des commissaires appartenant au groupe socialiste
ainsi qu'au groupe communiste, républicain et citoyen, qui se sont
prononcés contre les conclusions du rapporteur, sont reproduites
ci-après.
EXPLICATION DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE
Le 11
décembre 1997, le Sénat décidait la création d'une
commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands
projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire, dans
une perspective de développement et d'insertion dans l'Union
européenne. La présentation qui en était faite par le
rapporteur pouvait laisser penser qu'il s'agissait d'une machine de guerre
contre le nouveau Gouvernement, d'autant plus que plusieurs autres commissions
d'enquête du même type étaient en même temps
proposées. L'abandon du canal Rhin-Rhône y était
dénoncé en des termes inacceptables et la condamnation des
premières mesures et des annonces de réformes du Ministre de
l'équipement, des transports et du logement et de la ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement relevait d'un
procès d'intention. M. Guy Allouche exprima au nom du groupe socialiste
nos réserves et annonça notre abstention.
La commission présente aujourd'hui son rapport. Les règles
administratives des commissions d'enquête rendent difficile, voire
impossible, la rédaction d'observations très argumentées.
Nous nous bornerons donc à présenter quelques indications
générales et à expliquer notre position.
1°) La commission a travaillé largement longuement et
sérieusement même si la participation à ses travaux n'a pas
toujours été suffisante. Nous en remercions ses membres, son
rapporteur et son président.
2°) Ses conclusions, que nous ne partageons pas toutes, montrent à
l'évidence que les craintes exprimées lors de sa création
n'étaient pas justifiées.
L'abandon du canal Rhin-Rhône est accepté, même si cette
position est formulée en termes diplomatiques.
Une réflexion sur la politique du TOUT TGV est entamée et
l'option pendulaire approuvée avec la prise en compte du rapport
Rouvillois.
Les difficultés financières et administratives de
l'achèvement du schéma directeur routier sont bien
analysées.
3°) Nous approuvons un certain nombre de prises de position, à
savoir :
La nécessité de réaliser Seine-Nord, tout en maintenant la
volonté de développer l'activité du port de Dunkerque.
La volonté de maintenir la position favorable des ports du Havre et de
Marseille en créant les équipements nécessaires, en
particulier les couloirs ferroviaires vers l'Est pour le premier, vers le
Nord-Est pour le second.
Une politique de développement du transport de fret par le rail partout
où cela sera possible.
Le souhait d'achever le schéma directeur routier en prenant en compte
les difficultés financières et administratives. De ce point de
vue, la réflexion engagée par le Gouvernement et acceptée
par la commission sur des autoroutes allégées (à discuter
avec les collectivités locales) est intéressante.
Enfin, nous partageons le souhait de voir le Parlement intervenir plus
directement dans la décision des schémas de transport.
4°) Nous regrettons :
Que la réflexion sur des schémas de services de transports
voyageurs et marchandises spécifiques ne figure pas dans ce rapport.
Que l'intermodalité, même si sa nécessité est
reconnue, ne fasse pas l'objet de propositions suffisantes.
Que les conséquences sociales de l'évolution des
différents modes de transport ne soient jamais abordées.
Que la commission n'ait pas souhaité prendre en compte le transport
aérien pourtant incontournable dans une vision intermodale des
transports et d'aménagement du territoire européen.
Que les difficultés posées par les réglementations
européennes soient sous-estimées. Par exemple, nous ne partageons
pas l'avis de la commission sur l'allongement des concessions ou leur
globalisation. Nous tenons à rappeler, en particulier dans le domaine
ferroviaire, notre attachement au service public.
Nous aurions pu approuver cependant ce rapport en y indiquant nos
réserves. Il est malheureusement parsemé de paragraphes
politiques (ou politiciens ?) parfois d'ailleurs totalement démentis par
le contenu même du texte. Ainsi, par exemple, l'affirmation de M. Raymond
Barre indiquant que le Gouvernement a abandonné le canal
Rhin-Rhône pour des raisons électorales est inacceptable d'autant
plus que sa présentation laisse penser qu'elle est reprise par la
commission.
Les sénateurs socialistes ont donc voté contre le
rapport.
CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN À LA COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE CHARGÉE D'EXAMINER LE DEVENIR DES GRANDS PROJETS D'INFRASTRUCTURES TERRESTRES D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DANS UNE PERSPECTIVE DE DÉVELOPPEMENT ET D'INSERTION DANS L'UNION EUROPÉENNE
A
l'origine, le groupe communiste républicain et citoyen s'était
opposé à la mise en place d'une commission d'enquête
chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures
terrestres d'aménagement du territoire, considérant qu'elle
relevait alors d'une démarche politicienne de la part de la droite
sénatoriale dirigée contre les intentions prêtées au
gouvernement issu des élections de juin 1997.
Après avoir proposé des projets, certes séduisants, mais
sans les moyens juridiques et financiers de les réaliser, la droite
s'autorise aujourd'hui à faire la leçon sur l'état
d'avancement des schémas directeurs.
Il s'agit, à l'inverse, pour la nouvelle majorité
gouvernementale, de sortir de la méthode selon laquelle on annonce des
travaux d'envergure sans prévoir les conditions d'un financement
correspondant.
Le Gouvernement a été amené à effectuer des choix
positifs, dans le cadre d'une concertation relancée pour faire face aux
besoins de financement des projets annoncés. Les intentions de la droite
étaient de contester ces options sans assumer sa part de
responsabilité dans l'absence des crédits programmés.
A titre d'exemple, sur les 200 milliards de francs annoncés par le
schéma directeur des lignes à grande vitesse, seuls 500 millions
de francs étaient à la disposition du Ministère de
l'Equipement, des Transports et du Logement en 1997.
Le rapport Larcher procède à une analyse approfondie et assez
complète du déséquilibre dans la répartition des
différents modes de transports terrestres. Certaines pistes
proposées, dès lors qu'elles s'inscrivent dans le
développement durable et équilibré du territoire,
méritent d'être approfondies.
Le groupe communiste républicain et citoyen estime nécessaire
d'appréhender la question des transports et des projets
d'infrastructures de façon transversale et globalisante au lieu d'une
vision sectorielle qui a prévalu jusqu'ici.
Une approche transversale des modes de transport, l'intermodalité, doit
prévaloir sur la perspective de mise en concurrence entre le rail, la
route et les voies navigables qui génère, de fait, les
déséquilibres que nous connaissons aujourd'hui. Paradoxalement,
alors que le rapport rend compte de l'acuité des disparités dans
la croissance des différents modes de transport, il est proposé
de développer, non seulement la concurrence intermodale, mais aussi la
concurrence intramodale.
Un tel projet est tout autant inefficace sur le plan économique
qu'irréaliste en terme d'aménagement du territoire.
Nous préconisons, pour notre part, de favoriser la
complémentarité, et non la mise en compétition, des modes
de transport dans un cadre défini en commun par les pouvoirs publics,
les collectivités locales concernées, les acteurs
économiques, les usagers et les représentants des salariés.
Une approche globalisante, intégrant les exigences locales en
cohérence avec les préoccupations nationales en terme d'emploi,
d'aménagement du territoire et d'environnement, doit être
précisée. La distinction entre un schéma voyageurs d'une
part, et un schéma marchandises d'autre part, est susceptible de
faciliter la prise en compte des facteurs économiques, sociaux, humains
et territoriaux dans la conception, l'évolution et l'exécution
des projets d'investissement.
Les orientations du rapport de la commission d'enquête, s'inscrivant
délibérément dans le cadre de la
déréglementation européenne voulue par les forces
ultralibérales, échouent à définir les contours
d'un vaste projet national d'aménagement du territoire.
Ainsi, après avoir reconnu la qualité et l'efficacité du
système ferroviaire français, le rapport conclut à la
nécessité de mettre un terme à " l'illusion du
monopole perpétuel " de la SNCF et propose de satisfaire rapidement
aux objectifs de la directive 91/440 de libéralisation du marché
du transport ferroviaire. A cette fin, les Etats membres devront ouvrir au
privé leurs réseaux réciproques. Notre groupe s'oppose
résolument à une telle perspective qui relève davantage de
l'idéologie que de l'analyse sérieuse de la complexité de
notre réseau.
Sur le modèle du corridor Lyon-Anvers ou du programme THALYS, la France
est en mesure de faire valoir un modèle alternatif à la
concurrence sauvage entre compagnies ferroviaires européennes en
développant des accords réciproques de coopération avec
les pays limitrophes.
Le nécessaire développement de trafic marchandises doit s'appuyer
sur une véritable complémentarité à l'image du
ferroutage ou du transport combiné et non sur une mise en concurrence
interne et externe du marché ferroviaire.
Nous ne sommes pas opposés à une certaine forme de
régionalisation dès lors qu'il s'agit de prendre en
considération les demandes des élus locaux, des usagers et des
cheminots. Toute dérive vers une mise sous tutelle régionale des
infrastructures, premier pas vers une privatisation des liaisons locales,
serait dangereuse et contraire au principe d'égalité de
traitement des usagers et de péréquation financière.
Notre groupe réaffirme ici son attachement au principe d'unicité
du rail français dans le cadre du service public rénové et
démocratisé.
Ensuite, la promotion du rail engagée par l'actuel gouvernement n'est
pas contradictoire avec l'essor du transport routier. Il est, cependant,
indispensable de maîtriser la croissance de trafic routier afin
d'éviter un phénomène d'engorgement du réseau. Ceci
passe notamment par l'assainissement des conditions d'exercice de la profession
des transporteurs routiers pour mettre fin à la concurrence sauvage
entre les entreprises de ce secteur, qu'elles soient françaises ou
européennes. Le mouvement des chauffeurs routiers de l'automne 1997
n'était-il pas le reflet d'une dérive ultralibérale et de
l'exigence d'une régulation renforcée de ce secteur ?
Les efforts faits par le Ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, en
faveur d'une harmonisation par le haut des règles sociales au niveau
européen doivent être encouragés, même si le rapport
constate le développement d'un " libéralisme familial "
dans ce domaine.
Une législation sociale et économique renforcée est le
meilleur rempart contre la précarisation de ce secteur et la
détérioration des conditions de travail des salariés.
Enfin, la commission d'enquête a porté une attention
particulière aux voies navigables. Il faut les conserver là
où c'est nécessaire et donner les moyens d'entretenir le
réseau existant. Le soutien accordé à la batellerie
artisanale confrontée à la compétition européenne
mérite d'être amplifié.
La France, de par sa position géographique en Europe, dispose de
multiples atouts qui démontrent la nullité et le simplisme de
l'idée que la Commission de Bruxelles se fait du territoire
français : un vaste lieu de transit traversé par de grands axes
internationaux.
Le souci des tenants du libéralisme serait, dans ce cadre, d'organiser
la pénurie au profit de quelques grands opérateurs privés.
Les conclusions du rapport, inspirées de la même logique
libérale qui organise le désengagement de l'Etat dans un secteur
essentiel au développement de notre économie, conduisent le
groupe communiste républicain et citoyen à émettre un vote
défavorable.
ANNEXE N° 1 -
LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES MENTIONNÉES AU JOURNAL OFFICIEL
- M. Raymond BARRE
, Ancien Premier Ministre, Maire,
Président de la Communauté urbaine de Lyon,
Député du Rhône, Ancien Président de MEDINOR
-
M. Philippe ROUVILLOIS,
ancien président de la SNCF
- M. Jean-François POUPINEL,
président de
Cofiroute
.
- M. Christian REYNAUD,
directeur du département
d'économie et de sociologie des transports de l'Institut national
de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS)
- M. Louis GALLOIS,
président de la SNCF
- M. Thierry MIGNAUW,
directeur
général
délégué "exploitation " de la SNCF
- M. Armand TOUBOL,
directeur du fret de la SNCF
- M. Jean-Michel DANCOISNE,
président directeur
général de la Compagnie nouvelle de conteneurs
- M.Marcel BOITEUX,
président d'honneur d'EDF, auteur d'un
rapport sur les méthodes d'évaluation des projets
d'infrastructures des transports
- MM. Pierre FUMAT et Jacques ROSSI,
président et
délégué général du groupement national
des transports combinés (GNTC)
- M. Jacques DUMERC,
directeur général de Novatrans
- M. Christian
GERONDEAU,
président de l'Union
routière de France
- M. Gilles LESERVOT,
directeur général de
SCETAUROUTE (Caisse des dépôts et consignations)
- M. ROUX-ALEZAIS,
président du Port de Marseille
.
- M. Jean-Claude GAYSSOT,
ministre de l'Equipement, des
Transports et du Logement
- M. Pierre JOXE
, ancien ministre, Premier Président de la
Cour des comptes et
M Bernard MENASSEYRE
, Président de la 7e chambre
- M. Patrick MORIN,
Président du directoire de la
Générale routière
- Mme. Dominique VOYNET,
Ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement
- M. Eric LELOUP,
Président du Conseil d'administration du
Port autonome du Havre
- M. Jean FLEURY,
Président d'Aéroports de Paris
- M. Jacques DOUFFIAGUES,
ancien ministre, conseiller maître
à la Cour des Comptes, Président de la
Fédération des industries ferroviaires
ANNEXE N° 2 -
LE CANAL
MAIN-DANUBE
Depuis
la République de Weimar, l'Allemagne a mené une politique
d'investissement systématique en faveur de la voie d'eau qui a
contribué au maintien de la part modale du transport fluvial outre-Rhin.
Indissociable de ce contexte général, l'achèvement du
canal Main-Danube, en 1992, a marqué une importante étape dans la
réalisation de l'Europe fluviale et l'aboutissement d'un projet
entrepris cinquante ans plus tôt, lors de la création de la
société Rhein-Main-Donau AG, en 1921. Il se situe donc dans le
droit fil d'une tradition fluviale très vivace.
D'une longueur totale de 677 kilomètres, entre Aschaffenburg sur le Main
et Passau sur le Danube, la liaison fluviale Rhin-Main-Danube, se compose de
trois sections distinctes :
- Le
Main
est navigable sur 297 kilomètres entre Aschaffenburg et
Bamberg, grâce à 27 retenues réalisées entre 1926 et
1962 ;
- Le
canal Main-Danube
s'étend de Bamberg à Kelheim. Long
de 171 kilomètres, cet ouvrage culmine à 460 mètres au
dessus du niveau de la mer. Il permet de franchir une dénivellation de
175 mètres entre le Main et le bief de partage situé à
Hipolstein, et de 68 mètres entre ce même bief et le Danube. Le
canal a été réalisé en deux tranches. La section
Bamberg-Nuremberg ou " Europa kanal " qui comprend sept
écluses a été aménagée entre 1962 et 1972,
elle s'étend sur 72 kilomètres. La liaison Nuremberg-Kelheim,
longue de 99 kilomètres, comprend seize écluses. Mise en service
en 1992, elle permet à des navires à grand gabarit de passer du
bassin du Main à celui du Danube.
- Enfin la
partie navigable du Danube
qui traverse le territoire
allemand de Kelheim à la frontière autrichienne s'étend
sur 209 kilomètres. Elle a été aménagée
entre 1928 et 1956.
A cause de son coût et de l'ampleur de travaux qu'elle a
nécessités, la liaison fluviale à grand gabarit
Bamberg-Kelheim a donné lieu à une vive controverse.
Le
coût total de l'ouvrage est estimé à 4,7 milliards de
Deutschemark
(DM), soit 27,5 millions de DM au kilomètre. Il a
été financé pour 1,7 milliard par la production
d'électricité d'origine hydraulique, pour 2 milliards par
l'Etat fédéral et pour 1 milliard par le Land de
Bavière.
Selon le professeur Eugen Wirth de l'Université de Nuremberg-Erlangen,
l'achèvement du projet constituerait la " victoire de la
déraison ", car l'opération n'est pas financièrement
rentable. Malgré l'ampleur des efforts réalisés pour
intégrer l'ouvrage à l'environnement (un quart des
dépenses ont été consacrées à cet effet),
les divers ouvrages d'arts qui composent la liaison (bief du canal,
écluses, bassins d'épargne destinés à
" recycler " l'eau utilisée dans les écluses) ont
porté, selon les opposants au projet, une atteinte
irrémédiable et injustifiable aux sites traversés par la
voie fluviale.
L'appréciation de l'équilibre entre les avantages et les
inconvénients occasionnés par le canal fait donc, aujourd'hui
encore, l'objet de discussions. L'essentiel de la controverse concerne
désormais les statistiques relatives au trafic sur le canal et les
perspectives de développement de la circulation des bateaux, aussi bien
en Allemagne que vers l'étranger. Porter un jugement définitif
sur cette réalisation est d'autant plus difficile que pour qu'elle
fonctionne à "plein régime " il serait nécessaire,
outre le temps de montée en charge, d'améliorer l'infrastructure
fluviale sur le Danube, à l'est du canal.
A. LES STATISTIQUES CONCERNANT LE TRAFIC SUR LE CANAL FONT L'OBJET D'APPRÉCIATIONS CONTROVERSÉES
Les
prévisions de trafic sur le canal Main-Danube ont donné lieu
à la publication de chiffres très divers. Estimé à
14 millions de tonnes (mt) en 1965, le trafic était évalué
à 8,5 mt en 1975 puis à 2,7 mt en 1981, avant d'être
estimé à 6,4 mt l'année suivante. Ces chiffres ont
largement varié, en fonction de l'évolution de la conjoncture et
de l'appréciation de la volonté politique manifestée par
les pouvoirs publics. La construction du canal n'a pas mis fin aux querelles
d'experts et aux batailles de chiffres.
Partant de données identiques, les partisans et les opposants
défendent des thèses contradictoires. Pour les premiers, le
trafic a d'ores et déjà presque atteint l'objectif projeté
pour l'an 2000, tandis que selon les seconds, la voie fluviale n'a pas permis
le développement d'un trafic transeuropéen entre Main et Danube.
Elle a, tout au plus, suscité un trafic local qui ne justifiait pas la
réalisation d'un ouvrage aussi coûteux.
1. Le point de vue des partisans : une véritable réussite
Selon
les prévisions figurant dans le plan des infrastructures
fédérales de transport de 1992, le trafic annuel sur le canal
devrait avoisiner, aux environs de l'an 2000 :
- 8,5 millions de tonnes sur la section Bamberg-Nuremberg, à l'ouest du
bief de partage ;
- 5,7 millions de tonnes entre Nuremberg et Kelheim.
Or le trafic a atteint 6 millions de tonnes (mt) en 1993 ; 6,22 mt en
1994 ; avant de culminer à 6,67 mt en 1995. Passé à
6,1 mt en 1996 et 5,45 mt en 1997 il se décompose, selon
l'administration des eaux et de la navigation, en trois masses d'importance
très inégale :
- le trafic entre le canal et le Danube représente 0,264 mt ;
- le trafic interne au canal ne se monte qu'à 0,003 mt ;
- le trafic à l'écluse de Viereth, située en aval de
Bamberg qui s'élève à 5,458 mt.
Au vu de ces résultats, les partisans du canal estiment que le trafic a
atteint, en 1996, les deux tiers des prévisions pour la section Ouest.
Les résultats de la section Est sont moins encourageants. Afin de
nuancer ce constat, il convient de souligner la disparité entre le
trafic sur le Main aux abords du canal (22 mt) et le trafic sur le Danube
(6 mt). Comme on le verra ci-dessous cette situation s'explique essentiellement
par l'existence de plusieurs goulets d'étranglement sur ce fleuve.
Reste à expliquer la diminution du trafic observée entre 1995 et
1997. Le secrétaire d'Etat au ministère des transports l'a
attribuée, dans une réponse à la question d'un
parlementaire :
- au gel qui s'est abattu sur le canal pendant 47 jours ;
- à la conjoncture défavorable du secteur du bâtiment et
des travaux publics ;
- enfin, quoique dans une moindre mesure, à la fin de la guerre de
Yougoslavie qui avait, dans un premier temps, accru le trafic sur le canal.
D'un point de vue global les partisans du canal soulignent que les
améliorations apportées dans les années à venir sur
le Main en amont et sur le Danube en aval auront une incidence sur le trafic.
Il rappellent, à titre d'exemple, l'effet très positif qu'eut
l'aménagement de la Sarre sur le trafic de la Moselle. Ce trafic est
progressivement passé de 4,6 mt en 1965 à 9,4 mt en 1988 avant
d'atteindre 14,5 mt en 1989, après la canalisation de la
Sarre.
2. Le point de vue des opposants : un échec patent
Pour les
opposants, le seul trafic significatif est celui relatif aux marchandises qui
circulent entre le Danube et le Main, à l'exclusion des flux qui
transitent sur la partie ouest du canal, en aval du bief de partage. Selon eux,
afin de mesurer ces flux, il convient d'observer le trafic au passage de
l'écluse de Kelheim, située sur le versant est de l'ouvrage. Or
ce trafic ne s'élevait qu'à 3,468 mt en 1997.
Ils soulignent, en outre, que le gel ne peut être considéré
comme un simple " accident " climatique et que, tout au contraire, il
est appelé à bloquer régulièrement la circulation
sur le canal.
L'observateur constate que les statistiques de trafic méritent
d'être affinées. En effet afin de mesurer les flux de marchandises
qui transitent par des infrastructures terrestres, il est d'usage d'utiliser
une unité qui prend en compte, outre le poids des marchandises
transportées, la distance qu'elles parcourent. Cette unité est le
million de tonnes-kilomètre (mtk).
Les statistiques qui ne prennent en considération que le volume des
marchandises aux écluses ne permettent pas de mesurer la distance
parcourue par les convois. Or celle-ci peut varier de quelques dizaines
à plusieurs centaines de kilomètres.
Selon le Statistisches Bundesamt, le trafic a évolué comme
suit :
STATISTIQUES DU TRAFIC SUR LE CANAL MAIN DANUBE
EN
TONNES-KILOMÈTRES
Année |
Tonnage en mtk |
Distance moyenne
|
1993 |
521,6 |
103,8 |
1994 |
685,7 |
111,8 |
1995 |
810,8 |
118,1 |
1996 |
772,3 |
119,4 |
1997 |
708 |
122,6 |
Source : Statistisches Bundesamt
En 1997,
l'ensemble des voies d'eau allemandes
ont acheminé
62,6 milliards de tonnes-kilomètres
. Comme on le constate par
comparaison, le
trafic sur le canal Main-Danube
qui s'établit
à
708 millions de tonnes-kilomètres
(1,13 % du total)
est relativement modeste.
En outre, la distance moyenne de transport (rapport entre le nombre de
tonnes-kilomètres et le tonnage transporté) ne dépasse pas
122 kilomètres en 1997, bien qu'elle enregistre une augmentation
progressive. Or, la longueur totale de la liaison étant d'environ 171
kilomètres, il est loisible de penser que, comme le soutiennent les
opposants, une large partie du trafic a pour origine et pour destination un
port situé sur le canal qui ne répond pas encore parfaitement
à sa fonction d'artère européenne.
Pour les opposants au canal, il n'existe donc pas de justification
économique à la construction du canal qui a entraîné
de graves dommages pour l'environnement et spécialement une disparition
définitive de certaines espèces animales et
végétales liée à la destruction de zones
humides.
3. La question de la concurrence des bateliers étrangers
L'ouverture des voies fluviales allemandes au cabotage des
navires
étrangers a eu pour conséquence de diminuer la part de
marché de la batellerie locale.
Entre 1990 et 1996, le pavillon
allemand est passé de 44 à 41 % du total transporté
en Allemagne
, tandis que la batellerie néerlandaise a accru sa part
de marché de 42 % à 47 %. La batellerie belge a
conservé 5 % de part de marché, tandis que les navires
battant un autre pavillon ont également perdu du terrain, passant de
9 % à 7 %.
Cette évolution s'explique par la compétitivité des
bateliers néerlandais qui supportent des charges fiscales et sociales
beaucoup moins élevées que les bateliers allemands. Les
contributions acquittées pour un bateau de 1.500 tonnes battant pavillon
de la république fédérale sont d'environ 30.000
Deutschemark plus élevées que celles d'un bateau navigant sous
pavillon néerlandais. La situation est d'autant plus préoccupante
que le régime de protection sociale (notamment en matière de
compensation des accidents du travail) des bateliers allemands subit un
déséquilibre tendanciel à cause de l'accroissement du
nombre des personnes éligibles par rapport aux cotisants. La charge
pesant sur ceux-ci est donc de plus en plus lourde. Les bateliers allemands
redoutent d'ailleurs que l'entrée dans l'Union européenne de pays
tels que la Pologne ne renforce cette concurrence qui procède d'une
forme de dumping social.
Sur le canal Main-Danube, les bateliers allemands conservent, en 1997, la
première place avec 46,9 %
, suivi des Néerlandais
(30,4 % en diminution par rapport à 1996), des Belges (8,1 %)
et des Autrichiens (9 %). Les navires hongrois, slovaques, luxembourgeois,
suisses et français représentent respectivement 3,2 % ;
1,2 % ; 0,3 % ; 0,4 % et 0,4 %.
Il convient donc de souligner que, contrairement à ce qu'affirment
certains opposants, le canal n'a pas profité aux seuls bateaux
néerlandais, et que tout au contraire, le pavillon allemand y conserve
une part de marché supérieure à celle dont il dispose
encore dans le reste du pays.
On constate, en outre, que les bateliers ne considèrent pas que
l'existence d'écluses soit un obstacle au développement du trafic
sur le canal.
B. L'EVOLUTION DU TRAFIC
1. Un trafic essentiellement composé de pondéreux et de marchandises en vrac
Selon
les statistiques émanant de la Wasser und Schiffartsvervaltung, plus du
tiers des matériaux transportés sur le canal (36 %) sont des
produits tirés de carrières et des matériaux de
construction. Puis viennent les combustibles minéraux solides
(22,3 %), les minerais (13,6 %) et les engrais (9,7 %). Chacune
des autres catégories de marchandises transportées ne
représente pas plus de 6 % (produits agricoles et forestiers ;
produits alimentaires ; pétroles et hydrocarbures) voire environ
1 % (fer, acier et métaux non ferreux ; véhicules et
machines).
Il convient de noter, en outre, que la part du charbon et des matériaux
tirés de carrières et destinés à la construction
est plus élevée que la moyenne nationale (36 % contre
24 % pour l'ensemble des voies navigables allemandes). Il en va de
même pour les combustibles minéraux solides qui occupent une part
du trafic double de celle observée sur le reste du réseau
navigable allemand.
Le trafic de conteneur est limité par le tirant d'air existant sous les
ponts qui enjambent le canal Main Danube et empêchent d'embarquer plus de
deux couches de conteneurs. Répondant à une question d'un
parlementaire le secrétaire d'Etat aux transports indiquait, au mois de
février 1997, que selon les prévisions, le trafic des conteneurs
ne dépasserait vraisemblablement pas plus de 12 % du trafic total,
ce qui ne justifiait pas de travaux supplémentaires.
2. Un développement du trafic touristique
L'ouverture du canal Main-Danube a suscité un
développement des activités touristiques qui a
dépassé toutes les prévisions. Les villes de Kelheim,
Riedenburg, Dietfurt, Beilngries et Berching ont profité de la venue de
nombreux touristes qui découvrent la vallée de l'Altmühl.
Même si les élus estiment qu'il aurait été
souhaitable qu'un plan d'aménagement global de la vallée soit
élaboré avant l'ouverture du canal, ils sont unanimes à
constater l'incidence positive de l'ouvrage sur l'activité
économique de la région.
Selon le maire de Berching, rencontré par le Président et le
rapporteur au cours d'une mission en Bavière, la ville a tiré le
plus grand profit de l'afflux des 300.000 touristes qui s'y rendent chaque
année. Désormais le nombres de nuitées
s'élève à 100.000 par an. Chaque touriste dépense
en moyenne l'équivalent de 150 francs par jour ce qui constitue un
apport substantiel pour l'économie locale.
Sur le canal lui même, on observe l'apparition d'un trafic de bateaux de
tourisme et 200 croisières sont organisées chaque année
entre Amsterdam et Vienne.
L'impact positif sur l'activité économique n'est pas
contesté par les opposants au canal qui soulignent cependant la
transformation du paysage qu'a occasionnée la construction de l'ouvrage.
De leur côté, les partisans mettent en avant les efforts
réalisés pour intégrer l'infrastructure à
l'environnement, et la nécessité d'attendre que la nature
reprenne, avec le temps, ses droits.
C. DES TRAVAUX D'AMÉLIORATION DOIVENT ENCORE ÊTRE RÉALISÉS NOTAMMENT SUR LE DANUBE
Divers travaux seraient nécessaires pour améliorer la navigabilité de l'ensemble de la liaison. Il concernent aussi bien les secteurs situés en Allemagne, à l'Est et à l'Ouest du canal que des portions du cours du Danube, en aval de la frontière de la république Fédérale.
1. Les travaux nécessaires en Allemagne
Des
travaux ont été entrepris afin d'approfondir le tirant d'eau sur
le
Main
. En effet, à l'ouverture du canal, le fleuve n'avait que
2,5 mètres de profondeur et n'était donc pas, à proprement
parler à grand gabarit même s'il permettait déjà le
passage de navires au gabarit 2B. Ces travaux se situent sur des portions du
Main situées entre Aschaffenburg et Würzburg. Ils permettront
également d'agrandir le rayon de certains méandres.
Le
Danube
est accessible aux navires de 1500 tonnes en aval de Budapest,
jusqu'au port roumain de Constanza sur la mer noire. En territoire allemand, il
est cependant nécessaire d'accroître son tirant d'eau
(actuellement de 2,5 mètres) entre Straubing et Vilshofen car en
période de basses eaux (essentiellement en été) la
navigation y est rendue plus difficile. La réalisation des travaux
nécessaires se heurte cependant à l'existence de zones humides
protégées dont la préservation rend délicate la
construction d'écluses et de biefs susceptibles de réguler le
niveau des eaux. La société Main-Danube AG a lancé, en
1998, une expérimentation sur un tronçon de
600 mètres environ afin d'utiliser des techniques de canalisation
respectant mieux le lit du fleuve et permettant de ne construire qu'une seule
écluse.
Le coût de l'aménagement de l'ensemble de la section
Staubing-Vilshofen est estimé à 1,3 milliard de Deutschemark par
les pouvoirs publics qui semblent déterminés à achever sa
réalisation.
2. Les travaux souhaitables sur le Danube, en aval de la frontière allemande
Pour
être rentables, les travaux visant à faire sauter les
" goulets d'étranglement " sur le Danube devraient être
réalisés en Autriche, en Hongrie, sans compter des
améliorations envisageables en Roumanie. Le Gouvernement allemand
souhaite que les Etats membres de la commission du Danube engagent un programme
concerté de travaux afin d'améliorer la navigabilité du
fleuve. Ces travaux figurent d'ailleurs parmi les projets
d'intérêt communautaire adoptés en 1993 en même temps
que le schéma européen des infrastructures fluviales.
En
Autriche
, le trafic sur le Danube a atteint 9 millions de tonnes en
1997. Cependant, des travaux de régularisation du cours du fleuve
seraient nécessaires :
- en aval de la Wachau, à 80 kilomètres à l'ouest de
Vienne ;
- de Wien Freudenau à Bratislava, au sud ouest du pays.
En outre, le tirant d'air sous certains ponts limite le transport de conteneurs
à trois couches au maximum. Selon les prévisions des
autorités autrichiennes, le trafic fluvial sur le Danube pourrait
atteindre 37 millions de tonnes en 2015 si la navigabilité du fleuve
était améliorée d'ici là.
En
Hongrie
, ils serait souhaitable de faciliter la navigation sur le
Danube entre Rajka et Budapest, sur la section commune hungaro-slovaque.
En
Roumanie
le Gouvernement envisage de favoriser le
développement des transports fluviaux en faisant draguer le lit du
fleuve le long des frontières avec la Serbie et avec la Bulgarie. En
outre, avec le soutien de la banque mondiale, il a lancé des
études pour développer le transport de céréales et
construire des silos dans plusieurs ports du Danube.
La Roumanie occupe une place essentielle car elle constitue le
débouché du Danube sur la mer Noire. Les Néerlandais l'ont
compris. Certes, actuellement, il n'existe pas de trafic entre Rotterdam et le
port roumain de Constanza. Cependant les deux ports ont développé
une coopération étroite qui se traduit par une aide
bilatérale. Certaines compagnies fluviales néerlandaises ont
commandé des barges aux chantiers navals roumains et la banque ABN AMRO
a récemment été retenue comme le conseil du fonds de
propriété d'Etat pour la privatisation de trois compagnies de
navigation (Romline, Petromin et Navrom).
Il est clair que la réalisation des travaux sur le Danube aurait une
incidence très favorable sur le trafic fluvial entre l'Allemagne et
l'Europe de l'Est.
La création du canal Main-Danube s'inscrit dans une politique de
développement du transport fluvial qui a su s'affranchir des
considérations conjoncturelles au profit d'une vision de long terme.
Cette politique est, à l'évidence, facilitée par
l'existence d'une tradition fluviale et par la permanence d'un trafic en forte
croissance sur le Rhin, qui constitue la première " autoroute
fluviale " d'Europe. Les premiers résultats du canal sont pourtant
encourageants, surtout si l'on considère la possibilité de lever
les obstacles au développement du trafic, sur le Danube, au fil des ans.
A l'évidence, il serait erroné de juger le succès ou
l'insuccès du canal sur six ans, alors même que cet ouvrage aura
une durée de vie séculaire et profitera du développement
économique des anciens pays de l'Est.
ANNEXE N° 3 -
INTERMODALITÉ ET
TRANSPORTS AÉRIENS
La
France dispose actuellement d'un réseau de desserte aérienne qui
s'articule autour du pôle parisien (essentiellement Orly et Roissy),
d'aéroports de province dotés d'un fort potentiel de
développement, et de plates-formes secondaires réservées
à des trafics spécialisés (aérodromes militaires,
ou aéroports ouverts de façon limitée à l'aviation
légère et d'affaires).
Pour assurer l'utilisation optimale de cet ensemble, les dessertes terrestres
jouent un rôle essentiel car les voyageurs et les transporteurs de fret
sont très sensibles, au coût et au temps minimum garanti pour
accéder aux infrastructures aéroportuaires.
Comme l'ont montré les auditions auxquelles a procédé
votre commission d'enquête,
il n'existe pas de problème majeur
d'engorgement des dessertes terrestres des aéroports français
situés en province
. Hormis quelques difficultés
observées à Bordeaux, et Toulouse, les autres grands
aéroports situés en province, notamment Nice, Marseille et Lyon,
sont correctement desservis.
En revanche
la desserte de Roissy laisse à désirer aussi bien
en ce qui concerne la route que le rail
.
Les
encombrements du
trafic routier
à proximité de
l'aéroport
sont de plus en plus fréquents
.
La croissance programmée du trafic aérien accroîtra
l'ampleur de ce problème pour les voyageurs et pour les riverains dans
les années à venir. Le développement de l'aéroport
lui même passe d'ailleurs par un désenclavement des zones
riveraines grâce à la construction de voies routières
desservant l'Ouest de la plate forme. En effet, les travaux de la mission
d'études de la desserte aéroportuaire du grand bassin parisien
conduite par M. Jacques Douffiagues ont montré que si l'on
observe quelques problèmes ponctuels de desserte à l'Est,
beaucoup restait à faire -et rapidement- à l'Ouest. Cette
amélioration est d'autant plus nécessaire que 40 % du trafic
des voyageurs franciliens à destination de Roissy proviennent de l'Ouest
parisien et de sa proche banlieue, notamment du secteur de la Défense.
En outre, les communes du Val-d'Oise situées à l'Ouest de Roissy
ont souvent eu l'impression d'être les " laissées pour
compte " du développement de la plate-forme dont elles estiment
avoir subi les inconvénients sans profiter des avantages.
La
desserte ferroviaire
de Roissy par le RER B et le TGV doit
également être améliorée.
Le RER B ne dispose pas d'une capacité suffisante pour assurer
l'acheminement des passagers à destination de l'aéroport en
direction de Paris, notamment à cause de l'absence de trains directs
jusqu'à la capitale, des nombreux arrêts répondant aux
besoins de la desserte locale, et de l'insuffisance des dessertes la nuit et le
week-end. Cette situation explique en partie le faible recours des usagers aux
transports en commun. Alors que le pourcentage des voyageurs qui empruntent la
voie ferrée pour gagner l'aéroport est de 29 % à
Francfort, de 27 % à Londres-Gattwick et 23 % à
Londres-Heathrow, de 21 % à Amsterdam-Schiphol, ce pourcentage ne
dépasse pas 15 % à Paris-Charles de Gaulle.
La desserte de l'aéroport par TGV, laisse aussi à désirer,
comme l'ont montré les auditions auxquelles a procédé
votre commission d'enquête : de nombreux passagers déplorent que
les horaires des correspondances entre les TGV et le départ des avions
ne soient souvent pas adaptés, du fait de l'insuffisance du nombre de
dessertes de la gare de Roissy par les trains à grande vitesse.
Le développement de l'aéroport de Roissy et le
redéploiement des trafics vers les autres aéroports de province
sont indissociables de l'amélioration de sa desserte terrestre.
L'amélioration de la desserte terrestre de Roissy constitue un objectif
prioritaire pour le développement de cet aéroport.
A côté de réalisations envisagées par certains,
comme une liaison routière souterraine Paris-Roissy à
péage, il serait prioritaire de
renforcer la liaison ferroviaire
entre la capitale et l'aéroport
. Le trafic sur le RER B étant
saturé, l'éventuelle création d'une
ligne
dédiée au départ de la gare de l'Est
a
été évoquée.
La réalisation de telles infrastructures est lourde d'enjeux
stratégiques pour la plate-forme de Roissy -la réussite de son
extension en dépend-, pour notre compagnie nationale, le
" hub " qu'elle a installé à Roissy est un de ses
atouts majeurs dans la compétition internationale, mais aussi pour nos
aéroports de province. Dans une logique de " hub "
(plate-forme de correspondance aéroportuaire), la croissance du trafic
sur le plus grand aéroport international français a naturellement
vocation à alimenter le trafic national vers les pôles
aéroportuaires provinciaux et à stimuler celui en provenant.
C'est pourquoi, desserrement de Roissy et redéploiement du trafic en
faveur de la province doivent constituer les deux faces d'une même
politique.
Dans cette perspective, il conviendrait de laisser à Roissy la
possibilité d'accueillir un nombre croissant de passagers malgré
l'engorgement du ciel qui résulte notamment de la multiplication du
nombre des avions de petite capacité. Le fret aérien,
transporté par avion " tout cargo ", peut être, pour
partie, transféré vers des aéroports de province.
L'expérience de l'aéroport de Châteauroux-Déols,
situé à moins de deux heures trente de Paris et qui
possède des capacités d'accueil disponibles est, à cet
égard, très encourageante.
L'accessibilité terrestre d'un troisième aéroport
-encore à créer- constituera un élément essentiel
de sa compétitivité
Comme le soulignaient la Direction des transports terrestres et la Direction
des routes dans leur contribution aux travaux de la mission Douffiagues, la
desserte terrestre doit être envisagée dès le choix du site
afin de
réserver les emprises nécessaires non seulement
à la plate-forme aéroportuaire, mais aussi aux infrastructures
d'accès
.
Le site de Beauvilliers, près de Chartres, ayant été
pressenti, il appartient désormais au Gouvernement, d'étudier les
conditions dans lesquelles sa desserte sera assurée aussi bien par la
route que par la ligne TGV à grande vitesse. Il convient
également de mettre dès à présent à
l'étude la possibilité
d'assurer une desserte ferroviaire
dédiée de Paris qui n'entre pas en concurrence avec les liaisons
existantes
.
ANNEXE N° 4 -
SCHÉMA DU RESEAU
TRANSEUROPÉEN DE TRANSPORT, SECTION VOIES NAVIGABLES (HORIZON 2010)
ANNEXE N° 5 -
SCHÉMA DU RESEAU TRANSEUROPÉEN DE
TRANSPORT, SECTION ROUTES (HORIZON 2010)
ANNEXE N° 6 -
AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE GAYSSOT,
MINISTRE
DE L'ÉQUIPEMENT, DES TRANSPORTS
ET DU LOGEMENT, LE 30 AVRIL
1998
M.
Jean François-Poncet, président-.
La séance est
ouverte.
Monsieur le ministre, la commission d'enquête va bientôt rendre ses
conclusions et c'est pourquoi nous voudrions vous demander quelles sont les
grandes lignes de votre politique en matière d'infrastructures
routières, ferroviaires, fluviales et, bien entendu, multimodales.
Quelles sont nos préoccupations? Tout d'abord, croyez-vous au transport
fluvial et, éventuellement, quels sont vos projets? A ce sujet, monsieur
le ministre, vous deviez nous communiquer l'avis du Conseil d'Etat sur le
décret annulant le canal Rhin-Rhône ; pourriez-vous nous le faire
parvenir ?
Ensuite, s'agissant du transport ferroviaire, le fret nous intéresse au
plus haut point. Des personnes parfaitement qualifiées nous ont dit que
le problème du financement du TGV Est n'était pas encore
résolu. Le président de la SNCF nous a indiqué que le
financement des infrastructures était plus ou moins réglé
mais que celui du matériel roulant, soit six ou sept milliards de
francs, n'était pas prévu. En outre, des financiers nous ont
indiqué que le paiement de l'infrastructure elle-même
n'était pas résolu. Pourriez-vous nous donner des
précisions, monsieur le ministre ?
Enfin, nous sommes très préoccupés par le réseau
autoroutier. Nous pensons que l'aménagement du territoire passe par le
transport autoroutier et par le désenclavement que lui seul permet de
réaliser. Or, votre collègue chargée de
l'aménagement du territoire cherche à nous faire croire que le
réseau, tel qu'il a été prévu sous le Gouvernement
de M. Balladur, ne peut plus être financé. Ce n'est pas ce que
l'on nous a dit, y compris le directeur du Trésor que nous avons
reçu hier. Le Gouvernement est libre de choisir sa politique, mais
à condition de s'appuyer sur des arguments exacts. Devons-nous
considérer que les transports de proximité constituent l'alpha et
l'oméga de la politique du Gouvernement ? Dans une Europe unifiée
autour de l'euro, ce sont les problèmes de développement, les
problèmes stratégiques qui vont compter.
C'est vous dire que nous avons toutes sortes d'interrogations et
d'inquiétudes, qu'il s'agisse du transport fluvial, du transport
ferré et du fret ou du transport routier. Nous vous écoutons avec
beaucoup d'attention et d'impatience, monsieur le ministre.
Avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, je dois vous rappeler que
les personnes entendues par une commission d'enquête prêtent
serment de dire toute la vérité, rien que la
vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de
dire : "Je le jure."
(M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du
logement prête serment.)
M. le ministre
. Vous pouvez compter sur moi, en fonction
des
éléments qui sont à ma disposition, pour vous dire toute
la vérité.
Les questions qui sont posées sont importantes et je me félicite
que le Sénat ait entrepris ce travail qui, je le souhaite, va
m'être utile. Car je ne prendrai pas de décisions sans avoir au
préalable entendu toutes les opinions, en particulier celles de la
représentation nationale.
Mais lorsque j'ai lu les attendus de la commission d'enquête, j'ai
été un peu gêné par certains faux propos.
L'exposé des motifs de la commission d'enquête précise que
le ministre choisit d'arrêter les chantiers dès qu'il y a une
contestation. Ce n'est pas vrai. Par ailleurs, il suggère que ma
préférence irait à l'utilisation du système
pendulaire plutôt que de faire des lignes nouvelles. Je n'ai jamais
déclaré cela. Je crois qu'il faut non seulement utiliser le train
pendulaire, mais aussi créer des lignes nouvelles à grande
vitesse afin de libérer des potentialités pour le trafic
ferroviaire; c'est mon opinion. Je ne développerai pas ces questions.
Monsieur le président, j'attends beaucoup des conclusions que la
commission va rendre pour m'aider dans les choix politiques que nous allons
faire ensemble après discussions.
La règle est de dire toute la vérité, je le ferai. Je ne
pense pas détenir la vérité, mais il est des projets
auxquels je crois, en fonction des éléments dont je dispose. Ma
première décision, dès que la commission d'enquête a
été mise en place, a été d'enjoindre à
l'administration qui dépend de moi d'ouvrir tous les dossiers et de
répondre à toutes les questions.
Nous sommes face à un enjeu considérable par rapport à
l'évolution même de la société. Je pense qu'il ne
faut pas réduire le niveau d'équipement de la
société. C'est peut-être un peu philosophique, monsieur le
président, mais c'est le fond de ma pensée. Je considère
qu'un pays qui ne s'équipe pas est un pays qui recule. Or, les
transports constituent un élément déterminant du
développement de la civilisation. Donc, comment faire pour ne pas
réduire le niveau de développement et pour réaliser les
infrastructures indispensables ?
Parallèlement, il nous faut être à l'écoute des
gens. Même si les sénateurs ont l'avantage - certains disent
que c'est un inconvénient - de ne pas être, comme d'autres, soumis
à des échéances rapprochées, ils voient comme moi
que la société se préoccupe de plus en plus des
problème d'environnement, de la qualité de la vie. Il nous faut
prendre en compte cette dimension et ne pas en avoir peur. Manifestement,
monsieur le président, vous n'aimez pas trop ma collègue...
M. Jean François-Poncet, président -
. C'est ce qu'elle dit
que je n'aime pas ! Nous l'apprécions mais pas sa politique...
M. le ministre-
. Monsieur le président, nous devons absolument
prendre en compte la dimension environnementale et la qualité de vie ;
la société le demande, l'exige. Il faut trouver des
réponses tenant compte à la fois des enjeux économiques,
du développement de la civilisation, des activités, des
réseaux, de la lutte contre les nuisances, afin d'assurer un
développement durable.
Par ailleurs, les transports sont appelés à se développer
pour faciliter les échanges, en particulier au niveau européen,
mais aussi au niveau mondial. Même si certains cycles ne vont pas dans ce
sens, la tendance générale est au progrès. Comment aider
la société, sans l'administrer, à se servir de chaque mode
de transport et éviter les écueils que nous pouvons constater
aujourd'hui en laissant les choses aller. Le fondement de ma démarche
consiste à jouer la complémentarité,
l'intermodalité, pour bénéficier des atouts du rail, de la
route, du fluvial et de l'aérien et non pas à les opposer dans
une concurrence excessive. Telle est la problématique à laquelle
nous sommes tous confrontés.
Je ne crois pas à la mort du transport fluvial, même si la France
n'a pas la même configuration géographique que les Pays-Bas ou la
Belgique. Sur une partie du territoire, la France peut faire des choix qui
conduisent à une certaine dynamique du transport fluvial. Pour autant,
je sais bien que les grands enjeux du transport terrestre se situent au niveau
de la route et du rail.
Je crois au développement du trafic routier, mais en même temps il
nous faut faire des progrès dans le transport routier, en limiter le
développement afin de ne pas arriver à l'asphyxie, dans
l'intérêt même de la route et des automobilistes. C'est ce
que nous entendons tous les jours. Nous devons donc favoriser un meilleur
équilibre entre la route et le rail. Nous devrions avoir pour ambition
de doubler, dans les dix à quinze prochaines années, le trafic du
fret sur le réseau ferré. Cela nécessite beaucoup de
réflexion, de propositions, d'engagements, voire de décisions
importantes. Telle est ma philosophie générale, qui se situe dans
un cadre européen.
Je regrette que, ces dernières années, la directive
"européenne" travaux n'ait pas été suffisamment prise en
compte. Je ne ferai pas de la politique "politicienne", mais il suffit de voir
les contentieux dont j'ai hérités sur l'autoroute A 86 ! Si on
avait mieux intégré les choix faits par la France - non pas
contre la France, mais acceptés par elle - en prenant en compte la
dimension européenne, peut-être serions-nous plus à l'aise
aujourd'hui.
S'agissant du TGV, nous avons dû faire face à 2.300
kilomètres de projets de lignes à grande vitesse sans
financement. Dans mes contacts avec les parlementaires, j'ai choisi
l'information et la transparence. Je ne sais pas comment faire pour
répondre aux besoins sans en avoir les moyens. Mais aucun ministre, sauf
à faire des déclarations électoralistes, ne peut
répondre à ce type de problématique. Il faudrait
400 milliards de francs pour réaliser les objectifs qui
étaient fixés. Nous n'en avons pas les moyens.
Quand je suis arrivé au ministère, je ne pouvais même pas
achever le TGV Méditerranée. C'est la première question
que j'ai eu à résoudre, même si je ne l'ai pas rendue
publique.
Pour ce qui est du TGV Est et du TGV Rhin-Rhône, nous avons avancé
la procédure et les moyens. Sont-ils totalement financés ? La
décision du Gouvernement est de passer de 3,5 milliards de francs
à 8 milliards de francs de participation de l'Etat. Evidemment, je vais
discuter puisque un concours public de l'ordre de 16 milliards de francs est
nécessaire, la première phase des travaux coûtant
18,7 milliards de francs. J'ai décidé que je mènerai
à bien ce projet et, dès maintenant, je travaille dans ce sens
avec les autorités européennes, le Luxembourg et les
régions intéressées. Voilà où j'en suis,
mais cela ne retardera pas les travaux, j'en suis convaincu.
Ma collègue luxembourgeoise a déclaré publiquement que
l'on ne retarderait pas les travaux à cause du Luxembourg. Je suis
persuadé que les régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine
adopteront la même démarche. J'agis également auprès
de la Communauté européenne, puisqu'il s'agit du " TGV Est
européen ", expression que je vous demande d'utiliser pour m'aider.
Le Gouvernement a décidé d'abandonner le projet de canal
Rhin-Rhône. C'est cela aussi le droit à l'alternance,
c'est-à-dire le droit à la démocratie. Mon ambition est de
réaliser un TGV Rhin-Rhône destiné au transport des
voyageurs et de libérer ainsi le créneau de la ligne classique
qui, mise au gabarit, permettra la circulation de millions de tonnes de
marchandises vers la vallée rhodanienne.
M.
Gérard Larcher, rapporteur.
Vous venez d'aborder
l'affaire du canal Rhin-Rhône. C'est une décision politique prise
par le Gouvernement, je n'insiste pas. J'ai envie de vous interroger sur les
ports. Si vous deviez avantager le port du Havre ou celui de Marseille, sur
lequel des deux feriez-vous porter vos efforts ?
Quel est votre sentiment sur la mise en place pour le fret d'une voie
ferrée particulière qui permettrait de relier le Rhin au port de
Marseille en contournant Lyon-Satolas et en utilisant les portions TGV ?
Nous ne pouvons pas attendre quinze ou vingt ans pour "greffer le fret
français dans la dimension européenne." Vous ne l'ignorez pas,
monsieur le ministre, les cartes ferroviaires éditées à
Rotterdam et à Anvers ne prennent pas en compte un passage vers la
France. Plus grave encore, les opérateurs américains prennent
position à Bruxelles, Rotterdam et Anvers. Une question semblable
pourrait vous être posée à propos du port du Havre.
Sur dix ans, monsieur le ministre, les moyens dont vous allez pouvoir disposer
seront-ils suffisants pour conduire une véritable politique
d'infrastructures terrestres ? Accorderez-vous une priorité au transport
ferré ? Le schéma autoroutier doit-il être continué ?
Nous entendons parfois Mme Voynet dire que les technologies de l'information
sont une panacée. Nul plus que moi-même croit en leur avenir.
Cependant qu'on le veuille ou non, si les infrastructures ne créent pas
l'activité, il n'y a jamais d'activité sans infrastructures. Une
politique d'équilibre et d'harmonie du territoire passe par le choix
d'un certain nombre d'infrastructures dont la rentabilité s'appuie non
sur la seule logique économique mais sur la volonté politique.
J'en viens au péage interurbain et au péage intra-urbain. La
France dispose d'un vaste territoire. les usagers doivent payer pour la
distance parcourue entre deux points de ce territoire, mais aucune
participation ne leur est demandée dans les secteurs où la
circulation est la plus dense. Nos discussions avec nos collègues
hollandais, qui sont des spécialistes en la matière, ont mis en
évidence la nécessité de conduire des réflexions
sur ce sujet.
La mise en place d'un péage intra-urbain ne serait-elle pas d'une plus
grande efficacité que l'application de la circulation alternée
pour favoriser le retour vers les transports collectifs ?
L'achèvement du canal Seine-Nord, dont le coût sera de 15
milliards de francs, vous apparaît-il être une priorité par
rapport au développement du fret ou à l'achèvement d'un
programme de schéma autoroutier ? Cette réalisation vous
apparaît-elle s'inscrire dans une volonté réelle des
opérateurs français, qu'ils soient portuaires, industriels ou
chargeurs ? Est-ce une espèce de compensation pour les
"déprimés du fluvial" ?
Croyez-vous vraiment à la mise en oeuvre d'un réseau fluvial
à grand gabarit ? Les crédits dégagés en faveur du
secteur fluvial suffiront à peine à assurer la remise en
état du réseau existant.
J'observe que si les crédits affectés au secteur ferré
progressent en France de 33 %, dans le même temps un effort
véritablement colossal est engagé en Allemagne sur le même
secteur.
M. le ministre
. Je vous remercie de vos questions. A l'origine j'avais
été quelque peu choqué des motifs qui ont
présidé à la constitution de cette commission
d'enquête. Or vos questions témoignent de votre volonté de
procéder à un travail sérieux hors de tout débat de
type politicien.
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. Tout à fait.
M. le ministre
. Je sens dans la réflexion du Sénat une
volonté de présenter des propositions. Toutes les informations
qui m'ont été rapportées depuis le 11 décembre 1997
me confortent dans l'idée que le travail accompli est sérieux.
La politique menée dans le domaine portuaire a des répercussions
sur les différents modes de transport. En 1997 le trafic a
augmenté de 8 % dans les ports français. Cette progression
n'est pas uniforme. Il convient de procéder à une étude
fine pour déterminer les causes de ces disparités. Le trafic a
augmenté dans certains ports de 40 % tandis qu'il a fléchi dans
d'autres. J'attends vos observations, elles m'aideront.
La France occupe le vingt-sixième rang mondial pour les activités
portuaires. Ce n'est pas la place du quatrième pays exportateur du
monde. Nous avons examiné toutes les propositions afin de valoriser
l'activité de nos façades océanographiques et
méditerranéennes.
Nous avons essayé de favoriser les investissements portuaires, nous ne
les avons pas réduits. Toutefois, j'en suis conscient, nous sommes loin
de faire tout ce qu'il faudrait faire.
Une grande part de l'efficacité de nos ports repose sur l'hinterland.
Vous avez évoqué ce problème avec le réseau
ferré, vous auriez pu me poser cette question à propos du
réseau fluvial à grand gabarit : ne sommes-nous pas en train de
favoriser les ports du Nord au détriment de notre activité
portuaire ? Le travail de la commission d'enquête sera fructueux pour
nous aider à formuler des propositions sur ces questions majeures.
Nous ne devons pas nous en tenir à de simples déclarations. Comme
parlementaire de l'opposition, j'ai entendu trop de déclarations qui
contredisaient la réalité des faits pour continuer dans cette
voie. Comme je ne suis pas méchant, je ne relèverai pas les
contradictions de mes prédécesseurs. Je tiens tout de même
à souligner que les investissements en matière portuaire avaient
diminué de près de 40 % en dix ans en France.
J'en arrive à l'activité fluviale. L'Etat doit gérer 8 000
kilomètres de voies d'eau à caractère touristique ou
ouvertes au fret. J'ai parlé tout à l'heure de
multi-modalité et de complémentarité. Si la
décision de ne pas réaliser la liaison Rhin-Rhône a
été prise, elle ne signifie pas pour autant que nous allons
abandonner les voies navigables. Des engagements sont pris à cet
égard.
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. La fin du dragage de la
Saône jusqu'à Chalon-sur-Saône ?
M. le ministre
. Oui, le financement de ces travaux est prévu sur
les crédits du FITTVN en 1998. Par ailleurs, j'ai demandé
à M. le Préfet de Picardie de travailler sur les problèmes
de voie d'eau. Il ne s'agit pas d'une politique de compensation. Nous
reconnaissons l'intérêt que présente le
développement du réseau fluvial pour des raisons lices à
la géographie et au relief dans le Nord de la France.
J'ai demandé au Préfet de ne pas se contenter d'écouter
les élus et les acteurs locaux mais aussi de discuter avec les acteurs
de l'Ouest. Nous devons mettre en valeur l'intérêt que
présente cette liaison fluviale pour l'Ouest. La circulation doit
être prise en compte dans les deux sens. C'est la seule manière
d'apprécier l'impact d'une telle mesure. C'est vrai pour le transport
routier, ce l'est aussi pour le transport ferré et pour le transport
fluvial. L'Ouest devrait tirer profit d'une telle opération.
Nous devons aussi, c'est évident, favoriser le développement des
corridors. Vous dites "les autres le font, nous pas". Je préfère
aborder cette question sur un angle différent : que pouvons-nous faire
au plan européen ?
M. Gérard Larcher, rapporteur
. Cette dimension européenne
figure en toutes lettres.
M. le ministre
. La directive européenne n° 91-440 peut nous
aider à faire avancer les discussions entre sociétés de
chemin de fer, qu'elles soient publiques ou privées. Dans cette affaire
je ne me contente pas de faire des propositions, je traduis mes intentions dans
les actes. Aujourd'hui le seul corridor qui fonctionne en Europe c'est celui
qui relie la Belgique, le Luxembourg, la France vers Marseille, l'Italie,
l'Espagne et le Portugal, non le corridor prévu par les tenants du
libéralisme.
Sans aller vers la concurrence intra-modale proposée par la Commission
européenne, nous démontrons, en acceptant une concurrence
inter-modale, notre capacité à développer un réseau
de fret européen. J'ai donc proposé, dimanche dernier lors d'une
réunion informelle du conseil des transports et de l'environnement
à Chester, d'aller vers la constitution d'un réseau de fret
européen. Un tel réseau permettra de transporter par le rail
l'excédent de marchandises acheminées par la route.
Nous nous trouvons devant un problème d'une grande complexité.
Les caractéristiques du système autoroutier sont bien connues.
Ses résultats positifs sont indiscutables, mais ses limites
apparaissent. Nous devons également tenir compte du poids
représenté par l'endettement dans ce secteur. Nous devons aussi
respecter la directive européenne relative aux travaux. Il faut savoir
que la non-observation de cette directive de 1990 -je pense à
1'A 86- entraîne de lourds contentieux.
Les problèmes du transport ne doivent pas être traités de
manière politicienne. Je n'accepterai pas que quiconque mette sur le dos
du Gouvernement des choix décidés antérieurement. Dans le
contexte actuel, nous n'avons plus le droit de financer des travaux
autoroutiers de la même manière qu'auparavant.
D'ailleurs, M. le Président de la commission m'avait
suggéré, sans exclure le système de la concession, de ne
plus construire systématiquement de superbes autoroutes.
M. Jean François-Poncet, président
. C'est bien cela. Je
pourrai d'ailleurs vous suggérer de retenir un ou deux
tracés.(Sourires.)
M. le ministre -
. En fait nous cherchons un nouveau système dont
la mise en place permettrait de réaliser une économie de l'ordre
de 30 %. Nous devons cependant déterminer quel type de route permet
d'assurer une bonne fluidité du trafic sur un tel réseau à
une vitesse supérieure à 90 kilomètres à l'heure.
Dans le cas, Monsieur le rapporteur, où mes propos seraient
insuffisamment précis, n'hésitez pas à me demander des
réponses complémentaires, y compris par écrit.
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. Monsieur le ministre, vous qui
avez été un député et un agitateur, si vous deviez
écrire le rapport de la commission d'enquête sénatoriale et
si vous aviez envie de faire pression, de manière démocratique et
non politicienne, sur le Gouvernement, que feriez-vous ? Quelles seraient pour
les dix prochaines années vos priorités en matière
d'infrastructures terrestres par rapport aux enjeux européens dans une
perspective de développement et d'insertion dans l'Union
européenne ?
M. le ministre
. Mon objectif n'est pas de faire pression sur le
Gouvernement.(Sourires). Il est de faire en sorte que le Gouvernement prenne
les bonnes décisions.
Vraiment, nous devons nous situer sur le plan national et sur le plan
européen. Nous voulons nous réorienter vers une dimension plus
sociale que financière. Telle est l'idée de base.
Dans cette perspective, nous devons d'abord jouer la carte de tous les modes de
transport et de toutes les qualités de chaque mode de transport.
Ensuite, un effort énorme devra être accompli pour effectuer un
rééquilibrage qui ne soit ni artificiel ni impossible à
réaliser.
Ainsi, dans un rapport de cette commission d'enquête, il a
été fait mention de 96 % de trafic en valeur absolue. Evidemment,
la valeur n'est pas négligeable mais, dès lors qu'il s'agit de
prendre en compte des problèmes de société et
d'environnement, la référence doit être la tonne au
kilomètre.
Au fond, si l'on ne vise que l'aspect financier en appliquant à telle
dépense tel taux de rentabilité, on se décharge sur l'Etat
pour assumer les conséquences. Je préfère intégrer
dans la réflexion et dans l'analyse des choix sur dix ans la question
des coûts externes comme la santé et l'environnement. Ensuite, on
en tire le bénéfice à la fois pour les entreprises
publiques et privées et pour la société.
Cette démarche vaut aussi pour le transport ferroviaire, aérien
ou fluvial. Pour les cinq prochaines années, nous sommes dans une
situation délicate et vos propositions me seront utiles notamment pour
le développement et l'amélioration du réseau routier et
autoroutier en fonction de l'existant.
Toutefois, il est hors de question, dans l'état d'esprit de mon
ministère, de réduire l'engagement financier de l'État.
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. Avez-vous le sentiment que nous
pouvons tout faire ? Le diagnostic sur le réseau routier est celui d'un
malade en mauvais état.
M. le ministre
. Dans cette vision globale, incluant le réseau
ferroviaire dans la stratégie que je viens d'évoquer ainsi que le
réseau routier et autoroutier, dégageons ensemble les
priorités. Tout mon travail consiste aujourd'hui, et je compte sur vous
pour ce faire, à définir les priorités.
A cet égard, j'ai lancé plusieurs études qui sont en cours
et qui concernent notamment le RFF et la SNCF. Il existe des projets de 2 300
kilomètres de TGV : un milliard de francs de plus en faveur des
investissements ferroviaires a été décidé par le
Gouvernement d'ici à la fin du 12ème Plan.
J'évoque rapidement ce que nous avons décidé pour les
contrats de plan dans le domaine ferroviaire : nous sommes passés de
270 millions à 500 millions de francs au minimum, soit presque le
doublement des crédits actuels. Je pense même que ces
crédits seront plus que doublés s'agissant du
développement du réseau ferré, sa modernisation et son
entretien. Au total, l'engagement de l' Etat représente 2,3 milliards de
francs.
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. Certes, mais cela ne
représente que 500 millions de francs d'opérations nouvelles. Ce
montant ne suffira pas à effectuer les travaux pour le contournement de
l'Ile-de-France ou d'une agglomération comme Lyon. Nous voulons
connaître vos priorités sur ces points.
M. le ministre
. Vous soulevez la question du paiement des
investissements. Si la durée des remboursements était plus
longue, la situation serait moins compliquée.
M. Gérard Larcher, rapporteur
. Seriez-vous d'accord pour une
politique d'emprunts à plus long terme ?
M. le ministre
. Oui, c'est ce que je viens de vous dire.
M. Jean François-Poncet -
. Monsieur le ministre, vous avez dit :
il est hors de question de réduire l'engagement de l'État. Ai-je
bien compris qu'il n'est pas question de revenir sur le schéma de
développement autoroutier ?
M. le ministre
. S'agissant du débat sur les réalisations,
comment pourrais-je vous répondre positivement alors que vous savez que
pour certaines autoroutes, notamment la A 51, j'ai arrêté
l'enquête d'utilité publique ? Mais, je le répète :
globalement, il est hors de question, dans l'état d'esprit du
Gouvernement, de réduire les investissements sur les réseaux
routiers et autoroutiers.
M. Jean François-Poncet, président -
. Prenons l'exemple de
la liaison Rhin-Rhône !
M. le ministre
. La logique européenne impose plus de transparence
sur le plan de la concurrence. Or, au lieu de s'inscrire dans cette logique, au
moins pas à pas, certaines pratiques ont perduré.
Ainsi, je dois régler le dossier de la A 86, dont l'enjeu est de
11 milliards de francs ! J'aurais pu prendre le prétexte de la
décision du Conseil d'Etat pour mettre à la trappe la
déclaration d'utilité publique. Je ne l'ai pas fait parce que je
crois à la nécessité du bouclage de ce dossier.
De plus, le contentieux ne met en cause que la transparence de l'appel d'
offres. Aussi vais-je m'efforcer de trouver une solution pour mener à
son terme la réalisation de la A 86.
Cette année sera discuté un projet de loi sur
l'aménagement du territoire. L'objectif est de passer des schémas
nationaux modaux à des schémas de service non seulement
régionaux mais aussi interrégionaux et nationaux, à la
fois pour le trafic voyageurs et le trafic marchandises. A l'occasion de la
discussion de ce texte, monsieur Larcher, nous débattrons des
priorités à mettre en oeuvre.
M. Jean François-Poncet, président -
. Quid du financement
du TGV-Est, y compris le matériel roulant ?
M. Gérard Larcher, rapporteur -
. Il a été
évoqué une somme de 10 milliards à 8 milliards de francs,
avec une participation européenne de 3 %.
M. le ministre -
. J'insiste pour que l'on parle du TGV-Est
européen. En effet, l'Europe a la possibilité de prendre en
charge jusqu'à 10 % du financement, hors matériel ferroviaire, du
schéma européen à grande vitesse.
Actuellement, il s'agit de faire confirmer cet engagement européen. Mais
je ne peux croire que l'Europe se mette en retrait sur un enjeu dont la
dimension est européenne.
J'ajoute que j'ai proposé dimanche, au conseil informel de Chester, la
mise en place d'un réseau ferré de fret européen.
Le financement de la première phase représente, au total,
18,7 milliards de francs. Cette somme se répartit de la
façon suivante : RFF, qui gère les infrastructures, 2,7 milliards
de francs ; l'État, 8 milliards de francs, soit le doublement de
l'engagement précédent ; l'Europe, 2 milliards de francs ;
les collectivités territoriales, 4 milliards de francs ; Luxembourg,
0,5 milliard de francs.
Par conséquent, il reste un ajustement de 1,5 milliard de francs. A mon
avis, les régions concernées, surtout la région
parisienne, peuvent faire un effort supplémentaire.
Je ne désespère pas d'avancer, mais j'ai besoin de tout le monde
dans cette démarche d'autant, monsieur Larcher, que l'allongement de la
durée du remboursement des emprunts du réseau routier et
autoroutier permettra de libérer des potentialités.
Mme Janine Bardou -
. La RN 88 fait-elle toujours partie de vos
priorités ?
M. le ministre -
. Madame, votre question se situe hors du cadre de la
commission d'enquête. Ecrivez-moi et je vous répondrai.
Mme Janine Bardou -
. Nous venons de prendre connaissance de
l'avant-projet de loi sur l'aménagement du territoire. En effet,
l'article 10 prévoit que les infrastructures seront
étudiées en fonction de l'eau, de l'air et des risques naturels.
Dans une région comme le Massif central, vous connaissez les
problèmes qui sont liés à la montagne. Quel est votre
sentiment à ce sujet ?
M. le ministre -
. Je le répète, la société
développée intégrera toujours plus les problèmes
posés par la sécurité et l'environnement aux enjeux
économiques. En même temps, je crois fortement que l'absence
d'infrastructures et d'équipements nouveaux entraîne la stagnation
puis le recul d'un pays.
C'est ma conviction profonde, que je défends avec Mme Voynet.
Travaillons à une démarche nouvelle et intelligente pour
définir et réaliser les objectifs que je qualifierai de
"contraints" en respectant l'environnement.
Ce n'est un secret pour personne, je ne souhaite pas que l'on porte un coup
d'arrêt à la réalisation des infrastructures
nécessaires ; mais je tiens, autant que ma collègue, à
intégrer l'enjeu environnemental...
Mme Janine Bardou
- Elle n'est pas la seule, monsieur le ministre.
M. le ministre
-...je suis, autant qu'elle, attaché à
l'idée de réduire les besoins de déplacements contraints
mais il faut également répondre aux besoins de déplacement
des voyageurs et assurer le transport des marchandises. Il faut trouver un mode
de développement
harmonieux.
Vous avez fait état, madame Bardou, de la A 88 dans le Massif Central,
mais nous menons également une réflexion sur la A 75 ; nous
n'arrêtons pas, même si certains estiment que les choses ne vont
pas assez vite.
Mme Janine Bardou
. La question n'était pas là, monsieur le
ministre.
M. Le ministre
. Par exemple, s'agissant du viaduc de Millau, sur la A
75, quelle est votre position en ce qui concerne le péage ?
Mme Janine Bardou
- Je réponds nettement : il faut un
péage.
M. Jean François-Poncet, président -
. Il faut des
péages, sinon vous ne financerez jamais rien !
M. le ministre
. Tout à l'heure j'ai sollicité vos
propositions ; maintenant je compte sur votre aide pour convaincre votre ami M.
Puech !
M. Jean François-Poncet, président -
. Nous ne sommes pas
liés, nous sommes démocratiquement indépendants ! Encore
faut-il que vous n'empochiez pas les aides que l'on vous apporte sans, en
échange, nous donner des satisfactions d'importance égale.
M. le ministre -
. Je recherche toujours l'équilibre, monsieur le
président...
M. Jean François-Poncet, président -
. C'est ce que l'on
appelait autrefois " l'avantage mutuel ".
M. le ministre
. C'est ainsi que j'ai pratiqué avec les
Américains...
M. Jean François-poncet, président -
. Et ce n'était
pas mal, d'ailleurs !
M. le Ministre
. ...nous avons conclu, avec les Etats-Unis, un accord
bilatéral sur le fondement de l'intérêt mutuel ; c'est un
mot formidable !
M. Jean François-Poncet, président
. Il est en usage depuis
longtemps. Monsieur le ministre, je vous remercie.
La séance est levée.
ANNEXE N° 7 -
AUDITION DE MME DOMINIQUE
VOYNET,
MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
ET DE
L'ENVIRONNEMENT,
LE 6 MAI 1998
M. Jean FRANCOIS-PONCET, PRESIDENT.-
Nous
accueillons
maintenant Mme Dominique VOYNET, ministre de l'aménagement du territoire
et de l'environnement. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir bien voulu
répondre à notre invitation. Il s'agit d'une Commission
d'enquête, la loi me fait obligation de vous demander de prêter
serment...
Mme VOYNET
.- Je le jure et je dis d'ailleurs toujours la
vérité.
M. le PRESIDENT
.- Nous n'en doutions pas.
Vous savez dans quel contexte nous travaillons, puisque vous avez pris
connaissance des conditions dans lesquelles la Commission d'enquête avait
été créée par le Sénat.
Je voudrais vous soumettre trois indications que nous avons recueillies au
cours de notre enquête déjà avancée.
Lorsque le Directeur des Routes est venu devant nous, il nous a montré
un graphique qui révèle, entre autres, que si nous prenons
l'année 1980 comme base 100, nous sommes actuellement à 124 en
termes de surface autoroutière, et à 163 en termes de volume de
trafic.
En d'autres termes, le trafic a augmenté beaucoup plus vite que la
surface destinée à l'accueillir.
Cela nous amène à nous demander si cette constatation doit
inciter à freiner ou plutôt à accélérer la
construction autoroutière.
Deuxième observation. Nous avons consulté des entreprises de
transport combiné, nous nous sommes particulièrement
intéressés à ce transport, car nous pensons qu'il est une
des priorités que la nation doit se donner. Les responsables de ces
entreprises sur le terrain nous ont dit que le multimodal n'est pertinent que
pour les trajets supérieurs à 500 km, lesquels ne
représentent que 20 % du total du transport marchandises. A l'inverse,
la très grande majorité des trajets réalisés par
les poids lourds sur les autoroutes ont des longueurs inférieures ou
égales à 100 km.
Le transport combiné peut-il réellement permettre de soulager la
route ?
La dernière indication nous vient de la sécurité
routière. Elle date de février et fait état d'une
augmentation significative du nombre de tués. Or c'est principalement
sur le réseau routier ordinaire qu'ont lieu les accidents. De loin le
mode de transport le plus sûr est donc l'autoroute.
Je cite ces trois chiffres, un peu pour vous provoquer, mais ils sont
très solides et induisent nos interrogations.
Je vous donnerai une quatrième indication, venant celle-là de la
Direction du Trésor, sur l'équilibre financier.
Le système autoroutier est très endetté, mais en dehors de
deux liaisons, le tunnel de Fréjus et l'autoroute de Normandie, tout le
développement prévu dans le plan Balladur trouverait à se
financer dans des conditions tendues, mais normales, et le système
autoroutier serait en état de rembourser les dettes dans les
délais de concession qui lui sont aujourd'hui accordés.
Voilà quatre indications que nous avons recueillies autour de questions
que nous avons posées à des personnes différentes, mais
sur des sujets très voisins, afin de croiser leurs réponses.
Mme VOYNET
.- Vous me pardonnerez de ne pas entrer aussi vite dans le vif
du sujet et de ne pas répondre très directement à vos
questions. Evidemment j'ai relu avec attention l'argumentaire qui a conduit
à la mise en place de la Commission d'enquête et il semble que
certains éléments doivent être resitués dans leur
contexte.
Votre Commission est chargée d'examiner les conditions dans lesquelles
semblent remis en cause certains choix stratégiques concernant les
infrastructures de communication, les incidences qu'une telle remise en cause
pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du
territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans
l'Union.
Cette problématique renvoie à trois questions.
1) Y a-t-il eu depuis mai 97 des changements d'orientations en matière
de politique de transport ?
2) Quels éléments fondent les choix d'orientations
stratégiques du Gouvernement ?
3) Quelles incidences auront ces décisions sur l'aménagement et
le développement du territoire ?
La première question appelle une réponse clairement
positive : il y a bien eu, depuis notre arrivée, des changements
d'orientations en matière de politique de transport. Je crois d'ailleurs
qu'on ne devrait pas s'étonner que l'alternance politique se traduise
par des changements d'orientations dans la politique gouvernementale. C'est
même à cela que sert l'alternance en général.
Le secteur des transports, le développement des infrastructures de
communication notamment, ne se limite pas à la gestion technique de
procédures. Les choix en matière d'infrastructures traduisent
aussi dans la réalité des orientations générales
qui forment une politique des transports. C'est dans ce cadre que le
Gouvernement a effectivement remis en cause certains projets et en a
réévalué d'autres. J'y reviendrai sans doute, je pense
notamment au projet de franchissement de la barrière alpine. Cette
démarche est légitime, elle était indispensable et urgente.
Prenons la question des infrastructures ferroviaires.
Le schéma directeur national, approuvé le 1
er
avril
1992, ne traite que des lignes nouvelles à grande vitesse.
C'était alors l'axe stratégique de l'entreprise et la seule
préoccupation des pouvoirs publics.
Ce schéma présente un réseau comportant 4.700 km de lignes
nouvelles à grande vitesse. Au mois de juin 1997, 1.300 km sont en
service. Les deux branches du TGV Méditerranée (Valence-Marseille
et Valence-Nîmes) sont en chantier.
Par ailleurs, des études ont été engagées sur de
nombreux projets : TGV Est, Rhin-Rhône première phase,
Languedoc-Roussillon, Lyon-Turin, Bretagne-Pays de Loire et Aquitaine. Ces
différents projets représentent un investissement global
estimé à 84 milliards de francs, non compris le Lyon-Turin, d'une
ampleur particulière qui dépendra du choix de l'emplacement du
tunnel.
Or, la réforme de la SNCF intervenue en 1997 interdit la poursuite de
cette fuite en avant. Ces nouveaux projets ne pourront plus être
financés par l'endettement de la SNCF. Tous se caractérisent par
une faible rentabilité financière. Ils ne pourront se
réaliser que moyennant des concours publics couvrant une part importante
des coûts.
Dans le budget 1997, les ressources affectées au développement
des TGV ne s'élevaient initialement qu'à 500 millions de francs.
Ces sommes étaient insuffisantes pour couvrir les engagements de l'Etat
relatifs au TGV Méditerranée. De surcroît, une partie de
ces crédits servait à payer des études sur des projets
dont on ne savait pas quand et comment on les financerait.
On peut même, me semble-t-il, affirmer que l'octroi de sommes
conséquentes à la réalisation d'études avait
essentiellement pour objet de calmer l'ire et l'impatience d'un certain nombre
d'élus porteurs de ces projets, qui restaient dans les limbes.
Maintenir en apparence des objectifs ambitieux sans s'en donner les moyens,
malgré un changement des règles du jeu qui impose de nouveaux
modes de financement, n'était-ce pas déjà, sous une forme
insidieuse, les remettre en cause ?
Le Gouvernement s'est attaqué à cette difficulté.
Dès le budget 1998, il a augmenté les moyens financiers
consacrés au développement du réseau ferroviaire, qui
atteignent 1,3 milliard de francs hors transport combiné.
Il a pris des engagements clairs pour accroître encore les enveloppes
annuelles de 1 milliard de francs d'ici la fin des prochains contrats
Etat-Région.
Par ailleurs, il a réorienté la politique de développement
du réseau, au bénéfice de la modernisation et l'adaptation
du réseau classique, notamment parce qu'il considère que le
développement du fret ferroviaire constitue une priorité de la
politique des transports.
Pour autant, le Gouvernement n'a pas remis en cause de projets de TGV. Il a
confirmé la poursuite d'un programme maîtrisé de lignes
à grande vitesse, respectant nos engagements internationaux.
Il s'agit plus précisément des projets de lignes
Perpignan-Figueras et Lyon-Turin, avec une composante fret importante, du
projet de TGV Est, que Réseau Ferré de France devra optimiser
d'un point de vue technico-économique et environnemental, du projet de
TGV Rhin-Rhône, dont la première phase devra faire l'objet d'une
réalisation progressive, avec une ligne nouvelle se limitant dans un
premier temps à Besançon-Mulhouse.
Encore un mot sur l'état d'esprit dans lequel a travaillé le
Gouvernement. En effet, s'il a été réaffirmé son
attachement au projet de TGV Est, il a été en revanche
demandé deux choses :
1) le réexamen des modalités du montage financier,
2) l'optimisation de la liaison.
Le Gouvernement s'est interrogé sur un concept de train à grande
vitesse qui prévoyait la circulation de convois à une vitesse
commerciale de 400 km/h, alors que les matériels adaptés
n'existent pas, et que le choix technique de cette vitesse commerciale
générait en fait des courbes et des tracés dont l'impact
environnemental était important, et des localisations de gares qui
n'étaient pas forcément directement adaptées aux plus
grands besoins de la population.
Ce n'est pas remettre en cause que de proposer de réexaminer, alors que
des dossiers de ce type courent depuis des années, les conditions d'une
meilleure efficacité économique, d'un plus grand service rendu
aux populations et d'une plus grande rigueur budgétaire.
Passons maintenant aux infrastructures routières.
Le Conseil d'Etat a rappelé, avec la clarté qui s'attache aux
décisions de justice, que la directive 89/440, dite directive "travaux",
aurait dû être appliquée à compter du 22 juillet
1990. Ces remises en cause tardives risquent de coûter cher.
Lorsque les réglementations changent, il faut s'adapter rapidement.
Pressé de s'expliquer sur ses pratiques en matière de concessions
autoroutières, le précédent Gouvernement s'était
engagé, d'une part, à appliquer strictement la directive -ce qui
était la moindre des choses- d'autre part, à apurer avant le 31
décembre 1997 la situation des concessions pressenties avant
l'entrée en vigueur de la directive.
Même si certaines personnalités ont soutenu devant votre
Commission une analyse contraire, cette entrée en vigueur, sans doute
trop tardive, des textes communautaires comporte implicitement une remise en
cause du mode de dévolution à la française des concessions
autoroutières.
Le droit communautaire est un droit de la concurrence. L'obligation de
publicité ne se réduit pas à une obligation de pure forme.
L'égalité des chances entre les candidats interdit qu'un candidat
puisse, à la différence des autres, faire reposer une partie du
financement de l'ouvrage à construire sur les recettes procurées
par le reste de son réseau. Le déficit éventuel lié
à une section nouvelle doit être couvert par une subvention
publique.
Le Gouvernement a tiré les conséquences de cette situation. Le
biais artificiel en faveur de la réalisation d'autoroutes
concédées en apparence gratuite n'existant plus, il convenait de
s'interroger sérieusement sur divers projets comportant des atteintes
environnementales majeures et de lourds problèmes de financement comme
l'A51 ou l'A58.
Dans le même temps, le Gouvernement assurait la continuité de
l'Etat en passant, avant la date fatidique du 31 décembre 1997, des
avenants couvrant les projets pressentis déclarés
d'utilité publique.
Je ne m'étendrai pas sur l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône.
Rien, sauf des illusions fondées sur des analyses des années 50,
et qui voyaient l'avenir dans un rétroviseur, ne justifiait ce projet.
Son abandon explicite sanctionne une longue lutte qui avait su en
démontrer le caractère inutile, néfaste et dispendieux.
D'ailleurs, je peux le dire maintenant, il est peu d'hommes politiques, quelle
que soit leur étiquette, qui n'aient pas en tête à
tête justifié l'abandon de ce projet, même si publiquement
il leur est arrivé de déplorer les conditions dans lesquelles il
a été opéré.
Vous le voyez, le contexte économique et politique imposait des remises
en cause. Le Gouvernement ne se contente pas de subir les
événements, il procède à des remises en cause en
séparant SNCF et RFF, par exemple, il met en oeuvre de nouvelles
orientations politiques, tant en matière de transport que
d'aménagement du territoire.
Je reviendrai à la définition d'une nouvelle politique publique
des transports que j'appelle de mes voeux.
Mon collègue Jean-Claude Gayssot vous a entretenus des orientations du
Gouvernement visant à une politique de transport respectueuse des
exigences du développement durable.
Le 26 avril dernier, à Chester, à l'occasion d'un conseil
informel des ministres de l'Environnement et des Transports de l'Union
européenne, nous avons pu mesurer la forte convergence d'analyse et de
préoccupation de nos collègues.
La poursuite sur les tendances actuelles de l'évolution des transports
n'est pas durable. Diverses études de la Commission et de l'OCDE le
prouvent.
Les contributions de bon nombre de nos collègues de l'Union
européenne nous ont montré que la plupart d'entre eux partagent
notre analyse.
La contribution commune que Jean-Claude Gayssot et moi-même avons remise
à ce conseil, et qui pourrait, si vous le souhaitez, être
versée au nombre des documents mis à disposition de votre
Commission, développe l'ensemble des orientations qui doivent être
conjointement mises en oeuvre pour relever ces défis :
1) le renforcement des normes techniques applicables aux véhicules en
matière de consommation et d'émissions polluantes ou de gaz
à effet de serre, ainsi que celles relatives à la composition des
carburants ;
2) une meilleure répercussion des coûts directs et une
internalisation progressive des coûts externes, pour assurer une
concurrence équitable entre les modes, ces actions passant
prioritairement par une harmonisation sociale et fiscale ;
3) un développement prioritaire de l'offre de transport au
bénéfice des modes peu polluants : transports collectifs dans les
zones urbaines, fret ferroviaire, cabotage maritime et navigation fluviale,
transport combiné, notamment au niveau des réseaux
transeuropéens.
Vous pouvez donc être pleinement rassurés : les choix de
développement des réseaux du Gouvernement s'inscrivent dans une
perspective européenne.
Ces orientations en matière de transport recoupent celles nouvelles en
matière de politique d'aménagement du territoire que j'ai
impulsées, et qu'explicite l'avant-projet de loi que j'ai remis il y a
quelques semaines au Premier ministre. J'espère avoir l'honneur de le
défendre prochainement devant votre assemblée.
Les orientations politiques de mon projet visent à réduire les
inégalités territoriales, à consolider la
décentralisation, à jeter les bases du développement
durable.
Pour ce qui concerne la question des transports, qui vous intéresse plus
particulièrement, la première innovation concerne les
schémas. Les cinq schémas d'infrastructures prévus par la
loi de 1995 (schéma directeur routier national, schéma directeur
des voies navigables, schéma directeur du réseau ferroviaire,
schéma des ports maritimes, schéma des infrastructures
aéroportuaires) seront remplacés par deux schémas de
services collectifs de transport, l'un pour les voyageurs, l'autre pour les
marchandises, élaborés conjointement dans une logique intermodale.
Cela exige de nous de nouvelles méthodes de travail, un
décloisonnement entre les services qui devra déboucher sur des
approches inédites.
Les redondances et les concurrences contenues entre infrastructures diverses
sur de mêmes parcours pourront être évitées. Les
complémentarités entre modes, notamment dans le domaine du
transport combiné, seront systématiquement exploitées.
L'autre modification est au moins aussi importante. Je veux parler du passage
de schémas d'infrastructures à des schémas de services. En
matière de transports collectifs, vous savez mieux que moi combien est
illusoire une approche en termes d'infrastructures. Que signifie l'ajout sur
une carte d'un tracé indicatif d'une infrastructure ferroviaire nouvelle
? Ce qui fait la qualité du service nouveau offert à l'usager, ce
sont, au-delà du seul tracé et des possibilités
financières, les horaires, les fréquences, les correspondances,
les matériels utilisés, et bien d'autres éléments.
De même, vous savez bien que l'indice de satisfaction vis-à-vis de
l'élaboration de schémas d'infrastructures, tant pour les
élus demandeurs que pour les services ou les opérateurs, est
réglé sur le nombre d'infrastructures nouvelles venant s'inscrire
sur la carte.
C'est une dynamique du "toujours plus", qui ignore fondamentalement les
ressources ouvertes par une meilleure exploitation du patrimoine existant. Or,
si on s'intéresse d'abord aux services rendus aux usagers, on sait bien
que l'amélioration de l'exploitation et l'optimisation du réseau
existant recèlent des potentialités considérables qu'il ne
faut pas occulter au seul bénéfice de la création de
nouvelles infrastructures.
Ma volonté est de partir de l'évaluation des besoins en
matière de mobilité, pour définir les objectifs de
services que la collectivité nationale se propose de poursuivre et en
déduire les moyens permettant d'y arriver.
Ces schémas seront élaborés à l'issue d'une phase
de concertation territoriale, qui sera engagée quand le projet de loi
aura été déposé au Parlement. Je compte sur vos
contributions pour que soit tiré le meilleur parti de cette nouvelle
approche intermodale et de service.
Mais on ne peut pas tout attendre du niveau national. Cet exercice de
planification des schémas nationaux doit être relayé sur le
terrain. C'est pourquoi je propose un renforcement de l'initiative
régionale en la matière à travers les schémas
régionaux.
Il est assigné aux schémas régionaux de transports les
mêmes caractéristiques qu'aux schémas nationaux qu'ils
précisent et prolongent : intermodalité et approche en termes de
service rendu. La Région devra donc réunir les diverses
autorités organisatrices pour rechercher les
complémentarités et les coopérations qui améliorent
le mieux le service rendu aux usagers des transports collectifs.
Comme je vous l'ai indiqué, notre projet de loi se fonde sur le
développement durable, dont les exigences seront inscrites dans les
premiers articles de la loi d'orientation des transports intérieurs.
Ces inflexions des politiques des transports et d'aménagement du
territoire se traduisent, quand cela est nécessaire, par des remises en
cause de partis pris d'aménagement et, ce qui n'est pas sans lien bien
sûr, par des redéploiements de ressources financières.
Les conditions dans lesquelles interviennent ces changements sont celles
prévues et organisées par notre régime démocratique
:la convergence d'un contexte changeant, de défis nouveaux,
d'orientations politiques nouvelles approuvées par les électeurs
et mises en oeuvre par un Gouvernement disposant de la confiance de
l'Assemblée Nationale.
Je vous remercie d'avoir bien voulu écouter ce long exposé
préliminaire. Si vous me le permettez, je voudrais juste, avant de vous
laisser la parole, dire quelques mots en réponse aux questions plus
précises évoquées par le Président de votre
Commission d'enquête.
Un terme m'a frappée dans son intervention, le terme "priorité".
En effet, il a signalé que le transport combiné apparaissait aux
membres de cette Commission comme une priorité.
Je suis extrêmement étonnée de voir finalement que les
diverses personnes qui se relaient dans mon bureau et avec lesquelles j'ai des
contacts fréquents -parlementaires, élus de grandes villes,
responsables de région ou de département, entreprises,
associations- me déclinent les priorités. Je me rends compte que
tout est prioritaire : priorité à la résorption des points
noirs du bruit et de l'insécurité, priorité à la
poursuite du schéma autoroutier, priorité au rail,
priorité aux grandes lignes, permettant d'assurer la circulation
privilégiée de marchandises, notamment par le biais de corridors
ferroviaires, priorité aux plates-formes intermodales, au transport
combiné, au franchissement des massifs par voie ferroviaire et non plus
exclusivement routière, priorité à la réalisation
du réseau fluvial, etc.
Une de nos maladies est justement d'être incapables de
hiérarchiser ces priorités. C'est pour répondre en partie
à la question que nous avons souhaité renoncer à faire
rêver les élus, par le maintien de schémas
infinançables dans les conditions budgétaires actuelles et
notamment de la construction européenne, et mettre en place une approche
intermodale pour les schémas de transports afin de permettre de ne plus
mettre en concurrence, pour les mêmes usages et sur les mêmes axes,
les infrastructures lourdes fort coûteuses.
Notre souci est vraiment de rationaliser l'usage des moyens dont nous disposons
sur le plan financier, et de répondre en priorité aux besoins de
la population. A cet égard, nous aurons à discuter de
façon très précise d'orientations des prochains contrats
de plan, qui constituent traditionnellement des outils non seulement
budgétaires, mais aussi intellectuels très précieux,
puisque c'est l'occasion d'une discussion approfondie entre l'Etat, les
régions et ce qu'on appelle avec un peu d'inadéquation les
collectivités locales de moindre rang. On sait bien pourtant que les
budgets des départements sont supérieurs à ceux des
régions en général, et qu'ils jouent un rôle
important dans la discussion des contrats.
Je souhaite vraiment aller au fond, et que les collectivités ne
présentent plus des catalogues de voeux infinançables à
l'Etat, mais soient capables d'indiquer leurs priorités, l'usage, le
contenu en emplois, et leur contribution financière.
Je veux évoquer aussi les grandes difficultés que nous avons
à appréhender l'avenir et ses évolutions.
Je ne voudrais pas faire de parallèle hâtif avec ce qui s'est
passé dans le domaine de l'énergie, mais enfin la tradition
française est souvent de prolonger des courbes, en faisant l'impasse sur
l'évolution de celles pouvant être obtenues par de la
volonté politique et des offres alternatives aux tendances lourdes
constatées spontanément.
Ainsi, par exemple, on avait dessiné dans les années 70 au moment
de la crise pétrolière, des courbes exponentielles de croissance
de la consommation énergétique qui se sont
révélées fausses, parce qu'il y a eu une implication forte
des pouvoirs publics dans une politique de maîtrise de l'énergie.
Aujourd'hui on est à peu près dans la même situation. Se
contente-t-on de prolonger les courbes présentées par la
Direction des Routes ? Jean-Claude Gayssot lui-même pense que ce n'est
pas possible, et que les modèles mathématiques qui utiliseraient
une seule variable, le coût du transport routier, ne sont pas
intelligents et ne permettent pas d'appréhender finement l'avenir.
Il faut agir sur plusieurs variables : le coût du transport routier,
notamment à travers l'évolution du contexte social de ce secteur,
mais aussi les perspectives de gains de productivité dans le secteur
ferroviaire, médiocres pendant longtemps, mais dont je suis bien
convaincue qu'elles existent et qu'il faut absolument les utiliser, enfin,
l'internalisation des coûts, c'est-à-dire la prise en compte des
effets négatifs induits.
La suppression des espaces agricoles, les accidents, le bruit, la pollution, le
coût en devises de l'achat de carburant, etc, tout doit être pris
en compte dans l'évaluation de l'efficacité économique et
sociale des différents modes de transport. Aujourd'hui on n'est pas
très bien outillé sur le plan des modèles et des outils de
prospective pour dessiner l'avenir.
M. le PRESIDENT
.- Votre présentation m'inspire deux ou trois
commentaires. Je veux d'abord vous remercier de la netteté de votre
propos. J'y puise la justification de notre Commission d'enquête.
Vous avez bien dit : "nous changeons de politique". C'est bien notre sentiment.
C'est pourquoi notre Commission a été constituée. Il est
bon que vous l'ayez affirmé avec autant de clarté. J'ai
même senti un peu de provocation, mais tant mieux, c'est clair, il y a
une majorité, un Parlement, vous changez de politique, c'est très
bien. Toute la question consiste à savoir quelle va être cette
politique.
Concernant les schémas de train à grande vitesse, la carte qui en
avait été dressée à un moment n'était que
potentielle, puisque la plupart des tracés n'ont pas été
mis à l'étude. Il est exact que ces schémas ne peuvent pas
être réalisés, certains seulement peuvent l'être,
d'autres posent probablement des problèmes, et nous serons
amenés, je le pense, à indiquer, que pour une série de
trajets, les trains pendulaires peuvent avoir leur intérêt.
Vous n'en avez pas dit autant, et je vous en remercie, sinon vous vous seriez
mise en contradiction avec ce que nous avons entendu, des schémas
autoroutiers.
Celui retenu à l'époque par le Gouvernement Balladur est,
à quelques exceptions près, finançable. Cela ne signifie
pas qu'il soit obligé de le faire, le Gouvernement peut parfaitement
changer de politique, mais pas sur la base d'un argument financier. Vous ne
l'avez pas invoqué et je vous en remercie.
Vous n'avez répondu à aucune de mes questions, donc j'y
reviendrai. Mais avant, vous avez parlé des schémas de services.
Vous avez indiqué qu'ils feraient l'objet d'une concertation aux niveaux
régional et inter-régional. C'est très positif, parce que
cela permettra aux Conseils Régionaux -et j'espère qu'ils
consulteront les départements- de s'exprimer.
Il serait tout à fait paradoxal que ces schémas soient soumis aux
régions et pas au Parlement. Feront-ils l'objet d'une décision
législative ? Nous le souhaitons.
Je comprendrais difficilement qu'on consulte les régions et qu'on ignore
le Parlement. S'il est consulté, il aura manifestement à se
prononcer.
Est-ce que ces schémas de services seront soumis à son
vote ? J'aimerais une réponse très concrète.
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt vos propos. Je suis d'accord
avec vous, il ne faut pas rêver. Ce n'est pas du tout notre intention,
d'ailleurs pas plus dans un sens que dans l'autre.
Parmi les observations que vous avez formulées, vous avez
mentionné une série de considérations, les coûts
qu'il faut internaliser dans le calcul de rentabilité au sens
très large des infrastructures de désenclavement.
J'ai été surpris parce que vous n'avez pas parlé d'une
donnée, le développement économique local. Je vous ai
entendu parler du bruit et d'autres éléments très
importants et auxquels nos concitoyens sont très sensibles. Je crois que
je mentirais en disant qu'ils ne le sont pas également au
développement économique, qui nous paraît absolument
déterminant. Quelle est la dose d'enclavement qui empêche le
développement ou le freine ? Et quelle est celle de
désenclavement, par grands axes autoroutiers reliant les régions
à l'Europe, nécessaire pour le développement ?
Je vous ai posé trois questions, je les répète.
1) Le Directeur des Routes nous a montré un graphique qui indique qu'en
prenant 1980 comme base 100, nous sommes en surface autoroutière
à 124 et en volume de trafic à 163. Nous assistons donc à
une densification préoccupante. Comment allons-nous traiter ce
problème ?
2) Le transport combiné est une priorité dans notre esprit comme
le développement durable. J'entends que tout à coup on
découvre celui-ci, c'est une espèce de révélation
fantastique d'un nouveau Gouvernement. Non, nous en sommes tous partisans,
permettez-moi de vous le dire, nous autant que vous, et nous sommes à
l'écoute des populations, nous sommes tous des élus locaux.
Ceci dit, le transport combiné, nous ont dit les responsables de ces
entreprises, n'est pertinent que pour les trajets supérieurs à
500 km, il ne représente que 20 % du total des transports de
marchandises, la très grande majorité du trafic poids lourds sur
les autoroutes s'effectue sur des trajets inférieurs ou égaux
à 100 km. Par conséquent, le transport combiné est
prioritaire, mais ne s'applique qu'à 20 % de la globalité.
Voilà deux questions concrètes sur lesquelles j'aimerais avoir
vos réponses.
Mme VOYNET
.- Je vais être encore plus provocatrice, Monsieur le
Président.
M. le PRESIDENT
.- Je m'y attendais.
Mme VOYNET
.- Quand on dit "on change de politique", cela ne signifie pas
qu'on a moins d'ambition, mais qu'on arrête de faire semblant. On
affronte avec lucidité les problèmes budgétaires, on
arbitre, et on dit, comme vous-même il y a quelques instants, qu'on ne
fera pas tout ce que l'on veut faire tout de suite.
Il me semble que c'est une singulière maladie que celle qui nous frappe,
je le répète, qui a si longtemps permis de faire le consensus, et
singulièrement de faire adopter à l'Assemblée Nationale et
dans votre assemblée des projets de schémas de d'infrastructures
par addition. Ce n'est pas faire insulte aux parlementaires que de dire que
c'est une pratique fréquente que de subordonner le soutien à un
schéma à la prise en compte d'un projet de plus concernant
spécialement la circonscription, le département ou la
région.
D'ailleurs, j'avoue bien volontiers qu'à la place des parlementaires, je
n'échapperais pas non plus à ce travers.
M. le PRESIDENT
.- Permettez-moi de vous interrompre une seconde. Jamais
les schémas n'ont été soumis au Parlement, et nous le
demandons. Les collectivités territoriales n'ont jamais
été consultées non plus. M. Pons, quand il était
ministre des Transports, avait annoncé une grande consultation locale.
J'avais dit : "En conséquence, vous allez le soumettre au Parlement".
Mais dans le passé cela n'a jamais été le cas.
M. FATOUS
.- Les projets n'étaient pas financés.
M. le PRESIDENT
.- Il n'y a pas de schéma Balladur, c'était
le schéma Méhaignerie. Il a simplement dit que sa
réalisation serait accélérée. Et les financements
sont possibles, mais ce n'est pas vrai du schéma ferroviaire.
Mme VOYNET
.- Si je comprends bien, la Commission est en train
d'auditionner son Président qui a une opinion bien arrêtée,
ce n'est d'ailleurs pas la mienne.
Nous pourrions débattre entre nous, mais dans ce cas je n'aurai pas
forcément le temps de répondre aux questions posées. J'ai
déjà, je crois, donné mon accord pour venir plancher
devant vous pour représenter les projets de loi d'orientations
d'aménagement durable du territoire, je suis d'accord pour le faire,
mais si je veux en rester au sujet de la Commission d'enquête, je vais
apporter les réponses, sans les fuir, aux deux questions précises
que vous avez formulées tout à l'heure.
Le schéma autoroutier n'est finançable que dans un contexte
particulier. Or il me semble avoir dit très clairement qu'il avait
changé au niveau européen.
Si on veut être extrêmement rigoureux dans l'utilité des
fonds publics, on doit aussi prendre en compte le fait qu'à
côté du concept autoroutier tel qu'il est mis en oeuvre par le
ministère de l'Equipement, des Transports, il est d'autres concepts,
dans les zones où le trafic est moins important, où la
géographie est plus exigeante et génère des coûts
très lourds, qu'il pourrait être plus important de
développer, comme par exemple deux fois deux voies ou des autoroutes
moins larges.
Il pourrait être intéressant aussi de prendre en compte le fait
que quand on développe en concurrence des infrastructures lourdes sur
les mêmes axes, elles se handicapent mutuellement. Ainsi la
rentabilité d'un TGV peut être affectée de 20 à 30 %
si on construit en parallèle une autoroute, qui vole une partie du
trafic.
Je ne suis pas en état de répondre par oui ou par non à la
question "faut-il accélérer le programme autoroutier ?". Il faut
le réexaminer tronçon par tronçon, en fonction du
coût, du contexte géographique, etc.
En revanche, je ne souhaite pas raisonner de façon purement
mécanique. La phrase qui, dans la loi Pasqua, disait qu'aucun point du
territoire ne devait être à plus de 50 km d'une autoroute et plus
de 45 minutes d'une gare TGV me paraît surréaliste.
Est-on en état de promettre à tous les points des montagnes des
équipements autoroutiers à 150 MF le kilomètre pour
desservir quelques centaines ou quelques milliers d'habitants ? Ce n'est pas
faire insulte au monde rural que de dire que c'est un mythe, une vue de
l'esprit, une façon de manifester de manière un peu chaotique un
intérêt pour la desserte de ces populations.
Quand j'ai parlé de réponses aux besoins, ce n'étaient pas
simplement ceux des individus de se déplacer pour rencontrer leurs amis
le week-end ou partir en vacances, mais j'incluais évidemment ceux des
entreprises et les contraintes économiques.
Permettez-moi de dire qu'un des éléments très importants
de nos choix en matière d'infrastructures est le contenu en emplois des
travaux. Il me semble absolument fondamental de choisir les investissements et
les modalités qui permettent de créer ou de maintenir le maximum
de postes.
Je m'intéresse beaucoup à l'alchimie subtile qui lie desserte
d'un territoire et développement économique. En effet, et pour ne
parler que de ce que je connais bien, je vis dans une région où
les zones d'intense vitalité économique sont paradoxalement
très enclavées. La petite vallée de Moirans-en-Montagne
où on fabrique près d'un tiers ou la moitié des jouets
français est extraordinairement mal desservie sur un plan ferroviaire et
routier. Alors que je vis dans une ville d'un peu moins de 30.000 habitants,
desservie par deux autoroutes qui se croisent, à deux heures de TGV de
Paris, avec un aéroport de stature régionale, et un canal
Freyssinet, dont je n'ai pas considéré qu'il était
prioritaire de le mettre à 4.000 tonnes de gabarit, cette petite ville a
un mal fou à décoller sur un plan économique.
Je pense que les maires des villes moyennes, il y a quelques années,
avaient notamment voté une motion qui insistait sur
l'ambiguïté de l'apport du TGV, en disant : "il peut apporter des
richesses, mais aussi faciliter le départ de certaines forces vives ou
des jeunes". A une heure ou même une heure trente de Paris, comme Dijon
par exemple, on peut aussi subir une sorte de " banlieurisation " qui
fait fuir matière grise et capitaux vers des villes plus grandes.
Nous devons travailler sur les conditions du développement local,
l'infrastructure de façon évidente est une des pistes. La
consolidation demande autre chose.
C'est d'ailleurs hors sujet pour votre Commission, je ne suis pas convaincue
que l'utilisation qui a été faite jusqu'à présent
des outils financiers de la DATAR ait été d'une grande aide pour
consolider le développement économique. Je me suis donc
attachée à réorienter leur emploi.
Comment soulager la route, devant le constat que vous avez dressé ?
Probablement en se donnant les moyens de redéployer une partie du trafic
vers le fer. Vous avez très justement souligné qu'une
minorité seulement des poids lourds effectuait des trajets de plus de
500 km. Il faut en être conscient, si tel est le cas, en
général ils n'utilisent pas l'autoroute, y compris quand elle
existe, parce qu'il faut aller la chercher en dehors des villes et des points
de livraison, il faut payer le péage, et rejoindre le lieu de desserte
à la sortie.
On finance en France simultanément et en concurrence des tronçons
autoroutiers payants et l'entretien de routes nationales ou
départementales, sur les mêmes axes qui sont gratuits et qui
conservent de ce fait un pouvoir d'attraction très fort, alors que sur
le plan de la sécurité, du bruit, de la nuisance, tout ne peut
pas être financé pour améliorer la situation.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie de vos réponses. Je laisse la
parole au rapporteur.
M. LARCHER.
- Vous nous parlez de hiérarchisation, de
priorités. Quelles seraient celles que le ministre de
l'Aménagement du Territoire dégagerait dans une perspective
à quinze ans, dans le schéma de service, fret ferré ou non
? Comment joindre le sillon du Rhin à celui du Rhône et aux ports
? Peut-on envisager une voie dédiée au fret dans un schéma
d'organisation d'une autre nature ?
Il faut rappeler qu'un TGV libère aussi des sillons pour le fret et donc
de ce fait peut générer des activités économiques.
Dans les schémas intermodaux de services collectifs que le projet de loi
que nous connaissons va dégager, quelle prescription et quelle valeur
normative allez-vous donner ?
Je m'associe aux propos du Président sur l'association du Parlement
à ces décisions.
Question concrète : priorités, échange ?
Vous avez dit "nous souhaitons rétablir les conditions de concurrence
équilibrée entre les modes". Naturellement je vais parler tout de
suite du transport de fret entre les modes autoroutier, ferré et fluvial.
40 % du transport de fret, sur moyenne et longue distances, appartiennent
à des sociétés néerlandaises en Europe. Est-ce que
le rééquilibrage national des conditions sociales n'a pas de sens
s'il n'est pas une décision européenne ? Car évidemment
nous verrons les Néerlandais regarder avec beaucoup d'appétit ce
qui se passe, et d'ailleurs ils sont en train de racheter les ports le long du
Danube, notamment trois roumains, dans lesquels ils ont pris des
intérêts importants le mois dernier.
Même si le fluvial ne leur apparaît pas toujours comme le mode
premier du développement, ils parient dessus et ils font en même
temps des plates-formes multimodales dans lesquelles ils investissent.
Pensez-vous que la dimension européenne sera la réponse à
la concurrence entre les modes ?
Enfin, aujourd'hui, dans l'état actuel du réseau, imaginons que
nous investissions trois fois plus que jusque-là. En effet, pour lever
le noeud de Lyon, pour créer un réseau de fret réel pour
éviter qu'Anvers ne soit le premier port français, pour relier
Marseille convenablement à Strasbourg et à Bâle, pour faire
sauter le noeud existant dans la région Languedoc-Roussillon, il faut
vingt milliards. A raison d'un milliard par an, il faut vingt ans.
Envisagez-vous une priorité ? Dans les vingt prochaines années,
le schéma d'insertion sur Nantes, qui constitue notre
préoccupation, ne servira que de plaque tournante ou sera plaque de
blocage.
Comment réagissez-vous au fait qu'à Bruxelles, mais aussi selon
les directeurs des ports de Rotterdam, d'Anvers ou d'Europe du Nord, jamais
aucun schéma de fret, ni ferré, ni fluvial, ne passe par la
France ?
Enfin, dans quel ordre de priorité placez-vous le TGV Est et le canal
Seine-Nord par rapport aux besoins de financement en fret, que j'ai
évoqués précédemment pour le ferré ?
Le problème du fret est directement posé, me semble-t-il, dans
l'équilibre entre les modes de transport.
Mme VOYNET
.- Merci de toutes ces questions.
Je commencerai par les ports, parce qu'il me semble que c'est un sujet qui
répond à d'autres questions induites par votre intervention.
La France, jusqu'à maintenant, n'a pas eu une politique portuaire
suffisamment claire. Les travaux ont été menés le plus
souvent au coup par coup, sans vision d'ensemble. Quand on constate qu'on perd
des parts de marché face à d'autres pôles européens,
il faut s'interroger sur l'offre de services présentée aux
armateurs et chargeurs. Celle-ci est-elle cohérente à
l'échelle du territoire, fondée sur des logiques de
coopération et complémentaire entre ports ? Ou est-elle
illisible ?
Je voyage assez peu parce que je pense qu'on attend plus de moi que je
travaille dans mon bureau sur les dossiers. Mais quand je suis allée
à Kyoto, j'ai eu l'occasion de rencontrer quelques industriels japonais.
Vu de Kyoto, d'Ottawa, de Singapour ou Bombay, y a-t-il un sens à offrir
Dunkerque ou Saint-Nazaire ou Nantes ou Rouen ou Le Havre ou Marseille ? Je
n'en suis pas sûre.
Face à l'évidente clarté de l'offre néerlandaise,
plutôt que de répondre au coup par coup aux besoins des ports, on
aurait vraiment intérêt à avoir une discussion sur la
politique portuaire de la France, pour clarifier les affectations de ces ports,
les équipements nécessaires, et les efforts menés au
niveau international pour rendre lisible l'offre.
Il est certain qu'aucune réalisation fluviale transbassins ou transmer
n'est de nature à renforcer l'offre portuaire française
actuellement.
Quand on soulignait l'absence du chaînon manquant sur quelques centaines
de kilomètres entre la vallée du Rhin et celle du Rhône, on
précisait que sa réalisation pourrait permettre le
décollage du port de Marseille, sans se demander pourquoi ce maillon ne
manquait pas à Rotterdam, à l'autre extrémité de
cet itinéraire. On sait que les difficultés du port de Marseille
sont liées à ses conditions d'exploitation, et à la longue
crise des personnels autant qu'à l'absence de réalisation du
canal Rhin-Rhône.
Je pense très important d'assurer des liaisons efficaces sur l'axe
nord-sud, à la fois pour les personnes et les marchandises. Concernant
ces dernières, la SNCF a déjà précisé
qu'elle était capable, moyennant quelques centaines de millions de
francs -je crois 200 à 300 MF- de mettre au gabarit B+ la ligne
entre Strasbourg et Lyon, pour permettre de faire circuler des conteneurs
maritimes.
Une faiblesse actuelle me semble liée au fait que bien des
collectivités développent en concurrence des projets de
plates-formes intermodales, alors qu'il n'est pas vraiment sérieux
d'imaginer qu'il pourrait y en avoir une tous les 30 km. Il va falloir que
l'Etat dise son mot sur leur éventuelle localisation.
Concernant le transport des personnes, je voudrais affirmer ma conviction qu'il
y a un espace entre le rien du tout et la dégradation du réseau
conventionnel, et le TGV sur voie nouvelle sur l'ensemble d'un tracé.
C'est particulièrement vrai pour le TGV Rhin-Rhône. Et là,
je voudrais citer quelques chiffres. Dans le dossier de cette mission, deux
chiffres frappent l'imagination : Mulhouse-Dijon par TGV : 1 h 10,
Mulhouse-Dijon avec le train actuel : le meilleur temps est de 2 h 50. Gagner 1
h 40 est phénoménal.
Ensuite, on se rend compte que la meilleure desserte actuelle prévoit de
nombreux arrêts, dont parfois la durée excède dix minutes,
avec la nécessité de changer de train en gare de Besançon.
Si on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire Dijon-Mulhouse sans
arrêt par TGV ou par la voie conventionnelle avec le matériel
existant, on compare des trajets de 1 h 10 et de 2 h 10, et le gain n'est plus
que d'une heure. On a déjà gagné quarante minutes sans
dépenser un sou.
Où le train conventionnel circule-t-il à basse vitesse ? En
effet, c'est sur ces tronçons-là que l'amélioration est
susceptible de faire gagner des minutes. On se rend compte qu'à de
nombreux endroits, moyennant la réalisation de quelques
kilomètres de voie nouvelle, on peut gagner de précieuses minutes
complémentaires.
Vaut-il mieux commencer dès le prochain contrat de plan à
améliorer le service rendu, le matériel roulant et les points
noirs du tracé, ou attendre un TGV pendant vingt ans, en laissant se
dégrader le service actuel, dont on sait pourtant qu'il sera fondamental
si on veut articuler un service TGV grandes lignes avec un réseau
régional de bonne qualité ?
On pose souvent mal la question. Il n'y a pas ceux qui sont pour le
progrès, pour le TGV, et ceux qui veulent vivre dans des cavernes en
s'éclairant à la bougie, et qui seraient contre, mais il y a ceux
qui pensent que pour les sommes considérables que cela coûte, on
doit rendre le meilleur service possible.
Pour un peu moins de milliards et quelques minutes de plus, je pense qu'on peut
rendre des services considérables. Je conçois que nos engagements
européens, avec notamment celui de réaliser le TGV Est en
échange de la confirmation du rôle de capitale européenne
de Strasbourg, aient pu conduire les gouvernements successifs à
raisonner autrement. A titre personnel, je reste raisonnablement critique sur
ce dossier, mais la décision ayant été prise, je m'y suis
évidemment ralliée.
Concernant le canal Seine-Nord, je pense que c'est un dossier beaucoup plus
intéressant que ne l'était le canal Rhin-Rhône, pour un
motif essentiel : il se situe sur une zone géographiquement plus plate,
avec un réseau de voies fluviales plus consistant.
Cela dit, je ne méconnais pas un risque important, qui consiste en un
effet de vol de fret aux ports de Rouen et du Havre, je pense que cela
nécessite une mûre réflexion. Je ne suis pas convaincue
qu'on draine du trafic supplémentaire, mais qu'on puisse mettre en
danger des ports en assurant une liaison directe avec l'Ile-de-France, c'est un
point sur lequel le Président de l'Assemblée Nationale est
très vigilant...
M. LARCHER
.- Il a des préoccupations très locales, ce qui
est légitime.
Mme VOYNET
.- Je pense qu'il relayait les préoccupations de bien
des élus et des corps de métiers. Je sais que c'est aussi la
position de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre, qui
s'inquiète beaucoup.
M. LARCHER
.- C'était par rapport à vos propos
antérieurs sur les parlementaires.
Mme VOYNET
.- J'écoute les préoccupations, mais à un
moment donné il faut savoir dire si c'est une vraie question ou pas.
Notre souci de développement de l'espace français est un souci
d'équilibre. Il faut que ce soit un jeu à somme positive
où tout le monde gagne.
Si vous me demandiez s'il y avait des travaux auxquels j'étais plus
personnellement attachée, j'insisterais sur la consolidation de l'offre
transport combiné, sur les conditions du franchissement des massifs,
alpin et pyrénéen.
Aujourd'hui la révolte gronde dans les vallées soumises au flux
continu des poids lourds, dont beaucoup d'ailleurs ne font que du transit. On
utilise le territoire national. S'il n'y a pas de logique d'internalisation des
coûts, les profits sont pour nos partenaires européens, et les
contraintes, le bruit, les nuisances, les accidents pour nous. Il y a une
façon de répondre qui peut être très
européenne en améliorant l'offre ferroviaire.
J'ajouterai à cette liste la nécessité probable de
réaliser le barreau sud de l'interconnexion TGV entre les réseaux
Ouest et Est de la France. Je ne trouve pas très satisfaisant de voir se
concentrer les infrastructures sur l'Est. Il faut aussi que l'Ouest
bénéficie pleinement de l'effet réseau du TGV pour
éviter que les régions ne se sentent s'éloigner de
l'espace français.
J'aurai tendance aussi à dire que nous ne devrions pas attendre trop
longtemps avant de faire des travaux significatifs sur la liaison
Bordeaux-Hendaye, très accidentogène.
J'ai aussi envie, dans la perspective des contrats de plan, qu'on soit capable
de monter un programme qui pour les routes privilégierait la
résorption des points noirs du bruit -cela fait l'objet de dizaines de
milliers de lettres chaque année, à destination des
ministères des Transports et de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement- et de certains points noirs de sécurité qui sont
prioritaires.
J'ajouterai la volonté de poursuivre et d'approfondir les
coopérations dans le domaine ferroviaire entre l'Etat et les
régions, pour améliorer les conditions de desserte quotidienne
des usagers du réseau régional.
Je listerai également un volet concernant les transports collectifs dans
les agglomérations. Aujourd'hui le problème de circulation dans
les zones urbaines a un coût économique et sanitaire absolument
considérable.
M. le PRESIDENT
.- Une observation. Je vous ai entendu dire deux ou trois
choses qui m'amènent, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, à
indiquer que nous ne sommes pas du tout sur la ligne consistant à dire
qu'il ne faut rien changer, que le contexte n'a pas évolué, et
que la poursuite et la continuité sont les seules idées qui
doivent l'emporter.
Vous avez parlé d'autoroutes avec des spécifications
simplifiées. C'est une idée que nous regardons de très
près. Vous pourriez avoir des surprises heureuses dans notre rapport.
De même, je partage entièrement votre idée qu'avant de se
lancer dans un nouveau tracé de chemin de fer à grande vitesse,
on ferait mieux d'étudier si l'investissement vaut les quelques minutes
gagnées. J'ai les plus grands doutes.
Un train rapide sur une ligne existante, en l'améliorant et en regardant
le train pendulaire, nous sommes tout à fait pour.
Nous ne rêvons pas, nous voulons nous aussi que les projets soient
poursuivis.
De même, je vous ai entendu parler des liaisons transalpines et
transpyrénéennes, elles sont en effet fondamentales et elles
peuvent passer par le train. Peut-être les tunnels et le réseau
ferré qui transporterait les camions vaudraient-ils la peine
d'être étudiés.
Il ne faudrait pas penser que nous sommes sur des lignes consistant à
nous arc-bouter. Ce qui nous préoccupe, ce sont l'aménagement du
territoire et le désenclavement encore nécessaire et fondamental,
sans lequel il n'y aura pas de développement. Il n'amène pas
automatiquement le développement, certes.
On pourrait évidemment citer beaucoup d'exemples contraires. Notre
religion est simple : sans désenclavement il n'y a pas de
développements nouveaux en général, les anciens survivent,
bien sûr, parce qu'il y a des traditions, une main-d'oeuvre, etc. Le
désenclavement seul n'engendre jamais le développement. C'est une
politique d'ensemble dans laquelle le désenclavement est indispensable.
Mme VOYNET
.- Chacun utilise le vocabulaire qu'il souhaite. Je m'applique
à ne plus dire désenclavement, mais à
préférer le mot desserte, qui me paraît correspondre
à l'idée d'apporter une réponse à un besoin
exprimé sur un territoire.
Le mot désenclavement a été utilisé un peu
"à toutes les sauces", comme ceux de développement durable.
Derrière il y a bien l'idée de répondre à un besoin
et de ne pas plaquer une solution, toujours la même, c'est-à-dire
la traversée de l'autoroute, à une infinie complexité de
situations.
Je me rends compte que j'ai oublié la question de Gérard LARCHER
concernant la nécessité de travailler dans la perspective
d'intégration européenne.
Le rééquilibrage ne peut, à mon sens, se faire que si le
contexte social, d'une part, fondamental pour le transport routier, et le
contexte environnemental et fiscal, d'autre part, sont en phase.
Je pense notamment à l'harmonisation de la fiscalité des
carburants au niveau européen. Elle ne progresse pas
sérieusement. Je travaille sur la fiscalité environnementale, le
coût des carburants, l'internalisation des coûts, Jean-Claude
Gayssot remplit la même tâche sur la dimension sociale.
C'est bien parce que l'Europe sociale, environnementale et fiscale ne
progressaient pas aussi vite que les conditions de l'intégration
économique que, toute pro-Européenne convaincue que je suis, j'ai
pris le risque de voter contre la ratification d'un traité qui est
déjà derrière nous, celui de Maastricht.
Il me semble que vous trouverez un consensus pour faire progresser la
construction sociale et environnementale de l'Europe.
M. le PRESIDENT
.- Et monétaire.
Mme VOYNET
.- Bien sûr. Aujourd'hui, en tout cas, le manque
d'Europe sociale et environnementale est un handicap à ce
rééquilibrage.
M. LARCHER
.- Comment décider les artisans néerlandais,
propriétaires d'un à deux camions qui constituent l'essentiel de
la flotte, à avoir des préoccupations sociales qui les touchent
personnellement, alors que, comme les bateliers, ils travaillent en famille ?
Comment faire comprendre à 40 % qu'il faut évoluer ? C'est une
difficulté majeure sur un mode concurrentiel où le schéma
d'organisation sociologique du mode de transport est complètement
différent.
Les bateliers néerlandais à 4 ou 6.000 tonnes travaillent en
famille, les camionneurs aussi.
Mme VOYNET
.- C'est aussi souvent le cas en France.
M. LARCHER
.- Mais ils n'ont pas de grandes compagnies et ils
possèdent 40 % de l'Europe, d'où des difficultés
d'harmonisation concrètes. Ils ne sont pas demandeurs d'un plan social.
Mme VOYNET
.- Je suis d'accord, mais j'avais cru comprendre que le
modèle français était la résistance au dumping
social et écologique. Je continuerai à le défendre et
j'espère bien gagner.
M. LARCHER
.- Il n'est pas facile d'avancer, nous l'avons mesuré
aux Pays-Bas.
M. le PRESIDENT
.- Madame la ministre, nous vous remercions.
(La séance est levée à 19 h 10.)
ANNEXE N° 8 -
L'ÉVOLUTION DU
TRAFIC SUR LA VOIE FLUVIALE RHIN-MAIN-DANUBE APRÈS L'ACHÈVEMENT
DU CANAL
DU MAIN AU DANUBE EN 1992
Traduction des principaux extraits de la communication de
M. Wolfgang Paul, président de la direction des voies
navigables et de la navigation fluviale sud, devant l'assemblée
générale de l'Association autrichienne des voies
navigables
60(
*
)
.
Gestion des barrages de retenue du Main, canal Main-Danube,
aménagement du Danube
La modernisation du Main grâce à des barrages de retenue a
été terminée au début des années 60, la
modernisation du Danube de la frontière austro-allemande à
Ratisbonne a, elle, été achevée à la fin des
années 60 - à cette réserve près que, sur le
tronçon de Vilshofen à Ratisbonne, elle n'a été
faite que sous la forme d'une régulation des basses eaux par des
épis et ouvrages régulateurs. Compte tenu du point faible de ce
type de modernisation -les taux d'écoulement sont limités et
réduisent considérablement les possibilités de
déchargement des péniches- la Fédération et la
Bavière ont décidé en 1966, aux termes du
" Traité de Duisbourg ", la "canalisation" du Danube de
Ratisbonne à Vilshofen. Il s'agissait d'une modernisation à
l'aide de barrages de retenue. On a commencé à creuser le canal
Main-Danube en 1962 à Bamberg. Il a été achevé en
1972 avec l'inauguration du port de Nuremberg. Conformément au
traité précité, les deux parties contractantes avaient
prévu d'achever le tronçon Nuremberg-Straubing en 1981 et le
tronçon Straubing-Vilshofen au plus tard en 1989. Il est de
notoriété publique que l'achèvement du canal Rhin-Danube
n'a été réalisé qu'onze ans plus tard et que le
tronçon du Danube Straubing-Vilshofen se trouve encore et toujours dans
l'état consécutif à la modernisation des années 60.
De 1923, date à laquelle ont commencé les travaux, à
aujourd'hui, environ 75 ans se sont écoulés - y compris les
années de guerre et de l'après-guerre. Durant cette
période, la Rhein-Main-Donau AG a construit 49 barrages de retenue ou
écluses et réalisé une voie navigable de 677 km de
long. Mais, durant ces 75 années, de profondes modifications du paysage
politique, des systèmes économiques et de l'évolution de
la navigation fluviale et des possibilités techniques se sont produites.
[...].
Prévisions et rentabilité du canal Main-Danube
Pour un projet d'une telle ampleur et d'une telle importance financière,
il a toujours fallu se poser la question de la rentabilité de la voie
navigable pour justifier les décisions relatives à la poursuite
de la construction, tant sur le plan du droit contractuel que sur le plan
politique. Ces questions concernaient, en particulier, la construction et les
coûts du canal Main-Danube. Les calculs de rentabilité sont
conditionnés par les prévisions relatives au volume et à
l'évolution du trafic.
En 1962, le "Groupe de travail pour le développement des voies
navigables nationales" -un groupe de travail de la CEE- s'était
penché sur la création d'un réseau de voies navigables
uniformisé d'envergure internationale en Europe. Pour la voie navigable
" Rhin-Main-Danube", on avait calculé un "rendement
macro-économique" et des prévisions de trafic sur le
tronçon Nuremberg-Ratisbonne de quatorze millions de tonnes. Au fil des
ans les prévisions de trafic ci-après ont été
présentées pour le tronçon Nuremberg-Kelheim (Ratisbonne)
du canal Main-Danube :
Commission économique européenne 1969 14,0 millions de t
Institut de recherche conjoncturelle de Munich 1975 8,5 millions de t
Institut allemand de recherche économique, Berlin 1975 6,4 millions
de t
Institut allemand de recherche économique, Berlin 1978 3,2 millions
de t
Consulting-GmbH Essen-Hamburg 1981 2,7 millions de t
Institut allemand de recherche économique, Berlin 1982 3,0 millions
de t
Institut de recherche conjoncturelle de Munich 1982 5,5 millions de t
Bayerischer Lloyd 1982 6,4 millions de t
A la lecture de ce tableau, on est frappé par les valeurs minimales de
2,7 millions de t (Planco, 1981), de 3,0 millions de t (DIW, 1982),
3,2 millions de t (DIW, 1978). Compte tenu de ces chiffres, le ministre
fédéral des Transports, Volker Hauff, donna l'ordre de
réfléchir aux conséquences d'une réalisation
" a minima " du tronçon Sud du canal Main-Danube, qui se
trouvait alors en cours de construction. Comme nous le savons aujourd'hui,
cette idée n'a pas été poursuivie après le
changement de Gouvernement de 1982.
Après l'achèvement du canal Main-Danube, les partisans et les
détracteurs de la voie navigable étaient, naturellement,
impatients de savoir comment le trafic allait se développer. Cinq ans
plus tard, on peut dresser un premier bilan.
Evolution du trafic à l'issue de cinq ans d'exploitation
Une distinction a été faite entre le volume de transport à
l'écluse de Kelheim - autrement dit au point de jonction avec le Danube
- et le volume de transport réalisé sur la totalité du
tronçon canalisé. Ce dernier chiffre comprend aussi bien le
trafic vers l'embouchure que vers la source, le trafic interne et le trafic de
transit. On constate une augmentation frappante du volume du trafic jusqu'en
1995 et une baisse d'environ 7 % en 1996, en l'occurrence de 6,7 à 6,2
millions de tonnes et de 4,2 à 3,8 millions de tonnes. Les raisons en
sont l'interruption du trafic de transit par suite d'une forte période
de blocage par les glaces (d'une durée totale de 47 jours) et la reprise
du trafic traditionnel vers l'Europe du Sud-Est après la levée du
blocus dans l'ex-Yougoslavie. Au cours des années
précédentes, quelques-uns de ces trafic s'étaient
réorientés vers l'Ouest, ce qui avait eu des répercussions
sur les statistiques.
Pour 1997, sur la base des résultats actuels, on s'attend à des
volumes similaires à ceux de 1996. En 1997, le canal Main-Danube a
également été bloqué par les glaces du 30.12.1996
au 11.2.1997, soit au total pendant 44 jours.
Une chose intéressante est l'équilibre relatif des transports
dans les deux sens. Si l'on se réfère au poste de recensement de
Kelheim, on a enregistré, en 1996, 2,06 millions de tonnes de transport
en direction du Danube et 1,74 million de tonnes en direction du Rhin (1995 :
respectivement 2,07 et 2,0 millions de tonnes). [...].
En ce qui concerne les produits transportés, les denrées
alimentaires et les fourrages arrivent en tête (29 %), suivis des
minerais et déchets métalliques (19 %) ainsi que du fer et des
métaux ferreux et non ferreux (13 %), des pierres, produits de
carrière (13 %) et, enfin, des engrais (10 %). [...].
L'ampleur du volume de trafic dans la région Francfort-Offenbach-Hanau
est frappante. De 22,06 millions de t à l'écluse d'entrée
de Kostheim, les volumes de transport retombent à 8,3 millions de t
à l'écluse d'Obernau, derrière Aschaffenbourg. A
l'entrée du canal Main-Danube (écluse de Viereth), on a
compté 5,7 millions de t. A Kelheim - comme indiqué ci-dessus -
3,6 millions de t et, à l'écluse de Jochenstein, de nouveau 4,6
millions de t.
Il est aussi intéressant de connaître la répartition du
volume de trafic entre les différentes flottes européennes.
Ainsi, la répartition par pavillon en 1996 à l'écluse
d'entrée de Kostheim (Main), à l'écluse de Kelheim (canal
Main-Danube) et à l'écluse de Jochenstein (Danube) était
la suivante :
|
Kostheim |
Kelheim |
Jochenstein |
D |
50,3 % |
44,9 % |
36,1 % |
NL |
40,0 % |
35,3 % |
17,7 % |
A |
0,2 % |
5,0 % |
9,2 % |
B |
4,6 % |
8,8 % |
5,2 % |
H |
0,3 % |
2,7 % |
11,9 % |
Sk |
0,1 % |
1,6 % |
10,8 % |
Ukr./CEI |
- |
0,1 % |
1,0 % |
Bg |
- |
- |
3,1 % |
Ro |
- |
- |
2,7 % |
Alors
qu'à Kostheim et Kelheim, les pavillons allemands et néerlandais
représentent la grande majorité avec, au total 90 % et
80 %, ce chiffre retombe à près de 54 %, soit presque
à la moitié, à Jochenstein, à cause de la plus
forte proportion des flottes de pays riverains du Danube. Ces données
fluctuent toutefois d'une année à l'autre.
Comme par le passé, ce sont les produits transportés en vrac qui
représentent l'essentiel du trafic. Sur la liaison Rhin-Main-Danube, le
transport de conteneurs s'est développé de façon
très variable. A Kelheim, on a atteint un record en 1995, avec environ
9000 conteneurs. Pour 1999, les prévisions oscillent entre 4000 et 5000
unités.
L'une des causes de cette baisse est notamment l'interruption de la navigation
due à la période de blocage par les glaces qui a
nécessité de transporter les marchandises par le train de Manheim
à Ratisbonne.
La flotte de tourisme a également connu un essor par suite de
l'achèvement de la liaison Main-Danube. Cette voie navigable a notamment
été très appréciée des compagnies de
navigation offrant des croisières.
Le nombre de bateaux de plaisance ayant franchi l'écluse de Kelheim est
le suivant :
Année |
Bateaux de plaisance |
Bateaux de tourisme à cabines |
1993 |
1129 |
89 |
1994 |
1906 |
124 |
1995 |
1917 |
163 |
1996 |
1609 |
193 |
La
navigation touristique régionale s'est développée le long
du tronçon, très attrayant sur le plan des paysages, de Berching
à Kelheim. En 1996, on a compté environ 1600 passages de bateaux
à Kelheim.
Après cinq ans de fonctionnement, je donnerai une note située
entre 16 et 12 sur 20 au canal Rhin-Danube, parce que la prévision la
plus basse, qui était de 2,7 millions de t, a déjà
été améliorée de 1,4 million de t ; et parce
que l'on n'a pas encore pu atteindre une augmentation à environ
5 millions de t à l'écluse de Kelheim.
Prévisions sur les volumes de transport en 2010/15
Tout ceci nous incite à nous demander comment va se développer le
trafic dans son ensemble. De façon générale, on peut
envisager une augmentation du volume de transport. A en croire les
prévisions du Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW), il
est loisible de s'attendre pour l'année 2010, sur la base de 1988,
à une augmentation du volume de transport de 95 % pour la route, 55
% pour le rail et 84 % pour les voies navigables.
Ces évaluations ont été, depuis lors,
révisées à la baisse pour le trafic ferroviaire et
à la hausse d'environ 60 % pour la navigation fluviale.
On peut évidemment se perdre en conjectures quant à la valeur
à donner à ces chiffres. Quoi qu'il en soit, on peut anticiper
des chiffres orientés à la hausse. L'objectif de la politique du
Ministère fédéral des Transports consiste à
transférer au moins une partie de l'augmentation du trafic sur le rail
et les voies fluviales.
En 1996, le Ministère fédéral des Transports a
élaboré des prévisions pour toutes les voies navigables.
Il prévoit, pour l'an 2010, les volumes de transport ci-après
pour le Main, le canal Main-Danube et le Danube.
Prévisions sur le trafic en 2010 (en million de t/an)
Voie navigable |
Ecluse |
vers la source |
vers le confluent |
|
trafic en 1996 |
Main
|
Kostheim
|
20,9
|
8,1
|
29,0
|
22,1
|
*
vers le Danube ** vers le Rhin
Dans le contexte des calculs de rentabilité sur l'aménagement du
Danube entre Straubing-Vilshofen, le Planco Consulting GmbH a estimé,
pour l'année 2010, un volume de trafic de 8,8 millions de t si aucun
aménagement n'était fait et de 9,5 millions de t si des
aménagements étaient réalisés.
Un projet de recherche austro-allemand sur l'évolution du trafic dans le
corridor du Danube est en cours afin d'élaborer des chaînes de
transport intermodales à l'horizon 2015. Les parties prenantes à
ce projet sont le groupe de travail ARGE Regionale Verkehrsplanung und
Transportwirtschaft (AWT), de Vienne, et le Planco Consulting GmbH, d'Essen.
L'Institut Ifo de Munich y participe à titre de correspondant. On attend
leurs prévisions pour 1998. [...].
Exploitation 24 heures sur 24
Un autre facteur qui influe sur la performance et l'évolution du trafic
est la navigation de nuit -ou, pour être plus précis-,
l'exploitation 24 heures sur 24 de cette voie navigable. Après
l'achèvement du canal Main-Danube, l'administration
fédérale des voies d'eau et de la navigation a garanti ce
fonctionnement continu. Il a, tout d'abord, été limité
à une période expérimentale de deux ans pour voir quel
accueil lui serait réservé. Après prorogation de la
période expérimentale jusqu'au 31.12.1997, on se demande
maintenant si le nombre de bateaux ayant navigué justifie le maintien de
la navigation de nuit -en particulier durant la période de minuit
à quatre heures du matin-. La question est légitime, car, pour 49
écluses -le tronçon confluent du Main-Aschaffenbourg ne fait pas
l'objet de discussions- ce service occasionne des frais de personnel non
négligeables. Même si, selon l'état actuel des
connaissances, il n'est pas encore possible d'administrer la preuve de la
rentabilité du trafic nocturne observé, la direction Sud des
voies d'eau et de la navigation plaide malgré tout sans équivoque
en faveur du maintien de cette forme d'exploitation. Si l'on prend vraiment les
choses au sérieux s'agissant du transfert de l'augmentation de transport
prévisible vers le rail et les voies d'eau, il faut utiliser tous les
facteurs favorables. De plus, pour la liaison Main-Danube -mais aussi pour
d'autres voies d'eau avec écluses- on met sur pied des projets pour
établir la mesure dans laquelle on peut recourir à
l'automatisation et à la télécommande pour réduire
les frais de personnel.
Incidence sur la navigation de la fermeture du canal par les glaces
[...] Nous nous rappelons encore les deux derniers hivers durant lesquels le
canal Main-Danube a respectivement été bloqué 47 et 44
jours par les glaces. Depuis l'inauguration de la navigation sur le canal
Main-Danube, en 1970/71 (Bamberg-Erlangen), on compte 15 hivers sans jours
de blocage ou avec seulement un très petit nombre
( 5 jours) et 12 hivers avec jusqu'à 47 jours
d'interdiction de naviguer. Nous connaissons tous les possibilités, mais
aussi les limites, de l'utilisation de brise-glace conventionnels. Depuis peu
une idée novatrice soumise par un entrepreneur du bâtiment s'est
fait jour. Elle consiste à rompre la glace à l'aide d'un rouleau
de percussion en fragments si petits qu'ils ne représentent plus pour
les bateaux un handicap aussi grave que les plaques relativement grandes. Le
procédé a été testé avec succès
durant l'hiver 1996/97 sur les longs tronçons du Mittellandkanal. La
direction Sud des voies d'eau et de la navigation va mettre ce
procédé à l'essai sur le canal Main-Danube. A cette
occasion, les tests porteront en priorité sur les formations de glace
dans les zones d'entrée en forme de trémie dans la partie
supérieure des écluses. [...].
Creusement du Main de 2,50 à 2,90 m
L'aménagement du Main -le creusement du chenal navigable de 2,50
à 2,90 m et à son élargissement de 36 à 40 m- qui a
été entamé en amont d'Aschaffenburg en 1978 a pour but de
permettre la circulation sans restriction de grosses péniches à
moteur (jusqu'à 110 m de long et 11,40 m de large) et de convois de
pousseurs ou de péniches accouplées (jusqu'à 185 m de long
et 11,40 m de large) pour une profondeur de déchargement maximum de 2,70
m durant toute l'année. Sur les 387 km du cours du Main, 219 ont
été aménagés. L'aménagement en aval de
Würtzburg devrait être achevé d'ici à 1999. Les
projets pour l'aménagement en amont de Würtzbourg et jusqu'à
Bamberg sont déjà très avancés. Après la
réalisation des trois tronçons de Würtzburg, Randersacker et
Grossmannsdorf, une profondeur de déchargement de 2,50 m sera obtenue
sur toute la longueur, car le tronçon Marktbreit-Bamberg a
déjà été aménagé jusqu'à un
tirant d'eau de 2,70 m. Sous la réserve de disposer de crédits
suffisants, ceci sera probablement possible d'ici à l'an 2002.
L'aménagement du Danube
La coupe de niveau actuelle reflète de la façon la plus
spectaculaire qui soit le problème du non-aménagement du
tronçon Straubing-Vilshofen du Danube. Comme le montre l'échelle
fluviale de Pfelling - échelle fluviale de référence pour
le tronçon Straubing-Deggendorf- la profondeur de déchargement
souhaitée de 2,50 m, pour laquelle un tirant d'eau de 2,80 m est
nécessaire (échelle fluviale de Pfelling 298) n'a pas
été obtenue pendant 101 jours, dans la situation actuelle de
basses eaux, de la mi-août à la mi-novembre 1997. Le tirant d'eau
de 2 m nécessaire pour une profondeur de chargement de 1,70 m, qui
correspond à un niveau de basses eaux de régulation (NBR) de
l'aménagement déjà réalisé, n'a pas
été atteinte pendant 68 jours durant la même
période. Une autre grande difficulté pour la navigation fluviale,
en plus de ces tirants d'eau insuffisants, est l'impossibilité de
prévoir le niveau du cours d'eau.
Dans ces conditions, la navigation ne peut être maintenue qu'au prix d'un
déchargement partiel à Ratisbonne ou Straubing et Passau en
fonction des niveaux d'eau quotidiens actuels. Cela cause naturellement des
frais supplémentaires qui influencent négativement le
résultat économique d'un voyage.
Le 17 octobre 1996, le ministre fédéral des Transports, Matthias
Wissmann, et le ministre-président de Bavière, Edmund Stoiber,
sont notamment convenus, "en prenant en considération la situation des
pouvoirs publics dans le domaine de la politique financière, ainsi que
les objectifs d'économie des transports et de protection de
l'environnement, d'aménager le Danube en deux étapes".
La première étape comporte le rétablissement et le
maintien d'un tirant d'eau de 2 m sous NBR et l'élimination d'un goulot
d'étranglement au pied du barrage de Kachlet, près de Vilshofen
(le Bürgerfeld). Le rétablissement du tirant d'eau de 2 m sous NBR
a déjà été réalisé par dragage de
gué et des berges. La post-régulation près de Vilshofen a
pour but de garantir l'existence d'un même tirant d'eau minimum dans la
zone du pied du barrage, en cas d'écoulements entre le niveau des basses
eaux de régulation (NBR) et le niveau moyen des eaux (NM), en amont de
la zone de retenue dans le tronçon où l'eau s'écoule
librement. Actuellement, le tirant d'eau par NM est inférieur de 50 cm.
La procédure d'approbation du schéma directeur relatif à
cette mesure d'aménagement sera entamée fin 1997.
La décision portant sur la nature de la seconde étape de
l'aménagement doit être arrêtée en l'an 2000 et
prendra en considération le développement ultérieur des
transports sur le Danube.
Pour la préparer, il faudra définir et exécuter des
études approfondies sur des solutions d'architecture fluviale et des
variantes d'aménagement combinées en prenant en
considération les barrages de retenue. Le programme d'analyse mis au
point avec l'accord commun de la Fédération et de la
Bavière prévoit des études indépendantes de la
variante et d'autres dépendantes de la variante.
Parmi les études indépendantes de la variante figurent
notamment :
- Les questions de morphologie fluviale, qui impliquent notamment
l'analyse de tronçons à problèmes et les prévisions
relatives aux modifications. Ce thème a une importance cruciale, car, si
l'on ne prend pas des mesures de génie hydraulique, il se produira
à moyen terme une érosion du radier, en raison de l'absence
d'addition suffisante d'agrégats roulés, et, par
conséquent, un abaissement des taux hydrostatiques. On peut
aisément s'imaginer quelles en seront les conséquences.
- En corollaire à cette question, mais aussi par suite des
variantes d'aménagement à prendre en considération pour
améliorer les conditions de navigabilité (variantes de travaux
fluviaux), il faut étudier des concepts de sauvegarde des semelles, par
exemple en tant que couverture des rives ou sous forme d'additions
d'agrégats roulés.
- Dans l'hypothèse où des couvertures des rives pour la
stabilisation des semelles s'avéraient nécessaires, en
particulier dans les zones limites, également par suite des vitesses
d'écoulement plus rapides dues à l'utilisation
d'éléments d'aménagement de travaux fluviaux, il serait
intéressant de savoir quelle doit être la distance de
sécurité nécessaire entre l'hélice et/ou le bas de
la carène du bateau navigant et la couverture des rives. On va
s'efforcer de déterminer cette distance de sécurité dans
le cadre d'un essai en site naturel. Cette donnée revêt aussi une
grande signification dans la mesure où elle exerce une influence
déterminante sur le comportement des bateaux lors du déchargement.
Les questions ci-après sont considérées comme des
études dépendantes des variantes :
- Une optimisation de l'état effectif réel, dont font
déjà partie les mesures prises lors de la première
étape.
- Une planification plus précise de la rivière qui, en sus
de la planification déjà réalisée grosso modo pour
le tronçon supérieur, prévoit maintenant aussi celle du
tronçon inférieur (confluent de l'Isar-Vilshofen). Cette
étude comprend un aménagement sans barrages de retenue qui doit
respecter l'exigence, formulée dans le Traité de Duisbourg pour
l'aménagement du Danube, d'une profondeur de déchargement de 2,50
m ou se rapprocher le plus possible de cet objectif. Cet aménagement ne
doit influencer que de façon marginale la dynamique des fluctuations des
niveaux hydrostatiques et, par conséquent, garantir la
préservation de la substance de zones précieuses sur le plan
écologique. Enfin, un tel aménagement avec une suite rapide
d'ouvrage d'art, de rives consolidées et de groupes d'épis qui se
trouvent à l'intérieur du lit existant de la rivière, doit
satisfaire aux exigences de sécurité et de facilité de la
navigation, donner un paysage attrayant et recueillir une acceptation
suffisante. Seule l'évaluation qui sera faite à l'issue des
études permettra de répondre à la question de savoir si le
grand nombre des exigences, dont nous n'avons évoqué ici que
quelques-uns des aspects, pourront toutes être respectées.
- Une solution ne comportant qu'une retenue d'eau. On envisage en
l'occurrence la création d'une seule retenue sous la forme d'une
écluse par coupure de méandre près d'Aicha,
combinée avec un déversoir à l'entrée du
méandre de Mühlham. Ce barrage de retenue qui aurait un objectif de
retenue modéré permettait le maintien du niveau d'eau à
hauteur du confluent de l'Isar, ce qui constitue un préalable
incontournable de toutes les variantes d'aménagement en amont de
Deggendorf. En outre, cette variante permet de préserver presque
totalement une zone écologiquement importante le long de la rive droite
en aval du confluent de l'Isar. En créant un cours d'eau placé
derrière la digue de retenue du côté droit, qui pourrait
être alimenté par les eaux de l'Isar, on préserverait la
dynamique des niveaux hydrostatiques. En concertation avec le projet "Zone du
confluent de l'Isar" encouragé par la Fédération et la
Bavière, un modèle physique va être réalisé
par l'Office fédéral de génie hydraulique de Karlsruhe
pour le tronçon de la rivière confluent de l'Isar-Niederalteich
(kilomètres 2283 à 2276 du Danube). Il permettra de
répondre aux multiples questions qui se posent au sujet de
l'optimisation d'un barrage de retenue et de la préservation de la zone
écologique précitée.
- Enfin, des réflexions sur des solutions à plusieurs
retenues complètent le spectre des études.
Après une année se pose la question de l'avancement des
études. Pour préparer les différentes études
mathématiques et physiques ainsi que les essais naturels, il a fallu
formuler les conditions générales et les faire accepter par les
commanditaires. De plus, il a été nécessaire de consulter,
exploiter et compléter par des sondages la somme de données
réunies. Ainsi a-t-on passé commande, dans un premier temps, de
relevés aériens pour élaborer un modèle de terrain
numérique. Avec des relevés du profil transversal de la
rivière, ces données constituent la base d'un modèle
monodimensionnel détaillé de l'écoulement et de la
navigabilité. L'expérimentation in situ décrite ci-dessus
est destinée à fournir les réponses à la question
du niveau de sécurité nécessaire pour conserver un radier
consistant en une couverture grossière des rives, pose de nombreuses
questions de détail. Aussi la commande de réalisation de l'essai
n'a, jusqu'ici, pas encore pu être passée. [...].
Etant donné l'ampleur et la diversité des études, il est
compréhensible que l'on ne soit pas encore en possession de
résultats. Ceux-ci devront être à la disposition des
décideurs au plus tard deux ans et demi après avoir
été analysés et évalués. Le temps est
compté pour les organismes, instituts et professeurs chargés de
la planification et de l'exécution ainsi que la société
Rhein Main-Donau AG, pour les bateliers, ce délai semble très
long.
ANNEXE N° 9 -
LISTE DES PERSONNES
RENCONTRÉES
LORS DES DÉPLACEMENTS À
L'ÉTRANGER
BRUXELLES
-
•
DIRECTION GÉNÉRALE VII
- Transports
- M. Robert COLEMAN, directeur général de la DGVII - Transports
- M. Alfonso GONZALES FINAT, chef d'unité - réseaux et infrastructures : projets
- M. Hugh REES, chef d'unité - réseaux et infrastructures : politique
- M. Günther HANREICH, directeur - transports terrestres
- M. Dirk Van VRECKEM, chef d'unité - marchandises (route, rail, navigation intérieure et transport combiné)
• DIRECTION GÉNÉRALE XV - Marché intérieur et services financiers
- M. Alfonso MATTERA RICIGLIANO, directeur - direction B (libre circulation des marchandises et marchés publics)
- M. Christian SERVENAY, chef d'unité - marchés publics : conception et application du droit communautaire
• DIRECTION GÉNÉRALE IV - Concurrence
- M. Serge DURANDE, chef d'unité - transports et infrastructures de transports (direction D)
ALLEMAGNE
- M. François SCHEER, ambassadeur de France en Allemagne
- M. Christian ROUYER, consul général de France à Munich
- M. Dominique ROGUEZ, conseiller commercial à l'ambassade de France à Bonn
- M. Dirk EUJEN, Baudirektor der Wasser un Schiffahrtdirektion
- M. Klaus KRAFT, Leiter der Abteilung Binneschiffahrt und Wasserstrassen Bundesministerium für Verkehr
- M. Wilhelm MÜNNING, président des Bundesverband der deutschen Binnenschiffarhrt
- M. Jean-Cyprien LINON, conseiller commercial, chef du poste d'expansion économique de Munich
- M. Patrick BERRON, conseiller commercial, chef du poste d'expansion économique de Cologne
- M. Rudolf EINEDER, maire de Berching
- Dr Franz DONHAUSER, président des Naturschutzbundes
- M. Klaus KRAFT, directeur général de la voie d'eau (ministère des transports)
PAYS-BAS
- Mme Annemarie JORRITSMA, ministre des transports et de la voie d'eau
- M. Bernard de FAUBOURNET de MONTFERRAND, ambassadeur de France aux Pays-Bas
- M. M.A. LOPEZ, responsable du secteur transports au poste d'expansion économique
- M. Henk van LAAR, Nederlands Binnenvaartbureau Vereiniging
- M. F. LAK, directeur du Germeentelijke Havenbedrijf Rotterdam
- Mme Maria WIEBOSCH-STEEMAN
- M. P.J. BIESHEUVEL, président du Vaste Commissies Verkeer en Waterstaat
- M. R.J.J. van der KLUIT, directeur général de Unies Van Watershappen
ANNEXE N° 10 -
COMMUNIQUÉ DE LA
RÉUNION INTERMINISTÉRIELLE DU 4 FÉVRIER 1998
ANNEXE N° 11 -
LETTRE DU 27 AOUT 1997 DE M. JEAN-CLAUDE GAYSSOT,
MINISTRE DE L'ÉQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, À MM.
LOUIS GALLOIS, PRÉSIDENT DE LA SNCF ET CLAUDE MARTINAND,
PRÉSIDENT DE RFF
ANNEXE N° 12 -
PLAN DES INFRASTRUCTURES
FÉDÉRALES DE TRANSPORT DE LA RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
(STRUCTURE D'INVESTISSEMENT 1997-2012)
ANNEXE N° 13 -
DESSERTE DU TERRITOIRE
PAR LA TÉLÉPHONIE MOBILE
Les cartes ci-après présentent l'état de la desserte du territoire national par trois réseaux de téléphonie mobile.
1
DATAR, Propositions de la Commission
thématique "Réseaux et territoires " dans le cadre de la
préparation du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire. La Documentation Française, 1995,
pages 119-121.
2
Rapport de la mission d'information sur l'aménagement du
territoire, Sénat, n°343, 1993-1994, tome I, page 220.
3
Aux termes de la loi du 27 mai 1921 relative à
l'aménagement du Rhône.
4
Les statuts de cette société détenue par la
CNR et par Electricité de France furent approuvés par
décret n° 96-31 du 16 janvier 1996.
5
Philippe Marini, La politique maritime et littorale de la France,
enjeux et perspectives, Office parlementaire d'évaluation des politiques
publiques, Rapport Sénat n° 345, 1997-1998, page 35.
6
NEA, Étude de prévisions de trafic de la liaison
fluviale à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin, 1993, 364
pages.
7
IGF, IGPC, rapport de la mission d'expertise sur le projet de
liaison Saône-Rhin, avril 1996.
8
Y compris le coût de 9 microcentrales (soit
316 millions de francs hors taxes).
9
Marie-Madeleine Damien, Les transports fluviaux, Que sais-je,
Paris, PUF, 1997, page 104.
10
Fonds d'Investissement des Transports Terrestres et des Voies
navigables.
11
Ministère de l'Environnement, cellule de prospective et de
stratégie, Pour une politique soutenable des transport, 1995, page 261,
266.
12
IGF et CGPC, Résumé et conclusions du Rapport de
la mission d'expertise sur le projet de liaison Saône-Rhin, avril 1996,
page 1.
13
Biocénose : association d'animaux et de
végétaux qui vivent en équilibre dans un biotope.
14
Eutrophisation : accumulation graduelle de débris
organiques dans les eaux stagnantes provoquant la prolifération
excessive de végétaux aquatiques et l'appauvrissement en
oxygène des eaux profondes.
15
OPECST, rapport, de MM. R. Forni, député et P.
Vallon, sénateur, sur l'impact écologique de la liaison
Rhin-Rhône, 1993.
16
Communiqué de presse du 22 novembre 1995
17
Préfecture de la région Franche-Comté,
Synthèse de la consultation des populations, octobre 1996, page 25.
18
Elisabeth Guigou, " La France doit adhérer à
l'Europe fluviale ",
dans
La liaison fluviale Rhin-Rhône, le
maillon manquant de l'Europe des transports, supplément à
Navigation, Ports et Industries n° 18/91 pages 2 et 3.
19
Interview de M. Guillaume Sainteny à l'Environnement
Magazine, décembre 1997.
20
Dans son rapport sur le projet de loi relatif à
l'exploitation commerciale des voies navigables, M. Louis de Catuelan
rappelait que, bien que le tour de rôle se soit appliqué à
l'ensemble des bateliers, il ne concernait en réalité que
15 % du trafic marchandise fluvialisé car les produits liquides et
les marchandises nécessitant un matériel de transport
adapté en étaient exemptés.
21
On notera qu'une recommandation de la Commission des
Communautés du 15 janvier dernier tend à l'ouverture de
négociations en vue de la conclusion d'un accord européen
concernant le transport international de marchandises dangereuses par voie de
navigation intérieure.
22
Rapport n° 295, 1997-1998, page 20.
23
Commission des Communautés européennes, Livre vert
relatif aux ports et aux infrastructures maritimes, Bruxelles, 1997, page 13.
24
Marc Massion, " Politique portuaire et concurrence
européenne : agir pour ne pas subir " Sénat, rapport
n° 295, 1997-1998, page 27.
25
(gestion selon des principes applicables aux
sociétés commerciales, séparation des activités
relatives à l'exploitation des services de transport de celles relatives
à la gestion de l'infrastructure, réduction de l'endettement par
les États membres conjointement avec les entreprises de transport)
- 26 Une stratégie pour revitaliser les chemins de fer communautaires
- les critères d'attribution d'une licence à un opérateur ferroviaire pour utiliser un couloir doivent suivre les principes établis par la législation européenne ;
- les couloirs doivent être ouverts au cabotage et au trafic international ;
- les terminaux de fret sur un couloir doivent être ouverts à tous les opérateurs ferroviaires, routiers et de navigation intérieure dans des conditions équitables, loyales et non discriminatoires.
28 cf : rapport de la commission d'enquête sur la situation de la SNCF (Assemblée nationale n° 1381 (1993-1994))
29 La limite est de 300 kilomètres pour le transport de conteneurs acheminés par voie maritime.
30 Selon l'article L. 122-1 du code de la voirie routière, les autoroutes sont " des routes sans croisement, accessibles seulement en des points aménagés et réservées aux véhicules à propulsion mécanique . "
31 Direction générale des transports, Comité des infrastructures de transport, Groupe de travail " Autoroutes "/Action SPREAD, Rapport final - octobre 1994, VII/695/94-FR
32 Parmis les tracés annoncés mais jamais inscrits au schéma directeur figurent notamment, Pau-Langon, Langres-Montbéliard, Bourges-Auxerre Fontenay-le Comte-Rochefort, le doublement de l'A 31 entre Nancy et Metz, ou encore l'A 45 entre Lyon-Saint-Etienne.
33 Il s'agit de l'A 810/A 58 (58 km), l'A 24 Amiens-Lille (122 km), l'A 19 Orléans-Courtenay (98 km), la section centrale de l'A 51 (92 km) et l'A 89 entre Lyon et Balbigny (59 km).
34 Nicole Questiaux, L'utilité publique des grands travaux d'infrastructure routière et ferroviaire. Mélanges Braibant 1996, p. 597.
35 Ce résultat n'a cependant pas conduit le Gouvernement à renoncer au projet de TGV Est européen et n'empêche pas la DATAR de considérer que la présence de pôles universitaires est appelée à devenir le déterminant majeur de l'activité économique d'une région.
36 CE 28/03/97 (n° 170-856, 170-857), " Association contre le projet de l'autoroute transchablaisienne et autres ". Voir " L'application de la théorie du bilan en matière de grands projets d'infrastructure autoroutière " , Les petites affiches , n°152 (19 décembre 1997).
37 Voir infra II. C " Les obligations européennes : prétexte ou incohérence ? "
38 Numéro du 21 juin 1997 du magazine Vert Contact , cité par Le Monde du 26 juin 1997.
39 Après l'argument de l'équité invoqué par Adam Smith dans La richesse des nations : " Une route (...) peut, dans la plupart des cas, être construite et entretenue par un péage sur les transports qui l'utilisent (...) Il semble difficilement possible d'inventer une méthode plus équitable ".
40 Rapport pour les directeurs des routes d'europe occidentale (DREO), Financement routier et organisation deq administrations routières en Europe , septembre 1997. Les informations contenues dans cette partie proviennent dans une large mesure de ce document.
41 L'autonomie des gestion doit être entendue comme la gestion de l'infrastructure par une entité autonome pouvant être privée ou avec des règles de gestion privée.
42 Voir graphique - Infra - 3 - c.
43 Futuribles novembre 1997, page 17.
44 Voir graphique infra - 3 - c).
45 Voir à ce sujet le rapport de la Commission européenne d'octobre 1994 sur l'impact du réseau routier transeuropéen sur le développement spatial, régional et économique . La Commission y définit les infrastructures comme un outil de développement territorial et d'intégration européenne.
46 Projet de loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière - n° 302 - 1997/1998.
47 11 % sur le réseau concédé, 7 % sur le réseau non concédé.
48 Si les différentes sociétés réalisent les travaux prévus dans leurs contrats de concession, lesquels n'épuisent toutefois pas la totalité du SDRN.
49 Transports : le prix d'une stratégie, présidé par Alain Bonnafous. Tome 2 page 93.
50 Tome 2 - pages 95 et 96. "La tentation peut être forte pour les pouvoirs publics d'utiliser à l'excès les facilités offertes par un système qui ne demande rien au budget (de l'Etat) et qui, au moins à terme, dégagera des ressources importantes tout en assumant l'ensemble de ses charges."
51 Voir infra graphique 3-b)
52 Voir infra b) graphique.
53 Cette analyse est partagée par le commissariat général du plan op-cit- tome 2 page 95 et par la Commision de Bruxelles (voir infra.C.)
54 L'allongement a été de 2 ans pour les SEM mères, 1 an pour les filiales et l'ATMB. Pour Cofiroute, l'allongement dû à la taxe et à son doublement atteint 8 ans.
55 Voir infra C. 1.
56 Votre rapporteur rappelle que l'adossement consiste à permettre le financement partiel d'une section à construire par un allongement de la concession sur les sections existantes.
57 Voir le compte rendu de la réunion du 4 mars 1998. Actualités de la délégation pour l'Union européenne n° 6, page 5.
58 Sont exceptées les procédures de passation où, pour des raisons d'intérêt public, les Etats membres limitent l'accès aux routes aériennes intra communautaires ou à l'assistance en escale des aéroports de la Communauté.
59 Compte tenu des mécanismes de la TVA, le coût annuel pour l'Etat serait de l'ordre de 3 milliards de francs.
60 Les graphiques ne sont pas reproduits.