Proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé
JOURDAIN (André)
RAPPORT 125 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Table des matières
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
- AVANT PROPOS
-
EXAMEN DES ARTICLES
-
Article premier
Contrat de travail à temps partagé, abattement de cotisations sociales
et adaptation des dispositifs de sécurité sociale -
Art. 2
Adaptation des conventions collectives
à l'exercice du travail en temps partagé -
Art. 3
Accidents du travail sur le parcours entre différents lieux de travail
-
Article premier
- CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
-
ANNEXE :
QUESTION ÉCRITE DE M. NICOLAS ABOUT AU MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ88 J.O. Sénat - Questions 10 décembre 1998 - Page 3962 - Question n° 9531.
N°
125
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 décembre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé ,
Par M.
André JOURDAIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean Delaneau,
président
; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine
Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet,
vice-présidents
; Mme Annick Bocandé, MM. Charles
Descours, Alain Gournac, Roland Huguet,
secrétaires
; Henri
d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM.
Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux,
Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati,
Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet,
André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla,
Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Simon Loueckhote, Jacques
Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM.
Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de
Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul
Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Voir le numéro
:
Sénat
:
394
(1997-1998).
Travail.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Le
mercredi 16 décembre 1998,
sous la présidence de M. Jean
Delaneau, président,
la commission a procédé à
l'examen du
rapport de M. André Jourdain
sur
la
proposition de loi n° 394
(1997-1998) relative au
multisalariat en temps partagé
.
M. André Jourdain, rapporteur,
a rappelé qu'il avait pris
l'initiative, à la date du 21 avril 1999, de déposer cette
proposition de loi. Il a précisé que le multisalariat consistait,
pour une même personne, à être employée par plusieurs
entreprises à la fois, les emplois devant avoir un caractère
durable et reposer sur une relation contractuelle. Il a observé que si,
pour chaque entreprise, il s'agissait d'un emploi à temps partiel, pour
le salarié, il s'agissait de plusieurs emplois concomitants.
Il a souhaité distinguer le travail pluriactif du cumul d'emplois, ce
dernier étant strictement réglementé dans le secteur
public et soumis à des conditions de durée maximale du travail
dans le secteur marchand.
Il a observé que le multisalariat était traditionnellement
développé dans le secteur agricole, 170.000 pluriactifs
étant recensés par la Mutuelle sociale agricole.
Il a remarqué qu'une estimation nationale se référant aux
déclarations fiscales avait évalué le nombre de
pluriactifs à 720.000, comprenant : 29 % d'agriculteurs,
22 % de commerçants et artisans, 39 % de professions
libérales et 10 % d'autres professions.
M. André Jourdain, rapporteur,
a observé qu'après
avoir été concentré dans le secteur agricole, le
multisalariat investissait de plus en plus le secteur des services, et que
c'était cette tendance qu'il s'agissait aujourd'hui d'accompagner.
Il a considéré que l'idée de promouvoir le travail en
temps partagé reposait sur une analyse précise de
l'évolution des structures économiques, des besoins des
entreprises et du comportement des salariés.
Il a estimé que cette idée s'inscrivait également dans une
réflexion plus globale sur l'organisation du travail et recoupait sur
certains points les problématiques propres à l'incitation
volontaire à l'aménagement et à la réduction du
temps de travail.
Il a considéré que le multisalariat permettait aux entreprises
d'adopter une organisation plus performante à travers une
reconfiguration de leurs services et l'externalisation de certaines
compétences.
Il a observé que, pour les salariés, ces évolutions
économiques majeures s'étaient traduites jusqu'à
présent par un recours à la flexibilité et au
développement de la précarité, qui étaient
vécus comme autant de contraintes et de sources d'insatisfaction. Il a
rappelé que la forme traditionnelle du contrat de travail à
durée indéterminée reculait devant les contrats à
durée déterminée et le travail intérimaire et que
de nombreux salariés étaient aujourd'hui à la recherche
d'un meilleur équilibre entre les exigences de l'entreprise et une
certaine qualité de vie.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que le
multisalariat répondait à la fois au besoin des entreprises de se
procurer des compétences précises sans être toujours
à même d'embaucher un cadre ou un technicien à plein temps
et au souhait de certains salariés de maîtriser leur avenir et
d'évoluer dans la diversité des activités professionnelles.
Il a estimé que la promotion du multisalariat s'inscrivait dans la
démarche prônée par les lignes directrices pour l'emploi
pour 1999 présentées par la Commission européenne. Il a
rappelé que le contenu de la ligne directrice n° 16
prévoyait que chaque Etat membre examinerait l'opportunité
d'introduire dans sa législation des types de contrats plus adaptables
pour tenir compte des formes d'emploi de plus en plus diverses, les personnes
travaillant dans le cadre de contrats de ce type devant, dans le même
temps, bénéficier d'une sécurité suffisante et d'un
meilleur statut professionnel, compatible avec les nécessités des
entreprises.
M. André Jourdain, rapporteur,
a constaté que le
multisalariat constituait une réponse aux recommandations
formulées par les membres du Conseil européen et par la
commission. Il a observé, toutefois, qu'il ne représentait pas
une priorité du plan d'action nationale pour l'emploi français.
Il a estimé qu'il s'agissait là d'un oubli regrettable que la
proposition de loi se proposait de réparer.
Il s'est alors interrogé sur la nature des obstacles au
développement du multisalariat.
Il a observé que le développement du travail en temps
partagé se heurtait actuellement à la complexité de la
législation, construite tout entière autour du contrat de travail
à durée indéterminée avec un employeur unique.
Il a remarqué que, lorsqu'un salarié travaillait dans plusieurs
entreprises relevant de secteurs différents, il était contraint
de cotiser à plusieurs caisses de retraite distincte et que son
employeur devait payer l'ensemble des charges patronales, avant de se les faire
rembourser auprès des autres entreprises qui l'employaient.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que
cette lourdeur administrative n'incitait guère les petites et moyennes
entreprises (PME) à se lancer dans l'aventure du multisalariat et
qu'elle plaçait le salarié dans une situation inconfortable. Il a
remarqué en particulier que, si ce dernier perdait l'un de ses emplois
partiels, il ne pouvait toucher des indemnités chômage qu'à
condition de renoncer à tous ses autres emplois. Faute de statut
juridique précis, il a observé que ces multisalariés
étaient contraints de se regrouper au sein d'associations
intermédiaires ou de sociétés de partage aux contours
flous, ce qui ne favorisait guère leur reconnaissance par les
entreprises. Il a remarqué que le Gouvernement reconnaissait que des
modifications du droit du travail étaient nécessaires pour
assurer le développement du multisalariat, mais s'interrogeait sur la
nécessité d'instaurer un statut du pluriactif, considérant
que la loi du 25 juillet 1985 sur les groupements d'employeurs et les
initiatives des partenaires sociaux devait pouvoir permettre des progrès
dans le développement de cette nouvelle forme de travail.
M. André Jourdain, rapporteur,
a estimé qu'il était
au contraire indispensable de recourir à la loi pour
" officialiser " cette nouvelle forme de travail et vaincre les
pesanteurs qui avaient empêché jusqu'à présent le
développement de cette catégorie d'emplois pleine d'avenir. Il a
considéré que la spécificité du travail à
temps partagé devait être reconnue dans le code du travail afin de
pouvoir être distinguée des autres formes de travail.
Il a insisté sur les différences existant entre la pratique du
salariat en temps partagé et la juxtaposition de plusieurs contrats de
travail à temps partiel.
Il a considéré que le temps partiel avait été
très réglementé depuis le début des années
1980 dans l'optique de le faire passer à temps plein mais que,
malgré son développement quantitatif, il était
resté un contrat d'exception à côté du contrat de
travail de droit commun à durée indéterminée, et
donc dévalorisé par rapport à ce dernier. Il a
observé que cette situation avait eu pour conséquence de rendre
difficilement compatible la coexistence de plusieurs contrats de travail
à temps partiel compte tenu de la gestion unilatérale par
l'employeur de ce type de relations de travail et des limites dans lesquelles
le temps partiel avait été inséré.
Il a considéré que le travail à temps partagé
constituait un autre mode de relations, à côté des
pratiques de temps plein et de temps partiel.
Il a estimé que la " labélisation législative "
n'entraînerait aucune dérogation aux dispositions du code du
travail, seules quelques modifications étant nécessaires pour
mettre en cohérence le nouveau dispositif avec les autres contrats de
travail.
Il a évoqué deux modifications d'ordre législatif
particulièrement attendues : l'extension de l'abattement de
cotisations patronales, quelle que soit la durée du travail
contractuelle, à tous les employeurs en temps partagé et non plus
à un seul, et une modification du code de la sécurité
sociale afin d'étendre la qualification d'accident du travail aux
accidents survenus entre les différents lieux de travail
fréquentés par les salariés à temps partagé.
M. André Jourdain, rapporteur,
a estimé que la
présente proposition de loi reprenait, sous la forme de trois articles,
les aspects les plus essentiels au développement du multisalariat comme
la reconnaissance législative de cette nouvelle forme de travail, les
abattements de charges sociales sur les bas salaires et les principales
adaptations nécessaires des dispositifs existants.
Il a observé que la rédaction de l'article premier était
de nature à répondre aux besoins des entreprises comme aux
préoccupations du salarié à temps partagé à
travers la création d'un nouveau type de contrat de travail permettant
une approche souple du temps de travail organisé en fonction d'un accord
entre l'employeur et le salarié et non plus sur une base
unilatérale.
Il a estimé que la description très précise dans le
contrat de travail des obligations du salarié permettait de satisfaire
l'exercice simultané de plusieurs collaborations, chaque employeur
étant informé de toute modification de la liste des contrats de
travail en cours comme de toute modification d'un des contrats de travail qui
serait de nature à entraver l'exécution d'une autre relation de
travail.
Il a précisé que les parties étaient amenées
à définir contractuellement les modalités permettant au
salarié en temps partagé de bénéficier de ses
congés annuels au même moment pour chacun de ses emplois.
Il a souligné la nécessité de garantir chacun des
employeurs quant à la loyauté du salarié, en
prévoyant l'accord préalable des employeurs avant la signature
d'un contrat de travail avec une entreprise concurrente.
Il a observé que la proposition de loi incitait les organisations
gestionnaires du régime d'assurance chômage, les organismes de
sécurité sociale et les institutions de retraite
complémentaire à adapter ou à modifier, en tant que de
besoin, les dispositifs en vigueur afin de faciliter l'exercice des emplois
à temps partagé.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que la
proposition de loi apportait une réponse aux attentes de nombreuses
entreprises. Il a cité l'accord signé le 16 juin dernier
entre les entreprises Cariane et Pizza Hut visant à proposer à
leurs salariés un cumul de temps partiel. Il a expliqué qu'il
s'agissait, pour ces entreprises, de proposer une solution à leurs
salariés contraints de travailler à temps partiel en exploitant
les complémentarités d'horaires des deux compagnies.
Il a observé que la proposition de loi aurait permis de résoudre
les trois principales difficultés rencontrées par ces deux
entreprises pour définir le temps de travail effectif, la
répartition des exonérations de charges sociales et la prise en
charge des accidents du travail.
Il a considéré que le contrat de travail du salarié
à temps partagé devrait préciser les dispositions
conventionnelles qui lui sont applicables.
Il a estimé que la proposition de loi ouvrait la voie à des
mesures conventionnelles nouvelles prenant en compte le contenu du droit du
travail applicable à ces salariés et les
spécificités de cette forme de travail.
Il a considéré que ce type d'accords devait permettre de limiter
le travail à temps partiel contraint.
M. André Jourdain, rapporteur,
a considéré que le
texte des conclusions qu'il proposait à la commission d'adopter
comportait un certain nombre de modifications d'ordre rédactionnel par
rapport à la proposition de loi. Il a observé que l'article
premier avait été repris sous la forme de quatre articles
distincts à des fins de clarification, les articles 2 et 3 ayant
été conservés tels quels.
Puis il a proposé aux membres de la commission d'adopter ses conclusions
qui lui semblaient constituer un ensemble équilibré de nature
à apporter des garanties à l'ensemble des acteurs
concernés dans une optique de développement de cette forme
d'organisation du travail.
M. Louis Souvet
a salué l'initiative du rapporteur et il a
souligné la complexité du sujet. Il a observé que la
problématique du multisalariat rejoignait celle du marchandisage pour ce
qui était de la définition de la durée du travail, des
congés ou encore du régime des heures supplémentaires. Il
s'est interrogé sur la convention collective applicable au
salarié lorsque les entreprises appartiennent à des secteurs
différents.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a considéré que des
dispositions législatives pouvaient être effectivement
nécessaires pour accompagner le développement du multisalariat
mais elle s'est déclarée réservée quant au contenu
de la proposition de loi. Elle a estimé que le texte était encore
trop flou et qu'il était préférable de remettre l'examen
de la proposition de loi dans l'attente de la publication du rapport
demandé par Mme Martine Aubry sur les groupements d'employeurs.
M. Alain Gournac
s'est prononcé en faveur de la proposition de
loi, estimant qu'elle répondait parfaitement aux besoins des PME.
M. Guy Fischer
a considéré qu'un débat sur les
groupements d'employeurs pourrait utilement précéder l'examen des
dispositions législatives envisagées.
M. Jean Delaneau, président
, a observé que de nombreuses
dispositions de la proposition de loi constituaient des garanties pour les
salariés.
M. Jean Chérioux
a estimé nécessaire la
création d'une structure plus souple que les groupements d'employeurs.
En réponse aux différents intervenants,
M. André
Jourdain, rapporteur,
a reconnu la complexité des questions
auxquelles il convenait de répondre et il a rappelé le souci qui
était celui de la proposition de loi de protéger les
salariés comme les entreprises qui s'engageaient dans le
développement de cette forme de travail.
Il a observé que le contrat qu'il proposait de créer était
négocié à égalité entre les parties. Il a
estimé que de nombreuses entreprises refusaient la structure des
groupements d'employeurs qui instituait une solidarité de fait entre les
employeurs en cas de défaillance d'une entreprise.
Il a considéré que la convention collective applicable
était celle du secteur de chacune des entreprises employant un
salarié à temps partagé.
A l'issue de ce débat, la commission
a adopté la proposition
de loi dans le texte proposé par le rapporteur.
AVANT PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi relative au multisalariat en temps
partagé
1(
*
)
a été
déposée le 21 avril 1998. Elle a pour objet de définir un
cadre juridique adéquat pour une activité en plein
développement.
La pluriactivité se définit communément comme le mode
d'emploi qui combine l'exercice déclaré de plusieurs emplois ou
d'activités diverses. Cette pratique concerne généralement
le même individu et peut être assurée soit de façon
successive (travail saisonnier par exemple), soit de façon
simultanée. Elle a longtemps caractérisé l'économie
rurale traditionnelle et s'est effacée avec l'émergence du
salariat qui a construit au fil des décennies un modèle de type
" un travailleur pour un emploi à temps plein ", modèle
battu en brèche par la crise économique.
Le développement du multisalariat peut être apprécié
de manière optimiste ou pessimiste.
Dans le premier cas, il constitue un libre choix pour des salariés
intéressés par la diversité des emplois et des
expériences, soucieux de maîtriser l'organisation de leur temps de
travail. Il concerne en particulier des salariés qualifiés comme
les cadres, les informaticiens, ou des personnes qui cumulent une
activité libérale et salariée.
Dans le second cas, il constitue une nécessité pour des
salariés à temps partiel qui ne peuvent se satisfaire d'un faible
revenu. Aux Etats-Unis, le multi-emploi ou " moonlighting "
2(
*
)
concerne environ 6 % des salariés, contre
4,6 % au début des années 1980
3(
*
)
. En quête de revenus annexes, ces
salariés veulent financer, par exemple, les frais de garde des jeunes
enfants, leur future inscription à l'université ou l'achat de
leur domicile.
Qu'il soit choisi ou contraint, le multi-emploi apparaît comme une
tendance forte dans l'évolution des relations du travail. Or la
législation ne prévoit pas de dispositions spécifiques
à la pluriactivité. Le salarié doit par conséquent
cumuler les emplois à temps partiel sans être sûr que ses
employeurs ne rendront pas impossible l'exercice de ses différentes
activités par des changements d'horaires ou des mutations
géographiques. Pour l'entreprise, il existe des incertitudes quant au
régime des accidents du travail applicable à ces salariés,
aux exonérations de charges sociales dont elle peut
bénéficier et aux clauses de non-concurrence.
Légiférer sur la question du multisalariat revient donc à
clarifier les rapports entre le salarié et ses employeurs, à
établir des garanties réciproques et à valoriser la
pluriactivité librement choisie.
La commission des Affaires sociales a adopté les conclusions
présentées par le rapporteur proposant de créer un statut
du multisalarié, de définir le régime d'exonération
de charges sociales qui lui est applicable et d'adapter les règles de
droit existantes pour prendre en compte cette nouvelle réalité
(en termes de garanties sociales, accidents du travail...).
I. LA LÉGISLATION EN VIGUEUR NE PERMET PAS LE DÉVELOPPEMENT DU MULTISALARIAT
A. LE MULTISALARIAT EST NÉCESSAIRE AU DÉVELOPPEMENT DES PME
Comme le
remarquait très justement l'exposé des motifs de la proposition
de loi :
" Dans un environnement technologique et concurrentiel
exacerbé, dans le contexte d'une économie mondialisée, les
entreprises, pour demeurer compétitives, doivent optimiser leurs
coûts, améliorer la qualité de leurs produits comme de
leurs services.
Afin de devenir plus offensives et plus innovantes, elles ont un réel
besoin du concours d'un type nouveau de collaborateurs, porteurs de
compétences et de savoir-faire immédiatement
opérationnels, et dont l'intervention n'est pas nécessairement
liée à une activité à temps plein.
Les petites et moyennes entreprises, plus encore, pour relever le défi
d'une compétition accrue, ont besoin de pouvoir engager de tels
collaborateurs à la juste hauteur de leurs besoins "
4(
*
)
.
Le multisalariat permet à ces PME de bénéficier de
l'expérience d'un cadre pour développer l'exportation, de celle
d'un informaticien pour utiliser internet ou encore de celle d'un publicitaire
pour mieux mettre en valeur leurs produits. Il est impossible à nombre
de PME de recruter un professionnel à temps plein pour chacune de ces
activités.
Le multisalariat participe du mouvement de réorganisation des
entreprises. Son impact sur l'emploi est indéniable même s'il est
limité. Il permet de mieux organiser le cumul d'emplois afin d'assurer
un revenu complet aux salariés ainsi que des garanties contractuelles.
Il permet également de renforcer les PME et donc indirectement tous les
emplois, puisque l'absence de compétences spécifiques (export,
informatisation, droit...) est une source fréquente d'erreurs pouvant
mener à la faillite de petites entreprises.
La pluriactivité, dont il est question présentement, concerne en
particulier les activités tertiaires, c'est en effet dans ce secteur
qu'elle est amenée à jouer un rôle déterminant dans
les années à venir.
Jusqu'à aujourd'hui, le multisalariat concernait surtout le secteur
agricole et les activités saisonnières en général
(tourisme).
Le monde agricole compterait ainsi 170.000 pluriactifs connus des services de
la Mutuelle sociale agricole dont 35.000 pluriactifs à titre principal
et 135.000 à titre secondaire.
Les données enregistrées tendent à confirmer la
présence de la pluriactivité sur l'ensemble du territoire. De
plus, la pluriactivité agricole -chute des effectifs de ce secteur
aidant- n'est plus prépondérante puisque près des deux
tiers des pluriactifs ne déclarent aucun revenu agricole.
Une estimation nationale se basant sur les déclarations fiscales
évalue le nombre de pluriactifs à 720.000, comprenant 29 %
d'agriculteurs, 22 % de commerçants et artisans, 39 % de
professions libérales et 10 % d'autres salariés.
Forme d'emploi voulue ou subie, la pluriactivité recouvre une
infinité de situations et concerne indifféremment des revenus
faibles ou élevés. Conjuguer différents statuts
professionnels et plusieurs activités répond selon l'âge,
le projet professionnel ou le hasard conjoncturel à bien des contraintes.
D'une part, l'âge ferait fluctuer la pluriactivité conçue
chez les jeunes comme un mode d'insertion professionnelle. Les deux tiers des
pluriactifs sont âgés de moins de 30 ans. Cette proportion ne doit
pas surprendre. Elle décrit la tendance fréquente chez les jeunes
travailleurs à associer deux emplois salariés saisonniers.
L'âge aidant, cette pratique laisse place à la combinaison de deux
statuts différents, celui de travailleur indépendant et de
salarié.
On distingue généralement trois grandes catégories de
travailleurs pluriactifs :
- la première recouvre les travailleurs exerçant deux
métiers différents, chaque jour, tout au long de l'année ;
- la seconde concerne ceux qui exercent plusieurs métiers
successivement au cours de l'année ;
- enfin, ceux qui cumulent des activités dans une situation de
transition en souhaitant exercer une nouvelle activité professionnelle
sans être immédiatement tenus ou capables d'abandonner celle
qu'ils exerçaient jusque-là.
Le développement de la première catégorie d'emplois est
pénalisé par l'absence d'un régime juridique
spécifique.
B. L'ABSENCE D'UN RÉGIME JURIDIQUE SPÉCIFIQUE EST SOURCE D'INCERTITUDES
Le
régime juridique de la pluriactivité n'est satisfaisant ni pour
le salarié, ni pour l'employeur
5(
*
)
.
Les problèmes se rencontrent tant dans le domaine de la protection
sociale que dans celui du droit du travail.
• A revenus égaux, le poids des cotisations est plus lourd
pour le pluriactif que pour le titulaire d'un contrat de travail unique.
Une tentative avait été faite pour revenir sur cette
inégalité à travers la loi Montagne du 9 janvier 1985
qui prévoyait l'adaptation de la législation à la
spécificité de la pluriactivité, mais les décrets
n'ont jamais été publiés. Cette loi prévoyait un
régime de cotisation distinguant entre l'activité principale et
l'activité secondaire, outre le fait que cette disposition n'a pas
été appliquée, il est à noter que les
critères de la distinction soulevaient nombre de difficultés.
Le loi portant diverses dispositions d'ordre social du 27 janvier 1993 a
repris l'idée de l'activité principale en lui assignant une
caisse pivot. Ce dispositif a été modifié par
l'article 43 de la loi du 1
er
février 1995 qui a
prévu que l'intéressé aurait le libre choix de sa caisse
pivot. Un nouveau décret du 16 avril 1997 a prévu la
signature d'une convention-cadre, conclue entre les différents
organismes de protection sociale, pour définir les services
assurés par la caisse pivot.
Ce document contractuel devait prévoir les modalités
d'encaissement des cotisations sociales et du versement des prestations au
profit du pluriactif. Une forte résistance des caisses de protection
sociale n'a pas permis, jusqu'à présent, la mise en oeuvre de ce
dispositif.
• Le code du travail n'est pas plus favorable au travailleur
pluriactif que le code de la sécurité sociale. Des dispositions
contraignantes limitent en effet le cumul de deux ou plusieurs emplois.
L'article L. 324-2 prévoit que :
" Aucun salarié des
professions industrielles, commerciales, artisanales ou agricoles ne peut
effectuer des travaux rémunérés relevant de ces
professions au-delà de la durée maximale du travail telle qu'elle
ressort des lois et règlements en vigueur dans la profession "
.
Par ailleurs, l'article L. 324-3 dispose que :
" Nul ne peut
recourir aux services d'une personne qui contrevient à ces
dispositions "
.
Ces textes datant d'octobre 1940 résument bien la formule qui a
inspiré le code du travail depuis sa création :
" un seul
métier, une seule entreprise pour toute la vie "
.
La seule véritable ouverture est à chercher dans les groupements
d'employeurs prévus aux articles L. 127-1 et suivants du code du
travail. Le groupement d'employeurs a été créé en
1985 pour permettre à des entreprises de moins de
300 salariés de se constituer sous la forme d'une association loi
1901 destinée à procéder à des embauches
ponctuelles, son succès est réel.
En 1997, plus de 400 nouveaux groupements ont pu voir le jour. Les
salariés relèvent du groupement qui les gère, les paie et
les forme et interviennent dans deux ou trois entreprises différentes.
Un problème est posé par la solidarité financière
imposée au groupement d'employeurs, celle-ci est jugée par
beaucoup d'entreprises, notamment les plus petites, comme dissuasive.
D'autres dispositifs ont été mis au point comme les associations
en temps partagé ou encore les sociétés de partage. Mais
aucune de ces structures ne semble à même de favoriser le
développement du travail à temps partagé sur une grande
échelle.
Mme Françoise Hostelier, dans son rapport
6(
*
)
sur le multisalariat, énonce un certain nombre
de mesures nécessaires pour favoriser le développement de la
pluriactivité.
Elle propose en particulier de modifier la réglementation relative
à l'abattement de cotisations sociales applicable au travail à
temps partiel pour permettre à chaque employeur d'en
bénéficier. Elle souhaite également qu'en cas de
chômage, le droit au versement des allocations soit maintenu et que les
partenaires sociaux adaptent les dispositifs pour prendre en compte la
spécificité des travailleurs multisalariés.
Le texte de la proposition de loi s'inspire de tous ces travaux ; il innove en
créant un contrat de travail propre au pluriactif
salarié.
II. QUELQUES MODIFICATIONS LÉGISLATIVES POUR ASSURER LE BON DÉVELOPPEMENT DE CETTE NOUVELLE FORME D'ACTIVITÉ
A. LE TEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI SE LIMITE AUX MODIFICATIONS LÉGISLATIVES INDISPENSABLES
Le
travail à temps partagé constitue un autre mode de relations,
à côté des pratiques de temps plein et de temps partiel.
S'il acquiert la " labélisation législative ", il
constituera un paragraphe distinct de la réglementation sur la
durée du travail au même titre que les horaires
individualisés et le temps partiel, son " grand voisin ".
Cette officialisation n'entraînerait par ailleurs aucune
dérogation à telle ou telle disposition du code du travail.
Seules quelques modifications du code sont nécessaires pour mettre en
cohérence le nouveau dispositif avec les contrats de travail classiques.
Deux modifications d'ordre législatif sont particulièrement
attendues :
- une disposition permettant l'extension de l'abattement de cotisations
patronales, quelle que soit la durée du travail contractuelle, à
tous les employeurs en temps partagé et non plus à un seul.
- une modification du code de la sécurité sociale
étendant la qualification d'accident du travail aux accidents survenus
entre les différents lieux de travail fréquentés par les
salariés à temps partagé.
Le texte de la proposition de loi reprend l'ensemble de ces
préoccupations sous la forme de trois articles.
Elle se limite aux aspects les plus essentiels comme la reconnaissance
législative de cette nouvelle forme de travail, les abattements de
charges dont elle peut bénéficier et les adaptations
nécessaires par rapport aux dispositifs existants.
La rédaction de l'article premier est de nature à répondre
aux besoins de l'entreprise comme aux préoccupations du salarié
à temps partagé. Elle introduit dans le code du travail un
nouveau contrat de travail propre au salarié à temps
partagé qui répond à plusieurs objectifs :
- permettre une approche aussi bien mensuelle qu'annuelle du temps de
travail au niveau de la rémunération comme des horaires ;
- obliger les parties à définir par avenant au contrat de
travail et non plus unilatéralement, la répartition de la
durée du travail comme sa modification ;
- réserver à un accord entre employeur et salarié
à temps partagé la possibilité de modifier la durée
du travail.
Cette primauté de l'accord individuel est de nature à satisfaire
d'autres préoccupations des parties au contrat de travail. Il convient
en effet, pour faciliter l'exercice simultané de plusieurs
collaborations, que chaque employeur soit informé de toute modification
de la liste des contrats de travail en cours comme de toute modification d'un
des contrats de travail qui serait de nature à entraver
l'exécution d'une autre relation de travail.
C'est aussi pour répondre à cette préoccupation que les
parties devront définir contractuellement les modalités
permettant au salarié en temps partagé de
bénéficier de ses congés annuels en même temps
vis-à-vis de chacun de ses employeurs.
En d'autres termes, le contrat de travail à temps partagé devra
comporter l'engagement de ne prendre aucune mesure qui serait de nature
à entraver l'exécution par le salarié de ses obligations
à l'égard de ses autres employeurs.
Il convient également d'assurer à chacun des employeurs le
respect de la loyauté. En cas de nouveau contrat de travail susceptible
de concurrencer un ou plusieurs employeurs, l'accord préalable de ce ou
ces employeur(s) sera requis.
De même, le salarié à temps partagé s'engage
contractuellement à respecter une obligation de discrétion
vis-à-vis de chacun de ses employeurs. Le cas échéant, si
les parties au contrat l'ont décidé, une clause de
non-concurrence protégera les intérêts de l'entreprise
devenue ex-employeur.
Non dérogatoire par rapport au code du travail, le multisalariat en
temps partagé ne l'est pas davantage par rapport aux normes
conventionnelles. Mieux, il peut être source de négociations.
Le contrat de travail devra préciser les dispositions conventionnelles
applicables.
Bien entendu, ce sont d'abord celles issues de la convention collective de
branche correspondant à l'activité principale de chaque
entreprise concernée. Ceci étant, les disparités de
contenus pourront amener le salarié à temps partagé
à négocier la référence contractuelle à une
autre convention collective.
La proposition de loi entend que des mesures conventionnelles viennent
compléter ce dispositif en demandant aux partenaires sociaux d'engager
une concertation dans deux directions : le contenu du droit du travail
applicable à ces salariés et la prise en compte des
spécificités du multisalariat à temps partagé sans
remettre en cause le principe de leur application à cette
catégorie de personnes.
Sur un plan interprofessionnel, les confédérations d'employeurs
et de salariés peuvent trouver matière à enrichir le tissu
conventionnel en négociant des dispositions ayant vocation à
supprimer les disparités pouvant exister, par exemple au niveau du
salaire en cas de maladie ou accident, puisque, actuellement, selon le secteur
d'activité, le salarié à temps partagé voit sa
rémunération garantie, en totalité ou en partie, pour une
durée variable ou non selon son ancienneté.
Sur le plan de la protection sociale, aussi bien au niveau du régime
général de sécurité sociale qu'au niveau des
régimes de retraite complémentaire comme au niveau de la gestion
du régime chômage, les partenaires sociaux sont invités
à prendre en compte les spécificités du salariat à
temps partagé pour adapter, si besoin est, leurs dispositions afin de
faciliter son exercice.
Par ailleurs, des dispositions sont prévues pour adapter les conventions
collectives et le régime des accidents du travail à la
pluriactivité.
B. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION NE MODIFIENT PAS LE FOND DE LA PROPOSITION DE LOI
La
commission des Affaires sociales n'a pas modifié le texte de la
proposition de loi sur le fond, elle a seulement procédé à
des modifications d'ordre formel ou rédactionnel. Ces modifications
concernent l'article premier qu'elle a souhaité reprendre sous la forme
de quatre articles distincts dans un souci de clarification.
L'article premier insère un nouveau paragraphe dans le code du travail
relatif au travail en temps partagé.
L'article 2 introduit dans le code du travail un nouvel article
L. 212-4-7-1 relatif au contrat de travail à temps partagé.
Le contenu du contrat reprend le texte de la proposition de loi.
L'article 3 introduit dans le code du travail un nouvel article
L. 212-4-7-2 relatif à l'abattement de cotisations sociales dont
peuvent bénéficier les employeurs de salariés à
temps partagé.
L'article 4 invite les organismes gestionnaires du régime d'assurance
chômage, les organismes de sécurité sociale et les
institutions de retraite complémentaire à adapter leurs
dispositifs en vigueur afin de faciliter l'exercice des emplois à temps
partagé.
L'article 5, relatif à l'adaptation des conventions collectives, reprend
le texte de la proposition de loi tout comme l'article 6 relatif aux accidents
du travail survenus sur le parcours effectué entre les différents
lieux de travail du salarié pluriactif.
En conclusion, il peut être rappelé que la promotion du
multisalariat s'inscrit tout à fait dans la démarche
prônée par les lignes directrices pour l'emploi pour 1999
présentées par la Commission européenne et
examinées par la commission
7(
*
)
.
La ligne directrice n° 16 prévoit en effet que :
" afin de
promouvoir la modernisation de l'organisation du travail et des formes de
travail, un partenariat devrait être établi à tous les
niveaux appropriés. Chaque Etat membre examinera de son
côté l'opportunité d'introduire dans sa législation
des types de contrats plus adaptables pour tenir compte du fait que l'emploi
revêt des formes de plus en plus diverses. Les personnes travaillant dans
le cadre de contrats de ce type devraient, dans le même temps,
bénéficier d'une sécurité suffisante et d'un
meilleur statut professionnel, compatible avec les nécessités des
entreprises. "
Les conclusions adoptées par la commission s'inscrivent dans cette
perspective et complètent sur ce point le plan d'action nationale
français pour l'emploi.
EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
Contrat de travail à temps
partagé, abattement de cotisations sociales
et adaptation des
dispositifs de sécurité
sociale
I
- Le texte de la proposition de loi
L'article premier de la proposition de loi introduit dans le code du travail
quatre dispositions : un nouveau pragraphe intitulé " Travail
à temps partagé " et trois nouveaux articles.
L'article L. 212-4-8 crée le contrat de travail à temps
partagé et détermine les mentions obligatoires qu'il doit
comporter. Il s'agit de la durée du contrat, de la qualification du
salarié, de sa rémunération, de la convention collective
applicable, de la durée hebdomadaire et notamment de sa
répartition, des congés annuels, des modalités de
modification du contrat, des obligations réciproques du salarié
et de l'employeur.
Ce contrat réduit la marge de manoeuvre de l'employeur qui ne pourra
plus modifier unilatéralement les horaires de travail du salarié.
Il présente également des garanties pour l'employeur en termes de
non-concurrence et de disponibilité du salarié.
L'article L. 212-4-9 prévoit que les gestionnaires des régimes
sociaux devront adapter leurs dispositifs aux spécificités du
multisalariat.
L'article L. 212-4-10 prévoit que l'abattement de cotisations sociales
patronales prévu pour les employeurs de salariés à temps
partiel est applicable à chaque employeur de salarié à
temps partagé.
II - Le texte adopté par la commission des Affaires
sociales
La commission a souhaité que chacune des quatre dispositions de
l'article premier fasse l'objet d'un article spécifique.
L'article premier insère dans le code du travail un nouveau paragraphe
intitulé " Travail à temps partagé ".
L'article 2 reprend les éléments du contrat de travail à
temps partagé sous la forme d'un nouvel article L. 212-4-7-1.
L'article 3 introduit un nouvel article L. 212-4-7-2 dans le code du travail
relatif à l'abattement de charges sociales dont peuvent
bénéficier les employeurs de salariés à temps
partagé.
La commission a modifié la numérotation des articles
créés par la proposition de loi avec le souci de ne pas modifier
la numérotation des articles déjà existants.
Par ailleurs, elle n'a pas souhaité codifier l'invitation faite aux
gestionnaires de régimes sociaux d'adapter les dispositifs en vigueur
à l'exercice du travail à temps partagé. Cette disposition
prend la forme d'un article 4 non codifié.
Art. 2
Adaptation des conventions collectives
à l'exercice du travail en temps
partagé
I
- Le texte de la proposition de loi
L'article 2 complète l'article L. 133-5 du code du travail relatif aux
dispositions que doit contenir une convention de branche conclue au niveau
national pour pouvoir être étendue. Il prévoit que la
convention collective devra être adaptée aux salariés
à temps partagé.
II - Le texte adopté par la commission des Affaires
sociales
La commission a repris cet article 2 sous la forme d'un article 5.
Art. 3
Accidents du travail sur le parcours entre
différents lieux de travail
I
- Le texte de la proposition de loi
L'article 3 complète l'article L. 411-2 du code de la
sécurité sociale relatif aux accidents survenus lors d'un trajet.
Il étend la qualification d'accident du travail à l'accident
survenu sur le parcours effectué entre les différents lieux de
travail du salarié à temps partagé.
Une modification similaire est apportée à l'article L. 1146 du
code rural.
II - Le texte adopté par la commission des Affaires
sociales
La commission a repris cet article 3 sous la forme d'un article 6 avec une
modification rédactionnelle.
*
* *
Votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions, tel qu'il est inclus dans le présent rapport.
CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Article premier
Après l'article L. 212-4-7 du code du travail, il est inséré un paragraphe nouveau ainsi rédigé : " paragraphe 2 bis - Travail à temps partagé ".
Art. 2
Après l'article L. 212-4-7 du code du travail, il est
inséré un article nouveau ainsi rédigé :
"
Art. L. 212-4-7-1
- Le travail à temps partagé est
l'exercice par un salarié pour le compte de plusieurs employeurs de ses
compétences professionnelles dans le respect des dispositions
applicables à la réglementation de la durée du travail.
" Le contrat de travail du salarié à temps partagé
est un contrat écrit à durée déterminée ou
indéterminée. Il mentionne notamment :
" - la qualification du salarié ;
" - les éléments de la rémunération ; le
contrat peut prévoir les modalités de calcul de la
rémunération mensualisée indépendamment du temps
accompli au cours du mois lorsque le salarié à temps
partagé est occupé sur une base annuelle ;
" - la convention collective éventuellement appliquée
par l'employeur et, le cas échéant, les autres dispositions
conventionnelles applicables ;
" - la durée du travail hebdomadaire ou, le cas
échéant, mensuelle ou annuelle ;
" - la répartition de cette durée entre les jours de la
semaine ou entre les semaines du mois ou de l'année ; quand cette
répartition ne peut être préalablement établie, un
avenant au contrat de travail la définit ultérieurement ;
" - la possibilité de modifier cette répartition ou la
durée du travail par accord entre les parties ;
" - la procédure selon laquelle le salarié à
temps partagé pourra exercer son droit à congés annuels ;
" - la liste des autres contrats de travail dont le salarié
est titulaire ; toute modification de cette liste est portée
à la connaissance de chacun des employeurs par lettre recommandée
avec accusé de réception ; il en est de même de toute
modification d'un contrat de travail portant sur la durée du travail ou
sa répartition ou sur tout élément de nature à
entraver l'exécution d'un autre contrat de travail ; le salarié
à temps partagé doit obtenir l'accord de ses autres employeurs
préalablement à la conclusion d'un nouveau contrat de travail
avec un employeur concurrent d'un précédent ;
" - l'engagement de l'employeur de ne prendre aucune mesure qui
serait de nature à entraver l'exécution par le salarié de
ses obligations à l'égard de ses autres employeurs ;
" - l'engagement du salarié de respecter, pendant la
durée du contrat comme après sa rupture, une obligation de
discrétion sur toutes informations concernant chaque employeur ;
" - l'engagement du salarié à temps partagé de
respecter les limites fixées par l'article L. 212-7".
Art. 3
Après l'article L. 212-4-7-1 du code du travail,
il est
inséré un article nouveau ainsi rédigé :
"
Art. L. 212-4-7-2
. - L'abattement de cotisations
patronales prévu à l'article L. 322-12 est applicable, sous
réserve des autres conditions définies par cet article, à
chaque employeur d'un salarié à temps partagé dont les
contrats de travail répondent aux conditions définies par
l'article L. 212-4-7-1 sans préjudice des articles L. 212-4-2
et L. 212-4-3 quelle que soit la durée minimale du travail convenue
contractuellement. ".
Art. 4
Les organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage, les organismes de sécurité sociale et les institutions de retraite complémentaire sont appelés, en tant que de besoin, à adapter ou à modifier les dispositifs en vigueur afin de faciliter l'exercice des emplois à temps partagé.
Art. 5
Le
12° de l'article L. 133-5 du code du travail est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
" g)
Pour les salariés à temps partagé,
l'adaptation, en tant que de besoin, des dispositions de la convention
collective à cette catégorie de salariés. ".
Art. 6
I. - Le l° de l'article L. 411-2 du code
de la
sécurité sociale est complété par une phrase ainsi
rédigée :
" Il en est de même de l'accident survenu sur le parcours
effectué entre les différents lieux de travail
fréquentés par un salarié répondant aux conditions
de l'article L. 212-4-7-1 du code du travail. "
II. - Le troisième alinéa (a) de l'article 1146 du code
rural est complété par une phrase ainsi rédigée :
" Il en est de même de l'accident survenu sur le parcours
effectué entre les différents lieux de travail
fréquentés par un salarié répondant aux conditions
de l'article L. 212-4-7-1 du code du travail. ".
ANNEXE :
QUESTION ÉCRITE DE M. NICOLAS
ABOUT AU MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ8(
*
)
TRAVAIL À TEMPS PARTAGÉ
M.
Nicolas About
attire l'attention de
Mme le ministre de l'emploi et de la
solidarité
sur le faible développement, dans notre pays, du
travail en temps partagé. Cette formule originale, qui consiste pour un
salarié à exercer une activité dans plusieurs entreprises
à la fois, présente pourtant de nombreux avantages : elle
permet notamment à des cadres ou à des techniciens au
chômage de retrouver progressivement une activité, en vendant
leurs compétences à différentes PME-PMI qui sont à
la recherche de personnel qualifié, mais qui n'ont pas toujours les
moyens d'embaucher un travailleur à temps plein. Le développement
du travail en temps partagé se heurte actuellement à la
complexité des textes réglementaires du code du travail qui sont
pour l'essentiel conçus sur le modèle du contrat de travail
unique. Lorsqu'un salarié travaille dans plusieurs entreprises relevant
de secteurs différents, il est contraint de cotiser à plusieurs
caisses de retraite distinctes. Son employeur principal doit payer l'ensemble
des charges patronales, puis se faire rembourser auprès des autres
entreprises qui l'emploient. Cette lourdeur administrative n'incite
guère les PME à se lancer dans l'aventure du multisalariat. De
même, elle place le salarié dans une situation inconfortable. Si
ce dernier perd l'un des ses emplois partiels, il ne pourra toucher
d'indemnités de chômage qu'à condition de renoncer à
tous ses autres emplois. Faute de statut juridique précis, ces
multisalariés sont contraints de se regrouper au sein d'associations
intermédiaires ou de sociétés de partage aux contours
flous, ce qui ne favorise guère leur reconnaissance par les entreprises.
Alors que la loi sur la réduction du temps de travail a
délibérément limité le recours au temps partiel
dans les entreprises, aucune disposition n'a été prévue
par le Gouvernement pour encourager le développement du travail en temps
partagé. Il lui demande par conséquent les mesures qu'elle entend
prendre pour promouvoir cette formule de travail et accorder aux
multisalariés un statut juridique précis. Il lui demande
notamment si l'on ne pourrait pas s'inspirer du dispositif dont
bénéficient déjà les voyageurs,
représentants, placiers (VRP), pour permettre à ces
salariés de verser leurs cotisations sociales dans une caisse unique et
de se doter d'une convention collective spécifique.
Réponse
- L'honorable parlementaire appelle l'attention du
ministre de l'emploi et de la solidarité sur la nécessité
d'adapter la législation du travail au statut spécifique des
salariés à employeurs multiples. La situation des
" pluriactifs " est, en effet, un sujet de réflexion d'autant
plus important qu'il s'agit de l'une des formes de partage du travail qui peut
contribuer au développement d'emplois stables, dans un cadre
adapté à la situation des PME. En ce qui concerne le droit du
travail, l'instauration d'un statut du pluriactif ne paraît pas toutefois
souhaitable. En effet, si des modifications du droit existant s'avèrent
nécessaires, dans la mesure où il a été
conçu pour régir la situation classique de salariés se
consacrant à une activité professionnelle unique, le Gouvernement
réfléchit, à ce stade, à des mesures visant
à adapter à la pluriactivité certaines dispositions du
code du travail ayant trait notamment aux congés payés, aux
heures complémentaires et à la médecine du travail
plutôt que de créer un statut à part, dont
l'expérience démontre qu'il ne pourrait qu'être à
l'origine de rigidités et de complexités incompatibles avec la
situation même de ces salariés. Il convient de souligner que, pour
répondre à ce besoin, le législateur a institué par
la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985, la formule du groupement
d'employeurs. Le groupement d'employeurs a pour objet d'embaucher et de mettre
à la disposition des entreprises ou employeurs adhérents des
salariés liés au groupement par un contrat de travail. Ce
dispositif présente l'avantage, pour le salarié de n'avoir qu'un
seul employeur -le groupement- auquel il est lié par un contrat de
travail unique et, pour les petites et moyennes entreprises qui n'ont pas la
possibilité d'employer un salarié à plein temps, de
satisfaire à leur besoin de main-d'oeuvre en occupant un salarié
à temps partiel. Par ailleurs, une initiative des partenaires sociaux
pour négocier un accord portant sur l'emploi des salariés
à temps partiel ayant plusieurs employeurs ne peut qu'être
encouragée. Cet accord pourrait être un accord interprofessionnel,
conclu entre les organisations syndicales et patronales visées à
l'article L. 132-2 du code du travail dont l'objectif serait de définir
les règles conventionnelles applicables aux salariés à
temps partiel ayant plusieurs employeurs. En ce qui concerne le droit au
versement des allocations chômage, l'article L. 351-1 du code du travail
subordonne ce versement à la privation involontaire d'emploi du
travailleur. Toutefois, afin de ne pas pénaliser les salariés
à employeurs multiples, l'article L. 351-20 prévoit le cumul de
ces allocations avec les revenus procurés par une autre activité
dès lors que celle-ci a un caractère occasionnel ou
réduit. Le revenu procuré par cette activité ne doit pas
excéder 47 % de la rémunération brute mensuelle
antérieure. Il est à noter que la détermination des
règles applicables en la matière relève de la seule
compétence des partenaires sociaux, gestionnaires du régime
d'assurance chômage. Au regard de la protection sociale enfin, il
convient de préciser que le décret 97-362 du 16 avril 1997 laisse
aux assurés sociaux pluriactifs le libre choix, parmi les caisses dont
ils relèvent, de leur organisme de rattachement, appelé caisse
pivot, indépendamment de leur activité principale, afin
d'éviter le changement de caisse en cas de changement d'activité
principale.
1
Sénat, proposition de loi
n° 394
relative au multisalariat présentée par M. André Jourdain.
2
" moonlighting " de moonlight, clair de lune,
l'expression désigne des salariés qui cumulent des emplois
diurnes et nocturnes.
3
Libération, cahier emploi, lundi 26 janvier 1998, p. 3.
4
Sénat, proposition de loi n° 394 relative au
multisalariat présentée par M. André Jourdain, p. 2.
5
Voir notamment Semaine sociale Lamy, supplément
n° 882, 14 avril 1998, Aspects juridiques de la pluriactivité
par Jean-Bernard Paillisser.
6
Contribution aux formes nouvelles d'emploi : le multisalariat
par Mme Françoise Hostalier, 22 mars 1996.
7
Rapport n° 100, au nom de la commission des Affaires sociales
du Sénat, sur les propositions de résolution
présentées par M. Michel Barnier et par M. Guy Fischer et
plusieurs de ses collègues du groupe communiste, républicain et
citoyen, sur la communication de la Commission : proposition de lignes
directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999
(n° E-1171), M. Louis Souvet, rapporteur.
8
J.O. Sénat - Questions 10 décembre 1998 - Page
3962 - Question n° 9531.