IV - FUSION

La recherche sur la fusion est une activité qui se trouve confrontée à un paradoxe, celui d'avoir une finalité explicitement industrielle de production d'électricité alors que la démonstration scientifique de la faisabilité de la fusion contrôlée reste à faire. On pourrait d'ailleurs ajouter une troisième difficulté que rencontrent les recherches sur la fusion, à savoir l'ampleur des moyens requis pour les installations de recherche.

L'horizon de la fusion contrôlée est la production d'électricité. C'est l'objectif des chercheurs qui s'intéressent à ce domaine. C'est la justification des investissements considérables dont il a bénéficié.

Sans cette perspective, il ne fait pas de doute que la recherche aurait été abandonnée, tant sont grandes les difficultés qu'elle rencontre. Selon l'expression de M. Roger BALIAN, " la recherche sur la fusion contrôlée constitue un projet scientifique mais de motivation non scientifique, qui n'appartient pas en tout état de cause au domaine de la science fondamentale " .

Au vrai, cette recherche a incontestablement souffert d'annonces prématurées sur l'horizon de ses débouchés. On constate d'ailleurs une propension toujours actuelle dans les présentations faites par certains chercheurs, à comparer d'ores et déjà le coût du kWh produit par la fusion à celui du kWh nucléaire, alors que l'on ne peut envisager aucune perspective de réacteur industriel avant au minimum 30 à 40 ans.

Il faut toutefois souligner les retombées des recherches sur la fusion dans le domaine scientifique pour la physique des plasmas ou la magnétohydrodynamique et dans le domaine technologique, avec les applications industrielles des plasmas, du cryomagnétisme et des avancées dans le domaine des matériaux et de l'instrumentation.

Si le chemin est long avant ce terme, c'est qu'il reste à apporter la démonstration scientifique de la fusion contrôlée. Les tokamaks en fonctionnement actuellement progressent dans leurs performances. Mais ce sera l'objectif d'ITER-FEAT, machine conçue dans le cadre d'une collaboration internationale, que d'effectuer cette démonstration en atteignant un rapport puissance issue de la fusion sur puissance supplémentaire fournie au combustible au moins égal à 10. Mais, même en cas de succès, ITER-FEAT n'ouvrira pas la voie, à lui seul, à un réacteur électrogène. Des développements complémentaires seront nécessaires, en particulier dans le domaine des matériaux à faible activation et des couvertures tritigènes, avant une étape d'intégration technologique finale.

Il s'agit là d'un projet dont le coût est tel qu'il est mondial depuis son origine. La France possède de réelles chances d'accueillir, pour le compte de l'Union européenne, ce projet dans l'hexagone, si toutefois les conditions d'un effort de financement particulier peuvent être réunies.

1. Les équipements lourds de la fusion

Les efforts de la France dans les recherches sur la fusion contrôlée prennent appui sur une machine nationale, TORE SUPRA, et sur une participation française à la machine européenne JET.

Le tokamak TORE SUPRA, installé à Cadarache est issu du regroupement des moyens relatifs aux machines TFR (tokamak) de Fontenay-aux-Roses, Petula (tokamak) et Wega (stellarator) de Grenoble, installations qui ont été arrêtées au milieu des années 1980.

La construction de TORE SUPRA a duré 7 ans, le premier plasma ayant été obtenu en 1988. Le volume du plasma de TORE SUPRA est de 20 m 3 , à comparer au volume de l'ordre de 1 m 3 des machines de la génération précédente et au 100 m 3 du JET.

TORE SUPRA a obtenu des plasmas sur des durées de 2 minutes et permet des démonstrations complémentaires à celles du JET. Celui-ci est plus performant du fait de son grand volume mais est limité en durée d'impulsion à 5 secondes pour les plasmas les plus performants.

Par rapport à l'ensemble des machines servant dans le monde à l'étude de la fusion, TORE SUPRA est le seul grand tokamak à mettre en _uvre la technologie des aimants supraconducteurs.

Dans la répartition de facto des sujets de recherche relatifs à la fusion, TORE SUPRA s'est spécialisé dans l'étude des temps longs et détient le record de l'énergie extraite. La modernisation en cours, qui s'achèvera en 2008, a pour objectif l'accès à la physique et à la technologie des décharges performantes et de longue durée, c'est-à-dire de 1000 secondes environ. En tout état de cause, on peut considérer que vers 2008, le programme TORE SUPRA sera arrivé à maturité.

TORE SUPRA a exercé un effet d'entraînement dans le domaine du magnétisme et de la cryogénie.

C'est pour cette installation qu'ont été développés des aimants supraconducteurs et une installation cryogénique inédite, technologies qui ont ensuite été utilisées au CERN pour construire le LHC. Les techniques cryomagnétiques développées par le CEA pour la fusion et la physique des particules ont trouvé de nombreuses applications dans le domaine médical et d'autres domaines de recherche.

Les travaux conduits avec TORE SUPRA sont complétés par les recherches effectuées sur le tokamak européen JET implanté en Grande-Bretagne.

La décision de construction du JET (Joint European Torus) fut prise en 1978 par le Conseil des ministres de la CEE, sa construction intervenant de 1978 à 1983, date à laquelle le premier plasma a été obtenu.

Le JET est le plus grand tokamak du monde. Il détient le record mondial d'énergie de fusion, soit 22 MJ pendant près de 4 secondes. Il détient également le record mondial de puissance de fusion, à 16 MW, avec un rapport puissance issue de la fusion sur puissance additionnelle fournie au combustible égal à 0,64.

Seul instrument à pouvoir fonctionner avec un mélange deutérium-tritium, le JET joue un rôle clé dans la préparation de l'étape expérimentale suivante, présentée sous le nom d'ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor).

Le JET présentant encore un fort potentiel, son utilisation a été prolongée jusqu'à la fin 2002 et est envisagée jusqu'à la fin du 6 ème PCRD. Un investissement supplémentaire a été proposé dans ce sens, consistant dans l'augmentation de puissance de chauffage du plasma, afin d'affiner les scénarios de fonctionnement d'ITER, de finaliser l'ingénierie de différents dispositifs essentiels de ce dernier et de progresser dans la recherche fondamentale sur la physique des plasmas. L'essentiel de cet investissement devrait être financé par EURATOM.

Le JET est utilisé depuis le 1 er janvier 2000 dans le cadre d'un nouvel accord, l'European Fusion Development Agreement (EFDA), dont le but est de mettre en place un cadre coopératif fort, de focaliser et de réorganiser les recherches afin de préparer ITER. Outre le JET, l'EFDA couvre les recherches en technologies de la fusion et la participation européenne à ITER. L'EFDA pourrait éventuellement évoluer vers une agence européenne, en particulier si ITER était décidé.

2. Les TGE de la fusion dans la nomenclature actuelle

Les dépenses annuelles relatives à TORE SUPRA sont stables depuis 1995, à moins de 150 millions de francs par an, selon les chiffres du ministère de la recherche. En 1999, le personnel attaché à TORE SUPRA représentait 356 personnes, dont 282 appartenant au CEA, 24 présents dans le cadre d'EURATOM et 16 doctorants.

Tableau 7 : Evolution des dépenses relatives à TORE SUPRA 1

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

TORE SUPRA

(TGE scientifique)

personnel

92

70

82

57

67

81

81

82

83

86

86

exploitation

96

97

52

51

51

38

45

40

42

39

41

construction

23

24

22

17

17

17

total

188

167

134

108

118

142

150

144

142

142

144

La participation française au JET représente quant à elle un montant de 11 millions de francs par an, correspondant à une quote-part des frais d'exploitation.

Le faible coût de la participation française au JET s'explique par l'intervention des crédits communautaires pour le financement de la machine.

En effet, le programme européen de recherche sur la fusion fait l'objet d'une action clé  du 5 ème PCRD, qui est mise en oeuvre dans le cadre des activités EURATOM. Deux des principaux axes de cette action clé sont d'une part la pleine exploitation du JET et d'autre part la consolidation des bases scientifiques d'ITER.

De fait, le budget du JET pour l'année 2000 est de 67,5 millions d'euros. EURATOM le finance à hauteur de 73 %. Un Fond conjoint réunissant l'UKAEA et les " Associations ", c'est-à-dire les organismes nationaux de recherche contractuellement associés à EURATOM, finance 21 % du total. Le reste, c'est-à-dire 6 %, correspond à des activités conduites dans les laboratoires nationaux et financées par ceux-ci. La participation directe du CEA au Fond conjoint représente 1,4 million d'euros.

Tableau 8 : Evolution des dépenses relatives au JET 2

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

JET

(TGE scientifique)

personnel

exploitation

21

22

17

17

17

10

10

10

10

11

11

construction

total

21

22

17

17

17

10

10

10

10

11

11

Compte tenu des évolutions précédentes, il n'est pas étonnant de constater que les dépenses des TGE de la fusion sont étales depuis 1995.

Figure 7 : Evolution des dépenses annuelles relatives aux TGE de la fusion

Par ailleurs, les dépenses des TGE de la fusion représentent en 2000 3,4 % de l'ensemble des dépenses des TGE scientifiques et techniques.

Figure 8 : Evolution des dépenses relatives aux TGE de la fusion par rapport aux dépenses totales des TGE scientifiques et techniques

3. Les besoins prévisibles

Le tokamak français et le tokamak européen actuellement en fonctionnement ne semblent pas nécessiter à moyen terme des dépenses susceptibles de faire croître sensiblement leurs budgets. La modernisation en cours de TORE SUPRA sera achevée en 2008 dans les limites budgétaires actuelles. La prolongation du JET au delà de 2002 ne devrait pas représenter une charge supplémentaire considérable pour les pays membres, dans la mesure où EURATOM assume la plus grande part du financement.

En réalité, la grande question est celle du projet ITER-FEAT, conçu dans le cadre d'une coopération internationale.

La coopération en matière de recherche sur la fusion a pris une dimension mondiale depuis la fin des années 1980 à la suite d'un sommet du G7.

Avec un horizon à plusieurs dizaines d'années pour l'obtention de résultats industrialisables, l'absence de concurrence et de retombées immédiates en matière de fourniture d'énergie, un accord international a pu être signé entre les Etats-Unis, le Japon, l'Europe et la Russie, les recherches en cours au plan national se poursuivant toutefois en parallèle.

Le programme ITER subséquent a connu une première étape au terme de laquelle le projet a été jugé surdimensionné et coûteux. Le coût de la machine préconisée intitulée ITER-FDR atteignait en effet 6 milliards de dollars. Le projet a connu ensuite une phase difficile, notamment en raison du retrait des Etats-Unis.

Le projet actuel intitulé ITER-FEAT résulte d'une simplification du projet initial. Son coût est ramené à 3,5 milliards de dollars, soit environ 25 milliards de francs.

Les dépenses de recherche sur la fusion dans le monde sont d'un montant considérable. EURATOM consacre environ 200 millions d'euros par an, auxquels il faut ajouter les 250 millions d'euros annuels dépensés par les pays membres, soit un total de 450 millions d'euros dépensés en Europe. Les sommes consacrées annuellement à ces mêmes recherches atteignent un montant comparable au Japon et environ 250 millions de dollars aux Etats-Unis. Le total des dépenses atteint donc environ 1,1 milliard d'euros par an.

La construction d'ITER-FEAT dont le devis actuel est de 3,5 milliards d'euros, semble possible aux partisans du projet, dans la mesure où elle s'étalera sur 10 ans et où elle s'accompagnera d'une fermeture progressive de la plupart des installations actuelles.

Selon la répartition des dépenses arrêtée actuellement, un partenaire du projet ITER, par exemple l'Union européenne, accueillant la machine sur son sol devrait prendre à sa charge 25 % du coût d'ITER-FEAT, en plus de sa contribution aux 75 % restant qui sont à partager équitablement entre l'ensemble des partenaires.

Dans le cas où l'Europe, dans le cadre d'EURATOM serait candidate pour accueillir le projet, la charge financière pour le pays hôte ne constituerait qu'une partie de ces 25 %, le complément étant financé par le budget communautaire EURATOM. La part précise du pays hôte reste donc à négocier.

C'est dans ce cadre que le CEA propose à l'Union européenne la candidature du site de Cadarache pour accueillir la machine ITER-FEAT. Les atouts de la France sont ses compétences dans le domaine de la fusion, les qualités du site de Cadarache, ainsi que l'absence d'autre candidat en Europe.

Sur un plan financier, la dépense pour la France serait sans nul doute importante même si la part d'EURATOM reste à négocier. Mais les commandes à l'industrie nationale et les revenus provenant de l'exploitation viendraient compenser la charge initiale, avec un décalage de trésorerie dont il faut tenir compte.

Sur le seul plan financier, l'exemple du CERN montre que la France a pu obtenir des retombées considérables de son rôle moteur dans un grand projet international, aux plans scientifiques, technologiques et économiques.

Reste à savoir si l'exemple du CERN est transposable à la fusion et si une participation de toutes les grandes zones économiques mondiales pourra être réunie, conformément aux objectifs initiaux du projet.

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