Rapport d'information n° 320 (2000-2001) de MM. Xavier de VILLEPIN , André DULAIT , André BOYER , Jean-Luc BÉCART , Robert del PICCHIA , Jean PUECH et André ROUVIÈRE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 10 mai 2001
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INTRODUCTION
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I. LA CONSTRUCTION DÉSORMAIS
IRRÉVERSIBLE DE NATIONS SOUVERAINES
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II. UNE MENACE ISLAMISTE RÉELLE MAIS ENCORE
CONTENUE
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III. L'ÉCONOMIE : DES PERSPECTIVES
ENCOURAGEANTES TEMPÉRÉES PAR LE RISQUE D'AGGRAVATION DES
INÉGALITÉS
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IV. LES ENJEUX PÉTROLIERS DE LA
CASPIENNE
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V. L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL : LA
RECHERCHE D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE
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VI. LA FRANCE EN ASIE CENTRALE : DES ATOUTS
INDÉNIABLES QU'IL RESTE À MIEUX METTRE EN VALEUR
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I. LA CONSTRUCTION DÉSORMAIS
IRRÉVERSIBLE DE NATIONS SOUVERAINES
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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ANNEXE I -
LA VIE INSTITUTIONNELLE
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ANNEXE II -
PROGRAMME DES ENTRETIENS AU KAZAKHSTAN
ET EN OUZBÉKISTAN
N° 320
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée au Kazakhstan et en Ouzbékistan du 7 au 14 avril 2001,
Par MM. Xavier de VILLEPIN, André DULAIT, André BOYER, Jean-Luc BÉCART, Robert DEL PICCHIA, Jean PUECH et André ROUVIÈRE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Auban, Pierre Biarnès, secrétaires ; Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Jean-Yves Mano, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière, Raymond Soucaret.
Asie centrale. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Du 7 au 14 avril dernier, une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, conduite par M. Xavier de Villepin, président, a effectué une mission d'information au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Cette délégation était également composée de MM. André Dulait, André Boyer, Jean-Luc Bécart, Robert Del Picchia, Jean Puech, André Rouvière.
Issues de l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, ces deux républiques ont été choisies par votre commission compte tenu de leur rôle clé en Asie centrale.
Le Kazakhstan , pays grand comme cinq fois la France, dispose d'un potentiel économique impressionnant ; depuis la découverte en 2000 d'un gisement pétrolier dans la mer Caspienne, il pourrait se ranger parmi les principaux pays producteurs d'hydrocarbures. Il présente par ailleurs les traits d'un Etat multiethnique riche d'une centaine de nationalités parmi lesquelles une forte minorité slave -quelque 35 % de la population. De ce fait, les conditions dans lesquelles la nouvelle république se forge une identité et affirme sa souveraineté méritent une attention particulière.
L' Ouzbékistan, avec 25 millions d'habitants, est le pays le plus peuplé d'Asie centrale. Il peut s'appuyer sur une riche civilisation sédentaire illustrée dans le passé par des foyers urbains particulièrement brillants comme Samarcande et Boukhara. S'il compte de nombreux atouts -population homogène à la démographie dynamique, quatrième exportateur mondial de coton et l'un des premiers pour l'or-, il est aussi directement confronté au risque d'une déstabilisation dont les bases se trouvent en Afghanistan. L'Ouzbékistan aspire à jouer un rôle de premier plan en Asie centrale et ses choix politiques et diplomatiques pèseront pour une large part dans l'avenir de la région.
Dix ans après le choc de la dissolution de l'Union soviétique , quel bilan peut-on dresser de ces indépendances, d'abord plus subies que véritablement voulues ?
Votre délégation a choisi de décliner sa réflexion autour de cinq grands thèmes :
- les nouvelles républiques longtemps placées sous la tutelle russe, puis soviétique, ont-elles su se doter des instruments d'une souveraineté réelle ?
- Peut-on parler d'une menace islamiste et quelle en est la portée ?
- Quelles sont les perspectives de développement économique de la zone ? Quels enjeux soulèvent en particulier l'exploitation et l'évacuation des hydrocarbures ?
- Quelles sont les influences extérieures qui s'exercent sur la zone ?
- Quelle doit être la place de la France dans cette région ?
Afin de recueillir les éclairages nécessaires sur ces différents points, votre délégation a procédé à Paris à l'audition des spécialistes -diplomates et universitaires- sur l'Asie centrale ; elle s'est entretenue sur place avec les principaux responsables politiques des deux pays ainsi qu'avec certains représentants des entreprises françaises, notamment Total-Elf-Fina dont le rôle a été important dans l'exploration du gisement de Kashagan sur la mer Caspienne. Nos ambassadeurs, M. Serge Smessov à Almaty et M. Jacques André Costilhes, à Tachkent, ainsi que leurs collaborateurs, nous ont apporté au cours de notre mission une aide précieuse et constante. Qu'ils en soient ici très vivement remerciés.
L'accueil réservé à votre délégation par les autorités du Kazakhstan et celles de l'Ouzbékistan a été empreint d'une exceptionnelle chaleur. Il manifeste l'image favorable dont bénéficie notre pays dans une région qui demeure pourtant trop souvent méconnue en France.
Puisse ce rapport, dans le sillage des remarquables travaux consacrés par certains de nos collègues à l'Asie centrale 1 ( * ) , contribuer à sensibiliser les autorités sur l'intérêt d'une région dont le rôle est appelé à s'affir mer dans les prochaines années.
I. LA CONSTRUCTION DÉSORMAIS IRRÉVERSIBLE DE NATIONS SOUVERAINES
Un constat d'abord s'impose : l'indépendance apparaît aujourd'hui un fait irréversible . Les nouvelles républiques ont su jeter les bases d'un Etat et, plus encore, favoriser l'émergence d'un sentiment d'identité nationale.
Ce succès indéniable n'allait pas de soi : les indépendances ne sont pas l'aboutissement d'une revendication nationale ; elles se sont imposées d'elles-mêmes à l'issue de l'éclatement de l'Union soviétique. De plus et surtout, les frontières de ces Etats sont une construction de l'époque soviétique : elles ont introduit des divisions souvent artificielles entre les territoires et les populations.
A. LE LEGS CONSTRASTÉ DE L'HISTOIRE
1. Une identité façonnée par la géographie et l'histoire
L'Asie centrale est délimitée à l'est et au sud par les montagnes du Tian Shan, du Pamir et de l'Elbrouz ; à l'ouest par la mer Caspienne. Au nord, il est vrai, aucune barrière ne vient séparer les steppes kazakhes des plaines russes. L'absence d'obstacle -sinon l'immensité de ces étendues- aura constitué, à partir de la fin du XVIIIe siècle un facteur propice à la pénétration russe. La géographie de l'Asie centrale réunit ainsi trois types d'espaces : les montagnes , habitées de populations semi-nomades au nord (les Kirghizes), sédentaires au sud ; les bassins des deux grands fleuves qui prennent leur source dans le Tian Shan (l'Amou Daria au sud, le Syr Daria au nord) pour se jeter dans la mer d'Aral, du moins avant qu'une irrigation intensive ne condamne aujourd'hui leur cours à se perdre dans le désert -cette région, dont les ressources agricoles ont favorisé le développement d'une riche civilisation urbaine illustrée par le rayonnement de Samarcande et de Boukhara, a représenté, sous le nom de Transoxiane (littéralement « au-delà de l'Oxus »), le coeur historique de l'Asie centrale ; enfin, au-delà de ces bassins d'irrigation, de la frontière iranienne à la Mongolie, s'étend un arc de steppes peuplées de tribus autrefois nomades, aujourd'hui sédentarisées de Turkmènes à l'ouest et de Kazakhs au nord et au sud.
La géographie désigne l'Asie centrale comme une zone de passage -pacifique et commercial- sur l'axe est-ouest avec la route de la soie ; militaire et conquérant sur l'axe nord-sud puisque, comme l'observe M. Olivier Roy 2 ( * ) , toutes les invasions se sont faites dans le sens nord-sud (à l'exception de la conquête arabe).
Espace d'échanges, l'Asie centrale est marquée sur le plan historique par la rencontre de la civilisation persane et du monde turc des steppes . La Transoxiane peuplée à l'origine par des populations parlant des langues dites iraniennes de l'est, a été conquise à partir de l'an 1000 par des populations turcophones. La dynastie Karakhanide -992-1211- établie d'abord au nord du Syr Daria, étendit sa domination sur la Transoxiane après avoir vaincu la dynastie persanophone des Samanides en 999. Depuis lors, et jusqu'à la colonisation russe, les dynasties turques régnèrent sur un espace souvent soumis à des recompositions territoriales au gré des vicissitudes de l'histoire.
Chronologie sommaire 992-1211 - dynastie des Karakhanides 1211-1219 - dynastie des Seldjoukides 1219 - invasion mongole. Après la mort de Gengis Khan (1227), son deuxième fils, Djaghataï, reçoit toute l'Asie centrale en apanage. L'empire mongol se disloque à partir de 1259 en khanats rivaux 1370 - Tamerlan (Timour-Lang, c'est-à-dire Timour le Boiteux) un descendant de Gengis Khan, s'empare de la Transoxiane. Ses héritiers (les Timourides) se partagent l'empire en émirats 1501 - prise de Boukhara par une confédération tribale venue du nord, les Ouzbeks. Le nouvel empire se divise en trois émirats ouzbeks (Khiva, Kokand, Boukhara). 1865 - prise de Tachkent par les Russes. Annexion du Kokand ; Khiva et Boukhara deviennent des protectorats. |
Au cours des siècles, les populations turcophones se sont progressivement persanisées, tandis que les sédentaires persanophones n'hésitaient pas à utiliser la langue turque. De ces brassages multiples, l'Asie centrale a hérité aujourd'hui un paysage humain d'une grande diversité et d'une indéniable complexité. Il reste possible, d'après la présentation faite par M. Pierre Chuvin lors de son audition devant notre délégation, de distinguer, parmi les peuples d'Asie centrale, deux grands groupes linguistiques :
- le groupe turcique , composé de trois sous-familles :
1. les kiptchaks (demeurés nomades jusqu'à la sédentarisation forcée des années 30) qui réunissaient eux-mêmes trois groupes : les Karakalpaks (arrivés à la fin du XVIIe siècle), les Kirghizes, les Kazakhs (ensemble constitué au XVIe siècle), les plus nombreux, divisés en trois « jouz » ou « hordes » (grande, moyenne et petite) ;
2. les tchagatay (constitués depuis le XIIIe siècle) : les Ouzbeks, à l'origine kiptchaks, et passés aux tchagatay en se sédentarisant, et leurs parents, les Ouïgours (Turcs sédentaires des oasis du Turkestan chinois) ;
3. les Oghouz , arrivés dans la région au XIe siècle, constituent l'autre dénomination des Turkmènes, cousins des Azéris et des Turcs de Turquie, restés nomades et répartis en tribus entre le Turkménistan et l'Iran, avec des îlots, au sud, en Ouzbékistan et au Tadjikistan.
A ce stade, il importe de remarquer que les Ouzbeks et les Kazakhs ont, à l'origine, une souche commune : les seconds s'étant détachés des premiers lors de la constitution de la grande fédération tribale des Ouzbeks à la fin du XIVe siècle, pour essaimer dans les steppes du Nord de l'Asie centrale. Cette séparation a cependant conduit à la formation d'identités très différentes : les Ouzbeks se sont sédentarisés et urbanisés, ils ont adopté comme langue de communication le turc tchaghatay et le persan, et revendiqué un islam rigoureux ; les Kazakhs, quant à eux, ont conservé un mode de vie nomade ; par ailleurs, jusqu'au XIXe siècle, ils sont restés faiblement islamisés.
- le groupe iranien
Sous la désignation de « tadjik », ce groupe recouvre en fait une réelle diversité linguistique : le persan pour les groupuscules chiites ; les langues iraniennes orientales dont l'usage est limité à certaines populations des montagnes et qui demeurent incompréhensibles pour les autres populations ; le tadjik proprement dit -forme archaïque du persan- parlé par les citadins sunnites, en particulier à Samarcande et Boukhara, ainsi que par les villageois. La généralisation du bilinguisme ouzbek-tadjik rend, du reste, délicate l'évaluation du nombre de Tadjiks.
Ainsi, comme l'a souligné le professeur Chuvin, des ressortissants de groupes linguistiques différents (Ouzbeks turcophones et Tadjiks iranophones), peuvent communiquer sans difficulté, tandis qu'au sein même du groupe iranophone, l'incompréhension peut être de mise.
2. Les frontières des républiques actuelles, héritage du découpage territorial de l'époque soviétique
Compte tenu de la diversité des populations et de leur imbrication dans un même espace géographique, le découpage territorial mis en oeuvre à partir de 1924 par les communistes de Moscou pour constituer, au sein de la structure fédérale représentée par l'Union des républiques socialistes soviétiques, des républiques socialistes, pouvait difficilement échapper au risque d'arbitraire. L'exercice commencé en 1924 a connu des remaniements en 1929 et 1936 pour aboutir à la carte politique actuelle, avec la mise en place de cinq républiques : Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan. Il obéissait à une volonté de rupture par rapport à l'organisation coloniale tsariste, articulée autour de deux gouvernorats -« des steppes » (capitale Orenbourg) et du Turkestan (capitale Tachkent) et de deux protectorats, Boukhara et Khiva. Il rompait également avec les structures précoloniales : les trois Etats préexistants -Khiva, Boukhara et Kokand- organisations considérées comme féodales, qu'il était évidemment inconcevable de reconstituer.
Dans la mesure où l'héritage de l'histoire était récusé, la constitution des nouvelles républiques s'est appuyée sur trois critères de nature souvent contradictoires :
- linguistiques (en supposant que les frontières linguistiques et ethniques se recoupent , ce qui n'est, on l'a vu, que partiellement juste) avec pour conséquence parmi ces populations enchevêtrées, le choix de tracés capricieux et la formation d'enclaves (ainsi le Kirghizistan compte des enclaves ouzbèques -vallées de Sokh et de Chât-i Mardan- et des enclaves tadjikes -Isfara et Vorouk-) ;
- économiques , afin d'assurer un certain partage des ressources : à titre d'exemple, la plaine lacustre du Ferghana a été divisée en trois parties inégales : l'essentiel de ces territoires est revenu à l'Ouzbékistan, mais les deux principaux accès sont commandés à l'ouest par le Tadjikistan et à l'est par le Kirghizistan ; dès lors, l'exercice du contrôle étatique sur cet espace est rendu plus délicat ;
- politiques : ainsi le Kazakhstan a été étendu vers le nord afin de compenser la perte de la région de Tachkent qui aurait pu lui revenir ; cependant, les concepteurs ont pris bien soin que la nouvelle république n'ait pas de frontière commune avec les autres républiques autonomes, en partie turcophone, incluses dans la fédération de Russie, le Bachkortostan et le Tatarstan.
Le brouillage géographique et ethnique lié au découpage territorial, constitue naturellement un facteur de fragilité et de tensions dans la région. Il a entraîné d'abord une forte imbrication -et donc une grande vulnérabilité des frontières (ainsi, la route la plus directe pour aller de Tachkent à Samarcande passe par le territoire du Kazakhstan). En outre, il a multiplié la présence de minorités ; si l'Ouzbékistan s'est trouvé l'héritier des trois principautés qui se disputaient la région avant l'arrivée des Russes, il n'a pas conservé l'intégralité des territoires peuplés d'Ouzbeks : dès lors, il existe des minorités ouzbekes dans tous les pays voisins ; elles représentent même 25 % de la population du Tadjikistan.
Cette construction de l'ère soviétique allait-elle survivre à l'éclatement de l'URSS ? Le processus d'indépendance n'entraînerait-il pas, au contraire, une recomposition des frontières politiques de l'Asie centrale ? Il n'en a rien été. Les dix dernières années ont confirmé la pérennité des structures conçues sous Staline. A l'exception du Tadjikistan, confronté à une guerre civile meurtrière de 1992 à 1997, le processus d'indépendance s'est déroulé dans le calme.
La consolidation des nouvelles républiques a conduit, au Kazakhstan comme en Ouzbékistan, à privilégier la stabilité du pouvoir politique plutôt que l'approfondissement du processus démocratique -dont les fondements avaient été posés au lendemain de l'indépendance- ainsi qu'à s'attacher aux manifestations de l'identité nationale.
B. LA PRIORITÉ ACCORDÉE À LA STABILITÉ DU POUVOIR POLITIQUE
1. Les fondements d'un Etat de droit
La stabilité s'est traduite par la continuité d'une élite politique issue, dans une très large mesure, des rangs de l'appareil communiste. Il convient d'ailleurs de souligner que pendant les trois dernières décennies de l'URSS, les postes de responsabilité à la tête du Parti revenaient le plus souvent à des personnalités locales. Le Président du Kazakhstan, M. Noursoultan Nazarbaev, celui de l'Ouzbékistan, M. Islam Karimov, ont ainsi été, l'un et l'autre, Premier Secrétaire du Parti avant l'indépendance.
Dans des pays dépourvus de toute tradition démocratique, il est assez remarquable que l'indépendance se soit d'abord accompagnée d'une véritable libéralisation des institutions et de la société.
Les Constitutions du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan s'inspirent, dans leurs grandes lignes, il faut le souligner, de la Ve République française.
Au Kazakhstan, une première Constitution, promulguée en janvier 1993, organise un exécutif selon une inspiration encore collégiale et crée un parlement monocaméral, le Conseil Suprême. Une nouvelle Constitution, adoptée le 30 août 1995 par référendum, se caractérise par un renforcement des pouvoirs du chef de l'Etat et par l'introduction du bicamérisme.
Par ailleurs, le pays a connu une véritable liberté d'expression qu'atteste notamment la multiplication des journaux au cours des premières années d'indépendance.
De même, au lendemain de l'indépendance, l'Ouzbékistan, à l'initiative du chef de l'Etat, élu en décembre 1991, a adopté le 8 décembre 1992, une Constitution également conçue sur le modèle français. Elle consacre les principes d'organisation d'un Etat démocratique : souveraineté populaire, séparation des pouvoirs, pluralisme des opinions, droit de réunion, droit d'associations (syndicales ou politiques), recours au référendum.
Par ailleurs, le Chef de l'Etat, M. Karimov, a proposé en 2000 de créer une deuxième assemblée. Ce projet, destiné comme l'a expliqué à votre délégation, le président du Majlis -l'Assemblée- a vocation à « améliorer » la qualité du travail parlementaire et à assurer une représentation plus large de la société civile et des différentes composantes nationales (quelque 130 nationalités). Les libertés fondamentales sont également garanties : liberté de déplacement, de presse et d'expression...
Le directeur du centre national des droits de l'homme, M. Saidov, a développé devant notre délégation, les cinq grandes orientations de la politique de l'Ouzbékistan en matière de droits de l'homme : le renforcement du dispositif législatif avec l'adoption d'une centaine de lois depuis 1991 ; la mise en place d'institutions tels que les médiateurs, seule autorité de ce type dans les pays de la CEI ; la signature d'accords internationaux en particulier sous l'égide des Nations unies ; une action pédagogique conduite au niveau des écoles secondaires ; la diffusion de publications concernant les droits de l'homme. M. Saidov a ajouté que l'Ouzbékistan avait récemment signé une convention avec la Croix Rouge internationale qui permettrait à cette organisation d'accéder à tous les établissements pénitentiaires du pays.
2. Le renforcement des pouvoirs présidentiels
La deuxième moitié de la dernière décennie s'est caractérisée par un renforcement progressif des pouvoirs présidentiels . Cette évolution, commune à la plupart des pays de la CEI, s'est incontestablement accompagnée d'un repli de la vie démocratique.
Au Kazakhstan, dans un premier temps, le mandat présidentiel a été prolongé jusqu'en décembre 2000 par le référendum du 29 avril 1995 ; parallèlement, la Constitution du 30 août 1995 a été marquée par un renforcement des prérogatives du chef de l'Etat.
Ensuite, à l'automne 1998, le mandat présidentiel a été porté de 5 à 7 ans et la limite d'âge (65 ans) supprimée. Par ailleurs, le Chef de l'Etat décida d'anticiper les élections présidentielles (janvier 1999) et législatives (septembre-octobre 1999). Après l'éviction du principal opposant, l'ancien Premier ministre M. Akejan Kajegueldine, dont la candidature fut rejetée, le Président Nazarbaev a été réélu le 10 janvier 1999 avec 79,8 % des suffrages. Les élections législatives, dont les résultats n'ont pas été reconnus par l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), donnèrent, quant à elles, une forte majorité aux partisans du Chef de l'Etat (60 des 77 députés). Par ailleurs, si la Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, cette disposition ne s'applique qu'à compter du mandat dévolu en 1999 ; dès lors, le chef de l'Etat, élu en décembre 1991, pourrait rester, en principe, au pouvoir jusqu'en 2013.
En outre, le 27 juin 2000, les deux Chambres du Parlement ont approuvé une loi constitutionnelle conférant à M. Nazarbaev, en tant que Premier Président de la république du Kazakhstan, des prérogatives étendues quand il aura quitté ses fonctions : il pourra ainsi rester membre à part entière du Conseil de sécurité et présider l'Assemblée des peuples du Kazakhstan, qui réunit les « sages » représentant la centaine d'ethnies présentes dans le pays. Il pourra également s'adresser à la nation et aux corps constitués et présenter des « recommandations » au futur Président. Enfin, la loi lui reconnaît l'immunité à vie.
Les mouvements d'opposition (dominés numériquement par les communistes), dont l'activité est reconnue, n'ont qu'une audience limitée. Ils demeurent en effet divisés malgré les efforts de M. Kajegueldine (aujourd'hui installé à Londres) et du Parti républicain du peuple pour mettre en place un forum démocratique .
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En Ouzbékistan, le mandat du Président Karimov -élu en décembre 1991- a été prolongé jusqu'en janvier 2000 par référendum le 26 mars 1995 (avec 99,6 % des suffrages).
Les élections présidentielles du 9 janvier 2000 -les premières depuis 1991- ont donné près de 92 % des voix au Président sortant. Le seul autre candidat en lice, M. Djalavov, a d'ailleurs admis avoir voté pour M. Karimov. Les élections législatives organisées le mois précédent (décembre 1999) avaient permis aux formations soutenant le chef de l'Etat d'emporter la totalité des sièges. Les partis d'opposition -Erk et Birlik- n'ont pas pu, pour leur part, obtenir l'enregistrement de leurs candidats. Ces élections ont d'ailleurs suscité les critiques de l'OSCE qui a renoncé à en superviser le déroulement.
Même si les perspectives d'une véritable vie démocratique demeurent encore virtuelles, le cadre d'un Etat de droit, tant au Kazakhstan qu'en Ouzbékistan, a le mérite d'exister. Les droits auxquels se réfèrent ces pays n'ont peut-être, pour l'heure, qu'un caractère formel ; ils constituent toutefois un ensemble de références et un point d'appui pour une évolution progressive des systèmes politiques vers une plus grande ouverture.
Du reste, pour la plupart des responsables que nous avons rencontrés, le processus de réformes n'est pas encore achevé : ainsi le vice-président du Kazakhstan, M. Abish Kekilbaev, a appelé de ses voeux la nécessaire poursuite des réformes économiques et le renforcement des droits de l'homme. Le ministre des affaires étrangères du Kazakhstan, M. Idrissov, a pour sa part, jugé nécessaire un renforcement des partis politiques, des ONG et des moyens de communication.
La recherche de la stabilité que traduit la présidentialisation des régimes va de pair avec une volonté soutenue de réaffirmer l'identité nationale.
C. LE RENFORCEMENT DES IDENTITÉS NATIONALES
Les pouvoirs politiques se sont attachés à renforcer les facteurs d'identité nationale : mise en place des éléments de souveraineté, exaltation d'un passé commun, retour aux langues nationales. Cette orientation bien qu'elle ait été en général mise en oeuvre sans intention discriminatoire, a souvent suscité la défiance des minorités et entraîné un important flux de départs principalement vers la Russie.
1. L'édification progressive d'une identité nationale
. Les éléments de souveraineté
Au lendemain d'une indépendance à laquelle ils n'étaient pas préparés, les pays d'Asie centrale se sont rapidement dotés des symboles traditionnels de la souveraineté (drapeau, hymne national). Par ailleurs, en 1993, la dissolution, provoquée par la Russie, de l'espace monétaire commun fondé sur le rouble a contraint les Etats à instituer leur propre monnaie : le soum pour l'Ouzbékistan, le tengue pour le Kazakhstan.
De plus, les pays d'Asie centrale avaient hérité de la colonisation russe de capitales souvent situées à la périphérie de leur territoire. Aussi l'indépendance et la volonté de manifester sa souveraineté sur l'intégralité de l'espace ont-elles, au Kazakhstan, conduit à transférer la capitale vers un emplacement plus central, à Astana 3 ( * ) .
En quelques années, comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de notre mission, cette cité prise d'une fièvre de construction s'est érigée d'immeubles modernes et de bâtiments officiels dont les fières silhouettes contrastent avec l'immensité et la monotonie des steppes alentour. Ce transfert visait notamment, en rapprochant le centre du pouvoir des provinces peuplées majoritairement de Russes, à conjurer les tentations sécessionnistes.
. L'exaltation du passé national
L'Ouzbékistan où se trouvent les trois grands centres historiques de l'Asie centrale, Samarcande, Boukhara et Khiva, dispose d'atouts certains pour se prévaloir d'un passé riche de quelques-unes des pages les plus glorieuses de l'Asie centrale : Tamerlan -qui, s'il parlait le tchaghatay, n'était pas ouzbek- a ainsi été présenté comme le véritable fondateur de l'Ouzbékistan. Le musée des Timurides récemment édifié à Tachkent, exalte cette figure nationale.
. Le retour aux langues nationales
Le trait sans doute le plus frappant de l'affirmation des identités nationales apparaît dans la politique linguistique conduite par les nouveaux Etats.
L'Union soviétique s'était largement appuyée sur le critère linguistique pour procéder au découpage territorial des républiques fédérées. On ne doit pas s'étonner, dès lors, qu'au lendemain de l'indépendance, la langue ait été promue comme facteur d'identité nationale. Elle peut permettre, aux yeux des autorités, de mieux assimiler certaines minorités qui pratiquent la même langue ; il en est ainsi en Ouzbékistan où les Tadjiks, qui dans leur majorité parlent la langue ouzbek, sont encouragés à se déclarer Ouzbeks. Facteur d'intégration, la langue représente au contraire un instrument de différenciation vis-à-vis de l'ancienne puissance tutélaire, mais aussi des autres Etats : abandon progressif du cyrillique (dès 1993 pour l'Ouzbékistan), pour un alphabet latin selon des principes distincts d'un pays à l'autre (ainsi, comme le rapporte M. Olivier Roy 4 ( * ) , le même son « sh » se transcrit en ouzbek (sh) et en turkmène par ($) ).
La promotion de la langue nationale, souvent reconnue comme seule langue d'Etat, se traduit par une politique volontariste : obligation d'un examen de langue nationale pour accéder à l'université ; utilisation de la langue nationale au sein de l'administration -ainsi près de 40 % des notes du ministère des affaires étrangères devront être rédigées en kazakh. Dans les faits, il est vrai, le russe reste aujourd'hui la principale langue véhiculaire.
Cette politique d'affirmation nationale a eu pour effet de marginaliser des minorités russophones (compris au sens large des russophones venus de la partie européenne de l'URSS : Russes, mais aussi Ukrainiens, Allemands, Polonais, Tatars).
2. Le reflux des populations russophones
Les russophones seraient passés de 10 à 6 % de la population totale en Ouzbékistan (soit 600 000 départs) et au Kazakhstan de 50 à 35 % (soit 1,5 million de départs pour les Russes et 500 000 pour les Allemands).
Ces mouvements s'expliquent par plusieurs facteurs : d'abord la disparition d'un système fédéral qui garantissait les droits des minorités (ainsi les juifs présents notamment en Ouzbékistan ont gagné Israël ou les Etats-Unis), le relâchement des liens politiques et économiques avec la Russie au cours des années qui suivirent l'indépendance, mais aussi la politique linguistique nationale. Les Russes se sont trouvés progressivement évincés des postes politiques -au Kazakhstan, le gouvernement ne comprend que deux Russes- et aujourd'hui, de plus en plus, de l'administration, par le seul fait du recours croissant à la langue nationale. Le reflux apparaît également sensible au niveau des postes d'encadrement dans les entreprises. Le Kazakhstan qui, des cinq républiques d'Asie centrale, comprend la plus forte population russe, est particulièrement affecté par cette évolution.
Aujourd'hui, ce pays et, dans une moindre mesure, l'Ouzbékistan, sont confrontés à la nécessité de former rapidement de nouvelles élites . Toutefois, malgré les nombreux départs, on observe cependant encore, au Kazakhstan, un partage des rôles au sein des entreprises : si le responsable en titre est souvent d'origine kazakh, le gestionnaire reste russe.
Soucieux d'affirmer leur identité mais conscients des risques liés à un départ massif des Russes, les deux pays ont adopté des dispositions nuancées dans le domaine de la citoyenneté. Ainsi, contrairement, par exemple, aux républiques baltes, tous les citoyens soviétiques résidant dans le pays au moment de l'indépendance, ont acquis la citoyenneté des nouvelles républiques. Cependant, aucun des deux Etats n'a accepté de reconnaître la double nationalité . Par ailleurs, comme sous l'ère soviétique, les documents d'identité mentionnent la citoyenneté et la nationalité (appartenance ethnique).
Le secrétaire du Conseil de sécurité kazakh, M. Tajine, a reconnu que l'émigration des Slaves et des Allemands avait privé la nation d'une partie de ses forces vives ; il a noté cependant une diminution des départs et un mouvement de retour -100 000 l'an passé- en raison de l'amélioration de la conjoncture économique.
II. UNE MENACE ISLAMISTE RÉELLE MAIS ENCORE CONTENUE
Dans le processus de renforcement de l'identité nationale, l'Islam, religion de la majorité des habitants d'Asie centrale joue évidemment un rôle majeur. Les indépendances se sont traduites par la réaffirmation d'un sentiment religieux que plus de soixante-dix ans d'une politique soviétique hostile n'avait pas réussi à éteindre. Ce réveil, particulièrement sensible en Ouzbékistan, pays d'ancienne tradition musulmane, a été encouragé par les nouveaux pouvoirs ; il s'est accompagné de l'apparition de mouvements radicaux désireux d'établir des régimes islamiques. Une série d'attentats perpétrés en 1999 en Ouzbékistan a montré la capacité d'action de ces groupes qui peuvent compter désormais sur l'appui des Talibans au pouvoir en Afghanistan. Il reste cependant à mesurer la portée de cette menace : est-elle en mesure de déstabiliser les autorités de Tachkent et de s'étendre à l'Asie centrale dans son ensemble ?
Pour répondre à cette question, il convient d'abord de rappeler les caractéristiques de l'Islam en Asie centrale, les soutiens dont peuvent bénéficier les mouvements islamistes et, enfin, l'efficacité des moyens mis en oeuvre par les autorités pour conjurer le risque islamiste.
A. UNE TRADITION RELIGIEUSE RÉFRACTAIRE AUX EXTRÉMISMES
Influencé par le soufisme et par une histoire particulière marquée par la politique soviétique, l'Islam a développé en Asie centrale une identité spécifique qui l'avait écarté jusqu'à présent de l'extrémisme religieux.
1. L'influence du soufisme
Le coeur de l'Asie centrale -l'espace qu'occupent aujourd'hui l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et le sud du Kazakhstan- a été islamisé dès le VIIIème siècle à la suite de la conquête de la Transoxiane par la dynastie des Omeyyades (entre 728 et 738). Les populations nomades du nord du Syr-Daria (Kazakhstan et Tadjikistan actuels) ne furent converties que plus tardivement au XVè siècle.
Aujourd'hui, la très grande majorité de la population musulmane se réclame du sunnisme de rite hanéfite . Seuls les Pamiris -quelque 5 % de la population du Tadjikistan- sont des chiites ismaéliens (fidèles de l'Aga Khan).
L'islam d'Asie centrale a été largement structuré par les confréries soufies. Le soufisme met en valeur l'expérience individuelle fondée sur la relation entre le disciple et son maître, seul à même de le guider sur la voie menant à Dieu. L'adepte, admis après une cérémonie d'initiation, vit en étroite association avec son maître et les autres disciples jusqu'au jour où, fort de ses connaissances mystiques, il peut à son tour enseigner. Les confréries soufies -notamment la Naqshbandiya (fondée au XIVè siècle près de Boukhara) 5 ( * ) ont été, au cours du siècle, les principaux instruments de la défense de l'Islam contre les envahisseurs (Kara Kitaï boudhistes, Mongols, Chrétiens). Elles ont joué un rôle actif dans la résistance à l'occupation russe et, ensuite, à la politique soviétique (révolte des Basmatchis de 1922 à 1933) .
2. La coexistence d'un clergé officiel et d'un islam parallèle sous l'ère soviétique
Les manifestations de la foi religieuse ont été condamnées au lendemain de la révolution bolchevique. L'accès aux mosquées et aux tombeaux des saints fut interdit. La structure fermée et hiérarchisée des confréries soufies leur a cependant permis de s'adapter à un mode d'action clandestin (réunion dans des salles de prière secrètes...).
Le souci d'apaiser les tensions afin de renforcer la résistance à l'ennemi, lors de la deuxième guerre mondiale, a conduit à un assouplissement de la politique religieuse et à la promotion d'un clergé officiel sous l'autorité de la Direction spirituelle des Musulmans d'Asie centrale et du Kazakhstan, créée en 1943. Cette structure a ensuite représenté, sous Leonid Brejnev, la « vitrine » de l'Islam officiel destinée à gagner à l'URSS une audience accrue au sein des populations des pays musulmans.
Si elle a refusé de se soumettre aux directives de la doctrine officielle, la religion parallèle n'a pas pour autant été le vecteur d'un mouvement radical ; elle a plutôt joué le rôle d'un conservatoire des traditions ancestrales (maintien des rites de passage comme la circoncision, vénération des saints...).
Islams officiel et parallèle ont coexisté jusqu'à la fin des années 80. Les pouvoirs issus des indépendances, soucieux d'enraciner l'identité des nouvelles républiques dans le fait religieux, a puisé à ces deux sources contribuant ainsi à en estomper leurs différences ; ils ont tout à la fois maintenu la tradition du contrôle étatique sur l'activité religieuse et institutionnalisé l'islam parallèle : ainsi, en Ouzbékistan, la loi de 1993, sur les mahalla (quartiers) a reconnu le pouvoir des « anciens » souvent identifiés en fait aux mollahs « parallèles ».
B. LA RÉALITÉ D'UNE MENACE ISLAMIQUE
1. L'émergence de mouvements radicaux
Les indépendances se sont traduites par la reconnaissance de la liberté religieuse propice à l'expression de mouvements radicaux souvent apparus à la faveur de l'action de missionnaires venus du Pakistan et d'Arabie saoudite. Ces mouvements généralement rattachés au wahhabisme -terme utilisé pour désigner les courants intégristes sunnites-préconisent le retour à un islam pur, indifférent aux particularismes locaux. Ils dénoncent certaines traditions comme les rites funéraires ou les pèlerinages sur les tombeaux des saints locaux au coeur de la spiritualité soufie.
Ces organisations ont trouvé leur base dans la vallée de Ferghana située au carrefour de trois pays -l'Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan-. Leur action a rapidement revêtu un caractère politique à travers une opposition sans concession au pouvoir en place à Tachkent.
La contestation s'est cristallisée principalement autour de deux mouvements :
- l' organisation Taouba , apparue en 1992, militait pour l'instauration d'une république islamique ; son action reposait sur l'instruction religieuse des jeunes, les publications, l'organisation de sociétés de bienfaisance en faveur des plus démunis ;
- le groupe Adolat (« Justice »), s'est constitué à la fin des années 80 dans la région de Namangan (où il comptait quelque 12 000 militants) avant de s'étendre aux régions de Ferghana et de Tachkent ; s'il s'est d'abord voulu un mouvement moral (restauration de l'ordre public et de la justice), la logique de son action l'a bientôt conduit à contester le pouvoir (substitution de tribunaux islamiques aux tribunaux étatiques, pillage des entreprises d'Etat et distribution des marchandises à la population...).
Soumis à une forte répression à partir de 1992, ces groupes ont pu non seulement se maintenir mais aussi développer leur action grâce aux soutiens extérieurs .
2. Une capacité d'action permise grâce aux soutiens extérieurs
Ils ont d'abord pu trouver une base de repli au Tadjikistan, tirant parti de la guerre civile qui a déchiré ce pays entre décembre 1992 et juin 1997. Cette guerre, rappelons-le, a d'abord été un conflit entre factions régionalistes -en décembre 1992, la coalition islamo-démocrate (regroupant les Gharmis et les Pamiris) a perdu le pouvoir au profit des Kouliabis, néo-communistes soutenus par Moscou. Dès lors, les territoires contrôlés par l'opposition tadjike (région de Gharm et de Djirgatal) sont devenus un sanctuaire pour les organisations ouzbèkes qui ont pu reconstituer leurs forces et créer le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) qui comprend un centre politique mais aussi une branche « militaire » (quelque 4 000 hommes) sous le commandement de Jouma Namangani .
Ouzbeks et opposants tadjiks ont également utilisé pour base arrière l'Afghanistan, acquis à leur intérêt après la prise du pouvoir par les Talibans en 1996. Ce mouvement s'est encore accentué avec la fin de la guerre civile au Tadjikistan.
La direction politique du MIO -assurée par Tomir Yoldosh- se trouve aujourd'hui en Afghanistan. Par ailleurs, le mouvement disposerait aussi, selon certaines sources, d'un camp d'entraînement dans ce pays, à proximité de la frontière avec l'Ouzbékistan. Le MIO semble également avoir noué en Afghanistan des liens avec des réseaux islamiques de solidarité dotés de ramifications internationales .
Les soutiens dont le MIO peut bénéficier au Tadjikistan et, aujourd'hui, principalement en Afghanistan, lui ont permis de renforcer sa capacité d'action et de mener des opérations en Ouzbékistan.
Ainsi, depuis 1997, les actes de violence se sont multipliés :
- en décembre 1997, assassinats de policiers dans la ville de Namangan ;
- le 16 février 1999, série d'attentats à Tachkent, dont l'un visait le Chef de l'Etat. Bien que non revendiquées, ces opérations furent attribuées par les autorités aux milieux islamiques, qui firent l'objet de mesures sévères (plusieurs centaines d'arrestations ; fuite au Tadjikistan d'un millier de personnes originaires de la vallée du Ferghana ; condamnation en juin 2000 de 22 personnes -dont 6 à la peine capitale- soupçonnées d'être à l'origine des attentats ;
- d'août à octobre 1999, le Kirghizistan a connu des incursions des combattants ouzbeks de Namangani, devenus indésirables au Tadjikistan pour la bonne marche du processus de paix (accord sur la démilitarisation des formations de l'opposition) ; l'objectif du MIO semble avoir été de constituer un nouveau sanctuaire, soit dans une zone montagneuse du sud du Kirghizistan proche du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan (district de Batken), soit dans l'enclave de Sokh, territoire peuplé de Tadjiks mais rattaché à l'Ouzbékistan lors des découpages territoriaux des années 20. La crise s'est conclue en octobre 1999 à l'issue de négociations avec les autorités kirghizes par le retrait des rebelles au Tadjikistan ;
- du 15 au 23 novembre 1999 des combats ont opposé, près de la ville d'Angren (région de Tachkent) les forces gouvernementales à un commando issu de l'unité de Namangani qui se serait infiltré en Ouzbékistan depuis le Kirghizistan ;
- au mois d'août 2000, les incursions des groupes islamistes ont repris, en particulier dans les zones frontalières avec le Tadjikistan et le Turkménistan.
Les mouvements islamistes sont donc aujourd'hui en mesure d'intervenir en Ouzbékistan. Sont-ils cependant en mesure de remettre en cause le pouvoir en place, voire la stabilité de la région ? La réponse à cette question dépend, pour une large part, de la politique conduite par l'Ouzbékistan.
C. EFFICACITÉ ET LIMITES D'UNE POLITIQUE DÉFENSIVE
1. Un encadrement plus rigoureux de la pratique religieuse
Au lendemain de leur indépendance, les Etats se sont réappropriés leur héritage religieux. Les chefs d'Etat (sauf au Tadjikistan et au Kirghizistan) ont d'ailleurs prêté serment sur le Coran. En outre, les républiques ont toutes adhéré à l'Organisation de la Conférence islamique. Parallèlement, des législations libérales ont été adoptées. Ce nouveau contexte a favorisé la construction, essentiellement sur fonds privés, de nombreuses mosquées, l'augmentation du nombre d'étudiants dans les écoles religieuses (les medersas) et des fidèles effectuant le pèlerinage à La Mecque.
Face au nouvel élan de la pratique religieuse et au développement de mouvements radicaux, les gouvernements ont cependant progressivement cherché à renforcer leur contrôle sur l'Islam. Ils se sont notamment appuyés sur l'institution d'un « comité des affaires religieuses » placé sous l'autorité du gouvernement et chargé de contrôler le clergé.
Cette évolution a été particulièrement marquée en Ouzbékistan, pays le plus touché par le développement des courants islamistes. Après 1993, le renforcement de la politique des visas a permis de limiter l'entrée de prédicateurs étrangers. Par ailleurs la législation sur la liberté religieuse a été durcie. Les nominations des mollahs des grandes mosquées -celles où est prononcé le prêche- sont placées sous le contrôle des autorités. Cette politique a porté ses fruits : l'Etat bénéficie du soutien de la hiérarchie religieuse ; en 1999, le mufti, la plus haute autorité religieuse du pays, a d'ailleurs condamné le mouvement islamique d'Ouzbékistan.
Par ailleurs, comme l'a souligné devant notre délégation, M. Minovarov, vice-président du Comité d'Etat pour les affaires religieuses, l'Ouzbékistan a dû revenir en 1998 sur la loi libérale adoptée au lendemain de l'indépendance. Un établissement religieux pouvait être créé à l'initiative de cinq personnes seulement, dont la demande devait être déposée au ministère de la justice. M. Minovarov a, du reste, reconnu les mérites de cette politique d'ouverture après une longue époque d'hostilité vis-à-vis de la religion : accès à la formation religieuse, traduction du coran pour la première fois en langue ouzbèke... Cependant, il a estimé aussi que ce cadre législatif avait été mis à profit par des missionnaires étrangers -pakistanais notamment- dont l'enseignement avait fait le lit des mouvements radicaux actuels. Il a insisté en particulier sur le risque d'une « fracture » entre une jeunesse encline à suivre les préceptes venus de l'extérieur et les anciens attachés aux principes traditionnels.
Aussi une nouvelle loi adoptée en 1998 a-t-elle relevé à 100 personnes le seuil nécessaire à la demande de création d'un établissement religieux. En outre, la formation religieuse doit désormais se faire sous la seule responsabilité des parents ou des écoles contrôlées par les mollahs désignés sous l'autorité de l'Etat. Parallèlement, les autorités ont mené une politique sans concession à l'égard des mouvements radicaux.
2. Les facteurs de risque pour l'avenir
Si l'audience des mouvements islamistes apparaît aujourd'hui contenue, il serait toutefois très imprudent d'en conclure à l'absence de risque lié au fait islamique. Plusieurs éléments doivent en effet retenir l'attention :
- le groupe armé du MIO n'a pas été anéanti ; depuis sa base afghane, il peut toujours mener des incursions en territoire ouzbek ;
- un autre parti est récemment apparu en Asie centrale, le parti de la Libération ; il se réclame d'un mouvement fondé en 1953 dont l'une des branches se trouve à Londres ; ce mouvement milite pour la restauration du califat -aboli par Atatürk en 1924- et prône un islam radical. Le vice-président du comité d'Etat pour les affaires religieuses nous a indiqué qu'il représentait aujourd'hui un sujet de préoccupation majeur : en effet, son audience s'accroît auprès des jeunes et son organisation très déconcentrée -des cellules sans lien direct les unes avec les autres, comprenant chacune une dizaine de personnes- la protège contre les opérations de démantèlement policières ;
- par ailleurs, les minorités ouzbèkes dans les zones frontalières des pays voisins de l'Ouzbékistan échappent à l'empire des autorités de Tachkent et pourraient constituer un relais à l'influence du MIO avec le risque d'une déstabilisation régionale ;
- le développement du trafic de drogue , moyen de financement des mouvements islamistes, constitue également une menace indirecte à l'échelle de la région ;
- l'absence de réforme politique d'envergure et la politique de répression peuvent radicaliser la frange de l'opinion publique hostile au pouvoir en place, même si les autorités ont récemment montré certains signes d'ouverture : aucune condamnation à mort n'a été prononcée à l'encontre des accusés présents lors du dernier procès d'islamistes tenu à l'automne dernier ; les délégués du CICR ont pu avoir accès aux prisons ouzbèkes...
- enfin la dégradation des conditions de vie depuis la dissolution de l'URSS, conjuguée à une démographie très dynamique, peut faire le lit des mouvement radicaux. En effet, la jeunesse menacée par le chômage, privée des fruits d'une croissance trop inégalement répartie, constitue le vivier potentiel de l'islamisme.
*
La véritable menace à laquelle les Etats d'Asie centrale se trouvent confrontés, réside sans doute, dans l'immédiat, dans l'extension de la pauvreté . Il apparaît donc indispensable de mieux discerner les perspectives de développement économique de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan.
III. L'ÉCONOMIE : DES PERSPECTIVES ENCOURAGEANTES TEMPÉRÉES PAR LE RISQUE D'AGGRAVATION DES INÉGALITÉS
L'Ouzbékistan et le Kazakhstan devraient pouvoir surmonter les contraintes liées à l'enclavement et à l'héritage de la centralisation soviétique. Ils disposent en effet des bases nécessaires à leur développement économique ; les politiques économiques conduites selon des voies différentes dans les deux pays, ont commencé de porter leurs fruits même si le risque d'une aggravation des inégalités n'a pas été encore conjuré.
A. UN REDRESSEMENT ÉCONOMIQUE INCONTESTABLE
1. Un potentiel limité par l'enclavement des territoires
. Les atouts
Les deux pays présentent, à des titres différents, de réels atouts.
L' Ouzbékistan compte 24,6 millions d'habitants, soit le marché le plus vaste d'Asie centrale. Ce pays dispose aussi de ressources non négligeables :
- il se range au quatrième rang des producteurs de coton et au deuxième rang des exportateurs (l' « or blanc » lui procure encore près de 40 % de recettes en devises) ;
- il possède de riches terres agricoles grâce au loess de la vallée de Ferghana, des régions de Tachkent et de Samarcande et du sud du pays, et possède ainsi les bases nécessaires au développement du secteur agroalimentaire ;
- il compte enfin des ressources minières : l' or -dont il est le 7 e producteur, l'uranium -4 e exportateur- et une large gamme de minerais rares. Il est cependant moins doté en hydrocarbures que ses voisins (production de 8 milliards de tonnes par an), mais ses réserves de gaz (4 046 milliards de m 3 ) le classent au 9 e rang mondial.
Le Kazakhstan , de loin le pays le plus vaste de la région, détient plus de 20 % des terres arables de la CEI. Le sous-sol apparaît d'une grande richesse : 30 % des réserves mondiales d'uranium ; la présence de métaux rares tels que le rhénium utilisé pour les pièces de motorisation dans l'aéronautique... Surtout, il dispose de réserves pétrolières importantes sur les quelles le présent rapport reviendra.
. Les contraintes
Ces pays supportent également plusieurs contraintes. La première est liée à l' enclavement . Aucune des républiques d'Asie centrale n'a accès à une mer libre et leurs débouchés sont donc placés sous le contrôle des pays voisins.
Par ailleurs, si l'Asie centrale a bénéficié des importants travaux d'infrastructure entrepris à l'époque soviétique, elle souffre aussi des maux légués par une économie excessivement administrée et centralisée. Chaque pays s'est trouvé spécialisé dans un type d'activité particulier. Cette division du travail à l'échelle des républiques, s'est accompagnée d'une forte dépendance à l'égard de Moscou . Ainsi, à l'époque soviétique, le Kazakhstan était approvisionné en gaz et en pétrole par la Sibérie russe, tandis que les réserves du Kazakhstan, considérables à l'ouest du pays, fournissaient une partie de la Sibérie occidentale ; ce réseau de dépendances correspondait plus souvent à une logique politique qu'à la rationalité économique. La perpétuation de ce système reposait d'ailleurs sur un système de subventions très généreuses. Ainsi, les kolkhoziens des campagnes ouzbèkes pouvaient prendre l'avion à un prix dérisoire pour vendre les produits de leur exploitation sur le marché de Moscou.
La spécialisation des économies a, par ailleurs, conduit au recours de méthodes de productions intensives , souvent désastreuses pour l'environnement. En Ouzbékistan, la quasi-monoculture du coton a suscité l'emploi abusif d'engrais et une irrigation mal maîtrisée ; l'appauvrissement des sols qui en a résulté, explique aujourd'hui, malgré quelques bonnes récoltes, la baisse à moyen terme des rendements.
Enfin, les pratiques d'une économie administrée, la constitution d'une nomenklatura soucieuse d'assurer son contrôle sur les circuits économiques, sont autant de facteurs qui peuvent encore expliquer certaines des déconvenues présentes.
2. Des politiques économiques différenciées
Confrontés au choc de l'indépendance, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan se sont engagés dans un difficile processus de reconstruction de leur économie, le premier privilégiant l'ouverture sur l'extérieur et les réformes de structure, le second, une adaptation plus graduelle. Par des voies différentes, ils sont pa rvenus à redresser leur économie.
. Le Kazakhstan : un processus heurté de reconstruction économique
Le Kazakhstan, plus encore que son voisin, a subi de plein fouet l'éclatement de l'URSS. Il a dû faire face à l'impératif de reconversion du complexe militaro-industriel , dont il avait été doté. Les combinats manquaient tout à la fois de marchés solvables et de fournitures -qu'ils auraient du reste été incapables de payer à la Russie. Le PNB a ainsi chuté de moitié entre 1994 et 1996 par rapport aux meilleures années de l'époque soviétique.
Ce marasme a conduit les autorités d'Almaty à chercher à promouvoir une politique de réformes , avec l'aide du FMI (accord signé en 1995). Elles ont ainsi obtenu une stabilisation macroéconomique, compromise cependant par les conséquences des crises asiatiques et russes de 1998 (au lieu d'une croissance attendue de 3 % en 1998, le PIB s'est contracté de 2,5 %).
Toutefois, dès la fin de l'année 1999, le Kazakhstan a renoué avec la croissance (1,7 %). Ce redressement est lié à plusieurs facteurs : l'augmentation de la production agricole (plus de 29 % par rapport à 1998) et des revenus pétroliers en raison de la hausse des cours mondiaux ; la dévaluation du tengue (avril 1999) conjuguée à une politique budgétaire rigoureuse ; la réouverture des marchés asiatiques et russes.
La croissance s'est élevée à 9,5 % en 2000, soit le plus fort taux des pays de la CEI et pourrait conserver un rythme satisfaisant en 2001 -entre 3 et 5 %- selon les prévisions du début de cette année. Cette évolution n'a pas entraîné un dérapage du niveau des prix (l'inflation est passée de 18 % en 1999 à 9,8 % en 2000 ; elle ne dépasserait pas 6 % en 2001). Elle s'est accompagnée d'un assainissement des finances publiques : le budget 2000 s'est soldé par un excédent de 0,1 % du PIB selon les autorités kazakhes. Le budget pour 2001 prévoit un déficit de 2,2 % du PIB. Le pétrole et le gaz représentent plus de 25 % des recettes budgétaires . Selon le FMI, l'absence de transparence des revenus pétroliers -compte tenu de la confidentialité des accords de partage de la production signés avec les sociétés pétrolières étrangères- aurait favorisé une sous-estimation du potentiel de taxation des profits exceptionnels enregistrés par ce secteur.
Par ailleurs, les comptes extérieurs se sont redressés (après un déficit de 1 % du PIB en 1999, la balance des paiements a connu en 2000 un excédent représentant 7 % du PIB) : l'excédent commercial est passé de 344 millions de dollars en 1999 à 1,6 milliard de dollars en 2000 ; les flux des investissements étrangers se son élevés à 1,6 milliard de dollars en 1999 et 1,8 milliard de dollars en 2000, soit 40 % de la totalité des flux en direction de la CEI (2 eme rang derrière la Russie). L'attrait des investisseurs pour le Kazakhstan est lié aux perspectives ouvertes par l'offshore caspien. En outre, depuis 1997, le cadre législatif des investissements a été amélioré.
Les réserves en devises (2,3 milliards de dollars en février 2000) représentent trois mois d'importations. Par ailleurs, la monnaie nationale reste stable.
Le Kazakhstan a pu faire face sans difficulté à son endettement, d'ailleurs modéré (11,8 milliards de dollars pour la dette extérieure totale, mais 3,9 milliards de dollars, soit 25 % du PIB, pour la part qui revient à la dette publique ou garantie par le gouvernement).
Les réformes se poursuivent : modernisation du secteur bancaire (mise en place d'un fonds de garantie des dépôts qui devrait être étendu dans un délai de trois ans à l'ensemble des banques), entrée en vigueur de la loi sur le secret bancaire... -ces différentes évolutions ont contribué à redonner confiance dans le secteur bancaire et entraîné une augmentation des dépôts ; poursuite du processus de privatisations (la part du secteur privé représente aujourd'hui plus de la moitié du PIB).
La confiance des opérateurs a naturellement été encore renforcée par la découverte du gisement de Kashagan en 2000, ainsi que l'achèvement de l'oléoduc reliant le gisement de Tenguiz à Novorossisk sur la mer Noire en 2001.
Dans ce contexte très favorable, le Kazakhstan a effectué un retour réussi sur les marchés financiers internationaux. Il a été le premier pays de la CEI à procéder dès avant avril 2000 à une émission d'euro-obligations souveraines pour un montant de 350 millions de dollars. En mai 2000, le Kazakhstan remboursait la totalité de sa dette au FMI, soit 390 millions de dollars. Cette initiative ne lui permettait pas seulement d'économiser 70 millions de dollars, elle marquait aussi sa capacité à s'affranchir d'une dépendance trop étroite vis-à-vis des institutions financières internationales.
. L'Ouzbékistan : le choix de la stabilité
Pays essentiellement agricole et faiblement industrialisé lors de son indépendance, l'Ouzbékistan a connu une reconversion moins difficile que ses voisins et retrouvé à la fin de la décennie un revenu national proche de celui de 1991.
Dès l'indépendance, le Président Karimov a privilégié une stratégie de réforme graduelle afin d'atteindre l'autosuffisance et de valoriser les ressources naturelles (or, coton). Le Premier ministre, M. Soultanov, est d'ailleurs revenu devant notre délégation sur le principe du « gradualisme » dont le but, a-t-il souligné, était d'assurer en premier lieu la stabilité politique et sociale du pays. S'il a d'abord bénéficié du soutien du FMI, l'absence de réformes -dans le secteur financier, le système de production et le commerce extérieur- a conduit en novembre 1996 le FMI à suspendre les déboursements de l'accord stand by.
Le pays n'en a pas moins maintenu le cap qu'il s'était fixé. La croissance a dépassé 4 % sur la période 1998-1999, avant que le contrecoup d'un grave sécheresse sur la récolte de coton, n'entraîne un ralentissement de l'activité en 2000.
La politique conduite par les autorités peut se prévaloir de plusieurs résultats positifs :
- L'indépendance énergétique a été atteinte en 1997, notamment grâce à la mise en service de la raffinerie de Boukhara, construite par le groupe français Technip, et à l'achèvement à la fin 2000 d'un complexe gazier et chimique à Schurtan -sur la base d'un contrat signé en février 2000 par un consortium réunissant le groupe suédo-suisse ABB et trois compagnies japonaises ; l'autosuffisance alimentaire -autre objectif majeur poursuivi par le gouvernement ouzbek- rencontre encore des obstacles liés aux aléas climatiques et à l'épuisement des terres. Les surfaces consacrées à la culture des céréales représentent 44 % des terres arables.
- Le maintien des grands équilibres financiers ; le déficit public reste limité à 3 % du PIB ; la balance commerciale enregistre un excédent en raison d'une régulation stricte des importations ; compte tenu du potentiel touristique de la « route de la soie », les exportations de services pourraient s'accroître à terme ; les réserves de change (1 milliard de dollars) représentent 5 mois d'importations ; la dette extérieure garantie s'élève à 4,6 milliards de dollars, soit 60 % du PIB. Depuis l'indépendance, l'Ouzbékistan a toujours honoré ses engagements vis-à-vis de tous ses créanciers.
- La diversification des partenaires commerciaux ; la CEI ne représente plus que 37 % des exportations ouzbèkes (contre 50 % en 1995) et 28,5 % de ses importations (contre 35 % en 1995). La Corée du sud se place au premier rang des fournisseurs hors CEI (grâce notamment à l'implantation d'une usine de construction automobile Daewoo) et représente 17,6 % des parts du marché ouzbek (14,5 % pour l'Allemagne, 10,3 % pour les Etats-Unis). Toutefois, l'Ouzbékistan détient l'un des stocks d'investissements directs étrangers les plus faibles parmi les pays de la CEI (630 millions de dollars) en raison d'un cadre législatif encore insuffisant et, surtout, des règles limitatives d'accès aux devises.
B. LE POIDS DES FRAGILITÉS
Les économies souffrent encore de plusieurs sources de vulnérabilité :
1. Un processus de réforme inachevé
En Ouzbékistan, l'une des principales difficultés réside dans la coexistence de plusieurs taux de change . Depuis 1996 s'étaient établis trois taux de change : le taux officiel fixé de manière discrétionnaire, utilisé notamment comme référence pour les paiements obligatoires liés à des opérations en devises, le taux commercial pratiqué sur le marché interbancaire et en fait contrôlé par l'Etat, le taux parallèle, illégal, en, usage sur le bazar.
Les écarts entre ces trois taux s'étaient amplifiés. Le 1 er mai 2000, le taux officiel a été dévalué de 36 % afin de l'aligner sur le taux commercial, et les licences de convertibilité pour les importateurs ont été accordées sur la base de ce dernier taux dit « libre ». L'écart avec le taux du marché demeure cependant important. Aussi ces mesures ne permettent-elles pas encore d'envisager un passage à la convertibilité qui, selon les propos que nous a tenus le Premier ministre ouzbek, pourrait intervenir au plus tard d'ici deux ans. Dans ces conditions, les relations se sont tendues avec le FMI qui a décidé de suspendre sa représentation à Tachkent.
Par ailleurs, le processus de privatisation connaît certains retards au Kazakhstan, en particulier dans les secteurs de la métallurgie et de l'énergie ; il est à peine engagé pour les principaux groupes industriels en Ouzbékistan.
2. Le risque d'aggravation des inégalités
Le système soviétique assurait aux populations un emploi, l'accès aux services sociaux, ainsi que la quasi-gratuité des biens de première nécessité : l'eau, le gaz, l'électricité, le chauffage, le logement... L'effondrement de l'URSS a créé un véritable choc social . Même si les politiques conduites par les deux pays -et en particulier l'Ouzbékistan- ont permis d'en atténuer les effets sur la population, les conditions de vie se sont dégradées. Les inégalités ont eu tendance à s'aggraver, en particulier hors des grandes villes. Les responsables rencontrés par notre délégation ont d'ailleurs souligné les risques d'instabilité liés à ces phénomènes. Le secrétaire du conseil de sécurité du Kazakhstan, M. Tajine, a ainsi relevé que l'écart au sein de la population, entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, n'avait cessé de se creuser. Les hésitations et les retards dans le processus de privatisation s'expliquent, dans une certaine mesure, par les réticences à faire payer au prix du marché les services publics autrefois dispensés de manière très libérale -notamment l'eau.
Les réseaux de solidarité - les mahalla - réunis à l'échelle du quartier, ont joué un rôle d'amortisseur ; en Ouzbékistan, un décret présidentiel du 13 janvier 1999 a octroyé aux comités du mahalla une autonomie accrue dans le domaine de l'aide sociale et la possibilité de percevoir certaines taxes. Toutefois, ces formes de solidarité, si importantes soient-elles, ne sont pas à la mesure des besoins qui, dans le domaine de l'éducation et de la santé notamment, demeurent insatisfaits.
Le secrétaire du conseil de sécurité du Kazakhstan, M. Tajine, nous a indiqué que face à l'aggravation des inégalités au sein de la population, les pouvoirs publics développaient trois orientations : un effort prioritaire en faveur de l'éducation ; la mise en place du fonds de développement alimenté en particulier par les recettes du secteur pétrolier ; l'organisation d'un programme de soutien social destiné notamment aux familles nombreuses, mais dont M. Tajine a d'ailleurs reconnu lui-même qu'il manquait de moyens.
3. L'économie de la drogue
Même s'il demeure encore marginal, le risque de criminalisation de certains secteurs de l'économie par le développement du trafic de drogue, ne saurait être tenu pour négligeable.
Si la production, mais aussi la transformation de la drogue demeurent concentrées en Afghanistan, malgré les mesures récemment prises par les Talibans, les circuits de trafic empruntent désormais moins les territoires désormais mieux surveillés du Pakistan et de l'Iran que ceux des républiques d'Asie centrale dont les frontières présentent une grande vulnérabilité. La guerre civile au Tadjikistan -les perturbations qu'elle a entraînées, les besoins de financement qu'elle a suscités- a également constitué une opportunité pour la mise en place de nouveaux réseaux . Les républiques d'Asie centrale ne sont pas seulement des voies de transit, elles sont aussi devenues des lieux de consommation . Nos interlocuteurs n'ont d'ailleurs pas caché leur préoccupation face à ce phénomène (22 000 toxicomanes sont actuellement recensés en Ouzbékistan).
IV. LES ENJEUX PÉTROLIERS DE LA CASPIENNE
La région de la mer Caspienne -la plus grande étendue d'eau enclavée dans le monde- constitue l'un des plus anciens foyers d'exploitation du pétrole (principalement autour de Bakou dès la fin du XIXe siècle). Jusqu'en 1991, la Caspienne était contrôlée par deux Etats riverains seulement, l'URSS et, pour une portion plus limitée, l'Iran. Les années 90 ont entièrement bouleversé la donne dans la région : l'éclatement de l'Union soviétique a provoqué l'apparition de trois nouveaux Etats riverains (l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan), la réévaluation des réserves, l'arrivée des sociétés pétrolières occidentales et en particulier américaines.
Considérée comme un nouveau Moyen-Orient au début des années 90, la Caspienne a ensuite nourri des commentaires plus prudents, avant que la découverte du gisement de Kashagan, l'an passé, ne soulève de nouveau de grands espoirs. Quelle appréciation peut-on aujourd'hui porter sur les réserves ? Quelles sont leurs conditions d'exploitation ? Autant d'interrogations sur lesquelles notre délégation a pu obtenir certains éclaircissements. L'évacuation du pétrole vers les centres de consommation soulève, par ailleurs, des enjeux financiers, économiques et politiques sur lesquels il importe de revenir.
A. LES RÉSERVES ET LEURS CONDITIONS D'EXPLOITATION
1. Des réserves réévaluées à la hausse
Les réserves prouvées 6 ( * ) de la Caspienne (mer et pays de la région) sont estimées entre 18 et 35 milliards de barils -comparables à celles des Etats-Unis (22 milliards de barils) et de la mer du Nord (17 milliards de barils). Les réserves possibles représenteraient, quant à elles, 235 milliards de barils équivalant au quart des réserves prouvées du Moyen-Orient. Les réserves gazières (300 Tcf), encore plus importantes, se situent au niveau de celles de l'Amérique du Nord.
Le Kazakhstan a exporté en 2000 plus de la moitié des hydrocarbures produits dans la région. Il est aussi le pays d'Asie centrale qui présente les perspectives de développement les plus prometteuses, compte tenu de la découverte du gisement de Kashagan en 2000.
D'après les informations que nous a communiquées le ministre de l'énergie et des matières premières, M. Chkolnik, la production -de l'ordre de 30 millions de tonnes par an- pourrait passer à 70 millions de tonnes en 2006, lorsque le gisement de Kashagan commencera d'être exploité , et à 100 millions de tonnes à l'horizon 2010.
Aujourd'hui 26 ème exportateur mondial de pétrole, le Kazakhstan pourrait passer au 10 ème rang d'ici 2015.
. Les gisements exploités actuellement
La production de pétrole se concentre actuellement dans quatre régions :
- principalement, la région d'Atyrao dans l' on shore caspien, qui compte 75 gisements, avec des réserves exploitables de 15 milliards de barils dont le gisement géant de Tengiz (5 milliards de barils) ;
- en deuxième position, la région de Manguistau, avec 66 gisements et 3 milliards de barils de réserve ;
- la région nord-ouest du Kazakhstan (13 gisements) ; les réserves exploitables (3 milliards de barils) ne sont développées qu'à Karachaganak ;
- la région d'Aktiubinsk (16 gisements), réserves exploitables de 1,5 milliard de barils.
. Le gisement de Kashagan
L'importance du gisement offshore de Kashagan, au large d'Atyraou, a été mise en valeur en 2000, à la suite d'une campagne d'exploitation conduite à partir de 1993 par l' OKIOC (Offshore Kazakhstan International Operating Company), consortium dont le capital était partagé entre neuf grandes compagnies occidentales. Il s'agit sans doute du plus important gisement découvert depuis trente ans. Les réserves se situeraient dans une fourchette comprise entre 5 et 10 milliards de barils.
Dans les années 70, les soviétiques avaient déjà procédé à une reconnaissance sismique du nord de la Caspienne et décelé une structure longue de 80 km et large de 25 km, profonde de 4 000 à 5 000 mètres et recouverte d'une épaisse couche de sel. Aucun forage n'avait alors été entrepris, mais les géologues estimaient déjà que le pétrole était sous très haute pression et contenait trop de soufre. La sismique moderne acquise dans les années 1995 a permis de préciser la géométrie et la taille de la structure de Kashagan, soit quelque 800 km². D'autres structures satellites font également partie du même permis.
L'exploration, comme l'a expliqué le représentant de Total Fina Elf à votre délégation, a rencontré de nombreuses difficultés techniques : la haute pression de l'huile, la teneur en soufre exceptionnellement élevée, la faible profondeur des eaux (de deux à cinq mètres) qui a requis la conception de nouveaux matériels pour le forage, la variation du niveau de la mer selon les années et, enfin, la nécessité de recourir à des brise-glaces spéciaux durant les quatre mois de l'année où la surface est gelée. Ces contraintes pèseront également sur l'exploitation qui pourrait commencer à partir de 2006, même si les autorités kazakhes pressent les compagnies intéressées d'avancer d'une année cette échéance.
2. Les conditions d'exploitation : le prédominance des sociétés occidentales
. Les sociétés intéressées
Les sociétés américaines ont été les premières à s'intéresser à la région, notamment Chevron qui, dès 1988, avait engagé des discussions avec les autorités de la république socialiste soviétique du Kazakhstan pour l'exploitation du gisement de Tengiz . Après les indépendances, un accord conclu en 1992 avec le gouvernement kazakh donnait à Chevron la moitié des parts dans l'exploitation de ce gisement.
Les autres sociétés occidentales ont d'abord participé au développement du champ de Karachaganak dont l'exploitation est assurée par un consortium associant aujourd'hui AGIP et British-Gas et, pour une part plus réduite, TEXACO et LUKOIL (qui s'est substituée à Gazprom).
Par ailleurs, l' OKIOC réunit aujourd'hui exclusivement des sociétés occidentales. Ce consortium qui a assuré, de 1993 à 1996, la campagne sismique dans la Caspienne au cours de laquelle a été reconnue la plus grande partie de la Caspienne côté kazakh, s'est vu confier l'exploration du permis nord-caspienne sur laquelle se trouve la découverte de Kashagan. En septembre 1998, l'Etat kazakhstanais a vendu sa part (1/7 ème ) au japonais Impex, filiale de Mitsui, et à l'américain Phillips Petroleum. Aujourd'hui, le consortium réunit Agip (14,29 %), Exxon Mobil (Etats-Unis - 14,29 %) ; Shell (Royaume-Uni - Pays-Bas - 14,29 %), Total Fina Elf (France - 14,29 %), British Gas (Royaume-Uni - 14,29 %), Inpex (Japon - 7,14 %), Phillips Petroleum (Etats-Unis - 7,14 %), BP (Royaume-Uni - 9,5 %), Statoil (Norvège - 4,8 %).
En février 2001, BP annonçait son intention de céder sa part à Total Fina Elf. La société française paraissait bien placée pour être désignée par le consortium comme l' opérateur de l'OKIOC -statut qui confère le rôle de porte-parole du consortium, d'interlocuteur des autorités kazakhes et de donneur d'ordres techniques. Toutefois, la rivalité entre Total Fina Elf, Exxon Mobil et Shell a finalement bénéficié à Agip, désigné comme opérateur.
Par ailleurs, la reprise des parts de Statoil et de BP par Total Fina Elf reste également subordonnée à l'exercice par les autres membres du consortium de leur droit de préemption (au prorata de leurs propres parts). La compagnie s'intéresse à d'autres gisements au Kazakhsta.
La Chine est intervenue dans la région à partir de 1997. Dans la région de Manguistaou, l'appel d'offre concernant les droits d'exploitation du gisement de Uzen a été emporté en 1997 par la compagnie pétrolière nationale chinoise (CPNC). La CNPC contrôle deux autres gisements importants dans la région d'Aktiubinsk.
Singulièrement, la Russie n'occupe qu'une place marginale dans l'exploitation du pétrole kazakh. Cette situation a d'ailleurs été regrettée par certains des investisseurs occidentaux que nous avons rencontrés, qui estiment préférable d'impliquer Moscou dans l'exploitation plutôt que de l'en tenir écartée, au risque de susciter certaines frustrations, facteur d'instabilité.
. Le statut de la Caspienne
L'exploitation du pétrole de la Caspienne peut rencontrer certaines difficultés de caractère juridique liées à l'absence de consensus des Etats riverains sur leurs droits respectifs dans la Caspienne. Un petit historique reste nécessaire pour comprendre les contentieux actuels.
En 1921, le nouveau pouvoir bolchevique a abrogé les anciens traités « inégaux » signés par la Russie avec la Perse : ce pays obtint la liberté de navigation sur toute la mer et le droit à une marine nationale. Toutefois, en 1935, la navigation iranienne fut de fait cantonnée au sud d'une ligne tracée entre Astara, sur la frontière azerbaïdjanaise, et Esenguly, sur la frontière turkmène. En 1940, un nouveau traité conféra à chacune des deux nations une zone exclusive de pêche de 10 kilomètres. Il ne mentionnait pas davantage que celui de 1921 la souveraineté du sous-sol marin. A compter de 1971, le ministère soviétique de l'énergie procéda à une séparation des fonds marins entre les différentes républiques soviétiques, dont une seule alors, l'Azerbaïdjan, possédait du pétrole en mer.
En 1992, après la dissolution de l'URSS, les Iraniens s'accordèrent avec les Russes sur le principe d'organiser l'exploitation dans le cadre d'une joint-venture multinationale. L'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, soucieux de conserver les droits exclusifs pour l'exploitation des gisements dans leurs secteurs nationaux, refusèrent cette formule. Le Turkménistan se montra plus hésitant.
Depuis lors, les positions ont quelque peu évolué, même si aucun consensus n'a pu être obtenu.
La Russie, le Kazakhstan et, depuis janvier 2001, l'Azerbaïdjan se sont entendus sur trois principes : sous-sol partagé par ligne médiane comme dans un lac (avec la possibilité de modification sous réserve d'un accord mutuel), colonne d'eau commune, bande côtière de 10 km pour l'usage exclusif des bateaux de pêche des pays riverains.
Toutefois, la Russie et le Kazakhstan discutent encore des conditions de mise en oeuvre des travaux d'exploration.
Dans la mesure, cependant, où, sur la base de la ligne médiane, l'Iran n'étendrait sa souveraineté que sur 13 % de la Caspienne, il prône une division égalitaire (20 % de la surface maritime pour chacun des pays). L'Iran a obtenu de la Russie (déclaration commune Khatami-Poutine) qu'aucune délimitation ne soit arrêtée sans un accord à cinq.
La conclusion d'un accord sur la Caspienne reste problématique compte tenu notamment des divergences entre le Turkménistan et l'Azerbaïdjan sur le partage des fonds.
. L'utilisation des ressources procurées par le pétrole
D'ores et déjà l'exploitation du seul gisement de Tengiz, d'après les éléments communiqués par le ministre kazakh de l'énergie, aura produit des revenus pétroliers de l'ordre de 870 millions de dollars en 2000.
Pour faire face à l'afflux exceptionnel de ressources tirées du secteur pétrolier, les autorités kazakhes ont décidé de créer un fonds pétrolier . Celui-ci sera d'abord alimenté par le versement prochain d'un montant de 660 millions de dollars provenant du produit de la privatisation récente de 5,5 % du gisement de Tengiz au profit de la société Chevron.
Inspiré de l'expérience norvégienne, ce fonds poursuivra un triple objectif : stabiliser les réserves provenant du secteur pétrolier en cas de variation des cours du brut ; contribuer au financement d'infrastructures, notamment dans le domaine social ; capitaliser les revenus du pétrole pour les générations futures.
Les fonds pourraient être placés sur les marchés de capitaux internationaux.
Le ministre des finances du Kazakhstan, M. Essenbaev, a indiqué à notre délégation que ce fonds pourrait réunir, à l'horizon 2002, 1 milliard de dollars.
Le FMI estime pour sa part que, sans remettre en cause la confidentialité des accords séparés passés avec les compagnies pétrolières (qui peuvent prévoir des conditions différentes selon les investisseurs), l'absence de transparence des revenus pétroliers ne permet pas d'évaluer les principaux indicateurs en matière de balance des paiements, d'investissements directs étrangers et de recettes budgétaires. Toutes les incertitudes liées à l'utilisation de la rente pétrolière ne sont donc pas encore réglées.
Le ministre des finances nous a cependant fait part de l'effort actuellement entrepris par son pays pour améliorer le dispositif législatif en matière de transparence financière.
B. LES CONDITIONS D'ÉVACUATION DU PÉTROLE
Les conditions d'évacuation du pétrole de la Caspienne sont au coeur des rivalités entre les puissances -grandes et régionales- qui s'intéressent à l'Asie centrale. Les enjeux soulevés par l'acheminement du pétrole impliquent non seulement les Etats de la région mais aussi de nombreux acteurs, pour plusieurs raisons :
- géographiques : compte tenu de l'enclavement de la région, les oléoducs doivent passer au minimum par un autre Etat ;
- financiers : les investissements requis dépassent de loin les moyens des Etats producteurs ;
- économiques , en raison des perspectives d'accroissement considérables de la production pétrolière au Kazakhstan ;
- stratégiques , dans la mesure où la maîtrise des voies d'acheminement permettra de peser tout à la fois sur les centres de production et sur leurs débouchés.
. La voie russe
La Russie exerce aujourd'hui un quasi-monopole sur l'évacuation du pétrole de la Caspienne. Elle a cherché à maintenir sa position privilégiée en menant à bien la construction d'un nouvel oléoduc entre le gisement de Tenguiz et le port russe de Novorossisk sur la mer Noire. Le CPC (Caspian Pipeline Consortium) a été inauguré le 26 mars dernier et le brut sera chargé sur les tankers à partir de juin 2001. Son tracé (1 500 km) permet de contourner les zones troublées du Caucase. Sa capacité initiale de 28 millions de tonnes par an pourrait être portée progressivement à 67 millions de tonnes.
. La voie transcaspienne
Les Etats-Unis soutiennent très activement un projet d'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (port turc de la Méditerranée) -projet dit MEP (Great Means Export Pipeline) . Aux yeux des Etats-Unis, cette voie permettrait de répondre à trois séries d'objectifs :
- réduire la dépendance des pays producteurs vis-à-vis de la Russie et mettre en réseau les riverains (Turkménistan, Kazakhstan) favorisant ainsi les solidarités transversales ;
- limiter l'attrait d'autres voies concurrentes , en particulier par l'acheminement par l'Iran ;
- répondre aux préoccupations de l'allié turc , par le renforcement de la sécurité d'approvisionnement de ce pays dont la consommation tend à croître et par l'allégement de la charge d'un trafic saturé dans le Bosphore.
Le projet américain s'inscrit ainsi dans une vision stratégique soucieuse de contenir le rôle de la Russie et de l'Iran et de promouvoir la place de la Turquie. Il rencontre, cependant, plusieurs objections de caractère économique : les conduits existants permettent aujourd'hui d'acheminer le pétrole disponible à l'exportation ; les prix demandés par la Russie satisfont désormais les pays d'Asie centrale.
Les compagnies américaines ont d'ailleurs marqué leurs distances par rapport à la position défendue par leur gouvernement. Ainsi, le vice-président de Chevron a déclaré en mai 2000 : « Ce sont les réalités commerciales et non les impératifs des perceptions géopolitiques qui doivent déterminer la construction de Bakou-Ceyhan ».
La nouvelle administration américaine semble, toutefois, continuer d'accorder son soutien à ce projet, en mettant cependant désormais l'accent sur les arguments commerciaux (l'ampleur des gisements requiert une diversification des voies d'évacuation).
Une première étude d'ingénierie (26 millions de dollars) devait être ainsi achevée en avril prochain. Une seconde étape pourrait être lancée prochainement -une étude échelonnée sur 12 mois, soit une enveloppe de 120 millions de dollars- avant la décision définitive de construction. BP, maître d'oeuvre délégué pour ce chantier, s'est montré très confiant dans l'avenir de ce projet -la construction du tronçon reliant les gisements du Kazakhstan à Bakou n'inspire pas le même optimisme : les investisseurs paraissent tabler davantage sur le développement, après 2005, des flottes de pétroliers pour transporter les chargements d'une rive à l'autre. La construction du pipeline (1 730 km) pourrait débuter en 2002 et durer 32 mois (capacité prévue de 45 millions de tonnes par an).
. La voie sud
La voie iranienne, la plus courte, apparaît sans doute la plus rationnelle du point de vue économique. Elle reposerait, en effet, sur la construction d'un oléoduc entre le nord de la Caspienne et les raffineries du nord de l'Iran -aujourd'hui alimentées par le pétrole produit dans le Golfe qui, dès lors, pourrait être directement acheminé vers les marchés porteurs de l'Asie. Un communiqué final de la visite du Président Nazarbaev en Iran les 5 et 6 octobre 2000, indiquait l'attachement des deux pays à la multiplicité des voies d'évacuation et rappelait que l'option iranienne apparaissait la plus pratique. Cette option se heurte cependant à l'opposition de Washington et aux sanctions (interdiction de tout investissement supérieur à 20 millions de dollars en Iran). Un infléchissement de la politique américaine ne peut évidemment être exclu pour l'avenir. Total Fina Elf, présent en Iran et au Kazakhstan, a manifesté son intérêt pour cette voie sud.
. La voie orientale
Un oléoduc pourrait relier la Caspienne et le Sin-Kiang, voire se prolonger jusqu'à Pékin.
Le coût en est évidemment très élevé compte tenu de l'immensité des distances. Cependant, la Chine constitue un débouché considérable pour le pétrole de la Caspienne. Ces perspectives ont d'ores et déjà justifié la signature d'une série d'accords entre Pékin et Astana 7 ( * ) et suscité également l'intérêt des investisseurs, notamment japonais.
V. L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL : LA RECHERCHE D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE
Utilisant l'expression qui désignait la rivalité entre les empires britannique et russe au XIXe siècle en Asie centrale, certains évoquent aujourd'hui le retour du « grand jeu » dans la région à propos des luttes d'influence auxquelles se livrent la Russie et les Etats-Unis.
Ce raccourci historique ne tient pas compte de l'émergence des nouvelles républiques et, singulièrement, du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan comme acteurs autonomes sur la scène internationale .
Indépendance et souveraineté auront été deux maîtres mots de nos interlocuteurs à Tachkent et Astana. Ces priorités n'inclinent pas, pour l'heure, les autorités des deux pays à privilégier une coopération régionale dont l'intérêt ne manquera pas cependant, à terme, de s'imposer. Le souci d'indépendance n'a pas conduit toutefois ces pays à ignorer leur vulnérabilité : conscients de leurs faiblesses, mais attachés à la défense de leur souveraineté, ils cherchent à bâtir un nouvel équilibre avec les puissances -grandes et moyennes- qu'intéresse cette région.
A. LE PRIMAT ACCORDÉ À LA CONSTRUCTION DE L'INDÉPENDANCE SUR LA COOPÉRATION RÉGIONALE
1. Les instruments de souveraineté : la mise en place progressive d'une politique de défense autonome
L'Ouzbékistan et le Kazakhstan ont su se doter d'un instrument militaire autonome ; l'un et l'autre ont entrepris une large restructuration du dispositif hérité de l'époque soviétique ; toutefois, le premier a pu s'affirmer comme la principale puissance militaire en Asie centrale, tandis que le second demeure encore, pour une part, tributaire du soutien de la Russie.
. Le Kazakhstan : l'alliance russe
La politique de défense du Kazakhstan est marquée par deux traits principaux : le maintien de liens privilégiés avec Moscou qui apparaît comme le meilleur garant des frontières d'un territoire immense ; la mise en oeuvre d'une réforme de l'appareil de défense sur le long terme.
Après son accession à l'indépendance, le Kazakhstan s'était d'abord déclaré partisan de forces armées unies constituées dans le cadre de la Communauté des Etats indépendants (CEI), avant de se résoudre, devant l'échec de cette entreprise, à fonder un système de défense national. Il a toutefois préservé des relations étroites avec la Russie dans le cadre de la CEI (adhésion au traité de sécurité collective conclu le 15 mai 1992) mais aussi d'accords bilatéraux où l'expression « intégration militaire » apparaît fréquemment. Ces liens ont certainement facilité le transfert -achevé en avril 1995- vers la Russie, de tout l'armement nucléaire stationné sur le territoire kazakh. En mars 1994, le Kazakhstan avait renoncé à son statut nucléaire. La base d'essais nucléaires de Semipalatinsk a été désaffectée et un centre chargé du « contrôle écologique » y a été mis en place comme nous l'a indiqué le vice-ministre de la défense, M. Posperov.
Ce pays a toutefois manifesté un certain souci de diversification de ses partenaires dans le domaine de la défense en se tournant vers la Chine et l'occident.
Les forces armées kazakhes ont été créées le 9 mai 1992 sur la base des unités de la quarantième armée soviétique installée sur le territoire du Kazakhstan. Composées de 34 000 hommes environ, elles se répartissent entre les forces à vocation générale (20000 hommes équipés -hors matériels stockés- de 1 300 chars de combat, 15 000 véhicules blindés de combat et 1 000 pièces d'artillerie), les forces aériennes (7 000 hommes dotés de 350 avions de combat et de 4 régiments d'hélicoptères) et les unités de défense antiaérienne (7 000 hommes).
Depuis 1998, les forces armées sont engagées, à l'initiative du Président Nazarbaev, dans une profonde réforme qui s'échelonnera jusqu'en 2030 :
- de 1998 à 2005, mise en place d'un nouveau cadre légal, professionnalisation progressive et, parallèlement, jusqu'en 2003, restructuration des forces armées et mise en place de quatre régions militaires ;
- de 2006 à 2015, modernisation des équipements ;
- de 2016 à 2030, optimisation des structures.
Les moyens budgétaires (1 % du PIB, soit 200 millions de dollars en 2001), jusqu'à présent, n'apparaissent toutefois pas à la mesure des besoins requis par cette réforme, et ne permettent pas, du moins à court terme, comme l'a d'ailleurs admis devant nous le vice-ministre de la défense, d'envisager le passage à une armée de métier.
. L'Ouzbékistan : première puissance militaire de l'Asie centrale
L'environnement immédiat de l'Ouzbékistan, caractérisé par la relative instabilité des régions voisines (Afghanistan et Tadjikistan) et la présence de mouvements islamistes, explique sans doute la priorité accordée par ce pays à sa politique de défense.
La politique de défense ouzbèke fait apparaître trois grands axes : « nationalisation » des personnels, réduction des effectifs et réorganisation du système de défense.
- la nationalisation des personnels
L'Ouzbékistan a créé dès 1994 une académie militaire , la première de ce type en Asie centrale, ; il a également demandé aux pays occidentaux, principalement aux Etats-Unis, un appui à la formation des cadres. Ces initiatives ont porté leurs fruits : de 1992 à 1996, la part de personnels d'ethnie ouzbèke est passée de 6 % du corps des officiers à 80 %.
- la réduction des effectifs
Le plan d'évolution des effectifs a conduit à une réduction de 15 000 personnes entre 1999 et 2000. Les forces comptent aujourd'hui 50 000 hommes répartis entre les forces armées terrestres (30 000 hommes dotés de 355 chars, 594 véhicules de combat blindés, 600 pièces d'artillerie), les forces aériennes (12 650 hommes dotés de 150 avions et d'une centaine d'hélicoptères) et les forces de défense aérienne (5 500 hommes)
- la réorganisation du système de défense
Face à la montée des tensions dans la région, l'Ouzbékistan a décidé de réorganiser son outil de défense : meilleure répartition des unités sur le territoire, professionnalisation, affranchissement progressif de la dépendance stratégique et matérielle vis-à-vis de Moscou. Ainsi, en 1999, cinq régions militaires ont été substituées aux trois corps d'armée. Cette organisation doit permettre de mieux coordonner les différentes unités chargées de la sécurité, de les responsabiliser en dotant les nouvelles structures de compétences jusque-là centralisées à Tachkent. Il convient de noter que le ministère de la défense a été confié, pour la première fois, en octobre 2000, à une personnalité civile , M. Goulamov, qui s'est également vu attribuer le commandement des forces du ministère de l'intérieur et des gardes-frontières, réforme sans précédent dans un pays de la CEI.
Sans doute l'accent doit-il être porté aujourd'hui sur les moyens financiers (le budget comprend deux volets : le premier, en monnaie non convertible, finance des achats sur le marché local, le second, en devises, est affecté aux achats ponctuels d'armement ; la majeure partie des achats d'équipement d'origine étrangère est toutefois réalisée sur des fonds réservés non budgétaires. Par ailleurs, comme l'a d'ailleurs souligné le ministre de la défense devant notre délégation, l'armée demeure dépendante de la Russie pour la maintenance et, dans une large mesure, pour le renouvellement de ses matériels. Enfin, l'effort de formation des cadres doit se poursuivre ; ce domaine ouvre d'ailleurs un vaste champ de coopération avec les pays extérieurs à la zone.
2. La nécessaire mais difficile mise en place d'une coopération régionale
Le souci d'indépendance que manifeste la mise en place d'instruments militaires autonomes a pu induire également une logique de différenciation des républiques d'Asie centrale les unes par rapport aux autres. Aussi bien, la dynamique actuelle marquée par l'affirmation de souverainetés, voire les rivalités interétatiques, ne paraît pas propice à une coopération régionale pourtant indispensable.
Si les sujets d'intérêt commun ne manquent pas, deux mériteraient plus particulièrement une approche commune : dans le domaine de la sécurité, la question afghane, dans celui de l'économie, la gestion de l'eau.
. La question afghane
Comme l'ont confirmé les plus hauts responsables politiques rencontrés par notre délégation, la situation de l'Afghanistan est au coeur des préoccupations du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. Les incursions des mouvements islamistes depuis le territoire afghan, le développement du trafic de drogue et d'armes représentent en effet autant de facteurs d'instabilité à l'échelle de la région dans son ensemble. Les deux pays ont cependant adopté des positions différentes vis-à-vis de l'Afghanistan ; Astana n'a pas souhaité se désolidariser de la position intransigeante défendue par Moscou. Le ministre des affaires étrangères du Kazakhstan, M. Idrissov, nous a rappelé par ailleurs que le Président Nazarbaev avait demandé une réunion spéciale du Conseil de sécurité sur le problème afghan.
Tachkent promeut, pour sa part, une vision plus pragmatique , jugée mieux à même de lui permettre d'atteindre son objectif prioritaire -éviter que l'Afghanistan ne soit une base de subversion et un foyer de soutien aux rebelles ouzbeks. D'une part, l'Ouzbékistan appuie la recherche d'une solution négociée dans le cadre du « groupe 6 + 2 » 8 ( * ) ; d'autre part, il a manifesté la volonté de préserver les chances d'un dialogue avec les responsables talibans et les dirigeants pakistanais (visite du général Musharaf à Tachkent en décembre 2000, suivie d'un déplacement à Islamabad du ministre ouzbek des affaires étrangères). Le ministre des affaires étrangères, M. Komilov, nous a confirmé le souci de l'Ouzbékistan de maintenir des contacts avec les Talibans sans reconnaître cependant leur régime.
La question afghane nourrit certaines tensions entre l'Ouzbékistan et le Tadjikistan : malgré la présence de quelque 20 000 gardes-frontières russes chargés d'assurer la surveillance de la frontière tadjike, il semble en effet que les militants islamistes basés en Afghanistan empruntent souvent le territoire du Tadjikistan pour mener leurs incursions en Ouzbékistan. L'efficacité des contrôles exercés par les Russes a souvent été mise en cause ; selon le ministre de la défense ouzbek, ces difficultés ne sont pas imputables aux Russes -responsables d'une partie seulement de la frontière- mais à l'intégration d'anciens opposants islamistes tadjikes au sein des gardes-frontières à la suite des accords qui ont mis fin à la guerre civile. Interrogé par notre délégation sur les perspectives d'évolution de la situation en Afghanistan, M. Goulamov, a estimé que le principal responsable de la résistance aux Talibans, le commandant Massoud, ne serait pas vaincu. Il a noté la montée des divisions au sein de l'ethnie pashtoun sur laquelle s'appuyaient les Talibans et jugé que le pouvoir de Kaboul se maintenait grâce aux seuls appuis extérieurs.
. La gestion de l'eau
Les mauvaises conditions de gestion de l'eau à l'époque soviétique ont conduit à une catastrophe écologique majeure dans la « mer » d'Aral.
Considérée jusque dans les années soixante comme le quatrième plus grand lac du monde, fournissant chaque année quelque 40 000 tonnes de poisson, celle-ci a, depuis lors, perdu la moitié de sa surface, près de 20 mètres de sa profondeur et les trois quarts de son volume . Au début des années 50, près de 60 milliards de mètres cubes d'eau arrivaient dans la mer d'Aral contre 7 milliards aujourd'hui. Cette évolution présente des conséquences économique et humaine catastrophiques : la désertification des zones humides attenantes et le triplement du taux de salinité de l'eau ont pratiquement fait disparaître toute activité agricole et halieutique dans la zone, tandis que l'érosion éolienne, liée aux modifications climatiques, entraînait bien au-delà les dépôts salins chargés de pesticides. La situation sanitaire des populations demeurées dans cette région apparaît très préoccupante : le taux de mortalité infantile y est l'un des plus élevé du monde.
Cette situation résulte d'une planification soviétique qui a toujours davantage privilégié les critères quantitatifs aux dépens des aspects qualitatifs. Ainsi les objectifs de production agricole assignés à l'Asie centrale ont nécessité un système d'irrigation dont la mise en place a conduit à l'épuisement progressif des affluents des deux grands fleuves, le Syr-Daria et l'Amou Daria, qui alimentaient la mer d'Aral par le nord et par le sud.
Si les cinq pays de la région ont tenté d'enrayer ce sinistre en instituant, en 1993, un Fonds international pour la réhabilitation de l'Aral alimenté par des aides étrangères encore modestes, ils n'ont toujours pas accompagné cet effort d'une gestion plus rationnelle des eaux. L'Amou Daria, dont 29 % des eaux sont prélevées par le Turkménistan, a désormais cessé d'atteindre la mer. L'eau, loin d'être un facteur de coopération, apparaît plutôt comme un ferment de division.
Les nouvelles républiques ont en effet parfois la tentation d'utiliser cette ressource comme un moyen de pression sur leurs voisins. A titre d'exemple, les livraisons de charbon fourni par le Kazakhstan au Kirghizistan au cours de l'hiver 2000 n'ayant pas été honorées, Bichkek a réduit l'été suivant ses fournitures d'eau et d'énergie hydroélectrique à son voisin qui a répliqué en faisant obstacle au trafic routier... De même, l'Ouzbékistan qui suspend régulièrement ses livraisons de gaz au Kirghizistan, faute de remboursements, a été privé d'eau par mesure de rétorsion. Le Premier ministre ouzbek, M. Soultanov, a reproché au Kirghizistan, lors de l'audience qu'il nous a accordée, de faire de ses ressources en eau un produit marchand contrairement aux principes du droit international.
Une coopération apparaît d'autant plus indispensable que l'on observe aujourd'hui des indices inquiétants d'évolution climatique tels que la fonte de réserves glaciaires.
. Les enceintes de coopération régionale
La Communauté économique centre-asiatique (CECA) et le forum de Shanghaï constituent aujourd'hui les principales enceintes de coopération régionale.
- La communauté économique centre asiatique
La CECA, qui a été créée en 1994, réunit l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, avec pour objectif « l'approfondissement de l'intégration économique ». Cet objectif supposait notamment une réduction des droits de douane (mais non la mise en place d'un tarif extérieur commun). Le bilan de cette organisation apparaît encore modeste. Lors du dernier sommet de la CECA, en janvier 2001, le président Karimov a observé que plus de 250 documents signés au cours des dernières années n'avaient pas encore reçu un début d'application. Par ailleurs, la part du commerce régional entre les quatre pays membres s'est plutôt réduite : elle est passée de 14 % du total des échanges, en 1994, à 13 % quatre ans plus tard. Un infléchissement de ces tendances n'a pas encore été observé. Toutefois devant notre délégation, le ministre des finances du Kazakhstan, M. Essenbaev, s'est montré confiant dans l'avenir de cette coopération et dans la mise en place en particulier d'un système douanier commun.
En octobre 2000, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, la Russie et la Biélorussie ont décidé de former une Union économique eurasiatique afin de favoriser l'intégration économique.
- Le forum de Shanghai
Cette enceinte, créée en 1996, qui rassemble la Chine et les quatre Etats frontaliers issus de l'ex-URSS (Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan) constitue actuellement le cadre le plus actif de coopération régionale. L'Ouzbékistan auquel était reconnu le statut d'observateur depuis 1998 intégrera le groupe comme membre à part entière en juin 2001.
Destiné d'abord à favoriser le règlement des conflits frontaliers, le forum a développé récemment une coopération dans les domaines politique, économique et de sécurité. Ce groupe a conservé un caractère informel. Son efficacité lui vient de la participation des deux grandes puissances de la région -la Chine et la Russie.
Aujourd'hui, les intérêts des pays d'Asie centrale apparaissent trop divergents, leurs options -diplomatiques, économiques- trop diverses, leurs ambitions trop souvent concurrentes pour favoriser une coopération régionale. Le secrétaire du conseil de sécurité du Kazakhstan s'est montré prudent sur les perspectives d'intégration régionale du fait de la disparité des régimes économiques et sociaux. L'objectif minimal -nous a-t-il affirmé- est de maintenir des relations pacifiques. A moyen terme, cependant, un rapprochement s'imposera sans doute, compte tenu de l'importance des sujets de préoccupation communs. La nouvelle diplomatie russe pourrait d'ailleurs constituer un vecteur des solidarités régionales.
B. LE JEU DES PUISSANCES AUJOURD'HUI COMMANDÉ DANS UNE LARGE MESURE PAR LES INTÉRÊTS DES ETATS D'ASIE CENTRALE
L'éclatement de l'Union soviétique en 1991 avait suscité en Asie centrale un vide stratégique mis à profit par les Etats-Unis pour favoriser leur pénétration dans une région dont ils étaient jusqu'alors absents. Cette évolution rencontre aujourd'hui ses limites car la Russie qui demeure le premier partenaire des nouvelles républiques, tente aujourd'hui de regagner, par des voies différentes, l'influence que lui disputait Washington. Ce rééquilibrage, il importe de le souligner, ne résulte pas d'une évolution du rapport de force entre les deux grandes puissances -comme c'était précisément le cas au XIXe siècle. Il semble obéir avant tout aux intérêts propres des Etats de la région . Telle est sans doute l'un des principaux changements introduits par les indépendances.
1. Le « retour » de la Russie
La Russie n'a jamais cessé d'être présente en Asie centrale. Evoquer un « retour » de ce pays dans la région peut donc paraître excessif. Il n'en reste pas moins que son influence avait été battue en brèche après l'éclatement de l'Union soviétique par la combinaison de plusieurs facteurs : la volonté d'émancipation des nouveaux Etats, les ambitions des autres puissances au premier rang desquelles les Etats-Unis et... ses propres faiblesses. L'arrivée au pouvoir du Président Poutine marque la volonté de porter un coup d'arrêt à ce déclin et de regagner les positions perdues, non pas à la façon d'un ancien empire nostalgique de sa puissance, mais sur un mode pragmatique qui tienne mieux compte des aspirations des Etats d'Asie centrale.
. Une volonté d'émancipation vis-à-vis de la Russie centrale qui se décline différemment selon les Etats d'Asie centrale
La Russie a toujours accordé une grande importance stratégique à l'Asie centrale en raison, notamment, de son rôle de zone tampon par rapport au monde islamique, des intérêts liés à la richesse des ressources de la région, et enfin d'une forte présence humaine russe principalement au Kazakhstan. Il était donc logique que pour Moscou, les nouvelles républiques entrent dans la catégorie particulière de « l'étranger proche ». La création, le 8 décembre 1991, de la Communauté des Etats indépendants devait permettre de fonder l'intégration de l'espace qui formait l'ancienne Union soviétique sur de nouvelles bases.
Les Russes visaient en particulier à préserver un système de solidarité militaire avec la conclusion du Pacte de sécurité collective en mai 1992 et à conserver des relations économiques privilégiées à travers la formation en septembre 1993 d'une union économique.
Cependant ces efforts ont connu une portée limitée.
Ainsi, sur les 886 documents signés par les chefs d'Etat et de gouvernement de la CEI, seuls 130 ont été effectivement mis en oeuvre. Sur le plan économique, le commerce intracommunautaire a sensiblement diminué : dès 1997, il ne représentait plus que 27 % des importations totales et 40 % des exportations.
La responsabilité de cette situation incombe en fait pour une part à la Russie souvent plus soucieuse de préserver ses intérêts que de « transformer les dépendances économiques existantes en rapports cohérents mutuellement avantageux et donc durables » 9 ( * ) . Mais elle s'explique aussi de manière déterminante par la volonté d'émancipation des pays d'Asie centrale. Cette préoccupation se décline cependant de manière différente selon les républiques. Schématiquement, trois groupes peuvent être distingués :
- le Tadjikistan demeure dans l'orbite de la Russie qui y entretient des forces ainsi que des gardes-frontières sous commandement russe ;
- l' Ouzbékistan et le Turkménistan (qui a choisi un statut de neutralité et s'oriente, de fait, vers un isolement accru par rapport à l'extérieur) ont pris leurs distances vis-à-vis de la Russie sans manifester cependant une volonté de rupture ;
- le Kazakhstan et le Kirghizistan ont conservé des liens très privilégiés qui ménagent cependant leur souveraineté ;
Les positions différentes de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan sont inspirées par des contraintes d'ordre différent .
La Russie s'impose comme un « partenaire stratégique » pour le Kazakhstan compte tenu d'une frontière commune de 7 500 km, de la présence d'une importante minorité russe (35 % de la population) et de l'étroite dépendance qu'entraînent aujourd'hui les conditions d'évacuation des hydrocarbures.
Le Kazakhstan s'est cependant montré soucieux d'éviter l'emprise directe de son grand voisin : il a privilégié un cadre multilatéral de coopération avec la CEI afin d'éviter un face-à-face trop inégal. S'il a toujours recherché des solutions négociées aux difficultés bilatérales, il n'en a pas moins refusé de transiger sur ses intérêts, qu'il s'agisse des contreparties apportées au maintien de la base spatiale russe de Baïkonour 10 ( * ) ou encore du statut de la Caspienne. En outre, le Kazakhstan, on le sait, a résolument conduit sa politique linguistique et la nationalisation de l'administration aux dépens, souvent, des intérêts immédiats de la communauté russe.
L' Ouzbékistan , quant à lui, n'était pas soumis aux mêmes contraintes. Sa volonté d'indépendance s'est d'abord traduite sur le plan économique ; ainsi, alors qu'avant l'indépendance, l'Ouzbékistan était la république la plus intégrée de l'Union soviétique, la part des échanges avec la CEI au sein de son commerce extérieur s'est progressivement réduite : 60 % en 1993, 40 % en 1995, 28 % en 1999. Dans le domaine de la défense, l'Ouzbékistan a toujours refusé le stationnement de troupes russes sur son territoire. En février 1999, il s'est retiré du système de sécurité collective de la CEI -traité de Tachkent de 1992- et choisi de privilégier le seul cadre bilatéral (traité de coopération conclu en décembre 1999). Par ailleurs, il a adhéré, le 24 avril de la même année, au groupe GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) dont l'objectif explicite est d'éviter tout retour à l'hégémonie russe.
. Le resserrement des liens avec la Russie
Depuis un an, la politique russe en Asie centrale a pris un cours nouveau ; cet infléchissement inspiré par le Président Poutine, porte moins sur les objectifs que sur les méthodes. Conscient de l'importance du soutien que peuvent apporter les pays de la CEI pour redonner à la Russie son rang sur la scène internationale, M. Poutine a compris que cet appui ne pouvait être imposé. La diplomatie russe dans la région tient donc mieux compte des aspirations des nouvelles républiques, tant sur le plan politique qu'économique.
Dans le domaine politique , Moscou met en avant une perception commune de la menace islamique considérée comme une véritable internationale dont le noyau se trouverait en Afghanistan et les ramifications s'étendraient à l'Asie centrale et au Caucase. Ce thème rencontre un écho particulier dans les pays de la région dans un contexte marqué par une certaine désillusion vis-à-vis des partenaires occidentaux. Les nouvelles républiques ont pris conscience que la Russie, seule pouvait efficacement contribuer à leur sécurité, sinon la garantir. Dans le même temps, les déconvenues russes en Tchétchénie ont levé certaines réticences vis-à-vis d'un rapprochement avec Moscou : elles ont montré les limites d'une puissance militaire en mesure, certes, de fournir une aide utile, mais non de menacer la souveraineté des Etats. L'appui de la Russie est d'autant plus apprécié que Moscou n'intervient pas dans la situation intérieure de ces pays (contrairement à la situation dans le sud Caucase) et ne fait pas des droits de l'homme une question de principe.
L'évolution de l'Ouzbékistan est particulièrement significative à cet égard. Ce pays, le plus directement confronté à la menace islamique et soucieux jusqu'alors de manifester sa distance à l'égard de Moscou s'est montré réceptif à la nouvelle politique russe. Il est d'ailleurs révélateur que le président Poutine ait réservé à Tachkent sa première visite à l'étranger, en mai 2000. A cette occasion, le chef de l'Etat, M. Karimov, reconnaissait que lors de la Conférence de l'OSCE à Istanbul en 2000, aucun pays occidental ne s'était montré disposé à protéger la sécurité de l'Ouzbékistan - « les Occidentaux ont donné des conseils pour faire avancer la démocratie mais n'ont pas voulu comprendre la situation de l'Ouzbékistan ».
Le ministre ouzbek de la défense, M. Goulamov, nous a d'ailleurs indiqué que l'équipement de l'armée de son pays -principalement constitué de matériels d'origine soviétique- ne laissait guère d'autres choix qu'une coopération privilégiée avec Moscou. En revanche, il s'est montré très ferme sur le refus de l'Ouzbékistan d'intégrer un « bloc militaire » : les relations avec les Russes doivent s'inscrire dans un cadre purement bilatéral conforme aux intérêts de l'Ouzbékistan.
L'Ouzbékistan a toutefois accepté de prendre part aux nouvelles initiatives régionales prises par Moscou et dont seul le Turkménistan s'est, pour l'heure, tenu écarté : déclaration sur la coopération antiterroriste et création conjointe d'un centre antiterroriste basé à Moscou dans le cadre de la CEI, projet d'un centre régional de lutte contre le terrorisme qui serait établi à Bichkek dans l'enceinte plus informelle du groupe de Shanghai.
L'orientation plus pragmatique de la politique russe a également connu un prolongement dans le domaine économique .
Moscou apparaît désormais plus sensible au souci manifesté par les républiques d'Asie centrale de fonder les relations sur les principes d'égalité . Ainsi, depuis 1999, les achats de coton ouzbek ont repris et sont payés au prix du marché mondial. De même, en novembre 1999, la Russie a accepté de réduire de moitié ses taxes de transit. Le ministre ouzbek des affaires étrangères nous a d'ailleurs rappelé que Moscou demeurait le premier partenaire commercial de Tachkent et que les deux pays souhaitaient encourager leurs échanges. La Russie tend, de manière générale, à privilégier les opérations de court terme sur les investissements plus longs et plus coûteux (elle n'a pas participé, ainsi, à l'exploitation des gisements de la Caspienne). Cette position, qui permet de ménager les intérêts des élites locales, montre aussi les limites de l'engagement russe.
A l'exception des initiatives prises pour la lutte contre le terrorisme, les relations s'inscrivent aujourd'hui désormais davantage dans un cadre bilatéral dans l'intérêt bien compris des partenaires. A titre d'exemple, la Russie a quitté en août 2000 l'accord de Bichkek -qui dispensait les citoyens de la plupart des pays de la CEI de l'obligation de visas- et renégocie à titre bilatéral la levée de cette obligation avec chacun des Etats membres.
Même si la capacité d'action de la Russie reste obérée par le manque de moyens -particulièrement sensible dans le domaine culturel où Moscou n'a pas réussi à enrayer le déclin de la langue russe -la relance de sa diplomatie dans la région a commencé de porter ses fruits : elle s'est gagné des alliés - l'Ouzbékistan a soutenu la position russe dans le conflit en Tchetchénie ; elle est également parvenue à déstabiliser la ligne de force Est-Ouest qui menaçait de se constituer : le premier sommet du Guam prévu les 6 et 7 mai derniers a été reporté sine die ; enfin, l'ouverture d'un nouvel oléoduc Tenguiz-Novorossisk a confirmé la Russie comme la voie principale d'acheminement des hydrocarbures de la Caspienne.
2. Un repli américain ?
Les Etats-Unis poursuivent dans la région des objectifs de plusieurs ordres : stratégique (tirer parti de l'effacement russe, limiter l'influence de l'Iran, promouvoir le rôle de la Turquie), politique (favoriser la stabilisation de la région, le développement des solidarités transversales, la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme), économique (soutenir le développement des ressources énergétiques).
La stratégie américaine n'a cependant pas fait l'objet d'une mise en oeuvre planifiée ; elle a plutôt donné lieu à des initiatives successives qui dans le domaine politique ont d'abord mis l'accent sur le soutien aux réformes, et ensuite, plutôt sur la sécurité et la coopération militaire. Washington ne s'est pas résolu cependant à apporter des garanties de sécurité. Plutôt que d'un repli américain ou de désillusions, il vaut mieux évoquer une plus juste appréciation de la part tant des Etats-Unis que des pays d'Asie centrale de la portée et des limites de leur coopération respective. Dans le domaine économique, les Etats-Unis et leurs entreprises demeurent très actifs.
. Du soutien aux réformes à la coopération dans le domaine de la sécurité
Au lendemain des indépendances, les Etats-Unis ont considéré que la stabilisation de l'Asie centrale passait par la promotion des réformes politiques et économiques. En octobre 1992, le Congrès a adopté dans le cadre du Freedom Support act les bases d'une coopération destinées à favoriser la transition des nouveaux Etats indépendants vers la démocratie (formation juridique, développement des partis politiques, organisation d'élections libres).
Progressivement, Washington a également pris en compte la sécurité comme facteur de stabilité . Les pays d'Asie centrale ont ainsi pu participer au programme de partenariat pour la paix de l'OTAN , créé en janvier 1994 et organiser des manoeuvres communes de maintien de la paix 11 ( * ) . La coopération s'est également développée dans un cadre bilatéral, en particulier avec l'Ouzbékistan. Washington contribue ainsi activement à la refonte de l'outil de défense ouzbek (octroi d'une assistance de 100 millions de dollars, présence de conseillers). Parallèlement, la dénucléarisation du Kazakhstan, en 1996, a constitué un motif de satisfaction majeur pour les Etats-Unis particulièrement soucieux de confiner l'arsenal nucléaire de l'ancienne Union soviétique à l'intérieur des frontières russes et de limiter tout risque de prolifération.
L'avènement du régime des Talibans en Afghanistan a constitué un nouveau motif de renforcement de la coopération dans le domaine de la sécurité : lors de son déplacement en Asie centrale, en avril 2000, le secrétaire d'Etat américain, Mme Madeleine Albright a ainsi proposé à chacun des Etats visités une enveloppe de 3 millions de dollars d'aide à la sécurité. Cet appui ne va pas jusqu'à la reconnaissance de garanties de sécurité. Il s'accompagne aussi d'observations parfois critiques sur les lenteurs du processus de démocratisation. Les Etats-Unis et les républiques d'Asie centrale savent donc mieux ce qu'ils peuvent attendre les uns des autres.
. Une présence active sur le plan économique
Les Etats-Unis apparaissent comme un acteur économique majeur dans la région. Ils figurent au premier rang des investisseurs au Kazakhstan -avec un stock d'investissements de l'ordre de 3 026 millions de dollars ; les entreprises américaines sont particulièrement présentes dans le secteur des hydrocarbures (Chevron pour le gisement de Tenguiz, Exxon Mobil au sein du consortium Okiok chargé de l'exploitation de l'offshore caspien).
Aujourd'hui, la diplomatie américaine dans la région se jugera à l'aune des perspectives de réalisation de l'oléoduc Bakou-Ceyhan. Ce projet représente la priorité de Washington dans la région davantage on le sait pour des raisons stratégiques qu'économiques. Seul, le report sine die de sa réalisation marquerait un véritable revers pour Washington.
3. Le pragmatisme des puissances régionales
La politique des autres puissances régionales voisines porte désormais le sceau du pragmatisme : la prise en compte des aspirations des pays concernés constitue l'une des conditions indispensables pour exercer une influence.
. La Turquie
L'exemple de la Turquie paraît particulièrement significatif de cette évolution. Dès 1992, ce pays a nourri de grandes ambitions en Asie centrale en s'appuyant sur les liens linguistiques et culturels avec la région. Le « panturquisme » n'avait cependant pas toujours la faveur des intéressés. En tout état de cause, il n'a jamais empêché les nouvelles républiques de faire prévaloir leurs intérêts nationaux. Ainsi le refus de livrer des opposants ouzbeks réfugiés en Turquie a provoqué une certaine tension entre Ankara et Tachkent -aujourd'hui apaisée après la visite du président Sezer en octobre 2000 qui s'est conclue par la signature d'accords de coopération militaire et dans le domaine de la lutte antiterroriste. Interrogé par notre délégation sur les relations entre l'Ouzbékistan et la Turquie, le ministre ouzbek des affaires étrangères a eu ces mots révélateurs : « Nous ne souhaitons pas qu'au grand frère russe succède un autre grand frère... ». Par ailleurs, la Turquie qui réalise, dans le cadre de ses relations commerciales avec le CEI, 90 % de ses échanges avec la Russie et l'Ukraine, n'entend pas disputer à Moscou sa place prépondérante en Asie centrale.
C'est pourquoi, à partir de 1994, la diplomatie turque a adopté une position plus prudente et pragmatique. Son influence s'exerce d'abord principalement dans le domaine économique : les entreprises turques sont très présentes en Asie centrale, en particulier dans certains secteurs tels que la construction. Par ailleurs, Ankara cherche à valoriser auprès de ses partenaires, le choix de son territoire comme voie d'acheminement des hydrocarbures. La coopération culturelle constitue l'autre volet prioritaire de la diplomatie turque dans la région : création d'une agence de coopération pour l'Asie centrale, politique généreuse de bourses - plusieurs milliers de boursiers ouzbeks se forment dans les universités turques chaque année. Au-delà des affinités culturelles, le modèle turc de développement de l'Etat fondé sur la laïcité peut également constituer une référence pour les nouvelles républiques.
. L'Iran
L'Iran conduit en Asie centrale une diplomatie dénuée de toute visée idéologique. Il est vrai qu'il ne peut s'appuyer dans cette région sur aucune minorité chiite influente, même si, par ailleurs, le Tadjikistan compte une majorité de persanophones. Téhéran cherche principalement à rompre l'isolement que lui imposent les Etats-Unis. A cet égard, l'Iran tend à se présenter comme le débouché le plus rationnel pour l'évacuation des ressources énergétiques du bassin caspien. La convergence de vues avec la Russie constitue un atout indéniable pour les autorités iraniennes. Les deux pays se sont d'ailleurs impliqués dans le règlement de la guerre civile au Tadjikistan.
. La Chine
Le rôle, aujourd'hui encore discret de la Chine, sera certainement appelé à se renforcer dans les années à venir. L'influence chinoise prend plusieurs formes :
- politique et sécuritaire : la Chine a d'abord souhaité s'assurer que les séparatistes ouigours ne disposent d'aucun soutien de la part du Kazakhstan (200 000 ouigours) et du Kirghizistan (40 000) ; le règlement des litiges frontaliers hérités de l'époque soviétique représentait de ce point de vue une priorité ; ce fut l'objet du groupe de Shanghaï créé en 1996 qui associe la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Après avoir favorisé une solution aux différends frontaliers, le groupe de Shanghai se consacre désormais principalement à la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière ;
- économique : Pékin a signé depuis 1997 plusieurs accords avec le Kazakhstan de prospection et d'exploitation de gisements de pétrole et souhaité promouvoir le projet de construction d'un oléoduc de 3000 km pour son approvisionnement énergétique.
- démographique : le peuplement du Sin-Kiang, frontalier du Kazakhstan, est encouragé par les autorités de Pékin. L'Asie centrale pourrait, à terme, devenir une zone d'émigration chinoise. Le Kazakhstan, vaste pays de 2,7 millions de km2, habité par seulement 15 millions d'habitants, présente à cet égard une position exposée. On estime d'ores et déjà le nombre de clandestins chinois dans ce pays à un nombre qui oscille entre 250 000 et 300 000 . Le secrétaire du conseil de sécurité du Kazakhstan, M. Tajine, ne nous a d'ailleurs pas caché que l'un des principaux risques indirects auxquels se trouverait confronté son pays dans l'avenir, résidait dans le développement de l'immigration illégale.
. Le rôle marginal de l'Union européenne
Malgré les attentes des pays de la région, soucieux de diversifier leurs partenaires extérieurs, l'Union européenne n'est pas en mesure, aujourd'hui, de jouer un véritable rôle dans cette région. On ne peut qu'être frappé par le contraste évident entre l'ampleur des moyens déployés et la modestie des résultats .
Les accords de partenariat et d'adhésion ont été signés avec l'Ouzbékistan (21 juin 1996) et le Kazakhstan. Ces textes, entrés en vigueur en juillet 1999, prévoient un dialogue politique régulier ainsi que des dispositions de caractère commercial (clause de la nation la plus favorisée). L'Union européenne représente le principal bailleur de ces Etats à travers le programme TACIS (depuis 1991, 103 millions d'euros pour l'Ouzbékistan - 3 ème bénéficiaire après la Russie et l'Ukraine, 94 millions d'euros pour le Kazakhstan) principalement destiné à la restructuration du secteur public et au soutien aux PME, à la réforme de l'administration et aux secteurs sociaux, ainsi qu'au secteur agricole.
L'Union européenne appuie aussi des programmes régionaux :
- le programme TRACECA ( Transport Corridor Europe Caucasus Asia) doté d'un budget de plusieurs centaines de millions d'euros qui a pour objectif la mise en place d'un couloir de transport reliant l'Union européenne à l'Asie centrale en passant par le Caucase et la Caspienne (par routes, voies ferrées, ponts...). Ce programme a surtout jusqu'à présent permis le financement d'études préalables à des investissements ;
- le programme INOGATE, correspondant de TRACECA pour l'évacuation des hydrocarbures.
Pour la période 1998-1999, le Kazakhstan a bénéficié de 24 millions d'euros au titre de ces deux programmes.
Malgré l'importance de ces fonds, nos interlocuteurs se sont accordés sur la faible visibilité des actions conduites.
VI. LA FRANCE EN ASIE CENTRALE : DES ATOUTS INDÉNIABLES QU'IL RESTE À MIEUX METTRE EN VALEUR
Votre délégation n'a pu qu'être frappée au cours de sa mission par le contraste entre les atouts indéniables dont bénéficiait notre pays dans la région et la faiblesse de sa présence politique et économique.
A. UN PARTENARIAT INACHEVÉ
1. Des relations politiques qui doivent gagner en substance
Si les relations bilatérales ont connu au lendemain des indépendances un élan indéniable , elles manquent aujourd'hui de densité.
La France s'était signalée par la rapidité de la reconnaissance diplomatique des différents Etats de la région. Le président kazakh, M. Nazarbaev, s'est rendu à Paris dès 1992 et le président ouzbek, M. Karimov en 1993.
Le président Mitterrand a été l'un des premiers chefs d'Etat à se rendre en Asie centrale (au Kazakhstan en septembre 1993 et en Ouzbékistan en avril 1994).
Par ailleurs, les fondements juridiques d'un dialogue politique régulier et d'une coopération approfondie ont été posés : signature d'un traité de paix, d'entente et de coopération avec le Kazakhstan en septembre 1992, d'un traité d'amitié et de coopération avec l'Ouzbékistan en octobre 1993.
Il existe de part et d'autre une volonté d'approfondir les relations bilatérales, marquées en effet par une réelle convergence de vue en particulier sur les questions liées à la situation internationale et aux risques d'instabilité que présente l'Afghanistan. La France a ainsi été présentée par nos interlocuteurs au Kazakhstan et en Ouzbékistan comme un « partenaire stratégique ». Le président de notre délégation était d'ailleurs porteur d'un message du président Chirac aux chefs d'Etat des deux pays qui rappelle le souci de notre pays de renforcer encore ces liens.
Cependant, si depuis quelques années les échanges se sont poursuivis avec la visite des personnalités d'Asie centrale en France, ils n'ont pas été marqués par une véritable réciprocité. Depuis 1996, le nombre de visites de ministres français s'est limité à deux en Ouzbékistan (M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, en 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense en 2000) et à une au Kazakhstan (M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur en 2000).
Les plus hauts représentants des deux pays nous ont manifesté leurs espoirs qu'une visite présidentielle française puisse rapidement se concrétiser.
Notre présence diplomatique dans la région pourrait être étoffée. Ainsi nous n'avons de représentation ni au Tadjikistan ni au Kirghizistan où sont accrédités respectivement nos ambassadeurs à Moscou et à Almaty. Il faut bien reconnaître cependant que la charge de travail de nos diplomates ne leur permet pas toujours de surmonter l'éloignement et de suivre la situation de deux pays dont l'évolution importe pourtant beaucoup à la stabilité de la région. Le principe d'une ambassade itinérante , déjà utilisé dans certains pays, pourrait s'avérer à la fois utile et économe sur le plan logistique. Notons que les Allemands disposent d'ambassades dans l'ensemble des républiques et que le Royaume-Uni se dispose à ouvrir une représentation au Kirghizistan.
2. Le renforcement souhaitable de la coopération
Un plus grand nombre de visites ministérielles permettrait sans doute de conforter une coopération bilatérale qui malgré des moyens modestes ouvre des perspectives souvent prometteuses.
. La coopération avec l'Ouzbékistan
La coopération avec l'Ouzbékistan est surtout marquée par le développement récent des relations militaires et les atouts indéniables que possède la France dans le domaine culturel.
La coopération militaire s'appuie sur un accord de coopération en matière de défense signé en décembre 1999 et un arrangement administratif en matière d'armement conclu en juillet 2000 à l'occasion de la visite de M. Alain Richard à Tachkent. Le premier de ces accords a institué une commission mixte de coopération militaire franco-ouzbèke (qui s'est réunie pour la première fois à Tachkent en avril 2000), le second, une commission mixte d'armement dont la première réunion s'est tenue à Paris en janvier 2001.
L'Ouzbékistan considère notre pays comme un « partenaire stratégique » et a sollicité la France en matière de formation et d'équipement. Notre coopération s'est traduite sur le plan institutionnel par un plan de formation d'officiers ouzbeks en France. La France, comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, a récemment attribué une aide matérielle (effets d'habillement) aux armées ouzbèkes. A terme rapproché le principal projet appuyé par la France concerne la modernisation des hélicoptères ouzbeks MI-24.
Le ministre de la défense, M. Goulamov, a insisté auprès de notre dfélégation sur l'intérêt accordé par la partie ouzbèke à la formation des officiers en particulier ceux chargés de l'encadrement des troupes de montagne (il a cité ainsi la nécessité d'une expérience approfondie dans le domaine de la cartographie). La coopération franco-ouzbèke pourrait aussi servir d'appui à la signature de contrats principalement dans le domaine aéronautique.
Par ailleurs, il convient de souligner la volonté de resserrer les liens en matière de police avec la création cette année à Tachkent d'un poste d'attaché de police à vocation régionale.
La politique linguistique et culturelle dispose d'atouts indéniables au premier rang desquels le nombre d'Ouzbeks -quelque 400 000 - qui apprennent notre langue et la présence de 4 000 enseignants de français. Il s'agit là d'un héritage de la période soviétique que les autorités entendent préserver. L'Alliance française est présente à Tachkent et Samarcande. En outre, notre action culturelle bénéficie du rayonnement de l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (créé à Tachkent en 1993 avec une vocation régionale). Il constitue un pôle de recherche et illustre l'intérêt de notre pays pour la culture et la civilisation de l'Asie centrale.
Il convient de regretter dans ce contexte pourtant favorable la modestie des moyens de notre coopération. La baisse de l'enveloppe en 2000 (réduite à 1,2 million de francs) a ainsi conduit à la suppression de trois des quatre postes affectés jusqu'à lors à la coopération culturelle et scientifique.
Les questions institutionnelles ouvrent également un champ propice à la coopération : la constitution ouzbèke est fortement inspirée du texte fondateur de la Vème République. Par ailleurs, le président de l'Olii Majlis a longuement insisté devant votre délégation sur l'intérêt qu'attachait le Parlement ouzbek au développement de la coopération entre nos deux assemblées, en particulier dans la perspective de la création d'une seconde chambre -en principe d'ici la fin de la législature.
. La coopération avec le Kazakhstan
Compte tenu des besoins considérables suscités par l'indépendance et les mouvements de départs des Russes, l'axe prioritaire de la coopération française au Kazakhstan porte sur la formation . En la matière, les domaines concernés présentent une grande variété : administration, justice, économie... L'étendue des besoins, d'une part, la modestie de l'enveloppe budgétaire, d'autre part, contraignent à une grande sélectivité des projets . Parmi ces derniers, la création d'un centre franco-kazakh du pétrole retient plus particulièrement l'attention : il touche en effet un secteur crucial pour l'économie du Kazakhstan, secteur dont le développement entraînera un besoin d'encadrement croissant ; ce domaine pourrait constituer un relais d'influence sur le moyen terme pour notre pays qui dispose en la matière d'un solide savoir-faire ; l'apport de capitaux privés peut permettre, sur un tel projet, de compenser la modicité des ressources publiques.
Notre langue avait également bénéficié au Kazakhstan de la politique d'enseignement soviétique : 25 % des élèves apprenaient alors le français. Quelque 100 000 Kazakhs s'initieraient aujourd'hui à notre langue.
Le renforcement de l'enseignement du français se heurte, malgré la rédaction et l'édition, en coopération avec les autorités locales, de manuels de français pour toutes les classes de l'enseignement secondaire, à un manque évident de moyens humains (un attaché linguistique, trois lecteurs, un coopérant du service national (CSN) pour un pays grand comme cinq fois la France...).
B. UNE PRÉSENCE ÉCONOMIQUE TROP LIMITÉE PAR RAPPORT AUX PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DE LA ZONE
La présence française apparaît bien modeste au regard du dynamisme dont font montre non seulement la Russie, les Etats-Unis, la Turquie ou la Chine, mais aussi certains de nos partenaires européens tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie.
1. La place encore marginale de la France au Kazakhstan
Si les échanges commerciaux avec le Kazakhstan tendent à progresser, nos parts de marché demeurent modestes. En outre, la balance commerciale se traduit par un déficit courant pour la France. Notre pays vend des produits agroalimentaires, des biens de consommation et des biens d'équipement et achète des matières premières et du pétrole. En 2000, les exportations françaises se sont élevées à 1,9 milliard de francs (+ 92 %) et les importations à 3,4 milliards de francs (+ 212 %) en raison notamment du gonflement de la facture pétrolière.
Par ailleurs, avec un stock d'investissements de 115 millions de dollars en 1999, la France se classe au 16 e rang des investisseurs étrangers au Kazakhstan, soit 0,4 % du total des investissements ; la part des Etats-Unis est trente fois supérieure.
Les principaux investissements se concentrent dans le secteur pétrolier, et celui des mines. Le rôle de Total- Fina-Elf au sein du consortium chargé de l'exploitation de l'offshore Caspien a été évoqué plus haut. Dans le secteur minier, la COGEMA a investi depuis mars 2000 dans la construction d'une usine pilote de traitement de minerais d'uranium sur le site de Miyumkum dans le sud du pays (22 millions de dollars sur 2 ans). Par ailleurs, Ciment français (du groupe Italcementi) a pris le contrôle de 65 % de la cimenterie de Chimkent.
Depuis 1998, le Kazakhstan est éligible à la Réserve pays émergents (RPE). Lors de la cinquième commission mixte de coopération économique franco-kazakhe réunie à Astana le 4 octobre 2000, deux protocoles financiers ont été signés sur la base de la RPE :
- un projet de réhabilitation du système d'eau d'Almaty par Vivendi Water (27,4 millions d'euros) ;
- un projet de démercurisation par le BRGM du site pollué de Khimpron à Pavlodar sur l'Irtysh (8,4 millions d'euros).
Ces deux projets connaissent aujourd'hui de réelles difficultés .
Vivendi Water a formé avec le Vodokanal d'Almaty, entreprise municipale de gestion des eaux, une société mixte dont elle possède la majorité des actions et qui doit assurer, conformément à un contrat de gestion délégué, la gestion des eaux d'Almaty pendant 25 ans.
Le financement concessionnel (RPE) a été octroyé au gouvernement kazakh qui doit le rétrocéder à la mairie d'Almaty pour financer la réhabilitation du système. La mise en vigueur du protocole financier franco-kazakh est conditionné à l'obtention d'un cofinancement provenant d'une institution multilatérale -une convention de crédit portant sur 5 millions de dollars a été signée avec la BERD- et à la ratification du protocole par le Parlement kazakh.
Cette ratification rencontre aujourd'hui des résistances qui retardent ainsi l'ensemble du projet. Votre délégation a insisté auprès des autorités et, plus particulièrement, des parlementaires, sur l'importance d'une ratification rapide . Si l'écoute a été attentive, les blocages n'ont pas encore été, à ce jour, surmontés.
De même, le projet du BRGM à Pavolovar est subordonné à une ratification du Parlement, aujourd'hui différée.
L'environnement des affaires reste donc marqué par beaucoup d'incertitudes et n'incite pas toujours nos entreprises à investir.
2. L'Ouzbékistan : un marché dont les potentialités ne peuvent pas être toutes exploitées
L'Ouzbékistan représente pour la France le quatrième débouché commercial au sein de la CEI après la Russie, l'Ukraine et le Turkménistan. Nos parts de marché apparaissent cependant ici encore modestes (2,3 %), loin derrière la Russie qui, malgré le recul enregistré depuis l'indépendance, reste le premier fournisseur du pays avec 14 % des importations, la Corée du Sud (13 %), l'Allemagne (10,7 %), les Etats-Unis (8 %), le Japon et la Turquie (5 %).
Les exportations françaises (477 millions de francs en 2000) portent principalement sur les biens d'équipements professionnels (mécanique, matériel électrique et électronique) et les biens intermédiaires, plutôt que sur les biens de consommation dans la mesure où le gouvernement ouzbek a donné la priorité depuis l'indépendance à une industrialisation rapide du pays ainsi qu'à une diversification des industries.
Les importations françaises -principalement constituées de coton- ont enregistré en 2000 un nouveau recul (417 millions de francs).
L'eau, l'énergie et la défense apparaissent aujourd'hui comme trois des secteurs les plus privilégiés par les investisseurs .
Dans le domaine de l'eau, considéré comme prioritaire par les autorités, les entreprises Degrémont et Sapège ont signé en 1998 un contrat d'assistance technique de 27 millions de francs pour rationaliser la production et la distribution d'eau dans la ville de Samarcande. Ce contrat d'une durée de deux ans, financé sur un prêt concessionnel inscrit au protocole franco-ouzbek de 1998, permet l'installation de gros équipement avec l'appui d'une présence technique française. Ce succès a conduit le groupe Suez-Lyonnaise des eaux à relancer des études de faisabilité sur d'autres villes afin de répondre aux futurs appels d'offre de privatisations ou de contrats d'opération-maintenance.
Dans le secteur énergétique , le groupe Tessag-France a reçu en février 2001 confirmation de l'octroi de la garantie souveraine pour le projet de centrale électrique de Navoïazot en association avec des sociétés japonaises. Alstom négocie pour sa part la construction d'une centrale électrique près de Tachkent.
S'agissant du secteur de la défense , plusieurs projets intéressent aujourd'hui Thales (moyens de télécommunications, modernisation de la défense aérienne), la SAGEM (modernisation des hélicoptères MI 8 et MI 24), la SOFREM (construction d'une cartoucherie).
Au total une cinquantaine d'entreprises sont présentes dans ce pays. Depuis cette année, le pays bénéficie de la Réserve pays émergent pour des projets bénéficiant de cofinancements. A l'occasion de la réunion du comité mixte franco-ouzbek de coopération économique et commerciale en juillet prochain, il serait sans doute opportun que soit signé le premier accord « RPE » (le projet de distribution de l'eau à Namangan, sous la responsabilité de Degremont-Safège, pourrait, à cet égard, retenir toute l'attention).
De nombreux représentants d'entreprises françaises se sont fait l'écho auprès de votre délégation d'un engagement encore trop timoré du ministère français des finances. Le plafond de la politique de crédits français 12 ( * ) , jugé trop faible, limite les projets de nos entreprises qui font valoir que l'Ouzbékistan n'a jamais failli à honorer les échéances de ses remboursements. Certes, les difficultés de l'environnement des affaires peut conduire à une certaine prudence : l'obligation de conversion des recettes en devises a ainsi dissuadé le groupe ACCOR de mener à bien ses projets d'investissements malgré le potentiel touristique des villes de Samarcande, Boukhara et Khiva.
Il n'en reste pas moins vrai que les sociétés occidentales concurrentes paraissent bénéficier d'un soutien plus adapté de leurs Etats respectifs et d'une politique de crédits pragmatique fondée non pas sur un plafond mais sur l'examen au cas par cas des projets. Le cas allemand avec le système Hermès est souvent cité.
Les perspectives de développement économique en Asie centrale justifieraient sans doute une plus grande attention de Bercy à l'égard de cette zone.
CONCLUSION
Dix ans d'indépendance en Asie centrale : cet anniversaire ne doit pas seulement conduire à dresser un premier bilan ; il invite aussi à tourner le regard vers l'avenir. A cet égard, l'analyse de la situation présente au Kazakhstan et en Ouzbékistan conduit à cinq observations.
. Première observation : le processus d'affirmation de la souveraineté des nouvelles républiques apparaît désormais irréversible.
L'histoire et la géographie semblaient vouer la région -« le milieu des Empires »- à demeurer le champ clos des influences et des rivalités extérieures. Les nouvelles républiques ont su se dégager de l'ombre portée des grandes puissances. Certes, de nombreuses contraintes continuent de peser sur les Etats indépendants : l'enclavement d'abord ; le facteur démographique ensuite -il confronte le « vide » relatif que constituent les cinq pays d'Asie centrale (56 millions d'habitants) au « plein » des Etats voisins (Chine : 1,2 milliard d'habitants ; Inde : 1 milliard ; Russie : 148 millions ; Pakistan : 143 millions ; Iran : 72 millions ; Turquie : 83 millions). L'immigration clandestine en provenance de la Chine constitue d'ores et déjà, comme nous l'a confirmé l'un des conseillers du Chef de l'Etat kazakh, un sujet de préoccupation majeur pour le Kazakhstan ; la Russie , enfin, s'impose comme un partenaire obligé pour les échanges économiques comme pour la coopération politique.
L'Ouzbékistan et le Kazakhstan, par des voies différentes qu'expliquent les particularités de leur environnement propre, ont cherché, dans ce cadre imposé à se ménager un espace de liberté . Le « vide stratégique » laissé par l'éclatement de l'Union soviétique a ouvert l'Asie centrale à de nouvelles influences et donné ainsi aux républiques la possibilité de diversifier leurs partenaires .
Cette opportunité les a conduits à privilégier une diplomatie conjuguant prudence -toute rupture avec Moscou a été écartée, même si l'Ouzbékistan, bien davantage que le Kazakhstan, a marqué ses distances vis-à-vis de l'ancienne puissance tutélaire- et ouverture , en particulier vis-à-vis de l'occident. Ces choix leur ont permis de mieux faire valoir leurs intérêts nationaux et leur souci d'indépendance : aujourd'hui, les puissances étrangères sont conscientes que leur influence dans la zone dépend, pour une large part, de la considération accordée aux aspirations propres des républiques d'Asie centrale.
. Deuxième observation : le retour de la Russie.
Moscou, à l'initiative du Président Poutine, paraît désormais consciente de cette nouvelle donne.
La Russie n'a jamais cessé de considérer cette zone comme son « étranger proche » ; mais le meilleur moyen de préserver son influence, voire de regagner les positions perdues, passe non pas par un mode d'action nostalgique de la puissance impériale, fondé sur les rapports de force comme ce fut le cas sous la présidence de Boris Eltsine, mais par une politique pragmatique attentive aux intérêts de nations considérées davantage comme des « partenaires » que des vassaux. Moscou a ainsi mis en avant un réflexe commun de solidarité face à la menace des mouvements extrémistes. De même, la Russie est revenue sur les termes souvent inégaux des transactions commerciales proposées aux pays de la région. Cette politique a porté ses fruits : ainsi les conditions équilibrées proposées pour l'acheminement du pétrole kazakh rendent moins pressante pour Astana la recherche d'autres voies d'évacuation et permettent à la Russie de conserver un instrument d'influence privilégié sur le Kazakhstan.
Les Etats-Unis semblent observer, quant à eux, une prudence accrue vis-à-vis de la région en raison, notamment, des évolutions politiques des régimes.
Il semble toutefois prématuré de conclure à un repli américain. Les objectifs de Washington ne paraissent pas s'être infléchis : contenir le rôle de la Russie et de l'Iran, promouvoir la place de la Turquie.
L'intérêt renouvelé par la nouvelle administration américaine pour la construction de l'oléoduc Bakou-Ceyhan témoigne, à cet égard, d'une véritable continuité . Les intérêts des sociétés américaines autour de la Caspienne, les préoccupations liées aux menaces conjuguées du terrorisme et du trafic de drogue, conduiront Washington à chercher à conserver son influence dans la région.
. Troisième observation : le principal défi intérieur : assurer un développement économique et social équilibré.
La capacité des nouvelles républiques à faire entendre leurs voix propres sur la scène internationale repose, dans une large mesure, sur la mise en place d'un pouvoir et d'institutions stables.
La présidentialisation accrue du pouvoir, observée depuis quelques années, a démenti les espoirs d'une démocratisation rapide, sans doute illusoires, dans des pays dépourvus de toute tradition libérale. Les modèles occidentaux ne sont évidemment pas transposables à court terme à des pays appliqués aujourd'hui à forger les bases de leur identité et à consolider leur indépendance. La mise en place d'un véritable Etat de droit prendra du temps. Nos interlocuteurs à Almaty comme à Tachkent, il faut le souligner, ont reconnu que le processus demeurait inachevé mais qu'ils s'engageaient à le poursuivre. L'ouverture progressive des régimes constitue, sans doute, à terme, le meilleur gage de leur stabilité. La question de la succession des dirigeants actuels ne se pose pas aujourd'hui : les Chefs d'Etat sont jeunes et leur figure de « père de l'indépendance » semble les prémunir contre les aléas d'une alternance.
Le principal sujet de préoccupation dont les responsables politiques ouzbeks et kazakhs nous ont entretenus, porte sur les risques liés aux mouvements extrémistes associés au développement du trafic de drogue . Les actions des groupes islamistes dont la base arrière se trouve en Afghanistan, emportent un risque de déstabilisation régionale. Ces mouvements, même s'ils semblent disposer de relais, en particulier dans la vallée du Ferghana, n'ont encore qu'une audience limitée auprès des populations. Leur influence dépendra, certes, de l'évolution du régime des Talibans qui leur accorde aujourd'hui un appui précieux, mais aussi et peut-être, surtout de la capacité des républiques d'Asie centrale à promouvoir un développement économique et social plus équilibré . Les inégalités se sont accrues au cours de la précédente décennie. Sans doute la prudence des réformes économiques a-t-elle permis, en Ouzbékistan, d'amortir les conséquences liées à la dissolution de l'Union soviétique. Ce pays connaît toutefois la démographie la plus élevée de la région ; la moitié de la population a moins de quinze ans. Or, une jeunesse en proie au chômage et frustrée d'une répartition équilibrée des fruits de la croissance peut se montrer sensible aux sirènes de l'extrémisme.
Le Kazakhstan, quant à lui, sera confronté à la question du partage de la manne pétrolière. Depuis la découverte du gisement de Kashagan dans la Caspienne, il comptera sans doute parmi les premiers pays producteurs. La production, rappelons-le, devrait passer de 30 millions de tonnes aujourd'hui à 70 millions en 2005 et sans doute à 100 millions à l'horizon 2010. La mise en place d'un fonds pétrolier conçu pour mieux gérer cette ressource dans l'intérêt des générations futures soulève encore bien des incertitudes. Les dirigeants kazakhs nous ont paru conscients des enjeux soulevés par les risques inhérents à une prospérité facile : « nous ne souhaitons pas devenir un nouveau Nigeria » nous a-t-il été indiqué.
. Quatrième observation : les intérêts de la France dans la région supposent une présence plus dynamique.
Les atouts dont notre pays dispose dans la région -la présence de 400 000 francophones en Ouzbékistan et de 100 000 au Kazakhstan- ne constituent en rien des acquis ; les années qui viennent risquent d'effacer ce legs de l'époque soviétique si la France n'enraie pas la lente érosion des moyens dévolus à notre coopération.
Notre délégation estime que notre pays ne peut se désintéresser de cette région. Elle présente des perspectives de développement prometteuses. Sa stabilité dans une zone de grande tension constitue le meilleur frein aux mouvements extrémistes, mais aussi aux trafics de drogue -dont l'Europe est la destination finale. En outre, le renforcement de notre présence répondrait aux attentes des deux pays. Densifier le dialogue politique constitue aujourd'hui une priorité : nos ministres devraient se rendre plus régulièrement dans cette région. Il est souhaitable par ailleurs que la formation des élites constitue l'axe prioritaire de notre coopération. Nous répondrons ainsi aux besoins souvent exprimés par nos partenaires tout en nous dotant de relais d'influence durables . Quelques domaines d'action où nous disposons d'une réelle expérience pourraient être privilégiés -en particulier le secteur pétrolier où l'effort public peut être complété par un apport financier privé.
Enfin, le développement de ces pays, sur lesquels il apparaît raisonnable de miser, suscite de nombreux besoins, notamment dans les domaines où la France paraît bien placée (eau, ressources minières, infrastructures...). Les pouvoirs publics pourraient accompagner mieux qu'aujourd'hui l'effort d'investissement de nos entreprises . L'encouragement le plus décisif viendra cependant, n'en doutons pas, des pays eux-mêmes, par la mise en place d'un environnement juridique plus stable, ou encore une pratique des affaires à même de susciter la confiance. A cet égard, le déblocage de certains dossiers au Kazakhstan en particulier, constituerait un signal très appréciable.
L'Ouzbékistan et le Kazakhstan compteront, notre délégation en est convaincue au terme de cette mission, d'un poids croissant dans leur environnement. Ces deux pays aspirent, avec raison, à diversifier leurs partenaires. C'est, à leurs yeux, une nécessité pour échapper aux déterminismes du passé et de la géographie. Il serait dommage que la France ne réponde pas à l'appel de ces voix qui, depuis dix ans, ont su s'affirmer.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu le compte rendu de la présente mission au cours de sa réunion du 10 mai 2001.
A la suite de l'exposé de M. Xavier de Villepin, président, M.André Dulait a, d'abord, constaté une plus grande rigueur dans la pratique religieuse, en particulier en Ouzbékistan. Il a relevé, en outre, que, si les gardes-frontières russes étaient encore présents au Tadjikistan, on pouvait, cependant, s'interroger sur l'efficacité des contrôles qu'ils exerçaient, notamment sur le trafic de stupéfiants. Il a insisté, enfin, sur la présence culturelle française dans cette région, en relevant le rôle majeur joué par l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC). M. Xavier de Villepin, président, a noté, à cet égard, l'importance des travaux universitaires pour mieux comprendre les évolutions récentes dans cette région, et souhaité que les analyses développées au sein de l'IFEAC puissent être mieux connues.
M. Robert Del Picchia a indiqué que les travaux de l'IFEAC pourraient être prochainement disponibles sur Internet. Il a précisé, par ailleurs, que la place de l'enseignement du français en Ouzbékistan constituait un héritage de l'époque soviétique. En outre, il a attiré l'attention sur le risque d'une dégradation des relations entre l'Ouzbékistan et les institutions financières internationales. M. Xavier de Villepin, président , revenant alors sur l'environnement juridique des investissements, s'est fait l'écho de certaines inquiétudes liées aux retards de paiement et à la remise en cause de projets qui avaient, pourtant, reçu l'accord des pouvoirs publics locaux. M. Robert Del Picchia a poursuivi en relevant que l'exploitation des gisements de la Caspienne pouvait offrir des perspectives encore plus prometteuses que celles des réserves de la mer du Nord. Les Russes, a-t-il ajouté, pouvaient maintenir leur contrôle sur les voies d'évacuation du pétrole, en renforçant encore le réseau d'oléoducs. Il a rappelé, enfin, l'intérêt de Total-Fina-Elf pour le projet d'oléoduc Kazakhstan, Turkménistan, Iran.
M. Xavier de Villepin, président , a rappelé qu'au sein de la CEI, les principaux débouchés de l'Iran et de la Turquie ne se trouvaient pas en Asie centrale, mais en Russie. Il a insisté, par ailleurs, sur le choix, fait par l'Ouzbékistan, en faveur de réformes économiques très progressives.
M. Christian de La Malène a souhaité connaître quelle était la direction du ministère des affaires étrangères responsable du suivi des pays d'Asie centrale. M. Xavier de Villepin, président , après avoir observé que cette région relevait, pour les Russes, de l' « étranger proche », et pour les Américains, de la périphérie du Proche-Orient, a indiqué que, pour la diplomatie française, la zone entrait dans le champ d'attribution de la direction d'Europe continentale. Il a insisté sur l'importance de l'approfondissement d'une approche régionale des problèmes qui peuvent se poser en Asie centrale, s'agissant notamment du phénomène islamiste.
M. Hubert Durand-Chastel a précisé, pour sa part, que la place dévolue à la langue française en Ouzbékistan avait pour origine la volonté soviétique de former des cadres à même de pouvoir relayer l'influence de l'URSS en Afrique.
M. André Boyer a noté que le retour de la Russie en Asie centrale avait été facilité par la diffusion de la langue russe, ainsi que par l'importance des flux commerciaux maintenus entre les nouvelles républiques et l'ancienne puissance tutélaire. Il a noté que la pratique religieuse, dans cette région, avait été très affaiblie par la politique menée par les Soviétiques, même si certains foyers de résistance avaient pu subsister, notamment dans la vallée du Fergana. Il a noté, enfin, que l'influence russe, qui s'exerçait aujourd'hui de manière particulièrement habile, pourrait encore progresser dans l'avenir. M. Xavier de Villepin, président, a observé, à cet égard, que, contrairement à certains pronostics, la langue russe n'avait pas été détrônée par l'anglais.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est interrogé sur les conditions pratiques permettant de favoriser l'investissement français dans la région. M. Xavier de Villepin , président, a rappelé les critiques de nos entreprises à l'encontre d'une ouverture insuffisante de la COFACE. Il a évoqué, cependant, les perspectives intéressantes représentées par la fourniture d'équipements militaires. M. Robert Del Picchia a ajouté que le tourisme pouvait également présenter un potentiel de développement intéressant pour nos entreprises.
M. Xavier de Villepin, président , a estimé, enfin, avec M. Robert Del Picchia , que l'Afghanistan constituait, pour la région, un sujet d'inquiétude majeur, et il est revenu, avec M. Jean-Guy Branger , sur la nécessité de renforcer, sous une forme adaptée, notre dispositif diplomatique en Asie centrale.
La commission a alors autorisé la publication de cette communication sous forme de rapport d'information .
ANNEXE I -
LA VIE INSTITUTIONNELLE
A - LE KAZAKHSTAN
1° Le Président
Elu pour sept ans au suffrage universel direct, ses pouvoirs sont étendus :
- il nomme et révoque le Premier ministre, certes après approbation du Parlement, mais a la faculté de congédier les différents ministres ;
- il nomme le Gouverneur de la Banque centrale, le Procureur général, les Présidents de la Cour des comptes et du Conseil constitutionnel ainsi que de celui des Services de sécurité ; il nomme également les Gouverneurs des Oblasts (provinces) et les Maires des grandes villes ;
- il dispose du droit d'initiative législative, soit à titre personnel, soit à travers le gouvernement ; il lui revient de définir la priorité ou l'urgence des lois ; faute de vote parlementaire dans le mois suivant le dépôt de la loi, il a la faculté d'édicter des décrets ayant force légale ;
- le Président peut également proposer des amendements constitutionnels ;
- il peut, de sa propre initiative, se voir confier par le Parlement la totalité des pouvoirs législatifs, à la majorité des 2/3 des Chambres réunies ;
- il dispose d'un pouvoir de veto sur les lois, qui ne peut être contrecarré que par une majorité des 2/3 de chacune des Chambres réunies ;
- il a la faculté de dissoudre le Parlement si ce dernier refuse par deux fois d'entériner le choix de son Premier ministre, mais également en cas de crise « insurmontable » entre les Chambres et l'exécutif, et même de motion de censure ;
- il dispose de pouvoirs d'exceptions ;
- en qualité de chef suprême des armées, il dispose également de larges prérogatives en matière de Défense nationale.
2° Le Parlement
Il est composé de deux chambres :
- le Sénat (dernières élections le 17.09.99) se compose de 48 membres : 32 sont issus de circonscriptions géographiques et élus au suffrage indirect pour 6 ans (amendement d'octobre 1998) ; 16 sont désignés par le Président de la République ; le Sénat est renouvelable par moitié tous les 3 ans ;
- le Majlis , Chambre basse, (dernières élections le 10.10.99) se compose de 77 membres, élus au suffrage direct pour 5 ans (amendement d'octobre 1998) : 67 circonscriptions unimandataires et 10 sièges soumis au scrutin proportionnel sur des listes présentées par des partis politiques enregistrés ;
- le Parlement dispose du droit d'initiative parlementaire mais les projets comportant une incidence budgétaire (diminution des recettes ou augmentation des dépenses) doivent être soumis à l'approbation du Gouvernement ;
- les projets de loi sont étudiés et approuvés par le Majlis à la majorité simple puis transmis au Sénat pour examen : en cas d'approbation, ils sont soumis à la signature du Président de la République ; en cas de rejet, ils sont renvoyés en seconde lecture au Majlis qui doit alors les voter à la majorité des 2/3 avant de les renvoyer au Sénat ;
- en cas de rejet d'un projet de loi par le Parlement, le Gouvernement a la faculté d'engager une procédure de confiance.
Parallèlement, un organe consultatif, l' Assemblée des peuples du Kazakhstan , réunit des « sages » appartenant aux quelque 100 ethnies qui constituent la population du pays.
3° Organisation territoriale
Le Kazakhstan se compose de 14 provinces ou oblasts. Astana, capitale et Almaty, métropole économique, bénéficient d'un statut de province. Les gouverneurs ( akims ) et les maires des principales villes sont désignés par le Président de la République, les responsables de districts ou de municipalités de taille plus modeste sont désignés par les pouvoirs locaux. En principe, l'élection de ces responsables (au suffrage indirect) devrait s'instituer progressivement d'ici 2003. Le Président de la République peut démettre tout akim de ses fonctions.
Les Maslikhats , dont les membres sont élus le même jour que les députés du Majlis (chambre basse) sont des assemblées territoriales qui interviennent dans l'élection de ceux des sénateurs qui ne sont pas désignés par le Président de la République. Les Maslikhats ont la possibilité d'exprimer, à la majorité des 2/3, leur défiance à l'égard de l'akim responsable de leur circonscription.
B - L'OUZBEKISTAN
1° Ordre constitutionnel et juridique
La Constitution adoptée le 8 décembre 1992, inspirée par notre Constitution de 1958, proclame formellement l'attachement aux droits de l'homme, à la justice sociale et à la démocratie, elle garantit les libertés individuelles fondamentales (telles les libertés de déplacement, de pensée et d'expression...).
La Constitution consacre, par ailleurs, les principes d'organisation d'un Etat démocratique : souveraineté populaire, séparation des pouvoirs, pluralisme des opinions, droit de réunion, droit de s'unir en associations syndicales ou en partis politiques, recours au référendum.
2° Répartitions des compétences
Le régime politique de l'Ouzbékistan peut être qualifié de régime présidentiel fort : l'article 89 de la Constitution stipule que le Président de la République est le Chef de l'Etat et du pouvoir exécutif puisqu'il exerce simultanément les fonctions de président du cabinet des ministres (gouvernement), dont il définit les orientations et dirige les activités.
Le Chef de l'Etat, conformément à la Constitution, nomme le Premier ministre, les ministres, le Procureur général et ses cinq substituts, les présidents et membres de la cour constitutionnelle, de la Cour suprême, du tribunal économique suprême, de la Banque centrale... La liste est loin d'être exhaustive puisque le Chef de l'Etat nomme également les juges des tribunaux de région, de district de ville, les « khokims » (préfets) de région et de ville, il nomme encore les commandants des forces armées, les responsables des services de sécurité nationale ...
Le parlement, dont les sessions sont rares (trois ou quatre par an) et courtes (deux à trois jours), adopte les lois et le budget qui lui sont présentés par le gouvernement. Celui-ci et les ministres individuellement sont responsables devant le seul Chef de l'Etat.
3. Organisation territoriale
L'Ouzbékistan est un Etat à caractère unitaire, à ceci près qu'il existe en son sein une république « souveraine » du Karakalpakstan (région détachée du Kazakhstan en 1936 et attribuée à l'Ouzbékistan).
La République est répartie administrativement en douze régions (symbolisées sur le drapeau national par douze étoiles) avec, à leur tête, un « khokim » nommé par le Chef de l'Etat ; le nom du futur titulaire est proposé pour approbation au Conseil régional, aucun refus du choix présidentiel n'a été enregistré à ce jour ; la ville de Tachkent est assimilée à une région, au même titre que la république du Karakalpakstan.
Au niveau intermédiaire, on dénombre 162 arrondissements. Le pays compte 1 322 communes, dont 118 villes.
Les présidents d'arrondissements et maires de villes, à l'exception de celui de Tachkent directement désigné par le Président de la République, sont nommés sur « proposition » des « khokims » des régions dont ils relèvent administrativement.
ANNEXE II -
PROGRAMME DES ENTRETIENS AU KAZAKHSTAN
ET EN
OUZBÉKISTAN
lundi 9 avril - Astana
10 h M. Abdykarimov, président du Sénat
11 h M. Idrissov, ministre des affaires étrangères
12 h M. Tajine, secrétaire du conseil de sécurité
déjeuner offert par le comité des affaires internationales du Sénat
15 h M. Posperov, vice-ministre de la défense
16 h M. Chkolnik, vice-premier ministre, ministre de l'énergie
17 h M. Essenbaev, ministre des finances
18 h M. Kekilbaev, secrétaire d'Etat
19 h réception offerte par le Sénat de la république du Kazakhstan
mardi 10 avril - Almaty
après-midi : visite d'entreprises et d'infrastructures de la région d'Almaty
19 h 30 réception à la Résidence de l'Ambassadeur de France
mercredi 11 avril - Almaty/Tachkent
Almaty
9 h petit déjeuner de travail avec le représentant de Total Fina Elf
10 h réunion de travail avec les services de l'ambassade
Tachkent
15 h réunion de travail à l'ambassade
17 h 30 M. Saïdov, directeur du centre national des droits de l'homme ; M. Minovarov, vice-président du comité d'Etat pour les affaires religieuses
18 h 30 rencontre avec les ambassadeurs de l'Union européenne
19 h réception à la Résidence de l'ambassadeur de France
jeudi 12 avril
10 h entretien avec M. Goulamov, ministre de la défense
11 h 30 entretien avec M. Khalikov, président du parlement
15 h entretien avec M. Komilov, ministre des affaires étrangères
17 h entretien avec M. Soultanov, Premier ministre
18 h 30 dîner officiel offert par le président du parlement
20 h 15 point de presse à la résidence
vendredi 13 avril
19 h 30 dîner à l'Institut Français d'Etudes sur l'Asie centrale
* 1 M. Aymeri de Montesquiou, Asie Centrale : une indépendance inachevée , rapport de l'Assemblée nationale, n° 1851, 1994 ; M. Jean Francois-Poncet et alii. Le grand retour de l'Asie centrale , rapport du Sénat n° 412, 1997-1998.
* 2 Olivier Roy - L'Asie centrale contemporaine, Presses universitaires de France, 2001.
* 3 Astana signifie le « seuil » pris au sens de capitale, en référence au seuil de la tente devant laquelle se tenait autrefois le Prince, comme dans l'expression, « la sublime Porte », désignant l'Empire ottoman.
* 4 Ouvrage cité p. 80.
* 5 Les trois autres grandes confréries sont : la Qadiriya, fondée à Bagdad et introduite en Asie centrale dès le XIIè siècle par des marchands arabes ; la Yasawiya, fondée au XIIè siècle dans le nord du Turkestan et la Kubrawiya, fondée au Khorezm)
* 6 Les réserves sont dites prouvées lorsqu'on estime pouvoir produire de 85 à 90 % de leur montant à partir des données géologiques et techniques de structures connues aux conditions techniques et économiques du moment ; les réserves « non prouvées » se divisent en réserves probables -probabilité de production de 50 %- et possibles -probabilité de production variant de 5 à 15 %.
* 7 Un accord sino-kazakh signé en septembre 1997 prévoit la construction par la CNPC d'un oléoduc reliant l'ouest du Kazakhstan au complexe pétrolier de Karamy dans le Sing-Kiang.
* 8 Les six pays frontaliers, la Russie et les Etats-Unis.
* 9 Anne de Tinguy, Russie-Asie centrale : la fin d'un « étranger proche » in Revue internationale et stratégique, été 1999.
* 10 Le centre de tir est loué 115 millions de dollars par an aux Russes, payables en dollars à hauteur de 59 millions et en biens de consommation, matières premières, armements pour le reste.
* 11 Les Etats-Unis prennent en charge une large part du financement des exercices, tous les ans, du bataillon de maintien de la paix d'Asie centrale « Centrazbat » associant l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan.
* 12 Un plafond de l'ordre de 65 millions de francs pour l'Ouzbékistan, déjà complètement utilisé cette année pour un seul projet.