Quels métiers pour quelle justice ?

COINTAT (Christian)

RAPPORT D'INFORMATION 345 (2001-2002) - commission des lois

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Table des matières




N° 345

SÉNAT


SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juillet 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information (2) sur l'évolution des métiers de la justice ,

Par M. Christian COINTAT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché, Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

(2) Cette mission d'information est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; M. Christian Cointat, rapporteur ; MM. Jean-Pierre Sueur, José Balarello, Mme Josiane Mathon, MM. Paul Girod, Alex Türk, vice - présidents ; M. Lucien Lanier, Mme Michèle André, secrétaires ; MM. Laurent Béteille, Bernard Frimat, Charles Gautier, Patrice Gélard, Bernard Saugey, François Zocchetto.


Justice

CALENDRIER DES TRAVAUX
DE LA MISSION D'INFORMATION

Mardi 12 mars 2002 Constitution du Bureau

Mercredi 27 mars 2002 Organisation des travaux
Auditions

Jeudi 28 mars 2002 Audition du garde des Sceaux

Mercredi 10 avril 2002 Auditions

Mercredi 24 avril 2002 Auditions

Mardi 14 mai 2002 Auditions

Mercredi 15 mai 2002 Auditions

Mardi 28 mai 2002 Déplacement d'une délégation de la mission
au pôle économique et financier du tribunal
de grande instance de Paris

Mercredi 29 mai 2002 Auditions

Jeudi 30 mai 2002 Auditions

Du mardi 4 juin Déplacement d'une délégation de la mission
au jeudi 6 juin 2002 à Bordeaux

Mercredi 12 juin Déplacement d'une délégation de la mission
et jeudi 13 juin 2002 à Dijon

Mardi 18 juin 2002 Auditions

Mercredi 19 juin 2002 Déplacement d'une délégation de la mission
à Marseille

Mardi 2 juillet 2002 Adoption du rapport d'information par la
mission

Mercredi 3 juillet 2002 Présentation du rapport à la commission des Lois

LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

Réunie, le 2 juillet 2002, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice a adopté le rapport de M. Christian Cointat.

Au delà de la question cruciale des moyens, la mission, constituée à l'initiative du président de la commission des Lois, M. René Garrec, a passé au crible les différents métiers de la justice afin de déceler les évolutions intervenues et de proposer des pistes permettant d'améliorer le fonctionnement quotidien de la justice au service des citoyens.

A ce titre, la mission a étudié aussi bien l'évolution des métiers de magistrat, de fonctionnaire des greffes et d'auxiliaire de justice que l'émergence de nouveaux métiers tels ceux d'assistant de justice, de conciliateur, de médiateur ou de délégué du procureur.

Elle s'est penchée sur les orientations apparemment contradictoires que constituent, d'une part, la spécialisation des juridictions, avec l'instauration de pôles spécialisés, d'autre part, la mise en place d'une justice de proximité, notamment à travers le développement des maisons de justice et du droit.

Elle s'est particulièrement interrogée, dans ce cadre, sur les moyens d'accroître la participation des citoyens à la bonne marche de la justice.

Elle s'est également intéressée aux incidences croissantes de la construction européenne et de l'ouverture à l'international sur l'exercice des métiers de la justice.

La mission a considéré que l'évolution des métiers de justice devait tendre vers une justice à la fois plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche des citoyens.

Ses 40 recommandations reposent sur cinq axes principaux.

? Désengorger la justice


- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions de nature juridictionnelle ;

- en favorisant le règlement des conflits en amont des procédures, de manière à ce que le juge soit le dernier recours quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont échoué.

? Améliorer l'organisation du travail des juridictions

- en favorisant l'aide à la décision du magistrat par des assistants de justice au statut rénové ou par des greffiers qui le souhaiteraient ;

- en professionnalisant la gestion des juridictions grâce au recours à des professionnels compétents, greffiers ou personnes extérieures, sur lesquels les chefs de juridiction pourraient se reposer.

? Instaurer une véritable justice de proximité associant les citoyens

- en améliorant l'accueil et l'information du public, notamment par la poursuite du développement des guichets uniques des greffes.

- en confortant le juge d'instance dans un rôle de juge de proximité chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au pénal.

- en instituant au civil des « juges de paix délégués », juges non professionnels de carrière, correctement rémunérés et formés, dotés de larges pouvoirs en matière de règlement des conflits en amont de la procédure judiciaire ;

- en confortant, au pénal, les actuels délégués du procureur ;

- en expérimentant l'échevinage dans les juridictions civiles et pénales de droit commun, des assesseurs non professionnels au profil ciblé pouvant intervenir pour garantir une collégialité aux côtés d'un juge professionnel unique.

? Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions

La création de nouveaux pôles de compétences spécialisés devrait pour garantir la qualité des jugements dans les matières complexes.

? Favoriser l'émergence d'une véritable communauté judiciaire

Une grande partie des incompréhensions actuelles entre les différents acteurs de la justice pourrait être levée si ces professionnels apprenaient à mieux se comprendre, notamment par le biais de formations croisées.

La mission a souligné que ces orientations n'impliquaient pas de bouleversement mais qu'elles supposaient une volonté politique affirmée de réforme et d'action, assortie de l'engagement formel de mettre à la disposition de la justice les moyens humains, matériels et financiers appropriés , faute de quoi l'exercice ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions.

LES 40 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

I. LES MAGISTRATS

Recommandation n° 1
: Favoriser la diversification du recrutement des magistrats.

- développer l'intégration directe des magistrats ;

- instituer une indemnité spécifique au profit des candidats à l'intégration directe issus du secteur privé ayant accompli leur stage et attendant la décision définitive de la commission d'avancement ;

- utiliser pleinement la possibilité de recrutement de magistrats exerçant à tire temporaire.

Recommandation n° 2 : Calibrer les futurs recrutements de magistrats en fonction des capacités de formation.

Recommandation n° 3 : Prendre en compte les aptitudes des auditeurs de justice avant une première affectation.

Recommandation n° 4 : Recentrer le juge du siège sur ses missions juridictionnelles :

- supprimer l'ensemble des tâches du juge faisant double emploi ou s'avérant inefficaces (paraphes de registres, injonction de faire, affirmation des procès verbaux) ;

- poursuivre le mouvement amorcé en 1995 en faveur d'un transfert de tâches du juge vers le greffier en chef, sous réserve d'associer pleinement les personnels des greffes et de les former en conséquence ;

- engager une réflexion sur l'opportunité de maintenir le traitement du contentieux de masse lié aux infractions routières dans les attributions du juge ;

- réduire la présence des magistrats aux seules commissions administratives dont les activités mettent en cause les libertés publiques ou relèvent par nature de la sphère judiciaire.

Recommandation n° 5 : Conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet.

Recommandation n° 6 : Veiller au maintien du contrôle de l'instruction par un magistrat.

Recommandation n° 7 : Rationaliser le rôle du juge de l'application des peines :

- donner au juge des enfants compétence en matière d'exécution des peines d'incarcération des mineurs.

- simplifier les règles de répartition des compétences entre les différentes juridictions afin d'éviter de multiplier les transfèrements de détenus qui sont dangereux et mobilisent inutilement les forces de l'ordre.

- permettre au juge de l'application des peines de donner des commissions rogatoires.

II. LES FONCTIONNAIRES DES GREFFES

Recommandation n° 8 :
Favoriser une spécialisation progressive des greffiers au moyen de la formation continue, tout en préservant la polyvalence des corps grâce à des passerelles entre les différentes fonctions.

Recommandation n° 9 : Élever à bac + 2 le niveau de diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours de greffier.

Recommandation n° 10 : Lisser davantage les recrutements des personnels des greffes.

Recommandation n° 11 : Améliorer la formation :

- allonger la durée de la formation initiale des greffiers en chef et des greffiers ;

- valoriser les fonctions d'enseignant à l'École nationale des greffes ;

- accroître les liens entre l'École nationale des greffes et l'École nationale de la magistrature en vue de formations croisées ;

- tenir davantage compte des aptitudes des stagiaires aux différents postes proposés pour les affectations à la sortie de l'École nationale des greffes ;

- développer des formations obligatoires d'adaptation aux postes pour l'ensemble des catégories de personnels.

III. L'AIDE À LA DÉCISION DES MAGISTRATS

Recommandation n° 12 :
Doter les assistants de justice d'un statut plus attractif :

- allonger le nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions d'assistants de justice ;

- revaloriser le montant des vacations horaires ;

- créer des passerelles vers la magistrature.

Recommandation n° 13 : Permettre aux greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des fonctions d'aide à la décision des magistrats, actuellement dévolues aux assistants de justice.

Recommandation n° 14 : Créer de nouvelles fonctions d'assistants du parquet, pouvant être exercées soit par des assistants de justice, soit par des greffiers, notamment afin d'aider les magistrats du parquet à participer aux politiques publiques.

IV. LA GESTION DES JURIDICTIONS

Recommandation n° 15
: Améliorer le dialogue social au sein des juridictions :

- mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au management ;

- développer les sessions de formation commune aux magistrats et aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de gestion.

Recommandation n° 16 : Rénover l'administration des juridictions :

- doter les juridictions d'un véritable service gestionnaire spécialisé en renforçant notablement les équipes des actuelles cellules de gestion ;

- doter les chefs de juridiction d'une « équipe de cabinet » animée par un secrétaire général institutionnalisé et professionnalisé.

Recommandation n°17 : Renforcer les services administratifs régionaux (SAR) :

- renforcer les effectifs des services administratifs régionaux pour leur permettre de faire face à la poursuite de la déconcentration des crédits ;

- doter les services administratifs régionaux d'un véritable statut, en inscrivant leur existence dans le code de l'organisation judiciaire et en définissant plus précisément leur rôle et leurs compétences par rapport aux greffes des juridictions ;

- créer un statut de secrétaire général de service administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers en chef ou des fonctionnaires d'autres administrations.

Recommandation n° 18 : Clarifier les relations hiérarchiques entre les chefs de juridiction et les chefs de greffe :

- donner aux chefs de juridiction autorité sur le fonctionnement des services de leur juridiction ;

- reconnaître au chef de greffe, par délégation et sous le contrôle des chefs de juridiction, un pouvoir de direction et de gestion de l'ensemble des services administratifs.

Recommandation n° 19 : Réexaminer le choix du préfet comme ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions qui, sans susciter de difficultés dans la pratique, paraît peu compatible avec le principe de l'indépendance de la justice.

Recommandation n° 20 : Doter chaque cour d'appel d'un service de communication, placé sous la responsabilité d'un magistrat et composé d'une équipe qualifiée.

V. LES AVOCATS

Recommandation n° 21 :
Remettre à plat le système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991, afin d'allouer aux avocats une rémunération équitable et décente en concertation étroite avec les instances représentatives de la profession.

Recommandation n° 22 : Engager une discussion avec les États membres de l'Union européenne sur la question d'une réduction du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations fournies par les avocats.

Recommandation n° 23 : Poursuivre, en concertation avec l'ensemble des professionnels concernés, et pas seulement les avocats, la réflexion en vue de favoriser le développement des réseaux interdisciplinaires.

Recommandation n° 24 : Réformer la formation des avocats :

- diversifier les profils en réformant l'examen d'entrée aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats ;

- transformer la formation initiale en formation en alternance ;

- regrouper les centres régionaux de formation professionnelle des avocats.

VI. LES RELATIONS ENTRE MAGISTRATS ET AVOCATS

Recommandation n° 25 :
Aménager les formations des magistrats et des avocats afin de favoriser une meilleure connaissance réciproque :

- mettre en place un tronc commun de formation entre les élèves avocats et les auditeurs de justice,

- allonger les stages pratiques effectués tant par les avocats dans les juridictions que par les auditeurs dans les cabinets d'avocats. En contrepartie, supprimer le stage extérieur de dix semaines actuellement inclus dans la scolarité de l'École nationale de la magistrature ;

- renforcer les formations continues croisées entre les avocats et les magistrats.

Recommandation n° 26 : Institutionnaliser une concertation entre les chefs de juridiction et le bâtonnier.

Recommandation n° 27 : Mieux associer les avocats à l'organisation des juridictions et au bon déroulement des procédures par le biais d'une simplification et d'une rationalisation du déroulement des audiences tant civiles que pénales.

VII. LES AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE

Recommandation n° 28 :
Étendre les compétences des notaires, notamment en déjudiciarisant certaines procédures à leur profit (envoi en possession des successions, changements de régimes matrimoniaux, partages impliquant des mineurs).

Recommandation n° 29 : Rechercher les voies permettant de donner aux huissiers des moyens supplémentaires, compatibles avec le nécessaire respect des libertés individuelles, pour assurer une exécution plus efficace des décisions de justice.

Recommandation n° 30 : Mieux garantir la compétence des experts :

- rendre plus transparente la procédure d'établissement des listes d'experts ;

- renouveler l'inscription des experts tous les cinq ans ;

- donner une formation juridique aux experts.

VIII. LA JUSTICE DE PROXIMITÉ ET LA PARTICIPATION DES CITOYENS

Recommandation n° 31 :
Améliorer l'accueil du public, notamment par le développement des guichets uniques des greffes.

Recommandation n° 32 : Conforter le juge d'instance comme juge de proximité chargé d'animer une politique de règlement alternatif des conflits mise en oeuvre, sous son contrôle, grâce à une participation accrue des citoyens.

Recommandation n° 33 : Instituer des « juges de paix délégués », magistrats non professionnels de carrière, mais correctement rémunérés et formés, dotés de pouvoir élargis en matière de règlement des conflits en amont d'une procédure judiciaire.

Recommandation n° 34 : Conforter les délégués du procureur qui deviendraient des magistrats non professionnels de carrière, désignés à titre individuel par le procureur de la République, correctement rémunérés et formés de manière à être susceptibles d'accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux poursuites.

Recommandation n° 35 : Maintenir les associations dans un rôle d'accompagnement et de soutien de la politique pénale d'alternatives aux poursuites.

Recommandation n° 36 : Expérimenter dans certaines juridictions le recours à des assesseurs non professionnels aux compétences bien définies avec des profils de recrutement parfaitement ciblés - ils ne seraient donc pas tirés au sort -, auxquels serait délivrée une formation adéquate.

IX. LA SPÉCIALISATION DES JURIDICTIONS

Recommandation n° 37 :
Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions dans des matières complexes (propriété intellectuelle, droit de la concurrence, droit des sociétés, droit bancaire).

Recommandation n° 38 : Mettre en relation les compétences des magistrats et les profils de postes spécialisés.

Recommandation n° 39 : Rendre la formation obligatoire avant l'entrée en fonction d'un magistrat d'un pôle spécialisé.

Recommandation n° 40 : Rendre plus attractif le statut des assistants spécialisés :

- améliorer leur rémunération ;

- étendre leur champ d'intervention ;

- valoriser, lors de leur retour dans leur corps d'origine, l'expérience acquise au sein de l'institution judiciaire.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Asphyxiée par un manque de moyens, la justice n'est pas en état de répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens.

Améliorer son efficacité exigera de lui allouer des moyens supplémentaires, humains, matériels et financiers. De nouveaux effectifs devront venir au secours des 7.000 magistrats, des 8.000 greffiers et des 11.000 autres agents des greffes. On ne pourra pas, en outre, faire l'économie d'une rationalisation de l'organisation judiciaire à travers la redéfinition, maintes fois envisagée mais toujours différée, de la carte judiciaire.

Mais, au-delà des ces questions cruciales, d'ailleurs régulièrement soulevées par la commission des Lois 1( * ) , se profile celle, tout aussi fondamentale, de la définition des métiers de la justice, à savoir des missions revenant aux différents acteurs de la communauté judiciaire et des conditions d'exercice de leurs fonctions.

La fin de l'année 2000 et le début de l'année 2001 ont été marqués par de profonds mouvements revendicatifs traversant les différentes professions de la justice : magistrats, personnels des greffes, avocats 2( * ) .

Dépassant les questions purement matérielles, votre commission des Lois a souhaité analyser les causes profondes du malaise ayant touché ces professions.

Elle a également souhaité faire le point sur l'émergence des nouvelles fonctions ayant accompagné le développement des mesures alternatives de règlement des conflits : délégués ou médiateurs du procureur, en matière pénale, conciliateurs de justice et médiateurs, en matière civile. Ces fonctions sont souvent exercées à titre bénévole dans de nouveaux types d'implantations judiciaires de proximité, telles les maisons de justice et du droit ou les antennes de justice.

A cette fin, à l'initiative de son président, M. René Garrec, la commission des Lois a désigné en son sein une mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice.

Cette mission a décidé de centrer son étude sur les juridictions de droit commun de l'ordre judiciaire.

Elle n'a donc inclus dans le champ de ses travaux ni les juridictions consulaires ni les administrateurs et mandataires judiciaires, qui ont fait l'objet de trois projets de loi examinés par le Sénat en février dernier 3( * ) . En outre, ne souhaitant pas interférer avec les travaux respectifs des commissions d'enquête sénatoriales sur les prisons 4( * ) et la délinquance des mineurs 5( * ) , elle n'a traité ni des personnels de l'administration pénitentiaire ni de ceux de la protection judiciaire de la jeunesse.

La mission a particulièrement centré sa réflexion sur la manière dont les métiers de la justice devraient évoluer pour répondre à deux exigences contradictoires en apparence : la proximité, d'une part, la spécialisation des contentieux, d'autre part.

Les citoyens sont en effet demandeurs d'une justice plus proche d'eux. Cette notion de proximité recouvre bien entendu une dimension géographique. Elle s'entend également en termes de facilité d'accès à la justice, de simplicité des procédures et de rapidité. Elle intègre, enfin, un besoin croissant d'écoute du justiciable, à l'heure où les contentieux de masse conduisent le juge à raisonner de plus en plus en termes de productivité et de rendement.

Inversement, la complexité croissante des contentieux exige une spécialisation de plus en plus poussée par matières, conduisant à des regroupements de juridictions en pôles de compétence, donc à un éloignement géographique du justiciable.

Enfin, la mission n'a pas manqué de se pencher sur les incidences croissantes de la construction européenne et de l'ouverture à l'international sur l'exercice des métiers de la justice.

Dans ce cadre, la mission a procédé à de nombreuses auditions au Sénat. Outre Mme Marylise Lebranchu, précédent garde des Sceaux, elle a entendu MM. Guy Canivet et Jean-François Burgelin, respectivement premier président et procureur général de la Cour de cassation, ainsi que trente-six personnalités représentant, pour la plupart, les différentes organisations professionnelles de magistrats, fonctionnaires des greffes et auxiliaires de justice 6( * ) .

Elle s'est, en outre, déplacée à plusieurs reprises sur le terrain à la rencontre des magistrats, des personnels des greffes, des agents des structures de justice de proximité et des auxiliaires de justice. Elle s'est ainsi rendue au pôle économique et financier de Paris, à Bordeaux, siège de l'École nationale de la magistrature, à Dijon, siège de l'École nationale des greffes, et à Marseille, notamment au pôle économique et financier.

Au cours de ces déplacements, les membres de la mission ont rencontré des magistrats et des personnels des greffes qui, malgré les conditions très difficiles d'exercice de leurs fonctions, dues au déséquilibre flagrant entre l'ampleur de la mission confiée à la justice et les moyens mis à sa disposition , gardaient une foi profonde en leur mission au service du justiciable . Il est urgent de mettre à profit ces énergies menacées par l'amertume et le découragement. La France dispose en matière de justice d'un « outil » remarquable. Elle n'a pas le droit de le laisser s'étioler.

La mission a également consulté l'ensemble des juridictions en envoyant un courrier à la Cour de cassation, aux cours d'appel et aux tribunaux de grande instance 7( * ) . Le taux de réponse s'est révélé relativement peu élevé (un cinquième) mais les contributions reçues recèlent de nombreuses pistes de réflexion. Que les magistrats et personnels y ayant participé soient remerciés.

Après avoir initialement programmé la fin de ses travaux pour le mois d'octobre, la mission a considéré qu'il serait utile de livrer ses observations avant que n'intervienne la discussion annoncée d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Au cours de ses travaux, la mission d'information - dont l'action se situe dans le prolongement des rapports Haenel-Arthuis 8( * ) et Jolibois-Fauchon 9( * ) - a pu mettre en lumière des points de convergence et ouvrir quelques pistes de réflexion permettant d'avoir une vision plus précise des mesures à prendre pour aboutir à une justice rénovée, responsable, plus citoyenne et donc plus efficace .

La justice est en effet mal perçue par les citoyens. Elle leur apparaît trop compliquée, trop rigide, trop lourde, trop lente et surtout trop éloignée de leurs préoccupations.

L'évolution des métiers de justice doit donc conduire vers une justice à la fois plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche des citoyens . Il importe de rapprocher la justice du citoyen mais également le citoyen de la justice.

À cet effet, la mission a dégagé cinq axes principaux.

• Désengorger la justice

Il importe, en premier lieu, de dégager les magistrats des tâches non indispensables, notamment !

- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions de nature juridictionnelle.

Un certain nombre de tâches accomplies par le juge pourraient être purement et simplement supprimées. D'autres pourraient être transférées soit aux greffiers, dans la ligne du mouvement amorcé en 1995, soit à des auxiliaires de justice, notaires ou huissiers en particulier, soit à l'administration. Enfin, la participation des magistrats à de trop nombreuses commissions doit être revue, notamment par le législateur pour celles dont la composition est fixée par la loi.

- en favorisant le règlement des conflits en amont des procédures.

Pour reprendre un thème fort des entretiens de Vendôme : « le tout judiciaire n'a pas de sens ». Le juge doit être, en effet, le dernier recours , quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont échoué. Par ailleurs, il conviendra de s'interroger sur le moyen de limiter les recours abusifs, notamment certaines plaintes avec constitution de partie civile, qui représentent la grande majorité des affaires ouvertes dans les cabinets d'instruction et dont 80 % aboutissent à un non-lieu.

• Améliorer l'organisation du travail des juridictions

- en favorisant l'aide à la décision du magistrat.


Le statut des assistants de justice, dont l'utilité n'est plus mise en doute par les magistrats, doit être conforté. Leur situation est en effet trop précaire. La durée de leur service est trop courte, ce qui demande du temps aux magistrats pour former leurs assistants successifs. Par ailleurs, il convient de proposer aux greffiers d'accomplir également cette mission d'aide à la décision.

- en professionnalisant la gestion des juridictions.

La gestion des juridictions doit être effectuée sous l'autorité des chefs de juridiction, cette condition étant essentielle à l'indépendance de la justice. Mais elle doit être confiée à des professionnels compétents sur lesquels les chefs de juridiction peuvent se reposer.

Les greffiers en chef et les greffiers devraient être en mesure d'acquérir une véritable spécialisation dans les tâches de gestion. Les corps doivent cependant rester polyvalents, des passerelles devant être instituées entre les différentes filières.

En outre, les juridictions ne doivent pas écarter la possibilité de recourir à des spécialistes de la gestion extérieurs aux corps des greffes ou de la magistrature. Les moyens des services administratifs régionaux (SAR) devraient être renforcés et leurs relations avec les greffiers en chefs des juridictions devraient être précisées.

• Instaurer une véritable justice de proximité associant les citoyens

Une justice plus proche des citoyens doit avant tout permettre un meilleur accueil et une meilleure information du public ainsi qu'une participation accrue des citoyens à la bonne marche de la justice.

La poursuite de la mise en place de guichets uniques des greffes, point unique d'accès à la justice, permettrait d'assurer une interface de proximité entre le citoyen et la justice en lui rendant plus transparentes les arcanes de cette dernière.

L'institution de services de communication au niveau des cours d'appel permettrait à la justice de transmettre des informations vers la cité tout en libérant les juges d'une pression médiatique parfois insupportable.

La nécessité de rendre la justice plus proche des citoyens implique de conforter le juge d'instance dans un rôle de juge de proximité chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au pénal. Son action s'appuierait sur les implantations de justice de proximité que sont les maisons de justice et du droit et les actuels tribunaux d'instance.

Au civil, pourraient être institués des « juges de paix délégués », juges non professionnels de carrière, correctement rémunérés et formés, dotés de larges pouvoirs en matière de règlement des conflits en amont de la procédure judiciaire. Sous le regard du juge de proximité et agissant essentiellement en équité, ils seraient l'expression d'une justice « hors du Palais », facilement accessible et à l'écoute de chacun.

Au pénal, seraient confortés les actuels délégués du procureur, qui deviendraient des magistrats non professionnels de carrière, désignés à titre individuel par le procureur de la République, correctement rémunérés et formés de manière à pouvoir accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux poursuites.

Les associations seraient maintenues, sous le contrôle du parquet, dans leur rôle essentiel d'accompagnement et de soutien de la politique pénale d'alternatives aux poursuites.

Afin d'ouvrir davantage la justice vers l'extérieur et de constituer un relais vers la société civile, il pourrait être envisagé de développer l'échevinage dans les juridictions civiles et pénales de droit commun. Pourrait être expérimenté, dans certaines juridictions, le recours à des assesseurs non professionnels, aux compétences bien définies, avec des profils de recrutement parfaitement ciblés et auxquels serait délivrée une formation adéquate. Ces assesseurs pourraient intervenir pour garantir une collégialité aux côtés d'un juge professionnel unique.

D'une manière générale, il convient d'ailleurs d'ouvrir aux juridictions des possibilités d'expérimentation.

• Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions

Il convient de favoriser un équilibre entre généralistes et spécialistes. Le juge ne peut pas être spécialiste en tout car le droit devient de plus en plus compliqué. Cette évolution suppose le développement, par spécialités, de nouveaux pôles de compétences. Cette orientation n'est pas incompatible avec une justice plus proche du citoyen et plus compréhensible par celui-ci. Elle lui offre en effet « clarification » et « expertise ».

Des filières de formation appropriées devraient être mises en place et la spécialisation devrait être prise en compte, s'agissant de la mobilité des magistrats afin que l'expérience et la formation acquises ne soient pas « perdues » par suite des obligations découlant d'un plan de carrière.

Le statut des assistants de justice spécialisés doit, enfin, être rendu plus attractif.

• Favoriser l'émergence d'une véritable communauté judiciaire

Il convient de diversifier le recrutement des magistrats en l'ouvrant davantage sur l'extérieur, notamment en éliminant certains freins actuels à l'intégration directe de personnes qualifiées.

Le profil des futurs avocats doit également être diversifié pour répondre aux exigences nouvelles de spécialisation, en particulier dans le domaine économique et financier.

L'amélioration des relations entre les différents acteurs de la communauté judiciaire constitue une condition essentielle au bon fonctionnement de la justice. Une grande partie des incompréhensions actuelles entre magistrats et avocats pourrait être levée si ces professionnels apprenaient à mieux se connaître, notamment par le biais de formations croisées.

Au sein des juridictions, le dialogue social doit être amélioré entre les magistrats et les personnels des greffes.

*

Ces orientations n'impliquent pas de bouleversement de l'existant. Elles supposent, cependant, une volonté politique affirmée de réforme et d'action assortie de l'engagement formel de mettre à la disposition de la justice les moyens humains, matériels et financiers appropriés , faute de quoi l'exercice ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions. Comme le résumait un magistrat : « les besoins montent par l'ascenseur alors que les moyens sont acheminés par l'escalier, pour autant qu'ils suivent ». Or, on sait ce qu'il advient quand l'intendance ne suit pas.

PREMIÈRE PARTIE
LA DIFFICILE MUTATION
DE LA COMMUNAUTÉ JUDICIAIRE

La communauté judiciaire n'a cessé de s'enrichir de nouveaux métiers. Elle ne saurait désormais se réduire à la seule image, encore présente dans certains esprits, des « gens de justice » caricaturés par Honoré Daumier au XIXème siècle, qui n'englobait que les magistrats et les avocats.

Les métiers de la justice regroupent un ensemble beaucoup plus vaste composé, d'une part, de professionnels exerçant des métiers très diversifiés au sein d'une même juridiction (magistrats, greffiers en chef, greffiers, agents de Catégorie C, assistants de justice et agents de justice) et, d'autre part, d'auxiliaires de justice, partenaires indispensables au bon fonctionnement de l'institution judiciaire (avocats, avoués près les cours d'appel, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, huissiers de justice, notaires, experts judiciaires).

CHAPITRE PREMIER
DES INTERROGATIONS FORTES
AU SEIN DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE

I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE D'IDENTITÉ

Les magistrats occupent une place essentielle au sein du service public de la justice.

Une récente enquête de satisfaction réalisée auprès des usagers de la justice et publiée en mai 2001 10( * ) a fait ressortir que les justiciables portaient une appréciation favorable sur ces professionnels. La grande majorité des personnes interrogées a estimé que les juges auxquels ils avaient eu affaire s'étaient montrés honnêtes (pour 81 % des interrogés), avaient compris le problème posé (pour 76 % d'entre eux ) et avaient fait preuve de qualités humaines (selon 73% des sondés).

Pourtant, les récents mouvements de protestation de magistrats de l'année 2001 ont révélé une crise profonde.

Au-delà des inquiétudes exprimées liées à l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption d'innocence et aux droits des victimes et au manque de moyens asphyxiant le fonctionnement quotidien des juridictions, la mission a constaté, au cours de ses auditions, et à l'occasion de ses déplacements, que les magistrats étaient en proie à une crise d'identité profonde , liée tant à la mutation profonde du corps des magistrats, à leur mode de recrutement et à leur formation, qu'à la dispersion de leurs missions et aux exigences nouvelles imposées par l'ouverture sur l'international et l'intégration au sein de l'Union européenne.

A. UNE MUTATION PROFONDE DU CORPS DES MAGISTRATS

Au 1 er juillet 2001, le nombre de magistrats professionnels s'élevait à 7.027 11( * ) , parmi lesquels on distinguait 6.846 magistrats exerçant leurs fonctions dans les juridictions et 181 magistrats affectés auprès de l'administration centrale.

L'affirmation selon laquelle ces effectifs demeurent très proches de ceux du milieu du XIXème siècle paraît erronée. En effet, à l'époque, le nombre de magistrats incluait également les juges non professionnels (juges consulaires, juges coloniaux, juges de paix suppléants), qu'on oublie souvent de déduire pour établir cette comparaison.

Avec 13 magistrats pour 100.000 habitants, la France 12( * ) , comme l'Italie et l'Espagne, se situe dans la moyenne de l'Union européenne . Elle se place après l'Allemagne (32 magistrats) et la Belgique (16 magistrats), mais devant le Royaume-Uni situé en fin de classement avec 5,5 magistrats.

Il convient toutefois d'utiliser avec prudence ces comparaisons compte tenu de la diversité de l'organisation judiciaire en Europe. Ainsi, le système judiciaire allemand repose exclusivement sur des magistrats professionnels, tandis que le Royaume-Uni recourt largement à des magistrats non-professionnels (33.945 sur 37.213).

1. Un juge professionnalisé contraint à la mobilité

Le magistrat du XXIème siècle diffère radicalement des anciens juges de paix supprimés en 1958, qui jouissaient d'une autorité morale et d'une situation sociale établies. Elus puis nommés à partir du Consulat, ces derniers étaient désignés parmi les notables locaux et faiblement rémunérés.

Recrutés majoritairement par concours, les magistrats judiciaires sont des agents publics de l'Etat et exercent leur activité à titre professionnel . Comme l'a souligné M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature à la mission d'information, « on ne s'improvise pas juge ». Les magistrats sont devenus des techniciens du droit très compétents, chargés de l'application et de l'interprétation des textes en vigueur. La magistrature nécessite un niveau de technicité croissant du fait de la complexité des procédures et de l'entrée en vigueur des lois nouvelles.

En outre, l'enracinement local des anciens juges de paix a cédé le pas aux exigences toujours renforcées de mobilité s'imposant aux magistrats.

Avant la réforme issue de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut de la magistrature et au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), peu d'obligations de mobilité statutaires s'imposaient aux magistrats 13( * ) .

Toutefois, la pratique du Conseil supérieur de la magistrature a toujours consisté à encourager la mobilité. Ainsi le CSM a conduit à instituer deux règles de principe relatives à la durée d'exercice : la règle des deux ans, destinée à faire en sorte qu'un magistrat demeure dans un même poste au moins deux ans, avant d'obtenir une mutation ou un avancement, et la règle des dix ans, tendant à éviter qu'un magistrat n'exerce ses fonctions plus de dix ans dans la même juridiction.

La loi organique du 25 juin 2001 précitée a donc renforcé les exigences de mobilité statutaires en instituant de nouvelles règles en matière d'avancement, et en imposant une mobilité géographique non seulement aux chefs de juridiction après sept ans d'exercice au sein d'une même juridiction, mais aussi aux juges spécialisés à l'issue de dix années d'exercice dans le même tribunal 14( * ) .

La volonté du législateur était justifiée par le double souci d'enrichir l'exercice des fonctions juridictionnelle s et de se prémunir contre les dérives possibles d'une trop grande implication dans la vie locale .

Elément important de leur positionnement social, la situation matérielle des magistrats , dont le déroulement de carrière n'était pas aligné sur celui des magistrats de l'ordre administratif ni sur celui des magistrats de l'ordre financier, a été substantiellement revalorisée depuis la loi organique du 25 juin 2001 précitée.

L'amélioration des rémunérations n'a toutefois bénéficié qu'aux seuls magistrats situés en haut de la hiérarchie 15( * ) , excluant ainsi les magistrats débutant leur carrière 16( * ) sur lesquels pèsent pourtant des responsabilités et des sujétions souvent lourdes.

Ces derniers n'ont bénéficié d'aucune valorisation spécifique de leur traitement, qui demeure strictement rattaché à la grille indiciaire de la fonction publique, à l'instar des fonctionnaires de catégorie A.

La situation des jeunes magistrats français s'avère cependant plus favorable que celle de la plupart de leurs homologues de l'Union européenne, le traitement perçu en début de carrière étant en effet légèrement supérieur à celui des magistrats allemands, espagnols et belges. L'Italie se distingue par la faiblesse des rémunérations allouées à ses magistrats tandis qu'au Royaume-Uni, le niveau de rémunération est très élevé.

2. Un corps fortement féminisé

En quelques années, le corps de la magistrature s'est largement féminisé , la proportion de femmes magistrats passant de 28,5 % en 1982 à 50,5 % en 2001.

Cette évolution a tendance à s'amplifier, comme en témoigne le graphique ci-dessous :

Nombre de femmes
admises au concours d'entrée à l'ENM depuis 1989
(en pourcentage)

Source : Ecole nationale de la magistrature

M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature a indiqué à la mission au cours de son déplacement à Bordeaux, que le profil type de l'auditeur de justice était en réalité celui d' une jeune auditrice dont les caractéristiques sont les suivantes :

- elle est issue du premier concours, après avoir suivi une préparation à l'Institut d'études judiciaires (IEJ) de Paris II ;

- elle est titulaire d'un diplôme d'études approfondies ;

- elle est originaire de la région parisienne ;

- elle est âgée de 23 ans.

Comme le soulignait M. Dominique Matagrin, président de l'Association professionnelle des magistrats, « en ce qui concerne le métier en tant que tel, la considération du sexe doit être tenue pour indifférente pour des raisons de principe évidentes, et parce qu'il ne semble pas que la féminisation, sinon en des temps très anciens, [...] ait jamais soulevé de difficultés notables. »

Toutefois, cette évolution n'est pas sans conséquences pratiques sur la gestion du corps en raison des congés maternité et des vacances de poste temporaires pouvant en résulter.

Ainsi que l'a regretté la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel : « la féminisation est malheureusement insuffisamment prise en compte par la création de postes de juges placés qui permettent d'assurer des remplacements en particulier lors des congés maternité ».

On observe d'ailleurs une augmentation des demandes d'aménagement du temps de travail ces dernières années 17( * ) . La fonction de juge d'instruction est la moins féminisée (49,4 % de femmes), celle de juge des enfants la plus féminisée (67,6 % de femmes).

3. Des interrogations liées au jeune âge des auditeurs de justice

L'âge moyen des auditeurs de justice de la promotion 2002 s'élève à 23 ans (tous concours confondus) 18( * ) .

Dans leur grande majorité, les magistrats qui débutent leur carrière sont donc âgés de moins de trente ans. Au vieillissement du corps, observé jusqu'en 1970, a donc succédé un rajeunissement très net, qui se poursuit.

Une telle évolution du corps, composé d'une large base constituée par les moins de 50 ans et d'un sommet en pointe, a engendré une situation de blocage dans l'avancement des carrières, la part des emplois du premier grade et hors hiérarchie étant restée faible.

La loi organique du 25 juin 2001 précitée, en restructurant le corps par le biais d'une augmentation substantielle du nombre d'emplois situés au premier grade et hors hiérarchie, a tenté de remédier à cette situation.

Il est cependant encore prématuré de dresser un bilan de cette réforme.

En revanche, il est permis de s'interroger sur le jeune âge des magistrats qui débutent leur carrière, et plus particulièrement sur leur aptitude à assumer, à peine sortis de l'Ecole nationale de la magistrature, de lourdes responsabilités . M. Claude Hanoteau, directeur de l'ENM, a estimé que l'âge ne semblait pas constituer un handicap pour l'exercice des fonctions juridictionnelles, la solennité de la justice tendant à conférer une certaine autorité au jeune magistrat.

Il s'est toutefois inquiété d'un changement des mentalités au sein du corps et de la disparition du tutorat dans l'institution judiciaire, en partie liée à la suppression de la collégialité au sein des formations de jugement : « les occasions de poursuivre la formation au cours des premières années d'affectation semblent devenir de plus en plus rares ».

L'attention de la mission d'information a été appelée sur la nécessité d'engager une réflexion sur la question de l'accession graduelle aux responsabilités en fonction de l'âge, qui pourrait se nourrir de l'exemple des Pays-Bas. Les magistrats néerlandais accèdent aux responsabilités par paliers et n'exercent la plénitude de leurs fonctions juridictionnelles qu'à l'issue d'une période de maturation correspondant à dix années d'exercice.

Certains magistrats ont également fait part à la mission du sentiment de solitude et d' isolement que pouvaient éprouver les jeunes magistrats au cours de leurs premières années d'exercice.

L'Association française des magistrats instructeurs s'est en particulier inquiété du grand nombre de postes de juge d'instruction situés dans de très petites juridictions (un tribunal de grande instance à une seule chambre par exemple) offerts à la sortie de l'Ecole.

Cette observation concerne d'ailleurs l'ensemble des fonctions de magistrats et tout particulièrement celles exercées à juge unique.

Les magistrats se trouvent donc actuellement confrontés à une série de mutations auxquelles ils doivent s'adapter et qui affectent parfois leur place au sein de la société, elle aussi marquée par des évolutions importantes.

La mission a également souhaité s'intéresser au mode de recrutement et à la formation qui déterminent et façonnent les futurs magistrats.

B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS

La magistrature semble marquée par un recrutement peu diversifié et une formation s'adaptant difficilement à l'augmentation des effectifs.

1. Un corps peu diversifié

L'ensemble des magistrats rencontrés ou auditionnés par la mission a reconnu l'importance de la diversification du recrutement , présentée comme une richesse pour le corps, et comme un moyen de libérer la magistrature de l'esprit de caste dont elle est parfois prisonnière.

L'arrivée de magistrats ayant déjà acquis une expérience professionnelle et des compétences techniques spécialisées paraît unanimement acceptée par le corps judiciaire, à condition qu'ils soient soumis à une formation probatoire et de qualité , ce qui suppose l'accomplissement d'un stage en juridiction et d'une formation théorique à l'ENM suffisamment longs.

A cet égard, un certain nombre de magistrats s'est élevé contre l'institution des concours complémentaires 19( * ) issus de la loi organique du 25 juin 2001 précitée 20( * ) .

En effet, contrairement aux autres modes de recrutement, les candidats reçus reçoivent une formation à l'ENM (d'une durée limitée à six mois) à l'issue de laquelle ils sont automatiquement nommés dans leur fonction sans aucun contrôle de leurs aptitudes professionnelles, ce qui signifie qu'une fois admis au concours, les candidats sont certains d'intégrer la magistrature.

Une telle situation est apparue choquante aux yeux d'un grand nombre de magistrats rencontrés par la mission, qui ont suggéré de rendre cette formation obligatoire.

Force est de constater qu'en dépit d'une volonté affichée d'ouverture, le corps des magistrats éprouve des difficultés à intégrer des magistrats provenant d' horizons différents et ayant antérieurement exercé une activité professionnelle, notamment dans le secteur privé.

a) La prégnance des concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature

Ainsi, la grande majorité des magistrats demeure recrutée par les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature ainsi que le montre le tableau ci-après :

Origine du recrutement des magistrats depuis 1991

 

Nomination de magistrats issus de l'ENM

Concours exceptionnels

Conseillers de cour d'appel
en service extraordinaire

Détachement judiciaire

Recrutement latéral intégration directe

Total

1991

196

 
 
 

51

247

1992

169

90

 
 

57

316

1993

179

 
 
 

26

205

1994

167

 
 
 

15

182

1995

155

 
 
 

10

165

1996

114

 
 
 

14

128

1997

106

 

3

 

14

123

1998

147

 

2

3

24

176

1999

154

99

14

4

26

297

2000

161

90

 

10

35

296

2001

196

 
 

10*

35*

241*

2002

208*

125

 

10*

35*

378*

* prévisions
Source : Chancellerie


La plupart des postes offerts au concours d'entrée à l'ENM sont attribués aux candidats issus du premier concours 21( * ) (77 % des postes de magistrats ont été pourvus par le premier concours depuis 1991).

La grande majorité des candidats admis, le plus souvent issus de la filière universitaire classique (titulaires d'une maîtrise de droit, d'un DEA ou du diplôme d'un Institut d'études politiques), ne possède aucune expérience professionnelle. Le recrutement des magistrats demeure donc très homogène.

Les candidats admis par la voie des deuxième et troisième concours, qui s'adressent respectivement à des fonctionnaires ayant une expérience professionnelle de quatre années et à des personnes qui, durant huit ans, ont exercé une ou plusieurs activités professionnelles, ou un ou plusieurs mandats politiques, représentent une part marginale des promotions d'auditeurs de justice (22 % sur la période 1991 à 2001).

En outre, les tentatives de recrutement parallèle destinées à faire entrer dans la magistrature des personnes dotées de profils différents n'ont pas rencontré le succès escompté , en dépit de la volonté affichée par le législateur et tout particulièrement de la commission des Lois du Sénat.

b) La perte de vitesse de l'intégration directe

La voie de l'intégration directe , instituée en 1992 22( * ) et ouverte par les articles 22, 23 et 40 de l'ordonnance organique n° 58-1270 relative au statut de la magistrature, autorise la nomination aux fonctions de magistrat d'une personne titulaire d'une maîtrise et justifiant d'une activité professionnelle d'au minimum 7 ans la qualifiant particulièrement pour les fonctions judiciaires.

Cette voie d'accès apporte ainsi au corps  une respiration précieuse et permet un élargissement de ses bases de recrutement. Elle présente en outre l'avantage substantiel de faire face aux besoins en personnel exigés par l'augmentation des flux du contentieux. Les avantages de l'intégration par cette voie latérale de recrutement semblent faire l'objet d'un consensus de la part de l'ensemble des magistrats entendus par la mission.

Au cours de son déplacement au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, la mission a rencontré une magistrate du parquet recrutée par intégration directe, ayant exercé les fonctions de directrice juridique au sein d'une grande entreprise, qui semblait en effet apporter une compétence spécialisée très utile au fonctionnement du pôle.

Bien qu'elle permette le recrutement de juristes expérimentés, d'avocats inscrits au barreau, de fonctionnaires de l'administration en activité (administration préfectorale notamment), et même de personnalités du secteur privé, cette voie d'accès à la magistrature paraît en perte de vitesse , compte tenu de la baisse du nombre de candidats admis accusée ces dernières années (35 en 2002 contre 57 en 1992).

Face à un tel constat, il est permis de s'interroger sur l' attractivité réelle de ce mode de recrutement .

En effet, plusieurs magistrats recrutés par cette voie ont souligné les difficultés matérielles auxquelles les candidats à l'intégration directe étaient confrontés.

La lourdeur du mécanisme de sélection, conjuguée à la complexité des procédures de nomination 23( * ) , peut conduire le candidat à l'intégration directe à attendre près d'une année entre la présentation de sa candidature et sa nomination effective dans les fonctions de magistrat.

Durant tout ce temps, à l'exception de la période de stage 24( * ) , les candidats ne perçoivent aucun traitement puisqu'ils n'ont pas encore intégré la magistrature. Cette situation paraît particulièrement préjudiciable aux cadres du secteur privé et aux avocats qui, pour accomplir leur stage, quittent leur emploi, et ne perçoivent plus aucune source de revenus à l'issue du stage.

Afin d'améliorer l'attractivité du recrutement par la voie de l'intégration directe et de ne pas décourager les candidats issus du secteur privé, la mission d'information propose donc l'institution d'une indemnité spécifique allouée aux candidats ayant accompli leur stage et attendant la décision définitive de la commission d'avancement.

En outre, la magistrate du parquet rencontrée au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris a fait observer qu'« aucune perspective d'avancement n'[était] offerte aux candidats intégrant la magistrature au second grade » , leurs carrières étant strictement alignées sur celles des jeunes magistrats débutants affectés en premier poste, sans que leur âge ou leur expérience professionnelle soient pris en compte.

c) L'échec du recrutement des magistrats à titre temporaire

En outre, le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire , institué en 1995 25( * ) , « a été un échec », comme l'a souligné la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel.

Cette voie d'accès pourtant originale avait été instaurée pour permettre l'exercice de certaines fonctions par des magistrats non professionnels, afin de rapprocher la justice du citoyen, ce dernier participant ainsi au fonctionnement de l'institution judiciaire.

Ces magistrats, qui peuvent exercer les fonctions de juge d'instance ou d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance pour une durée de sept ans non renouvelable, présentent la particularité de pouvoir exercer concomitamment une activité professionnelle compatible avec les fonctions judiciaires. Ce dispositif offrait de nombreux avantages liés à sa souplesse, à son faible coût 26( * ) et à la garantie d'obtenir des candidatures émanant de personnes dotées d'une solide expérience.

Pourtant, la Chancellerie n'a fait qu'un usage parcimonieux et décevant de cette voie d'accès : 6 magistrats à titre temporaire ont ainsi été recrutés en 1998, 4 en 1999, 2 en 2000, aucun en 2001 et 1 en 2002 27( * ) . Ces recrutements sont restés limités au cadre expérimental déterminé par la loi de programme de 1995 et concernent donc uniquement 4 cours d'appel. La Chancellerie semble avoir très modérément apprécié ce dispositif qu'elle jugeait « trop éloigné de la culture française ».

La mission, convaincue de l'intérêt du recours à des magistrats exerçant à titre temporaire, invite la Chancellerie à utiliser pleinement cette voie de recrutement.

La mission a pu constater que la plupart des chefs de juridiction approuvait ce dispositif. Tout en soulignant que, « contrôlé étroitement par la commission d'avancement 28( * ) , leur recrutement ne fait plus l'objet de récriminations », un président de tribunal de grande instance a toutefois indiqué que « si les avocats ayant réussi dans leur profession [faisaient] d'excellents magistrats, l'acclimatation des cadres issus du secteur privé [était] plus aléatoire. »

Ce même chef de juridiction s'est néanmoins interrogé sur les modalités retenues, et plus particulièrement sur les risques d'affecter immédiatement ces magistrats dans les juridictions de première instance, compte tenu de la généralisation des formations à juge unique : « ils devront d'emblée travailler seuls et souvent sans aide de leurs collègues sur-occupés dans leurs propres fonctions. Reste à savoir s'il ne faudrait pas plutôt les affecter en priorité au sein des cours d'appel, où ils seront épaulés par des magistrats expérimentés dans le cadre des formations collégiales ».

Sans remettre en cause la vocation première de ces magistrats à titre temporaire, avant tout juges de proximité, il semble légitime de poser la question de leur formation effective afin qu'ils puissent être en mesure d'exercer leurs fonctions de manière satisfaisante.

2. L'absorption du nombre, principal défi lancé à la formation

a) Des effectifs toujours plus nombreux pour des capacités d'accueil ayant atteint leurs limites

Si les effectifs de magistrats paraissent notoirement insuffisants compte tenu de l'encombrement des juridictions et de l'entrée en vigueur des lois nouvelles, il convient de souligner les efforts de créations de postes menés depuis 1995 par la Chancellerie.

Depuis quelques années, on observe un accroissement très net du nombre des postes offerts aux concours d'entrée à l'ENM , qui est passé de 110 en 1994, à 145 en 1995 et 250 en 2002 29( * ) .

Pour faire face à cette augmentation, l'Ecole a bénéficié d'un renforcement substantiel de ses moyens , avec un budget en nette progression (+17,21 %) 30( * ) . La mission, au cours de son déplacement à Bordeaux, a pu constater que les capacités d'accueil de cet établissement avait atteint leurs limites.

Son directeur a toutefois indiqué que l'affectation de moyens nouveaux permettrait à son établissement « d'absorber » de nouveaux élèves, par exemple en louant des locaux à l'extérieur de l'ENM.

Il s'est davantage inquiété des capacités d'accueil des juridictions 31( * ) , qui ne peuvent recevoir en stage qu'un ou deux élèves à la fois et semblent avoir atteint leurs limites.

Par conséquent, l'arrivée prochaine des futurs candidats admis, issus du concours complémentaire organisé récemment, soulève de fortes interrogations. L'ENM, après avoir lancé des appels à candidature, se trouve en effet confrontée à une pénurie de stages proposés par les juridictions.

Sans remettre en cause la nécessité d'un renforcement des moyens de la justice et, partant, d'accroître les effectifs, la mission d'information invite la Chancellerie à « calibrer » les futurs recrutements de magistrats annoncés dans la loi de programme en cours de préparation en fonction des capacités de formation.

Il convient en effet d'éviter de porter atteinte à la qualité actuelle de la formation initiale des magistrats, reconnue par tous les interlocuteurs rencontrés par la mission.

Pour le directeur de l'ENM, « la difficulté des années à venir est de faire face au nombre ».

b) Des interrogations sur le niveau des candidats reçus aux concours

Face à l'augmentation des recrutements observée ces dernières années, la mission d'information s'est interrogée sur le niveau des candidats admis . Certains magistrats ont regretté que la note d'admissibilité aux concours soit inférieure à la moyenne. En 1999, le dernier admissible issu du premier concours avait obtenu une moyenne de 9 sur 20 et ceux issus des deuxième et troisième concours une moyenne respective de 8,19 et 8,13 sur 20.

La Chancellerie s'efforce néanmoins de préserver la qualité du recrutement en maintenant une certaine homogénéité du niveau entre les trois concours. C'est ce qui l'a conduite, ces dernières années, à reporter sur le premier concours un certain nombre de postes prévus pour les deuxième et troisième concours et rarement pourvus dans leur intégralité (21 postes en 1999, 19 en 2000).

Les inquiétudes de la mission n'ont pas pour autant été dissipées. En effet, lors de son audition, le syndicat de la magistrature a indiqué que 214 auditeurs de justice seulement avaient été sélectionnés en 2001 alors que 250 postes avaient été offerts aux concours, la Chancellerie ayant expliqué cette situation par le niveau trop faible des candidats.

3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice

La mission d'information a choisi de s'intéresser plus spécifiquement à la formation initiale des auditeurs de justice, ciment du devenir du magistrat.

Sa qualité est unanimement reconnue, et l'ENM est présentée comme un instrument incontournable . Elle permet aux auditeurs de justice affectés à leur premier poste d'être immédiatement opérationnels.

La durée de la formation , passée de 24 à 31 mois en dix ans, est jugée satisfaisante et ne paraît pas devoir être allongée. En outre, l'option contraire présenterait l'inconvénient de retarder la prise de fonction des futurs magistrats, alors même que la justice se caractérise actuellement par son asphyxie et son manque de moyens.

a) Une formation théorique et pratique globalement satisfaisante

La formation se déroule en plusieurs phases :

Phase généraliste

Phase spécialisée



Source : Ecole nationale de la magistrature

La formation théorique dispensée à l'ENM (7 mois) a vocation à développer une réflexion sur les fonctions judiciaires et à transmettre l'ensemble des savoir-faire professionnels 32( * ) . Une partie de l'enseignement est consacrée à la découverte des fondamentaux de l'existence des magistrats à travers des études de cas concrets et des mises en situation basées sur des exercices de simulation d'audiences.

Une autre partie de la scolarité est dédiée à la pratique du métier (écoute des témoins, interrogatoires d'une personne mise en examen) et à la découverte du contexte dans lequel les magistrats évoluent (découverte du monde syndical, rencontre avec les élus locaux).

La pédagogie repose sur des méthodes dynamiques originales : un travail en petits groupes d'une quinzaine de personnes, ces groupes étant formés pour toute la durée de la scolarité 33( * ) .

La place prépondérante des enseignements consacrés au droit pénal doit être soulignée et a pu surprendre la mission d'information, compte tenu des compétences techniques exigeantes que requièrent les fonctions du siège. Cette « hypertrophie du pénal » a surpris notre collègue José Balarello, qui a fait remarquer que l'activité des tribunaux était consacrée à 80 % aux affaires civiles contre 20 % seulement aux affaires pénales. Toutefois, il est apparu que la place importante occupée par le droit pénal dans la formation initiale se justifiait par un double souci. Il s'agit, d'une part, de contrebalancer l'enseignement dispensé à l'université, principalement centré sur le droit civil, et donc de renforcer des compétences parfois lacunaires en droit pénal. D'autre part, l'ENM, guidée par un souci d'efficacité, s'est efforcé d'adapter la scolarité aux profils des postes offerts à l'issue de la formation, les auditeurs de justice étant affectés en grand nombre aux fonctions du parquet (40 % des auditeurs de la promotion 2000).

La formation pratique s'effectue durant le stage en juridiction (14 mois), pendant lequel les auditeurs accomplissent les actes judiciaires des fonctions du siège et du parquet.

Pour l'encadrement de ces stages, l'ENM s'appuie sur des magistrats délégués à la formation placés auprès de chaque cour d'appel et sur des directeurs de centre de stage situés dans chacun des tribunaux accueillant des auditeurs. Ainsi que l'a indiqué M. Eric Maillaud, sous-directeur des stages à l'ENM, « en juridiction, les auditeurs de justice ne sont pas utilisés à vider les tiroirs ». La mission d'information, lors de sa rencontre avec les délégués des élèves des promotions 2000, 2001, 2002, a d'ailleurs pu constater que ces derniers étaient satisfaits de leur expérience en juridiction.

Toutefois, il est permis de s'inquiéter de l'avenir de l'encadrement de la formation initiale par les magistrats placés auprès des juridictions, qui repose essentiellement sur le volontariat . Compte tenu de la surcharge de travail qui affecte les magistrats et de l'absence d'obligation d'exercer des responsabilités en matière de formation, ces derniers se révèlent de moins en moins enclins à jouer ce rôle de relais et d'encadrement pourtant essentiel . Ainsi que l'a souligné le responsable de la formation de la cour d'appel de Dijon, les candidatures se font rares.

b) Des interrogations

Au-delà de l'appréciation satisfaisante portée par l'ensemble du corps des magistrats sur la formation initiale, quelques interrogations se sont fait jour .

En premier lieu, la pertinence du stage extérieur 34( * ) accompli en début de scolarité n'apparaît pas évidente, comme l'a indiqué à la mission l'ensemble des délégués des auditeurs de justice des trois dernières promotions. Un auditeur de la promotion 2002 s'est réjoui d'un stage accompli en Turquie, tandis qu'une auditrice (de la promotion 2000), issue du concours interne, a jugé son stage en administration décevant. Il est apparu que ce stage extérieur dépendait fortement de l'organisme d'accueil et n'était pas forcément adapté au profil du stagiaire. Le jugeant soit trop court, soit trop long, certains délégués ont fait valoir qu'il serait préférable d'accomplir plusieurs stages de courte durée au sein de chaque type d'organisme d'accueil afin d'éviter des expériences stériles, d'une part, et de confronter l'auditeur à une plus grande diversité d'interlocuteurs, d'autre part.

En second lieu, les conditions d'attribution des postes offerts à la sortie de l'école peuvent également surprendre. La mission d'information attache une grande importance à cette question fondamentale pour l'avenir des futurs magistrats , susceptibles d'être fortement marqués par leur première affectation.

Elle regrette ainsi que la liste des postes fournie par la Chancellerie ne tienne pas compte des aptitudes et compétences des auditeurs de justice. C'est ainsi que la désaffectation pour les fonctions de magistrat du parquet a conduit mécaniquement à l'augmentation du nombre de postes de parquetier à la sortie de l'école (un tiers environ en moyenne ces dernières années).

Plus encore que l'absence d'implication de la Chancellerie dans l'élaboration de la liste des postes proposés, la mission s'est inquiété des modalités de choix des postes , essentiellement guidées par des critères géographiques .

Il convient en effet de souligner le décalage entre le droit et la pratique en ce domaine. La formation à l'ENM revêt un caractère probatoire et donne lieu à un classement par ordre de mérite permettant aux auditeurs de justice de choisir sur la liste proposée par le ministère de la justice. Toutefois, en pratique, force est de constater que la première affectation est librement choisie par les auditeurs de justice . Chaque promotion négocie en son sein l'attribution des postes , le critère du classement n'intervenant que très marginalement.

L'adéquation du profil et des aptitudes des futurs candidats à leur première affectation ne constitue donc pas un élément déterminant. La priorité accordée au choix géographique a d'ailleurs été confirmée par la plupart des délégués des auditeurs rencontrés par la mission.

La mission juge regrettable que l'aptitude pour l'exercice de certaines fonctions ne soit pas davantage prise en compte dans le choix de la première affectation des auditeurs de justice .

A cet égard, M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole, a dénoncé l'absence d'implication de la Chancellerie sur cette question, estimant qu'il n'appartenait pas à l'ENM, dont le rôle se limite à accorder des brevets d'aptitude à une fonction particulière, d'intervenir dans le processus de nomination, au risque « d'un mélange des genres fâcheux pour le bon fonctionnement de l'institution judiciaire. »

Actuellement, la gestion des premières affectations s'effectue donc a minima et consiste à éviter les affectations les plus problématiques.

Depuis 1996, le jury de classement, sur la base des notes d'études et de stages, dispose d'un pouvoir de recommandation 35( * ) quant à l'aptitude de l'auditeur à certaines fonctions. Il en a toutefois fait un usage parcimonieux (1 recommandation en 1996, 5 en 1997, 4 en 1998 et 1999 et 3 en 2000).

En outre, ces recommandations sont d'une portée limitée, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-336 DC du 27 janvier 1994, ayant relevé qu'elles ne devaient être mentionnées qu'à l'occasion de la première affectation et « ne sauraient lier le Conseil supérieur de la magistrature à qui il appartient d'émettre en toute indépendance un avis sur la nomination des auditeurs de justice ».

En effet, le Conseil supérieur de la magistrature peut émettre un avis défavorable pour la nomination d'un auditeur de justice, en fonction des éléments d'évaluation contenus dans le dossier 36( * ) .

De manière générale, le CSM a tendance à émettre des avis favorables, sauf lorsque le caractère innoportun de la nomination paraît manifeste. Ainsi qu'il l'a lui-même indiqué, « sur les deux promotions de 1999 et 2000, ont été émis trois avis défavorables pour des postes du siège et deux pour des postes du parquet 37( * ) ».

S'il paraît opportun d'éviter la nomination d'un auditeur à un poste qui ne correspond pas à ses aptitudes, il semble indispensable d'assurer une étroite correspondance entre le profil du poste choisi et les compétences effectives du futur magistrat . Une telle exigence ne paraît pas de nature à fragiliser l'indépendance des magistrats mais apparaît plutôt comme la meilleure garantie de leur efficacité au sein de l'institution judiciaire.

4. La formation continue, un droit reconnu par les textes mais peu effectif

La formation continue des magistrats a été instaurée par le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 et confiée à l'Ecole nationale de la magistrature.

Il convient de noter qu'il appartient à l'établissement public de Paris de l'ENM de concevoir et d'organiser les actions de formation destinées aux magistrats.

En outre, un nombre important de sessions et de séminaires se déroule dans ses locaux.

a) Les stages proposés par l'Ecole nationale de la magistrature

Aucune obligation ne s'impose aux magistrats 38( * ) , mais ils disposent statutairement d'un droit à la formation de cinq jours par an . L'éventail des stages et séminaires offert par l'ENM est très vaste 39( * ) .

Le nombre de magistrats inscrits est en augmentation constante . 4.000 magistrats ont suivi une action de formation en 2000, soit près de 60 % des effectifs de magistrats, contre 3.500 en 1999, soit une hausse de près d'un septième de la fréquentation.

De nombreux interlocuteurs de la mission ont néanmoins regretté la relativité de l'effectivité de ce droit à la formation continue, souvent limité en raison de la surcharge de travail pesant sur les magistrats et du manque de moyens des juridictions.

Conscients qu'ils ne seront pas remplacés et soucieux d'éviter un amoncellement de leurs dossiers, ces derniers hésitent à quitter leur juridiction. Ainsi, la totalité des places offertes par l'ENM pour l'année 2000 (27.071 jours) n'a pas été utilisée. Près de 3.000 jours de formation ont été annulés en raison de l'insuffisance des candidats ayant postulé pour ces actions.

b) La mise en place de la formation continue déconcentrée

Parallèlement, a été créée en 1990 et officialisée par un décret du 25 septembre 1995 la formation continue déconcentrée . Organisée au niveau des cours d'appel, elle est destinée à compléter le dispositif national et vise à répondre « aux besoins locaux » des magistrats afin, notamment, d'approfondir les particularités locales et d'étudier les questions d'actualité.

Elle rencontre un certain succès puisqu'elle connaît une nette progression s'agissant tant du nombre des actions menées (250 en 1999 contre 360 en 2000), que de la participation des magistrats (passant de 3.000 à plus de 4.500).

Elle s'appuie, dans chaque cour d'appel, sur un magistrat délégué à la formation 40( * ) qui propose un programme annuel de formation destiné aux magistrats du ressort, et dont les priorités ont été préalablement déterminées par les chefs de cour.

Un rapport de janvier 2000 relatif à la situation de ces magistrats 41( * ) a fait ressortir que l'essor de la formation déconcentrée dépendait étroitement de leur degré d'implantation et de leur disponibilité.

Il est apparu que leur disponibilité en ce domaine était étroitement conditionnée par leur charge de travail, elle-même étroitement liée aux priorités du chef de juridiction. Ainsi, certains chefs de cour ont su développer de véritables plans de formation en donnant des moyens aux magistrats délégués à la formation et en le déchargeant de certaines obligations pour disposer du temps nécessaire.

Cependant, cette situation est loin d'être homogène puisque la moyenne des actions réalisées en 2000 (10 actions par cour d'appel) masque un écart important entre cours d'appel (entre 3 et 19 actions en fonction de la cour concernée). Bien que ces disparités aient tendance à s'estomper, des efforts restent à accomplir pour encourager l'engagement des chefs de cour en faveur du développement de la formation continue .

5. L'ouverture de la formation à l'environnement international

Les formations initiale et continue se sont efforcées de prendre en compte la dimension européenne et, plus largement, internationale .

La venue de nombreuses délégations étrangères à l'ENM favorise la découverte par les magistrats du fonctionnement des systèmes judiciaires étrangers.

Le droit communautaire est abordé (dans le cadre de la formation initiale) par le biais de conférences et de groupes de travail fonctionnant en ateliers co-animés par des magistrats spécialistes en droit communautaire ou international (membre du service juridique de la Commission, référendaires de la Cour de justice des Communautés européennes) et des maîtres de conférence. L'accent a également été mis sur les stages à l'étranger, notamment par le biais du stage extérieur (60 stages à l'étranger ont été accomplis par les auditeurs de justice de la promotion 2002).

Afin de mieux répondre aux enjeux européens, l'ENM a initié la création d'un réseau européen de formation judiciaire qui rassemble les écoles de formation des magistrats de l'ensemble des pays de l'Union européenne depuis la fin de l'année 2001.

La mission se félicite du positionnement de l'ENM en la matière et estime, à l'instar de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, que la constitution d'un tel réseau mériterait d'être institutionnalisée car « la création d'un espace européen de justice suppose, au premier chef, que les juges des différents Etats de l'Europe reçoivent une formation appropriée qui leur permette non seulement de connaître le droit communautaire et la convention européenne des droits de l'homme, mais aussi les systèmes juridiques et judiciaires des pays de l'Union avec lesquels ils auront à entretenir des relations de coopération. L'acquisition de ces connaissances théoriques et pratiques suppose des échanges et une formation partiellement commune des juges européens ».

Grâce à l'appui des programmes de financement européens destinés à la formation des juristes (Falcone, Grotius...), l'ENM a intensifié les échanges entre magistrats. Des échanges d'auditeurs sont organisés et permettent une mise en commun des techniques juridiques et des procédures.

Depuis deux ans, une action de formation commune aux auditeurs de justice français et aux élèves magistrats espagnols est co-organisée par les deux écoles sur le thème de l'entraide judiciaire. Ainsi ont-ils pu rédiger ensemble une commission rogatoire. Un accord de coopération a été également conclu avec les Pays-Bas et un autre est actuellement en cours avec le Portugal.

En outre, chaque maître de conférence doit, en complément de la formation qu'il dispense à l'ENM, accomplir une mission internationale.

Si les efforts de l'ENM paraissent indéniables, il convient néanmoins de relever en parallèle les insuffisances des enseignements dispensés en amont aux magistrats par l'Université, qui ne consacre qu'un temps très limité et, par conséquent, insuffisant, au droit communautaire (35 heures) et au droit international (36 heures). Des développements complémentaires ne sont qu'optionnels.

A la différence de l'ENM, le programme universitaire ne semble pas avoir pleinement intégré l'influence des droits européen et international sur l'évolution des métiers de la justice.

Pourtant, l'Europe et le droit international ont profondément bouleversé le métier de magistrat, qui s'exerce désormais bien au-delà du cadre franco-français.

C. DES MAGISTRATS PARFOIS DÉSORIENTÉS PAR LA NÉCESSAIRE OUVERTURE AU DROIT EUROPÉEN

L'Europe est venue modifier profondément le paysage judiciaire français. Autrefois subordonné aux seules règles nationales, le juge est désormais conduit non seulement à appliquer directement le droit européen, mais à adapter ses modes de raisonnement ainsi que ses méthodes de travail à des exigences nouvelles.

1. Un droit européen devenu désormais incontournable

a) Le juge français, promoteur du droit européen

La primauté des normes européennes et internationales sur les lois nationales a conduit le magistrat à enrichir, interpréter, voire écarter la loi nationale.

La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg mais aussi le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes s'imposent désormais aux juges français.

Ainsi, l'absence de transposition par la France d'une directive communautaire , une fois le délai de mise en oeuvre expiré, ne saurait empêcher les justiciables de s'en prévaloir en justice, de même qu'une telle situation ne saurait conduire les juridictions nationales à l'écarter. Toutefois, pour produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et les justiciables, la directive doit créer des obligations claires, précises et inconditionnelles 42( * ) .

Chaque juge national, pour trancher un litige qui lui est soumis, peut donc être appelé à interpréter un texte de droit communautaire et s'il le faut à écarter l'application de la loi nationale.

La Cour de cassation a d'ailleurs reconnu ce principe de longue date dans un arrêt du 24 mars 1975 (Société des cafés Jacques Vabre). Ainsi que l'a souligné M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, « nous sommes, juges nationaux, les premiers juges du droit européen ».

En outre, un juge national confronté à un délicat problème d'interprétation de la norme communautaire peut consulter la Cour de justice des communautés européennes par la technique du renvoi préjudiciel 43( * ) .

b) Les méthodes du juge français contraintes par le droit communautaire

Le juge est désormais contraint de s'ouvrir à des concepts et à des critères nouveaux , étrangers au droit français. Sa logique traditionnelle et ses mécanismes de raisonnement en sont profondément affectés.

Des notions nouvelles d'inspiration essentiellement anglo-saxonne telles que la proportionnalité, l'effectivité, le délai raisonnable ou encore l'impartialité imposent aux magistrats des exigences nouvelles, qui ont d'ailleurs déjà inspiré des modifications législatives importantes (par exemple la présence d'un avocat dès la première heure de garde à vue introduite par la loi du 15 juin 2000). Une telle évolution laisse présager une profonde transformation de la procédure pénale et, partant, du mode d'exercice du métier.

L'Association française des magistrats instructeurs a fait état des difficultés d'adaptation des juges face au formalisme procédural accru ayant résulté de l'imprégnation du droit français par le droit anglo-saxon, alors même que les juridictions sont asphyxiées par l'insuffisance de moyens.

A cet égard, un certain nombre de magistrats n'a pas manqué de relever les inévitables paradoxes de la situation actuelle. Ainsi, l'instauration d'un appel devant les cours d'assises a entraîné un encombrement des juridictions 44( * ) et indirectement contribué à allonger les délais de jugement.

De même, l'impact de la gratuité de la délivrance de la première reproduction de chaque acte à l'ensemble des avocats (décret du 31 juillet 2001), qui s'inscrivait initialement dans le mouvement de la protection de la présomption d'innocence et du renforcement des droits de la défense, suscite de fortes inquiétudes au sein des juridictions. Cette mesure, destinée à l'origine à améliorer la situation des justiciables semble au contraire avoir aggravé, voire même désorganisé considérablement le travail de l'ensemble des personnels, et donc nui indirectement au justiciable.

Plus encore que les conditions d'exercice du métier, la perception même du métier de magistrat est affectée par la perméabilité du droit français aux concepts anglo-saxons, l'introduction de concepts empiriques se heurtant au système juridique français qui repose encore sur des catégories juridiques très rigides.

Corseté par le code de procédure pénale ou le nouveau code de procédure civile, le magistrat est, dans le même temps, sommé de s'adapter à des catégories juridiques évolutives. Force est de constater que les repères du magistrat paraissent désormais brouillés.

c) Un juge fragilisé, voire menacé, s'il ne s'adapte pas à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

Alors que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, au même titre que celle de la Cour de justice des communautés européennes, s'impose désormais aux magistrats, des décisions peuvent être interprétées comme de véritables menaces pour l'avenir de certaines fonctions.

M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, s'est inquiété de la « crise actuelle » vécue par le parquet général à la suite d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd contre France du 31 mars 1998).

Cet arrêt, vivement contesté par l'ensemble des membres du parquet général, a en effet remis en cause une pratique instaurée par une coutume centenaire selon laquelle les avocats ne prenaient leurs conclusions qu'après avoir reçu communication du rapport, de la note et du projet d'arrêt élaborés par le conseiller-rapporteur.

Or, la cour a jugé que le secret du délibéré s'étendait aux travaux du rapporteur, empêchant ainsi sa communication aux parties ainsi qu'à l'avocat général. Depuis janvier 2002, les avocats généraux n'ont donc plus accès ni à la conférence préparatoire ni aux délibérés de la Cour de cassation.

M. Jean-François Burgelin a dénoncé la position de la Cour européenne, expliquant qu'elle avait entraîné un regrettable affaiblissement du parquet général qui, compte tenu de ses effectifs insuffisants, n'était plus désormais en mesure de requérir dans toutes les affaires comme la loi l'y obligeait pourtant 45( * ) .

On ne saurait nier qu'une telle évolution, qui va dans le sens d'une meilleure prise en compte des droits des justiciables et procède donc de valeurs incontestables, contient peut-être en germe une remise en cause de l'existence même du parquet général de la Cour de cassation, voire sa nécessaire redéfinition.

2. Le développement de la coopération judiciaire internationale : une impérieuse nécessité

a) La multiplication des mécanismes institutionnels

L'entraide judiciaire internationale (tant pénale que civile) conditionne l'exécution des décisions et l'efficacité de la justice au-delà des frontières nationales.

Comme l'a fort justement fait remarquer M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services judiciaires, au cours de son audition, les effets de la coopération judiciaire communautaire sont plus perceptibles en matière pénale, où l'entraide judiciaire se développe, qu'en matière civile, pour laquelle « il est ici possible de comparer le droit européen à l'Arlésienne ».

La mise en place du troisième pilier du traité de l'Union européenne consacré à la justice et aux affaires intérieures a permis des avancées dans le domaine pénal . Ce troisième pilier s'appuie essentiellement sur deux instruments : Europol (instance de coopération policière) et Eurojust 46( * ) , qui a vocation à coordonner dans certains domaines (criminalité organisée, terrorisme) l'action des autorités judiciaires des Etats parties.

Depuis mars 2001, chaque Etat membre a détaché à Bruxelles un procureur, ou l'équivalent, afin de faciliter la coordination des enquêtes judiciaires en matière pénale et l'exécution des commissions rogatoires.

Les négociations entre les Etats de l'Union européenne sur Eurojust n'ont toutefois pas abouti à la création d'un parquet européen, mais cette idée progresse. Certains juges, lors de l'appel de Genève de 1996, avaient souhaité l'institution d'un parquet européen.

Le Sénat s'est d'ailleurs prononcé en faveur de l'institution d'un procureur européen le 28 mars 2001 et la commission des Lois a récemment adopté une résolution 47( * ) , approuvant dans ses grandes lignes le dispositif proposé par la Commission européenne tendant à réviser les traités afin de créer un procureur européen chargé de la protection des intérêts financiers de la Communauté 48( * ) .

En matière civile , des progrès sont perceptibles depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le 1 er mai 1999.

Cette nouvelle étape vers une Europe judiciaire a permis la communautarisation des domaines civil et commercial. Au cours de l'année 2000, deux règlements communautaires ont été adoptés sur la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et en matière matrimoniale et de responsabilité parentale des enfants communs (Bruxelles II).

Plus récemment, une décision du 18 mai 2001 a prévu la mise en place d'un réseau judiciaire européen dans tous ces domaines à compter du 1 er décembre 2002.

La constitution d'un véritable espace européen, au sein duquel les magistrats devront trouver leur place, est donc en marche.

b) La création des magistrats de liaison

L'avènement d'une véritable culture judiciaire européenne et internationale a enrichi l'éventail des fonctions juridictionnelles, susceptibles d'être exercées par les magistrats.

L'échange de magistrats de liaison entre les pays de l'Union européenne a permis l' instauration de relations de confiance et une meilleure connaissance des systèmes judiciaires européens.

En France, la création de tels postes date de 1993 49( * ) . Sept magistrats occupent actuellement les fonctions de magistrats de liaison et sont installés en Allemagne, aux Etats-Unis, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en République tchèque.

Nommés par arrêté du ministre de la Justice, ces magistrats sont mis à la disposition du ministère des affaires étrangères et sont placés sous l'autorité de l'ambassadeur de France du pays d'accueil. Ils sont en général installés dans les locaux du ministère de la justice de ce pays.

S'agissant de la gestion de ces magistrats, un effort de transparence mériterait d'être accompli par la Chancellerie. En effet, les postes budgétaires sont localisés dans des juridictions et donc prélevés sur leurs effectifs, alors qu'ils s'apparentent à de véritables mises à disposition.

Les magistrats de liaison exercent des missions non juridictionnelles très diversifiées, consistant essentiellement à favoriser :

- l'entraide judiciaire (s'agissant du suivi des commissions rogatoires internationales, des procédures d'extradition...) ;

- la coopération judiciaire en matière de formation ;

- la communication au pays d'accueil (universités, administrations...) des informations sur le droit et les institutions juridiques et judiciaires françaises.

D'une manière générale, leur présence est très appréciée et permet des échanges fructueux , notamment entre les Etats de l'Union européenne.

3. Un statut désormais protégé et encadré par le droit européen

Désormais, le statut du juge français ne relève plus du seul Etat national, mais dépend également des normes internationales.

Une charte européenne sur le statut du juge a en effet été élaborée en juillet 1998, elle prévoit que ce statut tend « à assurer la compétence, l'indépendance et l'impartialité que toute personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune des juges auxquels est confiée la protection [des] droits ».

Elle énonce une série de principes généraux relatifs au recrutement, à la formation initiale, aux règles de nomination et au droit de constituer des organisations professionnelles.

Comme l'a souligné M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services judiciaires : « pratiquement tous les magistrats en possèdent un exemplaire et le consultent régulièrement. Cette charte constitue un repère ».

En outre, le statut et le rôle des professionnels de la justice ont été abordés dans le cadre d'une réflexion récente sur l'efficacité de la justice menée par un comité d'experts du Conseil de l'Europe (réuni à Bayonne du 27 février au 1 er mars 2002). Les axes de travail dégagés devraient permettre au Conseil de l'Europe de préparer « un projet d'instrument permettant l'évaluation du fonctionnement de la justice » 50( * ) .

En moins d'un demi-siècle, le magistrat français est donc devenu à la fois acteur de la construction européenne , promoteur du droit international , bénéficiaire mais parfois aussi victime de cette internationalisation du droit . Cette évolution l'a donc conduit, souvent de bon gré, parfois à reculons, à s'extraire des schémas traditionnels.

D. UN NÉCESSAIRE RECENTRAGE DU JUGE SUR SES MISSIONS NATURELLES

1. Un juge aux figures multiples

Le rôle du juge dans la société française est apparu comme une question centrale tout au long des auditions et au cours des déplacements organisés par la mission.

Avant même d'aborder la réalité concrète du périmètre d'intervention du magistrat judiciaire, il ne paraît pas inutile de réfléchir aux figures de représentation théorique du juge découlant de l'évolution du droit et des attentes des citoyens.

M. François Ost, universitaire belge, a distingué trois modèles de juge : le juge Jupiter avec son imperium, qui dit le droit, le juge Hercule qui, selon la propre expression de l'auteur, « s'astreint à d'épuisants travaux de justicier 51( * ) », et le juge Hermès , qui contribue à établir le dialogue entre tous les acteurs de la société. M. François Ost a par ailleurs complété son analyse en proposant une autre classification, qui fait apparaître la figure du juge pacificateur , celui qui apaise, celle du juge arbitre , qui s'éteint avec sa décision, et enfin celle du juge entraîneur , qui s'implique dans « le jugement pré-sentenciel et post-sentenciel ».

Actuellement, la figure du juge Hercule semble prédominante, tant en ce qui concerne les juges du siège que ceux du parquet. Le champ d'intervention du juge n'a en effet cessé de s'élargir.

2. Un éparpillement des missions dévolues aux magistrats du siège qui fragilise leur place au sein de l'institution judiciaire

La dispersion et la multiplication des tâches des juges du siège ont fait l'objet de vives critiques de la part de l'ensemble des magistrats entendus par la mission d'information.

En effet, ces magistrats cumulent actuellement de nombreuses missions parmi lesquelles on distingue des tâches purement juridictionnelles ayant pour principal objet de « dire le droit » et de trancher des litiges, auxquelles s'ajoutent des tâches situées à mi-chemin entre le juridictionnel et l'administratif, et enfin des missions essentiellement administratives.

a) La juxtaposition des missions

Cette juxtaposition de missions est depuis quelques années de moins en moins bien acceptée en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs :

L'explosion de la demande de droit a conduit les magistrats à intervenir dans tous les domaines, tant en matière civile que pénale.

Ainsi que l'a récemment écrit M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, « chaque homme veut trouver dans la justice un moyen d'atténuer les douleurs de la vie , quelle qu'en soit l'origine. Depuis le handicap de la naissance jusqu'à l'accident de montagne, en passant par des difficultés d'emploi ou de logement, toutes les misères que l'on rencontre dans l'existence doivent trouver réparation grâce à l'intervention du juge 52( * ) ».

Le juge est désormais devenu « le gardien de toutes les promesses », pour reprendre le titre d'un ouvrage publié il y a quelques années par M. Antoine Garapon, magistrat.

Cette judiciarisation croissante de la société trouve son origine dans l'effritement des structures traditionnelles de régulation sociale , lié notamment à l'éclatement de la famille, à l'affaiblissement de l'école, à la montée de la précarisation et au recul de la religion.

Le manque de moyens, caractérisé par l'insuffisance des effectifs de magistrats et de fonctionnaires, constitue une deuxième clef d'explication. Cette situation a entraîné un certain découragement chez les magistrats et les empêche d'accomplir avec la sérénité et avec le recul nécessaires les tâches qui leur sont dévolues.

L'entrée en vigueur des réformes nouvelles a également contribué à alimenter l'activité juridictionnelle. La loi du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption d'innocence a, par exemple, institué un juge des libertés et de la détention qui a engendré une charge de travail supplémentaire ayant conduit à la suppression ou au report de nombreuses audiences.

Il est donc patent que les juges du siège ne parviennent plus à assurer la totalité de leurs tâches .

Ce constat n'est pas nouveau. Ainsi, la commission de contrôle Haenel-Arthuis 53( * ) en 1991 et la mission d'information Jolibois-Fauchon 54( * ) en 1996 avaient déjà, en leur temps, souligné la nécessité d'un recentrage du juge du siège sur ses missions essentielles.

b) Les efforts en vue d'un recentrage du juge

Des efforts ont été accomplis en faveur d'un tel mouvement.

La déjudiciarisation de certains contentieux de masse , pour lesquels la saisine du juge n'intervient plus qu'en cas de contentieux déclaré, a constitué le premier axe de réforme. Elle a notamment concerné les contentieux relatifs aux chèques sans provision, aux accidents de la route (loi dite Badinter n° 85-677 du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation terrestre), plus récemment encore aux dossiers de surendettement (transférés à des commissions de surendettement en vertu de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions, à la procédure civile, pénale et administrative). De nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission ont d'ailleurs relevé que la réforme du surendettement avait donné satisfaction en permettant de désengorger efficacement les juridictions 55( * ) .

Le transfert aux greffiers en chef de certaines compétences de nature quasi-juridictionnelles normalement dévolues au juge a constitué le second volet de la réforme. Ce transfert a concerné l'établissement des certificats de nationalité, la réception du consentement à l'adoption et les déclarations conjointes de changement de nom d'un enfant, ou encore la vérification des comptes de tutelle (visas et contrôle des comptes) 56( * ) .

En dépit de ces avancées, le nécessaire recentrage demeure toujours d'actualité . En effet, de nombreux exemples ont été cités de manière récurrente pour illustrer la dispersion des missions confiées aux juges du siège, parmi lesquels le suivi des mesures de tutelle (gestion des biens des mineurs et des majeurs incapables), d'assistance éducative, ou encore la procédure de saisie-arrêt des rémunérations 57( * ) .

Plusieurs pistes tendant à réduire le champ d'intervention des juges du siège ont été évoquées devant la mission d'information.

c) La suppression pure et simple de certaines tâches et procédures constitue une première proposition intéressante

Ainsi que l'a suggéré l'Association nationale des juges d'instance, la suppression de la cotation et des paraphes obligatoires de certains registres (livres, registres et répertoire des officiers de l'état civil, des conservateurs des hypothèques, des notaires....) pourrait être envisagée, dans le prolongement de la suppression des paraphes des livres de paie opérée par un décret du 28 janvier 2000 au titre de la simplification administrative.

La procédure d'affirmation des procès-verbaux, par ailleurs déjà dressés par des agents assermentés (en matière de balisage des ports maritimes, d'infractions à la distribution d'énergie par EDF-GDF ou encore d'infractions douanières), paraît également inutile.

Les entretiens de Vendôme mentionnent d'autres tâches indues, d'ailleurs déjà effectuées par d'autres organismes ou administrations, comme notamment la conservation des doubles des registres de l'état civil (disponibles à la mairie), les visites semestrielles dans les hôpitaux psychiatriques 58( * ) , déjà effectuées tous les trimestres par le parquet.

Il est également permis de s'interroger sur l'opportunité de maintenir la procédure de l'injonction de faire (près de 6.000 requêtes par an), qui ne revêt aucun caractère exécutoire, et ne dispense donc pas le demandeur de saisir le juge au fond pour obtenir un titre exécutoire en cas de refus.

La mission d'information préconise la suppression de l'ensemble des tâches du juge faisant double emploi ou s'avérant inefficaces.

d) Le transfert de certaines tâches de caractère quasi juridictionnel vers d'autres acteurs de la justice (greffiers en chef, officiers publics et ministériels) pourrait également être envisagé

Les homologations de changement de régime matrimonial, l'adoption, la réception des déclarations de nationalité 59( * ) , la procédure d'injonction de payer 60( * ) pourraient aisément être retirées au juge pour être confiés à d'autres.

En revanche, la mission d'information demeure plus réservée sur la question d'un éventuel transfert des missions du juge en matière de tutelle.

Plusieurs acteurs se sont déclarés prêts à assumer de nouvelles tâches afin d'enrichir l'exercice de leur métier et de permettre une rationalisation du fonctionnement de la justice.

Néanmoins, les greffiers en chef rencontrés par la mission d'information lors de son déplacement à Dijon, tout en approuvant le principe d'un éventuel transfert de compétences, se sont fait l'écho des difficultés éprouvées en 1995, lors du transfert de la vérification des comptes de tutelle. Ils ont souligné la surcharge de travail qui en avait résulté et l'absence de formation en matière comptable et financière.

La mission d'information juge souhaitable la poursuite du mouvement amorcé en 1995 en faveur d'un transfert de tâches du juge aux greffiers en chef. Elle tient cependant à souligner la nécessité d'associer pleinement les personnels des greffes à une telle réforme.

En outre, la mission tient à souligner qu'un tel transfert ne saurait s'effectuer à moyens constants et sans que soient prévus des délais d'entrée en vigueur suffisamment longs pour permettre aux intéressés d'acquérir les compétences requises .

Par ailleurs, les notaires se sont déclarés très favorables à un transfert de certaines tâches, notamment en matière d'homologation des changements de régime matrimonial, d'envoi en possession des successions ou de partage impliquant un mineur sans homologation judiciaire. Leur qualité d'officier public et ministériel et d'auxiliaire de justice constitue une garantie suffisante pour qu'ils puissent se voir confier certaines tâches actuellement dévolues au juge, le cas échéant avec le contreseing d'un deuxième notaire.

e) Des interrogations sur la poursuite du mouvement de déjudiciarisation pourtant fréquemment suggérée par les interlocuteurs de la mission

Il s'agit, une fois encore d'alléger le travail du juge en évitant son intervention en première ligne au profit d'un rôle de recours .

La déjudiciarisation de la procédure de divorce par consentement mutuel a été fréquemment mise en avant. La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel a, en particulier, préconisé de permettre aux époux de décider de leur divorce par une convention sans intervention du juge, chacun étant assisté d'un avocat différent 61( * ) .

Toutefois, il semble que le législateur, à l'occasion de l'examen de la réforme du divorce présentée en février 2002 par Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, n'ait pas souhaité s'engager dans cette voie, estimant que la vérification de l'accord entre les parties devait être garantie par un juge . C'est pourquoi la mission n'a pas jugé opportun de retenir une telle orientation.

La limitation du périmètre d'intervention du juge, s'agissant de certaines infractions au code de la route , a également été souhaitée par un grand nombre d'interlocuteurs.

M. Olivier Aimot, premier président de la cour d'appel de Rennes, membre de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, a indiqué qu'en Bretagne, « la moitié de l'activité pénale des tribunaux correctionnels est relative à la délinquance routière, due notamment à des problèmes d'alcoolémie », afin de mettre en exergue la nécessité de décharger le juge du traitement de ce contentieux de masse.

L'Union syndicale de la magistrature est allée dans le même sens s'agissant des excès de vitesse : « La gestion des excès de vitesse doit être modifiée. En effet, un même radar peut, sous un tunnel en Savoie, identifier près de 3.000 personnes en infraction en une seule journée.  La capacité de traitement d'un tribunal de police dans une juridiction moyenne est de 2.000 affaires par an. Nous voyons donc qu'un tunnel peut à lui tout seul générer une fois et demie la capacité annuelle d'absorption d'un tribunal de police ».

Or, le transfert de ce contentieux de masse au profit d'une autorité administrative paraît possible compte tenu du caractère automatique des sanctions résultant de telles infractions.

Les inconvénients d'une telle réforme n'ont toutefois pas échappé à la mission d'information. Il existe un effet un risque de « déshumanisation » du traitement de ces affaires, la sanction pré-déterminée devenant automatique et le justiciable n'ayant plus d'interlocuteur à qui s'adresser sauf en cas d'appel de la décision.

S'il est toujours possible de faire valoir des difficultés financières devant le juge pour le paiement d'une amende, il ne paraît pas certain que l'administration fasse preuve de la même capacité d'écoute...

La mission d'information souhaite qu'une réflexion s'engage sur l'opportunité de maintenir le traitement du contentieux de masse lié aux infractions routières dans les attributions du juge afin qu'une telle réforme, si elle s'avérait opportune, puisse être conduite dans l'intérêt du justiciable.

En outre, si certains contentieux étaient retirés au juge, il conviendrait de déterminer avec précision quelles autorités seraient désormais chargées de prendre en charge ces affaires.

Une solution originale proposée au cours des entretiens de Vendôme a retenu l'attention de la mission. Elle consisterait à transférer certains contentieux particuliers (fiscaux, douaniers, vols dans les grands magasins) à des organismes autorisés à prononcer des sanctions mineures et composés paritairement de représentants des administrations concernées et de citoyens.

Cette nouvelle voie de traitement des affaires présente de nombreux avantages, en permettant  notamment de désengorger les tribunaux, d'associer les citoyens à certaines décisions intéressant la société, d'encadrer le pouvoir de l'administration et, enfin, de créer une nouvelle forme de justice plus rapide, mais également plus humaine. Elle demande évidemment la mise en place des garde-fous nécessaires à la garantie des droits des justiciables.

f) Des réserves quant au développement de l'arbitrage

L'Association professionnelle des magistrats a pour sa part préconisé d'encourager l'arbitrage, dont le champ d'application est actuellement limité aux contrats conclus à raison d'une activité professionnelle 62( * ) .

Toutefois, si un effort en faveur du recours à la clause compromissoire s'avère utile dans les contrats entre professionnels, un consensus s'est dégagé contre l'élargissement de la clause compromissoire dans les relations non professionnelles. En effet, l'arbitrage apparaît comme une justice très onéreuse . Il soulève également une question de principe liée à la remise en cause des fonctions régaliennes de l'Etat.

La plupart des avocats entendus par la mission ont fait part d'expériences d'arbitrage mitigées. Ainsi que l'a indiqué la Conférence des bâtonniers, la chambre d'arbitrage créée en 1994 dans la région Rhône-Alpes (réunissant des avocats, des notaires et des huissiers) n'a connu que deux affaires.

Si l'arbitrage apparaît incontournable pour certains professionnels, il ne paraît pas souhaitable de développer cette voie dans le domaine du droit judiciaire privé.

3. La participation controversée des magistrats aux commissions administratives

La multiplication des participations aux commissions administratives, qualifiées par un chef de tribunal de grande instance de « commissions parasites » a été unanimement dénoncée.

Elle concerne tant les magistrats du siège que ceux du parquet. Cette activité s'avère très chronophage et est de moins en moins bien acceptée par les magistrats, soucieux de traiter leurs dossiers dans des délais acceptables.

La liste des commissions administratives et organismes divers dans lesquels les magistrats sont susceptibles d'être présents a été établie à l'occasion des entretiens de Vendôme.

On en dénombre 135 au total qui recouvrent des domaines très variés, notamment électoral (commission de propagande pour l'élection des députés, commission locale de contrôle de la campagne électorale pour l'élection du président de la République), social (commission d'admission à l'aide sociale, commission départementale de la médaille de la famille française...), économique et fiscal (commission de protection des obtentions végétales, commission d'autorisation de transport de débit de boissons), ou encore en matière d'aménagement foncier et rural (commission consultative paritaire nationale des baux ruraux).

L'exigence d'une présence de magistrats au sein de ces commissions est devenue purement formelle et principalement destinée à « faire preuve de courtoisie à l'égard de la Chancellerie », ainsi que l'a indiqué Mme Marylise Lebranchu, ancien garde des Sceaux, lors de son audition.

Force est de constater que, dans de nombreux cas, leur présence s'avère inutile . Ainsi que l'a fait observer M. Jean-Paul Collomp lors de son audition, le législateur porte en grande partie la responsabilité de cette dérive puisque la plupart de ces commissions sont de création législative et que « lorsqu'elles sont de créations réglementaires, il s'agit de décrets d'application ».

La mission d'information estime donc indispensable que le législateur se saisisse de cette question afin, d'une part, de dresser un inventaire des commissions dans lesquelles la présence d'un juge ne paraît pas nécessaire et de supprimer cette participation, d'autre part, de se montrer plus vigilant à l'avenir et de limiter cette participation à des hypothèses limitativement énumérées.

Deux critères suggérés par un certain nombre de magistrats auditionnés apparaissent pertinents et semblent susceptibles de légitimer leur présence au sein des commissions extra-juridictionnelles :

- lorsque les décisions rendues mettent en cause les libertés publiques ;

- lorsque ces décisions intéressent l'institution judiciaire en général (y compris la protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire).

La mission propose de réduire la présence des magistrats aux seules commissions administratives dont les activités mettent en cause les libertés publiques ou relèvent par nature de la sphère judiciaire.

4. La participation des magistrats aux politiques publiques

La nécessité de recentrer les magistrats sur leurs tâches essentielles, accrue par le manque de moyens de la justice, a conduit la mission à s'interroger sur le bien-fondé de leur participation aux politiques publiques.

Depuis une vingtaine d'années, notamment dans le cadre de la politique de la ville, les juges sont sortis des palais de justice pour se rendre sur le terrain. L'ouverture du magistrat sur la cité et son association aux politiques partenariales apparaissent désormais inévitables. Le juge ne peut plus s'isoler dans sa tour d'ivoire au risque de se couper des réalités.

a) Une vocation nouvelle des magistrats du parquet bien acceptée

Les magistrats du parquet sont très sollicités à cet égard et ont bien intégré cette évolution.

Au cours de son audition, l'Association des magistrats du parquet s'en est d'ailleurs fait l'écho : « le rôle du magistrat était autrefois de traiter les affaires et requérir à l'audience. Les magistrats restaient dans leur cabinet [...]. Aujourd'hui, les motifs de déplacement sur le terrain deviennent de plus en plus nombreux ».

Depuis 1983, le parquet s'est vu confier la charge d' impulser et de coordonner des politiques publiques en relation étroite avec les élus et les représentants de l'Etat .

Cette initiative a été le fruit d'une volonté de l'Etat de développer des politiques partenariales dans le double souci de prévenir la délinquance , d'une part, et de favoriser la réinsertion , d'autre part.

Cette démarche s'est concrétisée par la mise en place de nombreux outils dont le parquet est devenu un acteur essentiel . La mise en oeuvre de contrats locaux de sécurité (CLS), créés par voie de circulaire en octobre 1997 63( * ) , qui fonctionnent en partenariat entre la justice et les élus locaux, a constitué une des pierres angulaires de cette évolution.

On recense actuellement près de 550 contrats locaux de sécurité. Deux circulaires du 5 janvier et du 9 mars 1998 ont contribué à impliquer de façon très importante l'autorité judiciaire.

Les conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) et les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) offrent d'autres exemples de ces relations partenariales entre les autorités régaliennes de l'Etat et les acteurs de la démocratie locale.

L'importance du temps consacré aux activités non juridictionnelles s'impose désormais comme une évidence . Une étude réalisée de juin à novembre 1999 pour analyser les charges de travail des parquets généraux a fait ressortir que la répartition du temps de travail entre les activités juridictionnelles et non juridictionnelles oscillait entre 45 % et 50 % pour les petites et moyennes juridictions (comprenant en moyenne entre 3 et 9 magistrats) et 40 % pour les plus importantes 64( * ) . Ainsi plus la taille du parquet augmente, plus le temps consacré aux activités juridictionnelles décroît.

Le temps dont disposent les magistrats pour travailler sur les procédures et les dossiers s'en trouve donc nécessairement limité.

En dépit d'une dégradation manifeste des conditions de travail du parquet liées à la pénurie des moyens et à l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption d'innocence, tous les magistrats du parquet ont approuvé cette mission nouvelle et n'ont pas manifesté la volonté d'en être déchargés.

Leur participation aux politiques publiques permet aux magistrats du parquet de recevoir des informations mais également d'en donner. M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux confirme ainsi « qu'il n'est pas imaginable que les magistrats, qui sont seuls légitimes à prononcer des mesures de répression, se désintéressent tant de l'amont que de l'aval . »

De plus, l'engagement du parquet dans les politiques publiques a également modifié leur positionnement au sein de l'institution judiciaire. Ainsi, ils sont devenus l'interface entre les magistrats du siège et les décideurs extérieurs (autorité préfectorale, élus locaux).

Sans remettre en cause leur participation à cette mission nouvelle, tous les interlocuteurs du parquet rencontrés par la mission ont fait état des difficultés à assumer ce rôle en raison d'un manque de moyens. M. André Ride a en effet indiqué que « lorsque vous êtes procureur de la République avec un seul substitut et que vous êtes engagé dans toutes les actions de la politique de la ville, vous avez dans le même temps à assurer votre tâche première, c'est-à-dire faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix doivent être faits. Ce choix est malheureusement vite fait lorsque vous n'avez pas les moyens d'assumer vos deux missions. ».

La mission partage pleinement ces préoccupations. Consciente de la nécessité d'associer l'autorité judiciaire à la conduite des politiques publiques, elle juge indispensable de renforcer les moyens du parquet pour lui permettre d'exercer correctement cette mission.

Il est apparu choquant que les procureurs ne disposent ni d'une équipe, ni d'un secrétaire général (dans les juridictions les plus importantes) pour leur apporter un soutien. Actuellement, les magistrats du parquet participent seuls aux réunions et établissent leurs statistiques et leurs rapports sans aucune aide particulière et souvent sans moyens matériels conséquents.

La mission suggère la création de nouvelles fonctions d'assistants du parquet, qui pourraient être exercées soit par des assistants de justice, soit par des greffiers, afin de lui permettre de participer aux politiques publiques.

b) Une mission difficilement compatible avec celles des magistrats du siège

Contrairement à leurs collègues du parquet, les magistrats du siège ne souhaitent pas participer aux politiques publiques.

La Conférence nationale des premiers présidents, au cours de son audition, a expliqué avoir débattu particulièrement sur cette question pour en conclure que « l'action du juge ne doit pas faire l'objet d'une contractualisation qui pourrait faire douter de son impartialité dans les litiges dont il serait saisi [...] ».

Cette différence de position entre le siège et le parquet résulte de la distinction qui existe entre ces deux fonctions. Alors que les magistrats du parquet ont pour vocation naturelle de défendre l'intérêt général et d'appliquer la politique pénale du Gouvernement, les magistrats du siège quant à eux ont à juger des situations individuelles. L'association de ces derniers à la définition des politiques publiques les expose inévitablement à engager la juridiction à laquelle ils appartiennent ou à renier leur « liberté juridictionnelle ».

La mission d'information, tout en comprenant les réserves émises par les magistrats du siège 65( * ) , tient toutefois à souligner que certaines fonctions, en particulier celles de juge des enfants et de juge de l'application des peines qui sont largement ouvertes sur l'extérieur, ne sauraient faire l'économie d'un engagement minimal avec leurs partenaires, le parquet étant amené à jouer un rôle d'interface. Ces magistrats ont en effet un besoin impérieux de se déplacer sur le terrain, de travailler en équipe et de visiter les établissements avec lesquels ils travaillent.

E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET

1. Conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet, un sentiment unanimement partagé au sein de la magistrature

Une réflexion sur le champ d'intervention du juge ne saurait faire l'économie de la question du statut du parquet et d'une éventuelle séparation des carrières entre le siège et le parquet .

On rappellera brièvement que le système judiciaire français permet à l'ensemble des magistrats de bénéficier d'une formation commune et de prêter un serment identique lors de leur entrée en fonction.

Néanmoins, le rôle, le mode de nomination et les relations avec la Chancellerie diffèrent selon que le magistrat relève du siège ou du parquet.

Ainsi que le souligne M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services judiciaires, « le métier de poursuivre n'est pas le même métier que celui de dire le droit ».

La mission du ministère public consiste en effet à exercer l'action publique, à diriger les enquêtes, à contrôler la police judiciaire en matière pénale et à agir pour la défense de l'ordre public en matière civile.

Les rôles dévolus au siège et au parquet sont donc très différents . Les magistrats du siège et ceux du parquet exercent donc deux métiers nettement distincts .

M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel s'est d'ailleurs fait l'écho de cette différence lors de son audition : « le juge est un arbitre entre des positions antagonistes qui opposent la société à des particuliers ou des particuliers entre eux [...]. Le procureur n'est pas un juge, mais un magistrat [...] ».

Contrairement aux magistrats du siège qui sont inamovibles, les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux dont ils dépendent et qui peut, en outre, adresser des instructions aux procureurs généraux.

En dépit des divergences fonctionnelles et statutaires qui caractérisent ces deux métiers, la mission, au cours de ses auditions et lors de ses déplacements, a pu constater que le principe selon lequel les fonctions dévolues au parquet devaient être exercées par des magistrats, garants des libertés publiques et de l'intérêt général , n'était pas contesté au sein de la magistrature.

Tous les magistrats rencontrés par la mission ont estimé que le ministère public était détenteur d'un véritable pouvoir juridictionnel , notamment s'agissant de l'opportunité des poursuites, ce qui justifie pleinement qu'il ne soit pas assimilé à un corps de fonctionnaires .

L'Association des magistrats du parquet a, lors de son audition, indiqué que le ministère public ne pouvait être réduit à une simple partie poursuivante alors que certaines de ses missions naturelles, au demeurant renforcées par la loi du 15 juin 2000 précitée, les portaient vers la protection des libertés individuelles , notamment à travers le contrôle des gardes à vue, la visite des locaux de garde à vue et l'aide aux victimes.

Une décision du Conseil constitutionnel n° 93-326 DC du 11 août 1993 est allée dans ce sens en affirmant que « l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution assure le respect de la liberté individuelle comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet . » M. Pierre Truche, président de la Commission de réflexion sur la justice mise en place en 1997, s'est clairement prononcé en faveur du maintien de la qualité de magistrat aux membres du ministère public 66( * ) .

La plupart des magistrats du parquet ont, en outre, fait valoir devant la mission que leur rôle ne pouvait se résumer à celui de simple accusateur public mais s'étendait au contraire à la défense de l'intérêt général . « Il n'est pas rare que des magistrats du parquet qui ne sont pas convaincus de la solidité d'un dossier refusent de requérir une peine. » 67( * ) Ils ont également indiqué devoir enquêter à charge et à décharge .

M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a également pointé le risque qu'une séparation des carrières ne conduise à un affaiblissement de l'autorité et de la légitimité du magistrat du parquet non seulement vis à vis de ses interlocuteurs naturels (gendarmerie et police), mais également à l'égard de ses autres interlocuteurs extérieurs (préfet, élus locaux).

En revanche, d'autres acteurs extérieurs à l'institution judiciaire même, en particulier certains officiers de police judiciaire (commissaires de police) et certains avocats, souhaiteraient faire prévaloir un système à l'anglo-saxonne dans lequel, d'une part, les avocats ont un poids déterminant dans l'enquête 68( * ) et, d'autre part, les membres du parquet sont des fonctionnaires.

Un tel schéma conduirait les membres du ministère public à perdre leur qualité de magistrat pour devenir des fonctionnaires de l'Etat dotés d'un nouveau statut particulier.

La mission d'information tient à souligner la nécessité de conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet.

La question plus spécifique des liens du parquet avec la Chancellerie n'a pas été évoquée devant la mission d'information, mais mériterait à elle toute seule un long développement 69( * ) .

2. Des interrogations sur la séparation des carrières

Dans le prolongement de ce débat, la question du maintien de l'unité de corps au sein de la magistrature a été évoquée à de nombreuses reprises devant la mission et il est apparu que les avis étaient partagés .

La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel s'est déclarée favorable à une séparation des fonctions du siège et du parquet au motif qu'« un même corps réunit les juges et les procureurs, ce qui entretient leur soupçon d'inféodation des juges au pouvoir exécutif, ainsi qu'un certain déséquilibre dans le procès du fait de la proximité du juge et du représentant de l'accusation ».

La relation spécifique qu'entretient le parquet avec le pouvoir politique, conjuguée avec l'appartenance à un même corps, apparaît en effet, selon la Conférence des premiers présidents de cour d'appel, de nature à laisser perdurer une confusion des rôles dans l'esprit des justiciables et plus généralement dans l'opinion publique et elle serait nuisible, voire incompatible avec l'exigence d'impartialité qui s'impose aux juges du siège. Depuis 1996, la Conférence souhaite qu'une clarification soit opérée afin que deux corps soient créés.

S'il ne lui paraît pas indispensable de remettre en cause le principe d'une même formation pour chacun des corps, elle suggère en revanche que les serments soient différents.

La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel propose toutefois de conserver une certaine souplesse en réservant la possibilité de passer d'un corps à l'autre, au moins durant les cinq premières années de la vie professionnelle.

Cette position est cependant apparue très isolée au sein de la magistrature . En effet, l'ensemble des magistrats rencontrés par la mission a marqué son attachement à l'unité du corps . L'unité des carrières du siège et du parquet a été présentée unanimement comme un enrichissement réciproque de fonctions qui partagent une même éthique et une même culture.

Les représentants des promotions des auditeurs de justice rencontrés par la mission au cours de son déplacement ont pleinement partagé cette analyse, soulignant que le choix des postes au cours de la première affectation n'était pas figé , ce qui rendait le métier de magistrat très intéressant . M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a en outre mis en avant le risque qu'une séparation des carrières conduise à un affaiblissement du ministère public et à une « fonctionnarisation rampante », selon sa propre expression.

Il apparaît donc que le débat reste ouvert.

3. Les difficultés actuelles des magistrats du parquet

La mission ne saurait conclure sur la question du parquet sans évoquer les difficultés actuelles, maintes fois mentionnées par les intéressés tout au long de ses travaux, et plus particulièrement :

- les pouvoirs de direction de la police judiciaire dévolus au parquet résultant du code de procédure pénale (articles 12 et 42) qui se heurtent au nombre insuffisant des officiers de police judiciaire, à un déficit de formation, à des problèmes d'organisation et à une certaine contestation de la part des commissaires de police. La police de proximité, devenue une priorité a pris le pas sur la police d'investigation aujourd'hui sacrifiée ;

- les conditions de travail qui ne cessent de se dégrader en raison des contraintes particulières du métier de « parquetier ». Le service doit être assuré vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nombre de magistrats travaillent parfois sept jours et sept nuits de suite. Dans les plus petites juridictions, ces longues permanences ont une fréquence très régulière (une semaine sur deux). Le travail des magistrats du parquet est parfois comparable à celui des internes des hôpitaux.

Cette situation préoccupante s'est traduite par une crise des recrutements , voire des vocations. D'après l'Association des magistrats du parquet, pour un magistrat du siège souhaitant être appelé au parquet, il existerait huit magistrats désireux d'opérer le mouvement inverse.

Cette information n'a pas été confirmée par la Chancellerie 70( * ) , qui reconnaît néanmoins l'existence d'une certaine désaffection des magistrats pour les fonctions du parquet.

Le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport d'activité pour 1999, avait déjà signalé ces départs massifs du parquet vers des fonctions du siège : « on observe qu'un nombre croissant de magistrats du second grade se porte candidats à des fonctions du même niveau hiérarchique au siège alors que l'inverse ne se vérifie pas. Le très faible nombre de candidats à des postes de substitut, fort convoités naguère, voire ici ou là, une absence totale de candidature, conduit aux mêmes conclusions 71( * ) ». Ce constat ne cesse de se confirmer depuis lors et paraît inquiétant.

Les magistrats du parquet se trouvent donc actuellement à la croisée des chemins, et il paraît très difficile de définir précisément quels seront les futurs contours de ce métier s'il ne dispose pas rapidement des moyens suffisants pour remplir sa mission .

II. DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES DÉCOURAGÉS

Trop souvent, l'institution judiciaire est assimilée aux magistrats, comme l'école est réduite à ses professeurs. Pourtant, les personnels des greffes constituent un maillon essentiel de la chaîne judiciaire dont la solidité doit être affermie.

L'évolution des métiers de ces fonctionnaires de l'Etat met en lumière un décalage croissant, source de tensions, entre la hausse de leur niveau de recrutement et la nature des tâches qui leur sont assignées. Clarification et spécialisation constituent aujourd'hui les maître-mots d'une nécessaire modernisation.

A. UN SERVICE PUBLIC RÉCENT

1. Une fonctionnarisation progressive

Les personnels des greffes sont des fonctionnaires de l'Etat depuis moins de trente ans.

La loi n° 65-1002 du 30 novembre 1965 portant réforme des greffes des juridictions civiles et pénales et supprimant la vénalité des charges est entrée en vigueur le 1 er décembre 1967, assortie d'une période transitoire de dix ans au cours de laquelle ont coexisté, dans les juridictions, des fonctionnaires des greffes et des officiers publics et ministériels.

La loi n° 79-44 du 18 janvier 1979 a fait des greffiers en chef et des greffiers des conseils de prud'hommes, fonctionnaires départementaux depuis 1946, des fonctionnaires de l'Etat.

Plus tard, en 1988, la décentralisation et le transfert des charges de la justice à l'Etat ont entraîné l'intégration d'une partie des personnels départementaux mis à la disposition des juridictions dans un corps des agents des cours et tribunaux.

Enfin, trois décrets du 30 avril 1992 72( * ) ont opéré la fusion entre les agents des cours, des tribunaux et des conseils de prud'hommes, en créant un corps unique de greffiers en chef, un corps unique de greffiers et des corps de fonctionnaires des catégories C et D des services judiciaires et en les dotant d'un statut, actualisé à plusieurs reprises depuis 73( * ) .

La fonctionnarisation des services judiciaires s'est donc effectuée progressivement, ce qui explique en partie certaines disparités actuelles dans la composition et la structure des différents corps dont il a été fait état, à Bordeaux, devant une délégation de la mission.

2. Des effectifs en forte croissance mais encore insuffisants

Au 30 mai 2002, les effectifs budgétaires des services judiciaires s'élevaient à 1.690 greffiers en chef, 7.480 greffiers, 11.209 agents de catégorie C , dont 9.495 agents de bureau et 1.714 agents des services techniques 74( * ) .

Ces effectifs se sont considérablement accrus depuis trente ans , puisque le nombre des greffiers en chef et des greffiers a été multiplié par 1,9 et celui des fonctionnaires de catégorie C par 2,3.

En 2002, conformément au plan pluriannuel de recrutement prévu par le protocole d'accord signé le 1 er décembre 2000 entre la garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, et quatre organisations syndicales de fonctionnaires à la suite de mouvements de mécontentement, 10 postes de greffiers en chef et 500 postes de greffiers ont été créés. Ils doivent être pourvus par un concours exceptionnel de recrutement, s'ajoutant au recrutement de 500 greffiers déjà intervenu en 2001.

Pour autant, le ratio magistrats/fonctionnaires ne cesse de baisser , comme le déplorait notre regrettée collègue Dinah Derycke dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté au nom de la commission des Lois 75( * ) . Il est passé de 2,82 en 1999 à 2,61 en 2002.

3. Un personnel jeune et féminisé

Les fonctionnaires des greffes, en particulier les greffiers et les agents de catégorie C, constituent une population jeune et fortement féminisée .

Les moins de 40 ans représentent 29 % des personnels de bureau, 33 % des greffiers et 26 % des greffiers en chef.

La proportion des femmes est de 71 % parmi les greffiers en chef, de 81 % parmi les greffiers et de 87 % parmi les personnels de bureau.

Comme il l'a été indiqué à la mission lors de son déplacement à Dijon, cette situation emporte des conséquences non négligeables sur le fonctionnement des greffes en raison du taux élevé d'agents à temps partiel 76( * ) et des absences pour congé de maternité ou de garde d'enfant malade.

4. Des professionnels appréciés

L'enquête de satisfaction auprès des usagers de la justice réalisée en mai 2001 par l'Institut Louis Harris pour le compte de la mission de recherche droit et justice a fait état d'un jugement positif à l'égard des personnels des greffes .

87 % des interviewés estimaient que les fonctionnaires du tribunal avaient été courtois, 86 % respectueux, 78 % compétents, 77 % humains, 74 % clairs dans leurs explications. Par ailleurs, 70 % déclaraient que les fonctionnaires les avaient bien compris et 67 % qu'ils avaient été disponibles.

Toutefois, cette satisfaction générale masque des appréciations plus nuancées selon la juridiction ou la situation de l'usager.

Tous contentieux confondus, les usagers considéraient que les fonctionnaires pourraient faire preuve d'une plus grande empathie. 30 % estimaient ainsi avoir été mal compris et mal écoutés par leurs interlocuteurs et 44 % ne pas avoir été bien soutenus.

Les interviewés dont l'affaire relevait d'une juridiction pénale se montraient plus critiques : 37 % des usagers du tribunal de police et 40 % des usagers du tribunal correctionnel estimaient avoir été mal compris.

Enfin, la satisfaction de ceux qui avaient perdu leur procès (devant les juridictions civiles) était encore plus faible : 43 % déclaraient avoir été compris, 42 % écoutés et 31 % soutenus.

L'institution judiciaire dispose aujourd'hui d'une génération entière de fonctionnaires des greffes fortement imprégnée des valeurs du service public de la justice sur laquelle elle peut compter. Pourtant, la multiplication des tâches, jointe au manque d'effectifs, a entraîné une confusion dans les responsabilités de chacun et un sentiment généralisé de lassitude et de découragement.

B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN

1. La double mission juridictionnelle et d'administration des personnels des greffes

La spécificité des greffes tient à leur double mission juridictionnelle et d'administration.

Leur mission traditionnelle est en effet l'assistance du juge et l'authentification des actes judiciaires 77( * ) . En outre, à la différence d'autres administrations, les services judiciaires ne disposent pas de corps des services déconcentrés à vocation d'administration générale .

Comme le soulignait la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des greffes : « Depuis la fonctionnarisation, l'institution évolue dans une logique fonctionnelle dans laquelle les fonctions de gestion et les fonctions d'assistance du juge sont assurées par les mêmes acteurs. L'alternative d'une logique organisationnelle séparant strictement la fonction de gestion de la fonction judiciaire a été écartée, afin d'éviter les pratiques antérieures à la fonctionnarisation et le risque d'atteinte à l'indépendance de l'institution judiciaire. 78( * ) »

C'est ainsi que s'est développée une culture de la polyvalence au sein des greffes. Elle a permis aux fonctionnaires de faire face à l'alourdissement progressif de leurs tâches, au prix d'une confusion des rôles et d'un malaise croissants.

2. Un sentiment de lassitude face à l'alourdissement des tâches et à la confusion des rôles

a) Les greffiers en chef : des administrateurs à temps plein

Fonctionnaire de catégorie A, le greffier en chef a vocation à exercer des fonctions d'administration, d'encadrement, de gestion, d'enseignement et d'assistance du juge dans les actes de sa juridiction 79( * ) .

Il prépare le budget de la juridiction et en assure l'exécution. Il veille à la bonne gestion des moyens matériels, des locaux et équipements dont il a la charge. Il assume également une mission d'animation et de direction d'une équipe de collaborateurs dont il coordonne l'activité.

Depuis la création des services administratifs régionaux en 1996, les greffiers en chef peuvent également exercer les fonctions de coordonnateur d'un service administratif régional dans une cour d'appel.

Praticien du droit, le greffier en chef doit par ailleurs être à même d'exercer toutes les fonctions du greffe . Il organise l'assistance des juges lors des audiences et au cours des procédures dont le greffe doit garantir le respect et l'authenticité.

Conservateur des actes, registres et archives de la juridiction, le greffier en chef en constitue la « mémoire ».

Il dispose également d' attributions propres qui, comme il l'a été indiqué précédemment, se sont accrues depuis quelques années dans le but d'alléger le fardeau du juge :

- au tribunal d'instance, en matière de cession et de saisie de rémunération, de procuration de vote, de consentement à l'adoption, de certificat de nationalité, de scellés et de tutelles ;

- au tribunal de grande instance, en matière de pièces à conviction, d'aide juridictionnelle ainsi qu'à l'occasion de différentes déclarations dans le domaine familial.

Comme on l'a vu de nouvelles tâches pourraient encore lui être confiées 80( * ) .

L'appellation de greffier en chef reflète donc mal la diversité et l'importance des missions qu'il lui faut remplir . Elle prête à confusion et n'est guère valorisante, puisqu'elle laisse à penser qu'il s'agit d'une fonction exercée par un greffier et non d'un corps de catégorie A.

Les missions des greffiers en chef diffèrent selon les juridictions . Dans les plus importantes, le chef de greffe est assisté d'un ou de plusieurs greffiers en chef adjoints ou chefs de service, qui assurent sa suppléance en cas d'absence ou d'empêchement.

D'une manière générale, le poids de leurs tâches administratives les empêche souvent, en pratique, de jouer tout rôle d'assistance du magistrat et, parfois, d'exercer eux-mêmes les compétences autrefois dévolues aux juges. Telle est la raison pour laquelle, l'Union syndicale autonome justice et le Syndicat des greffiers de France ont souhaité devant la mission que certaines des attributions des greffiers en chef, par exemple les certificats de propriété et de notoriété, puissent être transférées ou, à tout le moins, déléguées aux greffiers , ce qui permettrait au droit de rejoindre la pratique et d'assurer la continuité du service public 81( * ) .

Mais les greffiers sont eux aussi astreints à de lourdes tâches.

b) Les greffiers : les « notaires des juridictions »

Fonctionnaire de catégorie B placé sous l'autorité du greffier en chef 82( * ) , le greffier a pour missions principales l'assistance du magistrat et l'authentification des actes juridictionnels .

Au-delà de la transcription fidèle des débats à l'audience, il est responsable du respect et de l'authenticité de la procédure tout au long de son déroulement. Aussi est-il souvent qualifié, comme il l'a été rappelé devant des membres de la mission à Dijon, de « technicien de la procédure », de « notaire de la juridiction ».

Le greffier enregistre les affaires, prévient les parties des dates d'audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige des actes et met en forme les décisions. Il assiste le juge à l'audience.

Son rôle est essentiel : toute formalité, tout acte accompli en son absence pourraient être frappés de nullité .

Dès l'introduction de la demande et tout au long de la procédure, il est l'intermédiaire entre les parties et le juge . Il est également l'interlocuteur privilégié des auxiliaires de justice .

Le greffier est également un agent d'encadrement chargé de coordonner les activités des agents d'exécution. Selon l'importance des juridictions et leur organisation, il peut être investi de responsabilités de gestion et diriger un des services du greffe. Il peut également exercer les fonctions de chef de greffe.

Enfin, le greffier a également vocation à exercer des fonctions d'accueil et d'information du public . En pratique, il n'en a pas le temps, au grand regret de nombreux greffiers rencontrés par la mission.

En effet, les auditions et les déplacements de la mission, les contributions écrites qu'elle a reçues ont montré qu'en raison du manque d'effectifs et de l'alourdissement des tâches 83( * ) , les greffiers étaient amenés, de plus en plus, à remplir des fonctions incombant aux greffiers en chef, au détriment de leur mission première d'authentification des procédures et des actes.

Un chef de cour a ainsi indiqué à la mission, dans une contribution écrite, que « Dans la pratique, cette mission d'authentification des actes juridictionnels a tendance à se vider de son sens et à n'avoir plus qu'un contenu formel. (...) L'assistance des greffiers aux audiences devient très aléatoire et l'authentification se limite de leur part à la relecture des jugements et arrêts avant leur signature et à l'apposition de la formule exécutoire accompagnée du sceau . »

Cette dérive, contraire aux dispositions du code de l'organisation judiciaire, est d'autant plus regrettable que l'assistance du greffier s'avère essentielle dans les procédures orales sans représentation obligatoire, de surcroît lorsque le justiciable saisit le juge par simple déclaration.

Parallèlement, les greffiers accomplissent des tâches qu'ils considèrent comme subalternes . La frustration est d'autant plus grande que leur niveau d'études est de plus en plus élevé 84( * ) et que leur rémunération reste faible. « On fait tout et n'importe quoi » a indiqué une greffière du tribunal de grande instance de Bordeaux.

Dans ces conditions, et selon les termes employés par un procureur de la République dans une contribution écrite aux travaux de la mission, le choix de la carrière de greffier risque de devenir « un choix négatif, à défaut d'avoir réussi le concours de la magistrature ou de greffier en chef . »

Certains greffiers regrettent de ne pouvoir exercer des tâches jugées valorisantes . Par exemple, d'aucuns aimeraient pouvoir jouer un rôle d' aide à la décision du magistrat , qu'il s'agisse de la recherche de jurisprudence, de la rédaction de notes de synthèse ou de l'élaboration de projets de décision. Les organisations syndicales, en particulier le Syndicat des greffiers de France, souhaiteraient même les voir pratiquer des conciliations et des médiations .

Le recours aux agents placés pour faire face aux vacances de postes, s'il peut être encouragé, ne constitue qu'un palliatif insuffisant.

Souvent, les missions des greffiers sont remplies par des agents de catégorie C qui acceptent, pour un salaire inchangé, ces responsabilités nouvelles, lourdes mais intéressantes. Il s'agit toutefois d'un cautère sur une jambe de bois, qui contribue à la confusion généralisée des tâches et à la propagation d'un sentiment de malaise.

c) Les fonctionnaires de catégorie C : un nombre élevé de « faisant fonction de »

Placés également sous l'autorité du greffier en chef de la juridiction 85( * ) , les fonctionnaires de catégorie C appartiennent à différents corps interministériels, répartis entre une filière administrative (les agents administratifs et les adjoints administratifs) et une filière technique (les agents des services techniques, les ouvriers professionnels, les conducteurs d'automobiles). Ils concourent au fonctionnement des différents services du greffe : parquet, service correctionnel, service civil, fonctions administratives...

Les agents de la filière administrative, appelés personnels de bureau, sont chargés de l'exécution des tâches administratives et travaillent en étroite collaboration avec les greffiers chargés de les encadrer.

A titre exceptionnel et temporaire, ils peuvent, après avoir prêté serment, être chargés des fonctions dévolues aux greffiers , en particulier l'assistance aux audiences et l'authentification des actes.

Comme on l'a vu, le manque d'effectifs rend cette pratique courante , même si aucune estimation fiable n'a pu être fournie 86( * ) .

Les agents des services techniques et les ouvriers professionnels sont chargés de l'exécution du service intérieur et de tâches de maintenance. Ils peuvent contribuer à l'exécution de tâches administratives.

Les conducteurs d'automobiles sont chargés de la conduite des véhicules de fonction (dont bénéficient les chefs de cour et les chefs de juridiction) ou des véhicules de service des juridictions.

Il est actuellement question de regrouper les agents administratifs et les adjoints administratifs en un seul corps 87( * ) . Certaines organisations syndicales souhaiteraient également que les personnels de bureau soient assimilés à des agents de catégorie B. La représentante de la CGT entendue par la mission a toutefois fait valoir la nécessité de préserver le recrutement de personnes n'ayant pas le baccalauréat.

d) Un sentiment généralisé de malaise

Le constat d'un « malaise des greffes », dressé dès 1990 par M. Dominique Le Vert 88( * ) , conseiller d'Etat, s'avère donc plus que jamais d'actualité.

Lors de ses auditions et de ses déplacements, la mission a pu mesurer le sentiment de frustration et de désabusement qui affectait les personnels des greffes.

La multiplication des « faisant fonction de » qui caractérise actuellement l'institution judiciaire -greffiers faisant fonction de greffiers en chef, agents de catégorie C faisant fonction de greffiers- engendre une confusion des rôles et une crise d'identité préjudiciables au bon fonctionnement des juridictions .

Les inquiétudes des fonctionnaires sont avivées par la concurrence que représentent les assistants de justice et les agents de justice , personnels au statut précaire chargés d'accomplir des tâches d'aide à la décision et d'accueil dont ils considèrent qu'elles relèvent de leur compétence mais qu'ils sont dans l'impossibilité d'assumer.

Les agents des greffes attendent actuellement, avec impatience et amertume, une reconnaissance aussi bien salariale que statutaire de la réalité des missions accomplies. « Nous n'avons plus que notre conscience professionnelle, c'est tout ce qui nous reste », indiquait une greffière du tribunal de grande instance de Dijon aux membres de la mission.

L'une des organisations syndicales reçues par la mission souhaiterait même l'élaboration d'un nouveau statut, dérogatoire du statut général de la fonction publique, au profit des greffiers en chef et des greffiers, sur le modèle de celui des magistrats. Ils en attendent une reconnaissance de la spécificité de leurs tâches et des possibilités accrues de revalorisation salariale.

Au-delà du nécessaire renforcement des effectifs et de la revalorisation de la grille indiciaire, il apparaît souhaitable de favoriser une adaptation des personnels à des fonctions de plus en plus spécialisées .

3. L'exigence d'une spécialisation accrue des agents

En 1998, la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des greffes avait préconisé la création de deux grandes filières, l'une administrative et technique, l'autre consacrée au droit et à la procédure . Cette proposition a été reprise devant la mission par le Syndicat des greffiers de France mais a suscité l'opposition de l'Union syndicale autonome justice, attachée à la polyvalence des agents 89( * ) .

La direction des services judiciaires a élaboré un référentiel des métiers de greffe , destiné à favoriser une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Ce document volumineux, qui sera prochainement diffusé sur le réseau intranet-justice, recense pour chaque fonction-type les activités, le niveau d'autonomie, le degré de technicité et les compétences exigés de l'agent.

La mise en place de filières aurait pour avantages d'assurer un réel professionnalisme, la continuité dans l'accomplissement des tâches, une répartition plus claire des rôles au sein de l'institution judiciaire et une meilleure formation. Elle offrirait aux greffiers en chef et aux greffiers la possibilité d'être mieux reconnus et valorisés dans les domaines juridique et administratif.

Une filiarisation intégrale semble toutefois difficile à mettre en oeuvre en raison non seulement du manque de moyens de l'institution judiciaire mais également de la faible mobilité des personnels, du risque d'un cloisonnement des métiers et « d'un certain élitisme dans le corps des greffiers en chef, les fonctions de gestion et d'administration étant considérées par certains comme des fonctions nobles permettant de faire carrière », selon la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des greffes.

La mission considère que, tout en favorisant une spécialisation progressive des agents au moyen de la formation continue, il convient de préserver la polyvalence des corps des greffes, grâce à des passerelles entre les différentes fonctions.

La polyvalence favorise en effet une mobilité professionnelle entre juridictions et services et un enrichissement des tâches
. Comme le rappelait un procureur de la République dans sa contribution écrite aux travaux de la mission : « Une évolution des métiers de la justice ne peut s'envisager que si l'on considère que ces métiers ne sont pas autant de cadres rigides. Une approche par métiers serait un contresens si elle revenait à accentuer la spécialisation et à isoler des filières hermétiques les unes par rapport aux autres, sans reconnaître le fond commun qui unit les différents corps de personnels . »

C. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION PERFECTIBLES

Au cours de sa visite de l'Ecole nationale des greffes de Dijon 90( * ) , la mission a pu mesurer la compétence, le dynamisme et le dévouement des enseignants et de l'équipe de direction, leur volonté de dispenser une formation initiale et continue de qualité aux personnels des greffes.

Malheureusement, le cadre réglementaire dans lequel ils inscrivent leur action ne leur permet pas de contribuer de manière totalement satisfaisante à la professionnalisation des métiers.

1. Un recrutement déséquilibré

Le recrutement des fonctionnaires des greffes souffre d'un double défaut : le niveau des candidats est désormais bien supérieur à celui des postes proposés, ce qui est source de déceptions ; les concours sont organisés par à-coups, ce qui nuit à une bonne gestion des effectifs et des carrières.

a) Un niveau d'études de plus en plus élevé

Le concours externe de recrutement des greffiers en chef est ouvert aux titulaires d'une licence ou d'un diplôme équivalent, âgés de 35 ans au plus tard au 1 er janvier de l'année du concours -des reports d'âge sont possibles dans certains cas. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires justifiant de 4 ans de services publics au 1 er janvier de l'année du concours.

Le concours externe de recrutement des greffiers est ouvert aux titulaires du baccalauréat ou d'une capacité en droit ou d'un titre équivalent. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires justifiant de 4 ans de services publics au 1 er janvier de l'année du concours.

Selon les statistiques fournies par l'Ecole nationale des greffes, 8,9 % des 493 greffiers stagiaires en 2001 étaient titulaires d'un diplôme équivalent à bac + 5 ou plus, 49,09 % d'un diplôme à bac + 4, et 11,36 % d'un diplôme à bac + 3.

En 2002, 90 % des 350 candidats admis aux concours externes avaient un niveau d'études supérieur ou égal à bac + 3.

Un projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et des greffiers est en cours d'élaboration, prévoyant notamment le relèvement du niveau de recrutement des greffiers en chef à bac + 4 et des greffiers à bac + 2. Mais l'entrée en vigueur de ce texte achoppe en raison des conséquences indiciaires d'une telle mesure.

Le relèvement du niveau de recrutement ne ferait que mettre le droit en adéquation avec les faits et valoriser des métiers d'une grande technicité. S'agissant des greffiers en chef, il ne semble cependant pas opportun de porter à bac + 4 ce niveau, dans la mesure où il dépasserait alors le niveau exigé pour l'entrée à l'Ecole nationale d'administration et à l'Ecole nationale de la magistrature (bac + 3).

La mission préconise de rehausser à bac + 2 le niveau de diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours de greffier.

b) La nécessité de lisser davantage les recrutements

Par ailleurs, la mission a pu constater que l'Ecole nationale des greffes éprouvait des difficultés pour dispenser dans de bonnes conditions une formation de qualité aux stagiaires recrutés par la voie de concours exceptionnels.

En effet, la dimension des locaux et le nombre d'enseignants ont été fixés pour accueillir des promotions de 250 stagiaires au maximum. Or, 500 greffiers ont été recrutés en 2001, puis à nouveau 500 en 2002, par la voie de concours exceptionnels.

Si elle juge nécessaire d'augmenter sensiblement les effectifs des greffes, la mission ne peut que regretter les pratiques de la Chancellerie qui voient se succéder des périodes de recrutement massifs à des périodes d'absence de recrutement empêchant une bonne gestion des effectifs et des carrières .

Cette insuffisante maîtrise de la gestion des effectifs, qui ne permet pas de faire coïncider les départs et les arrivées, engendre également une désorganisation des services et accroît la confusion des rôles au sein des juridictions, obligées de pallier les absences indifféremment par des agents de catégorie B ou C.

La mission rappelle donc la nécessité de lisser davantage les recrutements des personnels des greffes.

2. Une formation initiale trop courte

En application de leurs statuts, les greffiers en chef et les greffiers stagiaires issus des concours externes ou internes reçoivent une formation initiale à l'Ecole nationale des greffes.

Celle dispensée aux greffiers en chef et aux greffiers recrutés par concours est actuellement d'une durée de 12 mois : 4 mois de scolarité à l'Ecole nationale des greffes pour les greffiers en chef (2 mois pour les greffiers), 7 mois environ de stages pratiques en juridiction (9 mois pour les greffiers), et 5 semaines de stage de pré-affectation.

Depuis un arrêté du 5 mars 2001, les agents et les adjoints administratifs issus des concours externes bénéficient également d'une formation initiale . La durée de cette formation est de 8 semaines dont 1 semaine d'enseignement à l'Ecole nationale des greffes et 7 semaines d'enseignement professionnel et de stages en juridiction ou services.

La durée de la formation initiale dispensée aux personnels des greffes est manifestement insuffisante pour leur permettre d'acquérir les compétences requises par la diversification et l'alourdissement de leurs tâches. Les carences de l'enseignement sont particulièrement évidentes en matière de gestion et d'informatique , en dépit des efforts fournis par l'Ecole, car les stagiaires sont généralement issus des facultés de droit.

Le projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et des greffiers précité prévoit, outre le relèvement du niveau de recrutement, l'allongement de la formation initiale à 18 mois .

La mission insiste sur la nécessité de réaliser cette réforme dans les plus brefs délais et d'y associer davantage l'Ecole nationale des greffes, qui dispose d'une capacité d'expertise indéniable.

L'allongement de la durée de la formation initiale permettra de professionnaliser davantage les personnels, notamment dans les techniques d'organisation et de gestion.

Il importe également de valoriser les fonctions de maître de conférence et de formateur à l'Ecole nationale des greffes en favorisant la carrière de ceux qui y consacrent une partie de leur vie professionnelle et en reconnaissant la vocation des greffiers à exercer des fonctions d'enseignement, reconnaissance qui leur est sans doute refusée en raison de ses conséquences indiciaires. De plus, la scolarité doit être relayée sur le terrain par des maîtres de stage choisis et formés par l'Ecole nationale des greffes.

Enfin, comme l'a suggéré M. Jacques Fayen, directeur de l'Ecole, il conviendrait d'instituer un examen de sortie ou un tableau d'aptitude afin que les affectations tiennent davantage compte des aptitudes de l'agent à occuper tel ou tel poste, plutôt que de son rang de classement, et ne reposent plus sur des critères essentiellement géographiques.

La mission préconise d'allonger la durée de la formation initiale, de valoriser les fonctions d'enseignant à l'École nationale des greffes dans la gestion des carrières et de tenir davantage compte des aptitudes des stagiaires aux différents postes proposés pour les affectations à la sortie de l'Ecole.

Elle recommande également un accroissement des liens entre l'École nationale des greffes et l'École nationale de la magistrature en vue de formations croisées.

3. La nécessité de développer des formations continues obligatoires

La formation continue des personnels des greffes repose depuis trop longtemps sur le volontariat.

Durant leur carrière les greffiers en chef et les greffiers peuvent, s'ils le souhaitent, participer à des sessions de formation permanente organisées à l'échelon national par l'Ecole nationale des greffes ou à l'échelon régional par les greffiers en chef formateurs régionaux.

Toutefois, en début de carrière, la formation permanente revêt un caractère obligatoire. En effet, en application d'un arrêté du 16 mars 1993 et conformément à leur statut particulier, les greffiers en chef et les greffiers doivent recevoir dans les deux ans qui suivent leur titularisation une formation d'une durée de deux mois (un mois pour les greffiers) dans l'une des quatre spécialités suivantes : « direction-administration », « droit et procédures », « communication et technologies » ou « enseignement professionnel » (« acte de la juridiction », « encadrement-gestion », « accueil » ou « informatique » pour les greffiers).

Selon l'équipe de direction de l'Ecole nationale des greffes, ces spécialités n'ont pas véritablement répondu au double objectif qui leur était assigné : obtenir un allongement de la formation initiale et accroître la professionnalisation des agents, sans pour autant remettre en cause leur polyvalence. En effet, les greffiers en chef et les greffiers recherchent une formation de pré-affectation et choisissent leur spécialité en l'absence de toute perspective de carrière.

Le projet de réforme du statut des greffiers en chef et des greffiers précité comporte la suppression des spécialités au profit d'une formation continue obligatoire de 10 jours par an pendant 5 ans.

Enfin, les greffiers en chef et les greffiers peuvent être astreints à une obligation de formation, notamment en cas de changement d'affectation 91( * ) . Cette disposition reçoit une application pour les nominations dans certaines fonctions, en particulier dans les services administratifs régionaux.

Dans la perspective d'une professionnalisation accrue des greffes, la mission préconise de développer les formations obligatoires d'adaptation aux postes pour l'ensemble des catégories de personnels .

Le mal-être des magistrats et des fonctionnaires des greffes ainsi analysé est d'autant plus grand qu'ils doivent désormais s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement des juridictions, à de nouvelles méthodes de travail, destinés à répondre à un contentieux croissant et complexe ainsi qu'à la demande pressante des usagers de la justice d'un meilleur accès au droit.

III. DE NOUVEAUX MODES DE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS

A. DES RELATIONS PARFOIS CONFLICTUELLES

La question de la dégradation des relations au sein des juridictions apparaît à bien des égards comme un poncif : quelle communauté n'est pas en proie à des tensions, des frustrations, des rancunes ?

Elle semble pourtant incontournable tant les auditions et les déplacements réalisés par la mission et les enquêtes diligentées par la Chancellerie se rejoignent pour mettre en lumière un manque de dialogue social, une faible implication des magistrats et une association insuffisante des agents des greffes au fonctionnement des juridictions.

1. Le manque de dialogue social : un lieu-commun

Si des dissensions existent entre les différentes catégories de fonctionnaires, elles s'estompent généralement dans des revendications communes face aux magistrats.

Les fonctionnaires des greffes souffrent d'un manque de considération alors qu'ils éprouvent le sentiment, comme l'indiquait l'Union syndicale autonome justice de « faire la carrière des magistrats ». Une greffière rencontrée par la mission lors de l'un de ses déplacements dénonçait ainsi le mépris dans lequel les magistrats tenaient « le personnel » de la juridiction.

Le syndicat C-Justice a toutefois fait observer que les magistrats apportaient une aide aux agents de catégorie C dans leurs relations parfois tendues avec leur encadrement, c'est-à-dire les greffiers en chef et les greffiers.

Le rapport de l'inspection générale des services judiciaires sur la communication et le dialogue social remis à la garde des Sceaux en juin 2001 confirme ces impressions.

Il relève en outre que « le double rattachement fonctionnel et hiérarchique des fonctionnaires des greffes est de plus en plus ressenti comme une difficulté. Les agents expriment leur embarras à être tiraillés entre la loyauté qu'ils doivent à leur supérieur hiérarchique, le greffier en chef, et les exigences d'un magistrat avec lequel ils travaillent quotidiennement ».

A la différence des fonctionnaires des greffes, les magistrats semblent peu impliqués dans la vie de leur juridiction et ne pas souhaiter être davantage associés aux décisions concernant son fonctionnement. Beaucoup considèrent ainsi que leur métier se limite au traitement des affaires dont ils ont la charge .

Cette faible implication, relevée par l'inspection générale des services judiciaires, a été vivement regrettée par l'un des magistrats du pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Marseille dans lequel s'est rendue une délégation de la mission.

Ce malaise indéniable puise ses racines dans les méthodes traditionnelles de travail des magistrats, solitaires mais fortement dépendantes des greffes, dans le cloisonnement des corps de fonctionnaires des services judiciaires, dans le rapprochement des niveaux de formation et de diplôme qui rend moins légitime la différence de statut, de rémunération et de pouvoirs, enfin dans l'alourdissement des tâches dû à la montée des contentieux et à la complication des procédures.

La difficile mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans les juridictions a contribué à aviver ces tensions.

2. La difficile mise en oeuvre des trente-cinq heures

L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) ont été mis en place dans la fonction publique, et donc dans les juridictions, à partir du 1 er janvier 2002 selon les conditions fixées par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000.

a) Des jours de repos supplémentaires en contrepartie d'un élargissement des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers

Depuis le 1 er janvier 2002, tous les personnels des greffes bénéficient d'une durée annuelle de travail de 1.600 heures pour un agent à temps complet. Cinq jours de repos annuels ont été accordés en contrepartie d'un élargissement des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers et d'une organisation du temps de travail en cycles hebdomadaires.

De leur côté, les magistrats de l'ordre judiciaire exerçant leurs fonctions en juridiction et à l'Ecole nationale des greffes sont soumis à un régime forfaitaire de temps de travail . Ils bénéficient chaque année de 45 jours de repos dont 25 jours de congés annuels réglementaires, non compris les 2 jours de fractionnement, et de 20 jours de réduction du temps de travail 92( * ) .

Comme le soulignait notre regrettée collègue Dinah Derycke dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté au nom de la commission des Lois 93( * ) , les organisations syndicales de fonctionnaires et de magistrats ont estimé insuffisantes les mesures d'accompagnement prévues 94( * ) et déploré tant les modalités d'application des trente-cinq heures proposées par la Chancellerie, que la méthode de consultation retenue 95( * ) , soulignant le manque de dialogue social.

La mission a pu constater au cours de chacun de ses déplacements que la mise en oeuvre des trente-cinq heures perturbait le fonctionnement des juridictions .

b) Un fonctionnement des juridictions perturbé

Des chefs de cour et des magistrats ont déploré une moins grande disponibilité, un changement d'état d'esprit des fonctionnaires dont les yeux seraient désormais rivés sur l'horloge.

Un premier président de cour d'appel a fait état, dans une contribution écrite remise à la mission, « du décalage qui tend à se créer entre le rythme de travail respectif des magistrats et des greffiers qui a été encore accru par la mise en oeuvre de l'ARTT . »

Les personnels des greffes, quant à eux, se sont plaints des charges de travail supplémentaires induites par l'allongement des heures d'ouverture des juridictions en contrepartie de congés supplémentaires.

Dans une contribution écrite aux travaux de la mission, M. Dominique Matagrin, président de l'Association professionnelle des magistrats (APM) a relevé que « l'expérience dira ce qu'il en est vraiment mais, en dehors de complications liées non à l'organisation du travail des magistrats mais à celle de leurs collaborateurs - ce qui n'est pas indifférent pour le service dans son ensemble, évidemment ! -, les trente-cinq heures ne changent pas grand chose pour nos collègues qui, à juste titre, ont été considérés comme relevant des fonctions de conception et d'encadrement bénéficiant d'une compensation forfaitaire et qui, de toutes façons, sont bien au-delà des trente-cinq heures (....).

« Pour l'immense majorité, l'attribution de jours de congés supplémentaires ne fait que consacrer des pratiques anciennes qui permettaient aux magistrats, outre les congés auxquels ils ont droit comme tout un chacun, de se mettre à jour dans leur travail en profitant de périodes de service dit allégé (...) ».

Si elle ne doit pas être dramatisée, la dégradation des relations entre les magistrats et les fonctionnaires au sein des juridictions semble bien réelle et appelle des réponses rapides .

3. Renouer les fils du dialogue

Face à un tel constat, la Chancellerie a engagé une réflexion en proposant, notamment, la création d'organismes régionaux de participation communs aux magistrats et aux fonctionnaires des services judiciaires.

Elle a également créé récemment, au sein du ministère, un poste de directeur de projet chargé de promouvoir le dialogue social et d'améliorer la gestion des ressources humaines, qu'elle a confié à Mme Marie-Dominique Soumet, administrateur civil 96( * ) .

Cependant, comme l'a relevé l'inspection générale des services judiciaires, les instances de dialogue, assemblées générales 97( * ) et commissions 98( * ) , existent déjà au sein des juridictions même si elles demeurent « sous-employées ».

Entre les juridictions, les organes de dialogue social déconcentré restent méconnus, les comités techniques paritaires des services judiciaires et les comités d'hygiène et de sécurité départementaux apparaissant comme le « seul espace de dialogue social ». Selon l'inspection, rares seraient les réunions conjointes entre magistrats ou entre chefs de greffe des cours d'appel et des tribunaux de grande instance.

Il semble donc inutile de créer de nouvelles structures qui seraient vouées à un sort identique en l'absence d'évolution des mentalités.

La mission considère que l'amélioration du dialogue social implique de mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au management et de développer les sessions de formation communes aux magistrats et aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de gestion .

De telles formations permettent en effet aux uns et aux autres de mieux connaître leurs exigences et leurs contraintes respectives. Elles doivent contribuer à l'adoption d'une nouvelle organisation du travail.

B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS

Au cours de ses déplacements et de ses auditions, la mission a pu constater l'apparition de nouveaux modes de fonctionnement des juridictions tendant à promouvoir le travail en équipe et l'aide à la décision des magistrats, à améliorer l'information de l'usager et à développer le recours à l'informatique et aux nouvelles technologies.

De nouveaux métiers se dessinent pour répondre à des besoins émergents ou mal satisfaits, avec les assistants de justice, les agents de justice ou encore les techniciens informatiques. Leur statut reste toutefois extrêmement précaire et doit être revu afin qu'ils jouent un rôle complémentaire et non concurrent de celui des fonctionnaires des greffes.

1. Constituer autour du magistrat une équipe chargée de l'assister

Le cloisonnement des services et l'isolement des individus doivent céder la place au travail en équipes chargées d'apporter une véritable aide à la décision des magistrats.

a) Un trop grand cloisonnement

L'organisation actuelle des juridictions et les méthodes traditionnelles de travail des magistrats ne sont plus adaptées pour répondre à un contentieux croissant et complexe, aux exigences des justiciables de décisions rapides et de qualité, au défi lancé par des auxiliaires de justice regroupés en cabinets performants.

Un hiatus s'est formé entre la façon de travailler, artisanale et solitaire du magistrat , enfermé dans son cabinet, plongé dans ses dossiers et préoccupé par le seul souci d'évacuer ses affaires, et la nécessité de répondre à un contentieux qui revêt aujourd'hui un caractère « industriel ».

La réduction progressive des décisions collégiales et le développement de l'informatique risquent de favoriser cette tendance à l'isolement, au repliement sur soi qui caractérise encore certains comportements.

L'organisation actuelle des juridictions ne permet pas toujours aux fonctionnaires de s'impliquer dans leur travail et de suivre une procédure depuis son enregistrement jusqu'à sa clôture. Le cloisonnement des services conduit à une perte d'intérêt pour le métier et à la routine .

Indépendamment du nécessaire renforcement des moyens de l'institution judiciaire, il convient donc de conduire une réflexion sur la notion de services et sur le découpage des juridictions en chambres afin de favoriser la constitution d'équipes autour des magistrats , sans pour autant provoquer une balkanisation de l'organisation.

b) La nécessité d'apporter aux magistrats une aide à la décision

Les magistrats entendus par la mission ont unanimement fait part de leur besoin de disposer , en sus de greffiers et de secrétaires, de collaborateurs de haut niveau capables d'effectuer des recherches documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de décision.

Ils seraient ainsi à même d'endiguer les flux d'affaires nouvelles, de résorber les stocks, de rendre des décisions de meilleure qualité et d'être mieux préparés face aux cabinets d'avocats.

Comme le relevait M.  Jean-Louis Castagnède, président de chambre à la cour d'appel de Bordeaux, la nécessité de traiter rapidement les dossiers ne doit pas se traduire par une moindre écoute des justiciables et une motivation insuffisante des jugements. En effet, les citoyens sont prêts à accepter une décision défavorable à la condition d'en comprendre les raisons et d'avoir le sentiment d'avoir été entendus .

c) La création des assistants de justice

A l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon, la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, a autorisé le recrutement d'assistants de justice auprès des tribunaux d'instance, des tribunaux de grande instance et des cours d'appel 99( * ) .

La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a étendu cette faculté à la Cour de cassation.

Recrutés pour une période de deux ans , renouvelable une fois , parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant quatre années d'études supérieures en matière juridique, ces assistants sont chargés, sous réserve de certaines incompatibilités, d' apporter leur concours aux magistrats du siège et du parquet , d'effectuer des recherches documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de décision sur les instructions et les indications des magistrats.

Leur recrutement et leur gestion sont déconcentrés au niveau des cours d'appel. Ils perçoivent des vacations horaires 100( * ) dont le nombre ne peut excéder 80 par mois et 720 par an. Ils étaient 1.232 au 1 er janvier 2002.

Le profil type d'un assistant de justice est celui d'un étudiant, ou plutôt d'une étudiante , titulaire le plus souvent d'un diplôme de troisième cycle universitaire en fin de parcours ou venant de quitter l'université.

Les magistrats rencontrés par la mission ont exprimé leur satisfaction d'avoir à leurs côtés des collaborateurs de valeur qui leur apportent un soutien précieux dans la préparation des décisions .

De leur côté, les assistants de justice rencontrés à Bordeaux apprécient la diversité des tâches qui leur sont confiées, le rapport de confiance qu'ils nouent avec le magistrat et l'expérience qu'ils acquièrent. Ils éprouvent le sentiment de contribuer à l'accélération du traitement des dossiers.

L'utilité de la fonction est désormais reconnue de tous .

En revanche, les magistrats déplorent le fort taux de rotation des assistants de justice , qui mettent rapidement un terme à leur contrat soit parce qu'ils ont été reçus à un concours de la fonction publique soit parce qu'ils ont trouvé un emploi durable dans le secteur privé. Ils jugent regrettable de devoir sans cesse consacrer du temps et des efforts à la formation d'assistants éphémères.

Une vice-présidente de tribunal de grande instance chargée d'un tribunal d'instance indiquait ainsi dans une contribution écrite adressée à la mission : « Le système actuel d'assistance du juge n'est pas satisfaisant. L'assistant de justice est recruté et affecté sans transparence suffisante. Son utilité reste limitée et précaire. Le juge doit passer beaucoup de temps à le former s'il souhaite le rendre apte à rédiger des projets de décision et cette formation n'est pas rentabilisée eu égard à la brièveté du contrat de l'assistant dont le terme est fréquemment anticipé pour des raisons liées à la modification de son parcours universitaire ou professionnel . »

De leur côté, les assistants de justice, du moins ceux rencontrés à Bordeaux, s'inquiètent de la précarité de leur statut, en particulier de l' impossibilité de prolonger leur contrat au-delà de quatre ans , et de la faiblesse de leur rémunération ; ils souffrent parfois d'un manque de reconnaissance au sein de la juridiction et aspirent à pouvoir se présenter aux concours internes de la fonction publique 101( * ) .

Enfin, les organisations représentatives des personnels des greffes s'inquiètent de voir exercer par d'autres des fonctions dont elles considèrent qu'elles relèvent de la compétence des greffiers en chef ou même des greffiers.

d) Les pistes de réforme

La mission s'est donc interrogée sur les pistes de réforme susceptibles d'être envisagées pour pérenniser cette fonction indispensable d'aide à la décision du magistrat 102( * ) .

Une première piste pourrait consister dans la création d'un nouveau corps de fonctionnaires , intermédiaire entre les magistrats et les greffiers en chef, inspiré du Rechtspfleger allemand 103( * ) . M. Marc Moinard, procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, a toutefois rappelé à une délégation de la mission qu'un tel corps avait été créé en 1977 mais que sa constitution fut rapidement interrompue.

En effet, la création d'un nouveau corps n'irait pas sans difficultés, confusions et tensions : opposition des greffiers en chef et des greffiers, risque de perte de compétence des assistants de justice, qui sont actuellement des étudiants de haut niveau, risque d'une magistrature à deux vitesses composée, d'un côté, d'étudiants ayant réussi les concours externes, de l'autre, d'anciens assistants de justice ayant échoué au concours de l'Ecole nationale de la magistrature mais bénéficiant d'une intégration directe. M. Marc Moinard a ainsi précisé qu'actuellement la commission d'avancement 104( * ) était très réticente à accorder le bénéfice de l'intégration directe à des assistants de justice.

Plutôt que de créer un nouveau corps de fonctionnaires, la mission estime qu'il convient de doter les assistants de justice d'un statut plus attractif, pour les étudiants et les magistrats, en allongeant le nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions, en revalorisant le montant des vacations horaires et en créant des passerelles vers la magistrature. Ainsi les magistrats français pourraient-ils bénéficier de collaborateurs de qualité, à plein-temps ou à mi-temps s'il s'agit d'étudiants, sur le modèle des référendaires à la Cour de justice des Communautés européennes.

Cette proposition se trouve confortée par les propos qu'a tenus M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, devant la mission : « il conviendrait de reprendre à notre compte ce que connaissent les juridictions de common law avec ce qu'on appelle les clerks. Ainsi, à la Cour suprême du Canada, chaque juge dispose d'un groupe de cinq ou six clerks qu'il recrute lui-même directement. Ces clerks restent auprès de ce juge pendant quatre ans, et au bout de ces quatre ans, ils parviennent très facilement à trouver un emploi valorisé dans un contentieux qu'ils auront pratiqué .

« Si l'on veut donner de bons collaborateurs aux juges, il faut, me semble-t-il, aller dans ce sens, car ces jeunes juristes connaissent bien la jurisprudence : ils sont formés au nouveau droit, ils ont envie de travailler et de valoriser leurs fonctions, ils sont très actifs. D'ailleurs, à ce sujet, certaines expériences sont très positives, je pense aux référendaires à la Cour de justice des Communautés européennes, notamment . »

Pour autant, la mission considère que l'amélioration du statut des assistants de justice ne doit pas conduire à écarter les greffiers en chef et les greffiers des fonctions d'aide à la décision des magistrats .

Certes, les greffiers en chef s'étaient opposés, au milieu des années 1980, à la création de deux filières au sein de leur corps, l'une administrative, l'autre juridictionnelle, « ratant peut-être le coche » selon l'expression de M. Marc Moinard.

Le premier président de la cour d'appel de Lyon portait un jugement encore plus sévère en indiquant à la mission : « avec l'introduction de l'informatique dans les juridictions, les greffiers sont de plus en plus déchargés de la dactylographie des jugements et arrêts, mission qu'ils acceptent d'ailleurs avec réticences et qui a tendance à être remplie par les magistrats. Cette mutation est de nature à compromettre l'avenir de la profession de greffier qui, à terme, risque de devenir inutile. Pour autant, on constate trop d'hésitation de la part des greffiers à s'investir, aux côtés des magistrats et sous leur contrôle, dans une mission d'aide à la décision qui aurait pu correspondre à celle qui a finalement été dévolue aux assistants de justice . »

Toutefois, comme il l'a été indiqué, leur niveau s'est élevé depuis plusieurs années, un grand nombre d'entre eux détenant des diplômes du troisième cycle universitaire, et beaucoup préfèreraient se consacrer à ces tâches juridiques plutôt qu'à la gestion.

Telle est la raison pour laquelle, la mission approuve la proposition de la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des greffes de créer des fonctions de greffier en chef référendaire et de greffier rédacteur, complémentaire des assistants de justice.

Il s'agit de permettre aux greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des fonctions d'aide à la décision des magistrats, actuellement dévolues aux assistants de justice.

2. Améliorer l'information du justiciable

Organisées en services trop cloisonnés, les juridictions semblent également encore insuffisamment ouvertes sur les justiciables. Essentielles, les fonctions d'accueil sont actuellement occupées par les agents de justice, emplois-jeunes au statut précaire, et non par des greffiers. Par ailleurs, des services de communication devraient être créés pour donner des informations sur les procédures en cours.

a) L'exercice des fonctions d'accueil par des agents de justice : un pis-aller

Dans le cadre de la mission « emplois-jeunes », la direction des services judiciaires s'est engagée, en 1999, à recruter sous contrat de droit public 1.050 agents de justice, âgés de 18 à 26 ans, pour une durée de 5 ans.

Ces agents assurent des fonctions d'accueil dans les juridictions, dans les maisons de justice et du droit et au sein des conseils départementaux d'accès au droit. Souvent, ils se voient également confier des tâches de correspondant informatique local ou remplissent l'ensemble des fonctions dévolues aux personnels de bureau. Ils bénéficient du tutorat d'un fonctionnaire expérimenté et d'une formation.

Le plan de recrutement de ces agents est presque achevé 105( * ) . Il ressort d'une enquête portant sur 279 personnes, effectuée fin septembre 2000, que 58,73 % de ces agents déclaraient un niveau de formation égal ou supérieur à bac + 2. La délégation de la mission qui s'est rendue à Bordeaux a pu constater que cette proportion était comparable parmi les agents de justice qu'elle a rencontrés.

Cette situation révèle les insuffisances des structures d'accueil des usagers de la justice dans nos juridictions .

La notion même de service public impose aux administrations la mise en oeuvre d'une politique d'accueil performante. Cette exigence est encore plus forte pour le service public de la justice en raison de la complexité des procédures, de la multiplicité des contentieux et du contexte économique et social.

Telle est la raison pour laquelle, le décret n° 92-414 du 30 avril 1992 précité consacre la vocation des greffiers à exercer des fonctions d'accueil, et la circulaire n° 83-70 du 2 août 1983 confie la mission d'accueil du public, sous le contrôle des chefs de juridiction et des greffiers en chef, aux greffiers possédant une grande connaissance de la juridiction et une culture juridique de bon niveau.

Le recrutement d'agents de justice pour exercer des fonctions d'accueil apparaît à bien des égards comme un palliatif devant l'insuffisance des effectifs de greffiers et soulève donc des interrogations de principe. En tout état de cause, il convient de leur dispenser une formation solide.

Enfin, à l'instar des autres emplois-jeunes, les agents de justice se trouvent dans une situation de grande précarité puisque leur sort à l'issue de leur contrat de 5 ans reste incertain.

Les juridictions s'en inquiètent, comme en témoigne la contribution d'un procureur de la République : « une préoccupation particulière concerne les agents de justice dont le contrat viendra à expiration prochainement (pour les premiers au printemps 2003) : qu'adviendra-t-il de ces personnes qui, localement, ont acquis une expérience, une connaissance et un réseau de correspondants ? Qu'adviendra-t-il également des contrats en cause : seront-ils reconduits ou repris et par qui ? Il y a lieu d'être très inquiet sur le devenir de ces jeunes et des contrats correspondants. En effet, les communes qui les prenaient financièrement en charge refusent de pourvoir les postes vacants (lorsqu'un agent démissionne après avoir réussi à un concours) pour ne pas avoir à supporter la charge ultérieure de l'indemnisation chômage des agents en fin de contrat . »

b) Les guichets uniques des greffes : une expérience à développer

La mission juge également indispensable de développer l'expérimentation réussie d'un guichet unique des greffes (GUG) lancée en 1998. Elle a concerné cinq sites pilotes : Angoulême, Compiègne, Limoges, Nîmes et Rennes, et vise à simplifier les démarches du justiciable. Elle consiste à offrir un point d'accueil centralisé et un point d'entrée procédural pour l'ensemble des juridictions situées sur un même site.

Ce guichet unique permet à tout citoyen de recevoir des informations précises, d'avoir la possibilité de recourir à des modes diversifiés de règlement des différends, d'être orienté vers des professionnels spécialisés et des instances de conciliation et de médiation, d'introduire une requête à l'occasion d'une affaire dispensée de ministère d'avocat, d'être renseigné sur le déroulement de la procédure et de former un recours.

Une enquête de satisfaction fait état de la réussite de cette expérimentation tant du point de vue du justiciable que des magistrats et fonctionnaires. Ces GUG ont permis des gains de productivité en raison des tâches transférées à l'accueil. D'autres cours d'appel ont donc mis en place des services analogues (Agen, Douai, Toulouse, Versailles...). De nouvelles expérimentations sont prévues en 2002, notamment à Aix-en-Provence, Bordeaux, Dijon et Fort de France.

c) La communication externe

L'information des citoyens est actuellement rendue difficile par la multiplicité des réformes , la désinformation liée aux affaires pénales médiatisées, le silence dans lequel les magistrats doivent se cantonner alors que les parties utilisent tous les moyens de communication pour n'exprimer que des points de vue au procès.

Cette information est d'autant plus nécessaire que nos concitoyens éprouvent un sentiment d'incompréhension devant la complexité des institutions judiciaires et la technicité du langage juridique.

Telle est la raison pour laquelle, outre l'amélioration des fonctions d'accueil, la mission juge indispensable de doter chaque cour d'appel d'un service de la communication, placé sous la responsabilité d'un magistrat et composé d'une équipe qualifiée .

M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, a indiqué que les cours d'appel de Paris et de Rennes avaient déjà institué des chargés de communication. Il s'est déclaré favorable à ces initiatives et a prôné leur généralisation.

L'informatique et les nouvelles technologies de l'information constituent également des supports de communication performants appelés à se développer.

3. Développer l'informatique et les nouvelles technologies de l'information

L'informatisation et le recours aux nouvelles technologies de l'information constituent un enjeu majeur pour la modernisation du ministère de la justice. Ils devraient modifier en profondeur l'exercice des métiers, le micro-ordinateur reléguant dans le musée de l'histoire la plume d'oie illustrée par Honoré Daumier.

Pour l'instant leur impact reste limité en raison des disparités importantes suivant les cours et les juridictions et du manque de techniciens qualifiés.

Il convient de veiller à ce que les nouvelles technologies deviennent un instrument de décloisonnement entre les services, d'ouverture des juridictions sur l'extérieur et non d'isolement des magistrats et des fonctionnaires.

a) Les conséquences de l'informatisation sur le fonctionnement interne des juridictions

En octobre 1998 a été engagée la mise en place d'un réseau intranet ministériel , le réseau privé virtuel justice (RPVJ). Elle se poursuit aujourd'hui avec la création de sites documentaires et d'application partagés entre l'administration centrale et les services déconcentrés.

Mme Catherine Trochain, première présidente de la cour d'appel de Caen, présidente de la Commission de l'informatique, des réseaux et de la communication électronique (COMIRCE) a indiqué à la mission que 25.000 agents du ministère étaient actuellement connectés à l'intranet-justice, l'objectif étant de permettre à l'ensemble des personnels d'y accéder.

Les nouvelles technologies de l'information permettent de décloisonner le fonctionnement des services, de favoriser l'échange et d'ouvrir la voie au travail en équipe . Elles induisent un changement des méthodes de travail des magistrats et des personnels des greffes et deviennent un instrument du dialogue social au sein des juridictions : frappe de leurs jugements par les magistrats et simple mise en forme par les greffes, forums de discussion, gestion de courriers commune à plusieurs services, gestion de la liste des experts judiciaires...

M. Joël Rech, représentant du syndicat des greffiers de France, a indiqué à la mission que le télétravail « permettrait aux agents de demeurer dans leur juridiction, tout en apportant un secours ponctuel aux agents d'autres juridictions, ne serait-ce que pour effectuer des tâches purement administratives comme la frappe des décisions . »

Peut-être les nouvelles technologies de l'information affecteront-elles également les relations hiérarchiques au sein des juridictions ? En effet, avec la mise en ligne des circulaires et de la documentation, les chefs de cour et de juridiction verront s'affaiblir leur rôle d'intermédiaire entre la Chancellerie et les services judiciaires.

Ces modifications sont parfois mal vécues, tant par les magistrats qui se refusent à utiliser eux-mêmes l'ordinateur, que par les fonctionnaires des greffes qui se sentent menacés.

L'informatique doit également permettre d'établir des indicateurs permettant de contribuer à une meilleure allocation des ressources des juridictions et d'offrir une meilleure qualité du service public de la justice

Enfin, une réflexion est en cours en vue d'assurer l'interopérabilité des systèmes informatiques des différents ministères afin que ce décloisonnement des structures concerne l'ensemble de l'administration. A titre d'exemple, la police et la gendarmerie, qui devront bientôt modifier leurs équipements, ont constaté que leurs systèmes informatiques n'étaient pas compatibles. Cette question est essentielle pour les magistrats, en particulier ceux du parquet, qui entretiennent des relations permanentes avec les officiers de police judiciaire.

b) Un support performant pour la communication externe

Les nouvelles technologies devraient favoriser l'accès au droit des citoyens.

Le site web du ministère de la justice constitue un outil de communication essentiel. Des sites régionaux sont en cours de développement afin de permettre aux usagers d'obtenir des informations sur leurs juridictions : cinq cours d'appel et trois tribunaux de grande instance ont créé leurs propres sites. Des formulaires justice sont mis en ligne pour faciliter leurs démarches.

Un guichet unique des greffes dématérialisé dénommé « visio-greffe 106( * ) » a été mis en place en mai 2001 dans l'arrondissement du tribunal de grande instance de Limoges, permettant aux usagers de la justice situés dans des communes très éloignées du siège du tribunal de grande instance d'accomplir des actes de greffe, de recevoir des informations sur l'état d'avancement de leur procédure, de retirer des documents « officiels » en temps réel, sans se déplacer et sous le contrôle de fonctionnaires de justice. Une extension de cette expérimentation doit être entreprise en 2002 dans des zones rurales de métropole et d'outre mer.

Les nouvelles technologies sont également un facteur de modernisation des relations de l'institution judiciaire avec les auxiliaires de justice et les collectivités locales .

Il s'agit, dans les domaines civil et pénal, de réduire les charges liées à la saisie des données mais aussi d' accélérer le processus d'ensemble du traitement des affaires , de garantir la qualité de la transmission entre les juridictions et leurs partenaires : avocats, huissiers, avoués, donneurs d'ordre.

Une convention a été signée le 6 décembre 2000 par le directeur des services judiciaires et le président de la Chambre nationale des avoués pour relier les réseaux intranets du ministère et de la profession. L'objectif est d'accélérer le rythme du procès civil, de réduire les délais de transmission des actes, de supprimer les déplacements inutiles et les échanges de courrier superflus.

Une expérimentation doit également être conduite par le tribunal de grande instance et le barreau de Paris.

Le développement des nouvelles technologiques impose d'assurer la confidentialité des échanges de données souvent sensibles ; le ministère de la justice, gardien des libertés individuelles, ne doit pas perdre de vue cette exigence.

c) La gestion des ressources informatiques

La réussite de la politique informatique suppose d'y consacrer des effectifs importants et de qualité. De ce point de vue des efforts restent à accomplir .

De nouveaux métiers sont en germe. Actuellement, les correspondants locaux informatiques sont des greffiers des services administratifs régionaux et même, fréquemment, des agents de justice.

Dans les juridictions, les greffiers en chef font appel à des contractuels ou recourent à la sous-traitance pour assurer la maintenance des équipements.

L'opportunité de créer ou non une filière informatique au sein des métiers du ministère de la justice fait l'objet d'un débat. L'externalisation entraîne un abandon des savoir-faire et pose un problème de confidentialité des données. Le recrutement de fonctionnaires peut toutefois s'avérer lourd et suppose la mise en place d'une formation continue de haut niveau.

d) Le « tribunal du futur »

En avril 2000, la Commission de l'informatique, des réseaux et de la communication électronique a lancé puis piloté une étude de faisabilité sur « le tribunal du futur », juridiction intégrant pleinement les nouvelles technologies. Financée par le Fonds interministériel de modernisation, l'étude a été confiée à la société EGL.

Une proposition d'expérimentation a été validée le 27 mars 2002, autour de deux axes : le développement de la visioconférence et l'installation de bornes interactives.

Le droit européen, largement, et le droit français, spécifiquement 107( * ) , admettent en l'encadrant le recours à la visioconférence.

Des expérimentations sont actuellement conduites en Grande-Bretagne, en Suède, en Italie et en Espagne. La Grande-Bretagne a déjà équipé 125 tribunaux et 75 établissements pénitentiaires. Un « criminal justice Act » de 1988 accordait valeur légale aux témoignages par visioconférence ; un « crime and discorder Act » de 1998 a imposé au juge, lorsque les moyens sont disponibles, de justifier la non utilisation de la visioconférence pour la comparution des détenus portant sur la détention provisoire.

En France, l'expérimentation sera conduite par la cour d'appel de Caen et le tribunal de grande instance de Lisieux dans le cadre :

- des débats devant les juges des libertés et de la détention et les juges de l'application des peines ;

- des débats devant les tribunaux correctionnels dans les affaires portant sur des intérêts civils, c'est-à-dire le contentieux de l'indemnisation.

Le ministère de la justice a déjà mis en ligne 17 formulaires pour les particuliers et 7 pour les professionnels. Les plus connus sont ceux qui permettent d'obtenir un extrait du casier judiciaire.

Une expérimentation est en cours consistant à mettre une borne à la disposition du public dans les commissariats, comportant des formulaires d'aide au dépôt de plainte pour des infractions simples et courantes. Les informations saisies par le particulier seront ensuite reprises par un officier de police judiciaire en vue de la mise en forme définitive de l'imprimé.

Par ailleurs, la dématérialisation des actes et l'utilisation des moyens informatiques (présentation par powerpoint) lors des audiences doivent être encouragées.

Il faudra prendre garde toutefois à ne pas déshumaniser la justice .

C. LA GESTION DÉCONCENTRÉE DES JURIDICTIONS

La cour d'appel est aujourd'hui l'échelon déconcentré de gestion des juridictions. Depuis 1996, les chefs de cour bénéficient du concours des services administratifs régionaux. Leur intervention ne va pas toutefois sans susciter des réticences de la part des juridictions. Au sein de ces dernières, la question de la gestion tripartite entre le président, le procureur et le chef de greffe demeure lancinante.

1. Le choix de la cour d'appel comme échelon déconcentré de gestion des juridictions

Dès 1986, le transfert à l'Etat des compétences exercées par les collectivités locales pour le fonctionnement et l'équipement des juridictions du premier degré s'est accompagné d'une recherche de déconcentration, en ces domaines, de la préparation budgétaire et de l'exécution de la dépense.

Ce n'est finalement qu'en 1995, après l'élaboration et l'abandon de plusieurs schémas d'organisation, que la cour d'appel a définitivement été identifiée comme le pôle régional de déconcentration pertinent et que diverses dispositions ont été prises afin de faciliter son rôle de synthèse et d'arbitrage.

L'absence d'administration départementale de la justice soulève de réelles difficultés de coordination avec les autres services de l'Etat , voire avec les autres services du ministère de la justice, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire. Mme Hélène Magliano, procureur général près la cour d'appel de Dijon, a ainsi observé que le ressort de sa cour d'appel s'étendait sur trois départements (Côte d'Or, Saône-et-Loire et Haute-Marne) et deux régions (Bourgogne et Champagne-Ardenne), ce qui compliquait le recours aux nouveaux groupements d'intervention régionaux (GIR).

A l'heure actuelle, à l'exception des crédits de rémunération, la totalité des crédits nécessaires au fonctionnement des juridictions est déconcentrée, principalement au niveau des cours d'appel.

Responsables du fonctionnement des juridictions de leur ressort, les chefs de cour assurent la programmation et la répartition des crédits délégués dans les domaines de l'équipement immobilier, du fonctionnement courant, de l'informatique déconcentrée, des frais de déplacement, de l'entretien immobilier, de la formation des personnels. Ils sont en outre chargés du contrôle de gestion des juridictions de leur ressort.

On rappellera que c'est également à l'échelon de la cour d'appel que sont assurées les gestions administrative et financière des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires, organisés les concours de recrutement régionalisé des fonctionnaires de catégorie B et C des services judiciaires, recrutés les agents non titulaires (vacataires, assistants de justice, agents de justice), développées les relations professionnelles et le dialogue social dans le cadre des comités techniques paritaires régionaux.

Pour accomplir ces tâches, les chefs de cour peuvent s'appuyer sur des services administratifs régionaux (SAR).

2. L'affirmation progressive des services administratifs régionaux

Créés par une circulaire du 8 juillet 1996, les services administratifs régionaux sont placés, dans chaque cour d'appel, sous l'autorité directe des chefs de cour et dirigés par un coordonnateur. Ils ont pour fonction de préparer, mettre en oeuvre et contrôler les actes et décisions de nature administrative nécessaires à la bonne administration du ressort.

Outre leurs missions traditionnelles dans les domaines de l' administration des moyens et de la gestion des personnels , les services administratifs régionaux sont désormais chargés de la gestion du parc informatique et du parc immobilier .

Par ailleurs, depuis 1998, ils se sont vus confier de nouvelles missions de contrôle des dépenses publiques, en matière de frais de justice et de gestion des subventions aux associations intervenant dans les activités pré-sentencielles, d'aide aux victimes et de médiation civile. Depuis cette date en effet, les chefs de cour arbitrent les montants des subventions allouées à chacune des associations de leur ressort intervenant dans ces secteurs.

Les fonctions de coordonnateur du service administratif régional sont partout exercées par des greffiers en chef , sauf à la cour d'appel de Paris et à la cour d'appel de Rennes où elles sont confiées à des magistrats.

En qualité de responsable du fonctionnement du SAR, le coordonnateur fédère l'activité d'une équipe composée principalement de greffiers en chef mais aussi de greffiers dont les fonctions sont très spécialisées et bien définies : le responsable de la gestion budgétaire, le responsable de la gestion des ressources humaines, le responsable de la gestion informatique, assisté généralement d'un adjoint, le responsable de la gestion de la formation. Le recrutement de techniciens informatiques spécialisés a permis la constitution au sein des cours d'appel d'un relais des centres de prestations régionaux en matière de maintenance de premier niveau des matériels et des applications informatiques.

Les juridictions d'un même arrondissement judiciaire (ressort d'un tribunal de grande instance) sont coordonnées au sein d'une cellule de gestion qui, tout en respectant l'autonomie budgétaire de chacune d'elles, est censée apporter la compétence et le soutien de personnels compétents. La cellule tient une comptabilité d'engagement pour chaque juridiction et constitue l'unique interlocuteur du SAR.

Comme le soulignait Mme Danielle Raingeard de la Blétière, première présidente de la cour d'appel de Dijon dans une contribution écrite aux travaux de la mission, il convient aujourd'hui de conduire plus avant la déconcentration de la gestion des juridictions, en direction de « l'arrondissement judiciaire qui est le bon niveau d'émergence des innovations et d'adaptation des réponses de l'institution au niveau local. »

Les chefs des tribunaux devraient disposer d'un véritable service gestionnaire spécialisé renforçant notablement les équipes des actuelles cellules de gestion .

Les services administratifs régionaux sont, quant à eux, les interlocuteurs uniques des préfets des départements, ordonnateurs secondaires, pour les engagements comptables et mandatements des dépenses d'intérêt régional, d'intérêt commun et locales.

La mission observe que le choix du préfet comme ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions, s'il ne semble pas susciter de difficulté dans la pratique, paraît difficilement compatible avec le principe d'indépendance de la justice et mériterait d'être réexaminé .

Ainsi, la mise en place des services administratifs régionaux a entraîné une modification de la manière de gérer les moyens des juridictions. Comme le soulignaient MM. Michel Vigneron, premier président de la cour d'appel de Bordeaux, et Marc Moinard, procureur général, elle a contribué à sa professionnalisation. La mutualisation , par exemple en matière de passation des marchés publics, est source d'économies et d'efficacité tant le droit est complexe.

Toutefois, cette mutation ne va pas toujours sans difficulté ni heurt . La greffière en chef de la cour d'appel de Dijon a ainsi fait part à la mission de certaines tensions dans ses relations avec le SAR et de son regret de perdre en autonomie de gestion et en réactivité. Il est vrai que les moyens du service administratif régional de la cour d'appel de Dijon semblaient insuffisants pour répondre à toutes les demandes.

La mission juge donc indispensable de poursuivre le renforcement des effectifs des services administratifs régionaux pour leur permettre de faire face à la poursuite de la déconcentration des crédits.

Elle estime également que le moment est venu de doter les services administratifs régionaux d'un véritable statut, en inscrivant leur existence dans le code de l'organisation judiciaire et en définissant plus précisément leur rôle et leurs compétences par rapport aux greffes des juridictions
.

La création d'un statut d'emploi des chefs de SAR semble également nécessaire pour valoriser cette fonction occupée par des greffiers en chef de qualité mais également l'ouvrir à des fonctionnaires d'autres administrations, susceptibles de les faire bénéficier de leur expérience et de leur compétence, à l'instar de la nomination récente d'une sous-préfète au poste de secrétaire général de l'Ecole nationale de la magistrature.

D'après les renseignements fournis par la Chancellerie, un projet de décret serait en préparation tendant à créer un poste de secrétaire général de service administratif régional afin de permettre une ouverture et un choix plus larges de professionnels de la gestion.

La mission propose, afin de professionnaliser la gestion des juridictions, de créer un statut de secrétaire général de service administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers en chef mais qui serait également ouvert à des fonctionnaires d'autres administrations.

M. Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation est allé plus loin en déclarant à la mission que : « Donner des pouvoirs de gestion aux greffiers ne me paraît pas une bonne solution. En effet, sans aller jusqu'à parler d'opposition, il y a de la méfiance dans les relations de pouvoir entre les juges et les greffiers. Les juges craignent que les greffiers ne prennent trop d'importance dans les juridictions et qu'eux ne soient privés non pas des pouvoirs de gestion mais des pouvoirs d'administration. Néanmoins, autant il appartient notamment au juge d'affecter les magistrats dans les chambres, d'administrer la juridiction en réglant les flux de contentieux, autant il ne devrait pas lui appartenir - et c'est même un peu contre nature - de faire de la gestion budgétaire .

« Il faut donc dégager un corps d'administrateurs des juridictions indépendant des greffes et des magistrats. Ses membres devraient avoir la culture et la déontologie des gestionnaires des juridictions d'Amérique du Nord, qui, eux, sont des magistrats, ou des administrateurs des juridictions supranationales, c'est-à-dire savoir gérer une juridiction, mais sur les instructions et sous les ordres d'un magistrat . »

Ces remarques, qui portent sur la gestion des juridictions et non sur les seuls services administratifs régionaux, renvoient à la question lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs de greffe.

3. La question lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs de greffe

Aux tensions résultant de l'existence des services administratifs régionaux s'ajoutent en effet les habituelles difficultés liées à la gestion tripartite des juridictions par le premier président de la cour d'appel (ou le président du tribunal de grande instance), le procureur général (ou le procureur de la République) et le chef de greffe.

a) Les ambiguïtés de la gestion tripartite

Les termes des articles R. 812-1 et R. 812-2 du code de l'organisation judiciaire qui définissent les responsabilités de chacun sont, il est vrai, pour le moins ambigus puisque le greffier en chef exerce ses attributions pour partie sous l'autorité et pour partie sous le contrôle des chefs de juridiction, sans que ces derniers puissent se substituer à lui .

Cette ambiguïté subsiste malgré une circulaire du 6 juin 1979 qui analyse la relation hiérarchique entre les chefs de juridiction et les chefs de greffe : l'autorité constitue le pouvoir d'ordonner et donc d'établir des orientations et des directives ; l'initiative des fonctions sous le contrôle des chefs de cour ou de juridiction revient au greffier en chef, chef de greffe.

Une clarification de ce texte à caractère réglementaire semble nécessaire. A l'instar des conférences des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux, la mission considère que les chefs de juridiction devraient conserver in fine le pouvoir de décision, dans la mesure où la façon de rendre la justice est étroitement dépendante des moyens accordés.

M. André Ride, président de la Conférence des procureurs généraux déclarait ainsi devant elle : « parce que la mise à disposition des moyens, forcément limités, d'une juridiction, tant en personnels qu'en crédits, a une incidence très directe sur la fonction judiciaire elle-même, dans la poursuite comme dans le jugement, il importe que ces décisions continuent à être prises dans le cadre de ce dialogue, et que la décision revienne aux deux chefs de juridiction, comme le veut la dyarchie qui préside au mode de fonctionnement des cours et tribunaux et qui garantit que les deux principes qui conditionnent l'exercice de la justice, la poursuite et le jugement, soient également pris en considération . »

En revanche, les chefs de cour ou de juridiction ne devraient pas s'impliquer dans la gestion au quotidien. Comme le faisait justement observer Mme Véronique Rodero, présidente de l'Association des greffiers en chef des tribunaux d'instance, « les hôpitaux ne sont pas gérés par les médecins . »

La mission propose, reprenant en cela les conclusions du rapport de notre collègue Jean Arthuis au nom de la commission sénatoriale de contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire, présidée par notre collègue Hubert Haenel 108( * ) , que les chefs de juridiction aient autorité sur le fonctionnement des services de leur juridiction et que, par délégation et sous leur contrôle, le greffier en chef dirige et gère l'ensemble des services administratifs .

Pour autant, il est évident qu'indépendamment de toute clarification textuelle, la qualité des relations entre chefs de juridiction et chef de greffe restera la clef d'un bon fonctionnement .

Comme le rappelait à juste titre M. André Ride : « Premier président, procureur général et greffiers en chef des cours, président, procureur de la République et greffiers en chef des tribunaux de grande instance se réunissent de façon constante, que ce soit de manière informelle ou, de plus en plus souvent, institutionnelle, pour régler les questions relatives au fonctionnement de la juridiction. »

b) La mise en cause récurrente de la dyarchie

La dyarchie entre les magistrats du siège et ceux du parquet qui préside au fonctionnement des cours et des juridictions est régulièrement dénoncée par les premiers et revendiquée par les seconds.

La Conférence des premiers présidents de cour d'appel, favorable à la séparation du siège et du parquet, considère qu'au nom de l'indépendance de la justice et compte tenu du fait que le parquet constitue l'une des parties au procès, il ne devrait pas détenir de pouvoir de décision dans l'allocation des moyens de la juridiction.

Inversement, les magistrats du parquet sont attachés à conserver la maîtrise des moyens humains, matériels et financiers nécessaires à la conduite de leur action.

A la Cour de cassation, comme l'indiquait M. Jean-François Burgelin, son procureur général, le premier président a acquis au fil des ans la primauté par rapport au procureur général : « Lors des décennies antérieures, dans le cursus des magistrats responsables de la Cour de cassation, les premiers présidents étaient traditionnellement recrutés parmi les procureurs généraux. Tel fut le cas de nombre de mes prédécesseurs. Quittant leurs fonctions de procureur général pour devenir premier président, ceux-ci avaient tendance à « emporter » avec eux les responsabilités qui leur étaient propres. C'est ainsi que le centre de documentation de la Cour de cassation, qui ressortissait à l'autorité du procureur général, dépend maintenant de la première présidence. Il en est de même du budget de la Cour de cassation. Ainsi, historiquement s'explique un affaiblissement de l'autorité administrative du procureur général au profit de la première présidence. La dyarchie est déséquilibrée au sein de la cour . »

Selon le procureur général de la Cour de cassation, sous la pression de l'Europe, la tendance actuelle irait dans le sens d'une primauté accrue des premier présidents et présidents sur les procureurs généraux et procureurs de la République .

Après en avoir longtemps débattu, la commission sénatoriale de contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire avait estimé « qu'il convenait de doter chaque juridiction d'un chef unique - le premier président pour la cour d'appel, le président pour le tribunal de grande instance - afin d'en faciliter la gestion et de simplifier les rapports administratifs avec l'extérieur . »

En contrepartie, elle avait souligné la nécessité de « garantir le plus efficacement possible l'indépendance du parquet en donnant au procureur général et au procureur la pleine maîtrise des moyens matériels nécessaires à son activité, c'est-à-dire des locaux, des personnels, une enveloppe budgétaire autonome, les quelques services en commun faisant l'objet d'un accord entre le président et le procureur 109( * ) . »

La mission n'a pas pris parti sur la question compte tenu de son lien étroit avec celle du statut du parquet .

Dans l'immédiat et en tout état de cause, elle juge nécessaire de doter les chefs de cour et les chefs de juridiction d'une « équipe de cabinet » animée par un secrétaire général institutionnalisé et professionnalisé .

*

En quelques années, les juridictions ont donc vécu d'indéniables bouleversements dans leurs modes de fonctionnement. Cette mue , qui n'est pas encore terminée, exige des efforts d'adaptation importants de la part des magistrats et des fonctionnaires des greffes. Ceux-ci sont tout à fait capables de les accomplir et disposés à le faire pour peu qu'on leur accorde la considération qu'ils mériten t. Les lourdeurs imputées au fonctionnement des services judiciaires sont inhérentes à la fonction publique dans son ensemble.

Plus généralement, c'est l'ensemble de la communauté judiciaire qui doit s'adapter aux attentes des citoyens d'une justice plus simple, plus rapide et plus claire, à l'accroissement et à la complication des contentieux, à la concurrence européenne et internationale et à l'évolution des technologies de l'information et de la communication.

Pour prendre toute la mesure des mutations de la communauté judiciaire, la mission s'est donc également intéressée à l'évolution des métiers des auxiliaires de justice qui jouent un rôle non moins essentiel que les magistrats et les fonctionnaires.

CHAPITRE II
DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
CONFRONTÉS À DES DIFFICULTÉS MULTIPLES

La justice ne se réduit aux seuls membres des juridictions. D'autres acteurs concourent, à l'extérieur de l'institution judiciaire, à son bon fonctionnement.

Les avocats, les avoués de cour d'appel, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ainsi que les notaires, les huissiers de justice et les experts judiciaires s'avèrent des partenaires indispensables à la bonne marche du service public de la justice.

Sensible aux difficultés rencontrées par les magistrats et les personnels des greffes, la mission d'information n'est pas non plus restée sourde aux attentes de ces collaborateurs habituels ou occasionnels des juridictions sur le devenir de leurs professions.

I. LE MALAISE DES AVOCATS

Les avocats constituent la profession réglementée la plus connue.

Les mouvements de protestation de décembre 2000 et janvier 2001, principalement liés à l'insuffisance de leur rétribution au titre de l'aide juridictionnelle, ont révélé un malaise certain.

Au-delà de ces événements, la mission d'information a pu constater que cette profession, plus de dix ans après la profonde réforme du 31 décembre 1990 110( * ) , éprouvait des difficultés d'adaptation, qu'il s'agisse de son évolution sociologique, des contraintes liées à l'ouverture internationale, de la formation ou encore des disparités observées dans l'exercice du métier d'avocat.

A. UNE PROFESSION DÉSORMAIS PLURIELLE

Il paraît aujourd'hui difficile, tant les profils sont multiples, de déterminer le portrait type de l'homme ou de la femme exerçant le métier d'avocat.

1. Une population en augmentation constante et fortement féminisée

D'après les informations fournies par la Chancellerie, on recensait au 2 janvier 2001 38.140 avocats sur l'ensemble du territoire, dont 32.076 inscrits au tableau 111( * ) (84 %) et 6.064 inscrits sur la liste de stage (16 %). La population des avocats a connu une forte croissance depuis dix ans (ils n'étaient que 29.696 en 1992, soit + 28,4 %).

L'année 2000-2001 marque l'augmentation la plus sensible depuis 1996 avec 1.695 avocats supplémentaires, le barreau de Paris ayant largement contribué à cette évolution (875 inscrits supplémentaires, soit + 51 %).

Ce nombre est cependant moins élevé que dans la plupart des pays de l'Union européenne , puisqu'on recense plus de 104.000 avocats au Royaume-Uni, plus de 110.000 en Allemagne, l'Italie détenant le record avec 135.000 avocats 112( * ) .

La profession d'avocat, à l'instar de celle de magistrat, majoritairement exercée par des hommes il y a vingt ans 113( * ) , s'est largement féminisée , les femmes représentant 46 % de l'ensemble (17.534).

Cette tendance masque toutefois des disparités d'un barreau à l'autre , le barreau de Versailles se caractérisant par une forte présence des femmes contrairement à celui de Nantes (40,9 %). La taille des barreaux ne semble pas constituer un critère pertinent pour déterminer la proportion de femmes au sein de la profession 114( * ) .

Une accélération de ce mouvement de féminisation paraît prévisible , les femmes représentant actuellement près de 61 % des avocats stagiaires. Les femmes inscrites sur la liste de stage ont contribué à la hausse du nombre d'avocats constatée entre les années 2000 et 2001 à hauteur de 25 % contre 7 % pour les hommes.

Le tableau ci-dessous résume l'ensemble de ces évolutions :

Evolution du nombre d'avocats inscrits au tableau
et sur la liste de stage selon le sexte entre 2000 et 2001

Sexe et catégorie

2 janvier 2000

2 janvier 2001

Variation
2000-2001 (%)

TOTAL
Inscrits au tableau
Inscrits sur la liste de stage

36 445
30 928
5 517

38 140
32 076
6 064

4,7
3,7
9,9

HOMMES
Inscrits au tableau
Inscrits sur la liste de stage

20 039
17 782
2 257

20 606
18 226
2 380

2,8
2,5
5,4

FEMMES
Inscrites au tableau
Inscrites sur la liste de stage

16 406
13 146
3 260

17 534
13 850
3 684

6,9
5,4
13,0

Source : Ministère de la Justice, DACS, Cellule Etudes, « Statistiques sur la profession d'avocat - situation au 2 janvier 2001 ».

2. Les paradoxes de la perception des avocats par les citoyens

Selon Me Jean-François Dacharry, président du centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) de Bordeaux, l'image de l'avocat souffrirait d'un paradoxe et d'un décalage par rapport à la réalité.

Cette profession ne semble pas bénéficier d'une image très positive auprès de l'opinion publique. En revanche, les justiciables qui ont eu affaire à la justice se déclarent individuellement satisfaits de leur avocat . La récente enquête de satisfaction effectuée par la Chancellerie auprès des usagers de la justice le confirme d'ailleurs : « la grande majorité des interviewés [...] défendus par un avocat estime que ce dernier a été honnête (86 %), indispensable (80 %), que c'est un bon avocat (79 %) qui les a bien conseillés (76 %) et qui a bien défendu leurs intérêts (74 %) 115( * ) ».

L'enquête fait cependant ressortir une nuance importante. Selon que leur avocat a été choisi ou désigné, rémunéré intégralement par l'usager, le degré de satisfaction, qui reste néanmoins élevé, varie. En effet, les usagers bénéficiaires de l'aide juridictionnelle portent une appréciation plus sévère à son égard.

Un second paradoxe a été mis en exergue par Me Philippe Duprat, secrétaire général du CRFPA, selon lequel les avocats seraient « les médecins du corps social » compte tenu des missions essentielles qui leur sont confiées depuis toujours : écouter le client , le comprendre , lui proposer une solution technique . A l'instar du juge, l'avocat est un artisan, mais aussi un technicien. Cette réalité demeure souvent méconnue des citoyens, qui réduisent l'ensemble des professionnels à quelques avocats médiatiques, minoritaires et peu représentatifs de leurs confrères.

3. Les voix plurielles d'une même profession

En France, la profession d'avocat a toujours été structurée de manière corporative en barreaux autonomes.

En principe, tous les avocats établis près d'un tribunal de grande instance sont inscrits à un barreau ou ordre, administré par un Conseil de l'ordre présidé par un bâtonnier élu pour deux ans, et dont les membres sont élus pour trois ans. Les principales attributions du barreau sont de nature administrative (inscription des avocats au barreau, gestion du Conseil de l'ordre), disciplinaire et réglementaire 116( * ) .

Deux organismes représentent la profession d'avocat de longue date : le Barreau de Paris , d'une part, et la Conférence des bâtonniers 117( * ) , d'autre part, qui regroupe les 180 ordres des avocats de province et d'outre-mer. Comme l'ont souligné Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, et Me Michel Bénichou, ancien président de la Conférence des bâtonniers, lors de leur audition, il existe un lien fort entre ces deux instances représentatives, qui partagent le souci d'avoir en commun la gestion des ordres.

Les rivalités qui ont pu exister parfois ont donc cédé le pas à une réflexion commune et une concertation étroite .

Une troisième instance, le Conseil national des barreaux 118( * ) , a vu le jour à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (ayant inséré un article 21-1 dans la loi du 31 décembre 1971).

La création de cet organisme s'explique par la volonté d'instituer une représentation nationale de l'ensemble de la nouvelle profession issue de la fusion des avocats, hiérarchisés en ordres, et des conseils juridiques, dotés d'une organisation plus pyramidale.

Le Conseil national des barreaux joue un rôle fédérateur de représentant de la profession auprès des pouvoirs publics et s'est vu confier des missions particulières en matière d'harmonisation des règles et des usages professionnels, ou encore de formation . Contestée pendant les premières années de son existence à la fois par le Barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers, cette institution a peu à peu réussi à trouver sa place dans un système très ancien. D'ailleurs, son rôle moteur dans le domaine de la formation est reconnu par l'ensemble des barreaux.

Aujourd'hui coexistent donc trois instances représentatives différentes que la Chancellerie consulte régulièrement. Des mécanismes de concertation se sont mis en place. Si des positions divergentes se font jour sur certaines questions sensibles telles que la formation ou encore la représentation de la profession au plan international, la mission, au cours de l'audition commune de trois représentants de ces instances, a pu constater l'entente cordiale qui régnait dorénavant entre eux.

4. La question des structures d'exercice

a) Une diversification croissante des modes d'exercice

L'exercice individuel a longtemps constitué le seul mode d'exercice autorisé .

Mais, depuis 1971, de multiples structures d'exercice en groupe ont été organisées par le législateur afin de permettre aux cabinets d'avocats de se développer et de se moderniser.

Le métier d'avocat peut donc désormais s'exercer de multiples façons . On distingue en effet :

- la collaboration , réglementée par la loi du 31 décembre 1971 119( * ) , qui, dans la pratique, présente des différences ténues par rapport au salariat 120( * ) . 16 % des avocats inscrits au tableau exercent leur profession en cette qualité.

Devant le Barreau de Paris, ainsi que devant les autres barreaux, ce mode d'exercice a connu la plus forte augmentation avec respectivement + 10,4 % et + 5,4 %.

La collaboration concerne essentiellement les avocats stagiaires 121( * ) qui ont recours à cette forme d'exercice pendant l'accomplissement de leur stage et donc pour une période transitoire. Ainsi, les jeunes avocats, qui ne disposent pas des capacités d'investissement suffisantes, peuvent s'intégrer à un cabinet d'avocats déjà constitué  ;

- le salariat 122( * ) , introduit par la loi du 31 décembre 1990, qui n'a rencontré qu'un modeste succès. Compte tenu de la contradiction évidente entre le statut même de l'avocat, « profession libérale et indépendante » (article 1 er de la loi du 31 décembre 1971) et celui du salarié défini essentiellement par le lien de subordination qui le lie à l'employeur, le salariat s'est peu développé, puisqu'il concernait seulement 7 % des avocats inscrits au tableau en 2001.

Bien que ce mode d'exercice soit le moins fréquent, il a cependant marqué la plus forte augmentation devant l'ensemble des barreaux (soit + 5,4 %), à l'exception de celui de Paris (+ 1,9 % seulement) ;

- l'exercice en groupe sous la forme d'associations d'avocats, la constitution de sociétés civiles professionnelles, de sociétés civiles de moyens ou de simples cabinets groupés, consacré par la loi du 31 décembre 1971.

La loi du 31 décembre 1990 précitée est venue enrichir ces modes d'exercice en ouvrant la profession d'avocat au droit des sociétés commerciales. Elle peut désormais être exercée sous la forme de sociétés civiles professionnelles d'avocats (SCPA). Une autre loi du 31 décembre 1990 123( * ) a également autorisé la création de sociétés d'exercice libéral.

Parmi les avocats inscrits au tableau, 34 % exercent en qualité d'associés (11.000 avocats). Cette forme d'exercice est peu fréquente chez les avocats stagiaires, qui représentent moins de 1 % de l'ensemble des associés, cette proportion ayant enregistré une forte diminution entre 2000 et 2001.

A l'exception des grands cabinets spécialisés, la société civile professionnelle constitue la forme majoritaire d'exercice, comme le montre le graphique ci-dessous :

Cette répartition s'est peu modifiée depuis 1998. Le nombre moyen de groupements par barreau s'élève à 23.

Le métier d'avocat s'est donc enrichi d'une multiplicité de structures très variées. Toutefois, cette diversification des modes d'exercice demeure très théorique compte tenu de la prégnance de l'exercice à titre individuel, qui reste le modèle dominant.

b) La prégnance de l'exercice à titre individuel et l'étroitesse des structures d'exercice

La majorité des avocats inscrits au tableau -soit 42 % de l'ensemble- exerce à titre individuel 124( * ) , l'exercice en qualité d'associé ne concernant que 34 % de ces professionnels 125( * ) . On observe donc un net décalage entre la diversité des structures d'exercice consacrée par le législateur et la très grande uniformité des pratiques professionnelles ancrées dans un schéma traditionnel.

La Conférence des bâtonniers et le Barreau de Paris ont regretté cette situation, soulignant que l'étroitesse des structures d'exercice des cabinets d'avocats ne leur permettait pas d'affronter efficacement la concurrence.

Cette situation résulte de deux facteurs :

- le poids des mentalités explique qu'un grand nombre d'avocats n'ait pas envisagé de réformer ses structures d'exercice. Ainsi que l'a indiqué Me Paul-Albert Iweins, « l e fonctionnement d'un cabinet d'avocats classique a peu évolué et repose toujours sur la configuration classique un avocat - une secrétaire » ;

- les rigidités statutaires caractérisant ces groupements d'exercice constituent également un obstacle à la modernisation de la profession .

Le caractère transitoire de certaines mesures d'accompagnement fiscal destinées à favoriser les regroupements ainsi que le régime fiscal des sociétés civiles professionnelles est présenté par certains avocats comme une barrière au libre choix des structures d'exercice.

Les instances représentatives de la profession ont également pointé le manque de souplesse du statut des sociétés civiles professionnelles, qui ne permet pas de faire des provisions. La société d'exercice libéral, qui impose que plus de la moitié du capital et des droits de vote soit détenue directement par les professionnels en exercice au sein de la société, n'est pas non plus à l'abri des critiques.

Ainsi que le souligne la Conférence des bâtonniers, « la législation actuelle n'offre pas aux avocats les instruments nécessaires au développement de leur cabinet ».

Les avocats rencontrés par la mission se sont néanmoins réjouis de la possibilité qui leur a été offerte récemment de créer des sociétés de holding par le biais de sociétés de participation financière de professions libérales. En effet, l'institution par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes à caractère économique et financier (dite MURCEF) 126( * ) de ce nouveau mode d'exercice était très attendue par la profession. Il devrait favoriser les regroupements de capitaux et permettre la déduction fiscale des intérêts d'emprunt.

Toutefois, cette innovation n'échappe pas aux critiques récurrentes liées aux rigidités statutaires . La Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux ont en effet regretté l'impossibilité pour la holding de prendre des participations dans des cabinets étrangers.

La profession d'avocat, en perpétuelle évolution, est devenue plus difficile à cerner. Au-delà de sa diversité manifeste, ce métier paraît affecté par des disparités susceptibles de fragiliser sa place au sein de la communauté judiciaire , et plus généralement de la société .

B. L'ÉMERGENCE D'UN BARREAU À DEUX VITESSES

Le barreau français connaît actuellement une triple fracture : géographique, économique et financière, fonctionnelle.

1. Une répartition du nombre d'avocats sur le territoire très inégale : l'hypertrophie parisienne face à l'atrophie de la province

La répartition du nombre d'avocats, très inégale, fait apparaître une hypertrophie de la région parisienne qui mérite d'être soulignée.

Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier du Conseil de l'ordre de Paris, le barreau de Paris a connu une croissance fulgurante et concentre un très grand nombre d'avocats ( 14.905 avocats, soit près de 40 % ) 127( * ) .

L'écart avec les autres barreaux est particulièrement remarquable , puisque les deuxième et troisième barreaux de France, respectivement Lyon et Nanterre, concentrent des effectifs très inférieurs avec 1.599 et 1.522 avocats en exercice.

Plusieurs facteurs expliquent l'attractivité de la capitale :

- la formation de haut niveau dispensée à Paris jouit d'une très bonne réputation et attire de nombreux candidats à la profession d'avocat. En outre, contrairement à la plupart des Instituts d'études judiciaires, rattachés à l'Université 128( * ) , celui de Paris II affiche un très bon taux de réussite à l'examen d'entrée au centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) ;

- les plus grands cabinets sont souvent implantés à Paris, qui offre ainsi de nombreux débouchés aux avocats-stagiaires, certains d'obtenir un stage à l'issue de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).

Le taux d'avocats par habitant 129( * ) reflète ce déséquilibre . Derrière un taux moyen de 64 avocats pour 100.000 habitants se cachent en effet d'importants écarts d'un barreau à l'autre , ce taux s'élevant à 701 pour le barreau de Paris et à 8 pour celui de Montbrison. Le barreau de Nice se place en deuxième position avec un bon taux de couverture (145,1 avocats pour 100.000 habitants).

Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, une telle situation paraît inquiétante et risque d'aboutir à la constitution « d'un barreau à deux vitesses » avec, d'une part, un barreau de Paris d'excellence , en croissance constante, captant les affaires les plus prestigieuses et les plus intéressantes et, d'autre part, des barreaux de province financés essentiellement par l'aide juridictionnelle et éprouvant des difficultés à survivre .

La mission partage ces préoccupations et regrette l'hypertrophie parisienne.

2. Des écarts de rémunération inquiétants

Comme l'a fort justement relevé devant la mission M. Paul Bouchet, président de la commission de réforme de l'accès au droit à la justice (mise en place en 2001), « si le chiffre d'affaire des avocats a considérablement augmenté, les inégalités se sont creusées entre les barreaux et en leur sein ». Plus de 25 % des avocats parisiens disposent d'un revenu inférieur à 1.500 euros par mois.

Une grande partie des ressources de certains barreaux provient essentiellement du revenu perçu au titre de l'aide juridictionnelle. Par exemple, le nombre d'admissions à l'aide juridictionnelle à Bobigny (79 par avocat) s'avère très élevé par rapport à la moyenne nationale (23 par avocat).

Au sein de chaque barreau, il peut également exister de fortes disparités entre les avocats . Ainsi que le mentionne le rapport de la commission de réforme de l'accès au droit et à la justice 130( * ) , « une étude effectuée par le barreau de Lille (1999) a mis en évidence l'inégale répartition des dossiers d'aide juridictionnelle . » Il ressort de cette étude que si 45 % des avocats inscrits au barreau n'avaient pas effectué de mission à ce titre, 42 % avaient perçu une rétribution supérieure à 1.525 euros (10.000 francs) à ce titre.

En outre, des données rassemblées par l'Union nationale des caisses d'avocats à partir de 102 barreaux montraient que la grande majorité des missions d'aide juridictionnelle était effectuée soit par des avocats exerçant à titre individuel, soit par des collaborateurs. Il semble donc que certains avocats se financent essentiellement sur cette rétribution. 41 structures dont 12 cabinets ont en effet perçu plus de 76.225 euros (500.000 francs) à ce titre en 2000, le montant maximal ayant été enregistré par un cabinet individuel (167.695 euros, soit 1.100.000 francs).

Face à l'enrichissement des grands cabinets d'affaires et des cabinets spécialisés a donc émergé une catégorie d'avocats en proie à des difficultés financières et qui se paupérise .

a) La nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle

Face à cette évolution, on comprend dès lors l'acuité du débat désormais incontournable sur la revalorisation de l'aide juridictionnelle , d'autant plus que son faible niveau a un effet pervers en incitant des avocats essentiellement rétribués par celle-ci à scinder les dossiers et à multiplier les affaires.

S'il entre traditionnellement dans la vocation naturelle de l'avocat de prendre en charge gratuitement la défense des plus démunis, il paraît désormais indispensable de rémunérer les avocats qui remplissent cette mission, compte tenu de la généralisation de l'aide juridictionnelle .

Destinée à permettre aux personnes aux revenus modestes d'accéder à un avocat sans avoir à supporter totalement ou partiellement les frais occasionnés par la mise en oeuvre d'une procédure, l'aide juridictionnelle, depuis la réforme de 1991 131( * ) , s'est étendue à un nombre croissant de bénéficiaires (passant de 348.587 en 1991 à 698.779 en 2000, soit un accroissement de plus de 100 %).

L'insuffisance de la rétribution allouée aux avocats qui s'apparente davantage à une indemnité qu'à une véritable rémunération a révélé les limites du dispositif mis en place par la loi du 10 juillet 1991 132( * ) .

Des statistiques récentes établies par la Conférence des bâtonniers ont fait ressortir qu'un cabinet individuel, avant de gagner le premier franc, devait dégager environ 92 euros par heure (600 francs) hors taxe pour couvrir l'ensemble de ses frais. Or, il s'avère que dans certains dossiers, les barèmes fixés au titre de l'aide juridictionnelle se situent à des niveaux inférieurs. Ainsi certains avocats sont-ils inévitablement amenés à travailler à perte .

Mécontents de cette situation, les avocats ont engagé des mouvements de protestation à la fin de l'année 2000 et au début de l'année 2001. Face à ces inquiétudes, la Chancellerie a conclu un protocole d'accord le 18 décembre 2000 avec les principales instances représentatives de la profession afin de prévoir des mesures d'urgence destinées à revaloriser la rémunération accordée aux avocats 133( * ) au titre de l'aide juridictionnelle 134( * ) .

En parallèle, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, a mis en place en janvier 2001 une commission de réforme pour l'accès au droit et à la justice , chargée de formuler des propositions d'amélioration du dispositif existant.

Ainsi que l'a rappelé devant la mission son président, M. Paul Bouchet, cette commission préconise de nombreuses pistes de réforme et notamment la suppression de l'aide partielle, ainsi que la fixation de nouvelles modalités de calcul pour la rétribution allouée aux avocats 135( * ) .

M. Paul Bouchet a précisé que la commission de réforme avait écarté de ses propositions une piste intéressante : l'élargissement de l'assurance de protection juridique 136( * ) , dont le rôle méritait pourtant d'être souligné.

De plus en plus de compagnies d'assurance et de mutuelles proposent des contrats de protection juridique permettant la prise en charge des frais de procédures juridictionnelles dans certains domaines tels que la consommation , l' habitat ou le droit du travail .

Leur développement , bien que rapide, demeure encore modeste .

Néanmoins, si une telle piste était explorée, il faudrait s'assurer que les compagnies d'assurance versent une rémunération suffisante, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui et contribue à accroître les difficultés de la profession .

En tout état de cause, la mission demeure consciente des limites de ce dispositif, qui ne saurait constituer une alternative au mécanisme actuel d'aide juridictionnelle . En effet, certains domaines, notamment pénal ou familial, se prêtent difficilement à la souscription d'une assurance de protection juridique, pour des raisons à la fois morales et juridiques.

Le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait déposé sur le bureau du Sénat, à la fin de la législature précédente, le 20 février 2002, un projet de loi n° 257 (2000-2001) tendant à proposer une refonte globale du dispositif d'aide juridictionnelle. Ce texte prévoit notamment l'augmentation de 50 % du nombre de foyers fiscaux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, la simplification des procédures, ainsi que la rénovation des institutions de l'accès au droit. Les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) seraient généralisés dans tous les départements, un Conseil national de l'accès au droit et à la justice étant placé auprès du Premier ministre pour évaluer les politiques d'accès au droit et faire des propositions.

Les grandes lignes de ce dispositif ne semblent pas avoir recueilli l'approbation des instances représentatives des avocats.

La question d'une réforme globale demeure donc toujours d'actualité . M. Dominique Perben, garde des Sceaux, a d'ailleurs annoncé que l'aide juridictionnelle compterait parmi ses actions prioritaires.

La mission d'information juge nécessaire et urgente une remise à plat du système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991, afin d'allouer aux avocats une rémunération équitable et décente. Elle tient à souligner qu'une telle réforme ne saurait s'effectuer sans l'association étroite et l'assentiment des instances représentatives de la profession d'avocat.

Cependant, force est de constater que l'augmentation du barème actuel destinée à assurer une rémunération allouée par l'Etat à certains avocats semble constituer d'une certaine manière une remise en cause de la conception traditionnelle d'un exercice libéral de la profession d'avocat.

b) Les autres pistes de réforme

Au-delà de la question de l'aide juridictionnelle, l'indépendance économique a été évoquée au cours des travaux de la mission et a fait surgir plusieurs interrogations :

- la mission s'est interrogée sur l'opportunité de réguler l'accès à la profession d'avocat en limitant les recrutements afin d'éviter de susciter un sentiment de frustration parmi les jeunes avocats les plus exposés à la précarité. Les instances représentatives de la profession ont unanimement marqué leur désaccord à l'égard d'une telle proposition.

La Conférence des bâtonniers a fait valoir que la résolution d'un tel problème « ne réside pas dans le nombre d'avocats mais dans l'adéquation de ceux-ci et de leur formation à la réalité sociale et économique » ;

- l'instauration d'un tarif 137( * ) a été évoquée par certains interlocuteurs rencontrés par la mission. Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Bordeaux, Me Yves Delavalade, s'est prononcé, à l'instar de ses collègues de la « Conférence des cents » 138( * ) , en faveur de l'institution d'une tarification qui pourrait s'inspirer du modèle allemand. Outre une amélioration de la transparence à l'égard du justiciable, cette solution présenterait l'avantage de garantir un certain niveau de revenus à l'ensemble des avocats.

La Conférence des bâtonniers s'est déclarée ouverte au débat , tout en soulignant qu'un tel système devrait nécessairement s'efforcer de combiner une tarification minimale avec le maintien de la liberté de convention entre l'avocat et son client .

Le Barreau de Paris s'est montré plus sceptique , estimant qu' « une tarification ne s