Quels métiers pour quelle justice ?
COINTAT (Christian)
RAPPORT D'INFORMATION 345 (2001-2002) - commission des lois
Rapport au format Acrobat ( 1682 Ko )Table des matières
- RAPPORT D'INFORMATION
-
CALENDRIER DES TRAVAUX
DE LA MISSION D'INFORMATION - LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
- LES 40 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE
LA DIFFICILE MUTATION
DE LA COMMUNAUTÉ JUDICIAIRE -
CHAPITRE PREMIER
DES INTERROGATIONS FORTES
AU SEIN DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE-
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE
D'IDENTITÉ
- A. UNE MUTATION PROFONDE DU CORPS DES MAGISTRATS
-
B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE
DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS
- 1. Un corps peu diversifié
- 2. L'absorption du nombre, principal défi lancé à la formation
- 3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice
- 4. La formation continue, un droit reconnu par les textes mais peu effectif
- 5. L'ouverture de la formation à l'environnement international
- C. DES MAGISTRATS PARFOIS DÉSORIENTÉS PAR LA NÉCESSAIRE OUVERTURE AU DROIT EUROPÉEN
-
D. UN NÉCESSAIRE RECENTRAGE DU JUGE SUR SES
MISSIONS NATURELLES
- 1. Un juge aux figures multiples
-
2. Un éparpillement des missions dévolues
aux magistrats du siège qui fragilise leur place au sein de
l'institution judiciaire
- a) La juxtaposition des missions
- b) Les efforts en vue d'un recentrage du juge
- c) La suppression pure et simple de certaines tâches et procédures constitue une première proposition intéressante
- d) Le transfert de certaines tâches de caractère quasi juridictionnel vers d'autres acteurs de la justice (greffiers en chef, officiers publics et ministériels) pourrait également être envisagé
- e) Des interrogations sur la poursuite du mouvement de déjudiciarisation pourtant fréquemment suggérée par les interlocuteurs de la mission
- f) Des réserves quant au développement de l'arbitrage
- 3. La participation controversée des magistrats aux commissions administratives
- 4. La participation des magistrats aux politiques publiques
- E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET
-
II. DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES
DÉCOURAGÉS
- A. UN SERVICE PUBLIC RÉCENT
- B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN
- C. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION PERFECTIBLES
-
III. DE NOUVEAUX MODES DE FONCTIONNEMENT DES
JURIDICTIONS
- A. DES RELATIONS PARFOIS CONFLICTUELLES
- B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS
- C. LA GESTION DÉCONCENTRÉE DES JURIDICTIONS
-
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE
D'IDENTITÉ
-
CHAPITRE II
DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
CONFRONTÉS À DES DIFFICULTÉS MULTIPLES-
I. LE MALAISE DES AVOCATS
- A. UNE PROFESSION DÉSORMAIS PLURIELLE
- B. L'ÉMERGENCE D'UN BARREAU À DEUX VITESSES
- C. LES DÉFIS DE L'OUVERTURE SUR L'INTERNATIONAL
- D. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION À PARFAIRE
- E. DES RELATIONS ENTRE LES MAGISTRATS ET LES AVOCATS OSCILLANT ENTRE L'INDIFFÉRENCE ET LE CONFLIT
-
II. LES ATTENTES D'AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
- A. DES AVOUÉS DE COUR D'APPEL ET DES AVOCATS AU CONSEIL D'ÉTAT ET À LA COUR DE CASSATION AU RÔLE APPRÉCIÉ
- B. DES NOTAIRES DÉSIREUX DE SE VOIR CONFIER DE NOUVELLES TÂCHES
- C. DES HUISSIERS DE JUSTICE EN MAL DE RECONNAISSANCE
- D. DES EXPERTS JUDICIAIRES EN QUÊTE DE TRANSPARENCE
-
I. LE MALAISE DES AVOCATS
-
DEUXIÈME PARTIE
DES EXIGENCES ACCRUES DE PROXIMITÉ
ET DE SPÉCIALISATION -
CHAPITRE PREMIER
VERS UNE JUSTICE PLUS PROCHE DES CITOYENS-
I. L'APPARITION D'UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ
- A. L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX LIEUX JUDICIAIRES DE PROXIMITÉ
- B. L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DE LA JUSTICE
- C. UNE ADAPTATION PARFOIS DIFFICILE DES MÉTIERS TRADITIONNELS
-
II. UNE PROXIMITÉ À RENFORCER
- A. CONFORTER LES JUGES D'INSTANCE COMME JUGES DE PROXIMITÉ
- B. FAVORISER UNE PARTICIPATION PLUS IMPORTANTE DES CITOYENS
-
I. L'APPARITION D'UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ
-
CHAPITRE II
UNE SPÉCIALISATION RENDUE NÉCESSAIRE
PAR UN CONTENTIEUX DE PLUS EN PLUS COMPLEXE-
I. UNE SPÉCIALISATION DES MAGISTRATS
DÉJÀ ANCIENNE
- A. LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DOIT FAIRE FACE À UN CONTENTIEUX DE MASSE
- B. LE JUGE DES ENFANTS A UN CHAMP D'INTERVENTION TRÈS LARGE
- C. LE JUGE DE L'APPLICATION DES PEINES DEVRAIT VOIR SON RÔLE PRÉCISÉ ET RENFORCÉ
- D. LE JUGE DE L'EXÉCUTION S'EST IMPOSÉ COMME UN JUGE DE PROXIMITÉ, RAPIDE ET EFFICACE
- E. L'ÉVOLUTION DU MÉTIER DE JUGE D'INSTRUCTION SOULÈVE DES INTERROGATIONS
- II. UNE SPÉCIALISATION INÉGALE DES AVOCATS
-
III. UNE SPÉCIALISATION CROISSANTE DES
JURIDICTIONS
- A. DE NOMBREUSES JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES À LA COMPÉTENCE EXCLUSIVE ET À L'ORGANISATION ORIGINALE
- B. LE DÉVELOPPEMENT DE FORMES DE SPÉCIALISATION PLUS SOUPLES AUTOUR DE LA NOTION DE PÔLES DE COMPÉTENCES
- C. UN MOUVEMENT À POURSUIVRE
-
I. UNE SPÉCIALISATION DES MAGISTRATS
DÉJÀ ANCIENNE
- ANNEXES
-
ANNEXE 1
COURRIER ADRESSÉ AUX JURIDICTIONS -
ANNEXE 2
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION -
CONTRÔLE DE L'APPLICATION DES
LOIS
EXAMINÉES PAR LA COMMISSION DES LOIS -
ANNEXE 3
LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES ET COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS
EFFECTUÉES PAR LA MISSION D'INFORMATION-
Audition de
M. Jean-Paul COLLOMP,
inspecteur général des services judiciaires,
responsable du comité de coordination des « entretiens de Vendôme »
(27 mars 2002) -
Audition de
Mme Evelyne SIRE-MARIN,
présidente du Syndicat de la Magistrature
(27 mars 2002) -
Audition de
M. Dominique MATAGRIN,
président de l'Association professionnelle des magistrats
(27 mars 2002) -
Audition de
M. Dominique BARELLA,
secrétaire général,
et de Mme Carole MAUDUIT,
membre du bureau de l'Union syndicale des magistrats
(27 mars 2002) -
Audition de Mme Marylise LEBRANCHU,
garde des Sceaux, ministre de la justice
(28 mars 2002) -
Audition de
Mme Laurence PÉCAUT-RIVOLIER,
juge au tribunal d'instance du 10ème arrondissement de Paris,
présidente de l'Association nationale des juges d'instance
(10 avril 2002) -
Audition de
M. André RIDE,
procureur général près la cour d'appel de Limoges,
président de la Conférence nationale des procureurs généraux
(10 avril 2002) -
Audition de MM. Pierre VITTAZ, premier
président de la cour d'appel de Colmar,
président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel,
Olivier AIMOT, premier président de la cour d'appel de Rennes,
membre de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel,
et Hervé GRANGE, premier président de la cour d'appel de Pau,
membre de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
(10 avril 2002) -
Audition de
M. Laurent MARCADIER,
substitut du procureur du tribunal de grande instance de Créteil,
secrétaire général,
et de Mme Sonya DJEMNY-WAGNER,
secrétaire général adjoint de l'association des magistrats du parquet
(10 avril 2002) -
Audition de
Mme Martine de MAXIMY,
juge des enfants au tribunal de grande instance de Paris,
vice-présidente de l'Association des magistrats
de la jeunesse et de la famille
(24 avril 2002) -
Audition de
Mmes Christine MOUTON-MICHAL,
juge de l'application des peines au tribunal de grande instance de Bobigny,
secrétaire générale de l'Association des juges de l'application des peines,
et Anne-Marie MORICE-VIGOR,
juge de l'application des peines au tribunal de grande instance d'Evreux,
membre du Bureau de l'Association des juges de l'application des peines
(24 avril 2002) -
Audition de
M. Tony MOUSSA,
président de chambre à la cour d'appel de Lyon,
ancien juge de l'exécution
(24 avril 2002) -
Audition de
Mme Marie-Antoinette HOUYVET,
premier juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris,
présidente de l'Association française des magistrats instructeurs,
et de M. Jean-Baptiste PARLOS,
juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris,
membre du Bureau de l'Association française des magistrats instructeurs
(24 avril 2002) -
Table ronde sur l'évolution des
métiers
de greffier en chef et de greffier
(14 mai 2002) -
Table ronde sur l'évolution des
métiers
des personnels de catégorie C des services judiciaires
(14 mai 2002) -
Audition de Mme Anne WYVEKENS,
chercheur au CNRS,
directeur du département recherche,
de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité intérieure (IHESI)
(15 mai 2002) -
Audition de
M. Jean-Marie GONDRÉ,
administrateur de l'Association nationale des conciliateurs de justice
(15 mai 2002) -
Audition de MM. Denis L'HOUR, directeur
général,
et Francis BAHANS, directeur général adjoint,
de la Fédération des associations socio-judiciaires « Citoyens et Justice »
(15 mai 2002) -
Audition de Mmes Olivia MONS, responsable de
la communication,
et Fadila DJARAÏ, responsable de la formation,
à l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM)
(15 mai 2002) -
Audition de
Me Elisabeth BARADUC,
présidente de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
et de Me Emmanuel PIWNIKA, président délégué
(29 mai 2002)
-
Audition de Me Jean-Pierre GARNERIE,
président,
et d'une délégation de la Chambre nationale des avoués
près les cours d'appel
(29 mai 2002) -
Audition de M. Paul BOUCHET,
conseiller d'Etat honoraire,
ancien président de la Commission de réforme de l'accès au droit
et à la justice
(29 mai 2002) -
Table ronde sur « Les avocats et
l'évolution des métiers de la
justice »
(29 mai 2002) -
Audition de
Mmes Lucille GRASSET,
vice-présidente du tribunal de grande instance d'Evry, juge aux affaires familiales,
et Catherine BRETAGNE,
juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance d'Evry
(30 mai 2002) -
Audition de
Mme Catherine TROCHAIN,
première présidente de la cour d'appel de Caen,
présidente de la Commission de l'informatique, des réseaux
et de la communication électronique (Comirce),
et de M. Jean-Pierre POUSSIN,
délégué de la Comirce
(30 mai 2002) -
Audition de M. Guy CANIVET,
premier président de la Cour de cassation
(18 juin 2002) -
Audition de
M. Jean-François BURGELIN,
procureur général près la Cour de cassation
(18 juin 2002) -
Audition de Me Armand ROTH,
vice-président,
et de Me Catherine VARVENNE-LITAIZE,
secrétaire du Bureau chargée de la formation,
du Conseil supérieur du notariat
(18 juin 2002) -
Audition de
Me Yves MARTIN,
vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice
(18 juin 2002) -
Audition de M. Jean-Bruno KERISEL,
premier vice-président de la Fédération nationale
des compagnies d'expert près les cours d'appel
et les tribunaux administratifs
(18 juin 2002)
-
Audition de
M. Jean-Paul COLLOMP,
N° 345
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juillet 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information (2) sur l'évolution des métiers de la justice ,
Par M.
Christian COINTAT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
M.
René
Garrec,
président
; M. Patrice Gélard,
Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José
Balarello, Robert Bret, Georges Othily,
vice-présidents
;
MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas,
Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
; MM. Jean-Paul
Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles
Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick
Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude
Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod,
Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché,
Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM.
Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin
de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk,
Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.
(2) Cette mission d'information est composée de :
M.
Jean-Jacques Hyest,
président
; M. Christian Cointat,
rapporteur ;
MM. Jean-Pierre Sueur, José Balarello, Mme
Josiane Mathon, MM. Paul Girod, Alex Türk,
vice
-
présidents
; M. Lucien Lanier, Mme
Michèle André,
secrétaires
; MM. Laurent
Béteille, Bernard Frimat, Charles Gautier, Patrice Gélard,
Bernard Saugey, François Zocchetto.
Justice |
CALENDRIER DES TRAVAUX
DE LA MISSION D'INFORMATION
Mardi 12
mars 2002 Constitution du Bureau
Mercredi 27 mars 2002 Organisation des travaux
Auditions
Jeudi 28 mars 2002 Audition du garde des Sceaux
Mercredi 10 avril 2002 Auditions
Mercredi 24 avril 2002 Auditions
Mardi 14 mai 2002 Auditions
Mercredi 15 mai 2002 Auditions
Mardi 28 mai 2002 Déplacement d'une délégation de la
mission
au pôle économique et financier du tribunal
de
grande instance de Paris
Mercredi 29 mai 2002 Auditions
Jeudi 30 mai 2002 Auditions
Du mardi 4 juin Déplacement d'une délégation de la
mission
au jeudi 6 juin 2002 à Bordeaux
Mercredi 12 juin Déplacement d'une délégation de la
mission
et jeudi 13 juin 2002 à Dijon
Mardi 18 juin 2002 Auditions
Mercredi 19 juin 2002 Déplacement d'une délégation de la
mission
à Marseille
Mardi 2 juillet 2002 Adoption du rapport d'information par la
mission
Mercredi 3 juillet 2002 Présentation du rapport à la commission
des Lois
LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
Réunie, le 2 juillet 2002, sous la
présidence de
M. Jean-Jacques Hyest, président, la mission d'information sur
l'évolution des métiers de la justice a adopté le
rapport de M. Christian Cointat.
Au delà de la question cruciale des moyens, la mission,
constituée à l'initiative du président de la commission
des Lois, M. René Garrec, a passé au crible les
différents métiers de la justice afin de déceler les
évolutions intervenues et de proposer des pistes permettant
d'améliorer le fonctionnement quotidien de la justice au service des
citoyens.
A ce titre, la mission a étudié aussi bien l'évolution des
métiers de magistrat, de fonctionnaire des greffes et d'auxiliaire de
justice que l'émergence de nouveaux métiers tels ceux d'assistant
de justice, de conciliateur, de médiateur ou de
délégué du procureur.
Elle s'est penchée sur les orientations apparemment contradictoires que
constituent, d'une part, la spécialisation des juridictions, avec
l'instauration de pôles spécialisés, d'autre part, la mise
en place d'une justice de proximité, notamment à travers le
développement des maisons de justice et du droit.
Elle s'est particulièrement interrogée, dans ce cadre, sur les
moyens d'accroître la participation des citoyens à la bonne marche
de la justice.
Elle s'est également intéressée aux incidences croissantes
de la construction européenne et de l'ouverture à l'international
sur l'exercice des métiers de la justice.
La mission a considéré que l'évolution des métiers
de justice devait tendre vers une justice à la fois plus simple, plus
rapide, plus lisible et plus proche des citoyens.
Ses 40 recommandations reposent sur cinq axes principaux.
? Désengorger la justice
- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions de
nature juridictionnelle ;
- en favorisant le règlement des conflits en amont des
procédures, de manière à ce que le juge soit le dernier
recours quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont
échoué.
? Améliorer l'organisation du travail des juridictions
- en favorisant l'aide à la décision du magistrat par des
assistants de justice au statut rénové ou par des greffiers qui
le souhaiteraient ;
- en professionnalisant la gestion des juridictions grâce au recours
à des professionnels compétents, greffiers ou personnes
extérieures, sur lesquels les chefs de juridiction pourraient se reposer.
? Instaurer une véritable justice de proximité associant les
citoyens
- en améliorant l'accueil et l'information du public, notamment par
la poursuite du développement des guichets uniques des greffes.
- en confortant le juge d'instance dans un rôle de
juge de
proximité
chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une
politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au
pénal.
- en instituant au civil des «
juges de paix
délégués
», juges non professionnels de
carrière, correctement rémunérés et formés,
dotés de larges pouvoirs en matière de règlement des
conflits en amont de la procédure judiciaire ;
- en confortant, au pénal, les actuels
délégués du procureur ;
- en expérimentant
l'échevinage
dans les juridictions
civiles et pénales de droit commun, des assesseurs non professionnels au
profil ciblé pouvant intervenir pour garantir une
collégialité aux côtés d'un juge professionnel
unique.
? Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions
La création de nouveaux pôles de compétences
spécialisés devrait pour garantir la qualité des jugements
dans les matières complexes.
? Favoriser l'émergence d'une véritable communauté
judiciaire
Une grande partie des incompréhensions actuelles entre les
différents acteurs de la justice pourrait être levée si ces
professionnels apprenaient à mieux se comprendre, notamment par le biais
de formations croisées.
La mission a souligné que ces orientations n'impliquaient pas de
bouleversement mais qu'elles supposaient
une volonté politique
affirmée de réforme et d'action, assortie de l'engagement formel
de mettre à la disposition de la justice les moyens humains,
matériels et financiers appropriés
, faute de quoi l'exercice
ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions.
LES 40 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
I. LES MAGISTRATS
Recommandation n° 1
: Favoriser la diversification du
recrutement des magistrats.
- développer l'intégration directe des magistrats ;
- instituer une indemnité spécifique au profit des candidats
à l'intégration directe issus du secteur privé ayant
accompli leur stage et attendant la décision définitive de la
commission d'avancement ;
- utiliser pleinement la possibilité de recrutement de magistrats
exerçant à tire temporaire.
Recommandation n° 2
: Calibrer les futurs
recrutements de magistrats en fonction des capacités de formation.
Recommandation n° 3 :
Prendre en compte les
aptitudes des auditeurs de justice avant une première affectation.
Recommandation n° 4 :
Recentrer le juge du
siège sur ses missions juridictionnelles :
- supprimer l'ensemble des tâches du juge faisant double emploi ou
s'avérant inefficaces (paraphes de registres, injonction de faire,
affirmation des procès verbaux) ;
- poursuivre le mouvement amorcé en 1995 en faveur d'un transfert
de tâches du juge vers le greffier en chef, sous réserve
d'associer pleinement les personnels des greffes et de les former en
conséquence ;
- engager une réflexion sur l'opportunité de maintenir
le traitement du contentieux de masse lié aux infractions
routières dans les attributions du juge ;
- réduire la présence des magistrats aux seules commissions
administratives dont les activités mettent en cause les libertés
publiques ou relèvent par nature de la sphère judiciaire.
Recommandation n° 5 :
Conserver la qualité de
magistrat aux membres du parquet.
Recommandation n° 6 :
Veiller au maintien du
contrôle de l'instruction par un magistrat.
Recommandation n° 7 :
Rationaliser le
rôle du juge de l'application des peines :
- donner au juge des enfants compétence en matière
d'exécution des peines d'incarcération des mineurs.
- simplifier les règles de répartition des
compétences entre les différentes juridictions afin
d'éviter de multiplier les transfèrements de détenus qui
sont dangereux et mobilisent inutilement les forces de l'ordre.
- permettre au juge de l'application des peines de donner des commissions
rogatoires.
II. LES FONCTIONNAIRES DES GREFFES
Recommandation n° 8 :
Favoriser une
spécialisation progressive des greffiers au moyen de la formation
continue, tout en préservant la polyvalence des corps grâce
à des passerelles entre les différentes fonctions.
Recommandation n° 9 :
Élever à bac + 2
le niveau de diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours
de greffier.
Recommandation n° 10 :
Lisser davantage les
recrutements des personnels des greffes.
Recommandation n° 11 :
Améliorer la
formation :
- allonger la durée de la formation initiale des greffiers en chef
et des greffiers ;
- valoriser les fonctions d'enseignant à l'École nationale
des greffes ;
- accroître les liens entre l'École nationale des greffes et
l'École nationale de la magistrature en vue de formations
croisées ;
- tenir davantage compte des aptitudes des stagiaires aux
différents postes proposés pour les affectations à la
sortie de l'École nationale des greffes ;
- développer des formations obligatoires d'adaptation aux postes
pour l'ensemble des catégories de personnels.
III. L'AIDE À LA DÉCISION DES MAGISTRATS
Recommandation n° 12 :
Doter les assistants de justice
d'un statut plus attractif :
- allonger le nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions
d'assistants de justice ;
- revaloriser le montant des vacations horaires ;
- créer des passerelles vers la magistrature.
Recommandation n° 13
:
Permettre aux
greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des fonctions d'aide à la
décision des magistrats, actuellement dévolues aux assistants de
justice.
Recommandation n° 14 :
Créer de nouvelles
fonctions d'assistants du parquet, pouvant être exercées soit par
des assistants de justice, soit par des greffiers, notamment afin d'aider les
magistrats du parquet à participer aux politiques publiques.
IV. LA GESTION DES JURIDICTIONS
Recommandation n° 15
:
Améliorer le
dialogue social au sein des juridictions :
- mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au
management ;
- développer les sessions de formation commune aux magistrats et
aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de gestion.
Recommandation n° 16
:
Rénover
l'administration des juridictions :
- doter les juridictions d'un véritable service gestionnaire
spécialisé en renforçant notablement les équipes
des actuelles cellules de gestion ;
- doter les chefs de juridiction d'une «
équipe de
cabinet
» animée par un secrétaire
général institutionnalisé et professionnalisé.
Recommandation n°17 :
Renforcer les services
administratifs régionaux (SAR) :
- renforcer les effectifs des services administratifs régionaux
pour leur permettre de faire face à la poursuite de la
déconcentration des crédits ;
- doter les services administratifs régionaux d'un véritable
statut, en inscrivant leur existence dans le code de l'organisation judiciaire
et en définissant plus précisément leur rôle et
leurs compétences par rapport aux greffes des juridictions ;
- créer un statut de secrétaire général de
service administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers
en chef ou des fonctionnaires d'autres administrations.
Recommandation n° 18 :
Clarifier les relations
hiérarchiques entre les chefs de juridiction et les chefs de
greffe :
- donner aux chefs de juridiction autorité sur le fonctionnement
des services de leur juridiction ;
- reconnaître au chef de greffe, par délégation et
sous le contrôle des chefs de juridiction, un pouvoir de direction et de
gestion de l'ensemble des services administratifs.
Recommandation n° 19 :
Réexaminer le choix du
préfet comme ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions
qui, sans susciter de difficultés dans la pratique, paraît peu
compatible avec le principe de l'indépendance de la justice.
Recommandation n° 20 :
Doter chaque cour d'appel
d'un service de communication, placé sous la responsabilité d'un
magistrat et composé d'une équipe qualifiée.
V. LES AVOCATS
Recommandation n° 21 :
Remettre à plat le
système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991, afin
d'allouer aux avocats une rémunération équitable et
décente en concertation étroite avec les instances
représentatives de la profession.
Recommandation n° 22 :
Engager une discussion avec
les États membres de l'Union européenne sur la question d'une
réduction du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux
prestations fournies par les avocats.
Recommandation n° 23 :
Poursuivre, en concertation
avec l'ensemble des professionnels concernés, et pas seulement les
avocats, la réflexion en vue de favoriser le développement des
réseaux interdisciplinaires.
Recommandation n° 24 :
Réformer la formation
des avocats :
- diversifier les profils en réformant l'examen d'entrée aux
centres régionaux de formation professionnelle des avocats ;
- transformer la formation initiale en formation en alternance ;
- regrouper les centres régionaux de formation professionnelle des
avocats.
VI. LES RELATIONS ENTRE MAGISTRATS ET AVOCATS
Recommandation n° 25 :
Aménager les formations
des magistrats et des avocats afin de favoriser une meilleure connaissance
réciproque :
- mettre en place un tronc commun de formation entre les
élèves avocats et les auditeurs de justice,
- allonger les stages pratiques effectués tant par les avocats dans
les juridictions que par les auditeurs dans les cabinets d'avocats. En
contrepartie, supprimer le stage extérieur de dix semaines actuellement
inclus dans la scolarité de l'École nationale de la
magistrature ;
- renforcer les formations continues croisées entre les avocats et
les magistrats.
Recommandation n° 26 :
Institutionnaliser une
concertation entre les chefs de juridiction et le bâtonnier.
Recommandation n° 27 :
Mieux associer les avocats
à l'organisation des juridictions et au bon déroulement des
procédures par le biais d'une simplification et d'une rationalisation du
déroulement des audiences tant civiles que pénales.
VII. LES AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
Recommandation n° 28 :
Étendre les
compétences des notaires, notamment en déjudiciarisant certaines
procédures à leur profit (envoi en possession des successions,
changements de régimes matrimoniaux, partages impliquant des mineurs).
Recommandation n° 29 :
Rechercher les voies
permettant de donner aux huissiers des moyens supplémentaires,
compatibles avec le nécessaire respect des libertés
individuelles, pour assurer une exécution plus efficace des
décisions de justice.
Recommandation n° 30 :
Mieux garantir la
compétence des experts :
- rendre plus transparente la procédure d'établissement des
listes d'experts ;
- renouveler l'inscription des experts tous les cinq ans ;
- donner une formation juridique aux experts.
VIII. LA JUSTICE DE PROXIMITÉ ET LA PARTICIPATION DES CITOYENS
Recommandation n° 31 :
Améliorer l'accueil du
public, notamment par le développement des guichets uniques des greffes.
Recommandation n° 32 :
Conforter le juge d'instance
comme
juge de proximité chargé d'animer une politique de
règlement alternatif des conflits mise en oeuvre, sous son
contrôle, grâce à une participation accrue des citoyens.
Recommandation n° 33 :
Instituer des
«
juges de paix délégués
»,
magistrats non professionnels de carrière, mais correctement
rémunérés et formés, dotés de pouvoir
élargis en matière de règlement des conflits en amont
d'une procédure judiciaire.
Recommandation n° 34 :
Conforter les
délégués du procureur qui deviendraient des magistrats non
professionnels de carrière, désignés à titre
individuel par le procureur de la République, correctement
rémunérés et formés de manière à
être susceptibles d'accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux
poursuites.
Recommandation n° 35 :
Maintenir les associations
dans un rôle d'accompagnement et de soutien de la politique pénale
d'alternatives aux poursuites.
Recommandation n° 36 :
Expérimenter dans
certaines juridictions le recours à des assesseurs non professionnels
aux compétences bien définies avec des profils de recrutement
parfaitement ciblés - ils ne seraient donc pas tirés au sort -,
auxquels serait délivrée une formation adéquate.
IX. LA SPÉCIALISATION DES JURIDICTIONS
Recommandation n° 37 :
Poursuivre le mouvement de
spécialisation des juridictions dans des matières complexes
(propriété intellectuelle, droit de la concurrence, droit des
sociétés, droit bancaire).
Recommandation n° 38 :
Mettre en relation les
compétences des magistrats et les profils de postes
spécialisés.
Recommandation n° 39 :
Rendre la formation
obligatoire avant l'entrée en fonction d'un magistrat d'un pôle
spécialisé.
Recommandation n° 40 :
Rendre plus attractif le
statut des assistants spécialisés :
- améliorer leur rémunération ;
- étendre leur champ d'intervention ;
- valoriser, lors de leur retour dans leur corps d'origine,
l'expérience acquise au sein de l'institution judiciaire.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Asphyxiée par un manque de moyens, la justice n'est pas en état
de répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens.
Améliorer son efficacité exigera de lui allouer des moyens
supplémentaires, humains, matériels et financiers. De nouveaux
effectifs devront venir au secours des 7.000 magistrats, des 8.000 greffiers et
des 11.000 autres agents des greffes. On ne pourra pas, en outre, faire
l'économie d'une rationalisation de l'organisation judiciaire à
travers la redéfinition, maintes fois envisagée mais toujours
différée, de la carte judiciaire.
Mais, au-delà des ces questions cruciales, d'ailleurs
régulièrement soulevées par la commission des
Lois
1(
*
)
, se profile celle, tout aussi
fondamentale, de la définition des métiers de la justice,
à savoir des missions revenant aux différents acteurs de la
communauté judiciaire et des conditions d'exercice de leurs fonctions.
La fin de l'année 2000 et le début de l'année 2001 ont
été marqués par de profonds mouvements revendicatifs
traversant les différentes professions de la justice : magistrats,
personnels des greffes, avocats
2(
*
)
.
Dépassant les questions purement matérielles, votre commission
des Lois a souhaité analyser les causes profondes du malaise ayant
touché ces professions.
Elle a également souhaité faire le point sur l'émergence
des nouvelles fonctions ayant accompagné le développement des
mesures alternatives de règlement des conflits :
délégués ou médiateurs du procureur, en
matière pénale, conciliateurs de justice et médiateurs, en
matière civile. Ces fonctions sont souvent exercées à
titre bénévole dans de nouveaux types d'implantations judiciaires
de proximité, telles les maisons de justice et du droit ou les antennes
de justice.
A cette fin, à l'initiative de son président, M. René
Garrec, la commission des Lois a désigné en son sein une mission
d'information sur l'évolution des métiers de la justice.
Cette mission a décidé de centrer son étude sur les
juridictions de droit commun de l'ordre judiciaire.
Elle n'a donc inclus dans le champ de ses travaux ni les juridictions
consulaires ni les administrateurs et mandataires judiciaires, qui ont fait
l'objet de trois projets de loi examinés par le Sénat en
février dernier
3(
*
)
. En outre, ne
souhaitant pas interférer avec les travaux respectifs des commissions
d'enquête sénatoriales sur les prisons
4(
*
)
et la délinquance des mineurs
5(
*
)
, elle n'a traité ni des personnels de
l'administration pénitentiaire ni de ceux de la protection judiciaire de
la jeunesse.
La mission a particulièrement centré sa réflexion sur la
manière dont les métiers de la justice devraient évoluer
pour répondre à deux exigences contradictoires en
apparence : la proximité, d'une part, la spécialisation des
contentieux, d'autre part.
Les citoyens sont en effet demandeurs d'une justice plus proche d'eux. Cette
notion de proximité recouvre bien entendu une dimension
géographique. Elle s'entend également en termes de
facilité d'accès à la justice, de simplicité des
procédures et de rapidité. Elle intègre, enfin, un besoin
croissant d'écoute du justiciable, à l'heure où les
contentieux de masse conduisent le juge à raisonner de plus en plus en
termes de productivité et de rendement.
Inversement, la complexité croissante des contentieux exige une
spécialisation de plus en plus poussée par matières,
conduisant à des regroupements de juridictions en pôles de
compétence, donc à un éloignement géographique du
justiciable.
Enfin, la mission n'a pas manqué de se pencher sur les incidences
croissantes de la construction européenne et de l'ouverture à
l'international sur l'exercice des métiers de la justice.
Dans ce cadre, la mission a procédé à de nombreuses
auditions au Sénat. Outre Mme Marylise Lebranchu,
précédent garde des Sceaux, elle a entendu MM. Guy Canivet
et Jean-François Burgelin, respectivement premier président et
procureur général de la Cour de cassation, ainsi que trente-six
personnalités représentant, pour la plupart, les
différentes organisations professionnelles de magistrats, fonctionnaires
des greffes et auxiliaires de justice
6(
*
)
.
Elle s'est, en outre, déplacée à plusieurs reprises sur le
terrain à la rencontre des magistrats, des personnels des greffes, des
agents des structures de justice de proximité et des auxiliaires de
justice. Elle s'est ainsi rendue au pôle économique et financier
de Paris, à Bordeaux, siège de l'École nationale de la
magistrature, à Dijon, siège de l'École nationale des
greffes, et à Marseille, notamment au pôle économique et
financier.
Au cours de ces déplacements, les membres de la mission ont
rencontré des magistrats et des personnels des greffes qui,
malgré les conditions très difficiles d'exercice de leurs
fonctions, dues au
déséquilibre flagrant entre l'ampleur de la
mission confiée à la justice et les moyens mis à sa
disposition
, gardaient une
foi profonde en leur mission au service du
justiciable
. Il est urgent de mettre à profit ces énergies
menacées par l'amertume et le découragement.
La France
dispose en matière de justice d'un « outil »
remarquable. Elle n'a pas le droit de le laisser s'étioler.
La mission a également consulté l'ensemble des juridictions en
envoyant un courrier à la Cour de cassation, aux cours d'appel et aux
tribunaux de grande instance
7(
*
)
. Le taux de
réponse s'est révélé relativement peu
élevé (un cinquième) mais les contributions reçues
recèlent de nombreuses pistes de réflexion. Que les magistrats et
personnels y ayant participé soient remerciés.
Après avoir initialement programmé la fin de ses travaux pour le
mois d'octobre, la mission a considéré qu'il serait utile de
livrer ses observations avant que n'intervienne la discussion annoncée
d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.
Au cours de ses travaux, la mission d'information - dont l'action se situe dans
le prolongement des rapports Haenel-Arthuis
8(
*
)
et Jolibois-Fauchon
9(
*
)
- a pu mettre en
lumière des points de convergence
et ouvrir quelques pistes de
réflexion permettant d'avoir une vision plus précise des mesures
à prendre pour aboutir à une
justice rénovée,
responsable, plus citoyenne et donc plus efficace
.
La justice est en effet mal perçue par les citoyens. Elle leur
apparaît trop compliquée, trop rigide, trop lourde, trop lente et
surtout trop éloignée de leurs préoccupations.
L'évolution des métiers de justice doit donc conduire vers une
justice à la fois plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche
des citoyens
. Il importe de rapprocher la justice du citoyen mais
également le citoyen de la justice.
À cet effet, la mission a dégagé cinq axes principaux.
• Désengorger la justice
Il importe, en premier lieu, de dégager les magistrats des tâches
non indispensables, notamment !
- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions
de nature juridictionnelle.
Un certain nombre de tâches accomplies par le juge pourraient être
purement et simplement supprimées. D'autres pourraient être
transférées soit aux greffiers, dans la ligne du mouvement
amorcé en 1995, soit à des auxiliaires de justice, notaires ou
huissiers en particulier, soit à l'administration. Enfin, la
participation des magistrats à de trop nombreuses commissions doit
être revue, notamment par le législateur pour celles dont la
composition est fixée par la loi.
- en favorisant le règlement des conflits en amont des
procédures.
Pour reprendre un thème fort des entretiens de
Vendôme : «
le tout judiciaire n'a pas de
sens
».
Le juge doit être, en effet, le dernier
recours
, quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont
échoué. Par ailleurs, il conviendra de s'interroger sur le moyen
de limiter les recours abusifs, notamment certaines plaintes avec constitution
de partie civile, qui représentent la grande majorité des
affaires ouvertes dans les cabinets d'instruction et dont 80 % aboutissent
à un non-lieu.
• Améliorer l'organisation du travail des juridictions
- en favorisant l'aide à la décision du magistrat.
Le statut des assistants de justice, dont l'utilité n'est plus mise en
doute par les magistrats, doit être conforté. Leur situation est
en effet trop précaire. La durée de leur service est trop courte,
ce qui demande du temps aux magistrats pour former leurs assistants successifs.
Par ailleurs, il convient de proposer aux greffiers d'accomplir
également cette mission d'aide à la décision.
- en professionnalisant la gestion des juridictions.
La gestion des juridictions doit être effectuée sous
l'autorité des chefs de juridiction, cette condition étant
essentielle à l'indépendance de la justice. Mais elle doit
être confiée à des professionnels compétents sur
lesquels les chefs de juridiction peuvent se reposer.
Les greffiers en chef et les greffiers devraient être en mesure
d'acquérir une véritable spécialisation dans les
tâches de gestion. Les corps doivent cependant rester polyvalents, des
passerelles devant être instituées entre les différentes
filières.
En outre, les juridictions ne doivent pas écarter la possibilité
de recourir à des spécialistes de la gestion extérieurs
aux corps des greffes ou de la magistrature. Les moyens des services
administratifs régionaux (SAR) devraient être renforcés et
leurs relations avec les greffiers en chefs des juridictions devraient
être précisées.
• Instaurer une véritable justice de proximité associant
les citoyens
Une justice plus proche des citoyens doit avant tout permettre un meilleur
accueil et une meilleure information du public ainsi qu'une participation
accrue des citoyens à la bonne marche de la justice.
La poursuite de la mise en place de guichets uniques des greffes, point unique
d'accès à la justice, permettrait d'assurer une interface de
proximité entre le citoyen et la justice en lui rendant plus
transparentes les arcanes de cette dernière.
L'institution de services de communication au niveau des cours d'appel
permettrait à la justice de transmettre des informations vers la
cité tout en libérant les juges d'une pression médiatique
parfois insupportable.
La nécessité de rendre la justice plus proche des citoyens
implique de conforter le juge d'instance dans un rôle de
juge de
proximité
chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une
politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au
pénal. Son action s'appuierait sur les implantations de justice de
proximité que sont les maisons de justice et du droit et les actuels
tribunaux d'instance.
Au civil, pourraient être institués des «
juges de
paix délégués
», juges non
professionnels de carrière, correctement rémunérés
et formés, dotés de larges pouvoirs en matière de
règlement des conflits en amont de la procédure judiciaire. Sous
le regard du juge de proximité et agissant essentiellement en
équité, ils seraient l'expression d'une justice « hors
du Palais », facilement accessible et à l'écoute de
chacun.
Au pénal, seraient confortés les actuels
délégués du procureur, qui deviendraient des magistrats
non professionnels de carrière, désignés à titre
individuel par le procureur de la République, correctement
rémunérés et formés de manière à
pouvoir accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux poursuites.
Les associations seraient maintenues, sous le contrôle du parquet, dans
leur rôle essentiel d'accompagnement et de soutien de la politique
pénale d'alternatives aux poursuites.
Afin d'ouvrir davantage la justice vers l'extérieur et de constituer un
relais vers la société civile, il pourrait être
envisagé de
développer l'échevinage
dans les
juridictions civiles et pénales de droit commun. Pourrait être
expérimenté, dans certaines juridictions, le recours à des
assesseurs non professionnels, aux compétences bien définies,
avec des profils de recrutement parfaitement ciblés et auxquels serait
délivrée une formation adéquate. Ces assesseurs
pourraient intervenir pour garantir une collégialité aux
côtés d'un juge professionnel unique.
D'une manière générale, il convient d'ailleurs d'ouvrir
aux juridictions des possibilités d'expérimentation.
• Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions
Il convient de favoriser un équilibre entre généralistes
et spécialistes. Le juge ne peut pas être spécialiste en
tout car le droit devient de plus en plus compliqué. Cette
évolution suppose le développement, par
spécialités, de nouveaux pôles de compétences.
Cette orientation n'est pas incompatible avec une justice plus proche du
citoyen et plus compréhensible par celui-ci. Elle lui offre en effet
« clarification » et « expertise ».
Des filières de formation appropriées devraient être mises
en place et la spécialisation devrait être prise en compte,
s'agissant de la mobilité des magistrats afin que l'expérience et
la formation acquises ne soient pas « perdues » par suite
des obligations découlant d'un plan de carrière.
Le statut des assistants de justice spécialisés doit, enfin,
être rendu plus attractif.
• Favoriser l'émergence d'une véritable communauté
judiciaire
Il convient de diversifier le recrutement des magistrats en l'ouvrant davantage
sur l'extérieur, notamment en éliminant certains freins actuels
à l'intégration directe de personnes qualifiées.
Le profil des futurs avocats doit également être diversifié
pour répondre aux exigences nouvelles de spécialisation, en
particulier dans le domaine économique et financier.
L'amélioration des relations entre les différents acteurs de la
communauté judiciaire constitue une condition essentielle au bon
fonctionnement de la justice. Une grande partie des incompréhensions
actuelles entre magistrats et avocats pourrait être levée si ces
professionnels apprenaient à mieux se connaître, notamment par le
biais de formations croisées.
Au sein des juridictions, le dialogue social doit être
amélioré entre les magistrats et les personnels des greffes.
*
Ces orientations n'impliquent pas de bouleversement de l'existant. Elles supposent, cependant, une volonté politique affirmée de réforme et d'action assortie de l'engagement formel de mettre à la disposition de la justice les moyens humains, matériels et financiers appropriés , faute de quoi l'exercice ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions. Comme le résumait un magistrat : « les besoins montent par l'ascenseur alors que les moyens sont acheminés par l'escalier, pour autant qu'ils suivent ». Or, on sait ce qu'il advient quand l'intendance ne suit pas.
PREMIÈRE PARTIE
LA DIFFICILE MUTATION
DE LA COMMUNAUTÉ
JUDICIAIRE
La
communauté judiciaire n'a cessé de s'enrichir de nouveaux
métiers. Elle ne saurait désormais se réduire à la
seule image, encore présente dans certains esprits, des
«
gens de justice
» caricaturés par
Honoré Daumier au XIXème siècle, qui n'englobait que
les magistrats et les avocats.
Les métiers de la justice regroupent un ensemble beaucoup plus vaste
composé, d'une part, de professionnels exerçant des
métiers très diversifiés au sein d'une même
juridiction (magistrats, greffiers en chef, greffiers, agents de
Catégorie C, assistants de justice et agents de justice) et, d'autre
part, d'auxiliaires de justice, partenaires indispensables au bon
fonctionnement de l'institution judiciaire (avocats, avoués près
les cours d'appel, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
huissiers de justice, notaires, experts judiciaires).
CHAPITRE PREMIER
DES INTERROGATIONS FORTES
AU SEIN DE L'INSTITUTION
JUDICIAIRE
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE D'IDENTITÉ
Les
magistrats occupent une place essentielle au sein du service public de la
justice.
Une récente enquête de satisfaction réalisée
auprès des usagers de la justice et publiée en
mai 2001
10(
*
)
a fait ressortir que les
justiciables portaient une appréciation favorable sur ces
professionnels. La grande majorité des personnes interrogées a
estimé que les juges auxquels ils avaient eu affaire s'étaient
montrés
honnêtes
(pour 81 % des interrogés),
avaient compris le problème posé
(pour 76 % d'entre
eux ) et
avaient fait preuve de qualités humaines
(selon 73% des
sondés).
Pourtant, les récents mouvements de protestation de magistrats de
l'année 2001 ont révélé une crise profonde.
Au-delà des inquiétudes exprimées liées à
l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du
15 juin 2000 relative à la protection de la présomption
d'innocence et aux droits des victimes et au manque de moyens asphyxiant le
fonctionnement quotidien des juridictions, la mission a constaté, au
cours de ses auditions, et à l'occasion de ses déplacements, que
les magistrats étaient en proie à
une crise d'identité
profonde
,
liée tant à la mutation profonde du corps
des magistrats, à leur mode de recrutement et à leur formation,
qu'à la dispersion de leurs missions et aux exigences nouvelles
imposées par l'ouverture sur l'international et l'intégration au
sein de l'Union européenne.
A. UNE MUTATION PROFONDE DU CORPS DES MAGISTRATS
Au
1
er
juillet 2001, le nombre de magistrats professionnels
s'élevait à
7.027
11(
*
)
,
parmi lesquels on distinguait
6.846 magistrats
exerçant leurs
fonctions dans les juridictions et 181 magistrats affectés
auprès de l'administration centrale.
L'affirmation selon laquelle ces effectifs demeurent très proches de
ceux du milieu du XIXème siècle paraît erronée.
En effet, à l'époque, le nombre de magistrats incluait
également les juges non professionnels (juges consulaires, juges
coloniaux, juges de paix suppléants), qu'on oublie souvent de
déduire pour établir cette comparaison.
Avec 13 magistrats pour 100.000 habitants, la
France
12(
*
)
, comme l'Italie et l'Espagne, se situe dans
la
moyenne de l'Union européenne
. Elle se place après
l'Allemagne (32 magistrats) et la Belgique (16 magistrats), mais
devant le Royaume-Uni situé en fin de classement avec
5,5 magistrats.
Il convient toutefois d'utiliser avec prudence ces comparaisons compte tenu de
la diversité de l'organisation judiciaire en Europe. Ainsi, le
système judiciaire allemand repose exclusivement sur des magistrats
professionnels, tandis que le Royaume-Uni recourt largement à des
magistrats non-professionnels (33.945 sur 37.213).
1. Un juge professionnalisé contraint à la mobilité
Le
magistrat du XXIème siècle
diffère radicalement
des anciens juges de paix
supprimés en 1958, qui jouissaient d'une
autorité morale et d'une situation sociale établies. Elus puis
nommés à partir du Consulat, ces derniers étaient
désignés parmi les notables locaux et faiblement
rémunérés.
Recrutés majoritairement par concours, les magistrats judiciaires sont
des
agents publics de l'Etat
et exercent leur
activité
à titre professionnel
. Comme l'a souligné M. Claude Hanoteau,
directeur de l'Ecole nationale de la magistrature à la mission
d'information, «
on ne s'improvise pas juge
». Les
magistrats sont devenus des
techniciens du droit très
compétents,
chargés de l'application et de
l'interprétation des textes en vigueur. La magistrature nécessite
un niveau de technicité croissant du fait de la complexité des
procédures et de l'entrée en vigueur des lois nouvelles.
En outre, l'enracinement local des anciens juges de paix a cédé
le pas aux
exigences
toujours renforcées
de
mobilité
s'imposant aux magistrats.
Avant la réforme issue de la loi organique n° 2001-539 du
25 juin 2001 relative au statut de la magistrature et au Conseil
supérieur de la magistrature (CSM), peu d'obligations de mobilité
statutaires s'imposaient aux magistrats
13(
*
)
.
Toutefois, la pratique du Conseil supérieur de la magistrature a
toujours consisté à encourager la mobilité. Ainsi le CSM a
conduit à instituer deux règles de principe relatives à la
durée d'exercice : la règle des deux ans, destinée
à faire en sorte qu'un magistrat demeure dans un même poste au
moins deux ans, avant d'obtenir une mutation ou un avancement, et la
règle des dix ans, tendant à éviter qu'un magistrat
n'exerce ses fonctions plus de dix ans dans la même juridiction.
La loi organique du 25 juin 2001 précitée a donc renforcé
les exigences de mobilité statutaires en instituant de nouvelles
règles en matière d'avancement, et en imposant une
mobilité géographique non seulement aux
chefs de
juridiction
après sept ans d'exercice au sein d'une même
juridiction, mais aussi aux
juges spécialisés
à
l'issue de dix années d'exercice dans le même tribunal
14(
*
)
.
La volonté du législateur était justifiée par le
double souci
d'enrichir l'exercice des fonctions juridictionnelle
s et de
se prémunir contre les dérives possibles d'une trop grande
implication dans la vie locale
.
Elément important de leur positionnement social,
la situation
matérielle des magistrats
, dont le déroulement de
carrière n'était pas aligné sur celui des magistrats de
l'ordre administratif ni sur celui des magistrats de l'ordre financier, a
été substantiellement revalorisée depuis la loi organique
du 25 juin 2001 précitée.
L'amélioration des rémunérations n'a toutefois
bénéficié qu'aux seuls magistrats situés en haut de
la hiérarchie
15(
*
)
, excluant ainsi les
magistrats débutant leur carrière
16(
*
)
sur lesquels pèsent pourtant des
responsabilités et des sujétions souvent lourdes.
Ces derniers n'ont bénéficié d'aucune valorisation
spécifique de leur traitement, qui demeure strictement rattaché
à la grille indiciaire de la fonction publique, à l'instar des
fonctionnaires de catégorie A.
La situation des jeunes magistrats français s'avère cependant
plus favorable que celle de la plupart de leurs homologues de l'Union
européenne, le traitement perçu en début de
carrière étant en effet légèrement supérieur
à celui des magistrats allemands, espagnols et belges. L'Italie se
distingue par la faiblesse des rémunérations allouées
à ses magistrats tandis qu'au Royaume-Uni, le niveau de
rémunération est très élevé.
2. Un corps fortement féminisé
En
quelques années, le corps de la magistrature s'est
largement
féminisé
, la proportion de femmes magistrats passant de 28,5
% en 1982 à 50,5 % en 2001.
Cette évolution a tendance à s'amplifier, comme en
témoigne le graphique ci-dessous :
Nombre
de femmes
admises au concours d'entrée à l'ENM depuis
1989
(en pourcentage)
Source : Ecole nationale de la magistrature
M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole nationale
de la
magistrature a indiqué à la mission au cours de son
déplacement à Bordeaux, que le profil type de l'auditeur de
justice était en réalité celui d'
une jeune auditrice
dont les caractéristiques sont les suivantes :
- elle est issue du premier concours, après avoir suivi une
préparation à l'Institut d'études judiciaires (IEJ) de
Paris II ;
- elle est titulaire d'un diplôme d'études approfondies ;
- elle est originaire de la région parisienne ;
- elle est âgée de 23 ans.
Comme le soulignait M. Dominique Matagrin, président de
l'Association professionnelle des magistrats, «
en ce qui concerne
le métier en tant que tel, la considération du sexe doit
être tenue pour indifférente pour des raisons de principe
évidentes, et parce qu'il ne semble pas que la féminisation,
sinon en des temps très anciens, [...] ait jamais soulevé de
difficultés notables.
»
Toutefois, cette évolution n'est pas sans conséquences pratiques
sur la gestion du corps en raison des congés maternité et des
vacances de poste temporaires pouvant en résulter.
Ainsi que l'a regretté la Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel : «
la féminisation
est malheureusement insuffisamment prise en compte par la création de
postes de juges placés qui permettent d'assurer des remplacements en
particulier lors des congés maternité
».
On observe d'ailleurs une augmentation des demandes d'aménagement du
temps de travail ces dernières années
17(
*
)
. La fonction de juge d'instruction est la moins
féminisée (49,4 % de femmes), celle de juge des enfants la
plus féminisée (67,6 % de femmes).
3. Des interrogations liées au jeune âge des auditeurs de justice
L'âge moyen des auditeurs de justice
de la
promotion
2002 s'élève à
23 ans
(tous concours
confondus)
18(
*
)
.
Dans leur grande majorité, les magistrats qui débutent leur
carrière sont donc âgés de moins de trente ans. Au
vieillissement du corps, observé jusqu'en 1970, a donc
succédé un rajeunissement très net, qui se poursuit.
Une telle évolution du corps, composé d'une large base
constituée par les moins de 50 ans et d'un sommet en pointe, a
engendré une situation de blocage dans l'avancement des
carrières, la part des emplois du premier grade et hors
hiérarchie étant restée faible.
La loi organique du 25 juin 2001 précitée, en
restructurant le corps par le biais d'une augmentation substantielle du nombre
d'emplois situés au premier grade et hors hiérarchie, a
tenté de remédier à cette situation.
Il est cependant encore prématuré de dresser un bilan de cette
réforme.
En revanche, il est permis de s'interroger sur le jeune âge des
magistrats qui débutent leur carrière, et plus
particulièrement sur
leur aptitude à assumer, à peine
sortis de l'Ecole nationale de la magistrature, de lourdes
responsabilités
. M. Claude Hanoteau, directeur de l'ENM, a
estimé que l'âge ne semblait pas constituer un handicap pour
l'exercice des fonctions juridictionnelles, la solennité de la justice
tendant à conférer une certaine autorité au jeune
magistrat.
Il s'est toutefois inquiété d'un changement des mentalités
au sein du corps et de la disparition du tutorat dans l'institution judiciaire,
en partie liée à la suppression de la collégialité
au sein des formations de jugement : «
les occasions de
poursuivre la formation au cours des premières années
d'affectation semblent devenir de plus en plus rares
».
L'attention de la mission d'information a été appelée sur
la nécessité d'engager une réflexion sur la question de
l'accession graduelle aux responsabilités
en fonction de
l'âge, qui pourrait se nourrir de l'exemple des Pays-Bas. Les magistrats
néerlandais accèdent aux responsabilités par paliers et
n'exercent la plénitude de leurs fonctions juridictionnelles qu'à
l'issue d'une période de maturation correspondant à dix
années d'exercice.
Certains magistrats ont également fait part à la mission du
sentiment de
solitude
et d'
isolement
que pouvaient
éprouver les jeunes magistrats au cours de leurs premières
années d'exercice.
L'Association française des magistrats instructeurs s'est en particulier
inquiété du grand nombre de postes de juge d'instruction
situés dans de très petites juridictions (un tribunal de grande
instance à une seule chambre par exemple) offerts à la sortie de
l'Ecole.
Cette observation concerne d'ailleurs l'ensemble des fonctions de magistrats et
tout particulièrement celles exercées à juge unique.
Les magistrats se trouvent donc actuellement confrontés à une
série de mutations auxquelles ils doivent s'adapter et qui affectent
parfois leur place au sein de la société, elle aussi
marquée par des évolutions importantes.
La mission a également souhaité s'intéresser au mode de
recrutement et à la formation qui déterminent et façonnent
les futurs magistrats.
B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS
La magistrature semble marquée par un recrutement peu diversifié et une formation s'adaptant difficilement à l'augmentation des effectifs.
1. Un corps peu diversifié
L'ensemble des magistrats rencontrés ou
auditionnés
par la mission a reconnu l'importance de la
diversification du
recrutement
, présentée comme une richesse pour le corps, et
comme un moyen de libérer la magistrature de l'esprit de caste dont elle
est parfois prisonnière.
L'arrivée de magistrats ayant déjà acquis une
expérience professionnelle et des compétences techniques
spécialisées paraît unanimement acceptée par le
corps judiciaire, à condition qu'ils soient soumis à
une
formation probatoire et de qualité
, ce qui suppose l'accomplissement
d'un stage en juridiction et d'une formation théorique à l'ENM
suffisamment longs.
A cet égard, un certain nombre de magistrats s'est élevé
contre l'institution des
concours complémentaires
19(
*
)
issus de la loi organique du 25 juin 2001
précitée
20(
*
)
.
En effet, contrairement aux autres modes de recrutement, les candidats
reçus reçoivent une formation à l'ENM (d'une durée
limitée à six mois) à l'issue de laquelle ils sont
automatiquement nommés dans leur fonction sans aucun contrôle de
leurs aptitudes professionnelles, ce qui signifie qu'une fois admis au
concours, les candidats sont certains d'intégrer la magistrature.
Une telle situation est apparue choquante aux yeux d'un grand nombre de
magistrats rencontrés par la mission, qui ont suggéré de
rendre cette formation obligatoire.
Force est de constater qu'en dépit d'une volonté affichée
d'ouverture, le corps
des magistrats éprouve des difficultés
à
intégrer des magistrats
provenant d'
horizons
différents
et ayant antérieurement exercé une
activité professionnelle, notamment dans le secteur privé.
a) La prégnance des concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature
Ainsi, la grande majorité des magistrats demeure recrutée par les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature ainsi que le montre le tableau ci-après :
Origine du recrutement des magistrats depuis 1991
|
Nomination de magistrats issus de l'ENM |
Concours exceptionnels |
Conseillers de cour d'appel
|
Détachement judiciaire |
Recrutement latéral intégration directe |
Total |
1991 |
196 |
|
|
|
51 |
247 |
1992 |
169 |
90 |
|
|
57 |
316 |
1993 |
179 |
|
|
|
26 |
205 |
1994 |
167 |
|
|
|
15 |
182 |
1995 |
155 |
|
|
|
10 |
165 |
1996 |
114 |
|
|
|
14 |
128 |
1997 |
106 |
|
3 |
|
14 |
123 |
1998 |
147 |
|
2 |
3 |
24 |
176 |
1999 |
154 |
99 |
14 |
4 |
26 |
297 |
2000 |
161 |
90 |
|
10 |
35 |
296 |
2001 |
196 |
|
|
10* |
35* |
241* |
2002 |
208* |
125 |
|
10* |
35* |
378* |
*
prévisions
Source : Chancellerie
La plupart des postes offerts au concours d'entrée à l'ENM sont
attribués aux
candidats issus du premier concours
21(
*
)
(77 % des postes de magistrats ont
été pourvus par le premier concours depuis 1991).
La grande majorité des candidats admis, le plus souvent issus de la
filière universitaire classique (titulaires d'une maîtrise de
droit, d'un DEA ou du diplôme d'un Institut d'études politiques),
ne possède aucune expérience professionnelle. Le recrutement des
magistrats demeure donc très homogène.
Les candidats admis par la voie des deuxième et troisième
concours, qui s'adressent respectivement à des fonctionnaires ayant une
expérience professionnelle de quatre années et à des
personnes qui, durant huit ans, ont exercé une ou plusieurs
activités professionnelles, ou un ou plusieurs mandats politiques,
représentent une
part marginale des promotions d'auditeurs de
justice
(22 % sur la période 1991 à 2001).
En outre, les
tentatives de recrutement parallèle
destinées à faire entrer dans la magistrature des personnes
dotées de profils différents
n'ont pas rencontré le
succès escompté
, en dépit de la volonté
affichée par le législateur et tout particulièrement de la
commission des Lois du Sénat.
b) La perte de vitesse de l'intégration directe
La voie
de
l'intégration directe
, instituée en 1992
22(
*
)
et ouverte par les articles 22, 23 et 40 de
l'ordonnance organique n° 58-1270 relative au statut de la
magistrature, autorise la nomination aux fonctions de magistrat d'une personne
titulaire d'une maîtrise et justifiant d'une activité
professionnelle d'au minimum 7 ans la qualifiant particulièrement
pour les fonctions judiciaires.
Cette voie d'accès apporte ainsi au corps
une
respiration
précieuse et permet un élargissement
de ses bases de recrutement. Elle présente en outre l'avantage
substantiel de faire face aux besoins en personnel exigés par
l'augmentation des flux du contentieux. Les avantages de l'intégration
par cette voie latérale de recrutement semblent faire l'objet d'un
consensus de la part de l'ensemble des magistrats entendus par la mission.
Au cours de son déplacement au pôle économique et financier
du tribunal de grande instance de Paris, la mission a rencontré une
magistrate du parquet recrutée par intégration directe, ayant
exercé les fonctions de directrice juridique au sein d'une grande
entreprise, qui semblait en effet apporter une compétence
spécialisée très utile au fonctionnement du pôle.
Bien qu'elle permette le recrutement de juristes expérimentés,
d'avocats inscrits au barreau, de fonctionnaires de l'administration en
activité (administration préfectorale notamment), et même
de personnalités du secteur privé, cette voie d'accès
à la magistrature paraît en
perte de vitesse
, compte tenu
de la
baisse du nombre de candidats admis accusée ces
dernières années
(35 en 2002 contre 57 en 1992).
Face à un tel constat, il est permis de s'interroger sur
l'
attractivité réelle de ce mode de recrutement
.
En effet, plusieurs magistrats recrutés par cette voie ont
souligné les
difficultés matérielles
auxquelles les
candidats à l'intégration directe étaient
confrontés.
La
lourdeur
du mécanisme de sélection, conjuguée
à la complexité des procédures de nomination
23(
*
)
,
peut conduire le candidat à
l'intégration directe à attendre près d'une année
entre la présentation de sa candidature et sa nomination effective dans
les fonctions de magistrat.
Durant tout ce temps, à l'exception de la période de
stage
24(
*
)
, les candidats ne perçoivent
aucun traitement puisqu'ils n'ont pas encore intégré la
magistrature. Cette situation paraît particulièrement
préjudiciable
aux cadres du secteur privé et aux avocats
qui, pour accomplir leur stage, quittent leur emploi, et ne perçoivent
plus aucune source de revenus à l'issue du stage.
Afin d'améliorer l'attractivité du recrutement par la voie de
l'intégration directe et de ne pas décourager les candidats issus
du secteur privé, la mission d'information propose donc l'institution
d'une indemnité spécifique allouée aux candidats ayant
accompli leur stage et attendant la décision définitive de la
commission d'avancement.
En outre, la magistrate du parquet rencontrée au pôle
économique et financier du tribunal de grande instance de Paris a fait
observer qu'«
aucune perspective d'avancement n'[était]
offerte aux candidats intégrant la magistrature au second
grade »
, leurs carrières étant strictement
alignées sur celles des jeunes magistrats débutants
affectés en premier poste, sans que leur âge ou leur
expérience professionnelle soient pris en compte.
c) L'échec du recrutement des magistrats à titre temporaire
En
outre, le recrutement de
magistrats exerçant à titre
temporaire
, institué en 1995
25(
*
)
,
«
a été un échec
», comme l'a
souligné la Conférence nationale des premiers présidents
de cour d'appel.
Cette voie d'accès pourtant originale avait été
instaurée pour permettre l'exercice de certaines fonctions par des
magistrats non professionnels, afin de rapprocher la justice du citoyen, ce
dernier participant ainsi au fonctionnement de l'institution judiciaire.
Ces magistrats, qui peuvent exercer les fonctions de juge d'instance ou
d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande
instance pour une durée de sept ans non renouvelable, présentent
la particularité de pouvoir exercer concomitamment une activité
professionnelle compatible avec les fonctions judiciaires. Ce dispositif
offrait de nombreux avantages liés à sa souplesse, à son
faible coût
26(
*
)
et à la garantie
d'obtenir des candidatures émanant de personnes dotées d'une
solide expérience.
Pourtant, la Chancellerie n'a fait qu'un
usage parcimonieux
et
décevant
de cette voie d'accès : 6 magistrats
à titre temporaire ont ainsi été recrutés en 1998,
4 en 1999, 2 en 2000, aucun en 2001 et 1 en 2002
27(
*
)
. Ces recrutements sont restés limités
au cadre expérimental déterminé par la loi de programme de
1995 et concernent donc uniquement 4 cours d'appel. La Chancellerie semble
avoir très modérément apprécié ce dispositif
qu'elle jugeait « trop éloigné de la culture
française ».
La mission, convaincue de l'intérêt du recours à des
magistrats exerçant à titre temporaire, invite la Chancellerie
à utiliser pleinement cette voie de recrutement.
La mission a pu constater que la plupart des chefs de juridiction approuvait ce
dispositif. Tout en soulignant que, «
contrôlé
étroitement par la commission d'avancement
28(
*
)
, leur recrutement ne fait plus l'objet de
récriminations
», un président de tribunal de
grande instance a toutefois indiqué que «
si les
avocats
ayant réussi dans leur profession [faisaient]
d'excellents magistrats, l'acclimatation des cadres issus du secteur
privé [était] plus aléatoire.
»
Ce même chef de juridiction s'est néanmoins interrogé sur
les modalités retenues, et plus particulièrement sur les risques
d'affecter immédiatement ces magistrats dans les juridictions de
première instance, compte tenu de la généralisation des
formations à juge unique : «
ils devront
d'emblée travailler seuls et souvent sans aide de leurs collègues
sur-occupés dans leurs propres fonctions. Reste à savoir s'il ne
faudrait pas plutôt les affecter en priorité au sein des cours
d'appel, où ils seront épaulés par des magistrats
expérimentés dans le cadre des formations
collégiales
».
Sans remettre en cause la vocation première de ces magistrats à
titre temporaire, avant tout juges de proximité, il semble
légitime de poser la question de leur formation effective afin qu'ils
puissent être en mesure d'exercer leurs fonctions de manière
satisfaisante.
2. L'absorption du nombre, principal défi lancé à la formation
a) Des effectifs toujours plus nombreux pour des capacités d'accueil ayant atteint leurs limites
Si les
effectifs de magistrats paraissent notoirement insuffisants compte tenu de
l'encombrement des juridictions et de l'entrée en vigueur des lois
nouvelles, il convient de souligner les efforts de créations de postes
menés depuis 1995 par la Chancellerie.
Depuis quelques années, on observe un
accroissement très net
du nombre des postes offerts aux concours d'entrée à l'ENM
,
qui est passé de 110 en 1994, à 145 en 1995 et 250 en
2002
29(
*
)
.
Pour faire face à cette augmentation, l'Ecole a
bénéficié d'un
renforcement substantiel
de ses
moyens
, avec un budget en nette
progression (+17,21 %)
30(
*
)
. La
mission, au cours de son déplacement à Bordeaux, a pu constater
que les capacités d'accueil de cet établissement avait atteint
leurs limites.
Son directeur a toutefois indiqué que l'affectation de moyens nouveaux
permettrait à son établissement
« d'absorber » de nouveaux élèves, par
exemple en louant des locaux à l'extérieur de l'ENM.
Il s'est davantage inquiété des
capacités d'accueil des
juridictions
31(
*
)
, qui ne peuvent recevoir
en stage qu'un ou deux élèves à la fois et semblent avoir
atteint leurs limites.
Par conséquent, l'arrivée prochaine des futurs candidats admis,
issus du concours complémentaire organisé récemment,
soulève de fortes interrogations. L'ENM, après avoir lancé
des appels à candidature, se trouve en effet confrontée à
une pénurie de stages proposés par les juridictions.
Sans remettre en cause la nécessité d'un renforcement des
moyens de la justice et, partant, d'accroître les effectifs, la mission
d'information invite la Chancellerie à « calibrer »
les futurs recrutements de magistrats annoncés dans la loi de programme
en cours de préparation en fonction des capacités de
formation.
Il convient en effet d'éviter de porter atteinte à la
qualité actuelle de la formation initiale des magistrats, reconnue par
tous les interlocuteurs rencontrés par la mission.
Pour le directeur de l'ENM, «
la difficulté des
années à venir est de faire face au nombre
».
b) Des interrogations sur le niveau des candidats reçus aux concours
Face
à l'augmentation des recrutements observée ces dernières
années, la mission d'information s'est interrogée sur
le
niveau des candidats admis
. Certains magistrats ont regretté que la
note d'admissibilité aux concours soit inférieure à la
moyenne. En 1999, le dernier admissible issu du premier concours avait obtenu
une moyenne de 9 sur 20 et ceux issus des deuxième et troisième
concours une moyenne respective de 8,19 et 8,13 sur 20.
La Chancellerie s'efforce néanmoins de préserver la
qualité du recrutement en maintenant une certaine
homogénéité du niveau entre les trois concours. C'est ce
qui l'a conduite, ces dernières années, à reporter sur le
premier concours un certain nombre de postes prévus pour les
deuxième et troisième concours et rarement pourvus dans leur
intégralité (21 postes en 1999, 19 en 2000).
Les inquiétudes de la mission n'ont pas pour autant été
dissipées. En effet, lors de son audition, le syndicat de la
magistrature a indiqué que 214 auditeurs de justice seulement
avaient été sélectionnés en 2001 alors que
250 postes avaient été offerts aux concours, la Chancellerie
ayant expliqué cette situation par le niveau trop faible des
candidats.
3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice
La
mission d'information a choisi de s'intéresser plus
spécifiquement à la
formation initiale
des auditeurs de
justice, ciment du devenir du magistrat.
Sa qualité
est unanimement
reconnue, et l'ENM est
présentée
comme un
instrument incontournable
. Elle
permet aux auditeurs de justice affectés à leur premier poste
d'être immédiatement opérationnels.
La durée de la formation
, passée de 24 à
31 mois en dix ans, est jugée satisfaisante et ne paraît pas
devoir être allongée. En outre, l'option contraire
présenterait l'inconvénient de retarder la prise de fonction des
futurs magistrats, alors même que la justice se caractérise
actuellement par son asphyxie et son manque de moyens.
a) Une formation théorique et pratique globalement satisfaisante
La formation se déroule en plusieurs phases :
Phase
généraliste
Phase spécialisée
Source : Ecole nationale de la magistrature
La formation théorique
dispensée à l'ENM (7 mois) a
vocation à développer une réflexion sur les fonctions
judiciaires et à transmettre l'ensemble des savoir-faire
professionnels
32(
*
)
. Une partie de
l'enseignement est consacrée à la découverte des
fondamentaux de l'existence des magistrats à travers des études
de cas concrets et des mises en situation basées sur des exercices de
simulation d'audiences.
Une autre partie de la scolarité est dédiée à la
pratique du métier (écoute des témoins, interrogatoires
d'une personne mise en examen) et à la découverte du contexte
dans lequel les magistrats évoluent (découverte du monde
syndical, rencontre avec les élus locaux).
La pédagogie repose sur des
méthodes dynamiques
originales
: un travail en petits groupes d'une quinzaine de
personnes, ces groupes étant formés pour toute la durée de
la scolarité
33(
*
)
.
La place prépondérante des enseignements consacrés au
droit pénal doit être soulignée et a pu surprendre la
mission d'information, compte tenu des compétences techniques exigeantes
que requièrent les fonctions du siège. Cette
«
hypertrophie du pénal
» a surpris notre
collègue José Balarello, qui a fait remarquer que
l'activité des tribunaux était consacrée à
80 % aux affaires civiles contre 20 % seulement aux affaires
pénales. Toutefois, il est apparu que la place importante occupée
par le droit pénal dans la formation initiale se justifiait par un
double souci. Il s'agit, d'une part, de contrebalancer l'enseignement
dispensé à l'université, principalement centré sur
le droit civil, et donc de renforcer des compétences parfois lacunaires
en droit pénal. D'autre part, l'ENM, guidée par un souci
d'efficacité, s'est efforcé d'adapter la scolarité aux
profils des postes offerts à l'issue de la formation, les auditeurs de
justice étant affectés en grand nombre aux fonctions du parquet
(40 % des auditeurs de la promotion 2000).
La formation pratique
s'effectue
durant le stage en juridiction
(14 mois), pendant lequel les auditeurs accomplissent les actes
judiciaires des fonctions du siège et du parquet.
Pour l'encadrement de ces stages, l'ENM s'appuie sur des
magistrats
délégués à la formation
placés
auprès de chaque cour d'appel et sur des directeurs de centre de stage
situés dans chacun des tribunaux accueillant des auditeurs. Ainsi que
l'a indiqué M. Eric Maillaud, sous-directeur des stages à
l'ENM, «
en juridiction, les auditeurs de justice ne sont pas
utilisés à vider les tiroirs
». La mission
d'information, lors de sa rencontre avec les délégués des
élèves des promotions 2000, 2001, 2002, a d'ailleurs pu constater
que ces derniers étaient satisfaits de leur expérience en
juridiction.
Toutefois, il est permis de s'inquiéter de l'avenir de l'encadrement de
la formation initiale par les magistrats placés auprès des
juridictions, qui repose essentiellement sur le
volontariat
. Compte tenu
de la surcharge de travail qui affecte les magistrats et de l'absence
d'obligation d'exercer des responsabilités en matière de
formation, ces derniers se révèlent de
moins en moins enclins
à jouer ce rôle de relais et d'encadrement pourtant essentiel
.
Ainsi que l'a souligné le responsable de la formation de la cour d'appel
de Dijon, les candidatures se font rares.
b) Des interrogations
Au-delà de l'appréciation satisfaisante
portée
par l'ensemble du corps des magistrats sur la formation initiale, quelques
interrogations se sont fait jour .
En premier lieu, la pertinence du
stage extérieur
34(
*
)
accompli en début de scolarité
n'apparaît pas évidente, comme l'a indiqué à la
mission l'ensemble des délégués des auditeurs de justice
des trois dernières promotions. Un auditeur de la promotion 2002 s'est
réjoui d'un stage accompli en Turquie, tandis qu'une auditrice (de la
promotion 2000), issue du concours interne, a jugé son stage en
administration décevant. Il est apparu que ce stage extérieur
dépendait fortement de l'organisme d'accueil et n'était pas
forcément adapté au profil du stagiaire. Le jugeant soit trop
court, soit trop long, certains délégués ont fait valoir
qu'il serait préférable d'accomplir plusieurs stages de courte
durée au sein de chaque type d'organisme d'accueil afin d'éviter
des expériences stériles, d'une part, et de confronter l'auditeur
à une plus grande diversité d'interlocuteurs, d'autre part.
En second lieu, les conditions d'attribution des postes offerts à la
sortie de l'école peuvent également surprendre.
La mission
d'information attache une grande importance à cette question
fondamentale pour l'avenir des futurs magistrats
, susceptibles d'être
fortement marqués par leur première affectation.
Elle regrette ainsi que la liste des postes fournie par la Chancellerie ne
tienne pas compte des aptitudes et compétences des auditeurs de justice.
C'est ainsi que la désaffectation pour les fonctions de magistrat du
parquet a conduit mécaniquement à l'augmentation du nombre de
postes de parquetier à la sortie de l'école (un tiers environ en
moyenne ces dernières années).
Plus encore que l'absence d'implication de la Chancellerie dans
l'élaboration de la liste des postes proposés, la mission s'est
inquiété des
modalités de choix des postes
,
essentiellement guidées par des
critères
géographiques
.
Il convient en effet de souligner le décalage entre le droit et la
pratique en ce domaine. La formation à l'ENM revêt un
caractère probatoire et donne lieu à un classement par ordre de
mérite permettant aux auditeurs de justice de choisir sur la liste
proposée par le ministère de la justice. Toutefois, en pratique,
force est de constater que la première affectation est
librement
choisie par les auditeurs de justice
. Chaque promotion négocie
en
son sein l'attribution des postes
, le critère du classement
n'intervenant que très marginalement.
L'adéquation du profil et des aptitudes des futurs candidats à
leur première affectation ne constitue donc pas un élément
déterminant. La priorité accordée au choix
géographique a d'ailleurs été confirmée par la
plupart des délégués des auditeurs rencontrés par
la mission.
La mission juge regrettable que l'aptitude pour l'exercice de certaines
fonctions ne soit pas davantage prise en compte dans le choix de la
première affectation des auditeurs de justice
.
A cet égard, M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole, a
dénoncé l'absence d'implication de la Chancellerie sur cette
question, estimant qu'il n'appartenait pas à l'ENM, dont le rôle
se limite à accorder des brevets d'aptitude à une fonction
particulière, d'intervenir dans le processus de nomination, au risque
«
d'un mélange des genres fâcheux pour le bon
fonctionnement de l'institution judiciaire.
»
Actuellement, la gestion des premières affectations s'effectue donc a
minima et consiste à éviter les affectations les plus
problématiques.
Depuis 1996, le jury de classement, sur la base des notes d'études et de
stages, dispose d'un pouvoir de recommandation
35(
*
)
quant à l'aptitude de l'auditeur à
certaines fonctions. Il en a toutefois fait un usage parcimonieux
(1 recommandation en 1996, 5 en 1997, 4 en 1998 et 1999 et 3 en 2000).
En outre, ces recommandations sont d'une portée limitée, le
Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-336 DC du
27 janvier 1994, ayant relevé qu'elles ne devaient être
mentionnées qu'à l'occasion de la première affectation et
«
ne sauraient lier le Conseil supérieur de la
magistrature à qui il appartient d'émettre en toute
indépendance un avis sur la nomination des auditeurs de
justice ».
En effet, le Conseil supérieur de la magistrature peut émettre un
avis défavorable pour la nomination d'un auditeur de justice, en
fonction des éléments d'évaluation contenus dans le
dossier
36(
*
)
.
De manière générale, le CSM a tendance à
émettre des avis favorables, sauf lorsque le caractère innoportun
de la nomination paraît manifeste. Ainsi qu'il l'a lui-même
indiqué, «
sur les deux promotions de 1999 et 2000, ont
été émis trois avis défavorables pour des postes du
siège et deux pour des postes du parquet
37(
*
)
».
S'il paraît opportun d'éviter la nomination d'un auditeur à
un poste qui ne correspond pas à ses aptitudes, il semble indispensable
d'assurer une
étroite correspondance
entre
le profil du poste
choisi
et
les compétences effectives du futur magistrat
. Une
telle exigence ne paraît pas de nature à fragiliser
l'indépendance des magistrats mais apparaît plutôt comme la
meilleure garantie de leur efficacité
au sein de l'institution
judiciaire.
4. La formation continue, un droit reconnu par les textes mais peu effectif
La
formation continue des magistrats a été instaurée par le
décret n° 72-355 du 4 mai 1972 et confiée à
l'Ecole nationale de la magistrature.
Il convient de noter qu'il appartient à l'établissement public de
Paris de l'ENM de concevoir et d'organiser les actions de formation
destinées aux magistrats.
En outre, un nombre important de sessions et de séminaires se
déroule dans ses locaux.
a) Les stages proposés par l'Ecole nationale de la magistrature
Aucune
obligation ne s'impose aux magistrats
38(
*
)
, mais
ils disposent statutairement d'un droit à la formation de
cinq
jours
par an
. L'éventail des stages et séminaires
offert par l'ENM est très vaste
39(
*
)
.
Le nombre de magistrats inscrits est en
augmentation constante
.
4.000
magistrats
ont suivi une action de formation en 2000,
soit près de 60 % des effectifs de magistrats, contre 3.500 en
1999, soit une hausse de près d'un septième de la
fréquentation.
De nombreux interlocuteurs de la mission ont néanmoins regretté
la relativité de l'effectivité de ce droit à la formation
continue, souvent limité en raison de la surcharge de travail
pesant sur les magistrats et du manque de moyens des juridictions.
Conscients qu'ils ne seront pas remplacés et soucieux d'éviter un
amoncellement de leurs dossiers, ces derniers hésitent à quitter
leur juridiction. Ainsi, la totalité des places offertes par l'ENM pour
l'année 2000 (27.071 jours) n'a pas été
utilisée. Près de 3.000 jours de formation ont été
annulés en raison de l'insuffisance des candidats ayant postulé
pour ces actions.
b) La mise en place de la formation continue déconcentrée
Parallèlement, a été créée
en
1990 et officialisée par un décret du 25 septembre 1995
la
formation continue déconcentrée
. Organisée au
niveau des cours d'appel, elle est destinée à
compléter
le dispositif national
et vise à répondre « aux
besoins locaux » des magistrats afin, notamment, d'approfondir les
particularités locales et d'étudier les questions
d'actualité.
Elle rencontre un certain succès puisqu'elle connaît une
nette
progression
s'agissant tant du nombre des actions menées (250 en
1999 contre 360 en 2000), que de la participation des magistrats (passant de
3.000 à plus de 4.500).
Elle s'appuie, dans chaque cour d'appel, sur un magistrat
délégué à la formation
40(
*
)
qui propose un programme annuel de formation
destiné aux magistrats du ressort, et dont les priorités ont
été préalablement déterminées par les chefs
de cour.
Un rapport de janvier 2000 relatif à la situation de ces
magistrats
41(
*
)
a fait ressortir que l'essor de
la formation déconcentrée dépendait étroitement de
leur degré d'implantation et de leur disponibilité.
Il est apparu que leur disponibilité en ce domaine était
étroitement conditionnée par leur charge de travail,
elle-même étroitement liée aux priorités du chef de
juridiction. Ainsi, certains chefs de cour ont su développer de
véritables plans de formation en donnant des moyens aux magistrats
délégués à la formation et en le déchargeant
de certaines obligations pour disposer du temps nécessaire.
Cependant, cette situation est loin d'être homogène puisque la
moyenne des actions réalisées en 2000 (10 actions par cour
d'appel) masque un
écart important entre cours
d'appel
(entre 3 et 19 actions en fonction de la cour concernée). Bien que ces
disparités aient tendance à s'estomper,
des efforts restent
à accomplir pour encourager l'engagement des chefs de cour en faveur du
développement de la formation continue
.
5. L'ouverture de la formation à l'environnement international
Les
formations initiale et continue se sont efforcées de
prendre en
compte la dimension européenne et, plus largement, internationale
.
La venue de nombreuses délégations étrangères
à l'ENM favorise la découverte par les magistrats du
fonctionnement des systèmes judiciaires étrangers.
Le droit communautaire est abordé (dans le cadre de la formation
initiale) par le biais de conférences et de groupes de travail
fonctionnant en ateliers co-animés par des magistrats
spécialistes en droit communautaire ou international (membre du service
juridique de la Commission, référendaires de la Cour de justice
des Communautés européennes) et des maîtres de
conférence. L'accent a également été mis sur les
stages à l'étranger, notamment par le biais du stage
extérieur (60 stages à l'étranger ont été
accomplis par les auditeurs de justice de la promotion 2002).
Afin de mieux répondre aux enjeux européens, l'ENM a
initié la création d'un
réseau européen de
formation judiciaire
qui rassemble les écoles de formation des
magistrats de l'ensemble des pays de l'Union européenne depuis la fin de
l'année 2001.
La mission se félicite du positionnement de l'ENM en la matière
et estime, à l'instar de M. Guy Canivet, premier président de la
Cour de cassation, que la
constitution d'un tel réseau
mériterait d'être institutionnalisée
car
«
la création d'un espace européen de justice
suppose, au premier chef, que les juges des différents Etats de l'Europe
reçoivent une formation appropriée qui leur permette non
seulement de connaître le droit communautaire et la convention
européenne des droits de l'homme, mais aussi les systèmes
juridiques et judiciaires des pays de l'Union avec lesquels ils auront à
entretenir des relations de coopération. L'acquisition de ces
connaissances théoriques et pratiques suppose des échanges et une
formation partiellement commune des juges européens
».
Grâce à l'appui des programmes de financement européens
destinés à la formation des juristes (Falcone, Grotius...), l'ENM
a intensifié les échanges entre magistrats. Des échanges
d'auditeurs sont organisés et permettent une mise en commun des
techniques juridiques et des procédures.
Depuis deux ans, une action de formation commune aux auditeurs de justice
français et aux élèves magistrats espagnols est
co-organisée par les deux écoles sur le thème de
l'entraide judiciaire. Ainsi ont-ils pu rédiger ensemble une commission
rogatoire. Un accord de coopération a été également
conclu avec les Pays-Bas et un autre est actuellement en cours avec le Portugal.
En outre, chaque maître de conférence doit, en complément
de la formation qu'il dispense à l'ENM, accomplir une mission
internationale.
Si les efforts de l'ENM paraissent indéniables, il convient
néanmoins de relever en parallèle les insuffisances des
enseignements dispensés en amont aux magistrats par l'Université,
qui ne consacre qu'un temps très limité et, par
conséquent, insuffisant, au droit communautaire (35 heures) et au
droit international (36 heures). Des développements
complémentaires ne sont qu'optionnels.
A la différence de l'ENM, le programme universitaire ne semble pas avoir
pleinement intégré l'influence des droits européen et
international sur l'évolution des métiers de la justice.
Pourtant, l'Europe et le droit international ont profondément
bouleversé le métier de magistrat, qui s'exerce désormais
bien au-delà du cadre franco-français.
C. DES MAGISTRATS PARFOIS DÉSORIENTÉS PAR LA NÉCESSAIRE OUVERTURE AU DROIT EUROPÉEN
L'Europe est venue modifier profondément le paysage judiciaire français. Autrefois subordonné aux seules règles nationales, le juge est désormais conduit non seulement à appliquer directement le droit européen, mais à adapter ses modes de raisonnement ainsi que ses méthodes de travail à des exigences nouvelles.
1. Un droit européen devenu désormais incontournable
a) Le juge français, promoteur du droit européen
La
primauté des normes européennes et internationales sur les lois
nationales a conduit le magistrat à enrichir, interpréter, voire
écarter la loi nationale.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg mais aussi le droit
communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés
européennes s'imposent désormais aux juges français.
Ainsi,
l'absence de transposition par la France d'une directive
communautaire
, une fois le délai de mise en oeuvre expiré,
ne saurait empêcher les justiciables de s'en prévaloir en justice,
de même qu'une telle situation ne saurait conduire les juridictions
nationales à l'écarter. Toutefois, pour produire des effets
directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et les
justiciables, la directive doit créer des obligations claires,
précises et inconditionnelles
42(
*
)
.
Chaque juge national, pour trancher un litige qui lui est soumis, peut donc
être appelé à interpréter un texte de droit
communautaire et s'il le faut à écarter l'application de la loi
nationale.
La Cour de cassation a d'ailleurs reconnu ce principe de longue date dans un
arrêt du 24 mars 1975 (Société des cafés
Jacques Vabre). Ainsi que l'a souligné M. André Ride,
président de la Conférence nationale des procureurs
généraux, «
nous sommes, juges nationaux, les
premiers juges du droit européen
».
En outre, un juge national confronté à un délicat
problème d'interprétation de la norme communautaire peut
consulter la Cour de justice des communautés européennes par la
technique du
renvoi préjudiciel
43(
*
)
.
b) Les méthodes du juge français contraintes par le droit communautaire
Le juge
est désormais contraint de s'ouvrir à des
concepts
et
à des
critères nouveaux
, étrangers au droit
français. Sa logique traditionnelle et ses mécanismes de
raisonnement en sont profondément affectés.
Des notions nouvelles d'inspiration essentiellement anglo-saxonne telles que la
proportionnalité, l'effectivité, le délai raisonnable ou
encore l'impartialité imposent aux magistrats des exigences nouvelles,
qui ont d'ailleurs déjà inspiré des modifications
législatives importantes (par exemple la présence d'un avocat
dès la première heure de garde à vue introduite par la loi
du 15 juin 2000). Une telle évolution laisse présager une
profonde transformation de la procédure pénale et, partant, du
mode d'exercice du métier.
L'Association française des magistrats instructeurs a fait état
des
difficultés d'adaptation
des juges face au
formalisme
procédural accru
ayant résulté de
l'imprégnation du droit français par le droit anglo-saxon, alors
même que les juridictions sont asphyxiées par l'insuffisance de
moyens.
A cet égard, un certain nombre de magistrats n'a pas manqué de
relever les inévitables paradoxes de la situation actuelle. Ainsi,
l'instauration d'un appel devant les cours d'assises a entraîné un
encombrement des juridictions
44(
*
)
et
indirectement contribué à allonger les délais de jugement.
De même, l'impact de la gratuité de la délivrance de la
première reproduction de chaque acte à l'ensemble des avocats
(décret du 31 juillet 2001), qui s'inscrivait initialement
dans le mouvement de la protection de la présomption d'innocence et du
renforcement des droits de la défense, suscite de fortes
inquiétudes au sein des juridictions. Cette mesure, destinée
à l'origine à améliorer la situation des justiciables
semble au contraire avoir aggravé, voire même
désorganisé considérablement le travail de l'ensemble des
personnels, et donc nui indirectement au justiciable.
Plus encore que les conditions d'exercice du métier, la perception
même du métier de magistrat est affectée par la
perméabilité
du
droit français
aux
concepts anglo-saxons,
l'introduction de concepts empiriques se heurtant
au système juridique français qui repose encore sur des
catégories juridiques très rigides.
Corseté par le code de procédure pénale ou le nouveau code
de procédure civile, le magistrat est, dans le même temps,
sommé de s'adapter à des catégories juridiques
évolutives. Force est de constater que les repères du magistrat
paraissent désormais brouillés.
c) Un juge fragilisé, voire menacé, s'il ne s'adapte pas à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Alors
que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, au
même titre que celle de la Cour de justice des communautés
européennes, s'impose désormais aux magistrats, des
décisions peuvent être interprétées comme de
véritables menaces pour l'avenir de certaines fonctions.
M. Jean-François Burgelin, procureur général
près la Cour de cassation, s'est inquiété de la
«
crise actuelle
» vécue par le parquet
général à la suite d'un arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme (arrêt Reinhardt et Slimane
Kaïd contre France du 31 mars 1998).
Cet arrêt, vivement contesté par l'ensemble des membres du parquet
général, a en effet remis en cause une pratique instaurée
par une coutume centenaire selon laquelle les avocats ne prenaient leurs
conclusions qu'après avoir reçu communication du rapport, de la
note et du projet d'arrêt élaborés par le
conseiller-rapporteur.
Or, la cour a jugé que le secret du délibéré
s'étendait aux travaux du rapporteur, empêchant ainsi sa
communication aux parties ainsi qu'à l'avocat général.
Depuis janvier 2002, les avocats généraux n'ont donc plus
accès ni à la conférence préparatoire ni aux
délibérés de la Cour de cassation.
M. Jean-François Burgelin a dénoncé la position de la
Cour européenne, expliquant qu'elle avait entraîné un
regrettable affaiblissement du parquet général
qui, compte
tenu de ses effectifs insuffisants, n'était plus désormais en
mesure de requérir dans toutes les affaires comme la loi l'y obligeait
pourtant
45(
*
)
.
On ne saurait nier qu'une telle évolution, qui va dans le sens d'une
meilleure prise en compte des droits des justiciables et procède donc de
valeurs incontestables, contient peut-être en germe une remise en cause
de l'existence même du parquet général de la Cour de
cassation, voire sa nécessaire redéfinition.
2. Le développement de la coopération judiciaire internationale : une impérieuse nécessité
a) La multiplication des mécanismes institutionnels
L'entraide judiciaire internationale (tant pénale que
civile)
conditionne l'exécution des décisions et l'efficacité de
la justice au-delà des frontières nationales.
Comme l'a fort justement fait remarquer M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, au cours de son audition, les
effets de la coopération judiciaire communautaire sont plus perceptibles
en matière pénale, où l'entraide judiciaire se
développe, qu'en matière civile, pour laquelle «
il
est ici possible de comparer le droit européen à
l'Arlésienne
».
La mise en place du troisième pilier du traité de l'Union
européenne consacré à la justice et aux affaires
intérieures a permis des
avancées
dans le
domaine
pénal
. Ce troisième pilier s'appuie essentiellement sur deux
instruments :
Europol
(instance de coopération
policière) et
Eurojust
46(
*
)
, qui a
vocation à coordonner dans certains domaines (criminalité
organisée, terrorisme) l'action des autorités judiciaires des
Etats parties.
Depuis mars 2001, chaque Etat membre a détaché à
Bruxelles un procureur, ou l'équivalent, afin de faciliter la
coordination des enquêtes judiciaires en matière pénale et
l'exécution des commissions rogatoires.
Les négociations entre les Etats de l'Union européenne sur
Eurojust n'ont toutefois pas abouti à la création d'un parquet
européen, mais cette idée progresse. Certains juges, lors de
l'appel de Genève de 1996, avaient souhaité l'institution d'un
parquet européen.
Le Sénat s'est d'ailleurs prononcé en faveur de l'institution
d'un procureur européen le 28 mars 2001 et la commission des
Lois a récemment adopté une résolution
47(
*
)
, approuvant dans ses grandes lignes le dispositif
proposé par la Commission européenne tendant à
réviser les traités afin de créer un procureur
européen chargé de la protection des intérêts
financiers de la Communauté
48(
*
)
.
En
matière civile
, des progrès sont perceptibles depuis
l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le 1
er
mai
1999.
Cette nouvelle étape vers une Europe judiciaire a permis la
communautarisation des domaines civil et commercial. Au cours de
l'année 2000, deux règlements communautaires ont
été adoptés sur
la compétence, la reconnaissance
et l'exécution des décisions en matière civile et
commerciale
(Bruxelles I) et en matière matrimoniale et de
responsabilité parentale des enfants communs (Bruxelles II).
Plus récemment, une décision du 18 mai 2001 a prévu la
mise en place d'un réseau judiciaire européen dans tous ces
domaines à compter du 1
er
décembre 2002.
La constitution d'un véritable espace européen, au sein duquel
les magistrats devront trouver leur place, est donc en marche.
b) La création des magistrats de liaison
L'avènement d'une véritable culture judiciaire
européenne et internationale a enrichi l'éventail des fonctions
juridictionnelles, susceptibles d'être exercées par les
magistrats.
L'échange de
magistrats de liaison
entre les pays de l'Union
européenne a permis l'
instauration de relations de confiance
et
une meilleure connaissance des systèmes judiciaires européens.
En France, la création de tels postes date de 1993
49(
*
)
.
Sept magistrats
occupent actuellement les
fonctions de magistrats de liaison et sont installés en Allemagne, aux
Etats-Unis, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en République
tchèque.
Nommés par arrêté du ministre de la Justice, ces magistrats
sont mis à la disposition du ministère des affaires
étrangères et sont placés sous l'autorité de
l'ambassadeur de France du pays d'accueil. Ils sont en général
installés dans les locaux du ministère de la justice de ce pays.
S'agissant de la gestion de ces magistrats, un
effort de transparence
mériterait d'être accompli par la Chancellerie. En effet, les
postes budgétaires sont localisés dans des juridictions et donc
prélevés sur leurs effectifs, alors qu'ils s'apparentent à
de véritables mises à disposition.
Les magistrats de liaison exercent des
missions non juridictionnelles
très diversifiées, consistant essentiellement à
favoriser :
- l'entraide judiciaire (s'agissant du suivi des commissions rogatoires
internationales, des procédures d'extradition...) ;
- la coopération judiciaire en matière de formation ;
- la communication au pays d'accueil (universités,
administrations...) des informations sur le droit et les institutions
juridiques et judiciaires françaises.
D'une manière générale, leur
présence
est
très appréciée
et permet des
échanges
fructueux
, notamment entre les Etats de l'Union européenne.
3. Un statut désormais protégé et encadré par le droit européen
Désormais, le statut du juge français ne
relève
plus du seul Etat national, mais dépend également des normes
internationales.
Une
charte européenne sur le statut du juge
a en effet
été élaborée en juillet 1998, elle
prévoit que ce statut tend «
à assurer
la
compétence, l'indépendance et l'impartialité que toute
personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune
des juges auxquels est confiée la protection [des]
droits
».
Elle énonce une série de principes généraux
relatifs au recrutement, à la formation initiale, aux règles de
nomination et au droit de constituer des organisations professionnelles.
Comme l'a souligné M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires :
«
pratiquement tous les magistrats en possèdent un
exemplaire et le consultent régulièrement. Cette charte constitue
un repère
».
En outre, le statut et le rôle des professionnels de la justice ont
été abordés dans le cadre d'une réflexion
récente sur l'efficacité de la justice menée par un
comité d'experts
du Conseil de l'Europe (réuni à
Bayonne du 27 février au 1
er
mars 2002). Les
axes de travail dégagés devraient permettre au Conseil de
l'Europe de préparer «
un projet d'instrument permettant
l'évaluation du fonctionnement de la justice
»
50(
*
)
.
En moins d'un demi-siècle, le magistrat français est donc devenu
à la fois
acteur
de la
construction européenne
,
promoteur du droit international
,
bénéficiaire
mais
parfois aussi
victime
de cette
internationalisation du droit
.
Cette évolution l'a donc conduit, souvent de bon gré, parfois
à reculons, à s'extraire des schémas traditionnels.
D. UN NÉCESSAIRE RECENTRAGE DU JUGE SUR SES MISSIONS NATURELLES
1. Un juge aux figures multiples
Le
rôle du juge dans la société française est apparu
comme une question centrale tout au long des auditions et au cours des
déplacements organisés par la mission.
Avant même d'aborder la réalité concrète du
périmètre d'intervention du magistrat judiciaire, il ne
paraît pas inutile de réfléchir aux
figures de
représentation théorique du juge
découlant de
l'évolution du droit et des attentes des citoyens.
M. François Ost, universitaire belge, a distingué trois
modèles de juge : le
juge Jupiter
avec son imperium, qui dit
le droit, le
juge Hercule
qui, selon la propre expression de l'auteur,
«
s'astreint à d'épuisants travaux
de
justicier
51(
*
)
», et le
juge
Hermès
, qui contribue à établir le dialogue entre tous
les acteurs de la société. M. François Ost a par ailleurs
complété son analyse en proposant une autre classification, qui
fait apparaître la figure du
juge pacificateur
, celui qui apaise,
celle du
juge arbitre
, qui s'éteint avec sa décision, et
enfin celle du
juge entraîneur
, qui s'implique dans
«
le jugement pré-sentenciel et
post-sentenciel
».
Actuellement, la figure du juge Hercule semble prédominante, tant en ce
qui concerne les juges du siège que ceux du parquet.
Le champ
d'intervention du juge n'a en effet cessé de s'élargir.
2. Un éparpillement des missions dévolues aux magistrats du siège qui fragilise leur place au sein de l'institution judiciaire
La
dispersion et la multiplication des tâches
des juges du
siège ont fait l'objet de vives critiques de la part de l'ensemble des
magistrats entendus par la mission d'information.
En effet, ces magistrats cumulent actuellement de nombreuses missions parmi
lesquelles on distingue des tâches purement juridictionnelles ayant pour
principal objet de « dire le droit » et de trancher des
litiges, auxquelles s'ajoutent des tâches situées à
mi-chemin entre le juridictionnel et l'administratif, et enfin des missions
essentiellement administratives.
a) La juxtaposition des missions
Cette
juxtaposition de missions
est depuis quelques années de moins en
moins bien acceptée en raison de la conjugaison de plusieurs
facteurs :
L'explosion de la demande de droit a conduit les magistrats à intervenir
dans tous les domaines, tant en matière civile que pénale.
Ainsi que l'a récemment écrit M. Jean-François
Burgelin, procureur général près la Cour de cassation,
«
chaque homme veut trouver dans la justice un moyen
d'atténuer les douleurs de la vie
, quelle qu'en soit l'origine.
Depuis le handicap de la naissance jusqu'à l'accident de montagne, en
passant par des difficultés d'emploi ou de logement,
toutes les
misères
que l'on rencontre dans l'existence
doivent trouver
réparation
grâce à l'intervention du juge
52(
*
)
».
Le juge est désormais devenu «
le gardien de toutes les
promesses
», pour reprendre le titre d'un ouvrage publié
il y a quelques années par M. Antoine Garapon, magistrat.
Cette judiciarisation croissante de la société trouve son origine
dans
l'effritement des structures traditionnelles de régulation
sociale
, lié notamment à l'éclatement de la famille,
à l'affaiblissement de l'école, à la montée de la
précarisation et au recul de la religion.
Le manque de moyens, caractérisé par l'insuffisance des effectifs
de magistrats et de fonctionnaires, constitue une deuxième clef
d'explication. Cette situation a entraîné un certain
découragement chez les magistrats et les empêche d'accomplir avec
la sérénité et avec le recul nécessaires les
tâches qui leur sont dévolues.
L'entrée en vigueur des réformes nouvelles a également
contribué à alimenter l'activité juridictionnelle. La loi
du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption
d'innocence a, par exemple, institué un juge des libertés et de
la détention qui a engendré une charge de travail
supplémentaire ayant conduit à la suppression ou au report de
nombreuses audiences.
Il est donc patent que
les juges du siège ne parviennent plus
à assurer la totalité de leurs tâches
.
Ce constat n'est pas nouveau. Ainsi, la commission de contrôle
Haenel-Arthuis
53(
*
)
en 1991 et la mission
d'information Jolibois-Fauchon
54(
*
)
en 1996
avaient déjà, en leur temps, souligné la
nécessité d'un recentrage du juge du siège sur ses
missions essentielles.
b) Les efforts en vue d'un recentrage du juge
Des
efforts ont été accomplis en faveur d'un tel mouvement.
La
déjudiciarisation de certains contentieux de masse
, pour
lesquels la saisine du juge n'intervient plus qu'en cas de contentieux
déclaré, a constitué le premier axe de réforme.
Elle a notamment concerné les contentieux relatifs aux chèques
sans provision, aux accidents de la route (loi dite Badinter n° 85-677 du
5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation terrestre), plus
récemment encore aux dossiers de surendettement
(transférés à des commissions de surendettement en vertu
de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions, à la procédure civile,
pénale et administrative). De nombreux interlocuteurs rencontrés
par la mission ont d'ailleurs relevé que la réforme du
surendettement avait donné satisfaction en permettant de
désengorger efficacement les juridictions
55(
*
)
.
Le
transfert
aux
greffiers en chef
de certaines
compétences de nature quasi-juridictionnelles normalement
dévolues au juge
a constitué le second volet de la
réforme. Ce transfert a concerné l'établissement des
certificats de nationalité, la réception du consentement à
l'adoption et les déclarations conjointes de changement de nom d'un
enfant, ou encore la vérification des comptes de tutelle (visas et
contrôle des comptes)
56(
*
)
.
En dépit de ces avancées,
le nécessaire recentrage
demeure toujours d'actualité
. En effet, de nombreux exemples ont
été cités de manière récurrente pour
illustrer la dispersion des missions confiées aux juges du siège,
parmi lesquels le suivi des mesures de tutelle (gestion des biens des mineurs
et des majeurs incapables), d'assistance éducative, ou encore la
procédure de saisie-arrêt des
rémunérations
57(
*
)
.
Plusieurs
pistes
tendant à
réduire le champ
d'intervention des juges du siège
ont été
évoquées devant la mission d'information.
c) La suppression pure et simple de certaines tâches et procédures constitue une première proposition intéressante
Ainsi
que l'a suggéré l'Association nationale des juges d'instance, la
suppression de la cotation et des paraphes obligatoires de certains registres
(livres, registres et répertoire des officiers de l'état civil,
des conservateurs des hypothèques, des notaires....) pourrait être
envisagée, dans le prolongement de la suppression des paraphes des
livres de paie opérée par un décret
du 28 janvier 2000 au titre de la simplification administrative.
La procédure d'affirmation des procès-verbaux, par ailleurs
déjà dressés par des agents assermentés (en
matière de balisage des ports maritimes, d'infractions à la
distribution d'énergie par EDF-GDF ou encore d'infractions
douanières), paraît également inutile.
Les entretiens de Vendôme mentionnent d'autres tâches indues,
d'ailleurs déjà effectuées par d'autres organismes ou
administrations, comme notamment la conservation des doubles des registres de
l'état civil (disponibles à la mairie), les visites semestrielles
dans les hôpitaux psychiatriques
58(
*
)
,
déjà effectuées tous les trimestres par le parquet.
Il est également permis de s'interroger sur l'opportunité de
maintenir la procédure de l'injonction de faire (près de 6.000
requêtes par an), qui ne revêt aucun caractère
exécutoire, et ne dispense donc pas le demandeur de saisir le juge au
fond pour obtenir un titre exécutoire en cas de refus.
La mission d'information préconise la suppression de l'ensemble des
tâches du juge faisant double emploi ou s'avérant inefficaces.
d) Le transfert de certaines tâches de caractère quasi juridictionnel vers d'autres acteurs de la justice (greffiers en chef, officiers publics et ministériels) pourrait également être envisagé
Les
homologations de changement de régime matrimonial, l'adoption, la
réception des déclarations de nationalité
59(
*
)
, la procédure d'injonction de payer
60(
*
)
pourraient aisément être retirées
au juge pour être confiés à d'autres.
En revanche, la mission d'information demeure plus réservée sur
la question d'un éventuel transfert des missions du juge en
matière de tutelle.
Plusieurs acteurs se sont déclarés prêts à assumer
de nouvelles tâches afin d'enrichir l'exercice de leur métier et
de permettre une rationalisation du fonctionnement de la justice.
Néanmoins, les
greffiers en chef
rencontrés par la mission
d'information lors de son déplacement à Dijon, tout en approuvant
le principe d'un éventuel transfert de compétences, se sont fait
l'écho des
difficultés éprouvées
en 1995,
lors du transfert de la vérification des comptes de tutelle. Ils ont
souligné la surcharge de travail qui en avait résulté et
l'absence de formation en matière comptable et financière.
La mission d'information juge souhaitable la poursuite du mouvement
amorcé en 1995 en faveur d'un transfert de tâches du juge aux
greffiers en chef. Elle tient cependant à souligner la
nécessité d'associer pleinement les personnels des greffes
à une telle réforme.
En outre, la mission tient à souligner qu'un tel transfert ne
saurait
s'effectuer à moyens constants
et sans que soient prévus des
délais d'entrée en vigueur suffisamment longs pour permettre aux
intéressés
d'acquérir les compétences
requises
.
Par ailleurs, les
notaires
se sont déclarés très
favorables à un transfert de certaines tâches, notamment en
matière d'homologation des changements de régime matrimonial,
d'envoi en possession des successions ou de partage impliquant un mineur sans
homologation judiciaire. Leur qualité d'officier public et
ministériel et d'auxiliaire de justice constitue une garantie suffisante
pour qu'ils puissent se voir confier certaines tâches actuellement
dévolues au juge, le cas échéant avec le contreseing d'un
deuxième notaire.
e) Des interrogations sur la poursuite du mouvement de déjudiciarisation pourtant fréquemment suggérée par les interlocuteurs de la mission
Il
s'agit, une fois encore d'alléger le travail du
juge en
évitant son intervention en première ligne au profit d'un
rôle de recours
.
La
déjudiciarisation de la procédure de divorce par
consentement mutuel
a été fréquemment mise en avant.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
a, en particulier, préconisé de permettre aux époux de
décider de leur divorce par une convention sans intervention du juge,
chacun étant assisté d'un avocat différent
61(
*
)
.
Toutefois, il semble que le législateur, à l'occasion de l'examen
de la réforme du divorce présentée en février 2002
par Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, n'ait pas
souhaité s'engager dans cette voie, estimant que la vérification
de l'accord entre les parties devait être
garantie par un juge
.
C'est pourquoi la mission n'a pas jugé opportun de retenir une telle
orientation.
La limitation du périmètre d'intervention du juge, s'agissant de
certaines
infractions au code de la route
, a également
été souhaitée par un grand nombre d'interlocuteurs.
M. Olivier Aimot, premier président de la cour d'appel de
Rennes, membre de la Conférence nationale des premiers présidents
de cour d'appel, a indiqué qu'en Bretagne, «
la
moitié de l'activité pénale des tribunaux correctionnels
est relative à la délinquance routière, due notamment
à des problèmes d'alcoolémie
», afin de
mettre en exergue la nécessité de décharger le juge du
traitement de ce contentieux de masse.
L'Union syndicale de la magistrature est allée dans le même sens
s'agissant des excès de vitesse : «
La gestion des
excès de vitesse doit être modifiée. En effet, un
même radar peut, sous un tunnel en Savoie, identifier près de
3.000 personnes en infraction en une seule journée. La
capacité de traitement d'un tribunal de police dans une juridiction
moyenne est de 2.000 affaires par an. Nous voyons donc qu'un tunnel peut
à lui tout seul générer une fois et demie la
capacité annuelle d'absorption d'un tribunal de police
».
Or, le transfert de ce contentieux de masse au profit d'une autorité
administrative paraît possible compte tenu du caractère
automatique des sanctions résultant de telles infractions.
Les inconvénients d'une telle réforme n'ont toutefois pas
échappé à la mission d'information. Il existe un effet un
risque de « déshumanisation » du traitement de ces
affaires, la sanction pré-déterminée devenant automatique
et le justiciable n'ayant plus d'interlocuteur à qui s'adresser sauf en
cas d'appel de la décision.
S'il est toujours possible de faire valoir des difficultés
financières devant le juge pour le paiement d'une amende, il ne
paraît pas certain que l'administration fasse preuve de la même
capacité d'écoute...
La mission d'information souhaite qu'une réflexion s'engage sur
l'opportunité de maintenir le traitement du contentieux de masse
lié aux infractions routières dans les attributions du juge afin
qu'une telle réforme, si elle s'avérait opportune, puisse
être conduite dans l'intérêt du justiciable.
En outre, si certains contentieux étaient retirés au juge, il
conviendrait de déterminer avec précision quelles
autorités seraient désormais chargées de prendre en charge
ces affaires.
Une
solution originale
proposée au cours des entretiens de
Vendôme a retenu l'attention de la mission. Elle consisterait à
transférer certains contentieux particuliers
(fiscaux, douaniers,
vols dans les grands magasins)
à des organismes autorisés
à prononcer des sanctions mineures et composés paritairement de
représentants des administrations concernées et de citoyens.
Cette nouvelle voie de traitement des affaires présente de nombreux
avantages, en permettant notamment de désengorger les tribunaux,
d'associer les citoyens à certaines décisions intéressant
la société, d'encadrer le pouvoir de l'administration et, enfin,
de créer une nouvelle forme de justice plus rapide, mais
également plus humaine. Elle demande évidemment la mise en place
des garde-fous nécessaires à la garantie des droits des
justiciables.
f) Des réserves quant au développement de l'arbitrage
L'Association professionnelle des magistrats a pour sa part
préconisé d'encourager l'arbitrage, dont le champ d'application
est actuellement limité aux contrats conclus à raison d'une
activité professionnelle
62(
*
)
.
Toutefois, si un effort en faveur du recours à la clause compromissoire
s'avère utile dans les contrats entre professionnels, un consensus s'est
dégagé contre l'élargissement de la clause compromissoire
dans les relations non professionnelles. En effet, l'arbitrage apparaît
comme une
justice très onéreuse
. Il soulève
également une question de principe liée à la remise en
cause des fonctions régaliennes de l'Etat.
La plupart des avocats entendus par la mission ont fait part
d'expériences d'arbitrage mitigées. Ainsi que l'a indiqué
la Conférence des bâtonniers, la chambre d'arbitrage
créée en 1994 dans la région Rhône-Alpes
(réunissant des avocats, des notaires et des huissiers) n'a connu que
deux affaires.
Si l'arbitrage apparaît incontournable pour certains professionnels, il
ne paraît pas souhaitable de développer cette voie dans le domaine
du droit judiciaire privé.
3. La participation controversée des magistrats aux commissions administratives
La
multiplication des participations aux commissions administratives,
qualifiées par un chef de tribunal de grande instance de
«
commissions parasites
» a été
unanimement
dénoncée.
Elle concerne tant les magistrats du siège que ceux du parquet. Cette
activité s'avère très chronophage et est de moins en moins
bien acceptée par les magistrats, soucieux de traiter leurs dossiers
dans des délais acceptables.
La liste des commissions administratives et organismes divers dans lesquels les
magistrats sont susceptibles d'être présents a été
établie à l'occasion des entretiens de Vendôme.
On en dénombre 135 au total qui recouvrent des domaines très
variés, notamment électoral (commission de propagande pour
l'élection des députés, commission locale de
contrôle de la campagne électorale pour l'élection du
président de la République), social (commission d'admission
à l'aide sociale, commission départementale de la médaille
de la famille française...), économique et fiscal (commission de
protection des obtentions végétales, commission d'autorisation de
transport de débit de boissons), ou encore en matière
d'aménagement foncier et rural (commission consultative paritaire
nationale des baux ruraux).
L'exigence d'une présence de magistrats au sein de ces commissions est
devenue purement formelle et principalement destinée à
«
faire preuve de courtoisie
à l'égard de la
Chancellerie
», ainsi que l'a indiqué Mme Marylise
Lebranchu, ancien garde des Sceaux, lors de son audition.
Force est de constater que, dans de nombreux cas, leur présence
s'avère
inutile
. Ainsi que l'a fait observer M. Jean-Paul
Collomp lors de son audition, le législateur porte en grande partie la
responsabilité de cette dérive puisque la plupart de ces
commissions sont de création législative et que
«
lorsqu'elles sont de créations réglementaires, il
s'agit de décrets d'application
».
La mission d'information estime donc indispensable que le législateur se
saisisse de cette question afin, d'une part, de dresser
un inventaire des
commissions dans lesquelles la présence d'un juge ne paraît pas
nécessaire
et de supprimer cette participation, d'autre part, de
se montrer plus vigilant à l'avenir
et de limiter cette
participation à des hypothèses limitativement
énumérées.
Deux critères suggérés par un certain nombre de magistrats
auditionnés apparaissent
pertinents
et semblent susceptibles de
légitimer leur présence au sein des commissions
extra-juridictionnelles :
- lorsque les décisions rendues mettent en cause les
libertés publiques ;
- lorsque ces décisions intéressent l'institution judiciaire
en général (y compris la protection judiciaire de la
jeunesse et l'administration pénitentiaire).
La mission propose de réduire la présence des magistrats aux
seules commissions administratives dont les activités mettent en cause
les libertés publiques ou relèvent par nature de la sphère
judiciaire.
4. La participation des magistrats aux politiques publiques
La
nécessité de recentrer les magistrats sur leurs tâches
essentielles, accrue par le manque de moyens de la justice, a conduit la
mission à s'interroger sur le bien-fondé de leur participation
aux politiques publiques.
Depuis une vingtaine d'années, notamment dans le cadre de la politique
de la ville, les juges sont sortis des palais de justice pour se rendre sur le
terrain. L'ouverture du magistrat sur la cité et son association aux
politiques partenariales apparaissent désormais inévitables. Le
juge ne peut plus s'isoler dans sa tour d'ivoire au risque de se couper des
réalités.
a) Une vocation nouvelle des magistrats du parquet bien acceptée
Les
magistrats du parquet sont très sollicités à cet
égard et ont bien intégré cette évolution.
Au cours de son audition, l'Association des magistrats du parquet s'en est
d'ailleurs fait l'écho : «
le rôle du magistrat
était autrefois de traiter les affaires et requérir à
l'audience. Les magistrats restaient dans leur cabinet [...]. Aujourd'hui,
les motifs de déplacement sur le terrain deviennent de plus en plus
nombreux
».
Depuis 1983, le parquet s'est vu confier la charge d'
impulser
et de
coordonner
des
politiques publiques
en
relation
étroite
avec les
élus
et les
représentants
de l'Etat
.
Cette initiative a été le
fruit d'une volonté de
l'Etat
de développer des politiques partenariales dans le double
souci de
prévenir la délinquance
, d'une part, et de
favoriser la réinsertion
, d'autre part.
Cette démarche s'est concrétisée par la mise en place de
nombreux outils dont le
parquet
est devenu un
acteur essentiel
.
La mise en oeuvre de contrats locaux de sécurité (CLS),
créés par voie de circulaire en octobre 1997
63(
*
)
, qui fonctionnent en partenariat entre la justice et
les élus locaux, a constitué une des pierres angulaires de cette
évolution.
On recense actuellement près de 550 contrats locaux de
sécurité. Deux circulaires du 5 janvier et du 9 mars 1998
ont contribué à impliquer de façon très importante
l'autorité judiciaire.
Les
conseils communaux de prévention de la délinquance
(CCPD) et les
groupes locaux de traitement de la délinquance
(GLTD) offrent
d'autres exemples de ces relations partenariales
entre
les autorités régaliennes de l'Etat et les acteurs de la
démocratie locale.
L'importance du temps consacré aux activités non
juridictionnelles s'impose désormais comme une évidence
. Une
étude réalisée de juin à novembre 1999 pour
analyser les charges de travail des parquets généraux a fait
ressortir que
la répartition du temps de travail entre les
activités juridictionnelles et non juridictionnelles
oscillait entre
45 % et 50 %
pour les petites et moyennes juridictions
(comprenant en moyenne entre 3 et 9 magistrats) et 40 % pour les plus
importantes
64(
*
)
. Ainsi plus la taille du
parquet augmente, plus le temps consacré aux activités
juridictionnelles décroît.
Le temps dont disposent les magistrats pour travailler sur les
procédures et les dossiers s'en trouve donc nécessairement
limité.
En dépit d'une
dégradation manifeste des conditions de travail
du parquet liées à la pénurie des moyens
et à
l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000
relative
à la protection de la présomption d'innocence, tous les
magistrats du parquet ont approuvé cette mission nouvelle et n'ont pas
manifesté la volonté d'en être déchargés.
Leur participation aux politiques publiques permet aux magistrats du parquet de
recevoir des informations mais également d'en donner.
M. André Ride, président de la Conférence
nationale des procureurs généraux confirme ainsi
«
qu'il n'est pas imaginable que les magistrats, qui sont seuls
légitimes à prononcer des mesures de répression, se
désintéressent tant de l'amont que de l'aval
. »
De plus, l'engagement du parquet dans les politiques publiques a
également
modifié leur positionnement au sein de l'institution
judiciaire.
Ainsi, ils sont devenus
l'interface entre les magistrats du
siège et les décideurs extérieurs
(autorité
préfectorale, élus locaux).
Sans remettre en cause leur participation à cette mission nouvelle, tous
les interlocuteurs du parquet rencontrés par la mission ont fait
état des difficultés à
assumer ce rôle en raison
d'un manque de moyens.
M. André Ride a en effet
indiqué que «
lorsque vous êtes procureur de la
République avec un seul substitut et que vous êtes engagé
dans toutes les actions de la politique de la ville, vous avez dans le
même temps à assurer votre tâche première,
c'est-à-dire faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix
doivent être faits. Ce choix est malheureusement vite fait lorsque vous
n'avez pas les moyens d'assumer vos deux missions.
».
La mission partage pleinement ces préoccupations. Consciente de la
nécessité d'associer l'autorité judiciaire à la
conduite des politiques publiques, elle juge indispensable de renforcer les
moyens du parquet pour lui permettre d'exercer correctement cette mission.
Il est apparu choquant que les procureurs ne disposent ni d'une équipe,
ni d'un secrétaire général (dans les juridictions les plus
importantes) pour leur apporter un soutien. Actuellement, les magistrats du
parquet participent seuls aux réunions et établissent leurs
statistiques et leurs rapports sans aucune aide particulière et souvent
sans moyens matériels conséquents.
La mission suggère la création de nouvelles fonctions
d'assistants du parquet, qui pourraient être exercées soit par des
assistants de justice, soit par des greffiers, afin de lui permettre de
participer aux politiques publiques.
b) Une mission difficilement compatible avec celles des magistrats du siège
Contrairement à leurs collègues du parquet, les
magistrats du siège ne souhaitent
pas participer aux politiques
publiques.
La Conférence nationale des premiers présidents, au cours de son
audition, a expliqué avoir débattu particulièrement sur
cette question pour en conclure que «
l'action du juge ne doit pas
faire l'objet d'une contractualisation qui pourrait faire douter de son
impartialité dans les litiges dont il serait saisi [...]
».
Cette différence de position entre le siège et le parquet
résulte de la distinction qui existe entre ces deux fonctions. Alors que
les magistrats du parquet ont pour vocation naturelle de défendre
l'intérêt général et d'appliquer la politique
pénale du Gouvernement, les magistrats du siège quant à
eux ont à juger des situations individuelles. L'association de ces
derniers à la définition des politiques publiques les expose
inévitablement à engager la juridiction à laquelle ils
appartiennent ou à renier leur « liberté
juridictionnelle ».
La mission d'information, tout en comprenant les réserves
émises par les magistrats du siège
65(
*
)
, tient toutefois à souligner que certaines
fonctions, en particulier celles de juge des enfants et de juge de
l'application des peines qui sont largement ouvertes sur l'extérieur, ne
sauraient faire l'économie d'un engagement minimal avec leurs
partenaires, le parquet étant amené à jouer un rôle
d'interface. Ces magistrats ont en effet un besoin impérieux de se
déplacer sur le terrain, de travailler en équipe et de visiter
les établissements avec lesquels ils travaillent.
E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET
1. Conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet, un sentiment unanimement partagé au sein de la magistrature
Une
réflexion sur le
champ d'intervention du juge
ne
saurait
faire
l'économie de la question du statut du parquet
et
d'une éventuelle séparation des carrières entre le
siège et le parquet
.
On rappellera brièvement que le système judiciaire
français permet à l'ensemble des magistrats de
bénéficier d'une
formation commune
et de prêter un
serment identique
lors de leur entrée en fonction.
Néanmoins, le rôle, le mode de nomination et les relations avec la
Chancellerie diffèrent selon que le magistrat relève du
siège ou du parquet.
Ainsi que le souligne M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, «
le métier
de poursuivre n'est pas le même métier que celui de dire le
droit
».
La mission du ministère public consiste en effet à exercer
l'action publique, à diriger les enquêtes, à
contrôler la police judiciaire en matière pénale et
à agir pour la défense de l'ordre public en matière civile.
Les rôles dévolus au siège et au parquet sont donc
très différents
. Les magistrats du siège et ceux du
parquet exercent donc
deux métiers nettement distincts
.
M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel s'est d'ailleurs fait l'écho
de cette différence lors de son audition : «
le juge
est un arbitre entre des positions antagonistes qui opposent la
société à des particuliers ou des particuliers entre eux
[...]. Le procureur n'est pas un juge, mais un
magistrat
[...]
».
Contrairement aux magistrats du siège qui sont inamovibles, les
magistrats du parquet sont placés
sous la direction et le
contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques
et sous
l'autorité du garde des Sceaux
dont ils dépendent et qui
peut, en outre, adresser des instructions aux procureurs généraux.
En dépit des divergences fonctionnelles et statutaires qui
caractérisent ces deux métiers, la mission, au cours de ses
auditions et lors de ses déplacements, a pu constater que le
principe
selon lequel
les fonctions dévolues au parquet devaient
être exercées par des magistrats, garants des libertés
publiques et de l'intérêt général
,
n'était pas contesté au sein de la magistrature.
Tous les magistrats rencontrés par la mission ont estimé que le
ministère public était détenteur d'un
véritable
pouvoir juridictionnel
, notamment s'agissant de l'opportunité des
poursuites, ce qui
justifie pleinement qu'il ne soit pas assimilé
à un corps de fonctionnaires
.
L'Association des magistrats du parquet a, lors de son audition, indiqué
que le ministère public ne pouvait être réduit à
une simple partie poursuivante
alors que certaines de ses missions
naturelles, au demeurant renforcées par la loi du 15 juin 2000
précitée, les portaient
vers la protection des libertés
individuelles
, notamment à travers le contrôle des gardes
à vue, la visite des locaux de garde à vue et l'aide aux victimes.
Une décision du Conseil constitutionnel n° 93-326 DC du
11 août 1993 est allée dans ce sens en affirmant que
«
l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66
de la Constitution assure le respect de la liberté individuelle comprend
à la fois les magistrats du siège et du parquet
. »
M. Pierre Truche, président de la Commission de
réflexion sur la justice mise en place en 1997, s'est clairement
prononcé en faveur du maintien de la qualité de magistrat aux
membres du ministère public
66(
*
)
.
La plupart des magistrats du parquet ont, en outre, fait valoir devant la
mission que leur rôle ne pouvait se résumer à celui de
simple accusateur public mais s'étendait au contraire à la
défense de l'intérêt général
.
«
Il n'est pas rare que des magistrats du parquet qui ne sont pas
convaincus de la solidité d'un dossier refusent de requérir une
peine.
»
67(
*
)
Ils ont
également indiqué devoir
enquêter à charge et
à décharge
.
M. André Ride, président de la Conférence nationale
des procureurs généraux, a également pointé le
risque qu'une séparation des carrières ne conduise à
un
affaiblissement de l'autorité et de la légitimité
du
magistrat du parquet non seulement vis à vis de ses interlocuteurs
naturels (gendarmerie et police), mais également à l'égard
de ses autres interlocuteurs extérieurs (préfet, élus
locaux).
En revanche, d'autres acteurs extérieurs à l'institution
judiciaire même, en particulier certains officiers de police judiciaire
(commissaires de police) et certains avocats, souhaiteraient faire
prévaloir un système à l'anglo-saxonne dans lequel, d'une
part, les avocats ont un poids déterminant dans
l'enquête
68(
*
)
et, d'autre part, les
membres du parquet sont des fonctionnaires.
Un tel schéma conduirait les membres du ministère public à
perdre leur qualité de magistrat pour devenir des fonctionnaires de
l'Etat dotés d'un nouveau statut particulier.
La mission d'information tient à souligner la nécessité
de conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet.
La question plus spécifique des liens du parquet avec la Chancellerie
n'a pas été évoquée devant la mission
d'information, mais mériterait à elle toute seule un long
développement
69(
*
)
.
2. Des interrogations sur la séparation des carrières
Dans le
prolongement de ce débat, la
question du maintien de l'unité
de corps au sein de la magistrature
a été
évoquée à de nombreuses reprises devant la mission et il
est apparu que
les avis étaient partagés
.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
s'est déclarée favorable à
une séparation des
fonctions du siège et du parquet
au motif qu'«
un
même corps réunit les juges et les procureurs, ce qui entretient
leur soupçon d'inféodation des juges au pouvoir exécutif,
ainsi qu'un certain déséquilibre dans le procès du fait de
la proximité du juge et du représentant de
l'accusation
».
La relation spécifique qu'entretient le parquet avec le pouvoir
politique, conjuguée avec l'appartenance à un même corps,
apparaît en effet, selon la Conférence des premiers
présidents de cour d'appel, de nature à laisser perdurer
une
confusion des rôles
dans l'esprit des justiciables et plus
généralement dans l'opinion publique et elle serait nuisible,
voire incompatible avec l'exigence d'impartialité qui s'impose aux juges
du siège. Depuis 1996, la Conférence souhaite qu'une
clarification soit opérée afin que deux corps soient
créés.
S'il ne lui paraît pas indispensable de remettre en cause le principe
d'une même formation pour chacun des corps, elle suggère en
revanche que les serments soient différents.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
propose toutefois de conserver une certaine souplesse en réservant la
possibilité de passer d'un corps à l'autre, au moins durant les
cinq premières années de la vie professionnelle.
Cette position est cependant apparue très
isolée au sein de la
magistrature
. En effet, l'ensemble des magistrats rencontrés par la
mission a marqué son
attachement à l'unité du
corps
. L'unité des carrières du siège et du parquet a
été présentée unanimement comme
un
enrichissement réciproque de fonctions qui partagent
une
même éthique et une même culture.
Les représentants des promotions des auditeurs de justice
rencontrés par la mission au cours de son déplacement ont
pleinement partagé cette analyse, soulignant que le choix des postes au
cours de la première affectation n'était pas
figé
,
ce qui rendait le métier de magistrat
très
intéressant
. M. André Ride, président de la
Conférence nationale des procureurs généraux, a en outre
mis en avant le risque qu'une séparation des carrières conduise
à un affaiblissement du ministère public et à une
«
fonctionnarisation rampante
», selon sa propre
expression.
Il apparaît donc que le débat reste ouvert.
3. Les difficultés actuelles des magistrats du parquet
La
mission ne saurait conclure sur la question du parquet sans évoquer les
difficultés actuelles, maintes fois mentionnées par les
intéressés tout au long de ses travaux, et plus
particulièrement
:
- les pouvoirs de direction de la police judiciaire dévolus au
parquet résultant du code de procédure pénale (articles 12
et 42) qui se heurtent au nombre insuffisant des officiers de police
judiciaire, à un déficit de formation, à des
problèmes d'organisation et à une certaine contestation de la
part des commissaires de police. La police de proximité, devenue une
priorité a pris le pas sur la police d'investigation aujourd'hui
sacrifiée ;
- les conditions de travail qui ne cessent de se dégrader en raison
des contraintes particulières du métier de
« parquetier ». Le service doit être assuré
vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nombre de magistrats travaillent parfois
sept jours et sept nuits de suite. Dans les plus petites juridictions, ces
longues permanences ont une fréquence très
régulière (une semaine sur deux). Le travail des magistrats du
parquet est parfois comparable à celui des internes des hôpitaux.
Cette situation
préoccupante
s'est traduite par une crise des
recrutements
, voire des vocations. D'après l'Association des
magistrats du parquet, pour un magistrat du siège souhaitant être
appelé au parquet, il existerait huit magistrats désireux
d'opérer le mouvement inverse.
Cette information n'a pas été confirmée par la
Chancellerie
70(
*
)
, qui reconnaît
néanmoins l'existence d'une certaine désaffection des magistrats
pour les fonctions du parquet.
Le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport
d'activité pour 1999, avait déjà signalé
ces
départs massifs du parquet vers des fonctions du siège
:
«
on observe qu'un nombre croissant de magistrats du second grade
se porte candidats à des fonctions du même niveau
hiérarchique au siège alors que l'inverse ne se vérifie
pas. Le très faible nombre de candidats à des postes de
substitut, fort convoités naguère, voire ici ou là, une
absence totale de candidature, conduit aux mêmes conclusions
71(
*
)
». Ce constat ne cesse de se confirmer
depuis lors et paraît inquiétant.
Les magistrats du parquet se trouvent donc actuellement à la
croisée des chemins, et il paraît très difficile de
définir précisément quels seront les futurs contours de ce
métier s'il ne dispose pas rapidement des moyens suffisants pour remplir
sa mission
.
II. DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES DÉCOURAGÉS
Trop
souvent, l'institution judiciaire est assimilée aux magistrats, comme
l'école est réduite à ses professeurs. Pourtant, les
personnels des greffes constituent un maillon essentiel de la chaîne
judiciaire dont la solidité doit être affermie.
L'évolution des métiers de ces fonctionnaires de l'Etat met en
lumière un décalage croissant, source de tensions, entre la
hausse de leur niveau de recrutement et la nature des tâches qui leur
sont assignées. Clarification et spécialisation constituent
aujourd'hui les maître-mots d'une nécessaire modernisation.
A. UN SERVICE PUBLIC RÉCENT
1. Une fonctionnarisation progressive
Les
personnels des greffes sont des fonctionnaires de l'Etat depuis moins de trente
ans.
La loi n° 65-1002 du 30 novembre 1965 portant réforme des
greffes des juridictions civiles et pénales et supprimant la
vénalité des charges est entrée en vigueur le
1
er
décembre 1967, assortie d'une période transitoire
de dix ans au cours de laquelle ont coexisté, dans les juridictions, des
fonctionnaires des greffes et des officiers publics et ministériels.
La loi n° 79-44 du 18 janvier 1979 a fait des greffiers en chef et
des greffiers des conseils de prud'hommes, fonctionnaires départementaux
depuis 1946, des fonctionnaires de l'Etat.
Plus tard, en 1988, la décentralisation et le transfert des charges de
la justice à l'Etat ont entraîné l'intégration d'une
partie des personnels départementaux mis à la disposition des
juridictions dans un corps des agents des cours et tribunaux.
Enfin, trois décrets du 30 avril 1992
72(
*
)
ont opéré la fusion entre les agents
des cours, des tribunaux et des conseils de prud'hommes, en créant un
corps unique de greffiers en chef, un corps unique de greffiers et des corps de
fonctionnaires des catégories C et D des services judiciaires et en les
dotant d'un statut, actualisé à plusieurs reprises
depuis
73(
*
)
.
La fonctionnarisation des services judiciaires s'est donc effectuée
progressivement, ce qui explique en partie certaines disparités
actuelles dans la composition et la structure des différents corps
dont il a été fait état, à Bordeaux, devant une
délégation de la mission.
2. Des effectifs en forte croissance mais encore insuffisants
Au 30
mai 2002, les effectifs budgétaires des services judiciaires
s'élevaient à
1.690 greffiers en chef, 7.480 greffiers, 11.209
agents de catégorie C
, dont 9.495 agents de bureau et 1.714
agents des services techniques
74(
*
)
.
Ces effectifs se sont considérablement accrus depuis trente ans
,
puisque le nombre des greffiers en chef et des greffiers a été
multiplié par 1,9 et celui des fonctionnaires de
catégorie C par 2,3.
En 2002, conformément au plan pluriannuel de recrutement prévu
par le protocole d'accord signé le 1
er
décembre 2000
entre la garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, et quatre organisations
syndicales de fonctionnaires à la suite de mouvements de
mécontentement, 10 postes de greffiers en chef et 500 postes de
greffiers ont été créés. Ils doivent être
pourvus par un concours exceptionnel de recrutement, s'ajoutant au recrutement
de 500 greffiers déjà intervenu en 2001.
Pour autant,
le ratio magistrats/fonctionnaires ne cesse de baisser
,
comme le déplorait notre regrettée collègue Dinah Derycke
dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté
au nom de la commission des Lois
75(
*
)
.
Il est passé de 2,82 en 1999 à 2,61 en 2002.
3. Un personnel jeune et féminisé
Les
fonctionnaires des greffes, en particulier les greffiers et les agents de
catégorie C, constituent une
population jeune et fortement
féminisée
.
Les moins de 40 ans représentent 29 % des personnels de
bureau, 33 % des greffiers et 26 % des greffiers en chef.
La proportion des femmes est de 71 % parmi les greffiers en chef,
de 81 % parmi les greffiers et de 87 % parmi les personnels de
bureau.
Comme il l'a été indiqué à la mission lors de son
déplacement à Dijon, cette situation emporte des
conséquences non négligeables sur le fonctionnement des greffes
en raison du taux élevé d'agents à temps partiel
76(
*
)
et des absences pour congé de maternité
ou de garde d'enfant malade.
4. Des professionnels appréciés
L'enquête de satisfaction auprès des usagers de la
justice réalisée en mai 2001 par l'Institut Louis Harris pour le
compte de la mission de recherche droit et justice a fait état d'un
jugement positif à l'égard des personnels des greffes
.
87 % des interviewés estimaient que les fonctionnaires du tribunal
avaient été courtois, 86 % respectueux, 78 %
compétents, 77 % humains, 74 % clairs dans leurs
explications. Par ailleurs, 70 % déclaraient que les fonctionnaires
les avaient bien compris et 67 % qu'ils avaient été
disponibles.
Toutefois, cette satisfaction générale masque des
appréciations plus nuancées selon la juridiction ou la situation
de l'usager.
Tous contentieux confondus, les usagers considéraient que les
fonctionnaires pourraient faire preuve d'une plus grande empathie.
30 % estimaient ainsi avoir été mal compris et mal
écoutés par leurs interlocuteurs et 44 % ne pas avoir
été bien soutenus.
Les interviewés dont l'affaire relevait d'une juridiction pénale
se montraient plus critiques : 37 % des usagers du tribunal de police
et 40 % des usagers du tribunal correctionnel estimaient avoir
été mal compris.
Enfin, la satisfaction de ceux qui avaient perdu leur procès (devant les
juridictions civiles) était encore plus faible : 43 %
déclaraient avoir été compris, 42 %
écoutés et 31 % soutenus.
L'institution judiciaire dispose aujourd'hui d'une génération
entière de fonctionnaires des greffes fortement imprégnée
des valeurs du service public de la justice sur laquelle elle peut compter.
Pourtant, la multiplication des tâches, jointe au manque d'effectifs, a
entraîné une confusion dans les responsabilités de chacun
et un sentiment généralisé de lassitude et de
découragement.
B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN
1. La double mission juridictionnelle et d'administration des personnels des greffes
La
spécificité des greffes tient à leur double mission
juridictionnelle et d'administration.
Leur mission traditionnelle est
en effet
l'assistance du juge et
l'authentification des actes judiciaires
77(
*
)
. En outre, à la différence d'autres
administrations, les services judiciaires ne disposent
pas de corps des
services déconcentrés à vocation d'administration
générale
.
Comme le soulignait la commission de réflexion sur l'évolution
des métiers des greffes : «
Depuis la
fonctionnarisation, l'institution évolue dans une logique fonctionnelle
dans laquelle les fonctions de gestion et les fonctions d'assistance du juge
sont assurées par les mêmes acteurs. L'alternative d'une logique
organisationnelle séparant strictement la fonction de gestion de la
fonction judiciaire a été écartée, afin
d'éviter les pratiques antérieures à la fonctionnarisation
et le risque d'atteinte à l'indépendance de l'institution
judiciaire.
78(
*
)
»
C'est ainsi que s'est développée une
culture de la
polyvalence
au sein des greffes. Elle a permis aux fonctionnaires de faire
face à l'alourdissement progressif de leurs tâches, au prix d'une
confusion des rôles et d'un malaise croissants.
2. Un sentiment de lassitude face à l'alourdissement des tâches et à la confusion des rôles
a) Les greffiers en chef : des administrateurs à temps plein
Fonctionnaire de catégorie A, le greffier en chef a
vocation
à exercer des fonctions d'administration, d'encadrement, de gestion,
d'enseignement et d'assistance du juge dans les actes de sa
juridiction
79(
*
)
.
Il prépare le budget de la juridiction et en assure l'exécution.
Il veille à la bonne
gestion
des moyens matériels, des
locaux et équipements dont il a la charge. Il assume également
une mission d'animation et de direction d'une équipe de collaborateurs
dont il coordonne l'activité.
Depuis la création des services administratifs régionaux en 1996,
les greffiers en chef peuvent également exercer les fonctions de
coordonnateur d'un service administratif régional dans une cour d'appel.
Praticien du droit, le greffier en chef doit par ailleurs être
à même d'exercer toutes les fonctions du greffe
. Il
organise l'assistance des juges lors des audiences et au cours des
procédures dont le greffe doit garantir le respect et
l'authenticité.
Conservateur des actes, registres et archives
de la juridiction, le
greffier en chef en constitue la « mémoire ».
Il dispose également d'
attributions propres
qui, comme il l'a
été indiqué précédemment, se sont accrues
depuis quelques années dans le but d'alléger le fardeau du
juge :
- au tribunal d'instance, en matière de cession et de saisie de
rémunération, de procuration de vote, de consentement à
l'adoption, de certificat de nationalité, de scellés et de
tutelles ;
- au tribunal de grande instance, en matière de pièces
à conviction, d'aide juridictionnelle ainsi qu'à l'occasion de
différentes déclarations dans le domaine familial.
Comme on l'a vu de nouvelles tâches pourraient encore lui être
confiées
80(
*
)
.
L'appellation de greffier en chef reflète donc mal la
diversité et l'importance des missions qu'il lui faut remplir
. Elle
prête à confusion et n'est guère valorisante, puisqu'elle
laisse à penser qu'il s'agit d'une fonction exercée par un
greffier et non d'un corps de catégorie A.
Les
missions
des greffiers en chef
diffèrent selon les
juridictions
. Dans les plus importantes, le chef de greffe est
assisté d'un ou de plusieurs greffiers en chef adjoints ou chefs de
service, qui assurent sa suppléance en cas d'absence ou
d'empêchement.
D'une manière générale, le poids de leurs tâches
administratives les empêche souvent, en pratique, de jouer tout
rôle d'assistance du magistrat et, parfois, d'exercer eux-mêmes les
compétences autrefois dévolues aux juges. Telle est la raison
pour laquelle, l'Union syndicale autonome justice et le Syndicat des greffiers
de France ont souhaité devant la mission que
certaines
des
attributions
des greffiers en chef, par exemple les certificats de
propriété et de notoriété, puissent être
transférées ou, à tout le moins,
déléguées aux
greffiers
, ce qui permettrait
au droit de rejoindre la pratique et d'assurer la continuité du service
public
81(
*
)
.
Mais les greffiers sont eux aussi astreints à de lourdes tâches.
b) Les greffiers : les « notaires des juridictions »
Fonctionnaire de catégorie B placé sous
l'autorité du greffier en chef
82(
*
)
, le
greffier a pour
missions principales l'assistance du magistrat et
l'authentification des actes juridictionnels
.
Au-delà de la transcription fidèle des débats à
l'audience, il est responsable du respect et de l'authenticité de la
procédure tout au long de son déroulement. Aussi est-il souvent
qualifié, comme il l'a été rappelé devant des
membres de la mission à Dijon, de «
technicien de la
procédure
», de «
notaire de la
juridiction
».
Le greffier enregistre les affaires, prévient les parties des dates
d'audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige
des actes et met en forme les décisions. Il assiste le juge à
l'audience.
Son rôle est essentiel :
toute formalité, tout acte
accompli en son absence pourraient être frappés de
nullité
.
Dès l'introduction de la demande et tout au long de la procédure,
il est
l'intermédiaire entre les parties et le juge
. Il est
également
l'interlocuteur privilégié des auxiliaires de
justice
.
Le greffier est également un
agent d'encadrement
chargé de
coordonner les activités des agents d'exécution. Selon
l'importance des juridictions et leur organisation, il peut être investi
de responsabilités de gestion et diriger un des services du greffe. Il
peut également exercer les fonctions de chef de greffe.
Enfin, le greffier a également vocation à exercer des
fonctions d'accueil et d'information du public
. En pratique, il n'en a
pas le temps, au grand regret de nombreux greffiers rencontrés par la
mission.
En effet, les auditions et les déplacements de la mission, les
contributions écrites qu'elle a reçues ont montré qu'en
raison du manque d'effectifs et de l'alourdissement des tâches
83(
*
)
, les greffiers étaient
amenés, de
plus en plus, à remplir des fonctions incombant aux greffiers en chef,
au détriment de leur mission première d'authentification des
procédures et des actes.
Un chef de cour a ainsi indiqué à la mission, dans une
contribution écrite, que «
Dans la pratique, cette mission
d'authentification des actes juridictionnels a tendance à se vider de
son sens et à n'avoir plus qu'un contenu formel.
(...)
L'assistance des greffiers aux audiences devient très
aléatoire et l'authentification se limite de leur part à la
relecture des jugements et arrêts avant leur signature et à
l'apposition de la formule exécutoire accompagnée du
sceau
. »
Cette dérive, contraire aux dispositions du code de l'organisation
judiciaire, est d'autant plus regrettable que l'assistance du greffier
s'avère essentielle dans les procédures orales sans
représentation obligatoire, de surcroît lorsque le justiciable
saisit le juge par simple déclaration.
Parallèlement, les greffiers accomplissent des tâches qu'ils
considèrent comme subalternes
. La frustration est d'autant plus
grande que leur niveau d'études est de plus en plus
élevé
84(
*
)
et que leur
rémunération reste faible. «
On fait tout et
n'importe quoi
» a indiqué une greffière du
tribunal de grande instance de Bordeaux.
Dans ces conditions, et selon les termes employés par un procureur de la
République dans une contribution écrite aux travaux de la
mission, le choix de la carrière de greffier risque de devenir
«
un choix négatif, à défaut d'avoir
réussi le concours de la magistrature ou de greffier en
chef
. »
Certains greffiers regrettent de ne pouvoir exercer des tâches
jugées valorisantes
. Par exemple, d'aucuns aimeraient pouvoir jouer
un rôle d'
aide à la décision du magistrat
, qu'il
s'agisse de la recherche de jurisprudence, de la rédaction de notes de
synthèse ou de l'élaboration de projets de décision. Les
organisations syndicales, en particulier le Syndicat des greffiers de France,
souhaiteraient même les voir pratiquer des
conciliations
et des
médiations
.
Le recours aux
agents placés
pour faire face aux vacances de
postes, s'il peut être encouragé, ne constitue qu'un palliatif
insuffisant.
Souvent, les missions des greffiers sont remplies par des agents de
catégorie C qui acceptent, pour un salaire inchangé, ces
responsabilités nouvelles, lourdes mais intéressantes. Il s'agit
toutefois d'un cautère sur une jambe de bois, qui contribue à la
confusion généralisée des tâches et à la
propagation d'un sentiment de malaise.
c) Les fonctionnaires de catégorie C : un nombre élevé de « faisant fonction de »
Placés également sous l'autorité du
greffier en
chef de la juridiction
85(
*
)
, les fonctionnaires
de catégorie C appartiennent à
différents corps
interministériels, répartis entre une filière
administrative
(les agents administratifs et les adjoints administratifs)
et une filière technique
(les agents des services techniques, les
ouvriers professionnels, les conducteurs d'automobiles). Ils concourent au
fonctionnement des différents services du greffe : parquet, service
correctionnel, service civil, fonctions administratives...
Les agents de la filière administrative, appelés personnels de
bureau, sont chargés de l'exécution des tâches
administratives et travaillent en étroite collaboration avec les
greffiers chargés de les encadrer.
A titre exceptionnel et temporaire, ils peuvent, après avoir
prêté serment, être chargés des
fonctions
dévolues aux greffiers
, en particulier l'assistance aux audiences et
l'authentification des actes.
Comme on l'a vu, le manque d'effectifs rend cette
pratique courante
,
même si aucune estimation fiable n'a pu être fournie
86(
*
)
.
Les agents des services techniques et les ouvriers professionnels sont
chargés de l'exécution du service intérieur et de
tâches de maintenance. Ils peuvent contribuer à
l'exécution de tâches administratives.
Les conducteurs d'automobiles sont chargés de la conduite des
véhicules de fonction (dont bénéficient les chefs de cour
et les chefs de juridiction) ou des véhicules de service des
juridictions.
Il est actuellement question de regrouper les agents administratifs et les
adjoints administratifs en un seul corps
87(
*
)
.
Certaines organisations syndicales souhaiteraient également que les
personnels de bureau soient assimilés à des agents de
catégorie B. La représentante de la CGT entendue par la
mission a toutefois fait valoir la nécessité de préserver
le recrutement de personnes n'ayant pas le baccalauréat.
d) Un sentiment généralisé de malaise
Le
constat d'un «
malaise des greffes
», dressé
dès 1990 par M. Dominique Le Vert
88(
*
)
, conseiller d'Etat, s'avère donc plus que
jamais d'actualité.
Lors de ses auditions et de ses déplacements, la mission a pu mesurer le
sentiment de frustration et de désabusement
qui affectait les
personnels des greffes.
La
multiplication des «
faisant fonction de
»
qui caractérise actuellement l'institution judiciaire -greffiers faisant
fonction de greffiers en chef, agents de catégorie C faisant fonction de
greffiers- engendre une
confusion des rôles et une crise
d'identité préjudiciables au bon fonctionnement des
juridictions
.
Les inquiétudes des fonctionnaires sont avivées par la
concurrence que représentent les assistants de justice et les agents
de justice
, personnels au statut précaire chargés d'accomplir
des tâches d'aide à la décision et d'accueil dont ils
considèrent qu'elles relèvent de leur compétence mais
qu'ils sont dans l'impossibilité d'assumer.
Les agents des greffes attendent actuellement, avec impatience et amertume, une
reconnaissance aussi bien salariale que statutaire de la réalité
des missions accomplies. «
Nous n'avons plus que notre conscience
professionnelle, c'est tout ce qui nous reste
», indiquait une
greffière du tribunal de grande instance de Dijon aux membres de la
mission.
L'une des organisations syndicales reçues par la mission souhaiterait
même l'élaboration d'un nouveau statut, dérogatoire du
statut général de la fonction publique, au profit des greffiers
en chef et des greffiers, sur le modèle de celui des magistrats. Ils en
attendent une reconnaissance de la spécificité de leurs
tâches et des possibilités accrues de revalorisation salariale.
Au-delà du nécessaire renforcement des effectifs et de la
revalorisation de la grille indiciaire, il apparaît souhaitable de
favoriser une adaptation des personnels à des fonctions de plus en
plus spécialisées
.
3. L'exigence d'une spécialisation accrue des agents
En 1998,
la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes avait préconisé la
création de deux grandes
filières, l'une administrative et technique, l'autre consacrée au
droit et à la procédure
. Cette proposition a
été reprise devant la mission par le Syndicat des greffiers de
France mais a suscité l'opposition de l'Union syndicale autonome
justice, attachée à la polyvalence des agents
89(
*
)
.
La direction des services judiciaires a élaboré un
référentiel des métiers de greffe
, destiné
à favoriser une gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences.
Ce document volumineux, qui sera prochainement diffusé sur le
réseau intranet-justice, recense pour chaque fonction-type les
activités, le niveau d'autonomie, le degré de technicité
et les compétences exigés de l'agent.
La mise en place de filières aurait pour avantages d'assurer un
réel professionnalisme, la continuité dans l'accomplissement des
tâches, une répartition plus claire des rôles au sein de
l'institution judiciaire et une meilleure formation. Elle offrirait aux
greffiers en chef et aux greffiers la possibilité d'être mieux
reconnus et valorisés dans les domaines juridique et administratif.
Une filiarisation intégrale semble toutefois difficile à mettre
en oeuvre en raison non seulement du manque de moyens de l'institution
judiciaire mais également de la faible mobilité des personnels,
du risque d'un cloisonnement des métiers et «
d'un certain
élitisme dans le corps des greffiers en chef, les fonctions de gestion
et d'administration étant considérées par certains comme
des fonctions nobles permettant de faire carrière
», selon
la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes.
La mission considère que, tout en favorisant une
spécialisation progressive des agents au moyen de la formation continue,
il convient de préserver la polyvalence des corps des greffes,
grâce à des passerelles entre les différentes fonctions.
La polyvalence favorise en effet une mobilité professionnelle entre
juridictions et services et un enrichissement des tâches
. Comme le
rappelait un procureur de la République dans sa contribution
écrite aux travaux de la mission : «
Une
évolution des métiers de la justice ne peut s'envisager que si
l'on considère que ces métiers ne sont pas autant de cadres
rigides. Une approche par métiers serait un contresens si elle revenait
à accentuer la spécialisation et à isoler des
filières hermétiques les unes par rapport aux autres, sans
reconnaître le fond commun qui unit les différents corps de
personnels
. »
C. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION PERFECTIBLES
Au cours
de sa visite de l'Ecole nationale des greffes de Dijon
90(
*
)
, la mission a pu mesurer la compétence, le
dynamisme et le dévouement des enseignants et de l'équipe de
direction, leur volonté de dispenser une formation initiale et continue
de qualité aux personnels des greffes.
Malheureusement, le cadre réglementaire dans lequel ils inscrivent leur
action ne leur permet pas de contribuer de manière totalement
satisfaisante à la professionnalisation des métiers.
1. Un recrutement déséquilibré
Le recrutement des fonctionnaires des greffes souffre d'un double défaut : le niveau des candidats est désormais bien supérieur à celui des postes proposés, ce qui est source de déceptions ; les concours sont organisés par à-coups, ce qui nuit à une bonne gestion des effectifs et des carrières.
a) Un niveau d'études de plus en plus élevé
Le
concours externe de recrutement des
greffiers en chef
est ouvert aux
titulaires d'une
licence
ou d'un diplôme équivalent,
âgés de 35 ans au plus tard au 1
er
janvier de
l'année du concours -des reports d'âge sont possibles dans
certains cas. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires justifiant de 4
ans de services publics au 1
er
janvier de l'année du concours.
Le concours externe de recrutement des
greffiers
est ouvert aux
titulaires du
baccalauréat
ou d'une capacité en droit ou
d'un titre équivalent. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires
justifiant de 4 ans de services publics au 1
er
janvier de
l'année du concours.
Selon les statistiques fournies par l'Ecole nationale des greffes,
8,9 % des 493 greffiers stagiaires en 2001 étaient titulaires
d'un diplôme équivalent à bac + 5 ou plus, 49,09 %
d'un diplôme à bac + 4, et 11,36 % d'un diplôme
à bac + 3.
En 2002, 90 % des 350 candidats admis aux concours externes
avaient un niveau d'études supérieur ou égal à
bac + 3.
Un projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et
des greffiers est en cours d'élaboration, prévoyant notamment le
relèvement du niveau de recrutement des greffiers en chef à bac +
4 et des greffiers à bac + 2. Mais l'entrée en vigueur de ce
texte achoppe en raison des conséquences indiciaires d'une telle mesure.
Le relèvement du niveau de recrutement ne ferait que mettre le droit en
adéquation avec les faits et valoriser des métiers d'une grande
technicité. S'agissant des greffiers en chef, il ne semble cependant pas
opportun de porter à bac + 4 ce niveau, dans la mesure où il
dépasserait alors le niveau exigé pour l'entrée à
l'Ecole nationale d'administration et à l'Ecole nationale de la
magistrature (bac + 3).
La mission préconise de rehausser à bac + 2 le niveau de
diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours de
greffier.
b) La nécessité de lisser davantage les recrutements
Par
ailleurs, la mission a pu constater que l'Ecole nationale des greffes
éprouvait des difficultés pour dispenser dans de bonnes
conditions une formation de qualité aux stagiaires recrutés par
la voie de concours exceptionnels.
En effet, la dimension des locaux et le nombre d'enseignants ont
été fixés pour accueillir des promotions de 250 stagiaires
au maximum. Or, 500 greffiers ont été recrutés
en 2001, puis à nouveau 500 en 2002, par la voie de concours
exceptionnels.
Si elle juge nécessaire d'augmenter sensiblement les effectifs des
greffes, la mission ne peut que regretter les
pratiques
de la
Chancellerie
qui voient se succéder des périodes de
recrutement massifs à des périodes d'absence de recrutement
empêchant une bonne gestion des effectifs et des carrières
.
Cette insuffisante maîtrise de la gestion des effectifs, qui ne permet
pas de faire coïncider les départs et les arrivées, engendre
également une désorganisation des services et accroît la
confusion des rôles au sein des juridictions, obligées de pallier
les absences indifféremment par des agents de catégorie B ou C.
La mission rappelle donc la nécessité de lisser davantage les
recrutements des personnels des greffes.
2. Une formation initiale trop courte
En
application de leurs statuts, les greffiers en chef et les greffiers stagiaires
issus des concours externes ou internes reçoivent une formation initiale
à l'Ecole nationale des greffes.
Celle dispensée aux greffiers en chef et aux greffiers recrutés
par concours est actuellement d'une durée de
12 mois
: 4
mois de scolarité à l'Ecole nationale des greffes pour les
greffiers en chef (2 mois pour les greffiers), 7 mois environ de stages
pratiques en juridiction (9 mois pour les greffiers), et 5 semaines de
stage de pré-affectation.
Depuis un arrêté du 5 mars 2001,
les agents et les adjoints
administratifs issus des concours externes bénéficient
également d'une formation initiale
. La durée de cette
formation est de
8 semaines
dont 1 semaine d'enseignement à
l'Ecole nationale des greffes et 7 semaines d'enseignement professionnel et de
stages en juridiction ou services.
La
durée
de la formation initiale dispensée aux personnels
des greffes est manifestement
insuffisante
pour leur permettre
d'acquérir les compétences requises par la diversification et
l'alourdissement de leurs tâches. Les
carences
de
l'enseignement sont particulièrement évidentes
en
matière de gestion et d'informatique
, en dépit des efforts
fournis par l'Ecole, car les stagiaires sont généralement issus
des facultés de droit.
Le projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et
des greffiers précité prévoit, outre le relèvement
du niveau de recrutement,
l'allongement de la
formation initiale
à 18 mois
.
La mission insiste sur la nécessité de réaliser cette
réforme dans les plus brefs délais et d'y associer davantage
l'Ecole nationale des greffes, qui dispose d'une capacité d'expertise
indéniable.
L'allongement de la durée de la formation initiale permettra de
professionnaliser davantage les personnels, notamment dans les techniques
d'organisation et de gestion.
Il importe également de
valoriser les fonctions de maître de
conférence et de formateur à l'Ecole nationale des greffes
en
favorisant la carrière de ceux qui y consacrent une partie de leur vie
professionnelle et en reconnaissant la vocation des greffiers à exercer
des fonctions d'enseignement, reconnaissance qui leur est sans doute
refusée en raison de ses conséquences indiciaires. De plus, la
scolarité doit être relayée sur le terrain par des
maîtres de stage choisis et formés par l'Ecole nationale des
greffes.
Enfin, comme l'a suggéré M. Jacques Fayen, directeur de
l'Ecole, il conviendrait d'instituer un examen de sortie ou un tableau
d'aptitude afin que les affectations tiennent davantage compte des aptitudes de
l'agent à occuper tel ou tel poste, plutôt que de son rang de
classement, et ne reposent plus sur des critères essentiellement
géographiques.
La mission préconise d'allonger la durée de la formation
initiale, de valoriser les fonctions d'enseignant à l'École
nationale des greffes dans la gestion des carrières et de tenir
davantage compte des aptitudes des stagiaires aux différents postes
proposés pour les affectations à la sortie de l'Ecole.
Elle recommande également un accroissement des liens entre
l'École nationale des greffes et l'École nationale de la
magistrature en vue de formations croisées.
3. La nécessité de développer des formations continues obligatoires
La
formation continue des personnels des greffes repose depuis trop longtemps sur
le volontariat.
Durant leur carrière les greffiers en chef et les greffiers peuvent,
s'ils le souhaitent, participer à des sessions de formation permanente
organisées à l'échelon national par l'Ecole nationale des
greffes ou à l'échelon régional par les greffiers en chef
formateurs régionaux.
Toutefois, en début de carrière, la formation permanente
revêt un caractère obligatoire. En effet, en application d'un
arrêté du 16 mars 1993 et conformément à leur statut
particulier, les greffiers en chef et les greffiers doivent recevoir dans les
deux ans qui suivent leur titularisation une formation d'une durée de
deux mois (un mois pour les greffiers) dans l'une des quatre
spécialités suivantes :
« direction-administration », « droit et
procédures », « communication et
technologies » ou « enseignement professionnel »
(« acte de la juridiction »,
« encadrement-gestion », « accueil » ou
« informatique » pour les greffiers).
Selon l'équipe de direction de l'Ecole nationale des greffes, ces
spécialités n'ont pas véritablement répondu au
double objectif qui leur était assigné : obtenir un
allongement de la formation initiale et accroître la professionnalisation
des agents, sans pour autant remettre en cause leur polyvalence. En effet, les
greffiers en chef et les greffiers recherchent une formation de
pré-affectation et choisissent leur spécialité en
l'absence de toute perspective de carrière.
Le projet de réforme du statut des greffiers en chef et des greffiers
précité comporte la
suppression des
spécialités
au profit d'une formation continue obligatoire de
10 jours par an pendant 5 ans.
Enfin,
les greffiers en chef et les greffiers peuvent être astreints
à une obligation de formation, notamment en cas de changement
d'affectation
91(
*
)
. Cette disposition
reçoit une application pour les nominations dans certaines fonctions, en
particulier dans les services administratifs régionaux.
Dans la perspective d'une professionnalisation accrue des greffes,
la
mission préconise de développer les formations obligatoires
d'adaptation aux postes pour l'ensemble des catégories de personnels
.
Le mal-être des magistrats et des fonctionnaires des greffes ainsi
analysé est d'autant plus grand qu'ils doivent désormais
s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement des juridictions, à
de nouvelles méthodes de travail, destinés à
répondre à un contentieux croissant et complexe ainsi qu'à
la demande pressante des usagers de la justice d'un meilleur accès au
droit.
III. DE NOUVEAUX MODES DE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS
A. DES RELATIONS PARFOIS CONFLICTUELLES
La
question de la dégradation des relations au sein des juridictions
apparaît à bien des égards comme un poncif : quelle
communauté n'est pas en proie à des tensions, des frustrations,
des rancunes ?
Elle semble pourtant incontournable tant les auditions et les
déplacements réalisés par la mission et les enquêtes
diligentées par la Chancellerie se rejoignent pour mettre en
lumière un manque de dialogue social, une faible implication des
magistrats et une association insuffisante des agents des greffes au
fonctionnement des juridictions.
1. Le manque de dialogue social : un lieu-commun
Si des
dissensions existent entre les différentes catégories de
fonctionnaires, elles s'estompent généralement dans des
revendications communes face aux magistrats.
Les fonctionnaires des greffes souffrent d'un manque de considération
alors qu'ils éprouvent le sentiment, comme l'indiquait l'Union syndicale
autonome justice de «
faire la carrière des
magistrats
». Une greffière rencontrée par la
mission lors de l'un de ses déplacements dénonçait ainsi
le mépris dans lequel les magistrats tenaient «
le
personnel
» de la juridiction.
Le syndicat C-Justice a toutefois fait observer que les magistrats apportaient
une aide aux agents de catégorie C dans leurs relations parfois tendues
avec leur encadrement, c'est-à-dire les greffiers en chef et les
greffiers.
Le rapport de l'inspection générale des services judiciaires sur
la communication et le dialogue social remis à la garde des Sceaux en
juin 2001 confirme ces impressions.
Il relève en outre que «
le double rattachement fonctionnel
et hiérarchique des fonctionnaires des greffes est de plus en plus
ressenti comme une difficulté. Les agents expriment leur embarras
à être tiraillés entre la loyauté qu'ils doivent
à leur supérieur hiérarchique, le greffier en chef, et les
exigences d'un magistrat avec lequel ils travaillent
quotidiennement
».
A la différence des fonctionnaires des greffes, les
magistrats
semblent
peu impliqués dans la vie de leur juridiction
et ne
pas souhaiter être davantage associés aux décisions
concernant son fonctionnement.
Beaucoup considèrent ainsi que leur
métier se limite au traitement des affaires dont ils ont la charge
.
Cette faible implication, relevée par l'inspection
générale des services judiciaires, a été vivement
regrettée par l'un des magistrats du pôle économique et
financier du tribunal de grande instance de Marseille dans lequel s'est rendue
une délégation de la mission.
Ce malaise indéniable puise ses racines dans les méthodes
traditionnelles de travail des magistrats, solitaires mais fortement
dépendantes des greffes, dans le cloisonnement des corps de
fonctionnaires des services judiciaires, dans le rapprochement des niveaux de
formation et de diplôme qui rend moins légitime la
différence de statut, de rémunération et de pouvoirs,
enfin dans l'alourdissement des tâches dû à la montée
des contentieux et à la complication des procédures.
La difficile mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction
du temps de travail dans les juridictions a contribué à aviver
ces tensions.
2. La difficile mise en oeuvre des trente-cinq heures
L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) ont été mis en place dans la fonction publique, et donc dans les juridictions, à partir du 1 er janvier 2002 selon les conditions fixées par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000.
a) Des jours de repos supplémentaires en contrepartie d'un élargissement des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers
Depuis
le 1
er
janvier 2002, tous les
personnels des greffes
bénéficient d'une
durée annuelle de travail de 1.600
heures
pour un agent à temps complet. Cinq jours de repos annuels
ont été accordés en contrepartie d'un élargissement
des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers et d'une organisation du
temps de travail en cycles hebdomadaires.
De leur côté, les
magistrats
de l'ordre judiciaire
exerçant leurs fonctions en juridiction et à l'Ecole nationale
des greffes sont soumis à un
régime forfaitaire de temps de
travail
. Ils bénéficient chaque année de 45 jours
de repos dont 25 jours de congés annuels réglementaires, non
compris les 2 jours de fractionnement, et de 20 jours de réduction
du temps de travail
92(
*
)
.
Comme le soulignait notre regrettée collègue Dinah Derycke dans
son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté au
nom de la commission des Lois
93(
*
)
, les
organisations syndicales de fonctionnaires et de magistrats ont estimé
insuffisantes les mesures d'accompagnement prévues
94(
*
)
et déploré tant les modalités
d'application des trente-cinq heures proposées par la Chancellerie, que
la méthode de consultation retenue
95(
*
)
,
soulignant le manque de dialogue social.
La mission a pu constater
au cours de chacun de ses déplacements
que
la mise en oeuvre des trente-cinq heures perturbait le
fonctionnement des juridictions
.
b) Un fonctionnement des juridictions perturbé
Des
chefs de cour et des magistrats ont déploré une
moins grande
disponibilité, un changement d'état d'esprit
des
fonctionnaires dont les yeux seraient désormais rivés sur
l'horloge.
Un premier président de cour d'appel a fait état, dans une
contribution écrite remise à la mission, «
du
décalage qui tend à se créer entre le rythme de travail
respectif des magistrats et des greffiers qui a été encore accru
par la mise en oeuvre de l'ARTT
. »
Les personnels des greffes, quant à eux, se sont plaints des
charges
de travail supplémentaires
induites par l'allongement des heures
d'ouverture des juridictions en contrepartie de congés
supplémentaires.
Dans une contribution écrite aux travaux de la mission,
M. Dominique Matagrin, président de l'Association professionnelle
des magistrats (APM) a relevé que «
l'expérience
dira ce qu'il en est vraiment mais, en dehors de complications liées non
à l'organisation du travail des magistrats mais à celle de leurs
collaborateurs - ce qui n'est pas indifférent pour le service dans son
ensemble, évidemment ! -, les trente-cinq heures ne changent pas
grand chose pour nos collègues qui, à juste titre, ont
été considérés comme relevant des fonctions de
conception et d'encadrement bénéficiant d'une compensation
forfaitaire et qui, de toutes façons, sont bien au-delà des
trente-cinq heures (....).
«
Pour l'immense majorité, l'attribution de jours de
congés supplémentaires ne fait que consacrer des pratiques
anciennes qui permettaient aux magistrats, outre les congés auxquels ils
ont droit comme tout un chacun, de se mettre à jour dans leur travail en
profitant de périodes de service dit allégé
(...)
».
Si elle ne doit pas être dramatisée, la
dégradation des
relations
entre les magistrats et les fonctionnaires au sein des
juridictions semble bien
réelle
et
appelle des réponses
rapides
.
3. Renouer les fils du dialogue
Face
à un tel constat, la Chancellerie a engagé une réflexion
en proposant, notamment, la création d'organismes régionaux de
participation communs aux magistrats et aux fonctionnaires des services
judiciaires.
Elle a également créé récemment, au sein du
ministère, un poste de directeur de projet chargé de promouvoir
le dialogue social et d'améliorer la gestion des ressources humaines,
qu'elle a confié à Mme Marie-Dominique Soumet,
administrateur civil
96(
*
)
.
Cependant, comme l'a relevé l'inspection générale des
services judiciaires, les instances de dialogue, assemblées
générales
97(
*
)
et
commissions
98(
*
)
, existent déjà au
sein des juridictions même si elles demeurent
«
sous-employées
».
Entre les juridictions, les organes de dialogue social
déconcentré restent méconnus, les comités
techniques paritaires des services judiciaires et les comités
d'hygiène et de sécurité départementaux
apparaissant comme le «
seul espace de dialogue
social
». Selon l'inspection, rares seraient les réunions
conjointes entre magistrats ou entre chefs de greffe des cours d'appel et des
tribunaux de grande instance.
Il semble donc inutile de créer de nouvelles structures qui seraient
vouées à un sort identique en l'absence d'évolution des
mentalités.
La mission considère que l'amélioration du dialogue social
implique de mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au
management et de développer les sessions de formation communes aux
magistrats et aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de
gestion
.
De telles formations permettent en effet aux uns et aux autres de mieux
connaître leurs exigences et leurs contraintes respectives. Elles doivent
contribuer à l'adoption d'une nouvelle organisation du travail.
B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS
Au cours
de ses déplacements et de ses auditions, la mission a pu constater
l'apparition de nouveaux modes de fonctionnement des juridictions tendant
à promouvoir le travail en équipe et l'aide à la
décision des magistrats, à améliorer l'information de
l'usager et à développer le recours à l'informatique et
aux nouvelles technologies.
De nouveaux métiers se dessinent pour répondre à des
besoins émergents ou mal satisfaits, avec les assistants de justice, les
agents de justice ou encore les techniciens informatiques. Leur statut reste
toutefois extrêmement précaire et doit être revu afin qu'ils
jouent un rôle complémentaire et non concurrent de celui des
fonctionnaires des greffes.
1. Constituer autour du magistrat une équipe chargée de l'assister
Le cloisonnement des services et l'isolement des individus doivent céder la place au travail en équipes chargées d'apporter une véritable aide à la décision des magistrats.
a) Un trop grand cloisonnement
L'organisation actuelle des juridictions et les méthodes
traditionnelles de travail des magistrats ne sont plus adaptées pour
répondre à un contentieux croissant et complexe, aux exigences
des justiciables de décisions rapides et de qualité, au
défi lancé par des auxiliaires de justice regroupés en
cabinets performants.
Un
hiatus
s'est formé
entre la façon de travailler,
artisanale et solitaire du magistrat
, enfermé dans son cabinet,
plongé dans ses dossiers et préoccupé par le seul souci
d'évacuer ses affaires,
et la nécessité de
répondre à un contentieux
qui revêt aujourd'hui un
caractère
« industriel ».
La réduction progressive des décisions collégiales et le
développement de l'informatique risquent de favoriser cette tendance
à l'isolement, au repliement sur soi qui caractérise encore
certains comportements.
L'organisation actuelle des juridictions ne permet pas toujours aux
fonctionnaires de s'impliquer dans leur travail et de suivre une
procédure depuis son enregistrement jusqu'à sa clôture.
Le cloisonnement des services conduit à une perte
d'intérêt pour le métier et à la routine
.
Indépendamment du nécessaire renforcement des moyens de
l'institution judiciaire, il convient donc de conduire une
réflexion
sur la notion de services et sur le découpage des juridictions en
chambres afin de favoriser la constitution d'équipes autour des
magistrats
, sans pour autant provoquer une balkanisation de
l'organisation.
b) La nécessité d'apporter aux magistrats une aide à la décision
Les
magistrats entendus par la mission ont unanimement fait part de leur
besoin
de disposer
, en sus de greffiers et de secrétaires,
de
collaborateurs de haut niveau
capables d'effectuer des recherches
documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de
jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois,
des projets de décision.
Ils seraient ainsi à même d'endiguer les flux d'affaires
nouvelles, de résorber les stocks, de rendre des décisions de
meilleure qualité et d'être mieux préparés face aux
cabinets d'avocats.
Comme le relevait M. Jean-Louis Castagnède, président de
chambre à la cour d'appel de Bordeaux, la nécessité de
traiter rapidement les dossiers ne doit pas se traduire par une moindre
écoute des justiciables et une motivation insuffisante des jugements. En
effet,
les citoyens sont prêts à accepter une décision
défavorable à la condition d'en comprendre les raisons et d'avoir
le sentiment d'avoir été entendus
.
c) La création des assistants de justice
A
l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon, la loi
n° 95-125 du 8 février 1995, relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile,
pénale et administrative, a autorisé le recrutement d'assistants
de justice auprès des tribunaux d'instance, des tribunaux de grande
instance et des cours d'appel
99(
*
)
.
La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des
magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a étendu
cette faculté à la Cour de cassation.
Recrutés pour une période de
deux ans
,
renouvelable une
fois
, parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant quatre
années d'études supérieures en matière juridique,
ces assistants sont chargés, sous réserve de certaines
incompatibilités, d'
apporter leur concours aux magistrats du
siège et du parquet
, d'effectuer des recherches documentaires, des
analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes
de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de
décision sur les instructions et les indications des magistrats.
Leur recrutement et leur gestion sont déconcentrés au niveau des
cours d'appel. Ils perçoivent des vacations horaires
100(
*
)
dont le nombre ne peut excéder 80 par mois et
720 par an. Ils étaient
1.232
au 1
er
janvier 2002.
Le
profil type
d'un assistant de justice est celui d'un étudiant,
ou plutôt d'une
étudiante
, titulaire le plus souvent d'un
diplôme de troisième cycle universitaire
en fin de parcours
ou venant de quitter l'université.
Les magistrats rencontrés par la mission ont exprimé leur
satisfaction
d'avoir à leurs côtés des
collaborateurs de valeur qui leur apportent un
soutien précieux dans
la préparation des décisions
.
De leur côté, les assistants de justice rencontrés à
Bordeaux apprécient la diversité des tâches qui leur sont
confiées, le rapport de confiance qu'ils nouent avec le magistrat et
l'expérience qu'ils acquièrent. Ils éprouvent le
sentiment de contribuer à l'accélération du traitement des
dossiers.
L'utilité de la fonction est désormais reconnue de tous
.
En revanche, les magistrats déplorent le
fort taux de rotation des
assistants de justice
, qui mettent rapidement un terme à leur
contrat soit parce qu'ils ont été reçus à un
concours de la fonction publique soit parce qu'ils ont trouvé un emploi
durable dans le secteur privé. Ils jugent regrettable de devoir sans
cesse consacrer du temps et des efforts à la formation d'assistants
éphémères.
Une vice-présidente de tribunal de grande instance chargée d'un
tribunal d'instance indiquait ainsi dans une contribution écrite
adressée à la mission : «
Le système
actuel d'assistance du juge n'est pas satisfaisant. L'assistant de justice est
recruté et affecté sans transparence suffisante. Son
utilité reste limitée et précaire. Le juge doit passer
beaucoup de temps à le former s'il souhaite le rendre apte à
rédiger des projets de décision et cette formation n'est pas
rentabilisée eu égard à la brièveté du
contrat de l'assistant dont le terme est fréquemment anticipé
pour des raisons liées à la modification de son parcours
universitaire ou professionnel
. »
De leur côté, les assistants de justice, du moins ceux
rencontrés à Bordeaux, s'inquiètent de la
précarité de leur statut, en particulier de
l'
impossibilité de prolonger leur contrat au-delà de quatre
ans
, et de la
faiblesse de leur rémunération
;
ils souffrent parfois d'un manque de reconnaissance au sein de la juridiction
et aspirent à pouvoir se présenter aux concours internes de la
fonction publique
101(
*
)
.
Enfin, les organisations représentatives des personnels des greffes
s'inquiètent de voir exercer par d'autres des fonctions dont elles
considèrent qu'elles relèvent de la compétence des
greffiers en chef ou même des greffiers.
d) Les pistes de réforme
La
mission s'est donc interrogée sur les pistes de réforme
susceptibles d'être envisagées pour
pérenniser cette
fonction
indispensable d'aide à la décision du
magistrat
102(
*
)
.
Une première piste pourrait consister dans la
création d'un
nouveau corps de fonctionnaires
, intermédiaire entre les magistrats
et les greffiers en chef, inspiré du
Rechtspfleger
allemand
103(
*
)
. M. Marc Moinard,
procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, a
toutefois rappelé à une délégation de la mission
qu'un tel corps avait été créé en 1977 mais que sa
constitution fut rapidement interrompue.
En effet, la création d'un nouveau corps n'irait pas sans
difficultés, confusions et tensions : opposition des greffiers en
chef et des greffiers, risque de perte de compétence des assistants de
justice, qui sont actuellement des étudiants de haut niveau, risque
d'une magistrature à deux vitesses composée, d'un
côté, d'étudiants ayant réussi les concours
externes, de l'autre, d'anciens assistants de justice ayant
échoué au concours de l'Ecole nationale de la magistrature mais
bénéficiant d'une intégration directe. M. Marc
Moinard a ainsi précisé qu'actuellement la commission
d'avancement
104(
*
)
était très
réticente à accorder le bénéfice de
l'intégration directe à des assistants de justice.
Plutôt que de créer un nouveau corps de fonctionnaires, la
mission estime qu'il convient de doter les assistants de justice d'un statut
plus attractif, pour les étudiants et les magistrats, en allongeant le
nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions, en revalorisant le
montant des vacations horaires et en créant des passerelles vers la
magistrature. Ainsi les magistrats français pourraient-ils
bénéficier de collaborateurs de qualité, à
plein-temps ou à mi-temps s'il s'agit d'étudiants, sur le
modèle des référendaires à la Cour de justice des
Communautés européennes.
Cette proposition se trouve confortée par les propos qu'a tenus
M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, devant
la mission : «
il conviendrait de reprendre à
notre compte ce que connaissent les juridictions de common law avec ce qu'on
appelle les clerks. Ainsi, à la Cour suprême du Canada, chaque
juge dispose d'un groupe de cinq ou six clerks qu'il recrute lui-même
directement. Ces clerks restent auprès de ce juge pendant quatre ans, et
au bout de ces quatre ans, ils parviennent très facilement à
trouver un emploi valorisé dans un contentieux qu'ils auront
pratiqué
.
«
Si l'on veut donner de bons collaborateurs aux juges, il faut,
me semble-t-il, aller dans ce sens, car ces jeunes juristes connaissent bien la
jurisprudence : ils sont formés au nouveau droit, ils ont envie de
travailler et de valoriser leurs fonctions, ils sont très actifs.
D'ailleurs, à ce sujet, certaines expériences sont très
positives, je pense aux référendaires à la Cour de justice
des Communautés européennes, notamment
. »
Pour autant,
la mission considère que l'amélioration du
statut des assistants de justice ne doit pas conduire à écarter
les greffiers en chef et les greffiers des fonctions d'aide à la
décision des magistrats
.
Certes, les greffiers en chef s'étaient opposés, au milieu des
années 1980, à la création de deux filières au sein
de leur corps, l'une administrative, l'autre juridictionnelle,
«
ratant peut-être le coche
» selon
l'expression de M. Marc Moinard.
Le premier président de la cour d'appel de Lyon portait un jugement
encore plus sévère en indiquant à la mission :
«
avec l'introduction de l'informatique dans les juridictions, les
greffiers sont de plus en plus déchargés de la dactylographie des
jugements et arrêts, mission qu'ils acceptent d'ailleurs avec
réticences et qui a tendance à être remplie par les
magistrats. Cette mutation est de nature à compromettre l'avenir de la
profession de greffier qui, à terme, risque de devenir inutile. Pour
autant, on constate trop d'hésitation de la part des greffiers à
s'investir, aux côtés des magistrats et sous leur contrôle,
dans une mission d'aide à la décision qui aurait pu correspondre
à celle qui a finalement été dévolue aux assistants
de justice
. »
Toutefois, comme il l'a été indiqué, leur niveau s'est
élevé depuis plusieurs années, un grand nombre d'entre eux
détenant des diplômes du troisième cycle universitaire, et
beaucoup préfèreraient se consacrer à ces tâches
juridiques plutôt qu'à la gestion.
Telle est la raison pour laquelle, la mission approuve la proposition de la
commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes de créer des fonctions de greffier en chef
référendaire et de greffier rédacteur,
complémentaire des assistants de justice.
Il s'agit de permettre aux greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des
fonctions d'aide à la décision des magistrats, actuellement
dévolues aux assistants de justice.
2. Améliorer l'information du justiciable
Organisées en services trop cloisonnés, les juridictions semblent également encore insuffisamment ouvertes sur les justiciables. Essentielles, les fonctions d'accueil sont actuellement occupées par les agents de justice, emplois-jeunes au statut précaire, et non par des greffiers. Par ailleurs, des services de communication devraient être créés pour donner des informations sur les procédures en cours.
a) L'exercice des fonctions d'accueil par des agents de justice : un pis-aller
Dans le
cadre de la mission « emplois-jeunes », la direction des
services judiciaires s'est engagée, en 1999, à recruter sous
contrat de droit public 1.050 agents de justice, âgés de 18
à 26 ans, pour une durée de 5 ans.
Ces agents assurent des fonctions d'accueil dans les juridictions, dans les
maisons de justice et du droit et au sein des conseils départementaux
d'accès au droit. Souvent, ils se voient également confier des
tâches de correspondant informatique local ou remplissent l'ensemble des
fonctions dévolues aux personnels de bureau. Ils
bénéficient du tutorat d'un fonctionnaire
expérimenté et d'une formation.
Le plan de recrutement de ces agents est presque achevé
105(
*
)
. Il ressort d'une enquête portant sur 279
personnes, effectuée fin septembre 2000, que 58,73 % de ces agents
déclaraient un niveau de formation égal ou supérieur
à bac + 2. La délégation de la mission qui s'est rendue
à Bordeaux a pu constater que cette proportion était comparable
parmi les agents de justice qu'elle a rencontrés.
Cette situation révèle les
insuffisances des structures
d'accueil des usagers de la justice dans nos juridictions
.
La notion même de service public impose aux administrations la mise en
oeuvre d'une politique d'accueil performante. Cette exigence est encore plus
forte pour le service public de la justice en raison de la complexité
des procédures, de la multiplicité des contentieux et du contexte
économique et social.
Telle est la raison pour laquelle, le décret n° 92-414 du 30
avril 1992 précité consacre la vocation des greffiers à
exercer des fonctions d'accueil, et la circulaire n° 83-70 du 2
août 1983 confie la mission d'accueil du public, sous le contrôle
des chefs de juridiction et des greffiers en chef, aux greffiers
possédant une grande connaissance de la juridiction et une culture
juridique de bon niveau.
Le
recrutement d'agents de justice
pour exercer des fonctions d'accueil
apparaît à bien des égards comme un
palliatif devant
l'insuffisance des effectifs de greffiers
et soulève donc des
interrogations de principe. En tout état de cause, il convient de
leur dispenser une formation solide.
Enfin, à l'instar des autres emplois-jeunes, les agents de justice se
trouvent dans une situation de grande précarité puisque leur sort
à l'issue de leur contrat de 5 ans reste incertain.
Les juridictions s'en inquiètent, comme en témoigne la
contribution d'un procureur de la République : «
une
préoccupation particulière concerne les agents de justice dont le
contrat viendra à expiration prochainement (pour les premiers au
printemps 2003) : qu'adviendra-t-il de ces personnes qui, localement, ont
acquis une expérience, une connaissance et un réseau de
correspondants ? Qu'adviendra-t-il également des contrats en
cause : seront-ils reconduits ou repris et par qui ? Il y a lieu
d'être très inquiet sur le devenir de ces jeunes et des contrats
correspondants. En effet, les communes qui les prenaient financièrement
en charge refusent de pourvoir les postes vacants (lorsqu'un agent
démissionne après avoir réussi à un concours) pour
ne pas avoir à supporter la charge ultérieure de l'indemnisation
chômage des agents en fin de contrat
. »
b) Les guichets uniques des greffes : une expérience à développer
La
mission juge également indispensable de développer
l'expérimentation réussie
d'un guichet unique des greffes
(GUG) lancée en 1998. Elle a concerné
cinq sites
pilotes
: Angoulême, Compiègne, Limoges, Nîmes et
Rennes, et vise à simplifier les démarches du justiciable. Elle
consiste à offrir un
point d'accueil centralisé et un point
d'entrée procédural
pour l'ensemble des juridictions
situées sur un même site.
Ce guichet unique permet à tout citoyen de recevoir des informations
précises, d'avoir la possibilité de recourir à des modes
diversifiés de règlement des différends, d'être
orienté vers des professionnels spécialisés et des
instances de conciliation et de médiation, d'introduire une
requête à l'occasion d'une affaire dispensée de
ministère d'avocat, d'être renseigné sur le
déroulement de la procédure et de former un recours.
Une enquête de satisfaction fait état de la réussite de
cette expérimentation tant du point de vue du justiciable que des
magistrats et fonctionnaires. Ces GUG ont permis des gains de
productivité en raison des tâches transférées
à l'accueil. D'autres cours d'appel ont donc mis en place des services
analogues (Agen, Douai, Toulouse, Versailles...). De nouvelles
expérimentations sont prévues en 2002, notamment à
Aix-en-Provence, Bordeaux, Dijon et Fort de France.
c) La communication externe
L'information des citoyens
est actuellement
rendue
difficile par la multiplicité des réformes
, la
désinformation liée aux affaires pénales
médiatisées,
le silence dans lequel les magistrats doivent se
cantonner
alors que les parties utilisent tous les moyens de communication
pour n'exprimer que des points de vue au procès.
Cette information est d'autant plus nécessaire que nos concitoyens
éprouvent un
sentiment d'incompréhension
devant la
complexité
des institutions judiciaires et la
technicité
du langage juridique.
Telle est la raison pour laquelle, outre l'amélioration des fonctions
d'accueil,
la mission juge indispensable de doter chaque cour d'appel d'un
service de la communication, placé sous la responsabilité d'un
magistrat et composé d'une équipe qualifiée
.
M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel, a indiqué que les cours
d'appel de Paris et de Rennes avaient déjà institué des
chargés de communication. Il s'est déclaré favorable
à ces initiatives et a prôné leur
généralisation.
L'informatique et les nouvelles technologies de l'information constituent
également des supports de communication performants appelés
à se développer.
3. Développer l'informatique et les nouvelles technologies de l'information
L'informatisation et le recours aux nouvelles technologies de
l'information constituent un enjeu majeur pour la modernisation du
ministère de la justice. Ils devraient modifier en profondeur l'exercice
des métiers, le micro-ordinateur reléguant dans le musée
de l'histoire la plume d'oie illustrée par Honoré Daumier.
Pour l'instant leur impact reste limité en raison des disparités
importantes suivant les cours et les juridictions et du manque de techniciens
qualifiés.
Il convient de veiller à ce que les nouvelles technologies deviennent un
instrument de décloisonnement entre les services, d'ouverture des
juridictions sur l'extérieur et non d'isolement des magistrats et des
fonctionnaires.
a) Les conséquences de l'informatisation sur le fonctionnement interne des juridictions
En
octobre 1998 a été engagée la mise en place d'un
réseau intranet ministériel
, le réseau privé
virtuel justice (RPVJ). Elle se poursuit aujourd'hui avec la création de
sites documentaires et d'application partagés entre l'administration
centrale et les services déconcentrés.
Mme Catherine Trochain, première présidente de la cour
d'appel de Caen, présidente de la Commission de l'informatique, des
réseaux et de la communication électronique (COMIRCE) a
indiqué à la mission que 25.000 agents du ministère
étaient actuellement connectés à l'intranet-justice,
l'objectif étant de permettre à l'ensemble des personnels d'y
accéder.
Les nouvelles technologies de l'information permettent de décloisonner
le fonctionnement des services, de
favoriser l'échange
et
d'ouvrir la voie au
travail en équipe
. Elles induisent un
changement des méthodes de travail
des magistrats et des
personnels des greffes et deviennent un
instrument du dialogue social
au
sein des juridictions : frappe de leurs jugements par les magistrats et
simple mise en forme par les greffes, forums de discussion, gestion de
courriers commune à plusieurs services, gestion de la liste des experts
judiciaires...
M. Joël Rech, représentant du syndicat des greffiers de
France, a indiqué à la mission que le
télétravail «
permettrait aux agents de demeurer
dans leur juridiction, tout en apportant un secours ponctuel aux agents
d'autres juridictions, ne serait-ce que pour effectuer des tâches
purement administratives comme la frappe des décisions
. »
Peut-être les nouvelles technologies de l'information affecteront-elles
également les
relations hiérarchiques
au sein des
juridictions
? En effet, avec la mise en ligne des circulaires et
de la documentation, les chefs de cour et de juridiction verront s'affaiblir
leur rôle d'intermédiaire entre la Chancellerie et les services
judiciaires.
Ces modifications sont parfois mal vécues, tant par les magistrats qui
se refusent à utiliser eux-mêmes l'ordinateur, que par les
fonctionnaires des greffes qui se sentent menacés.
L'informatique doit également permettre d'établir des indicateurs
permettant de contribuer à une meilleure allocation des ressources des
juridictions et d'offrir une meilleure qualité du service public de la
justice
Enfin, une réflexion est en cours en vue d'assurer
l'interopérabilité des systèmes informatiques des
différents ministères afin que ce décloisonnement des
structures concerne l'ensemble de l'administration. A titre d'exemple, la
police et la gendarmerie, qui devront bientôt modifier leurs
équipements, ont constaté que leurs systèmes informatiques
n'étaient pas compatibles. Cette question est essentielle pour les
magistrats, en particulier ceux du parquet, qui entretiennent des relations
permanentes avec les officiers de police judiciaire.
b) Un support performant pour la communication externe
Les
nouvelles technologies devraient favoriser l'accès au droit des citoyens.
Le site web du ministère de la justice constitue un outil de
communication essentiel. Des sites régionaux sont en cours de
développement afin de permettre aux usagers d'obtenir des informations
sur leurs juridictions : cinq cours d'appel et trois tribunaux de grande
instance ont créé leurs propres sites. Des formulaires justice
sont mis en ligne pour faciliter leurs démarches.
Un guichet unique des greffes dématérialisé
dénommé « visio-greffe
106(
*
)
» a été mis en place en mai
2001 dans l'arrondissement du tribunal de grande instance de Limoges,
permettant aux usagers de la justice situés dans des communes
très éloignées du siège du tribunal de grande
instance d'accomplir des actes de greffe, de recevoir des informations sur
l'état d'avancement de leur procédure, de retirer des documents
« officiels » en temps réel, sans se déplacer
et sous le contrôle de fonctionnaires de justice. Une extension de cette
expérimentation doit être entreprise en 2002 dans des zones
rurales de métropole et d'outre mer.
Les nouvelles technologies sont également un
facteur de modernisation
des relations de l'institution judiciaire avec les auxiliaires de justice et
les collectivités locales
.
Il s'agit, dans les domaines civil et pénal, de
réduire les
charges liées à la saisie des données
mais aussi
d'
accélérer le processus d'ensemble du traitement des
affaires
, de garantir la qualité de la transmission entre les
juridictions et leurs partenaires : avocats, huissiers, avoués,
donneurs d'ordre.
Une convention a été signée le 6 décembre 2000 par
le directeur des services judiciaires et le président de la Chambre
nationale des avoués pour relier les réseaux intranets du
ministère et de la profession. L'objectif est d'accélérer
le rythme du procès civil, de réduire les délais de
transmission des actes, de supprimer les déplacements inutiles et les
échanges de courrier superflus.
Une expérimentation doit également être conduite par le
tribunal de grande instance et le barreau de Paris.
Le développement des nouvelles technologiques impose d'assurer la
confidentialité des échanges de données souvent
sensibles ; le ministère de la justice, gardien des libertés
individuelles, ne doit pas perdre de vue cette exigence.
c) La gestion des ressources informatiques
La
réussite de la politique informatique suppose d'y consacrer des
effectifs importants et de qualité. De ce point de vue
des efforts
restent à accomplir
.
De nouveaux métiers sont en germe. Actuellement,
les correspondants
locaux informatiques
sont des greffiers des services administratifs
régionaux et même, fréquemment, des agents de justice.
Dans les juridictions, les greffiers en chef font appel à des
contractuels ou recourent à la sous-traitance pour assurer la
maintenance des équipements.
L'opportunité de créer ou non une filière informatique au
sein des métiers du ministère de la justice fait l'objet d'un
débat. L'externalisation entraîne un abandon des savoir-faire et
pose un problème de confidentialité des données. Le
recrutement de fonctionnaires peut toutefois s'avérer lourd et suppose
la mise en place d'une formation continue de haut niveau.
d) Le « tribunal du futur »
En avril
2000, la Commission de l'informatique, des réseaux et de la
communication électronique a lancé puis piloté une
étude de faisabilité sur « le tribunal du
futur », juridiction intégrant pleinement les nouvelles
technologies. Financée par le Fonds interministériel de
modernisation, l'étude a été confiée à la
société EGL.
Une proposition d'expérimentation a été validée le
27 mars 2002, autour de deux axes : le développement de la
visioconférence et l'installation de bornes interactives.
Le droit européen, largement, et le droit français,
spécifiquement
107(
*
)
, admettent en
l'encadrant le recours à la visioconférence.
Des expérimentations sont actuellement conduites en Grande-Bretagne, en
Suède, en Italie et en Espagne. La Grande-Bretagne a déjà
équipé 125 tribunaux et 75 établissements
pénitentiaires. Un «
criminal justice Act »
de 1988 accordait valeur légale aux témoignages par
visioconférence ; un «
crime and discorder
Act
» de 1998 a imposé au juge, lorsque les moyens sont
disponibles, de justifier la non utilisation de la visioconférence pour
la comparution des détenus portant sur la détention provisoire.
En France, l'expérimentation sera conduite par la cour d'appel de Caen
et le tribunal de grande instance de Lisieux dans le cadre :
- des débats devant les juges des libertés et de la
détention et les juges de l'application des peines ;
- des débats devant les tribunaux correctionnels dans les affaires
portant sur des intérêts civils, c'est-à-dire le
contentieux de l'indemnisation.
Le ministère de la justice a déjà mis en ligne 17
formulaires pour les particuliers et 7 pour les professionnels. Les plus connus
sont ceux qui permettent d'obtenir un extrait du casier judiciaire.
Une expérimentation est en cours consistant à mettre une borne
à la disposition du public dans les commissariats, comportant des
formulaires d'aide au dépôt de plainte pour des infractions
simples et courantes. Les informations saisies par le particulier seront
ensuite reprises par un officier de police judiciaire en vue de la mise en
forme définitive de l'imprimé.
Par ailleurs, la dématérialisation des actes et l'utilisation des
moyens informatiques (présentation par powerpoint) lors des audiences
doivent être encouragées.
Il faudra prendre garde toutefois à ne pas déshumaniser la
justice
.
C. LA GESTION DÉCONCENTRÉE DES JURIDICTIONS
La cour d'appel est aujourd'hui l'échelon déconcentré de gestion des juridictions. Depuis 1996, les chefs de cour bénéficient du concours des services administratifs régionaux. Leur intervention ne va pas toutefois sans susciter des réticences de la part des juridictions. Au sein de ces dernières, la question de la gestion tripartite entre le président, le procureur et le chef de greffe demeure lancinante.
1. Le choix de la cour d'appel comme échelon déconcentré de gestion des juridictions
Dès 1986, le transfert à l'Etat des
compétences
exercées par les collectivités locales pour le fonctionnement et
l'équipement des juridictions du premier degré s'est
accompagné d'une recherche de déconcentration, en ces domaines,
de la préparation budgétaire et de l'exécution de la
dépense.
Ce n'est finalement qu'en 1995, après l'élaboration et l'abandon
de plusieurs schémas d'organisation, que la
cour d'appel
a
définitivement été identifiée comme le
pôle régional de déconcentration pertinent
et que
diverses dispositions ont été prises afin de faciliter son
rôle de synthèse et d'arbitrage.
L'absence d'administration départementale de la justice soulève
de réelles
difficultés de coordination avec les autres
services de l'Etat
, voire avec les autres services du ministère de
la justice, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse et de
l'administration pénitentiaire. Mme Hélène Magliano,
procureur général près la cour d'appel de Dijon, a ainsi
observé que le ressort de sa cour d'appel s'étendait sur trois
départements (Côte d'Or, Saône-et-Loire et Haute-Marne) et
deux régions (Bourgogne et Champagne-Ardenne), ce qui compliquait le
recours aux nouveaux groupements d'intervention régionaux (GIR).
A l'heure actuelle, à l'exception des crédits de
rémunération, la totalité des crédits
nécessaires au fonctionnement des juridictions est
déconcentrée, principalement au niveau des cours d'appel.
Responsables du fonctionnement des juridictions de leur ressort, les chefs de
cour assurent la programmation et la répartition des crédits
délégués dans les domaines de l'équipement
immobilier, du fonctionnement courant, de l'informatique
déconcentrée, des frais de déplacement, de l'entretien
immobilier, de la formation des personnels. Ils sont en outre chargés du
contrôle de gestion des juridictions de leur ressort.
On rappellera que c'est également à l'échelon de la cour
d'appel que sont assurées les gestions administrative et
financière des magistrats et des fonctionnaires des services
judiciaires, organisés les concours de recrutement
régionalisé des fonctionnaires de catégorie B et C des
services judiciaires, recrutés les agents non titulaires (vacataires,
assistants de justice, agents de justice), développées les
relations professionnelles et le dialogue social dans le cadre des
comités techniques paritaires régionaux.
Pour accomplir ces tâches, les chefs de cour peuvent s'appuyer sur des
services administratifs régionaux (SAR).
2. L'affirmation progressive des services administratifs régionaux
Créés par une circulaire du 8 juillet 1996, les
services administratifs régionaux sont placés, dans chaque cour
d'appel, sous l'autorité directe des chefs de cour et dirigés par
un coordonnateur. Ils ont pour fonction de préparer, mettre en oeuvre et
contrôler les actes et décisions de nature administrative
nécessaires à la bonne administration du ressort.
Outre leurs missions traditionnelles dans les domaines de l'
administration
des moyens
et de la
gestion des personnels
, les services
administratifs régionaux sont désormais chargés de la
gestion du
parc informatique
et du
parc immobilier
.
Par ailleurs, depuis 1998, ils se sont vus confier de nouvelles missions de
contrôle des dépenses publiques, en matière de frais de
justice et de gestion des subventions aux associations intervenant dans les
activités pré-sentencielles, d'aide aux victimes et de
médiation civile. Depuis cette date en effet, les chefs de cour
arbitrent les montants des subventions allouées à chacune des
associations de leur ressort intervenant dans ces secteurs.
Les
fonctions de coordonnateur
du service administratif régional
sont partout
exercées par des greffiers en chef
, sauf à la
cour d'appel de Paris et à la cour d'appel de Rennes où elles
sont confiées à des magistrats.
En qualité de responsable du fonctionnement du SAR, le coordonnateur
fédère l'activité d'une équipe composée
principalement de greffiers en chef mais aussi de greffiers dont les fonctions
sont très spécialisées et bien définies : le
responsable de la gestion budgétaire, le responsable de la gestion des
ressources humaines, le responsable de la gestion informatique, assisté
généralement d'un adjoint, le responsable de la gestion de la
formation. Le recrutement de techniciens informatiques
spécialisés a permis la constitution au sein des cours d'appel
d'un relais des centres de prestations régionaux en matière de
maintenance de premier niveau des matériels et des applications
informatiques.
Les juridictions d'un même
arrondissement judiciaire
(ressort d'un
tribunal de grande instance) sont coordonnées au sein d'une
cellule
de gestion
qui, tout en respectant l'autonomie budgétaire de chacune
d'elles, est censée apporter la compétence et le soutien de
personnels compétents. La cellule tient une comptabilité
d'engagement pour chaque juridiction et constitue l'unique interlocuteur du SAR.
Comme le soulignait Mme Danielle Raingeard de la Blétière,
première présidente de la cour d'appel de Dijon dans une
contribution écrite aux travaux de la mission, il convient aujourd'hui
de conduire plus avant la déconcentration de la gestion des
juridictions, en direction de «
l'arrondissement judiciaire qui
est le bon niveau d'émergence des innovations et d'adaptation des
réponses de l'institution au niveau local.
»
Les chefs des tribunaux devraient disposer d'un véritable service
gestionnaire spécialisé renforçant notablement les
équipes des actuelles cellules de gestion
.
Les services administratifs régionaux sont, quant à eux, les
interlocuteurs uniques des préfets des départements, ordonnateurs
secondaires, pour les engagements comptables et mandatements des
dépenses d'intérêt régional, d'intérêt
commun et locales.
La mission observe que le choix du préfet comme ordonnateur
secondaire des dépenses des juridictions, s'il ne semble pas susciter de
difficulté dans la pratique, paraît difficilement compatible avec
le principe d'indépendance de la justice et mériterait
d'être réexaminé
.
Ainsi, la mise en place des services administratifs régionaux
a entraîné une modification de la manière de
gérer les moyens des juridictions. Comme le soulignaient MM. Michel
Vigneron, premier président de la cour d'appel de Bordeaux, et Marc
Moinard, procureur général, elle a contribué à sa
professionnalisation.
La mutualisation
, par exemple en matière de
passation des marchés publics, est
source d'économies et
d'efficacité
tant le droit est complexe.
Toutefois,
cette mutation ne va pas toujours sans difficulté ni
heurt
. La greffière en chef de la cour d'appel de Dijon a ainsi fait
part à la mission de certaines tensions dans ses relations avec le SAR
et de son regret de perdre en autonomie de gestion et en
réactivité. Il est vrai que les moyens du service administratif
régional de la cour d'appel de Dijon semblaient insuffisants pour
répondre à toutes les demandes.
La mission juge donc indispensable de poursuivre le renforcement des
effectifs des services administratifs régionaux pour leur permettre de
faire face à la poursuite de la déconcentration des
crédits.
Elle estime également que le moment est venu de doter les services
administratifs régionaux d'un véritable statut, en inscrivant
leur existence dans le code de l'organisation judiciaire et en
définissant plus précisément leur rôle et leurs
compétences par rapport aux greffes des juridictions
.
La création d'un statut d'emploi des chefs de SAR semble
également nécessaire pour valoriser cette fonction occupée
par des greffiers en chef de qualité mais également l'ouvrir
à des fonctionnaires d'autres administrations, susceptibles de les faire
bénéficier de leur expérience et de leur
compétence, à l'instar de la nomination récente d'une
sous-préfète au poste de secrétaire général
de l'Ecole nationale de la magistrature.
D'après les renseignements fournis par la Chancellerie, un projet de
décret serait en préparation tendant à créer un
poste de secrétaire général de service administratif
régional afin de permettre une ouverture et un choix plus larges de
professionnels de la gestion.
La mission propose, afin de professionnaliser la gestion des juridictions,
de créer un statut de secrétaire général de service
administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers en chef
mais qui serait également ouvert à des fonctionnaires d'autres
administrations.
M. Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation est
allé plus loin en déclarant à la mission que :
«
Donner des pouvoirs de gestion aux greffiers ne me paraît
pas une bonne solution. En effet, sans aller jusqu'à parler
d'opposition, il y a de la méfiance dans les relations de pouvoir entre
les juges et les greffiers. Les juges craignent que les greffiers ne prennent
trop d'importance dans les juridictions et qu'eux ne soient privés non
pas des pouvoirs de gestion mais des pouvoirs d'administration.
Néanmoins, autant il appartient notamment au juge d'affecter les
magistrats dans les chambres, d'administrer la juridiction en réglant
les flux de contentieux, autant il ne devrait pas lui appartenir - et c'est
même un peu contre nature - de faire de la gestion budgétaire
.
«
Il faut donc dégager un corps d'administrateurs des
juridictions indépendant des greffes et des magistrats. Ses membres
devraient avoir la culture et la déontologie des gestionnaires des
juridictions d'Amérique du Nord, qui, eux, sont des magistrats, ou des
administrateurs des juridictions supranationales, c'est-à-dire savoir
gérer une juridiction, mais sur les instructions et sous les ordres d'un
magistrat
. »
Ces remarques, qui portent sur la gestion des juridictions et non sur les seuls
services administratifs régionaux, renvoient à la question
lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs
de greffe.
3. La question lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs de greffe
Aux tensions résultant de l'existence des services administratifs régionaux s'ajoutent en effet les habituelles difficultés liées à la gestion tripartite des juridictions par le premier président de la cour d'appel (ou le président du tribunal de grande instance), le procureur général (ou le procureur de la République) et le chef de greffe.
a) Les ambiguïtés de la gestion tripartite
Les
termes des articles R. 812-1 et R. 812-2 du code de l'organisation
judiciaire qui définissent les responsabilités de chacun sont, il
est vrai, pour le moins ambigus puisque
le greffier en chef exerce ses
attributions
pour partie sous l'autorité et pour partie sous le
contrôle des chefs de juridiction, sans que ces derniers puissent se
substituer à lui
.
Cette ambiguïté subsiste malgré une circulaire du 6 juin
1979 qui analyse la relation hiérarchique entre les chefs de juridiction
et les chefs de greffe : l'autorité constitue le pouvoir d'ordonner
et donc d'établir des orientations et des directives ; l'initiative
des fonctions sous le contrôle des chefs de cour ou de juridiction
revient au greffier en chef, chef de greffe.
Une clarification de ce texte à caractère réglementaire
semble nécessaire. A l'instar des conférences des premiers
présidents de cour d'appel et des procureurs généraux, la
mission considère que les chefs de juridiction devraient conserver
in
fine
le pouvoir de décision, dans la mesure où la
façon de rendre la justice est étroitement dépendante des
moyens accordés.
M. André Ride, président de la Conférence des
procureurs généraux déclarait ainsi devant elle :
«
parce que la mise à disposition des moyens,
forcément limités, d'une juridiction, tant en personnels qu'en
crédits, a une incidence très directe sur la fonction judiciaire
elle-même, dans la poursuite comme dans le jugement, il importe que ces
décisions continuent à être prises dans le cadre de ce
dialogue, et que la décision revienne aux deux chefs de juridiction,
comme le veut la dyarchie qui préside au mode de fonctionnement des
cours et tribunaux et qui garantit que les deux principes qui conditionnent
l'exercice de la justice, la poursuite et le jugement, soient également
pris en considération
. »
En revanche, les chefs de cour ou de juridiction ne devraient pas s'impliquer
dans la gestion au quotidien. Comme le faisait justement observer
Mme Véronique Rodero, présidente de l'Association des
greffiers en chef des tribunaux d'instance, «
les hôpitaux
ne sont pas gérés par les médecins
. »
La mission propose, reprenant en cela les conclusions du rapport de notre
collègue Jean Arthuis au nom de la commission sénatoriale de
contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et
les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité
judiciaire, présidée par notre collègue Hubert
Haenel
108(
*
)
, que les chefs de juridiction
aient autorité sur le fonctionnement des services de leur juridiction et
que, par délégation et sous leur contrôle, le greffier en
chef dirige et gère l'ensemble des services administratifs
.
Pour autant, il est évident qu'indépendamment de toute
clarification textuelle,
la qualité des relations entre chefs de
juridiction et chef de greffe restera la clef d'un bon fonctionnement
.
Comme le rappelait à juste titre M. André Ride :
«
Premier président, procureur général et
greffiers en chef des cours, président, procureur de la
République et greffiers en chef des tribunaux de grande instance se
réunissent de façon constante, que ce soit de manière
informelle ou, de plus en plus souvent, institutionnelle, pour régler
les questions relatives au fonctionnement de la juridiction. »
b) La mise en cause récurrente de la dyarchie
La
dyarchie entre les magistrats du siège et ceux du parquet qui
préside au fonctionnement des cours et des juridictions est
régulièrement dénoncée par les premiers et
revendiquée par les seconds.
La Conférence des premiers présidents de cour d'appel, favorable
à la séparation du siège et du parquet, considère
qu'au nom de l'indépendance de la justice et compte tenu du fait que le
parquet constitue l'une des parties au procès, il ne devrait pas
détenir de pouvoir de décision dans l'allocation des moyens de la
juridiction.
Inversement, les magistrats du parquet sont attachés à conserver
la maîtrise des moyens humains, matériels et financiers
nécessaires à la conduite de leur action.
A la Cour de cassation, comme l'indiquait M. Jean-François
Burgelin, son procureur général, le premier président a
acquis au fil des ans la primauté par rapport au procureur
général : «
Lors des décennies
antérieures, dans le cursus des magistrats responsables de la Cour de
cassation, les premiers présidents étaient traditionnellement
recrutés parmi les procureurs généraux. Tel fut le cas de
nombre de mes prédécesseurs. Quittant leurs fonctions de
procureur général pour devenir premier président, ceux-ci
avaient tendance à « emporter » avec eux les
responsabilités qui leur étaient propres. C'est ainsi que le
centre de documentation de la Cour de cassation, qui ressortissait à
l'autorité du procureur général, dépend maintenant
de la première présidence. Il en est de même du budget de
la Cour de cassation. Ainsi, historiquement s'explique un affaiblissement de
l'autorité administrative du procureur général au profit
de la première présidence. La dyarchie est
déséquilibrée au sein de la cour
. »
Selon le procureur général de la Cour de cassation, sous la
pression de l'Europe, la tendance actuelle irait dans le sens d'une
primauté accrue des premier présidents et présidents
sur les procureurs généraux et procureurs de la
République
.
Après en avoir longtemps débattu, la commission
sénatoriale de contrôle chargée d'examiner les
modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des
services relevant de l'autorité judiciaire avait estimé
«
qu'il convenait de doter chaque juridiction d'un chef unique
- le premier président pour la cour d'appel, le président
pour le tribunal de grande instance - afin d'en faciliter la gestion et de
simplifier les rapports administratifs avec l'extérieur
. »
En contrepartie, elle avait souligné la nécessité de
«
garantir le plus efficacement possible l'indépendance du
parquet en donnant au procureur général et au procureur la pleine
maîtrise des moyens matériels nécessaires à son
activité, c'est-à-dire des locaux, des personnels, une enveloppe
budgétaire autonome, les quelques services en commun faisant l'objet
d'un accord entre le président et le procureur
109(
*
)
. »
La mission n'a pas pris parti sur la question compte tenu de son lien
étroit avec celle du
statut du parquet
.
Dans l'immédiat et en tout état de cause, elle juge
nécessaire de doter les chefs de cour et les chefs de juridiction d'une
«
équipe de cabinet
» animée par un
secrétaire général institutionnalisé et
professionnalisé
.
*
En
quelques années,
les juridictions ont donc vécu
d'indéniables bouleversements
dans leurs modes de fonctionnement.
Cette
mue
, qui n'est pas encore terminée, exige des efforts
d'adaptation importants de la part des magistrats et des fonctionnaires des
greffes. Ceux-ci sont tout à fait capables de les accomplir et
disposés à le faire
pour peu qu'on leur accorde la
considération qu'ils mériten
t. Les lourdeurs imputées
au fonctionnement des services judiciaires sont inhérentes à la
fonction publique dans son ensemble.
Plus généralement, c'est l'ensemble de la communauté
judiciaire qui doit s'adapter aux attentes des citoyens d'une justice plus
simple, plus rapide et plus claire, à l'accroissement et à la
complication des contentieux, à la concurrence européenne et
internationale et à l'évolution des technologies de l'information
et de la communication.
Pour prendre toute la mesure des mutations de la communauté judiciaire,
la mission s'est donc également intéressée à
l'évolution des métiers des auxiliaires de justice qui jouent un
rôle non moins essentiel que les magistrats et les fonctionnaires.
CHAPITRE II
DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
CONFRONTÉS À DES
DIFFICULTÉS MULTIPLES
La
justice ne se réduit aux seuls membres des juridictions. D'autres
acteurs concourent, à l'extérieur de l'institution judiciaire,
à son bon fonctionnement.
Les avocats, les avoués de cour d'appel, les avocats au Conseil d'Etat
et à la Cour de cassation ainsi que les notaires, les huissiers de
justice et les experts judiciaires s'avèrent des partenaires
indispensables à la bonne marche du service public de la justice.
Sensible aux difficultés rencontrées par les magistrats et les
personnels des greffes, la mission d'information n'est pas non plus
restée sourde aux attentes de ces collaborateurs habituels ou
occasionnels des juridictions sur le devenir de leurs professions.
I. LE MALAISE DES AVOCATS
Les
avocats constituent la profession réglementée la plus connue.
Les mouvements de protestation de décembre 2000 et
janvier 2001, principalement liés à l'insuffisance de leur
rétribution au titre de l'aide juridictionnelle, ont
révélé un malaise certain.
Au-delà de ces événements, la mission d'information a pu
constater que cette profession, plus de dix ans après la profonde
réforme du 31 décembre 1990
110(
*
)
, éprouvait des difficultés
d'adaptation, qu'il s'agisse de son évolution sociologique, des
contraintes liées à l'ouverture internationale, de la formation
ou encore des disparités observées dans l'exercice du
métier d'avocat.
A. UNE PROFESSION DÉSORMAIS PLURIELLE
Il paraît aujourd'hui difficile, tant les profils sont multiples, de déterminer le portrait type de l'homme ou de la femme exerçant le métier d'avocat.
1. Une population en augmentation constante et fortement féminisée
D'après les informations fournies par la Chancellerie,
on
recensait au 2 janvier 2001
38.140 avocats
sur l'ensemble
du territoire, dont 32.076 inscrits au tableau
111(
*
)
(84 %) et 6.064 inscrits sur la liste de stage
(16 %). La population des avocats a connu
une forte croissance depuis
dix ans
(ils n'étaient que 29.696 en 1992, soit + 28,4 %).
L'année 2000-2001
marque
l'augmentation la plus sensible
depuis 1996 avec 1.695 avocats supplémentaires, le barreau de Paris
ayant largement contribué à cette évolution
(875 inscrits supplémentaires, soit + 51 %).
Ce nombre est
cependant moins élevé
que dans
la plupart
des pays de l'Union européenne
,
puisqu'on recense plus de
104.000 avocats au Royaume-Uni, plus de 110.000 en Allemagne, l'Italie
détenant le record avec 135.000 avocats
112(
*
)
.
La profession d'avocat, à l'instar de celle de magistrat,
majoritairement exercée par des hommes il y a vingt ans
113(
*
)
, s'est largement
féminisée
, les
femmes représentant 46 % de l'ensemble (17.534).
Cette tendance masque toutefois
des disparités d'un barreau à
l'autre
, le barreau de Versailles se caractérisant par une forte
présence des femmes contrairement à celui de Nantes
(40,9 %). La taille des barreaux ne semble pas constituer un
critère pertinent pour déterminer la proportion de femmes au sein
de la profession
114(
*
)
.
Une accélération de ce mouvement de féminisation
paraît prévisible
,
les femmes représentant
actuellement près de 61 % des avocats stagiaires. Les femmes
inscrites sur la liste de stage ont contribué à la hausse du
nombre d'avocats constatée entre les années 2000 et 2001 à
hauteur de 25 % contre 7 % pour les hommes.
Le tableau ci-dessous résume l'ensemble de ces évolutions :
Evolution du nombre d'avocats inscrits au tableau
et sur
la
liste de stage selon le sexte entre 2000 et 2001
Sexe et catégorie |
2 janvier 2000 |
2 janvier 2001 |
Variation
|
TOTAL
|
36
445
|
38
140
|
4,7
|
HOMMES
|
20
039
|
20
606
|
2,8
|
FEMMES
|
16
406
|
17
534
|
6,9
|
Source : Ministère de la Justice, DACS, Cellule Etudes, « Statistiques sur la profession d'avocat - situation au 2 janvier 2001 ».
2. Les paradoxes de la perception des avocats par les citoyens
Selon Me
Jean-François Dacharry, président du centre régional de
formation professionnelle des avocats (CRFPA) de Bordeaux, l'image de l'avocat
souffrirait d'un
paradoxe
et d'un
décalage
par rapport
à la réalité.
Cette profession ne semble pas bénéficier d'une image très
positive auprès de l'opinion publique. En revanche, les justiciables qui
ont eu affaire à la justice se déclarent
individuellement
satisfaits de leur avocat
.
La récente enquête de
satisfaction effectuée par la Chancellerie auprès des usagers de
la justice le confirme d'ailleurs : «
la grande majorité
des interviewés [...] défendus par un avocat estime que ce
dernier a été honnête (86 %), indispensable
(80 %), que c'est un bon avocat (79 %) qui les a bien
conseillés (76 %) et qui a bien défendu leurs
intérêts (74 %)
115(
*
)
».
L'enquête fait cependant ressortir
une nuance importante.
Selon
que leur avocat a été choisi ou désigné,
rémunéré intégralement par l'usager, le
degré de satisfaction, qui reste néanmoins élevé,
varie. En effet, les usagers bénéficiaires de l'aide
juridictionnelle portent une appréciation plus sévère
à son égard.
Un second paradoxe a été mis en exergue par Me Philippe
Duprat, secrétaire général du CRFPA, selon lequel les
avocats seraient «
les médecins du corps
social
» compte tenu des missions essentielles qui leur sont
confiées depuis toujours :
écouter le client
,
le
comprendre
,
lui proposer une solution technique
. A l'instar du juge,
l'avocat est un artisan, mais aussi un technicien. Cette
réalité
demeure souvent
méconnue
des citoyens,
qui réduisent l'ensemble des professionnels à quelques avocats
médiatiques, minoritaires et peu représentatifs de leurs
confrères.
3. Les voix plurielles d'une même profession
En
France, la profession d'avocat a toujours été structurée
de manière corporative en barreaux autonomes.
En principe, tous les avocats établis près d'un tribunal de
grande instance sont inscrits à un barreau ou ordre, administré
par un Conseil de l'ordre présidé par un bâtonnier
élu pour deux ans, et dont les membres sont élus pour trois ans.
Les principales attributions du barreau sont de nature administrative
(inscription des avocats au barreau, gestion du Conseil de l'ordre),
disciplinaire et réglementaire
116(
*
)
.
Deux organismes représentent la profession d'avocat de longue
date :
le Barreau de Paris
, d'une part, et
la Conférence
des bâtonniers
117(
*
)
,
d'autre
part, qui regroupe les 180 ordres des avocats de province et d'outre-mer.
Comme l'ont souligné Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier de l'ordre
des avocats de Paris, et Me Michel Bénichou, ancien président de
la Conférence des bâtonniers, lors de leur audition, il existe
un lien fort entre ces deux instances
représentatives, qui
partagent le souci d'avoir en commun la gestion des ordres.
Les rivalités qui ont pu exister parfois ont donc cédé le
pas à une réflexion commune et une
concertation
étroite
.
Une troisième instance,
le Conseil national des barreaux
118(
*
)
,
a vu le jour à la suite de
l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1259 du
31 décembre 1990 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques (ayant inséré un article
21-1 dans la loi du 31 décembre 1971).
La création de cet organisme s'explique par la volonté
d'instituer
une représentation nationale
de l'ensemble de la
nouvelle profession issue de la fusion des avocats, hiérarchisés
en ordres, et des conseils juridiques, dotés d'une organisation plus
pyramidale.
Le Conseil national des barreaux joue un rôle
fédérateur
de représentant de la profession
auprès des pouvoirs publics et s'est vu confier des
missions
particulières
en matière
d'harmonisation des règles
et des usages
professionnels, ou encore de
formation
.
Contestée pendant les premières années de son existence
à la fois par le Barreau de Paris et la Conférence des
bâtonniers, cette institution a peu à peu réussi à
trouver sa place dans un système très ancien. D'ailleurs, son
rôle moteur dans le domaine de la formation est reconnu par l'ensemble
des barreaux.
Aujourd'hui
coexistent donc trois instances représentatives
différentes
que la Chancellerie consulte
régulièrement. Des
mécanismes de concertation
se
sont mis en place. Si des positions divergentes se font jour sur certaines
questions sensibles telles que la formation ou encore la représentation
de la profession au plan international, la mission, au cours de l'audition
commune de trois représentants de ces instances, a pu constater
l'entente cordiale
qui régnait dorénavant entre eux.
4. La question des structures d'exercice
a) Une diversification croissante des modes d'exercice
L'exercice individuel a longtemps constitué
le seul
mode
d'exercice autorisé
.
Mais, depuis 1971, de
multiples structures d'exercice en groupe
ont
été organisées par le législateur afin de permettre
aux cabinets d'avocats de se développer et de se moderniser.
Le métier d'avocat peut donc désormais s'exercer de
multiples
façons
. On distingue en effet :
- la collaboration
, réglementée par la loi du
31 décembre 1971
119(
*
)
, qui,
dans la pratique, présente des différences ténues par
rapport au salariat
120(
*
)
. 16 % des
avocats inscrits au tableau exercent leur profession en cette qualité.
Devant le Barreau de Paris, ainsi que devant les autres barreaux, ce mode
d'exercice a connu la plus forte augmentation avec respectivement
+ 10,4 % et + 5,4 %.
La collaboration concerne essentiellement les avocats stagiaires
121(
*
)
qui ont recours à cette forme d'exercice
pendant l'accomplissement de leur stage et donc pour une période
transitoire. Ainsi, les jeunes avocats, qui ne disposent pas des
capacités d'investissement suffisantes, peuvent s'intégrer
à un cabinet d'avocats déjà constitué ;
-
le salariat
122(
*
)
,
introduit par la loi du 31 décembre 1990, qui n'a
rencontré qu'un modeste succès. Compte tenu de la contradiction
évidente entre le statut même de l'avocat,
«
profession libérale et
indépendante
» (article 1
er
de la loi du
31 décembre 1971) et celui du salarié défini
essentiellement par le lien de subordination qui le lie à l'employeur,
le salariat s'est peu développé, puisqu'il concernait seulement
7 % des avocats inscrits au tableau en 2001.
Bien que ce mode d'exercice soit le moins fréquent, il a cependant
marqué la plus forte augmentation devant l'ensemble des barreaux (soit
+ 5,4 %), à l'exception de celui de Paris (+ 1,9 %
seulement) ;
- l'exercice en groupe
sous la forme d'associations d'avocats, la
constitution de sociétés civiles professionnelles, de
sociétés civiles de moyens ou de simples cabinets groupés,
consacré par la loi du 31 décembre 1971.
La loi du 31 décembre 1990 précitée est venue
enrichir ces modes d'exercice en ouvrant la profession d'avocat au droit des
sociétés commerciales. Elle peut désormais être
exercée sous la forme de sociétés civiles professionnelles
d'avocats (SCPA). Une autre loi du 31 décembre 1990
123(
*
)
a également autorisé la
création de sociétés d'exercice libéral.
Parmi les avocats inscrits au tableau, 34 % exercent en qualité
d'associés (11.000 avocats). Cette forme d'exercice est peu
fréquente chez les avocats stagiaires, qui représentent moins de
1 % de l'ensemble des associés, cette proportion ayant
enregistré une forte diminution entre 2000 et 2001.
A l'exception des grands cabinets spécialisés, la
société civile professionnelle constitue la forme majoritaire
d'exercice, comme le montre le graphique ci-dessous :
Cette
répartition s'est peu modifiée depuis 1998. Le
nombre moyen de
groupements
par barreau s'élève à 23.
Le métier d'avocat s'est donc enrichi d'une multiplicité de
structures très variées. Toutefois, cette diversification
des modes d'exercice demeure très théorique compte tenu de la
prégnance de l'exercice à titre individuel, qui reste le
modèle dominant.
b) La prégnance de l'exercice à titre individuel et l'étroitesse des structures d'exercice
La
majorité des avocats inscrits au tableau -soit 42 % de l'ensemble-
exerce à titre individuel
124(
*
)
,
l'exercice en qualité d'associé ne concernant que 34 % de
ces professionnels
125(
*
)
. On observe donc un
net décalage
entre la
diversité des structures
d'exercice consacrée par le législateur
et la
très
grande uniformité des pratiques professionnelles
ancrées dans
un schéma traditionnel.
La Conférence des bâtonniers et le Barreau de Paris ont
regretté cette situation, soulignant que l'étroitesse des
structures d'exercice des cabinets d'avocats ne leur permettait pas d'affronter
efficacement la concurrence.
Cette situation résulte de deux facteurs :
- le
poids des mentalités
explique qu'un grand nombre
d'avocats n'ait pas envisagé de réformer ses structures
d'exercice. Ainsi que l'a indiqué Me Paul-Albert Iweins,
« l
e fonctionnement d'un cabinet d'avocats classique a peu
évolué et repose toujours sur la configuration classique un
avocat - une secrétaire »
;
- les
rigidités statutaires
caractérisant ces
groupements d'exercice
constituent également un
obstacle
à la modernisation de la profession
.
Le caractère transitoire de certaines mesures d'accompagnement fiscal
destinées à favoriser les regroupements ainsi que le
régime fiscal des sociétés civiles professionnelles est
présenté par certains avocats comme une barrière au libre
choix des structures d'exercice.
Les instances représentatives de la profession ont également
pointé le manque de souplesse du statut des sociétés
civiles professionnelles, qui ne permet pas de faire des provisions. La
société d'exercice libéral, qui impose que plus de la
moitié du capital et des droits de vote soit détenue directement
par les professionnels en exercice au sein de la société, n'est
pas non plus à l'abri des critiques.
Ainsi que le souligne la Conférence des bâtonniers,
«
la législation actuelle n'offre pas aux avocats les
instruments nécessaires au développement de leur
cabinet
».
Les avocats rencontrés par la mission se sont néanmoins
réjouis de la possibilité qui leur a été offerte
récemment de créer des
sociétés de holding
par le biais de sociétés de participation financière de
professions libérales. En effet, l'institution par la loi
n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures
urgentes à caractère économique et financier (dite
MURCEF)
126(
*
)
de ce nouveau mode d'exercice
était très attendue par la profession. Il devrait favoriser les
regroupements de capitaux et permettre la déduction fiscale des
intérêts d'emprunt.
Toutefois, cette innovation n'échappe pas aux
critiques
récurrentes liées aux rigidités statutaires
. La
Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux ont
en effet regretté l'impossibilité pour la holding de prendre des
participations dans des cabinets étrangers.
La profession d'avocat, en perpétuelle évolution, est devenue
plus difficile à cerner. Au-delà de sa diversité
manifeste, ce métier paraît affecté par
des
disparités susceptibles de fragiliser sa place au sein de la
communauté judiciaire
,
et plus généralement de
la société
.
B. L'ÉMERGENCE D'UN BARREAU À DEUX VITESSES
Le barreau français connaît actuellement une triple fracture : géographique, économique et financière, fonctionnelle.
1. Une répartition du nombre d'avocats sur le territoire très inégale : l'hypertrophie parisienne face à l'atrophie de la province
La
répartition du nombre d'avocats, très inégale, fait
apparaître une hypertrophie de la région parisienne
qui
mérite d'être soulignée.
Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier du Conseil
de l'ordre de Paris, le barreau de Paris a connu
une croissance
fulgurante
et concentre un
très grand nombre d'avocats
(
14.905
avocats, soit près de
40 %
)
127(
*
)
.
L'écart avec les autres barreaux
est particulièrement
remarquable
, puisque les deuxième et troisième barreaux de
France, respectivement Lyon et Nanterre, concentrent
des effectifs
très inférieurs
avec 1.599 et 1.522 avocats en exercice.
Plusieurs facteurs expliquent l'attractivité de la capitale :
- la formation de haut niveau dispensée à Paris jouit d'une
très bonne réputation et attire de nombreux candidats à la
profession d'avocat. En outre, contrairement à la plupart des Instituts
d'études judiciaires, rattachés à
l'Université
128(
*
)
, celui de
Paris II affiche un très bon taux de réussite à
l'examen d'entrée au centre régional de formation professionnelle
des avocats (CRFPA) ;
- les plus grands cabinets sont souvent implantés à Paris, qui
offre ainsi de nombreux débouchés aux avocats-stagiaires,
certains d'obtenir un stage à l'issue de l'obtention du certificat
d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).
Le taux d'avocats par habitant
129(
*
)
reflète ce
déséquilibre
. Derrière un taux
moyen de 64 avocats pour 100.000 habitants se cachent en effet
d'importants écarts d'un barreau à l'autre
, ce taux
s'élevant à 701 pour le barreau de Paris et à 8 pour celui
de Montbrison. Le barreau de Nice se place en deuxième position avec un
bon taux de couverture (145,1 avocats pour 100.000 habitants).
Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, une telle situation
paraît inquiétante et risque d'aboutir à la constitution
«
d'un barreau à deux vitesses
» avec,
d'une part,
un barreau de Paris d'excellence
, en croissance constante,
captant les affaires les plus prestigieuses et les plus intéressantes
et, d'autre part,
des barreaux de province
financés
essentiellement par l'aide juridictionnelle et éprouvant des
difficultés à survivre
.
La mission partage ces préoccupations et regrette l'hypertrophie
parisienne.
2. Des écarts de rémunération inquiétants
Comme
l'a fort justement relevé devant la mission M. Paul Bouchet,
président de la commission de réforme de l'accès au droit
à la justice (mise en place en 2001), «
si le chiffre
d'affaire des avocats a considérablement augmenté, les
inégalités se sont creusées entre les barreaux et en leur
sein
». Plus de 25 % des avocats parisiens disposent d'un
revenu inférieur à 1.500 euros par mois.
Une grande partie des ressources de certains barreaux provient essentiellement
du revenu perçu au titre de l'aide juridictionnelle. Par exemple, le
nombre d'admissions à l'aide juridictionnelle à Bobigny (79 par
avocat) s'avère très élevé par rapport à la
moyenne nationale (23 par avocat).
Au sein de chaque barreau, il peut également exister de
fortes
disparités entre les avocats
. Ainsi que le mentionne le rapport de
la commission de réforme de l'accès au droit et à la
justice
130(
*
)
, «
une étude
effectuée par le barreau de Lille (1999) a mis en évidence
l'inégale répartition des dossiers d'aide
juridictionnelle
. » Il ressort de cette étude que si
45 % des avocats inscrits au barreau n'avaient pas effectué de
mission à ce titre, 42 % avaient perçu une
rétribution supérieure à 1.525 euros (10.000 francs)
à ce titre.
En outre, des données rassemblées par l'Union nationale des
caisses d'avocats à partir de 102 barreaux montraient que la grande
majorité des missions d'aide juridictionnelle était
effectuée soit par des avocats exerçant à titre
individuel, soit par des collaborateurs. Il semble donc que certains avocats se
financent essentiellement sur cette rétribution. 41 structures dont
12 cabinets ont en effet perçu plus de 76.225 euros (500.000
francs) à ce titre en 2000, le montant maximal ayant été
enregistré par un cabinet individuel (167.695 euros, soit 1.100.000
francs).
Face à l'enrichissement des grands cabinets d'affaires et des cabinets
spécialisés a donc émergé une
catégorie
d'avocats
en proie à
des difficultés
financières et qui se
paupérise
.
a) La nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle
Face
à cette évolution, on comprend dès lors l'acuité du
débat désormais
incontournable
sur la
revalorisation de
l'aide juridictionnelle
, d'autant plus que son faible niveau a un effet
pervers en incitant des avocats essentiellement rétribués par
celle-ci à scinder les dossiers et à multiplier les affaires.
S'il entre traditionnellement dans la vocation naturelle de l'avocat de prendre
en charge gratuitement la défense des plus démunis, il
paraît désormais indispensable de rémunérer les
avocats qui remplissent cette mission, compte tenu de la
généralisation de l'aide juridictionnelle
.
Destinée à permettre aux personnes aux revenus modestes
d'accéder à un avocat sans avoir à supporter totalement ou
partiellement les frais occasionnés par la mise en oeuvre d'une
procédure, l'aide juridictionnelle, depuis la réforme de
1991
131(
*
)
, s'est étendue à un
nombre croissant de bénéficiaires
(passant de 348.587 en
1991 à 698.779 en 2000, soit un accroissement de plus de 100 %).
L'insuffisance de la rétribution allouée aux avocats qui
s'apparente davantage à une indemnité qu'à une
véritable rémunération a révélé les
limites du dispositif mis en place par la loi du 10 juillet
1991
132(
*
)
.
Des statistiques récentes établies par la Conférence des
bâtonniers ont fait ressortir qu'un cabinet individuel, avant de gagner
le premier franc, devait dégager environ 92 euros par heure (600 francs)
hors taxe pour couvrir l'ensemble de ses frais. Or, il s'avère que dans
certains dossiers, les barèmes fixés au titre de l'aide
juridictionnelle se situent à des niveaux inférieurs. Ainsi
certains avocats sont-ils inévitablement amenés à
travailler à perte
.
Mécontents de cette situation, les avocats ont engagé des
mouvements de protestation
à la fin de l'année 2000 et au
début de l'année 2001. Face à ces inquiétudes, la
Chancellerie a conclu
un protocole d'accord le 18 décembre 2000
avec les principales instances représentatives de la profession afin de
prévoir des mesures d'urgence destinées à revaloriser la
rémunération accordée aux avocats
133(
*
)
au titre de l'aide juridictionnelle
134(
*
)
.
En parallèle, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, a mis en
place en janvier 2001
une commission de réforme pour l'accès
au droit et à la justice
, chargée de formuler des
propositions d'amélioration
du dispositif existant.
Ainsi que l'a rappelé devant la mission son président,
M. Paul Bouchet, cette commission préconise de nombreuses
pistes de réforme et notamment la suppression de l'aide partielle, ainsi
que la fixation de nouvelles modalités de calcul pour la
rétribution allouée aux avocats
135(
*
)
.
M. Paul Bouchet a précisé que la commission de réforme
avait écarté de ses propositions une piste
intéressante : l'élargissement de
l'assurance de
protection juridique
136(
*
)
,
dont le
rôle méritait pourtant d'être souligné.
De plus en plus de compagnies d'assurance et de mutuelles proposent des
contrats de protection juridique permettant la
prise en charge des frais de
procédures
juridictionnelles dans certains domaines tels que la
consommation
, l'
habitat
ou le
droit du travail
.
Leur
développement
, bien que rapide, demeure encore
modeste
.
Néanmoins, si une telle piste était explorée, il faudrait
s'assurer que les compagnies d'assurance
versent une
rémunération suffisante, ce qui est loin d'être le cas
aujourd'hui et contribue à accroître les difficultés de la
profession
.
En tout état de cause, la mission demeure consciente des limites de ce
dispositif, qui
ne saurait constituer une alternative au mécanisme
actuel d'aide juridictionnelle
. En effet, certains domaines, notamment
pénal ou familial, se prêtent difficilement à la
souscription d'une assurance de protection juridique, pour des raisons à
la fois morales et juridiques.
Le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait déposé sur le bureau du
Sénat, à la fin de la législature
précédente, le 20 février 2002, un projet de loi n°
257 (2000-2001) tendant à proposer une refonte globale du dispositif
d'aide juridictionnelle. Ce texte prévoit notamment l'augmentation de
50 % du nombre de foyers fiscaux bénéficiaires de l'aide
juridictionnelle, la simplification des procédures, ainsi que la
rénovation des institutions de l'accès au droit. Les conseils
départementaux de l'accès au droit (CDAD) seraient
généralisés dans tous les départements, un Conseil
national de l'accès au droit et à la justice étant
placé auprès du Premier ministre pour évaluer les
politiques d'accès au droit et faire des propositions.
Les grandes lignes de ce dispositif ne semblent pas avoir recueilli
l'approbation des instances représentatives des avocats.
La question d'une
réforme globale demeure donc toujours
d'actualité
. M. Dominique Perben, garde des Sceaux, a
d'ailleurs annoncé que l'aide juridictionnelle compterait parmi ses
actions prioritaires.
La mission d'information juge nécessaire et urgente une remise
à plat du système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991,
afin d'allouer aux avocats une rémunération équitable et
décente. Elle tient à souligner qu'une telle réforme ne
saurait s'effectuer sans l'association étroite et l'assentiment des
instances représentatives de la profession d'avocat.
Cependant, force est de constater que l'augmentation du barème actuel
destinée à assurer une rémunération allouée
par l'Etat à certains avocats semble constituer d'une certaine
manière une
remise en cause de la conception traditionnelle d'un
exercice libéral de la profession d'avocat.
b) Les autres pistes de réforme
Au-delà de la question de l'aide juridictionnelle,
l'indépendance économique a été
évoquée au cours des travaux de la mission et a fait surgir
plusieurs interrogations :
- la mission s'est interrogée sur l'opportunité de
réguler l'accès à la profession d'avocat en limitant les
recrutements
afin d'éviter de susciter un sentiment de frustration
parmi les jeunes avocats les plus exposés à la
précarité. Les instances représentatives de la profession
ont unanimement marqué leur désaccord à l'égard
d'une telle proposition.
La Conférence des bâtonniers a fait valoir que la
résolution d'un tel problème «
ne réside
pas dans le nombre d'avocats mais dans l'adéquation de ceux-ci et de
leur formation à la réalité sociale et
économique
» ;
-
l'instauration d'un tarif
137(
*
)
a été évoquée par
certains interlocuteurs rencontrés par la mission. Le bâtonnier de
l'ordre des avocats de Bordeaux, Me Yves Delavalade, s'est prononcé,
à l'instar de ses collègues de la « Conférence
des cents »
138(
*
)
, en faveur de
l'institution d'une tarification qui pourrait s'inspirer du modèle
allemand. Outre une amélioration de la transparence à
l'égard du justiciable, cette solution présenterait l'avantage de
garantir un certain niveau de revenus à l'ensemble des avocats.
La
Conférence des bâtonniers
s'est déclarée
ouverte au débat
, tout en soulignant qu'un tel système
devrait nécessairement s'efforcer de
combiner une tarification
minimale avec le maintien de la liberté de convention entre l'avocat et
son client
.
Le
Barreau de Paris
s'est montré plus
sceptique
, estimant
qu' «
une tarification ne s