INTRODUCTION DU COLLOQUE -
Intervention de M. Henri Revol,
sénateur de la Côte d'Or,
président du groupe d'études
de l'énergie du
Sénat
Notre
groupe d'études et la Commission des Affaires économiques
marquent, par l'organisation de cette journée, l'importance croissante
que revêt la politique énergétique pour notre pays, comme
nous le montre d'ailleurs quotidiennement l'actualité. Nous avions, en
décembre dernier, tracé des pistes de réflexion et
d'action. Je souhaite que cette journée permette d'éclairer plus
précisément encore les voies de l'avenir afin que nos
autorités politiques et nos entreprises se préparent aux
prochaines échéances.
Toute décision en matière de politique énergétique
doit répondre à trois grands défis :
- la sécurité d'approvisionnement,
- la libéralisation et la construction de l'Europe de
l'énergie,
- le défi environnemental.
La Commission d'enquête du Sénat avait déjà
insisté en 1998 sur ces enjeux majeurs.
L'impératif de la sécurité d'approvisionnement est une
priorité absolue. Si rien n'est entrepris dans les vingt prochaines
années, l'Union européenne couvrira alors ses besoins
énergétiques avec 70 % de produits importés, contre
50 % aujourd'hui. Nous ne pouvons évidemment pas accepter de
dépendre d'une poignée de producteurs étrangers. Pour
notre groupe d'Etudes, tout l'éventail des ressources
énergétiques doit être ouvert, toutes les sources
d'énergie doivent être sollicitées.
Les contraintes liées au problème majeur du réchauffement
climatique nous imposent de sortir du triste et passionnel débat qui a
agité l'Union européenne autour de l'énergie
nucléaire. Après avoir été diabolisée, il
semble que celle-ci doive, à l'avenir, prendre une place incontournable.
Les récentes décisions de la Finlande ou de la Suède vont
en ce sens, tout comme le rapport d'une commission d'enquête du Parlement
allemand, qui estime que l'Allemagne pourrait construire entre 50 et 70
centrales de 2010 à 2050. Dans cette perspective, il est souhaitable que
parallèlement au lancement du prototype EPR, les recherches sur les
déchets soient accélérées dans les conditions
prévues par la loi de 1991, ainsi que dans le domaine des
énergies renouvelables. Saluons à ce titre la réussite de
cette petite « Silicon Valley » grenobloise, qui s'impose
désormais comme un pôle européen majeur. Mais ne nous
berçons pas d'illusions, les énergies renouvelables resteront
marginales dans un avenir visible.
Le troisième enjeu est celui de la libéralisation et de la
construction de l'Europe de l'énergie. La Commission européenne
souhaite accélérer, à un rythme qui peut paraître un
peu excessif, ce processus de libéralisation. Si cette évolution
est souhaitable, elle ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions.
Il faut savoir doser courage, ambition et prudence. Bruxelles devrait tirer
leçon des expériences des pionniers de la libéralisation.
Plus qu'au degré théorique d'ouverture des marchés, je
souhaite que l'on s'attache davantage à leur ouverture effective, ainsi
qu'aux règles et modes de régulation permettant d'assurer la
transparence et la concurrence. Or, comme l'a montré un rapport de la
Commission européenne, il n'existe pas de corrélation entre le
degré théorique d'ouverture des marchés et l'exercice
réel de la concurrence, d'où qu'elle provienne. Ainsi la France,
pointée du doigt par ses partenaires, enregistre un taux réel
d'ouverture de ses marchés loin d'être négligeable, dans
des conditions de transparence et de régulation irréprochables.
Nous ne pouvons à cet égard que regretter que le
précédent gouvernement n'ait pas procédé à
la transposition de la première directive gaz. Nous le payons cher
aujourd'hui en termes de crédibilité à Bruxelles, notre
pouvoir de négociation s'en trouvant considérablement amoindri.
Cette journée nous permettra de souligner les zones d'ombre des projets
de directives électricité et gaz et les interrogations qu'ils
suscitent.
La fluidité et la sécurité des approvisionnements
énergétiques ainsi que la baisse des prix aux consommateurs en
sont les objectifs réels.
Mais quelles sont les garanties pour le long terme ? Comment seront
délimités les périmètres respectifs des Etats, des
régulateurs et des acteurs du marché ? Comment assurer la
construction de nouvelles infrastructures ? Comment définir, garantir et
financer les missions de service public ? Enfin, selon quelles modalités
conviendra-t-il de faire évoluer les statuts de nos grandes entreprises
publiques, afin qu'elles puissent nouer les partenariats industriels
indispensables si elles veulent rester « dans la cour des
grands » ? La question du financement des retraites des
personnels d'EDF et de GDF doit également être posée en
termes clairs.
Les interventions et nos échanges sur ces sujets fondamentaux seront,
j'en suis sûr, riches et animés. Je forme l'espoir qu'ils soient
constructifs et qu'ils éclairent les décisions à venir.
Intervention de M. Didier Simond, président de la section des
activités productives, de la recherche et de la technologie
du
Conseil économique et social
(CES)
Le temps
de l'énergie est celui de la longue durée. L'énergie est
« structurante » et les décisions prises engagent
pour longtemps une société et son économie.
La liste des travaux du CES sur l'énergie est fort longue. Je
rappellerai très rapidement que nous avons traité
récemment des deux directives européennes, celle de
l'électricité et celle du gaz, et les conclusions de nos
réflexions ont obtenu un large consensus.
La vision du CES, en matière de politique énergétique en
France, peut se résumer ainsi : toutes les options doivent
être suivies, aucune énergie ne doit être
négligée au nom d'une quelconque idéologie.
Il m'appartient d'aborder quelques points de caractères
généraux.
La consommation mondiale d'énergie, en liaison avec la croissance
économique, ne peut que croître, tandis que les ressources vont
s'épuisant. Parallèlement, la question de l'environnement impose
une maîtrise de cette consommation, ce qui suppose des choix
énergétiques et donc de société. Or, pour ne
prendre que l'électricité, plus de 2 milliards de nos
contemporains vivent sans pouvoir accéder à cet
élément de base et beaucoup d'autres n'en
bénéficient qu'imparfaitement. Il s'agit là d'un
défi lancé à tous : comment faire pour que chacun puisse
jouir de ce que nous considérons nous-mêmes comme un
élément banal de notre quotidien ? Ce défi devra
être relevé, au risque de conflits majeurs, et il renvoie à
la préoccupation concernant les ressources mondiales.
En l'état actuel de nos connaissances, les réserves
pétrolières mondiales couvriraient 40 à 60 ans de
consommation - elles sont à 65 % situées dans la
péninsule arabique ; les réserves de gaz naturel
couvriraient 60 à 100 ans - elles se trouvent majoritairement sur les
territoires de l'ex URSS ; les ressources en charbon sont plus
équitablement réparties, et pourraient satisfaire plus de deux
siècles de consommation. Nous devons méditer sur ces
données pour prendre des décisions politiques, d'autant
qu'à cela s'ajoutent les inquiétudes concernant les
données climatiques dans leurs relations avec la consommation
d'énergie.
Rappelons aussi que l'Amérique du Nord absorbe plus du quart de
l'énergie consommée dans le monde et l'Europe de l'Ouest environ
le cinquième.
Les prévisions laissent présager un accroissement de la demande
d'énergie : de 9 gigatonnes en équivalent pétrole en
1990 on passerait à 13, voire 17 gigatonnes dans les 20 ou 30 ans
à venir.
Dans ce contexte, l'Union européenne est imparfaitement pourvue de
ressources fossiles, même si certains de nos partenaires en disposent de
quelques-unes. La dépendance énergétique de l'Union est
donc patente, comme cela a été rappelé
précédemment.
Signalons que le problème de l'indépendance
énergétique est également au coeur des
préoccupations notamment de l'Administration américaine.
Nous savons que la politique énergétique de notre pays repose sur
la réalisation d'un triptyque :
- sécurité d'approvisionnement par une diversification
géographique et technique des sources et des ressources,
- mise en place d'une source nationale de production
d'électricité,
- et économie d'énergie.
Il reste beaucoup à faire en ce qui concerne ce dernier point, alors que
les deux premières composantes ont connu des réussites
indéniables.
D'autres évoqueront le devenir de notre appareil de production. Je
souhaiterais, pour ma part, évoquer l'impératif de conduire et de
poursuivre pour notre pays les efforts de la recherche dans le domaine de
l'énergie.
Seul cet effort est à même de faire reculer les limites des
réserves dites conventionnelles. C'est à ce prix que nous
pourrons continuer de faire entendre notre voix et contribuer activement au
maintien de toutes les options énergétiques, comme celle du
charbon, qui représente encore 30 % de l'énergie
consommée dans le monde. Certes, l'extraction du charbon est sur le
point de s'arrêter complètement dans notre pays, mettant un terme
à une longue histoire, néanmoins, cette source a de l'avenir dans
d'autres parties du monde.
Notre appareil de recherche doit donc être maintenu performant afin de
promouvoir notre technologie dans toutes les composantes de l'énergie, y
compris celle-ci ou bien encore les énergies renouvelables.
A ce propos, la biomasse est de loin la plus ancienne ressource
énergétique de l'homme, et l'hydroélectricité la
plus mature et la plus développée au monde. Peut-on aller encore
plus loin ? Certes oui, comme en ce qui concerne les biocarburants.
Reste à s'interroger, en termes économiques, sur la valeur
ajoutée des énergies renouvelables dans leur ensemble : il
s'agit d'un vaste débat.
Au-delà se pose encore la question des technologies de ruptures (pile
à combustible par exemple) et de leur développement.
Il est préoccupant pour nous, Européens et Français, de
savoir que, dans le domaine de la recherche, les USA dépensent deux fois
plus que l'Union européenne. A ceux qui ont le pouvoir de
décider, il convient de porter le message de maintenir et de
développer à la fois de grandes entreprises et un outil de
recherche performant.
Enfin, n'oublions pas le nucléaire. Le CES insiste sur la
pérennité de cette filière qui doit s'analyser selon
plusieurs paramètres : sécurité technique,
compétitivité économique, acceptabilité sociale. Il
conviendra, pendant la prochaine législature, de prendre une
décision quant au futur réacteur européen. Je n'en dis pas
plus.
Au centre de vos débats doit être placée la
nécessité de soutenir les entreprises énergétiques
françaises et leurs sous-traitants, pour faire en sorte que leur
mutation soit mieux inscrite dans la concurrence internationale à
laquelle ils sont confrontés.
L'intérêt de nos entreprises est celui de la France.