AVANT-PROPOS
de M. Jacques VALADE,
Président de la commission des affaires culturelles

A l'automne dernier, une minorité d'étudiants -quelques milliers, sur les 2,2 millions d'étudiants que compte la France- ont manifesté contre une évolution, pourtant souhaitable et déjà engagée, de notre système d'enseignement supérieur et de sa nécessaire adaptation au système européen. Compte tenu de cette situation, la commission des affaires culturelles du Sénat a décidé d'entendre, outre le ministre concerné, les organisations représentatives des présidents d'université, des professeurs et des étudiants afin d'analyser les positions exprimées et de contribuer à la compréhension et à la clarification de ce dossier. En effet, le débat est apparu parfois obscur, dans la mesure où, à la fois, il soulève de bonnes questions mais est accompagné de rumeurs et de contrevérités de nature à désorienter et inquiéter les étudiants et leurs parents.

De quoi s'agit-il ? D'une part de l'adaptation à l'Espace européen de l'enseignement supérieur ; d'autre part, du renforcement de l'autonomie et des moyens de nos universités, l'une et l'autre ayant été préparés, et lancée pour la première, par Jack Lang, le prédécesseur du ministre Luc Ferry au ministère en charge de l'enseignement supérieur.

Aujourd'hui, la qualité du système d'enseignement et de recherche d'un pays -dont dépendent sa compétitivité et son attractivité- doit être reconnue. C'est pourquoi, depuis 1998, la construction de l'Espace européen de l'enseignement supérieur tend à harmoniser les différents systèmes, afin de faciliter la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs et de rendre notre dispositif lisible et attractif à l'échelle du monde. Cette harmonisation passe par une architecture des études supérieures fondée sur les trois grades du LMD : L comme licence (bac + 3), M comme master (bac + 5), et D comme doctorat (bac + 8).

Par ailleurs, la modernisation de la loi de 1984 concernant le statut des établissements d'enseignement supérieur semble inévitable : peut-on porter aujourd'hui les mêmes habits qu'il y a 20 ans ? Les Français peuvent-ils continuer à accepter que les 1,13 % du produit intérieur brut que la France consacre à l'enseignement supérieur soient mal employés, comme le dénonce un récent rapport de la Cour des Comptes ? Que la gestion des emplois d'enseignants s'opère sans grande visibilité ni prévisions ? Que le patrimoine immobilier universitaire ne soit utilisé que 2 000 heures par an  et soit parfois dégradé au point qu'il pose de réels problèmes de sécurité ? Que les pratiques d'évaluation de nos établissements, de nos enseignements et de nos enseignants soient insuffisantes au regard de celles de nos partenaires occidentaux ? Surtout, et c'est sans doute l'essentiel, que le taux d'échec des étudiants en premier cycle universitaire soit tel qu'ils ne sont que 56,8 % à obtenir leur diplôme, 2 à 5 ans après leur première inscription, et que 20 % d'entre eux abandonnent leurs études sans aucun diplôme (soit 86 000 étudiants en 2000) ?

Il est indispensable d'apporter des réponses claires à des inquiétudes légitimes, sans chercher à mener trop de réformes de front. Mais il est fondamental que la concertation sur l'avenir de l'université française et sa modernisation se poursuive. Un grand nombre des interlocuteurs que notre commission des affaires culturelles a entendus ont souhaité que le système LMD soit expérimenté dans toutes les universités avant que ne soit engagée la réforme institutionnelle.

En réalité, l'objectif d'harmonisation européenne des diplômes a, sans doute avec des nuances, recueilli l'adhésion de la presque totalité de nos interlocuteurs. Les représentants des syndicats d'étudiants ont d'ailleurs approuvé la mise en place du système LMD dans un grand nombre de conseils d'administration d'universités, alors que la principale revendication de leurs manifestations concernait un moratoire sur sa mise en oeuvre... Cependant, des divergences se sont exprimées sur les modalités de l'application du système LMD : homogénéisation des diplômes au niveau national, passage d'un grade à l'autre, validation des acquis dans le cadre du système européen, avenir des diplômes à bac + 2 et à bac + 4. Les commissions de suivi mises en place par le ministre devraient permettre d'effectuer les réglages indispensables, à propos desquels 17 universités passées au LMD ont manifesté leur satisfaction.

Quel que soit le calendrier retenu par le Gouvernement, le ministre a d'ores et déjà répondu aux préoccupations exprimées :

- le cadre national des diplômes sera maintenu ;

- il en est de même des diplômes à bac + 2 (DEUG, BTS, DUT), auxquels les milieux professionnels sont très attachés, et à bac + 4 (maîtrise), nécessaires pour l'accès au CAPES et à l'agrégation ;

- le nouveau dispositif ne devrait pas entraîner l'abandon des examens de rattrapage (les sessions de septembre) ;

- il n'est pas question d'adopter un système de droits d'inscription « à l'américaine » ni de « privatiser » l'enseignement supérieur ;

- il n'est pas non plus question de « marchandiser » l'enseignement supérieur. Tel n'est pas l'objet du nécessaire développement des relations entre les universités et les entreprises. Il s'agit, en revanche, de reconnaître que l'université est un acteur local de premier plan et qu'elle doit favoriser l'insertion professionnelle des diplômés et aider à la diffusion des compétences et de l'innovation dans le pays. La valorisation des travaux de recherche de l'université peut aussi venir abonder ses moyens ;

- les projets de réforme n'entraîneront pas un renforcement de la sélection à l'entrée dans l'enseignement supérieur, la liberté d'accès étant partie intégrante du système français. Il faut rappeler, cependant, que le processus de sélection existe d'ores et déjà : à travers l'existence d'un double réseau universités/écoles et pour certaines disciplines et, malheureusement du fait, ainsi qu'il a été dit précédemment, d'un taux d'échec trop élevé et très coûteux, tant pour les personnes concernées que pour la collectivité ;

- la concurrence entre les établissements existe depuis longtemps et les étudiants qui le peuvent choisissent l'université ou l'école qui leur semble jouir de la meilleure réputation. En outre, la concurrence des universités étrangères, américaines en particulier, sur notre sol, existe de facto . Il appartient donc à nos établissements de se rendre plus lisibles et de valoriser leurs pôles d'excellence.

Il était essentiel de combler le déficit d'information et de communication qui expliquait partiellement la contestation. Au travers de cette série d'auditions, notre commission a souhaité participer à cet effort. D'ailleurs, depuis que des présidents d'université, des professeurs et le ministre lui-même, relayés par les médias, ont décidé d'exposer la réalité des projets et de rassurer les étudiants en les informant correctement, l'agitation est retombée. Le fait que seulement 150 étudiants aient manifesté à Rennes, le 13 décembre dernier, dans le cadre d'une journée européenne de manifestation contre les réformes universitaires, montre que le réalisme et le pragmatisme ont repris le dessus et il faut s'en réjouir.

Il n'empêche que les efforts de concertation et d'explication doivent se poursuivre. Par ailleurs, on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur le nécessaire accompagnement social de la réforme, afin que tous les étudiants puissent pleinement bénéficier de ses effets. Il y a urgence à ouvrir le chantier de la réforme de l'aide sociale aux étudiants, dont le système actuel est considéré comme inéquitable, inefficace et peu lisible. Le système LMD va faciliter la mobilité des étudiants tant en France qu'en Europe, et celle-ci ne doit pas dépendre de leur situation sociale.

La commission des affaires culturelles souhaite que la concertation aille à son terme sur ces différents sujets et que le Parlement puisse ensuite débattre sereinement des projets que le Gouvernement soumettra à son examen, dans le but d'aider les universités françaises à assumer leurs fonctions avec l'efficacité que les étudiants et, au-delà, la Nation toute entière, sont en droit d'attendre d'elles.

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