B. UNE PRODUCTION ENCORE INSUFFISANTE, MAIS QUI SE REDRESSE
1. Un secteur en voie de redressement
Négligé à partir des années 1970, le secteur agricole russe a connu un long déclin qui s'est accéléré au cours de la décennie 1990, en raison de l'ouverture aux marchés internationaux et de l'essor des importations.
Pour une base 100 en 1990, l'indice de la production agricole est tombé à 56 en 1998, pour remonter à 61 en 2000. Sur la même période, les surfaces cultivées ont diminué de 23 %.
La dévaluation du rouble qui a suivi la crise de 1998 a toutefois permis un redémarrage de l'agriculture russe , en réduisant la compétitivité des produits importés. En outre, la dégradation des revenus et les difficultés rencontrées dans la vie quotidienne ont encouragé les ruraux à développer une production domestique destinée à l'autoconsommation. Enfin, l'essor très rapide des industries agroalimentaires (industries laitières, transformation de produits carnés, produits de céréales...) constitue un aiguillon stimulant pour la production agricole.
Pour autant, le pays reste encore très largement déficitaire en produits alimentaires et consacre, chaque année, quelque 10 milliards de dollars à ses importations de viandes, de produits laitiers, de sucre, de fruits et légumes et de produits à plus haute valeur ajoutée comme les vins et spiritueux.
En 2002, les importations alimentaires représentaient 23,3 % du total des importations russes (5,5 % pour les seules importations de viandes), en progression de 12,4 % par rapport à l'année précédente, notamment en provenance de l'Union européenne.
2. Analyse sectorielle
Les responsables politiques et économiques manifestent désormais le souci de développer l'agriculture , en particulier dans deux domaines :
- les céréales , pour lesquelles la Russie dispose d'avantages compétitifs pouvant permettre d'envisager une production partiellement destinée à l'exportation ;
En dépit d'une forte variabilité, les récoltes moyennes de céréales tournent autour de 75 millions de tonnes . Compte tenu de l'existence de stocks et de besoins intérieurs s'élevant à 70 millions de tonnes, la capacité exportatrice de la Russie varie entre 5 et 10 millions de tonnes par an.
La progression du rendement céréalier est, pour l'heure, limitée par l'insuffisance des apports en engrais, dont la production domestique est principalement réservée à l'exportation.
L'Union européenne voit, pour sa part, d'un mauvais oeil les progrès russes dans ce domaine, la Russie contribuant à déstabiliser les cours mondiaux des céréales par la mise sur le marché de quantités massives de « blés de la mer Noire ». C'est pourquoi elle a mis en place en 2003 des mesures de contingentement à l'importation de ces blés en Europe, contre lesquelles la Russie proteste.
- l'élevage , dont la relance est devenue une véritable priorité nationale.
Cette filière a, en effet, été affectée par une décapitalisation massive dans les années 1990 , le bétail étant vendu pour permettre aux fermes collectives de faire face à leurs dettes. En conséquence, la consommation moyenne de viande et de produits carnés n'a cessé de reculer pour atteindre 40 kilogrammes par an et par habitant.
DÉCAPITALISATION DES CHEPTELS
CHEPTEL (en million de têtes) |
1991 |
1995 |
1997 |
1999 |
2000 |
2001 |
Bovins |
57 |
43,3 |
31,5 |
28 |
27,3 |
26,9 |
Dont vaches |
20,5 |
18,4 |
14,5 |
13,1 |
12,7 |
12,2 |
Porcins |
38,3 |
24,9 |
17,3 |
18,2 |
15,7 |
15,9 |
Ovins et Caprins |
58,2 |
34,5 |
18,8 |
14,8 |
14,8 |
14,8 |
Volailles |
646 |
491 |
360 |
346 |
343 |
Nc |
Source : Mission économique
Du fait de la reprise économique, la demande est pourtant désormais en augmentation et ne trouve pas une offre suffisante sur le marché national. La forte progression des importations qui en résulte se heurte au mécontentement des producteurs locaux, qui ont obtenu la mise en place en 2003 d'un régime de quotas sur les viandes importées (pour les volailles, interdiction d'importation au-delà du quota ; pour les bovins et le porc, application de droits de douanes majorés en cas de dépassement du quota).
De fait, la production de volailles connaît aujourd'hui un développement rapide à travers de grands élevages industriels intégrés. Elle apparaît comme un moyen de créer sur place de la valeur ajoutée à partir des importantes ressources céréalières. L'élevage porcin est également en progression.
Le troupeau bovin a été particulièrement touché par la transition des années 1990. Il est maintenant en voie de reconstitution, les animaux de qualité médiocre étant abattus et remplacés dans un souci d'amélioration de la production laitière. En outre, sous l'effet de l'évolution de la demande, un intérêt se manifeste pour la constitution d'un cheptel allaitant , qui a donné lieu à l'importation de génisses de races à viande française (Salers, Aubrac, Charolaises, Limousines...), en particulier à Belgorod (Russie occidentale), dans la région de Leningrad et à Tioumen (Sibérie occidentale) où s'est rendue la délégation sénatoriale). Il convient, à cet égard, de souligner l'image très positive dont bénéficient les races allaitantes françaises en Russie, comme nous l'ont affirmé des interlocuteurs russes rencontrés à Tioumen.
Les autres secteurs agricoles connaissent un développement plus modéré.
Si la culture d' oléoprotéagineux a progressé pour répondre à la demande des huileries alimentaires, la filière de la volaille se tourne massivement vers les importations de soja en provenance des Etats-Unis et du Brésil pour compléter l'alimentation animale. Les productions oléoprotéagineuses ne semblent donc pas connaître de développement significatif, contrairement aux souhaits de l'Union européenne, qui y verrait un moyen, non seulement de diversifier son approvisionnement de protéines végétales, mais aussi de limiter la progression des cultures céréalières dont les exportations perturbent les marchés mondiaux.
La production de fruits et légumes est stabilisée à environ 30 millions de tonnes par an. Elle est marquée par la prépondérance des produits de base : choux, pommes de terre et carottes. La culture des fruits est encore insuffisante. L'ensemble du secteur progresse toutefois grâce au développement des industries de transformation (amidonnerie, conserverie...), en dépit des difficultés rencontrées par les producteurs pour satisfaire les cahiers des charges de l'aval, surtout lorsque les clients sont des groupes étrangers.
La plupart des grandes villes ont gardé des sovkhozes pour la production de légumes frais sous serre, qui bénéficient, grâce à une gestion en en relation avec des producteurs allemands, hollandais ou israéliens, des technologies les plus modernes : fertilisation, irrigation...
La couverture des besoins de la population reste très dépendante des importations, notamment pour les agrumes, bananes, fruits à pépins, pommes de terre, ainsi que, s'agissant des conserves, pour le maïs, les pois et les haricots verts.
Alors que la Russie a longtemps été autosuffisante dans ce domaine, sa production de betteraves à sucre (1,5 million de tonnes) est aujourd'hui très inférieure aux besoins du marché , ce qui impose un recours massif aux importations (5 millions de tonnes). Le sucre importé est essentiellement du sucre roux du Brésil, qui est ensuite raffiné sur place. A cet égard, il est dommage que l'Union européenne , qui exporte très exactement 5 millions de tonnes de sucre, n'ait pris aucune part sur le marché russe .
La médiocrité de la récolte russe est imputable à la mauvaise qualité des plants, à l'insuffisance de la protection sanitaire, à la lourdeur des circuits de collecte (le rayon de collecte de la sucrerie de Sucden visitée par la délégation sénatoriale s'étendait sur 100 kilomètres), ainsi que par la vétusté des équipements. En outre, la baisse continue des cours mondiaux du sucre n'encourage pas le développement de la production locale de betteraves.
Le marché des boissons alcoolisées est très dynamique, puisqu'il augmente de 30 % par an. Si la vodka reste la production-phare de la Russie dans ce domaine, la viticulture est présente et se restructure par un réencépagement, en particulier dans la région de Kouban, où s'est rendue la délégation, dans celle de Stavropol ou encore dans celle de Rostov-sur-le-Don.
L'essentiel de la production vinicole provient toutefois de l'embouteillage de produits importés en vrac , considérés par la législation douanière russe comme une simple « matière première » ( vino materiali ) destinée à la fabrication du vin. Au premier rang des fournisseurs se trouve la Moldavie (49 % des importations). L'importation de moûts et de vins des pays du Nouveau Monde et surtout de l'Union européenne est néanmoins en nette progression. Les vins français (4 % des importations seulement), dont la renommée en Russie n'est plus à faire, sont cependant desservis par leur image élitiste et subissent la concurrence des vins allemands et italiens. La consommation russe est très axée sur les vins sucrés ou madérisés.