B. LE TERRORISME : UNE MENACE POUR LES DÉMOCRATIES
Au cours de sa séance du jeudi 29 janvier matin, l'Assemblée a examiné, selon la procédure d'urgence, le rapport de M. Murat Mercan fait au nom de la Commission des questions politiques portant sur la manière dont les démocraties occidentales appréhendent le terrorisme et organisent la lutte contre ce phénomène.
Ce document part du constat selon lequel le développement de réseaux terroristes internationaux dotés d'une forte puissance destructrice et cherchant à déstabiliser des régimes et à ruiner les valeurs démocratiques est une caractéristique marquante des dix dernières années. Après une période de léthargie, les États démocratiques ont maintenant décidé de faire preuve de fermeté comme en témoignent les nombreuses mesures prises à l'échelle nationale et internationale. Le rapport considère toutefois que le cadre législatif existant reste morcelé et incomplet et déplore que les Nations Unies ne soient pas parvenues à élaborer une convention générale sur la lutte contre le terrorisme. Il appelle les États membres du Conseil de l'Europe à surmonter les obstacles existants et à mettre en place, pour leur sphère de compétence, un tel document.
Dans un avis oral de M. Bartumeu Cassany, la Commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a fait valoir trois observations :
? la lutte contre le terrorisme ne doit pas aboutir au triomphe du tout-sécuritaire et à une réduction des garanties fondamentales de l'État de droit ;
? l'introduction du recours aux empreintes génétiques dans une éventuelle future convention ne saurait intervenir avant que l'Assemblée parlementaire ait débattu de ce sujet ;
? les États membres doivent s'abstenir, à l'égard des États despotiques ou obscurantistes, de toute complaisance motivée par des intérêts stratégiques ou économiques.
Intervenant dans la discussion, M. Bernard Schreiner a insisté sur l'importance de la coopération entre les États dans la lutte contre le terrorisme :
Nous savons tous hélas que le terrorisme procède par la violence. Son arme est l'intimidation et il cherche toujours et partout à remettre en cause les deux piliers fondamentaux qui sous-tendent la philosophie et l'action du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire la démocratie et les droits de l'Homme.
La France a retenu les leçons du passé et les actes de terrorisme dont elle a été victime l'ont amenée depuis longtemps à réfléchir aux moyens à mettre en place pour lutter contre un phénomène dont les manifestations se renouvellent malheureusement sans cesse mais aussi aux procédés de prévention susceptibles de limiter ces manifestations.
Le terrorisme peut être aussi bien le fait d'agents d'«États voyous», pour reprendre une terminologie à la mode, que de personnes privées. Il peut viser soit des biens, soit des personnes, ou les deux à la fois. A cet égard, on ne peut pas manquer d'évoquer ce qui s'est encore passé ce matin à Jérusalem. Le terrorisme peut se manifester dans le cadre de conflits armés, ou bien en temps de paix et compromettre la sécurité internationale.
Par la nature de ses actes, le terrorisme est à la fois proche de la guerre et de la criminalité, et sa fonction-objectif en fait une forme extrême de violence politique. Néanmoins, les manifestations du terrorisme sont multiples et évolutives.
Les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont suscité des interrogations parmi les experts ; entrions-nous dans une ère nouvelle du terrorisme qualifiée par certains d'hyperterrorisme, ou bien ces actes s'inscrivaient-ils dans la continuité d'un phénomène ?
La réponse à cette question reste à apporter, mais quoi qu'il en soit, l'émotion légitime suscitée par ces actes terribles ne doit pas masquer l'essentiel. Pour mettre en place et développer un réseau comme celui d'Al-Qaïda, il faut beaucoup d'organisation, de méthode et surtout beaucoup de ressources financières. La lutte contre le terrorisme ne saurait donc se passer d'une surveillance étroite des flux financiers, de leur origine et de leur destination, ainsi que des réseaux de communication.
Dans le cadre de la globalisation, la lutte contre les organisations criminelles, et en particulier contre le terrorisme, suppose des formes de coopération originales entre les États, notamment au niveau de leurs services secrets, de leurs polices et de leurs institutions judiciaires. Comme l'a récemment souligné le ministre de l'intérieur français, M. Nicolas Sarkozy, à propos de la lutte contre l'ETA, qui sévit au Pays basque, dans un entretien publié par le quotidien espagnol « El Pais » : «je me garde de dire que l'on peut en finir définitivement avec le terrorisme, qui est un monstre à multiples têtes, mais la collaboration exemplaire entre les démocraties espagnole et française a permis d'obtenir des résultats dont l'avenir dira s'ils sont définitifs». Cet exemple montre bien que la lutte coordonnée entre deux pays contre un mouvement terroriste permet d'obtenir des résultats significatifs. Ce type de coopération internationale est donc essentiel et, dans ce domaine, le Conseil de l'Europe a comme d'autres organisations internationales, incontestablement un rôle important à jouer.
Pour qu'une activité terroriste soit durable, il faut que deux conditions soient réunies, d'une part l'existence d'unités actives, telles que Al-Qaïda, le Jihad islamique ou l'ETA, et donc de groupes organisés partageant une même idéologie de combat, d'autre part l'existence d'un «réservoir» humain permettant à ces groupes de se renouveler et de s'élargir.
Il est certain que de tels mouvements ont l'art d'exploiter les misères et les frustrations du monde arabo-musulman pour y puiser des ressources humaines en y implantant leur idéologie, tout en exaltant le sens du martyre ...
Il ne faudrait pas pour autant parler trop vite du «choc des civilisations» ou de guerre entre le bien et le mal, en assimilant Islam et terrorisme ou religion et fanatisme, en assimilant lutte légitime contre le terrorisme et usage de la force militaire. Car le terrorisme doit aussi être combattu sur le plan politique et sur le plan moral, par la promotion des valeurs humanistes qui sont celles du Conseil de l'Europe depuis sa fondation en 1949 : le respect de la vie, la tolérance et le pluralisme, la liberté et la démocratie. Voilà ce qu'il nous faut défendre.
A l'issue de ses débats, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1644 :
1. L'Assemblée parlementaire rappelle ses textes antérieurs, en particulier les Recommandations 1534 (2001) et 1550 (2002) , ainsi que les réponses y afférentes du Comité des Ministres, qui sont globalement positives. L'Assemblée se félicite des Lignes directrices sur les Droits de l'Homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées le 11 juillet 2002 par le Comite des Ministres, qui énoncent les critères permettant de sauvegarder les Droits de l'Homme dans la lutte contre le terrorisme.
2. Elle observe que des attentats terroristes particulièrement violents ont été perpétrés dans différentes parties du monde depuis le 11 septembre 2001, et que l'existence d'une menace terroriste mondiale est aujourd'hui un fait bien établi.
3. L'Assemblée exprime sa plus profonde sympathie aux familles des victimes et à tous ceux blessés ou autrement atteints par les récents attentats terroristes en Russie et en Turquie et exprime également sa plus profonde sympathie aux familles des victimes et à tous ceux blessés ou autrement atteints par tout attentat terroriste.
4. Tandis que l'amélioration de la coopération internationale, le renforcement des mesures de sécurité nationale et l'accroissement du nombre de ratifications de différents instruments juridiques internationaux sont des signes positifs dans la lutte contre le terrorisme, il existe encore des lacunes au niveau des législations, de la surveillance des frontières et des accords en matière de poursuite et d'extradition ; les terroristes exploitent ces lacunes.
5. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de la création par les Nations Unies d'un Comité contre le terrorisme à la suite de la Résolution 1373 (2001) du Conseil de Sécurité, de l'adoption par le Conseil de l'Union européenne d'une Position commune et de Décisions-cadres, qui constituent une initiative majeure en faveur d'une approche structurée de la lutte contre le terrorisme, et de la mise en place par le Conseil de l'Europe d'un Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER) dans l'objectif de renforcer et coordonner l'action de l'Organisation dans ce domaine.
6. Cependant, l'Assemblée est convaincue qu'une nouvelle impulsion est nécessaire pour envoyer au public un signal clair, reflétant l'importance des efforts multilatéraux. C'est pourquoi l'élaboration d'une convention générale composée de fragments de textes juridiques existants et de nécessaires nouveaux éléments serait d'une grande utilité dans la lutte contre le terrorisme, comme l'Assemblée l'a souligné dans son Avis n° 242 (2003) sur le projet de Protocole à la Convention de 1977.
7. Malgré les progrès déjà obtenus en la matière, les possibilités d'y parvenir dans le cadre des Nations Unies sont quasiment inexistantes en raison de la difficulté de définir le terrorisme. Un groupe d'États plus homogène comme les États membres du Conseil de l'Europe devrait être en mesure de surmonter cet obstacle.
8. L'Assemblée est convaincue que le motif qui sous-tend un acte de terrorisme ne modifie nullement la nature de cet acte. Le terrorisme n'a aucune justification et doit être considéré comme illégal, atroce, inacceptable et comme un crime contre l'humanité.
9. Comme l'Assemblée l'a constamment déclaré par le passé, l'action contre le terrorisme doit toujours être compatible avec les libertés fondamentales et les droits de l'Homme, qu'elle a vocation à protéger. Cela est particulièrement vrai pour les États membres du Conseil de l'Europe qui devraient également être conscients des raisons profondes de la nature changeante du terrorisme et promouvoir le dialogue entre les cultures et les religions.
10. L'Assemblée est convaincue que les causes profondes - pauvreté, exclusion, disparités et désespoir - qui assurent au terrorisme une base favorable et une vaste portée devraient être étudiées.
11. L'Assemblée demande au Comité des Ministres de :
i. commencer sans tarder l'élaboration d'une convention générale du Conseil de l'Europe sur le terrorisme, fondée sur l'acquis normatif constitué par les instruments des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne et d'autres textes en les développant si nécessaire ;
ii. inviter, dans l'intervalle, les États membres :
a. à ratifier les conventions existantes ou à informer le Comité des Ministres et l'Assemblée des raisons de ne pas le faire, en particulier la Convention européenne pour la répression du terrorisme (1977) en conjonction avec son Protocole (2003), la Convention européenne d'extradition (1957) et ses Protocoles additionnels (1975 et 1978), la Convention européenne sur la transmission des procédures répressives (1972), la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (1990) ;
b. à condamner fermement les pays qui encouragent, aident, soutiennent financièrement ou abritent des terroristes, et à prendre des mesures appropriées, économiques et autres, à l'encontre de ces pays ;
c. à promouvoir la démocratie et les droits de l'Homme dans leurs relations avec l'étranger et à s'abstenir, à l'égard de régimes despotiques et obscurantistes, de toute complaisance motivée par des intérêts stratégiques et économiques ;
ii. étudier, en concertation avec l'Union européenne, la possibilité de transformer EUROPOL en une agence paneuropéenne efficace, dotée de moyens adéquats pour faire face au terrorisme international ;
iv. réitérer l'appel aux États membres, comme énoncé dans la Recommandation 1534, « d'étudier d'urgence la possibilité d'amender et d'élargir le Statut de Rome, pour donner à la Cour pénale internationale la compétence de juger les actes relevant du terrorisme international ».