E. DISCUSSION SELON LA PROCÉDURE D'URGENCE : PERSPECTIVES POUR LA PAIX AU PROCHE-ORIENT (Mercredi 26 janvier 2005)
M. Mikhaïl Margelov (Fédération de Russie - GDF), rapporteur , tient tout d'abord à saluer la présence, dans les tribunes de représentants israéliens et palestiniens et à féliciter M. Mollazade pour sa récente élection au poste de président de la sous-commission des questions relatives au Proche-Orient.
Les récentes élections organisées en Palestine constituent un événement historique et ouvrent une ère nouvelle pour la région. Il est désormais possible d'espérer la reprise du dialogue entre les deux peuples et la fin d'un conflit qui dure depuis des décennies. L'excellent travail d'observation organisé par diverses institutions internationales a conclu au caractère démocratique et transparent du scrutin. Les électeurs ont pu se déplacer librement pour accéder aux bureaux de vote, grâce notamment à l'ouverture des points de passage. Par ailleurs, la commission électorale centrale palestinienne a décidé le 9 janvier de reporter l'heure de fermeture des bureaux de vote de 19 heures à 21 heures.
Cette élection constitue une victoire pour le peuple palestinien, qui vient de démontrer son attachement aux principes démocratiques. Il aura bientôt l'opportunité de confirmer sa volonté de mettre en place des institutions démocratiques en Palestine, lors des élections législatives du mois de juillet prochain. Le statut du territoire palestinien dépendra des évolutions politiques à venir et l'Assemblée du Conseil de l'Europe a un rôle important à jouer pour soutenir ce peuple dans cette nouvelle page de son histoire.
La Commission de Venise doit évidemment apporter son concours. Il faut aussi développer le dialogue interparlementaire entre l'Assemblée, la Knesseth et le Conseil législatif palestinien. Une délégation de l'Assemblée devrait bientôt se rendre au Proche-Orient pour préparer une mission d'observation des élections législatives.
Bien sûr, toutes les attaques contre les populations civiles doivent cesser et Israël doit mettre fin aux implantations de nouvelles colonies. Il faudra du temps pour mettre un terme au terrorisme qui a entraîné la rupture de tout contact entre les deux peuples. Les événements des derniers jours laissent espérer une reprise rapide du processus de négociation. Il est du devoir de l'Assemblée de tout mettre en oeuvre pour faciliter le retour au dialogue.
M. Jean-Pierre Kucheida, Député , intervient alors en ces termes : « Monsieur le Président, mes chers collègues, le Proche-Orient, cette région du globe berceau de la civilisation s'écrit depuis des décennies en lettres de sang. Plus de 4 700 morts en Israël et en Palestine depuis le début de l'Intifada, fin septembre 2000; des centaines de milliers de victimes en Irak depuis son invasion par les troupes de la coalition et, très régulièrement, des attentats qui font de plus en plus de victimes innocentes, femmes et enfants.
Et nous, les Occidentaux, devant nos postes de télévision, nous semblons résignés, voire apathiques face - n'ayons pas peur des mots - à ce carnage qui s'étale chaque jour devant nos yeux. Pourtant l'espoir et les solutions existent. L'élection en ce début d'année 2005 de Mahmoud Abbas à la présidence de l'Autorité palestinienne nous fait entrevoir des perspectives. La volonté encore timide d'Ariel Sharon nous montre peut-être un nouveau chemin.
En effet, pour que le Moyen-Orient retrouve la voie de la paix, condition indispensable aussi pour nous Européens car d'ici quelques années l'Union européenne, et le Conseil de l'Europe en même temps, sera un voisin immédiat de cette région dont l'instabilité risque de compromettre la sécurité en Europe, les éléments suivants - la liste n'est pas exhaustive - doivent être pris en compte et appliqués : l'égalité et le respect des droits de tous ainsi que l'implication des principes du droit international afin de construire une démocratie garante de sécurité; le règlement du conflit israélo-palestinien, à travers notamment l'application de la feuille de route et la reconnaissance mutuelle des deux États ; la co-souveraineté sur Jérusalem ; le retrait immédiat des colonies et la destruction du mur de séparation, ce mur de la honte qui nous fait penser à d'autres murs. Ils finissent toujours par s'écrouler, mais qu'ils s'écroulent tout simplement le plus vite possible; le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens et la libération des prisonniers politiques; un partage équitable des ressources en eau; le rétablissement de la souveraineté en Irak, d'une véritable souveraineté; la mise en place d'une économie arabe moins dépendante des économies occidentales; et l'application du droit des peuples à disposer des ressources naturelles de leur pays.
Ce n'est qu'en s'intéressant et en appliquant les valeurs de la démocratie que l'on pourra résoudre les problèmes du Proche-Orient car l'issue est politique, totalement politique. Ainsi, les solutions appartiennent aux hommes de bonne volonté, humains et honnêtes, et non aux grands groupes financiers, aux grands groupes militaires ou encore à certaines minorités extrémistes mais terriblement agissantes.
L'espoir grandit aujourd'hui. Nous espérons que les décisions d'Ariel Sharon seront suivies. L'élection de Mahmoud Abbas à la présidence de l'autorité palestinienne nous ouvre des perspectives. Israël et les États-Unis doivent, comme les plus forts, montrer l'exemple dans cette négociation qui débloquera en partie, j'en suis persuadé, la situation au Proche-Orient.
Enfin, Monsieur le Président, de tout coeur, comme nombre de mes collègues, j'espère que nous recevrons M. Mahmoud Abbas pour que nous puissions lui donner la force de continuer la mission de paix dans laquelle il s'inscrit aujourd'hui. »
M. François Rochebloine , Député , s'adresse alors à l'Assemblée en ces termes : « Mes chers collègues, que de fois avons-nous espéré voir les perspectives de paix au Proche-Orient se préciser, s'affirmer et qu'une étape nouvelle soit franchie sur le chemin de la paix. Il est inutile de refaire ici l'historique des faits, présent dans toutes les mémoires. Avec la commission des questions politiques, je partage l'avis du rapporteur qui nous invite à regarder vers l'avenir et à saisir tous les signes d'espérance. Cependant, je veux le faire en toute objectivité quant aux responsabilités et aux enjeux.
Sur les responsabilités de la crise actuelle et de ses conséquences, il y a le terrorisme, qu'il nous faut condamner d'où qu'il vienne. Il y a aussi cet étrange aveuglement, étrange même s'il est volontaire, qui a conduit la première puissance démocratique du monde à récuser le Président Yasser Arafat. L'histoire jugera l'action de celui-ci, elle en dira les grandeurs et les limites. Il m'étonnerait toutefois qu'elle en vienne à contester que, pour tout un peuple déraciné, le Président Arafat n'ait pas été l'expression de la volonté collective d'autodétermination, de l'aspiration à l'indépendance. Il a été le symbole irrécusable du peuple palestinien. On ne récuse pas un symbole.
Vérité sur les enjeux aussi. Puisque, à plusieurs reprises, le rapport exprime l'espoir que l'accession de M. Mahmoud Abbas à la présidence de l'autorité palestinienne soit l'occasion de faciliter la reprise des négociations. Il serait difficile, en effet, d'invoquer à nouveau des considérations de personnes pour justifier leur blocage. Les conditions de l'élection de M. Abbas dont tout le monde reconnaît la légitimité et l'expérience politique en font un interlocuteur doublement représentatif.
Je souhaite évidemment que ces négociations aboutissent. Je souhaite également qu'elles se traduisent par la naissance d'un véritable État palestinien pourvu d'un territoire cohérent et que les conditions d'une vie paisible et normale soient garanties aux deux peuples, israélien et palestinien. Cela suppose la disparition de ce mur de la honte, inacceptable et condamné par la Cour internationale de justice, qui sépare les communautés. Des efforts doivent être accomplis de la part de chacun. C'est à ce prix, et à ce prix seulement, que ces pays pourront vivre en paix et espérer un avenir meilleur. »
Puis, Mme Josette Durrieu, Sénateur , prend la parole : « Je remercie notre rapporteur. Arafat est mort: un obstacle - ou un prétexte - est tombé. Mahmoud Abbas vient d'être élu dans des conditions exemplaires, sauf à Jérusalem. J'étais présente. Il porte beaucoup d'espoir; son échec serait un peu le nôtre et probablement aussi un peu celui d'Ariel Sharon.
« Tout le monde aspire à la paix. La souffrance est immense de part et d'autre. J'ai été témoin en Palestine - où nous étions récemment - de témoignages, toutes générations confondues, des jeunes comme des plus âgés, d'aspiration à la paix.
« La paix sera négociée; ce sera une paix politique. Chers amis Palestiniens, chers amis Israéliens, il n'y aura pas de paix derrière des murs, pas de paix par la force. Une conférence internationale doit s'ouvrir et deux statuts seront instaurés pour deux États. A l'évidence, le plan Sharon ne conduit pas à la négociation juste et équilibrée, car il est unilatéral. Le Quartet doit reprendre ses droits et la feuille de route. Par la force des choses, un compromis interviendra entre les exigences des uns et les renoncements des autres, qui portera sur trois points: les colonies, les réfugiés, Jérusalem.
« Les colonies - et c'est juste - sont une exigence des Palestiniens. Le retrait s'impose. L'équation israélienne c'est moins d'hommes et plus de terres. La question est délicate, elle est essentielle.
« Du retour des réfugiés, notre Assemblée doit en faire un principe. Retour ou compensation sera un point qui sera certainement négocié.
« Jérusalem est une question centrale ; pourtant, personne n'en parle. L'occupation est une réalité. La division a été réglementairement acceptée, mais l'occupation, si elle est aujourd'hui invisible, est pourtant un fait. Lors des élections, nous avons constaté que sur 120 000 Palestiniens en mesure de voter, 5 400 seulement étaient inscrits. Aujourd'hui, un Palestinien a un passeport jordanien. Il peut obtenir un passeport israélien; il ne peut voyager que s'il obtient une autorisation des Israéliens. Jérusalem sera la question la plus difficile à négocier, mais je pense que Jérusalem est déjà réunifiée. Les colonies encerclent, quand les murs ne les doublent pas, les quartiers arabes. Si le processus ne s'engage pas rapidement, l'Intifada reprendra. Elle fédérera le monde musulman contre l'Occident, elle donnera ses droits au terrorisme que nous combattons au nom de la justice. Soutenons le processus de paix qui doit s'engager très rapidement. »
Enfin, M. Bernard Schreiner, Député , a présenté les observations suivantes : « Monsieur le Président, mes chers collègues, mise en place d'un gouvernement d'union nationale en Israël. Disparition de M. Yasser Arafat et arrivée de M. Mahmoud Abbas à la tête de l'Autorité palestinienne. Les choses bougent dans un Moyen-Orient qui nous avait habitué, ces dix dernières années, à un immobilisme meurtrier et désespérant.
« Le successeur de M. Arafat à l'OLP a estimé que la proposition de M. Tony Blair d'organiser une conférence internationale début 2005 à Londres pour soutenir la réforme de l'Autorité palestinienne et la relance du processus de paix, était un « premier pas ». Il a souligné le bien-fondé de réformes économiques et sécuritaires que les Palestiniens comme la communauté internationale réclamaient à M. Arafat.
« Il est aussi conscient de la nécessité d'améliorer la transparence dans les comptes de l'Autorité palestinienne.
« Ces éléments sont positifs. L'élection présidentielle a, dans un premier temps permis une transition sans heurts. Elle révèle également l'existence d'une culture démocratique dans la société palestinienne.
« M. Ariel Sharon, appuyé sur une nouvelle majorité politique s'est engagé à évacuer la Bande de Gaza. C'est une attitude politiquement courageuse quoique l'on puisse penser du fond du dossier.
« Les relations entre les deux leaders semblent s'améliorer. M. Sharon a appelé M. Abbas pour le féliciter après son élection.
« M. Abbas, après un attentat meurtrier qui a fait craindre le pire pour l'avenir des relations israélo-palestiniennes, a en partie accédé aux demandes de M. Sharon en s'efforçant de calmer les plus extrémistes de son camp.
« Malgré les difficultés, un lien ténu a été tissé entre les deux camps.
« Rien n'est définitif mais tout doit être fait pour entretenir l'espoir de paix dans une région meurtrie par des décennies de guerre et sans la stabilisation de laquelle, il paraît illusoire de penser pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme.
« Et c'est là que l'Union européenne a un rôle à jouer, alors que s'ouvre une nouvelle opportunité. Les ministres européens des affaires étrangères ont rappelé au sommet de Bruxelles leur doctrine. Une paix durable passe impérativement par la coopération en matière de sécurité, comme le prévoit la feuille de route.
« Pour le Conseil des ministres le retrait israélien de la bande de Gaza et d'une partie de la Cisjordanie pourrait constituer un pas important sur la voie de la mise en oeuvre de la feuille de route « pour autant que ce retrait soit total et complet et qu'il soit mis en oeuvre conformément aux cinq éléments énoncés par le Conseil européen de mars 2004 », à savoir: qu'il s'inscrive dans le cadre de la Feuille de route; qu'il constitue une étape dans un règlement du conflit sur l'existence de deux États; qu'il n'entraîne pas de déplacement des colonies de peuplement vers la Cisjordanie; qu'il comporte un transfert organisé et négocié de responsabilités à l'Autorité palestinienne; qu'Israël facilite la réhabilitation et la reconstruction de Gaza.
« Le Conseil a aussi souligné que « le retrait ne devait pas viser à remplacer la Feuille de route et le règlement du conflit fondé sur l'existence de deux États que la Feuille de route prévoit ». Il est rappelé que les activités de colonisation sont contraires à la Feuille de route.
« C'est dans ce cadre que l'Union européenne a apporté son soutien aux élections palestiniennes.
« Au terme de ce bilan et de cette analyse, que conclure ? La situation au Moyen-Orient est toujours incertaine et pourtant, de nouvelles perspectives semblent se dessiner. Alors je ne peux que vous rappeler la maxime de Guillaume d'Orange : "il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer". Puisse cette maxime soutenir les efforts de tous les artisans de paix au Moyen-Orient, car ils ont face à eux, dans les deux camps, de nombreux extrémistes, qui agissent selon une logique de haine et d'exclusion. »
Au terme de ce débat d'urgence, l'Assemblée a adopté la Résolution n° 1420 .