2. L'étonnant optimisme des dirigeants et chefs d'entreprise japonais sur les conséquences du développement économique de la Chine
Ce qui est étonnant, c'est qu'au Japon le développement de la Chine semble exclusivement perçu comme une opportunité.
Le recours croissant aux délocalisations, par les entreprises japonaises et coréennes, pour pénétrer le marché chinois, va pourtant avoir pour conséquence des transferts de technologie. Si ce sujet a été souligné par M. Cho Kun-ho, président de la Federation of Korean Industries , il ne semble pas préoccuper les dirigeants japonais. Des sociétés comme Toyota ont développé des concepts de production modulaire de façon à intégrer dans certains composants fabriqués au Japon les savoir-faire les plus sensibles et à les protéger de la contrefaçon.
Selon un récent article 62 ( * ) publié par M. Paul Samuelson, prix Nobel d'économie, dans le Journal of Economic Perspectives de l'été 2004, il serait peu prudent de croire que le développement de la Chine se conformera nécessairement à la théorie classique du commerce international. Selon cet article, dans certains cas, il conviendrait, pour analyser l'impact de l'ouverture au commerce international sur l'économie d'un Etat, de distinguer deux « actes », comme dans une pièce de théâtre.
Dans l' « acte I », deux Etats (les exemples retenus étant ceux des Etats-Unis et de la Chine, mais les Etats-Unis pourraient être remplacés par le Japon) s'ouvrant au commerce international verraient leur revenu fortement augmenter, chacun se spécialisant dans les produits pour lesquels son avantage par rapport à l'autre (ce que les économistes appellent son « avantage comparatif », ou « avantage comparé ») est le plus grand, conformément à la théorie classique du commerce international. Ainsi, même si l'un des deux Etats était potentiellement plus compétitif que l'autre dans tous les domaines, il ne se spécialiserait que dans certains d'entre eux, de sorte que les deux Etats auraient intérêt à commercer. Concrètement, cela signifie que les pays émergents tendent à se spécialiser dans les industries de main-d'oeuvre, et les pays développés dans les productions à fort contenu technologique. L'augmentation de la productivité d'un Etat pour les produits pour lesquels il disposait initialement d'un avantage comparé bénéficierait également à l'autre Etat, du fait de la diminution de leurs prix relatifs.
En revanche, dans l' « acte II », un Etat (en l'occurrence, la Chine) pourrait voir sa productivité fortement augmenter pour les produits dans lesquels il ne s'était pas initialement spécialisé, faute d'avantage comparatif. Concrètement, la Chine pourrait se mettre à produire dans les secteurs fortement technologiques. Comme, du fait de la disparition des avantages comparés qui en résulterait, cet Etat n'aurait plus intérêt à se spécialiser dans certains secteurs plutôt que dans d'autres, il produirait dans tous les secteurs - technologiques ou non -, au point de faire disparaître tout intérêt à commercer pour son partenaire, soit, dans l'exemple retenu, les Etats-Unis, qui verraient leur revenu significativement réduit.
La mondialisation peut donc ne pas présenter que des avantages. M. Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV, auditionné par votre commission des finances le 13 juin 2006, considère par ailleurs que les Etats développés doivent éviter de se spécialiser dans les seuls produits de haut de gamme ou à fort contenu technologique, qui pourraient bientôt également être produits par les actuels pays « émergents ».
* 62 « Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization ».