B. L'AGRICULTURE ET L'EMPLOI IRRÉGULIER EN EUROPE - LA SITUATION DES TRAVAILLEURS MIGRANTS DANS LES AGENCES DE TRAVAIL TEMPORAIRE
L'Assemblée a ensuite abordé deux questions connexes, l'agriculture et l'emploi irrégulier en Europe , ainsi que la situation des travailleurs migrants dans les agences de travail temporaire . Les délégués ont souligné tout l'intérêt pour l'Assemblée d'encourager les États membres à se coordonner afin de mettre fin à certaines pratiques discriminatoires à l'égard des travailleurs migrants en matière de droit du travail, de salaire et de conditions de travail.
M. Alain Cousin (Manche - UMP) s'est exprimé dans ce débat au nom de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, ainsi que MM. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - UDF) et Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP).
M. Alain Cousin, député :
« La commission des questions sociales, de la santé et de la famille tient d'abord à remercier la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales, ainsi que son rapporteur, M. John Dupraz, pour ce rapport très important qui traite d'un sujet sensible, notamment dans le contexte économique actuel.
Force est de constater que l'agriculture est une source d'emplois considérable mais qui recèle des niveaux élevés de pauvreté, notamment en raison du chômage saisonnier et de la médiocrité des rémunérations. Toutefois, compte tenu du caractère saisonnier des emplois dans les petites exploitations agricoles, un grand nombre de travailleurs ruraux vit dans des conditions rudimentaires, avec une absence totale de protection sociale.
Conditions de travail souvent pénibles, travaux la plupart du temps physiquement difficiles et horaires souvent extrêmement chargés avec des temps de repos hélas trop réduits au cours de la journée : toutes ces conditions entraînent un recours à une main-d'oeuvre étrangère et clandestine qui se retrouve dans des situations de vulnérabilité et d'exploitation, ce qui est contraire aux principes défendus par notre Assemblée.
La commission des Questions sociales, de la santé et de la famille ne peut que condamner les conditions plus que précaires dans lesquelles se retrouvent les travailleurs agricoles, qui s'apparentent le plus souvent aux conditions de l'esclavage moderne. Elle ne peut donc que soutenir les propositions visant à mettre fin à ces disparités en instituant un cadre juridique contraignant, assorti de sanctions adéquates, et rappelle l'importance pour les États de signer ou ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Dans ce contexte, elle rappelle que, conformément aux principes énoncés dans la Charte sociale européenne révisée, tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables et ont droit à la dignité dans le travail.
Cette référence à la Charte sociale européenne révisée, mais aussi à la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, nous apparaît donc indispensable. C'est pourquoi je proposerai, au nom de notre commission des Questions sociales, de la santé et de la famille, deux amendements en ce sens.
Bien entendu, nous adhérons à l'ensemble de la proposition faite par notre rapporteur. »
M. Rudy Salles, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord féliciter, au nom du groupe ADLE nos deux rapporteurs qui ont fait un excellent travail sur un sujet aussi difficile que l'Agriculture et l'emploi irrégulier en Europe et sur la situation des travailleurs, migrants dans les agences de travail temporaire. En effet, ces secteurs ne nécessitant pas une main d'oeuvre qualifiée et devant faire face à des demandes saisonnières très importantes, attirent des travailleurs migrants en situation irrégulière en nombre important.
Je veux insister sur l'ensemble des conséquences d'une telle situation : des entreprises peu scrupuleuses qui utilisent cette main d'oeuvre à bas prix, les conditions précaires de vie de ces travailleurs, qui confinent parfois à une sorte d'esclavage. Il n'est pas rare de voir certains de ces travailleurs vivre dans des containers, ne disposer d'aucune installation sanitaire digne de ce nom. Ils perçoivent des sommes dérisoires sans aucune protection sociale bien entendu.
Notre Assemblée doit condamner ces pratiques avec la plus grande fermeté, ce que nous faisons d'ailleurs régulièrement ici. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'appuyer la recommandation faite au Comité des Ministres invitant les États membres à prendre toutes les mesures qui conviennent pour empêcher ces graves infractions au droit du travail et à permettre le retour de ces migrants dans leur pays avec des accords de coopération permettant à ces travailleurs de pouvoir trouver une qualification.
Au-delà de cet aspect, je voudrais dire combien le sujet me paraît grave et surtout susceptible d'une aggravation exponentielle dans l'avenir. En effet, la situation de l'Afrique est catastrophique. De nombreux peuples souffrent de maladie, de famine, de guerres, de dictatures. Depuis près de 50 ans, les États européens participent à des programmes de développement vis-à-vis des pays africains, mais force est de constater que la situation empire notamment avec l'augmentation de la population et le développement de terribles pandémies.
Aujourd'hui nous devons lancer un cri d'alarme pour qu'une mobilisation générale soit engagée à l'égard de l'Afrique depuis les États membres du Conseil de l'Europe. Continuer les actions du passé sans leur donner une dimension supérieure de très grande envergure serait criminel. D'autre part, les questions touchant à l'immigration et notamment à l'immigration irrégulière occupent souvent le premier rang de l'actualité dans nos pays respectifs. Devant l'impuissance des États à régler les problèmes liés à l'immigration clandestine, des mouvements extrêmes se sont développés dans les opinions publiques jusqu'à menacer le bon fonctionnement des démocraties. Ainsi, l'absence de prise en compte de problèmes aussi lourds et surtout le manque de solutions durables ont-ils des prolongements multiformes qui affectent aussi bien les pays d'origine que les pays d'accueil.
Nous devons donc soutenir les rapports proposés par nos collègues qui sont un pas en avant dans la bonne direction. Mais il faudra aller plus loin, beaucoup plus loin. En effet, nos pays ont trop longtemps traité les conséquences du problème, il faut désormais s'attaquer aux causes. L'immigration clandestine et son corollaire le travail illégal ne sont en effet que les conséquences de la pauvreté et des maux dont souffrent certains pays. Et si l'on arrive à éradiquer la grande misère du continent africain en permettant aux peuples de ce continent de vivre chez eux dans de bonnes conditions, alors on aura progressé et les questions qui figurent dans le rapport ne seront plus aussi préoccupantes qu'elles le sont aujourd'hui. Cet effort de solidarité est majeur si l'on veut maintenir l'équilibre du monde. C'est pourquoi le groupe ADLE votera bien entendu cette recommandation. »
M. Francis Grignon, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, je me réjouis que notre assemblée, dans un contexte de mondialisation galopante, se soit saisie d'un problème qui touche de très près nos concitoyens, puisqu'il s'agit du partage du travail et des emplois en Europe et de la protection des travailleurs de tous les pays. Je remercie donc les rapporteurs d'avoir traité ces problèmes liés au détachement des travailleurs, aussi bien en agriculture que dans le cadre du travail temporaire.
Nous avons encore le souvenir de l'émotion provoquée par les interprétations de la directive sur les services. Les détracteurs de l'Europe en avaient fait l'instrument de la généralisation d'une concurrence déloyale susceptible de ruiner le modèle social européen. Je sais malheureusement ce qu'il en a coûté en France lors du référendum sur le traité constitutionnel.
Le sujet dont traite le rapporteur ne concerne pas directement les services, mais on n'en est pas loin, car il s'agit d'emplois souvent vacants dans les pays économiquement les plus développés, essentiellement dans le bâtiment et l'agriculture, voire certains emplois à caractère social ou d'aide à la personne. Je crois, avec notre rapporteur, qu'il convient de prévoir des normes pour les travailleurs détachés en particulier lorsqu'il est sous contrat avec une agence de travail temporaire et je crois que ces normes doivent être contrôlées. Je pense donc qu'il faut renforcer les maillons faibles du cadre juridique actuel.
J'ai à faire sept propositions pratiques dans ce sens, une pour chaque jour de la semaine.
Premièrement, et c'est, me semble-t-il, la plus importante, il faut valider au niveau européen la déclaration préalable de détachement, et sans franchise. C'est le préalable à tout contrôle effectif dès la prise de fonction.
Deuxièmement, les conditions de travail doivent être contrôlées, en particulier les dispositions régissant le salaire minimum dans le pays d'accueil, car il arrive souvent que ce salaire minimum comprenne les frais de déplacement et d'autres dépenses qui n'ont rien à voir et qui pénalisent le travailleur.
Troisièmement, il serait intéressant qu'une personne de contact de l'entreprise du pays d'origine soit présente dans le pays d'accueil, dûment mandatée pour effectuer tous les actes obligatoires.
Quatrièmement, dans certains pays, le recours abusif au statut de travailleur indépendant devrait être réprimé et les emplois devraient être requalifiés afin de les rendre conformes à la Directive 1996/71 sur le détachement.
Cinquièmement, les moyens modernes de communication devraient mettre en réseau les organismes européens de sécurité sociale, en particulier avec les pays d'origine pour éviter la fraude notamment dans ces pays.
Sixièmement, des contrôles inopinés devraient être menés non seulement la semaine mais aussi le dimanche et les jours fériés et hors des heures de travail habituelles, afin d'éviter le travail au noir et l'exploitation des travailleurs.
Septièmement, il faudrait améliorer la transparence des sous-traitances d'entreprises et la publicité des contrats avec les maîtres d'ouvrage dans les pays d'accueil.
En conclusion, si nous voulons construire une Europe efficace et solidaire, il nous faut approfondir, d'un commun accord, des règles sociales à côté de nos règles économiques, qu'il faut ensuite faire respecter. C'est à cette condition que les pays les plus développés accepteront de travailler en toute sérénité avec les pays les moins développés et que les travailleurs seront partout respectés et bien traités. Je voterai donc sans réserve les projets contenus dans ces rapports. »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté deux Recommandations (n° 1781 et 1782) et une Résolution (n° 1534).