B. DES PROJETS NATIONAUX DE RÉFORME INÉGALEMENT AMBITIEUX
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, dont le volet consacré à la prescription a été rédigé par M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, et le projet d'ordonnance élaboré par le gouvernement de M. Dominique de Villepin, ont pour points communs de réduire les délais de prescription et de retenir les mêmes règles de droit transitoire. Ils se distinguent en revanche par l'ampleur inégale des réformes proposées.
Lors de son audition, M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a exposé que cette dernière avait décidé de ne formuler que des propositions pratiques, minimales, nourries par les difficultés constatées dans le traitement judiciaire de la prescription, au motif qu'une réforme plus vaste imposait de faire des choix relevant de la compétence du seul législateur.
M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, a justifié le choix du précédent gouvernement de s'en tenir aux propositions de la Cour de cassation en faisant valoir, d'une part, qu'une réforme de grande ampleur aurait peu de chance d'aboutir en raison des oppositions qu'elle ne manquerait pas de susciter, d'autre part, que la décision de proposer au Parlement de procéder par voie d'ordonnance, justifiée par l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées à la fin de la précédente législateur, ne permettait d'envisager que des modifications a minima .
Dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, souligne à l'inverse qu'« il a paru indispensable de ne pas se cantonner à diminuer la durée de la prescription de droit commun qu'aujourd'hui tout le monde trouve excessive. Cette position minimum présenterait pourtant des avantages : d'abord de rendre facile la réforme, comme toute solution simple. En outre, un consensus général accepterait aisément la modification de l'actuel article 2262 du code civil en réduisant le délai à dix ans ; malgré l'avantage de la simplicité et du consensus, cette solution ne serait cependant qu'une réformette ; la réforme du droit de la prescription appelle une vision d'ensemble beaucoup plus drastique 165 ( * ) . »
1. Une volonté commune de réduire les délais
Qu'il s'agisse de prescription extinctive ou de prescription acquisitive, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit ainsi une réduction des délais bien plus drastique que le projet d'ordonnance du précédent gouvernement.
a) Une réduction sensible des délais légaux de la prescription extinctive
(1) L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription : un délai de droit commun de trois ans, des délais spéciaux inférieurs ou égaux à dix ans et un délai butoir de dix ou trente ans
S'inspirant de la réforme allemande du BGB et des Principes du droit européen des contrats, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription suggère de ramener de trente à trois ans le délai de droit commun de la prescription extinctive.
Selon M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, un tel délai présenterait de nombreux avantages : « d'abord, il traduirait le nouvel esprit du droit civil des pays faisant partie de l'Union européenne et du droit communautaire contemporain (et dont la réforme du Code civil s'impose chaque fois qu'elle est utile) : non seulement une tendance à une certaine unification, mais surtout, de plus en plus attaché à la rapidité des opérations contractuelles et l'on comprend que les milieux d'affaires allemands (non, semble-t-il, tous les universitaires) y soient attachés. En outre, il présente les mérites de la simplification, qui en rendrait la connaissance facile, ce qui est particulièrement précieux dans une société devenue aussi complexe que la nôtre »
Il observe qu'« une réforme de cette ampleur supposera un grand courage politique car elle soulèvera un tollé d'oppositions. Pourquoi par exemple, diront les assurances et la sécurité sociale, passer d'un délai de deux ans, qui donnait satisfaction à tout le monde, à trois ans ? A l'inverse les salariés protesteront lorsque la prescription des dettes périodiques, telles que le salaire, passera de cinq à trois ans. Réponse : il faut absolument simplifier notre droit ; pour échapper à sa fragmentation, il faut trancher dans le vif . 166 ( * ) . »
A l'instar de son homologue allemand, le délai triennal de droit commun souffrirait toutefois de nombreuses exceptions .
Un délai de dix ans serait ainsi prévu pour les actions en responsabilité civile tendant à la réparation d'un préjudice corporel ou de tout préjudice causé par des actes de barbarie, les actions en nullité absolue et les actions relatives à un droit constaté par un jugement ou un autre titre exécutoire.
En outre, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription n'envisage de modifier ni les délais de prescription énoncés par les traités internationaux et le droit européen, en raison de leur supériorité sur la loi française, ni ceux du droit pénal, de la procédure civile, des voies d'exécution, du droit de la presse, du droit cambiaire, des procédures collectives, du droit de la famille, des successions et des régimes matrimoniaux, « qui ont chacun une prescription dont le particularisme est marqué », ni les délais égaux ou inférieurs à six mois pendant lesquels un droit doit être exercé ou une action introduite, à peine de déchéance.
Comme le note M. Philippe Malaurie à propos de la réforme du BGB allemand et des Principes du droit européen des contrats, « cette simplification comporte donc une part d'illusions ».
Tout en conservant une pluralité de délais, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription propose, et l'importance de cette proposition mérite d'être soulignée, d'instituer un délai butoir de dix ou trente ans à compter du fait générateur de l'obligation pour la totalité des prescriptions , les cas d'imprescriptibilité étant maintenus. Le délai de trente ans serait applicable aux actions en responsabilité civile ayant pour objet la réparation d'un préjudice corporel ou résultant d'un acte de barbarie ou d'une atteinte à l'environnement. Ce délai butoir de dix ou trente ans ne serait susceptible ni de report, ni d'interruption, ni de suspension, ni d'aménagement conventionnel .
(2) Le projet d'ordonnance : un délai de droit commun de dix ans et un délai de cinq ans pour l'action en répétition de l'ensemble des créances à terme
Suivant les recommandations de la Cour de cassation, le projet d'ordonnance élaboré par le précédent gouvernement prévoit de fixer à dix ans le délai de prescription de droit commun applicable aux actions mobilières et personnelles .
Lors de son audition par la mission d'information, M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a fait valoir qu'« une telle évolution éviterait l'incohérence actuelle qui aboutit à des prescriptions différentes pour une action en responsabilité trouvant son origine dans le même fait qui, sur le fondement délictuel sera prescrite par dix ans et ne le sera qu'au bout de trente ans pour le tiers victime de l'inexécution contractuelle dont l'assemblée plénière de la Cour de Cassation du 6 octobre 2006 vient de rappeler qu'il peut se prévaloir de l'inexécution d'un contrat qui lui occasionne un dommage . »
Le rapport établi en 2004 par le groupe de travail qu'il présidait observe également que le délai de dix ans est d'ores et déjà retenu dans de nombreux autres cas : pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre les commerçants ou entre commerçants et non commerçants, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ( article L. 110-4 du code de commerce ), pour la responsabilité civile des constructeurs d'ouvrage, qu'elle soit contractuelle ( article 1792 du code civil ) ou extracontractuelle 167 ( * ) , ou encore pour la responsabilité du fait des produits défectueux ( article 1386-16 du code civil ).
On peut ajouter que le délai de dix ans a été récemment retenu dans le cadre de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, pour l'exercice de la faculté d'option de l'héritier ( article 780 du code civil ) , ainsi que dans le cadre de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, pour les actions relatives à la filiation qui ne sont pas enfermées dans un autre délai ( article 321 du code civil ).
Les durées particulières seraient maintenues . L'exposé des motifs du texte communiqué à la mission d'information souligne que : « s'agissant des actions relatives à l'état des personnes et notamment des actions en nullité du mariage, il paraît indispensable de préserver une prescription trentenaire. En effet le délai de dix ans est manifestement trop court au regard des délais de révélation de certaines causes de nullité du mariage (notamment la bigamie) . »
Suivant toujours les recommandations de la Cour de cassation, le projet d'ordonnance prévoit en outre de fixer à cinq ans le délai de prescription des actions en répétition de l'ensemble des créances à terme , afin de l'aligner sur celui des actions en paiement de telles créances.
L'article 113 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale n'a opéré cette réforme que pour la prescription des actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives.
Les autres actions en répétition qui, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, relèvent donc du régime des quasi-contrats, restent soumises au délai de droit commun. Or le rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, souligne que « cette solution présente de graves inconvénients pour les salariés lorsque l'employeur ou les ASSEDIC engagent tardivement des actions en répétition de salaires ou de prestations indûment versés ».
* 165 Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription -La Documentation française - 2005 - page 173.
* 166 Idem.
* 167 Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 16 octobre 2002.