Rapport d'information n° 338 (2006-2007) de MM. Jean-Jacques HYEST , Hugues PORTELLI et Richard YUNG , fait au nom de la commission des lois et de la mission d'information de la commission des lois, déposé le 20 juin 2007
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INTRODUCTION
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LES 17 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
D'INFORMATION
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PREMIÈRE PARTIE - LA PRESCRIPTION EN
MATIÈRE PÉNALE
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I. LA « CRISE » DU DROIT DE LA
PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE
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A. LES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE LA PRESCRIPTION
EN QUESTION
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B. L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS DE
PRESCRIPTION
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C. L'APPLICABILITÉ IMMÉDIATE DES
NOUVELLES DURÉES DE PRESCRIPTION AUX PRESCRIPTIONS EN COURS
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A. LES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE LA PRESCRIPTION
EN QUESTION
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II. UNE RÉFORME D'ENSEMBLE AUJOURD'HUI
NÉCESSAIRE
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A. UN DROIT DEVENU COMPLEXE ET INCERTAIN
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B. LES ENSEIGNEMENTS DU DROIT COMPARÉ :
UNE RECONNAISSANCE LARGEMENT PARTAGÉE DU PRINCIPE DE LA
PRESCRIPTION
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C. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
D'INFORMATION : MAINTENIR LE PRINCIPE DE LA PRESCRIPTION EN RESTAURANT LA
COHÉRENCE DU DISPOSITIF
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1. Préserver le principe de la
prescription
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2. La nécessité d'une nouvelle
approche
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3. Allonger les délais de
prescription
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a) L'allongement des délais de prescription
de l'action publique
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b) Le report, pour les infractions occultes ou
dissimulées, du point de départ du délai de prescription
de l'action publique au moment où les faits sont apparus
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c) La fixation d'un délai butoir pour la
prescription des infractions occultes ou dissimulées
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a) L'allongement des délais de prescription
de l'action publique
-
1. Préserver le principe de la
prescription
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A. UN DROIT DEVENU COMPLEXE ET INCERTAIN
-
I. LA « CRISE » DU DROIT DE LA
PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE
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SECONDE PARTIE - LA PRESCRIPTION EN
MATIÈRE CIVILE
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I. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE
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A. UN CHAMP D'APPLICATION ÉTENDU
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B. DES RÉGIMES COMPLEXES
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1. Des délais pléthoriques
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2. Un décompte complexe
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3. « L'énigme » des
délais préfix
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1. Des délais pléthoriques
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C. DES EFFETS CONDITIONNÉS
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A. UN CHAMP D'APPLICATION ÉTENDU
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II. UNE RÉFORME ATTENDUE
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A. UN DÉCALAGE DE PLUS EN PLUS
ACCENTUÉ DU DROIT FRANÇAIS PAR RAPPORT AUX RÈGLES
ADOPTÉES À L'ÉTRANGER
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B. DES PROJETS NATIONAUX DE RÉFORME
INÉGALEMENT AMBITIEUX
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1. Une volonté commune de réduire
les délais
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a) Une réduction sensible des délais
légaux de la prescription extinctive
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(1) L'avant-projet de réforme du droit des
obligations et du droit de la prescription : un délai de droit
commun de trois ans, des délais spéciaux inférieurs ou
égaux à dix ans et un délai butoir de dix ou trente
ans
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(2) Le projet d'ordonnance : un délai
de droit commun de dix ans et un délai de cinq ans pour l'action en
répétition de l'ensemble des créances à
terme
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(1) L'avant-projet de réforme du droit des
obligations et du droit de la prescription : un délai de droit
commun de trois ans, des délais spéciaux inférieurs ou
égaux à dix ans et un délai butoir de dix ou trente
ans
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b) Une réduction plus timide des
délais de la prescription acquisitive
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(1) Les hésitations de l'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription :
un délai unique de dix ans ou un délai de vingt ans
ramené à dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du
possesseur ?
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(2) Le projet d'ordonnance : le maintien du
délai de droit commun de trente ans et l'unification à dix
ans de la durée de la prescription abrégée
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(1) Les hésitations de l'avant-projet de
réforme du droit des obligations et du droit de la prescription :
un délai unique de dix ans ou un délai de vingt ans
ramené à dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du
possesseur ?
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a) Une réduction sensible des délais
légaux de la prescription extinctive
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2. Une évolution du régime de la
prescription prévue par le seul avant-projet de réforme du droit
des obligations et du droit de la prescription
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3. Des dispositions transitoires identiques
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1. Une volonté commune de réduire
les délais
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C. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
D'INFORMATION : RÉDUIRE LES DÉLAIS ET SIMPLIFIER LE
RÉGIME DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE
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1. Réduire les délais de
prescription actuels
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2. Assouplir les régimes de
prescription
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a) Rénover les règles de
décompte des délais
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b) Ne pas introduire, de manière
générale, un délai butoir
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c) Conforter le rôle de la volonté
des parties
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(1) Etendre la liberté contractuelle, sauf
en cas de déséquilibre entre les parties
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(2) Conserver l'interdiction faite au juge de
relever d'office la prescription
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(3) Poser le principe de la soumission des
délais dits de forclusion au même régime que les
délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des
règles spécifiques
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(1) Etendre la liberté contractuelle, sauf
en cas de déséquilibre entre les parties
-
a) Rénover les règles de
décompte des délais
-
3. Rénover les règles du droit
transitoire
-
1. Réduire les délais de
prescription actuels
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A. UN DÉCALAGE DE PLUS EN PLUS
ACCENTUÉ DU DROIT FRANÇAIS PAR RAPPORT AUX RÈGLES
ADOPTÉES À L'ÉTRANGER
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I. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE
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ANNEXE 1 - DÉLAIS DE PRESCRIPTION
APPLICABLES EN MATIÈRE CIVILE
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ANNEXE 2 - GLOSSAIRE DU DROIT DE LA
PRESCRIPTION
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ANNEXE 3 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES OU AYANT
FOURNI UNE CONTRIBUTION ÉCRITE
N° 338
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 février 2007 Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juin 2007 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information (2) sur le régime des prescriptions civiles et pénales ,
Par MM. Jean-Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.
(2) Cette mission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Hugues Portelli et Richard Yung, rapporteurs .
Droit civil et pénal . |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
« La prescription est la protectrice du genre humain introduite pour l'utilité publique » 1 ( * ) selon une formule de Cassiodore. Formalisée sous l'Empire romain, la prescription constitue depuis les temps les plus anciens un principe fondamental de notre droit. Elle fait de l'écoulement du temps -dans les conditions définies par la loi- un mode d'acquisition d'un droit (en matière civile), d'extinction de l'action en justice (en matières civile et pénale) et enfin d'extinction de la peine (en matière pénale). Bien qu'elle obéisse à des régimes juridiques différents en droit civil et en droit pénal, la prescription répond à l'origine à un souci commun de sécurité juridique.
Un ancien légiste français, Jean de Catellan, conseiller au Parlement de Toulouse, mettait ainsi en parallèle le civil et le pénal : « comme on n'a pas trouvé qu'il fût juste que le domaine et la propriété des choses fût toujours en incertitude et en suspens (...) , on a trouvé qu'il était cruel que la vie d'un homme qui s'est malheureusement laissé aller au crime, fût toujours incertaine et mal assurée du côté de ce crime, qui le menace du moment qu'il est commis » 2 ( * ) .
La prescription constitue aussi la sanction de la négligence des personnes ou de l'autorité publique à engager avec diligence l'action en justice. Elle se justifie en outre par la difficulté de conserver ou d'établir les preuves d'un droit ou d'une infraction au terme d'un certain délai.
Fondé sur des principes simples fixés pour l'essentiel à l'époque de la codification napoléonienne, le droit de la prescription semble entré, depuis plusieurs décennies, dans une ère d'instabilité marquée par la multiplication des dispositions particulières et dérogatoires aux règles classiques.
Cette évolution s'inscrit néanmoins dans des perspectives contradictoires selon que l'on envisage le domaine pénal ou civil. Dans le premier cas, les délais tendent à s'allonger tandis qu'en matière civile, et en dépit de nombreuses nuances, la prescription trentenaire cède de plus en plus le pas à des délais plus courts. Le temps de la prescription est en effet vécu aujourd'hui de manière profondément différente selon le domaine du droit concerné. Sans doute le même sentiment d'accélération du temps, propre à la société contemporaine, emporte-t-il l'exigence d'une plus grande rapidité dans le traitement des affaires civiles mais conduit-il aussi, par réaction, peut-être, à nourrir une volonté ou un « devoir » de mémoire lorsque sont en cause, en particulier, les valeurs protégées par le code pénal.
La situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d'insécurité, à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur la primauté de la sécurité . Elle appelle en conséquence une remise en ordre qui, en matière civile en particulier, a déjà fait l'objet de réflexions et de propositions approfondies.
Compte tenu des enjeux essentiels de la prescription dans l'application de la règle de droit et de la part qui revient au législateur pour en fixer les principes, votre commission a décidé en février dernier de se saisir de ce sujet. Elle a ainsi confié à MM. Jean-Jacques Hyest, président, Hugues Portelli et Richard Yung une mission d'information sur le régime des prescriptions en matière civile et pénale.
Au terme de l'audition de nombreux spécialistes, universitaires, magistrats ou avocats, des représentants du monde des affaires, de la société civile et des administrations 3 ( * ) , le présent rapport s'efforce, dans les domaines pénal et civil, d'analyser la situation actuelle des prescriptions et les difficultés soulevées et présente plusieurs propositions dans la perspective d'une réforme devenue nécessaire.
LES 17 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
1. MAINTENIR LE PRINCIPE DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE EN RESTAURANT LA COHÉRENCE DU DISPOSITIF
Recommandation n° 1 :
Conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée aux crimes contre l'humanité.
Recommandation n° 2 :
Veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles.
Recommandation n° 3 :
Préserver le lien entre la gravité de l'infraction et la durée du délai de la prescription de l'action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires.
Recommandation n° 4 :
Allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle.
Recommandation n° 5 :
Consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction est révélée, et étendre cette solution à d'autres infractions occultes ou dissimulées dans d'autres domaines du droit pénal et, en particulier, la matière criminelle.
Recommandation n° 6 :
Établir, pour les infractions occultes ou dissimulées, à compter de la commission de l'infraction, un délai butoir de dix ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle, soumis aux mêmes conditions d'interruption et de suspension que les délais de prescription.
Recommandation n° 7 :
Fixer l'acquisition de la prescription au 31 décembre de l'année au cours de laquelle expirent les délais de prescription.
2. RÉDUIRE LES DÉLAIS ET SIMPLIFIER LE RÉGIME DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE
Recommandation n° 8 :
Abaisser de trente ans à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive.
Recommandation n° 9 :
Maintenir en principe les délais de prescription extinctive actuellement inférieurs à cinq ans, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence.
Recommandation n° 10 :
Etendre le délai de cinq ans aux prescriptions extinctives d'une durée plus longue, notamment aux obligations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence.
Recommandation n° 11 :
Maintenir à trente ans le délai de droit commun de la prescription acquisitive en matière immobilière et fixer une durée abrégée unique de dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur, quel que soit le lieu de résidence du propriétaire.
Recommandation n° 12 :
Faire de la négociation de bonne foi entre les parties une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation.
Recommandation n° 13 :
Transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription et conférer également un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé.
Recommandation n° 14 :
Supprimer les interversions de prescription.
Recommandation n° 15 :
Prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par voie contractuelle, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation.
Recommandation n° 16 :
Poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion ou préfix au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques.
Recommandation n° 17 :
Consacrer les solutions jurisprudentielles en matière de droit transitoire.
PREMIÈRE PARTIE - LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE
En matière pénale, il convient d'abord de distinguer la prescription de l'action publique qui fait obstacle à l'exercice des poursuites au terme d'un certain délai, de la prescription de la peine destinée à éteindre les peines restées inexécutées, en tout ou partie, par l'effet de l'écoulement du temps depuis la décision de condamnation.
Héritier du droit romain, le droit pénal français a toujours admis le principe de la prescription.
Les délais actuels de prescription et leur déclinaison tripartite selon la gravité de l'infraction (crimes, délits, contraventions) ont été fixés par le code d'instruction criminelle de 1808.
Depuis deux décennies, la remarquable stabilité de ces règles est remise en cause par la multiplication des dérogations à l'initiative du législateur et du juge qui, toutes, concourent à l'allongement des délais de prescription. Peut-être ces évolutions sont-elles facilitées par le caractère procédural traditionnellement reconnu aux règles de prescription (inscrites, s'agissant de la prescription de l'action publique dans le code de procédure pénale et non dans le code pénal).
Elles semblent traduire en tout état de cause une hostilité croissante au principe même de la prescription . Faut-il y voir la marque d'une société soucieuse de faire prévaloir la mémoire sur l'oubli ? Quoiqu'il en soit, la situation présente est source de confusion et d'insécurité juridique.
Votre commission s'est opposée, à plusieurs reprises, à des révisions fragmentaires des règles de prescription qui ne peuvent que fragiliser davantage le système actuel. Elle a plaidé en revanche pour une approche cohérente fondée sur un diagnostic précis des difficultés actuelles 4 ( * ) .
Telle a précisément été l'objectif assigné à votre mission. Vos rapporteurs se sont d'abord efforcés de dresser un état des lieux avant de prendre la mesure des difficultés soulevées et d'esquisser les pistes d'une réforme d'ensemble des règles de prescription.
I. LA « CRISE » DU DROIT DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE PÉNALE
Avant de s'interroger sur l'opportunité d'une réforme d'ensemble et, le cas échéant, sur sa teneur, il convient de tirer les enseignements de l'état présent du droit et des difficultés soulevées.
A l'issue des auditions auxquelles la mission d'information a procédé, un double constat peut être dressé : les fondements traditionnels de la prescription n'apparaissent plus aussi assurés tandis que les évolutions législatives et jurisprudentielles tendent à un allongement des délais de prescription.
A. LES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE LA PRESCRIPTION EN QUESTION
Comme le notait M. Jean Danet, maître de conférences à l'université de Nantes, lors de ses échanges avec vos rapporteurs, la partie des manuels de procédure pénale consacrée aux fondements de la prescription n'a cessé de se réduire au fil des éditions successives. Les raisons de principe avancées pour justifier la prescription de l'action publique et des peines ont perdu de leur force et ne semblent plus retenir qu'une attention de principe. La doctrine privilégie désormais des fondements plus pragmatiques qui sont d'ailleurs, eux-mêmes, parfois remis en cause.
Les fondements de la prescription de l'action publique et de la peine sont en partie communs.
En premier lieu, la paix et la tranquillité publique commanderaient, après un certain délai, d'oublier l'infraction et non d'en raviver le souvenir. Cette « grande loi de l'oubli » contredit le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés ou de les rappeler à la mémoire. Ainsi, l'oubli d'affaires pénales risque davantage aujourd'hui de heurter l'opinion publique que de conduire à l'apaisement. En outre, le sentiment commun prête au rappel de faits traumatiques, sous la forme d'un procès et d'une condamnation, des vertus thérapeutiques qui permettent aux victimes de « faire leur deuil » et de leur apporter le réconfort nécessaire.
La prescription a aussi été considérée comme la contrepartie de l' inquiétude dans laquelle vit l'auteur des faits aussi longtemps qu'il échappe à la poursuite et à la punition. Il y a, à l'évidence, quelque naïveté à placer l'état d'incertitude psychologique au même plan qu'une peine effective. Faut-il d'ailleurs souligner que certains délinquants -par exemple l'auteur d'un crime pervers- nient toute responsabilité dans les faits qu'ils ont commis ? Ils sont peu enclins au remords, a fortiori s'ils échappent à toute condamnation.
Deux arguments en faveur de la prescription conservent leur valeur même s'ils suscitent aussi certaines objections.
Ainsi la prescription serait la sanction de la négligence de la société à exercer l'action publique ou à exécuter la peine. Comme le soulignait Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation, « parce que tout temps mort excessif laisse présumer le désintérêt de la victime ou du ministère public et leur renoncement, dans un système marqué par le principe d'opportunité des poursuites, la prescription apparaît nettement comme la réponse procédurale apportée à l'inaction ou l'oubli, volontaire ou involontaire » 5 ( * ) . Cependant, cette justification peut s'apprécier différemment selon que la négligence est antérieure ou postérieure à l'engagement des poursuites. Selon M. Jean Danet, le principe selon lequel la prescription est une sanction de la négligence à exercer les poursuites engagées est parfaitement fondé et rejoint l'impératif de juger dans un délai raisonnable. En revanche, la perte du droit de punir apparaît plus contestable lorsque les poursuites n'ont pas été engagées. Le contentieux des infractions sexuelles ou des violences conjugales témoigne d'ailleurs des difficultés des victimes à dénoncer les faits dans le temps de la prescription : « La sanction de la négligence de la victime ne peut être aujourd'hui acceptée comme fondement général de la prescription » 6 ( * ) .
Le dépérissement des preuves est, enfin, souvent présenté aujourd'hui comme l'une des justifications les plus solides de la prescription. Il ne vaut cependant que pour l'action publique.
Avec les années, en effet, les traces ou les indices disparaissent et les témoignages deviennent plus fragiles. Le risque de l'erreur judiciaire conduit logiquement à renoncer à exercer l'action publique. Toutefois, les nouveaux moyens scientifiques de preuve, en particulier le recours aux empreintes génétiques, permettent de rendre justice de plus en plus tard. L'argument pourrait d'ailleurs s'inverser : les avancées technologiques commandent de retarder le plus possible la prescription. Qui sait si les traces de l'infraction ne livreront pas, à la faveur de nouveaux moyens d'investigation, les éléments permettant de découvrir l'auteur des faits ?
Les différents fondements de la prescription apparaissent ainsi ébranlés dans une société réticente à l'oubli.
B. L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION
Sans doute le principe même de la prescription continue-t-il de largement prévaloir. Cependant, l'allongement des délais de prescription du fait des initiatives conjuguées du législateur et du juge concourent à rendre, de fait, certaines infractions difficilement prescriptibles.
1. La mise en place de régimes législatifs augmentant la durée de prescription pour certaines infractions
Les exceptions au principe même de la prescription sont très réduites.
Dans l'ancien droit français, antérieur au code d'instruction criminelle de 1808, le champ des infractions imprescriptibles était plus large et couvrait les crimes les plus graves généralement passibles de la peine de mort, tels que les crimes de lèse-majesté divine et humaine -cette notion renvoyant à toutes les atteintes graves non seulement au souverain ou à l'Etat mais aussi à son autorité et à ses attributions, comme la fausse monnaie ou la concussion 7 ( * ) .
Traditionnellement, les infractions militaires de désertion à bande armée, de désertion à l'ennemi ou en présence de l'ennemi et de désertion ou d'insoumission à l'étranger en temps de guerre pour se soustraire aux obligations militaires ( articles 94, alinéa 2, et 181 du code de justice militaire pour l'action publique ; article 375, alinéa 2, du code de justice militaire pour la peine) sont imprescriptibles.
Surtout, depuis la loi n° 64-1236 du 26 décembre 1964, les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Dans son article unique, ce texte disposait que les « crimes contre l'humanité, tels qu'ils sont définis par la résolution des Nations unies du 13 février 1946, prenant acte de la définition des crimes contre l'humanité, telle qu'elle figure dans la charte du tribunal international du 8 août 1945, sont imprescriptibles par leur nature ». Comme le relevait alors le sénateur Louis Namy 8 ( * ) , en 1964, un criminel de guerre sur sept avait été poursuivi et condamné et près de 100.000 criminels de guerre échappaient encore aux poursuites. En fait, comme l'a rappelé la Cour de cassation 9 ( * ) , la loi du 26 décembre 1964 s'est bornée à confirmer une imprescriptibilité déjà acquise, en droit interne, par l'effet des textes internationaux auxquels la France avait adhéré. En 1992, le nouveau code pénal ( article 213-5 ) consacrait l'imprescriptibilité de l'action publique et des peines en matière de crimes contre l'humanité sans renvoyer, comme le faisait la loi de 1964, à la définition retenue dans la charte du tribunal international du 8 août 1945 afin de marquer sans ambiguïté 10 ( * ) que le « droit de Nüremberg » est « un droit du passé comme un droit de l'avenir, c'est un droit naturel qui possède la dimension « spatio-temporelle » d'un droit international universellement reconnu, à la mesure des crimes dont il assure la protection » 11 ( * ) .
Soucieux de préserver la spécificité du crime contre l'humanité, le législateur s'est toujours refusé, jusqu'à présent, à élargir les bornes de l'imprescriptibilité 12 ( * ) .
Le principe apparaît donc aujourd'hui de la prescription de l'action publique et de la peine 13 ( * ) .
S'agissant de l' action publique , les délais de prescription de droit commun sont de dix ans pour les crimes ( article 7 du code de procédure pénale ), trois ans pour les délits ( article 8 du code de procédure pénale ) et d' un an pour les contraventions ( article 9 du code de procédure pénale ). Ces délais et leur déclinaison tripartite selon la gravité de l'infraction ont été fixés par le code d'instruction criminelle de 1808.
Les délais de prescription de la peine sont de vingt ans pour un crime ( article 133-2 du code pénal ), de cinq ans pour un délit ( article 133-3 du code pénal ) et de trois ans pour une contravention ( article 133-4 du code pénal ).
Traditionnellement, notre droit admet des délais plus courts de prescription de l'action publique en matière de presse 14 ( * ) . Ainsi, la loi du 26 mai 1819 prévoyait que l'action publique en cas de crime ou de délit se prescrivait par six mois ou par un an, en fonction de l'existence ou de l'absence d'un acte de poursuite ou d'instruction 15 ( * ) . La loi du 29 juillet 1881 a ramené ces délais à trois mois -délais toujours en vigueur dans notre droit.
Cependant la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux conditions de la criminalité a allongé à un an le délai de prescription en matière de presse concernant les délits de provocation à la discrimination et à la haine raciale, de diffamation et d'injure raciale et de contestation de crime contre l'humanité.
Le nouveau code pénal ( article 434-25 ) a repris le délai de trois mois pour la prescription de l'action publique relative au délit de discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle.
Au cours de la période récente, le législateur a tendu à allonger les délais de prescription de certaines infractions, diversifiant ainsi le régime hérité du code Napoléon.
En matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme , la loi n° 95-125 du 8 février 1995 a ainsi porté à trente ans pour les crimes et vingt ans pour les délits la prescription de l'action publique et de la peine ( article 706-25-1 et 706-31 du code procédure pénale ).
En matière d' infractions sexuelles commises contre les mineurs , le délai de prescription de l'action publique a été porté par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 à vingt ans pour les crimes ainsi que certains délits d'agression ou d'atteinte sexuelle aggravées et à dix ans pour les autres délits visés à l' article 706-47 du code de procédure pénale .
La prescription de l'action publique comme celle de la peine est d' ordre public . Elle doit être relevée d'office par le juge ; le délinquant ou le condamné ne saurait y renoncer.
2. Les motifs jurisprudentiels d'allongement des délais de prescription
S'agissant de la prescription de la peine, le point de départ du délai, fixé par les articles 133-2 à 133-4 du code pénal au jour où la condamnation est devenue définitive, ainsi que les causes d'interruption ou de suspension déterminées par la jurisprudence 16 ( * ) ne soulèvent pas d'incertitude. Tel n'est pas le cas pour la prescription de l'action publique dont il sera désormais principalement question.
En effet, les délais de prescription de l'action publique ont également été allongés sous l'effet d'une double évolution jurisprudentielle : le report du point de départ et une conception très extensive des conditions d'interruption ou de suspension.
a) Le report du point de départ
Le code pénal de 1791 prévoyait que les délais de prescription ne commençaient à courir que le jour où l'existence du crime a été connue ou légalement constatée. Le code d'instruction criminelle a remis en cause cette règle et fixé le point de départ au jour de la commission de l'infraction -principe maintenu jusqu'à aujourd'hui ( article 7 du code de procédure pénale ) 17 ( * ) .
L'application de la règle posée par l' article 7 du code de procédure pénale ne soulève pas, en principe, de difficulté pour les infractions instantanées caractérisées, selon la Cour de cassation, par l'« instantanéité de l'action ou de l'omission qui la réalise, et l'épuisement en un instant de la volonté délictueuse de l'auteur » 18 ( * ) . Certaines infractions se réalisent cependant « par une action ou une omission qui se prolonge dans le temps » et se caractérisent « par la réitération constante de la volonté coupable de l'auteur » 19 ( * ) . La Cour de cassation a décidé pour ces infractions « continues » que la prescription ne commence à courir qu'à compter du jour où l'état délictueux a pris fin « dans ses actes constitutifs et dans ses effets » 20 ( * ) . La règle se complique cependant du fait que, même pour les infractions instantanées, le point de départ du délai de prescription peut être reculé .
Sans doute, le législateur a-t-il lui-même prévu le report du point de départ du délai de prescription, en particulier s'agissant des infractions dont les mineurs sont victimes et pour lesquels le point de départ de la prescription court à compter de leur majorité (lois du 4 février 1995 et du 17 juin 1998) 21 ( * ) .
Cependant, le report des délais de prescription procède pour l'essentiel de la jurisprudence de la Cour de cassation -jurisprudence que la grande majorité de la doctrine considère comme extensive, voire, selon plusieurs des interlocuteurs de vos rapporteurs, contra legem , au point de mettre en cause le principe même de la prescription.
Les exceptions jurisprudentielles au principe de l' article 7 du code de procédure pénale se rattachent à trois cas de figure : les infractions répétées, les infractions occultes et les infractions dissimulées.
? Les infractions répétées
Certaines infractions constituent des actes répétés relevant d'une même résolution criminelle. La jurisprudence décide alors de reporter le point de départ de la prescription au dernier acte délictueux .
Cette jurisprudence s'est d'abord appliquée à l' escroquerie , infraction instantanée entièrement consommée par la remise de fonds. Cependant, lorsque l'escroquerie prend la forme de remises successives, la prescription ne commence à courir qu'à compter de la dernière remise 22 ( * ) .
Pour la corruption , consommée dès la conclusion du pacte de corruption, la prescription ne court qu'à compter du dernier acte d'exécution dudit pacte 23 ( * ) .
Cette jurisprudence s'applique aussi à l' usage de faux 24 ( * ) et, plus récemment, au délit d'abus de l'ignorance ou de l'état de faiblesse d'une personne 25 ( * ) . Ces solutions prétoriennes concourent, à l'évidence, à allonger le délai de prescription.
? Les infractions occultes
La Cour de cassation a choisi délibérément de repousser le délai de prescription dans un deuxième cas de figure. Lorsque l'infraction est occulte, le point de départ est fixé au jour où le délit est apparu ou aurait pu être objectivement constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique .
Selon Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation 26 ( * ) , la clandestinité doit être un élément constitutif de l'infraction 27 ( * ) . Elle ne s'assimile pas en revanche à la discrétion de l'auteur de l'infraction : celui-ci, en effet, sauf exception, préfère agir dans l'ombre et sans témoin afin d'obtenir l'impunité. Si elle devait concerner l'auteur, la clandestinité aboutirait à une quasi-imprescriptibilité.
Ainsi circonscrite, cette notion ne concerne à ce jour qu'un nombre assez limité de délits. La clandestinité apparaît, en premier lieu, comme un élément constitutif du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée ou de mise en mémoire de données informatives sans le consentement de l'intéressé . Dans ces deux cas, comme le relève Mme Dominique-Noëlle Commaret, l'atteinte au respect de la vie privée est commise par nature de manière dissimulée, ce qui ne permet pas « que soit révélée aux victimes, dès la réalisation même de l'infraction, l'atteinte portée à leurs droits » 28 ( * ) .
Un autre exemple permet de mieux cerner la notion d'infractions clandestines par nature. Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 23 juin 2004, les faits étaient les suivants : en janvier 1998, un nouveau-né était déclaré à l'état civil comme étant le fils légitime d'un couple marié, puis présenté et élevé comme tel, alors qu'il s'agissait du fils naturel d'une mineure âgée de 15 ans atteinte d'une légère déficience mentale. Neuf ans plus tard, la mère véritable signalait cette substitution de maternité au parquet local, signalement qui déclenchait l'ouverture d'une information judiciaire pour simulation et dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil de l'enfant. Les auteurs et complices de l'infraction soutenaient que les faits étaient prescrits. La chambre criminelle a estimé au contraire que l'infraction était occulte par nature : l' article 227-13 du code pénal réprime en effet le fait de cacher la maternité d'origine pour prêter faussement l'accouchement à une autre femme en attribuant à l'enfant une fausse filiation. Ces manoeuvres, a jugé la Cour, apparaissent constitutives des éléments matériels de réalisation de l'infraction : la condition de clandestinité était réunie et n'a cessé que lorsque les infractions « sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, soit en l'espèce, lors de la révélation desdits faits au ministère public ».
La Cour de cassation a également rangé parmi les infractions occultes par nature l' altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité ( article 434-4 du code pénal) 29 ( * ) , la tromperie 30 ( * ) et la publicité trompeuse ( article L. 121-1 du code de la consommation ) 31 ( * ) .
? Les infractions s'accompagnant de manoeuvres de dissimulation
Selon la définition proposée par Mme Dominique Noëlle Commaret, la « dissimulation consiste à masquer la réalité de l'infraction par des manoeuvres d'occultation, à cacher ce qui est par des artifices, par un montage, le délit ne pouvant être décelé par ceux qui vont en subir les conséquences dommageables ». La dissimulation n'est pas réductible à l'état d'ignorance de la victime mais implique un acte intentionnel d'occultation de la part de son auteur. Il appartient d'ailleurs à la partie poursuivante de démontrer que l'ignorance de la victime résulte de manoeuvres de dissimulation de la part de l'auteur.
Ce n'est donc pas la nature même du délit qui justifie le report du point de départ de la prescription mais les circonstances dans lesquelles il a été commis . A titre d'exemple, la Cour de cassation 32 ( * ) a approuvé une décision de cour d'appel tendant à retarder le point de départ de la prescription dans une affaire concernant un marché public de plus de 4 millions de francs pour laquelle la collectivité locale n'avait pas eu recours à la procédure normale d'appel d'offres. En effet, « le recours à une structure de droit privé, le CIDE, a eu pour effet d'empêcher tous les contrôles habituels et a fait obstacle à la découverte de l'aspect irrégulier d'une opération dissimulée qui a été présentée comme s'inscrivant dans l'exécution d'un marché déjà passé alors qu'il s'agissait d'une opération autonome ». Si la dissimulation peut être caractérisée par des opérations positives d'occultation, elle peut l'être aussi par une abstention (défaut de mention du bénéficiaire d'une dépense dans les comptes d'une société) 33 ( * ) .
La Cour de cassation a appliqué cette jurisprudence au détournement de fonds publics. Après l'avoir également retenue pour l' abus de confiance, en estimant que « la dissimulation des agissements marquant le moment de la violation du contrat servant de base à la poursuite retarde le point de départ de la prescription jusqu'au jour où le détournement est apparu et a pu être constaté » 34 ( * ) , elle semble toutefois aujourd'hui considérer qu'il s'agit d'une infraction occulte par nature -ce qui montre que les frontières entre infractions occultes et clandestines demeurent perméables.
L'exemple le plus typique de l'infraction dissimulée est cependant l'abus de biens sociaux .
Le point de départ de la prescription est fixé, en principe, à la date de présentation des comptes annuels où figurent les dépenses litigieuses mises à la charge de la société. Toutefois, tel n'est pas le cas si ces dépenses ont été dissimulées par des manipulations comptables 35 ( * ) . Aussi, même en présence de dépenses contestables, la date de présentation des comptes annuels ne fait-t-elle pas partir le délai de prescription si des manoeuvres frauduleuses ont empêché les associés de repérer ces dépenses.
Cette dernière solution se fonde sur une jurisprudence de la Cour de cassation, née en 1967 et fortement influencée par celle relative à l'abus de confiance, selon laquelle le point de départ de la prescription du délit d'abus de biens sociaux doit être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être constaté 36 ( * ) . Ainsi, les juges du fond sont tenus de rechercher à quelle date les agissements délictueux ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique 37 ( * ) .
La jurisprudence estimant en outre que le délit d'abus de biens sociaux constitue -tout comme l'abus de confiance- une infraction instantanée, il est consommé, par exemple, à chaque paiement indu lorsqu'il consiste dans le versement d'un salaire pour un emploi fictif 38 ( * ) ou, plus généralement, à chaque usage abusif des biens de la société 39 ( * ) . Une prescription nouvelle part donc à compter de chaque commission des faits constitutifs de ce délit.
En ce qui concerne le délit de recel d'abus de biens sociaux ou d'abus de confiance , la prescription de l'action publique ne peut commencer à courir avant que l'abus dont procède ce délit soit apparu et ait pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique 40 ( * ) .
b) Une interprétation jurisprudentielle extensive des actes interruptifs de prescription
En vertu des articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale , la prescription est interrompue par tout acte d'« instruction ou de poursuite » . Le législateur n'a pas déterminé la liste de ces actes. Il n'est intervenu dans ce domaine que de manière ponctuelle. Ainsi, la loi du 4 janvier 1993 a, en matière de presse, rangé parmi les actes interruptifs de prescription les réquisitions aux fins d'enquête sous réserve qu'elles qualifient les diffamations ou injures à raison desquelles l'enquête est ordonnée ( article 65, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 188 issu de la loi du 4 janvier 1993). De même, la loi n° 2004-404 du 9 mars 2004 a disposé que tous les actes tendant à la mise en oeuvre ou à l'exécution d'une composition pénale interrompaient la prescription ( article 41-2, alinéa 12, du code de procédure pénale ).
Il est donc revenu à la Cour de cassation de préciser la notion d'actes d'instruction ou de poursuite.
Définis comme « ceux qui ont pour objet de constater une infraction, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs » 41 ( * ) , ces actes ont été entendus de manière très extensive par la jurisprudence.
Ils recouvrent d'abord les actes émanant du ministère public (citation directe devant le tribunal correctionnel ou de police, réquisitoire introductif voire même réquisitoire supplétif et réquisitoire définitif). La jurisprudence a étendu le champ des actes interruptifs dans deux domaines d'intervention du parquet :
- les instructions et mandements aux officiers de police judiciaire ; ainsi, le mandement de citation, d'abord considéré comme un simple acte d'administration non interruptif de prescription 42 ( * ) , est aujourd'hui considéré comme un acte interrompant la prescription 43 ( * ) ;
- les demandes de renseignements ; la Cour de cassation avait, en 1977, dénié la valeur d'acte interruptif à une demande de renseignements adressée par le procureur de la République au président de la Chambre des notaires au sujet de faits dénoncés dans une plainte 44 ( * ) . Cependant, dans l'affaire dite des « disparues de l'Yonne », la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu'un soit-transmis du parquet adressé à la direction de l'aide sociale à l'enfance interrompait la prescription. Selon l'argument développé devant la chambre criminelle, cette demande de renseignements, si elle avait été transmise par la voie de la gendarmerie au service concerné, aurait fait l'objet d'un procès-verbal qui, selon une jurisprudence constante 45 ( * ) de la Cour de cassation, interrompt la prescription.
Comme l'a souligné M. Louis di Guardia, avocat général à la chambre criminelle de la Cour de cassation, lors de son audition par la mission d'information, il aurait été paradoxal de conférer un effet moindre à une initiative prise directement par le mandant qu'à celle reconnue au mandataire, en l'espèce, les gendarmes 46 ( * ) .
Les actes de poursuite peuvent aussi être engagés par la partie lésée sous la forme d'une citation directe en cas de contravention ou de délit ou de constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Sans doute, la simple plainte sans constitution de partie civile n'interrompt pas la prescription. Toutefois, comme le relevait M. Jean Danet dans le rapport précité, un procès-verbal de police ou de gendarmerie dans lequel une personne accusée de délits dénonçait à son tour des faits de même nature dont elle se disait victime de la part d'une tierce personne a pu interrompre la prescription pour ces faits : 47 ( * ) « de la « chance » de ne pas être seulement victime, mais aussi auteur », conclut l'auteur.
La jurisprudence assimile aux actes de poursuite entraînant l'interruption de la prescription les jugements ou arrêts, qu'ils soient définitifs ou avant-dire droit, rendus contradictoirement ou par défaut. Elle admet également le caractère interruptif d'une voie de recours.
Outre les actes de poursuite, tous les actes d'instruction -qui ont pour but la recherche et la réunion des preuves de l'infraction- sont interruptifs de prescription.
La jurisprudence a cependant elle-même fixé une double limite à la notion d'actes interruptifs.
En premier lieu, elle refuse cette qualification à des actes de pure administration interne . Tel est le cas, à titre d'exemple, d'une ordonnance de désignation du juge d'instruction 48 ( * ) ou encore de l'ordre donné à la gendarmerie d'extraire un détenu 49 ( * ) .
En second lieu, les actes de poursuite ou d'instruction n'interrompent la prescription que s'ils émanent d'un officier public compétent et sont réguliers dans la forme .
c) Une extension jurisprudentielle de l'effet interruptif de l'acte
L'interruption a pour effet d'effacer le temps écoulé et de faire courir un nouveau délai.
Aux termes de l' article 7, alinéa 2, du code de procédure pénale , la prescription est interrompue vis-à-vis de tous les auteurs, coauteurs et complices de l'infraction, connus ou inconnus. La jurisprudence a cependant étendu la portée de l'interruption par trois voies.
D'abord, la Cour de cassation a admis que l'acte interruptif accompli dans le délai de prescription interrompait la prescription des actions publique et civile, non seulement à l'égard de tous les participants à l'action, mais aussi à l'égard de toutes les victimes de celle-ci 50 ( * ) .
Ensuite, bien que l'effet interruptif soit, en principe, limité au fait délictueux précis, visé par les actes de poursuite ou d'instruction, la jurisprudence, utilisant la notion d' infractions indivisibles ou connexes , étend l'effet interruptif de l'acte à d'autres infractions. Par exemple, une plainte avec constitution de partie civile visant, en termes généraux, les agissements frauduleux des gérants ou des administrateurs, interrompt la prescription à l'égard de tous les actes délictueux commis, qu'il s'agisse des infractions de droit commun (abus de confiance, escroquerie) ou des infractions spéciales au droit des sociétés 51 ( * ) .
Enfin, la jurisprudence prévoit qu'en l'absence de texte, la durée du nouveau délai est celle de droit commun -en revanche, s'agissant du droit de la presse, la loi a explicitement prévu 52 ( * ) que les délits se prescrivent par trois mois à compter du jour où ils ont été commis ou, s'il y a eu interruption, à partir du dernier acte de poursuite (le législateur a prévu des règles identiques pour les délits d'atteinte à l'autorité de la justice - article 434-25 du code pénal ).
d) Des motifs de suspension qui suscitent moins de difficultés
Selon les commentaires recueillis par vos rapporteurs, les motifs de suspension de la prescription -qui, à la différence de l'interruption, ne fait qu'arrêter momentanément le cours de la prescription- suscitent moins de difficulté.
Ils dérivent du principe traditionnel selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut valablement agir ( contra non valentem agere non currit praescriptio ). Le législateur a consacré ce principe dans plusieurs cas particuliers 53 ( * ) .
La Cour de cassation a par ailleurs dégagé plusieurs obstacles de droit ou de fait suspendant la prescription 54 ( * ) .
L'allongement de la durée des délais de prescription ne constitue pas la seule manifestation des résistances rencontrées par la prescription de l'action publique. Le principe de l'applicabilité immédiate, désormais renforcé par le législateur, des nouvelles durées de prescription aux prescriptions en cours est un autre signe de cette tendance.
C. L'APPLICABILITÉ IMMÉDIATE DES NOUVELLES DURÉES DE PRESCRIPTION AUX PRESCRIPTIONS EN COURS
Aux termes de l' article 112-2 (4°) du code pénal issu de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, il est prévu que les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur 55 ( * ) .
La solution adoptée par le législateur est la plus sévère des formules retenues jusqu'alors.
En effet, avant la réforme du code pénal, la Cour de cassation considérait, certes, les lois relatives à la prescription de l'action publique comme des lois de procédure applicables immédiatement aux prescriptions en cours, même si elles étaient plus sévères. Cependant, elle assimilait les lois concernant la prescription des peines aux lois de fond, qui ne pouvaient dès lors s'appliquer aux prescriptions en cours qu'à la condition d'être plus douces 56 ( * ) .
Le code pénal, dans sa rédaction de 1992, avait, à l'initiative du Sénat, privilégié un système plus protecteur en unifiant les règles concernant l'application dans le temps des lois relatives à la prescription sur celles retenues par la jurisprudence en matière de prescription de peines : ainsi, les lois relatives à la prescription de l'action publique s'appliquaient immédiatement sauf si elles avaient pour effet d'aggraver la situation de l'intéressé.
Sans doute ce principe devait-il connaître plusieurs entorses : la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles prévoyait ainsi que les règles plus sévères de prescription de l'action publique pour les crimes ou délits sexuels commis contre les mineurs seraient d'application immédiate.
Le dispositif adopté dans la « loi Perben 2 » maintient l'unité des règles relatives à l'application dans le temps des lois relatives aux prescriptions, qu'il s'agisse de la prescription de l'action publique ou de la peine, mais selon une orientation inverse de celle retenue en 1992 puisque, désormais, même les lois plus sévères - c'est-à-dire celles qui prévoient une prescription plus longue- s'appliquent immédiatement.
En tout état de cause, la loi nouvelle, en vertu de l'article 112-2, 4° n'a pas d'effet sur les prescriptions déjà acquises .
II. UNE RÉFORME D'ENSEMBLE AUJOURD'HUI NÉCESSAIRE
A. UN DROIT DEVENU COMPLEXE ET INCERTAIN
1. La multiplication des régimes législatifs dérogatoires et leurs difficultés
Les évolutions législatives concernant le droit de la prescription soulèvent deux séries de difficultés mises en lumière par plusieurs des interlocuteurs de votre mission.
Tout d'abord, les modifications répétées mais trop dispersées des règles applicables en cette matière ont affecté la cohérence du droit pénal.
L'échelle des délais de prescription constitue l'un des indicateurs de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal comme en témoigne l'allongement des délais de prescription pour les infractions considérées comme les plus graves. Force est de constater, comme l'a souligné devant vos rapporteurs Mme Laurence Leturmy, maître de conférences à la faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers, que cette échelle ne correspond pas toujours aux autres indicateurs de la gravité des infractions.
En premier lieu, l'échelle des durées de prescription de l'action publique ne reflète qu'en partie celle des peines. En effet, les évolutions récentes sont venues brouiller la répartition tripartite des infractions entre contraventions, délits et crimes. A titre d'exemple, les délits d'infractions sexuelles visées par l' article 706-47 du code de procédure pénale se prescrivent par dix ans comme les crimes. Deux délits -l'agression sexuelle aggravée ( article 222-30 du code pénal ) et l'atteinte sexuelle aggravée ( article 227-26 du code pénal )- se prescrivent même par vingt ans, soit un délai deux fois plus long que le délai de droit commun pour les crimes. Au sein même de la catégorie des délits, l'échelle des délais de prescription diffère de celle des peines. Ainsi, la loi n° 2006-396 du 4 avril 2006 a rangé les violences aggravées ayant entraîné une interruption temporaire de travail supérieure à huit jours ( article 222-12 du code pénal ) passibles d'une peine de cinq ans d'emprisonnement parmi les infractions se prescrivant par vingt ans tandis que les agressions sexuelles autres que le viol visées par l' article 222-29 du code pénal , pourtant punies de sept ans d'emprisonnement, se prescrivent par dix ans.
En deuxième lieu, l'échelle des durées de prescription de l'action publique et de la peine ne correspondent plus . En effet, pour les délits à caractère sexuel commis contre les mineurs, l'action publique se prescrit par dix ou vingt ans alors que la peine se prescrit par cinq ans.
Ensuite, comme l'a relevé Mme Laurence Leturmy, il n'apparaît pas davantage de corrélation entre les délais de prescription et les cas d'application de la période de sûreté . Deux exemples en témoignent. L'allongement des délais de prescription pour les infractions de trafic de stupéfiants ne concerne pas l' article 222-39-1 du code pénal -impossibilité de pouvoir justifier des ressources correspondant à son train de vie tout en étant en relations habituelles avec des personnes se livrant à des actes de trafic de stupéfiants- alors que cette infraction emporte comme toutes les autres en matière de trafic de stupéfiants, une période de sûreté de plein droit. Inversement, toutes les infractions d'actes de terrorisme sont soumises à un régime de prescription allongée y compris celle visée par l' article 421-1-3 du code pénal correspondant à l'article 222-39-1 -impossibilité de pouvoir justifier des ressources correspondant à son train de vie tout en étant en relations habituelles avec des personnes se livrant à des actes de terrorisme- qui, cependant, n'est pas assortie d'une période de sûreté de plein droit.
De même, la durée du délai de prescription de l'action publique du crime de viol commis sur mineur est passée à vingt ans. Or, si la période de sûreté est applicable aux viols aggravés à raison soit du décès de la victime, soit de l'emploi de tortures et d'actes de barbarie, elle ne l'est pas, en revanche, pour les crimes aggravés du seul fait du jeune âge de la victime ( article 222-24 du code pénal ).
L'état du droit conduit ainsi à appréhender la gravité d'une infraction de manière différente selon l'angle retenu : peine, période de sûreté ou prescription. Cette situation, liée à des modifications répétées et partielles, nuit à la lisibilité de notre droit pénal .
Au-delà des considérations de cohérence juridique, l'allongement de la durée des prescriptions soulève des difficultés de mise en oeuvre dans le domaine particulier des infractions contre les mineurs.
Selon les mots de M. Xavier Lameyre, magistrat et enseignant à l'Ecole nationale de la magistrature, le régime applicable à la prescription de l'action publique pour les infractions à caractère sexuel commises sur les mineurs apparaît marqué par une « hypertrophie dérogatoire ». Trois séries de dérogation se sont ajoutées les unes aux autres :
- en premier lieu, la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, a reporté le départ du délai de prescription à la majorité de la victime (cette disposition dérogatoire, d'abord réservée aux crimes, a été étendue aux délits par la loi du 4 février 1995) ;
- ensuite, les délits d'agression sexuelle aggravée ( article 222-30 du code pénal ) et d'atteinte sexuelle aggravée ( article 227-26 du code pénal ) -passibles d'une peine de dix ans d'emprisonnement- ont été régis par le délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes, à savoir dix ans au lieu de trois ans (loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs) ;
- enfin, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté à vingt ans le délai de prescription de l'action publique des crimes à caractère sexuel commis sur mineurs ainsi que de certains délits (en particulier ceux visés par les articles 222-30 et 227-26 du code pénal ).
Si le report du délai de prescription à l'âge de la majorité de la victime constitue une garantie indispensable pour les victimes et un acquis reconnu par l'ensemble des acteurs de l'institution judiciaire, la mise en place de délais allongés et dérogatoires soulève des difficultés soulignées par plusieurs des magistrats entendus par votre mission. Ainsi, comme l'a notamment relevé Mme Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, ce dispositif conduit les juges à se prononcer très longtemps après que les faits ont été commis et alors même que les preuves ou les témoignages des tiers peuvent apparaître très fragiles voire inexistants. Quel crédit le juge doit-il accorder à la parole de la victime ? N'est-ce pas également laisser à l'expert psychiatrique un rôle excessif au risque de lui laisser trancher indirectement la question de la culpabilité ?
En outre, comme le soulignait M. Henri-Claude Le Gall, conseiller doyen à la chambre criminelle de la Cour de cassation, devant la mission d'information, la définition des infractions a pu évoluer au fil des années comme, par exemple, pour le viol. L'infraction doit être alors caractérisée dans les termes en vigueur à l'époque des faits qui peuvent être différents de ceux retenus par la législation contemporaine et c'est là une difficulté supplémentaire.
Selon les témoignages recueillis par la mission d'information, le risque d'erreur judiciaire, l'impossibilité de rendre une justice suffisamment étayée par des preuves conduit dans un grand nombre de cas à un non lieu, une relaxe ou un acquittement 57 ( * ) . Il est douteux qu'une telle issue puisse réellement satisfaire les victimes.
M. Robert Carion, professeur de criminologie à l'université de Pau, s'exprimant devant la mission d'information comme membre du conseil d'administration de l'INAVEM (Institut national d'aide aux victimes et de médiation) s'est montré réservé sur la durée des délais dérogatoires. S'il a estimé indispensable de renforcer la dimension « restauratrice » de la justice sous la triple forme de la reconnaissance de la victime, de son accompagnement et de son droit à réparation, il a aussi relevé qu'un allongement excessif du délai de prescription de l'action publique ne permettait pas à la victime de mettre un terme à sa souffrance. Il a également mis en garde contre le risque d'une instrumentalisation de la victime à des fins répressives.
2. Les incertitudes de la jurisprudence
Vos rapporteurs ont relevé, en particulier, les incertitudes qui s'attachent à la détermination du caractère instantané ou continu des infractions ainsi que du report du point de départ du délai de prescription de l'action publique.
a) Des incertitudes sur le caractère instantané ou continu des infractions.
Comme l'a souligné M. Jean Danet lors de son audition, le partage entre infractions instantanées et continues apparaît mouvant. Ainsi, l'infraction de prise illégale d'intérêts est un délit instantané, en principe entièrement consommé au moment où le prévenu reçoit ou prend un intérêt dans l'opération qu'il est chargé de surveiller, administrer ou payer. Elle devient cependant un délit continu pendant tout le temps où cet intérêt est illégalement conservé. Le délit de prise illégale d'intérêts se prescrit ainsi à compter du dernier acte administratif accompli par l'agent public qui prend, reçoit ou conserve, directement ou indirectement, un intérêt dans une opération qu'il doit administrer, surveiller ou financer 58 ( * ) .
La frontière entre infractions instantanées et continues constitue une source de contentieux, en particulier dans les domaines techniques tels que l'urbanisme, l'environnement ou la construction.
Ainsi, la construction sans permis ( article L. 480-4 du code de l'urbanisme ) est une infraction continue : elle s'exerce pendant tout le temps de la construction mais se prescrit à compter de la date d'achèvement des travaux.
En revanche, la violation de l' « obligation d'autorisation préalable à l'affectation de certains terrains et à l'installation d'un dépôt de féraille » revêt un caractère instantané bien que l'incrimination doive couvrir l'utilisation de ces terrains à cette fin tout le temps qu'elle dure par la volonté de son auteur.
Selon M. Jean Danet, le caractère parfois difficilement prévisible de la jurisprudence s'explique principalement par les incertitudes de la loi elle-même. Que le législateur choisisse les verbes « détenir » ou « conserver » plutôt que « prendre » ou « saisir » pour définir l'action, il opte alors pour le caractère continu de l'infraction. Ainsi, dans l'exemple de l'incrimination précédente, la loi pénale aurait dû incriminer l'utilisation des terrains sans autorisation et non la violation de l'« obligation d'autorisation préalable à l'affectation ».
En matière d' usure , la Cour de cassation avait estimé, sur la base de la rédaction initiale de l'incrimination prévue par le décret du 8 août 1935, que le délit d'usure était une infraction instantanée, réalisée le jour de la convention intervenue sans tenir compte des actes d'exécution de cette convention. Le législateur est intervenu pour corriger cette jurisprudence : la loi du 28 décembre 1966 relative à l'usure ( article L. 313-5 du code de la consommation ) dispose qu'en cas de prêt, la prescription a pour point de départ la dernière perception d'un intérêt usuraire.
b) Les incertitudes entourant le report du point de départ du délai de prescription de l'action publique
Les conditions dans lesquelles la jurisprudence décide de reporter le point de départ du délai de prescription apparaissent également fluctuantes, comme en atteste le cas de l'abus de biens sociaux.
Le cas de l'abus de biens sociaux L'interprétation jurisprudentielle du point de départ du délai de prescription du délit d'abus de biens sociaux fait depuis longtemps l'objet de nombreuses critiques. La volonté justifiée de la Cour de cassation d'éviter que la dissimulation d'un délit soit de nature à empêcher l'action publique de pouvoir s'exercer afin de réprimer l'infraction constituée, conduit néanmoins à faire de l'abus de biens sociaux un délit quasi-imprescriptible -au même titre que des infractions d'une impardonnable gravité tels que les crimes contre l'humanité-, puisque la connaissance des faits délictueux peut être retardée pendant plusieurs années si la dissimulation a été efficace. Il n'est donc pas rare que l'action publique soit mise en oeuvre pour des faits dépassant une dizaine d'années, notamment à l'occasion d'un changement à la tête de la société. En outre, la poursuite après une longue période d'un délit par nature complexe comme l'est l'abus de biens sociaux peut poser des difficultés importantes en matière de preuve . En effet, si la révélation d'actes envisagés comme délictueux est tardive, les preuves peuvent venir à manquer pour étayer l'accusation, conduisant le cas échéant à la relaxe. Une partie de la doctrine estime par ailleurs que cette jurisprudence est contraire au principe même de légalité en ce qu'elle fait fi de la règle générale selon laquelle la prescription d'une infraction instantanée commence à courir le jour où l'infraction est consommée et que la dissimulation de cette infraction ne prolonge aucunement l'activité délictueuse 59 ( * ) . Enfin, elle a pour effet, en pratique, d'introduire une grande insécurité juridique dans la vie des sociétés, alors que la sécurité des relations juridiques apparaît essentielle dans la vie des affaires, même si elle ne doit pas être assurée au détriment de la nécessaire répression des infractions. Pour ces diverses raisons, les représentants des entreprises entendus par la mission d'information se sont dits favorables à l'instauration d'un délai butoir en droit pénal des affaires. Pour autant, ces critiques ne sont pas unanimes . Ainsi, les représentants de l'Union syndicale de la magistrature et du Syndicat de la magistrature entendus par la mission d'information ont estimé que le régime actuel était satisfaisant en ce qu'il permettait de poursuivre de manière effective les auteurs de ces délits . Mme Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, a notamment mis en exergue le fait que modifier la jurisprudence actuelle -en affirmant, par exemple, que la prescription commence à courir à compter de la publication des comptes sociaux même en cas de dissimulation- aboutirait à annihiler toute action publique en matière économique et financière, et à créer de fait une impunité des dirigeants sociaux, plus de 90 % des affaires d'abus de biens sociaux faisant l'objet d'une dissimulation comptable. La clarification du régime de la prescription du délit d'abus de biens sociaux n'en fait pas moins l'objet d'un débat dont témoignent tant des rapports remis au Gouvernement que des initiatives parlementaires . ? En 1995, M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, avait ainsi demandé à Mme Marie-Laure Rassat, professeur de droit, de lui remettre un rapport sur l'évolution souhaitable du code de procédure pénale. Ce rapport abordait la question générale de la prescription de l'action publique en préconisant notamment de « casser la jurisprudence sur le retard du point de départ du délai de prescription, pour les infractions que la jurisprudence déclare occultes (essentiellement l'abus de confiance et l'abus de biens sociaux) » 60 ( * ) . Cette position était justifiée par deux considérations : - d'une part, retarder le point de départ d'une infraction ne peut résulter que « d'une solution légale précise » et ne peut être une oeuvre prétorienne ; - d'autre part, le retard du départ de la prescription, s'il était consacré pour les infractions « occultes », induirait « un risque d'erreur judiciaire dû à la difficulté et à l'altération de la preuve dans le temps » 61 ( * ) . Le rapport préconisait donc, à titre général, que « le point de départ, pour une infraction instantanée ou complexe se situe le jour où tous les éléments constitutifs peuvent être réputés avoir été accomplis ; pour une infraction d'habitude au jour de la commission du second fait ; pour une infraction continue au jour où l'infraction supposée a cessé. » En tant que délit instantané, l'abus de biens sociaux n'aurait donc pu donner lieu à poursuite que dans un délai de trois ans à compter du jour où tant l'élément matériel que l'élément intentionnel de l'infraction ont été effectivement accomplis. ? Des évolutions du droit de la prescription applicable au délit d'abus de biens sociaux dans des directions opposées ont été recherchées, à l'initiative des parlementaires. Ainsi, deux propositions de loi ont entendu remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation. Relative à « l'abus des biens sociaux », la proposition de loi présentée au Sénat par M. Pierre-Christian Taittinger le 17 juin 1995 62 ( * ) tendait, dans son article 3, à poser le principe selon lequel le délit d'abus de biens sociaux -ainsi que les autres délits alors prévus par l'article 437 de la loi du 24 juillet 1966- se prescrit « par trois années révolues à compter de la date à laquelle les comptes annuels ont été soumis à l'assemblée générale ». Ce nouveau régime de prescription ne devait pas s'appliquer aux « faits à l'égard desquels une procédure judiciaire a été engagée avant sa date d'entrée en vigueur ». Le but de ce texte était donc d'empêcher que la prescription commence à courir à une autre date, même en cas de dissimulation . Cette proposition de loi n'a cependant pas été discutée au Sénat et est devenue caduque. Déposée à l'Assemblée nationale le 6 novembre 1995 par M. Pierre Mazeaud, la proposition de loi « relative à la prescription du délit d'abus de biens sociaux » 63 ( * ) tendait à maintenir la jurisprudence actuelle en prévoyant que la prescription de l'abus de biens sociaux courrait à compter de la découverte du délit , mais prévoyait un délai butoir de six ans à compter de la commission de l'infraction . Cette modification devait s'appliquer aux seuls « faits commis postérieurement » à la publication de ce texte. Cette proposition fut néanmoins retirée par son auteur avant son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. A l'inverse, la consécration au niveau législatif de la jurisprudence de la Cour de cassation a été proposée au cours des débats parlementaires au Sénat sur le projet de loi relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes, ayant conduit à la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000. A l'initiative de notre collègue M. Michel Charasse, le Sénat avait adopté en première lecture, contre l'avis du Gouvernement et avec un avis de sagesse de la commission des lois, un amendement tendant à préciser que l'abus de biens sociaux se prescrit « par trois années révolues à compter du jour où ils ont été constatés dans des circonstances permettant l'exercice de l'action publique ». Il s'agissait donc de consacrer très exactement dans la loi la position de la Cour de cassation. Notre collègue avait justifié cet amendement par le souci d'assurer une « sécurité juridique » aux justiciables, Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, déclarant, pour sa part, qu'elle ne voyait « pas l'intérêt de consacrer cette jurisprudence » 64 ( * ) . En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a cependant supprimé cette précision au motif qu'elle était sans rapport avec l'objet du projet de loi et qu'il n'apparaissait « pas opportun de figer dans la loi une jurisprudence par définition évolutive et vivante, qui doit conserver sa capacité d'adaptation aux cas d'espèces » 65 ( * ) . La commission mixte paritaire ayant maintenu la position de l'Assemblée nationale, la loi du 15 juin 2000 n'a en définitive apporté aucune modification au régime de la prescription de ce délit. |
En effet, les circonstances de l'espèce ne peuvent pas ne pas influencer les formules dégagées par le juge et conduisent à varier la déclinaison des principes jurisprudentiels au risque de fragiliser la lisibilité de la règle juridique. Comme le relevait Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation, « le risque de laisser le factuel envahir le droit de la prescription dans l'interprétation jurisprudentielle qui en est donnée est incontestable ».
En outre, la Cour de cassation ne se prononce, par hypothèse, que dans la limite des pourvois qui lui sont soumis. Aussi la liste des infractions pour lesquelles la jurisprudence accepte de reporter le point de départ du délai de prescription de l'action publique n'est-elle pas limitative.
Plusieurs des interlocuteurs de la mission d'information, à l'instar de Mme Nicole Courtin, maître de conférences à l'université de Nice, ont appelé de leurs voeux un retour à une nécessaire sécurité juridique.
c) Un contentieux abondant
Les incertitudes de la jurisprudence ne peuvent que favoriser le contentieux. M. Jean Danet, dans l'analyse qu'il a consacrée à la prescription, livre à cet égard, sur la base des arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin entre 1958 et 2004, quelques indicateurs intéressants.
Le pourcentage des cassations prononcées sur la question de la prescription (qu'il s'agisse d'un pourvoi critiquant la décision des juges du fond ayant retenu la prescription ou l'ayant, au contraire, écarté) s'élève à 37 % -alors que le taux de cassation des arrêts ne dépasse pas sur cette période 10 %. En outre, ce taux de cassation tend à augmenter puisqu'il représente 46 % des pourvois fondés sur ce moyen, signe d'une complexité croissante du droit de la prescription.
Le contentieux porte principalement sur le point de départ du délai de prescription (35 %) et sur les causes d'interruption (40 %). Les affaires de presse et assimilées représentent 16 % du total des dossiers, les infractions techniques, 29 % ; les atteintes aux personnes, 10 %, les abus de biens sociaux et les abus de confiance, respectivement, 5,8 % et 8 ,8 %.
Dans 38 % des cas, la prescription a été constatée soit par les juges du fond, soit par la Cour de cassation. Le constat selon lequel la prescription est acquise est donc minoritaire.
Le cas particulier des infractions de presse Aux termes de l'article 65 de la loi de 1881, les infractions de presse se prescrivent par trois mois. Lors de son audition par vos rapporteurs, Mme Agathe Lepage, professeur à l'université de Sceaux (Paris XI), a souligné une double difficulté liée à la durée du délai de prescription de l'action publique et à la détermination de son point de départ. - la durée du délai de prescription La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an lorsque l'infraction commise par voie de presse 66 ( * ) concerne une provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste ( article 24 ), une contestation de crimes contre l'humanité ( article 24 bis ), une diffamation ou injure commise à raison de la race ( articles 32 et 33 ). Mme Agathe Lepage s'est demandé si cette dualité n'introduisait pas une complexité inutile dans un régime marqué jusqu'alors par sa simplicité et s'il n'aurait pas été plus pertinent d'étendre à toutes les infractions de presse le délai d'un an de prescription de l'action publique. Elle a par ailleurs relevé qu'un nombre croissant d'infractions susceptibles d'être commises par voie de presse figurait désormais dans le code pénal et, à ce titre, relevait du régime du droit commun prévu par le code pénal et non des dispositions dérogatoires prévues par la loi de 1881 dont le champ est strictement borné aux infractions prévues par ce texte. Tel est notamment le cas de l'incrimination prévue à l' article 227-24 du code pénal visant la diffusion d'un message à caractère pornographique susceptible d'être perçu par un mineur. Seul le délit de discrédit jeté sur la justice prévu par l' article 434-25 du code pénal est spécialement soumis au délai de prescription de l'action publique de trois mois. Par ailleurs, la jurisprudence applique aux diffamations et injures non publiques le délai de prescription de trois mois ( chambre criminelle de la Cour de cassation, 7 juin 2006 ). L'insertion dans le code pénal de délits qui pourraient relever de la loi de 1881 affecte incontestablement l'unicité du régime de prescription sans que les raisons de ce traitement différencié apparaissent toujours clairement. - Le point de départ du délai de prescription Les délits de presse sont considérés comme des infractions instantanées qui se prescrivent par trois mois à compter du jour où ils ont été commis . Cependant, la spécificité du média Internet a conduit la cour d'appel de Paris en 1999 ( cour d'appel de Paris, 15 décembre 1999 ) à estimer que la publication ne se résumait pas à la mise en ligne du message mais incluait aussi le maintien de celui-ci jusqu'à son retrait. Dès lors, la publication d'un texte litigieux relevait de la catégorie des infractions continues et la prescription ne devait commencer à courir qu'à compter de la suppression du texte en cause. Cependant, la Cour de cassation a censuré cet arrêt et est revenue à la position traditionnelle, estimant que le point de départ de la prescription pour le réseau Internet se situait à la date « à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau » 67 ( * ) . Certains juges du fond ont cherché à contourner cette jurisprudence en donnant à la notion de publication une interprétation très large. Ainsi, tout changement d'adresse du site ou toute modification de son contenu même étrangère au message incriminé ferait courir de nouveau le délai de prescription. La Cour de cassation a cependant réaffirmé sa position initiale en indiquant que seule une modification du message en cause pouvait rouvrir le délai de prescription 68 ( * ) . L'article 6-V de la loi n° 2004-575 sur la confiance dans l'économie numérique adoptée le 15 mai 2004 prévoyait de fixer le point de départ de la prescription de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 à la cessation de la mise à disposition du message sur un service de communication en ligne. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition : tout en estimant en effet que la « prise en compte de différences dans les conditions d'accessibilité d'un message dans le temps, selon qu'il est publié sur un support papier ou qu'il est disponible sur un support informatique, n'est pas contraire au principe d'égalité », il a estimé qu'en matière de prescription, le report du délai de prescription « dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique » 69 ( * ) . Comme le relevait le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, le choix du législateur aboutirait « à ce qu'un message exclusivement accessible sur un site Internet pendant cinq ans serait exposé pendant cinq ans et trois mois à l'action publique ou civile, alors que le même message publié par écrit (...) ne serait exposé à ces actions que pendant trois mois ». Il n'en reste pas moins que la situation actuelle du droit régissant la prescription de l'action publique sur Internet n'est pas satisfaisante. En effet, la « toile » donne à tout particulier la possibilité de donner une forme de publicité à des diffamations ou des injures. Chacun bénéficie ainsi des garanties de la loi de 1881 sans être astreint en contrepartie au professionnalisme et à la déontologie des journalistes. Mme Agathe Lepage s'est demandé s'il ne serait pas opportun de distinguer entre les professionnels de l'information et les autres 70 ( * ) . C'est là une piste de réflexion conforme à l'esprit de la loi de 1881, qu'il convient d'approfondir. La décision du Conseil constitutionnel en permettant de prendre en compte la différence dans les conditions d'accessibilité entre Internet et un document sur papier laisse à cet égard de réelles possibilités d'évolution de notre droit. |
B. LES ENSEIGNEMENTS DU DROIT COMPARÉ : UNE RECONNAISSANCE LARGEMENT PARTAGÉE DU PRINCIPE DE LA PRESCRIPTION
Face à ce « vaste désordre », selon les termes employés devant la mission d'information par M. Louis di Guardia, avocat général à la chambre criminelle de la Cour de cassation, quelles améliorations pourraient-elles être apportées au droit de la prescription en matière pénale ? Avant d'esquisser les contours d'une possible réforme, il apparaît utile de tirer les enseignements des expériences étrangères.
A la lumière des informations recueillies par la mission d'information 71 ( * ) , une première observation s'impose : la grande majorité de nos partenaires de l'Union européenne admettent dans leur droit le principe de la prescription de l'action publique.
Sans doute distingue-t-on traditionnellement les droits romano-germaniques, qui prévoient la prescription de l'action publique, de la common law qui en principe l'exclut. Cette distinction doit cependant être nuancée : le droit anglais, en effet, reconnaît traditionnellement que la procédure relative aux infractions les moins graves -jugées par une magistrates' court composée de juges non professionnels- doit être engagée dans un délai de six mois à compter du jour de la commission de l'infraction. Au delà de ce délai, l'action est prescrite. Par ailleurs, même pour les infractions plus graves, il existe des délais de prescription prévus par des textes particuliers 72 ( * ) ou par la jurisprudence -le juge gardant toujours la faculté d'écarter des poursuites qu'il estime trop tardives 73 ( * ) .
Dans les pays continentaux, le champ de l'imprescriptibilité est borné aux crimes contre l'humanité ainsi que, dans certains droits (Allemagne, Pays-Bas) aux infractions d'une exceptionnelle gravité 74 ( * ) .
Pour le reste, la durée des délais de prescription de l'action publique est proportionnelle à l'échelle des peines. Le délai le plus long est de trente ans (en Allemagne et en Suisse pour les faits punissables de la réclusion criminelle à perpétuité).
Dans un grand nombre de pays, se manifeste une tendance à l 'allongement des délais de prescription de l'action publique . Ainsi, en Espagne, le nouveau code pénal de 1995 a porté le délai de prescription pour les infractions passibles de quinze ans d'emprisonnement de quinze à vingt ans. En 2003, une nouvelle réforme a prolongé cette évolution en faisant passer de cinq à dix ans le délai de prescription pour les délits punissables d'une peine de prison comprise entre cinq et dix ans.
De même, aux Pays-Bas, le délai de prescription de l'action publique pour les infractions passibles d'une peine de prison de plus de dix ans est passé de quinze à vingt ans au 1 er janvier 2006.
Délais de prescription de l'action publique
applicables
dans certains États européens
Allemagne |
3 ans
|
5 ans
|
10 ans (peines comprises entre 5 et 10 ans) |
20 ans (peines de plus de 10 ans) |
30 ans (réclusion criminelle à vie) |
|
Espagne |
3 ans
|
5 ans
|
10 ans
|
15 ans
|
20 ans (peines de + de 15 ans |
Impres-criptibilité (crimes contre l'humanité) |
Italie |
5 ans
|
10 ans
|
15 ans (peines comprises entre 10 et 24 ans) |
20 ans (peines supérieures à 24 ans) |
||
Pays-Bas |
6 ans
|
12 ans
|
20 ans (peines supérieures à 10 ans) |
Impres-criptibilité (réclusion criminelle à perpétuité) |
||
Portugal |
2 ans
|
5 ans
|
10 ans (peines comprises entre 5 et 10 ans |
15 ans (peines supérieures à 10 ans) |
||
Suisse |
7 ans
|
15 ans
|
30 ans (réclusion criminelle à perpétuité) |
En outre, à l'instar du dispositif français, plusieurs pays reportent le point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime (Allemagne, Espagne).
Enfin, les droits européens consacrent également l' interruption de la prescription (liée aux différents actes de la procédure) qui a pour conséquence, en principe, de faire courir de nouveau le délai pour la totalité de sa durée initiale.
C. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION : MAINTENIR LE PRINCIPE DE LA PRESCRIPTION EN RESTAURANT LA COHÉRENCE DU DISPOSITIF
1. Préserver le principe de la prescription
L'allongement de la durée des délais de prescription, le report de leur point de départ, la multiplication des motifs d'interruption ou de suspension peuvent conduire à s'interroger sur la pertinence même du maintien de la prescription dans notre droit.
Selon la mission d'information, cependant, la prescription de l'action publique conserve toute sa justification dans notre droit . Elle répond à des considérations évidentes de bonne administration judiciaire. Comme l'a souligné M. Jean Danet, trois millions de crimes et de délits sont constatés chaque année par les services de police et de gendarmerie et demeurent non élucidés -soit trois fois le chiffre de ceux qui le sont- auxquels il convient d'ajouter 120.000 classements sans suite pour recherches infructueuses. L'absence de prescription ferait peser une charge excessive sur les services de police et la justice : « à quelle fréquence referait-on les croisements des empreintes de traces mémorisées avec les fichiers susceptibles d'apporter des informations nouvelles ? Quel est le coût de telles vérifications ? » 75 ( * ) Un travail à long terme sur les affaires non élucidées ne se ferait-il pas aux dépens des dossiers plus récents. Dans tous les cas, les enquêteurs auraient à faire des choix. Que ce choix obéisse aujourd'hui au critère objectif du passage du temps n'apparaît, somme toute, pas anormal. Il importe, ainsi que le soulignait Mme Christine Courtin, maître de conférences à l'université de Nice lors de son audition, de fixer des limites à une extension sans fin de la réponse pénale.
En outre, même si les méthodes de la police scientifique et technique ont progressé, l'argument du dépérissement des preuves vaut encore pour de nombreuses infractions.
Par ailleurs, la prescription apparaît encore, à juste titre, comme une sanction de la négligence à exercer les poursuites au moins lorsque celles-ci ont déjà été engagées.
Ces arguments traditionnels rejoignent pour partie deux fondements plus directement liés aux principes du droit contemporain tels que les formule la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
- la notion de procès équitable ( article 6 ) qui semble impliquer en particulier le recours à un système de preuve rigoureux ;
- le droit pour chacun d'être jugé dans un délai raisonnable ( article 5, §3 ) qui, comme l'a relevé M. Bernard Bouloc, professeur à l'université de Paris 1, devant la mission d'information, paraît difficilement compatible avec l'absence de règle de prescription -c'est d'ailleurs, sur ce fondement que le juge britannique peut, de sa propre initiative, écarter une action trop tardive.
Le délai raisonnable ne vaut pas seulement pour l'auteur des faits mais aussi pour la victime comme le soulignait M. Robert Carion, professeur de criminologie à l'université de Pau et membre du conseil d'administration de l'INAVEM, lors de son audition.
Ce sentiment est aujourd'hui largement partagé. Ainsi, dans le rapport sur l'inceste confié par le gouvernement à M. Christian Estrosi en 2005 76 ( * ) , celui-ci relevait que l'imprescriptibilité des infractions contre les mineurs « ne ferait que renforcer les difficultés probatoires déjà existantes et, par la même, risquerait de « survictimiser » des personnes qui, frustrées de ne pas avoir été reconnues, pourraient nourrir une certaine amertume à l'encontre des institutions ».
Enfin, la généralisation de l'imprescriptibilité aurait pour inconvénient de conduire à un traitement indifférencié des infractions quelque soit leur degré de gravité.
Or, comme le montre le système français fondé sur la répartition tripartite des infractions entre contraventions, délits et crimes -malgré les brèches qui lui ont été apportées dans la période récente- l'échelle des délais de prescription reflète la gravité des infractions. Les éléments de droit comparé en témoignent, cette logique prévaut dans la plupart des pays voisins.
En particulier, la remise en cause de la prescription supprimerait la spécificité reconnue aujourd'hui dans notre droit aux crimes contre l'humanité qui, seuls, sont imprescriptibles . Votre commission est très attachée à cette spécificité et l'a rappelée avec constance. Ainsi, elle avait présenté des conclusions négatives à l'issue de l'examen de la proposition de loi de notre collègue M. Aymeri de Montesquiou tendant à rendre imprescriptible les crimes en matière de terrorisme 77 ( * ) . Elle avait alors jugé que l'imprescriptibilité n'était pas indispensable à une répression efficace du terrorisme et affecterait la spécificité des règles applicables aux crimes contre l'humanité justifiées par leur caractère d'exceptionnelle gravité.
Faudrait-il, néanmoins, étendre l'imprescriptibilité aux crimes de guerre ? En effet, ces derniers, à l'instar des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide, relèvent de la Cour pénale internationale et sont imprescriptibles en vertu de l'article 29 du statut de la Cour 78 ( * ) . Le projet de loi présenté par le gouvernement de M. Dominique de Villepin portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, déposé au Sénat en mai 2007, cherche à conserver la spécificité des règles concernant la prescription des crimes contre l'humanité tout en portant à trente ans la prescription des crimes de guerre et à vingt ans la prescription des délits de guerre 79 ( * ) . L'évolution proposée marque ainsi un rapprochement avec les principes retenus par la Cour pénale internationale.
Recommandation n° 1 : conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée aux crimes contre l'humanité. |
Le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité étant ainsi posé, quels pourraient être les contours d'une évolution de régime de prescription de l'action publique dans notre droit ?
Les auditions auxquelles la mission d'information a procédé conduisent d'abord à poser des principes de méthode avant même de recommander des modifications de fond.
2. La nécessité d'une nouvelle approche
Il apparaît en effet essentiel de veiller à la cohérence du droit de la prescription. Cette exigence conduit à éviter, comme cela a trop souvent été le cas par le passé, des réformes partielles et à privilégier une réforme d'ensemble.
Recommandation n° 2 : veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles. |
Par ailleurs, toute modification doit tenir compte et préserver le lien entre la gravité de l'infraction et la durée du délai de la prescription de l'action publique afin de garantir la lisibilité de l'échelle de gravité des crimes et délits établie par le législateur.
Recommandation n° 3 : préserver le lien entre la gravité de l'infraction et la durée du délai de la prescription de l'action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires. |
Le législateur devrait à l'avenir éviter de créer de nouveaux régimes dérogatoires qui tendent précisément à susciter des dysharmonies entre l'échelle des sanctions et celle de la durée de prescription de l'action publique.
Enfin, il semble souhaitable, d'une manière générale, que le législateur précise et fixe les notions sur lesquelles la jurisprudence demeure hésitante ou fluctuante .
Tel devrait être le cas, plus particulièrement, chaque fois qu'est définie une nouvelle infraction de sorte que les termes constitutifs de l'infraction ne laissent pas peser d'ambiguïté sur le caractère continu ou instantané de l'infraction.
3. Allonger les délais de prescription
La réforme d'ensemble du régime des prescriptions que beaucoup des interlocuteurs entendus par la mission d'information appellent de leurs voeux, pourrait s'articuler autour de trois volets principaux : un allongement des délais de prescription de l'action publique ; la consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux infractions occultes et dissimulées selon laquelle le point de départ du délai est reporté au jour où l'infraction est révélée et l' extension de cette jurisprudence à toutes les infractions présentant les mêmes caractéristiques y compris criminelles ; enfin, en contrepartie, la détermination d'un délai butoir au-delà duquel, pour ces infractions occultes ou dissimulées, l'action publique ne pourrait plus être engagée si elle n'est pas en cours.
a) L'allongement des délais de prescription de l'action publique
Les délais de prescription de l'action publique apparaissent aujourd'hui excessivement courts. L'allongement des délais de prescription décidé par le législateur pour certaines catégories d'infraction, les initiatives jurisprudentielles tendant à reporter le point de départ du délai de prescription dans certains cas comme la multiplication des motifs d'interruption de suspension de la prescription sont autant de témoignages de l'inadaptation des délais actuels de prescription aux attentes de la société. Ces délais apparaissent, dans l'ensemble, nettement plus courts que ceux retenus par nos voisins au sein de l'Union européenne.
Les magistrats et universitaires entendus par la mission d'information se sont prononcés, dans leur grande majorité, pour un allongement du délai de prescription.
La mission estime nécessaire de prendre acte de ces évolutions et d'allonger les délais de prescription de l'action publique.
Elle recommande donc de porter le délai de prescription de l'action publique de trois à cinq ans en matière délictuelle et de dix à quinze ans en matière criminelle . Le délai d'un an actuellement en vigueur pour les contraventions serait maintenu.
De même, les délais spécifiques plus courts -droit de la presse- ou plus longs -terrorisme, stupéfiants, infractions sur mineurs- seraient conservés.
Recommandation n° 4 : allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle. |
b) Le report, pour les infractions occultes ou dissimulées, du point de départ du délai de prescription de l'action publique au moment où les faits sont apparus
La mission d'information estime nécessaire de consacrer dans la loi le principe dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation selon lequel le point de départ des infractions occultes ou dissimulées est reporté au jour où elles sont apparues dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique . Elle estime que ce principe, dégagé pour des infractions à caractère économique ou financier, pourrait être opportunément étendu à d'autres domaines du droit pénal et en particulier aux crimes dissimulés par leur auteur (en déguisant par exemple un meurtre en une mort naturelle ou en dissimulant le corps) 80 ( * ) Cette proposition se justifie pleinement par le principe « contra non valentem agere non currit praescriptio » -la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir.
Elle rejoint les observations formulées par M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, ainsi que par plusieurs des universitaires entendus par la mission. Ainsi, M. Michel Véron, professeur émérite de l'université Paris 13, a suggéré qu'en cas de dissimulation avérée, l'infraction se prescrive à compter du jour où apparaissent les éléments constitutifs de l'infraction.
Il est important de souligner que le caractère de clandestinité ainsi entendu concerne l'acte incriminé et non l'auteur de l'infraction. Une infraction constatée mais dont l'auteur resterait inconnu ne peut être assimilée à une infraction occulte.
Recommandation n° 5 : consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction est révélée, et étendre cette solution à d'autres infractions occultes ou dissimulées dans d'autres domaines du droit pénal et, en particulier, la matière criminelle. |
c) La fixation d'un délai butoir pour la prescription des infractions occultes ou dissimulées
La conservation et l'élargissement des champs d'application de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'infractions occultes ou dissimulées appellent, en contrepartie, la détermination d'un délai butoir à compter de la commission des faits afin de ne pas rendre imprescriptibles de facto certaines infractions.
La mission d'information propose donc de fixer la durée de ce délai butoir au double de celle de la prescription à compter de la commission des faits.
Compte tenu de l'allongement des délais de prescription proposés précédemment, le délai butoir serait ainsi de :
- dix ans en matière délictuelle ;
- trente ans en matière criminelle.
Les durées proposées visent à ouvrir le plus largement la possibilité d'engager l'action publique tout en maintenant le principe de la prescription qui, aujourd'hui, pour certaines infractions, ne s'applique plus dans les faits.
Le délai butoir serait interrompu au premier acte de poursuite ou d'instruction concernant l'infraction elle-même. Il serait suspendu dans les conditions actuelles dans lesquelles le délai de prescription de l'action publique est suspendu.
Recommandation n° 6 : établir, pour les infractions occultes ou dissimulées, à compter de la commission de l'infraction, un délai butoir de dix ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle, soumis aux mêmes conditions d'interruption et de suspension que les délais de prescription. |
Enfin, pour répondre à une préoccupation exprimée par plusieurs magistrats concernant la date d'acquisition de la prescription lorsque la date précise de commission de l'infraction ne peut être connue, la mission d'information propose de fixer, dans ce cas, l'acquisition de la prescription au 31 décembre de l'année au cours de laquelle expirent les délais de prescription . Cette solution permettrait ainsi d'éviter de faire reposer sur les seules déclarations d'une personne (auteur, victime ou témoin) l'acquisition ou non de la prescription.
Recommandation n° 7 : fixer l'acquisition de la prescription au 31 décembre de l'année au cours de laquelle expirent les délais de prescription. |
SECONDE PARTIE - LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE
En matière civile, la prescription est définie comme « un moyen d'acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi » ( article 2219 du code civil ).
On distingue ainsi la prescription acquisitive , également appelée usucapion , qui permet d'acquérir la propriété, par exemple d'un immeuble, par sa possession prolongée, de la prescription libératoire , également dite extinctive , qui a pour effet, selon la définition adoptée par la Cour de cassation, « soit d'éteindre une dette, soit de faciliter au débiteur la preuve de sa libération ».
Si elles ont des effets opposés, ces deux formes de prescription reposent sur des fondements comparables. La consolidation de situations de fait qu'elles opèrent répond à des exigences de sécurité et de simplification : le titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif est censé y avoir renoncé ; la prescription sanctionne sa négligence tout autant qu'elle évite l'insécurité créée par la possibilité d'actions en justice tardives ; elle joue également un rôle probatoire, en permettant de suppléer la disparition éventuelle des preuves et d'éviter au débiteur ou au possesseur de devoir les conserver trop longtemps. Pour utile qu'elle soit, la prescription n'en demeure pas moins une technique de spoliation et, à ce titre, est souvent ressentie comme une injustice par le propriétaire ou le créancier auquel elle est opposée. Aussi entretient-elle des rapports ambivalents avec l'ordre public, lorsqu'il s'agit de déterminer les pouvoirs respectifs des parties et du juge.
Prescription acquisitive et prescription extinctive obéissent de surcroît à des règles communes , énoncées au titre XX (« De la prescription et de la possession ») du livre III (« Des différentes manières dont on acquiert la propriété ») du code civil. Telles sont sans doute les raisons pour lesquelles certains auteurs ont tenté d'établir une théorie unitaire de la prescription civile 81 ( * ) , en arguant que la prescription extinctive permet au débiteur d'acquérir la créance qu'a sur lui son créancier.
Le droit français de la prescription civile paraît aujourd'hui vieilli et incohérent du fait de la multiplication de règles particulières : plus de 250 délais peuvent être recensés et plusieurs régimes spéciaux coexistent, dispersés dans de multiples lois. Cette complexité est source d'insécurité juridique. Aussi la nécessité d'une réforme est-elle unanimement ressentie.
Des propositions ont été formulées par la Cour de cassation dans ses rapports annuels de 2001 et 2002, ainsi qu'en juin 2004, dans un rapport confié par son premier président et son procureur général à un groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile.
Ces propositions ont inspiré un projet de réforme élaboré par la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, dont la mise en oeuvre aurait pu intervenir par voie d'ordonnance si le troisième projet de loi de simplification du droit 82 ( * ) , déposé sur le bureau du Sénat le 13 juillet 2006, avait été examiné et adopté par les deux assemblées avant la fin de la législature précédente.
Au mois de septembre 2005, un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de M. Pierre Catala , professeur émérite de l'université de Paris 2, a été remis au garde des sceaux, ministre de la justice. Les modifications suggérées, dont l'initiative revient à M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, s'avèrent d'une ampleur bien plus grande que celles envisagées par le gouvernement de M. Dominique de Villepin.
I. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE
Prescription acquisitive et prescription extinctive ont vu leur champ d'application s'étendre, leurs régimes se diversifier et leurs effets être conditionnés.
A. UN CHAMP D'APPLICATION ÉTENDU
Prescription extinctive et prescription acquisitive connaissent un champ d'application étendu mais également incertain en raison de l'absence de définition précise de leurs frontières en matière extrapatrimoniale.
Pour autant, les personnes entendues par la mission d'information n'ont généralement pas exprimé le souhait d'une évolution de la législation.
Tout au plus, M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du trésor et de la politique économique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, a-t-il relevé l'imprescriptibilité du pouvoir de sanction de la Commission bancaire à l'égard des établissements de crédits.
Si le Conseil supérieur du notariat a exprimé le souhait que soit mis fin à l'imprescriptibilité administrative des constructions réalisées sans permis, c'est-à-dire que le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne puisse plus être fondé sur cette irrégularité lorsque la construction est achevée depuis plus de dix ans ( article L. 111-12 du code de l'urbanisme ), la mission d'information rappelle que cette question a été récemment tranchée, au terme de longs débats, par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.
1. Un domaine de la prescription acquisitive en principe limité aux droits réels
Pour en constituer la principale application, la seule prévue par la loi, les droits réels n'ont pas l'exclusivité de la prescription acquisitive.
a) En matière patrimoniale : le principe de la prescription
En matière patrimoniale, la prescription acquisitive fait figure de principe et l'imprescriptibilité d'exception .
L'usucapion a en effet vocation à s'appliquer non seulement à tous les biens, qu'ils soient immobiliers ou mobiliers, mais aussi aux autres droits réels, parmi lesquels les servitudes.
Pour opérer, elle suppose une possession 83 ( * ) continue et non interrompue , paisible , publique , non équivoque , et à titre de propriétaire ( article 2229 du code civil ), ces conditions étant cumulatives.
Il n'est pas nécessaire d'avoir possédé soi-même pendant tout le temps de la prescription : on peut joindre sa possession à celle de son auteur , c'est-à-dire de celui de qui on tire ses droits à titre gratuit (testament) ou onéreux (vente) ( article 2235 du code civil ).
Toutefois, la prescription acquisitive ne peut porter sur des choses qui ne sont pas dans le commerce ( article 2226 du code civil ) ou qui ne sont pas susceptibles de possession .
Ainsi, les choses communes , comme l'air ou la mer, et les biens du domaine public , qui sont inaliénables, ne peuvent-il en faire l'objet.
Les universalités de droit (succession) ou de fait (fonds de commerce 84 ( * ) ) sont également imprescriptibles car elles ne sont pas susceptibles d'appropriation par possession.
Alors même qu'ils sont dans le commerce et sont susceptibles de possession, les meubles et immeubles classés au titre des monuments historiques ne peuvent, en vertu de la loi, être acquis par prescription ( article L. 621-17 du code du patrimoine ).
Seules peuvent être acquises par la prescription les servitudes continues et apparentes ( article 690 du code civil ). Tel est par exemple le cas d'une servitude de vue, mais non d'une servitude de passage, apparente mais pas continue, ou d'une servitude de ne pas bâtir, continue mais pas apparente.
b) En matière extrapatrimoniale : le principe de l'imprescriptibilité
Etant hors du commerce, les droits extrapatrimoniaux ne peuvent en principe être usucapés . Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation à propos du nom patronymique 85 ( * ) ou encore du titre de déporté 86 ( * ) .
Toutefois, la jurisprudence admet également depuis longtemps, en dehors de tout cadre légal, que l'usage d'un nom patronymique peut, sous certaines conditions, permettre à une famille de conserver ce nom : la possession doit avoir été paisible, loyale, notoire et d'une durée généralement au moins centenaire 87 ( * ) .
Si la possession d'état constitue une simple présomption susceptible de tomber devant la preuve contraire et ne rend pas, en principe, celui qui s'en prévaut titulaire de cet état, les actions en contestation de la filiation, par exemple, sont enserrées dans des délais de prescription. Cette prescription joue, comme l'a relevé M. Jean-Jacques Taisne, professeur à l'université de Lille, le double rôle de prescription extinctive de l'action en contestation d'état et de prescription acquisitive de l'état .
2. Un domaine de la prescription extinctive qui couvre les droits réels et personnels ainsi que les actions judiciaires
Le domaine de la prescription extinctive est plus étendu que celui de la prescription acquisitive puisqu'il concerne non seulement les droits réels mais aussi les droits personnels et les actions judiciaires. Les cas d'imprescriptibilité sont devenus rares.
a) En matière patrimoniale : le principe de la prescription
En matière patrimoniale, les droits et les actions sont en principe susceptibles d'être éteints par prescription . Il en va ainsi des droits de créance : la prescription figure expressément parmi les modes d'extinction des obligations ( article 1234 du code civil ) et, selon une solution prétorienne retenue en raison de l'imprescriptibilité pénale d'un crime contre l'humanité, seule l'obligation à réparation civile découlant d'un tel crime est imprescriptible 88 ( * ) . Il en va également ainsi de droits réels dont on peut être titulaire sur la chose d'autrui : usufruit ( article 617 du code civil ), servitudes ( article 706 du code civil ), privilèges et hypothèques ( article 2488 du code civil ).
Ce principe souffre cependant quelques exceptions. La plus notable concerne le droit de propriété qui, s'il cède devant la prescription acquisitive, ne peut être éteint par non usage 89 ( * ) . Il en va de même de ses attributs : actions en bornage ( article 646 du code civil ), en acquisition de mitoyenneté ( article 661 du code civil ), en partage ( article 840 du code civil ), droit du propriétaire d'un fonds enclavé de réclamer un passage ( article 682 du code civil ), droit de se clore ( article 647 du code civil ). Sans préciser s'il s'agissait du droit patrimonial ou du droit moral, la Cour de cassation a également jugé que « l'exercice par l'auteur du droit de propriété intellectuelle qu'il tient de la loi et qui est attaché à sa personne en qualité d'auteur, n'est limité par aucune prescription 90 ( * ) . »
b) En matière extrapatrimoniale : les incertitudes sur l'actualité du principe de l'imprescriptibilité
Les actions tenant à l'état des personnes étaient traditionnellement considérées comme imprescriptibles . Il en est d'ailleurs toujours ainsi de l'action ayant pour objet de faire défense à un tiers d'utiliser son nom 91 ( * ) . La Cour de cassation rappelle également régulièrement qu'une personne ne peut perdre son nom 92 ( * ) ou son titre de déporté 93 ( * ) par suite d'un non usage prolongé.
Ce principe, qui a toujours comporté quelques exceptions , notamment pour les actions en nullité du mariage , a été inversé par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, qui a soumis à prescription les actions en réclamation ou en contestation d'état . Par la suite, la Cour de cassation a jugé qu'une loi étrangère édictant l'imprescriptibilité des actions en contestation d'état était contraire à l'ordre public international français et ne pouvait en conséquence recevoir application devant les juridictions françaises 94 ( * ) .
D'aucuns, à l'instar de MM. Jacques Massip ou Jean Hauser, ont considéré que la loi du 3 janvier 1972 dépassait le domaine de la filiation et établissait le droit commun des actions relatives à l'état des personnes. La jurisprudence n'a pas encore permis d'acquérir de certitudes sur ce point.
B. DES RÉGIMES COMPLEXES
La complexité des régimes de prescription concentre le feu des critiques en raison de l'insécurité juridique qu'elle crée. Les délais sont en effet unanimement jugés trop nombreux, leur décompte s'avère délicat et leur qualification aléatoire.
1. Des délais pléthoriques
Le délai de prescription de droit commun , qui est aussi le délai le plus long, est fixé à trente ans pour la prescription acquisitive comme pour la prescription extinctive ( article 2262 du code civil ).
Toutefois, les délais particuliers se sont multipliés au fil des années , du moins en matière de prescription extinctive, au point que M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a pu parler de véritable « capharnaüm ».
a) Les contrastes de la prescription acquisitive
Les durées requises pour acquérir la propriété d'un immeuble, d'une servitude ou d'un meuble n'ont pas changé depuis 1804 et s'avèrent particulièrement contrastées.
(1) Un délai de trente, vingt ou dix ans, selon les cas, pour acquérir un immeuble
Si le délai de droit commun pour acquérir un immeuble est de trente ans , il est abrégé à dix ou vingt ans , selon que le vrai propriétaire est domicilié dans ou hors du ressort de la cour d'appel où l'immeuble est situé, lorsque deux conditions supplémentaires sont réunies :
- la bonne foi du possesseur , c'est-à-dire « la croyance de l'acquéreur de tenir la chose du véritable propriétaire », la bonne foi étant appréciée au moment de l'acquisition ( article 2269 du code civil ) et étant présumée ( article 2268 du code civil ) ;
- l' existence d'un juste titre , c'est-à-dire d'un acte translatif de propriété, passé à titre particulier et exempt de toute cause de nullité absolue. Tel est le cas du contrat de vente, du legs particulier et de la donation, mais non du partage ou de la transaction, qui sont des actes déclaratifs de droits.
La longueur de ces délais se justifie par l'atteinte au droit de propriété que constitue l'usucapion, l'importance économique des transactions immobilières et la nécessité d'assurer leur sécurité.
(2) Un délai de trente ans pour acquérir une servitude
Le délai pour acquérir une servitude est toujours de trente ans ( article 690 du code civil ) 95 ( * ) .
(3) Une acquisition le plus souvent immédiate des meubles
Si la prescription acquisitive trentenaire est susceptible de s'appliquer aux meubles, ces derniers sont soumis à des règles particulières que justifient la nécessité de ne pas entraver leur circulation rapide et la difficulté de les identifier.
En formulant la célèbre maxime « en fait de meubles, la possession vaut titre », le code civil permet leur acquisition immédiate ( article 2279 du code civil ).
Le propriétaire lésé n'est toutefois pas totalement démuni. Il peut exercer plusieurs actions soumises à des délais différents, selon qu'il a été dépossédé de son bien volontairement ou involontairement. Le tableau ci-après, établi par le regretté doyen Jean Carbonnier, les présente succinctement.
Actions ouvertes au propriétaire dépossédé d'un meuble
Demandeur |
Défendeur |
Action |
Prescription |
Propriétaire dépossédé autrement que par perte ou vol (dessaisissement volontaire) |
Détenteur qui a reçu le meuble du propriétaire à titre précaire |
Action personnelle en restitution, née du
contrat.
|
30 ans
|
Possesseur ayant acquis de mauvaise foi le meuble détourné par le détenteur |
Revendication |
30 ans |
|
Possesseur ayant acquis de bonne foi le meuble détourné par le détenteur |
Aucune |
Acquisition instantanée |
|
Propriétaire dépossédé par perte ou vol |
Inventeur ou voleur |
Revendication |
30 ans |
Acquéreur ayant acquis de mauvaise foi le meuble perdu ou volé |
Revendication |
30 ans |
|
Acquéreur ayant acquis de bonne foi le meuble perdu ou volé |
Revendication |
3 ans
|
|
Acquéreur ayant acheté de bonne foi le meuble perdu ou volé, dans un marché, une foire, une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles |
Revendication, à charge de remboursement du prix ( article 2280 du code civil ) |
3 ans |
Source : Jean Carbonnier - Droit civil - Tome 3 - Les biens - 18 ème édition - PUF - p. 351.
b) Le maquis de la prescription extinctive
Le foisonnement des délais légaux de la prescription extinctive nourrit un sentiment d'imprévisibilité et d'arbitraire. Des aménagements conventionnels sont possibles.
(1) Le foisonnement des délais légaux
Le groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a recensé plus de 250 délais légaux , dont la durée varie de trente ans à un mois. Leur liste, qui n'est sans doute pas exhaustive, est reproduite en annexe du présent rapport 96 ( * ) .
Ce foisonnement est tout d'abord le reflet de la volonté du législateur d' assurer la prévisibilité des délais de prescription .
Sous l'Ancien Régime, le pouvoir d'équité des parlements leur permettait de modifier au cas par cas les délais de prescription pour tenir compte de l'impression que leur avaient donnée le créancier et le débiteur. Les incertitudes et le sentiment d'arbitraire nés de ce pouvoir leur avaient valu la maxime célèbre : « Dieu nous garde de l'équité des parlements ».
Pour y mettre un terme, les différents délais de prescription ont été fixés dans la loi. Jusqu'à l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur, seul le délai d'action de l'acquéreur d'une chose viciée était laissé à l'appréciation du juge : le requérant devait agir dans un « bref délai », suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente avait été faite. Depuis et pour mettre fin à un contentieux abondant, l'action doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ( article 1648 du code civil ).
Le foisonnement des délais de la prescription extinctive est ensuite le fruit de la volonté du législateur de prendre en compte les particularités de chaque situation .
Certaines courtes prescriptions prévues par le code civil sont fondées sur une présomption de paiement . Comme le souligne le doyen Jean Carbonnier : « les dettes qu'elles concernent sont de celles que l'on a coutume de régler rapidement de sorte que, si le créancier est resté trop longtemps sans réclamer, la présomption légale est qu'il a dû recevoir son paiement mais que le débiteur en a perdu la preuve . 97 ( * ) »
Ces prescriptions présomptives de paiement font l'objet d'une énumération limitative ( articles 2271 à 2273 du code civil ) et obéissent à un régime particulier. Les plus notables, du moins celles dont l'importance pratique mérite d'être soulignée, sont les créances des hôteliers et restaurateurs, qui se prescrivent par six mois, celles des médecins et pharmaciens, qui se prescrivent par deux ans, et celles des commerçants pour leurs ventes aux consommateurs, qui se prescrivent également par deux ans.
Les actions en paiement des créances périodiques -salaires, loyers et fermages, intérêts des sommes prêtées, par exemple- se prescrivent quant à elles par cinq ans ( article 2277 du code civil ). Ce délai résulte du souci d'éviter la ruine du débiteur par l'accumulation des arrérages : le remboursement des créances doit être assuré par les revenus et non par le capital.
La nécessité d'assurer la rapidité et la sécurité juridique des transactions commerciales explique qu'un délai de prescription de dix ans s'applique aux « obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes » ( article L. 110-4 du code de commerce ). A l'instar du délai trentenaire prévu par le code civil, ce délai de droit commun , issu de la loi n° 48-1282 du 18 août 1948 relative à la prescription des obligations entre commerçants à l'occasion de leur commerce, est également un délai maximum . De fait, les prescriptions plus courtes sont légion.
Ainsi, la législation cambiaire -relative aux effets de commerce, qui ont pour but de sécuriser le paiement des transactions de la vie des affaires- institue des délais de prescription très brefs : l'action contre l'accepteur d'un billet à ordre ou d'une lettre de change se prescrit par trois ans 98 ( * ) ; celle du porteur contre les endosseurs ou le tireur d'une lettre de change ou d'un billet à ordre se prescrit dans le délai d'un an ; celle du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés d'un chèque se prescrit par six mois à compter du délai de présentation 99 ( * ) .
Le droit des sociétés connaît une prescription de trois ans quasi-généralisée, qui concerne notamment l'action en responsabilité civile contre les administrateurs ou le liquidateur d'une société à responsabilité limitée ou d'une société anonyme 100 ( * ) , ainsi que les actions en nullité de la société 101 ( * ) -civile ou commerciale- ou des conventions non autorisées entre la société anonyme et ses dirigeants. Certaines dispositions prévoient néanmoins des délais plus brefs : l'action en nullité d'une opération de fusion ou de scission de sociétés se prescrit ainsi par six mois à compter de l'inscription au registre du commerce et des sociétés de la dernière formalité rendue nécessaire par l'opération 102 ( * ) .
Le droit administratif connaît également un régime de prescription spécifique et abrégé de quatre ans, communément appelé de ce fait « prescription quadriennale ». L'article premier de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose en effet que sont prescrites « toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. »
Comme l'a rappelé M. Jérôme Grand d'Esnon, directeur des affaires juridiques au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, devant la mission d'information, cette prescription abrégée a été instituée comme une mesure de protection des deniers publics. De fait, elle est souvent invoquée par l'administration dans les contentieux qui l'opposent aux administrés, notamment dans le cadre de recours engagés contre l'agent judiciaire du Trésor pour des dysfonctionnements allégués du service public de la justice.
Le foisonnement des délais de prescription résulte, enfin, de l'i nfluence croissante du droit international , tout particulièrement du droit communautaire .
A titre d'exemple, l'article 29 de la convention , dite de Varsovie, pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée le 12 octobre 1929, stipule que l' action en responsabilité contre un transporteur aérien doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l'arrivée à destination ou du jour où l'aéronef aurait dû arriver, ou de l'arrêt du transport. Cette règle est reprise à l' article L. 321-5 du code de l'aviation civile .
Quant aux dispositions du code civil relatives aux délais de prescription en matière de responsabilité du fait des produits défectueux , elles ne constituent que la transposition en droit interne d'une directive européenne 85/374/CEE du 25 juillet 1985. Elles prévoient, d'une part, que le droit à réparation s'éteint dans un délai de dix ans à compter de la mise en circulation du produit défectueux, d'autre part, que l'action en réparation doit être intentée dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ( articles 1386-1 à 1386-18 du code civil ).
(2) Un sentiment d'imprévisibilité et d'arbitraire
Devant un tel foisonnement, force est de reconnaître que les incertitudes et le sentiment d'arbitraire , auxquels l'intervention du législateur était censée mettre un terme, demeurent .
Ces incertitudes résultent tout d'abord des interrogations sur le délai applicable . Ainsi l'action en nullité d'une convention est enserrée dans un délai de cinq ans quand la nullité est relative ( article 1304 du code civil ) et de trente ans lorsqu'elle elle est absolue 103 ( * ) . Les représentants de la profession d'avocat et M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ont observé que cette disparité était source de contentieux.
Ces incertitudes tiennent également à l'existence de conflits de délais . Ainsi, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la victime a le choix entre plusieurs actions. L' article 1386-18 du code civil dispose en effet que l'action en réparation prévue à l' article 1386-17 ne porte pas atteinte aux droits que la victime tire du droit de la responsabilité contractuelle, extracontractuelle ou d'un régime spécial de responsabilité.
Enfin, le sentiment d'arbitraire se nourrit des incohérences de délais . L'une des plus notables, dénoncée par la plupart des interlocuteurs de la mission d'information, concerne le droit de la responsabilité.
Alors que la responsabilité contractuelle demeure par principe soumise au délai trentenaire de droit commun, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation a soumis les actions en responsabilité civile extracontractuelle à un délai de prescription de dix ans ( article 2270-1 du code civil ), au nom de l'inadaptation du délai trentenaire aux conditions de la vie moderne 104 ( * ) . Ce délai a été porté à vingt ans, sans grand débat, par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, en cas de tortures ou d'actes de barbarie ou en cas de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur.
Cette différence de délais pour l'exercice de l'action en responsabilité contractuelle et celui de l'action en responsabilité extracontractuelle est source de difficultés . A titre d'exemple, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision entre cet autobus et un autre véhicule disposera de dix ans pour agir contre le conducteur de ce véhicule et de trente ans pour agir contre son transporteur.
(3) Des possibilités d'aménagement conventionnel
Afin de protéger le débiteur tout en évitant la négligence et l'incurie du créancier, le législateur a interdit de renoncer par avance à une prescription ( article 2220 du code civil ). Cette nullité est d'ordre public.
Selon la doctrine, cette interdiction s'étend à l'allongement conventionnel du délai légal de prescription dans la mesure où un tel allongement constituerait une forme de renonciation partielle au bénéfice de la prescription.
Toutefois, la jurisprudence déclare valables certaines clauses qui, sans allonger directement le délai, parviennent indirectement au même résultat en aménageant son décompte, par exemple en incluant des causes de suspension .
La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans une affaire où une information judiciaire avait été ouverte, que l' article 2220 du code civil « ne prohibe pas les accords conclus après la naissance de l'obligation et en cours de délai par lesquels les parties conviendraient de la suspension de ce délai . » Elle a donc cassé pour défaut de base légale l'arrêt de la cour d'appel qui n'avait pas recherché « si les parties n'avaient pas convenu de suspendre le délai jusqu'à la clôture de l'information ouverte pour usure 105 ( * ) . »
Sont également licites les clauses d'une convention abrégeant le délai de prescription 106 ( * ) , à la condition de ne pas priver le créancier de toute possibilité d'agir . De telles clauses incitent en effet le créancier à plus de diligence et permettent au débiteur d'obtenir plus facilement sa libération.
Dans le domaine des assurances toutefois, le délai légal de deux ans est un délai impératif qui ne souffre, pour protéger les assurés, aucune réduction conventionnelle ( article L. 111-2 du code des assurances ).
Les clauses des autres contrats d'adhésion, lorsqu'elles prévoient un raccourcissement des délais imposé à la partie adhérente, peuvent être qualifiées de clauses abusives 107 ( * ) et annulées à ce titre.
2. Un décompte complexe
La minutie avec laquelle la loi précise les modalités de computation des délais pour prescrire contraste avec l'absence de dispositions de portée générale sur leur point de départ. De surcroît, l'écoulement du temps peut être suspendu ou interrompu, de sorte qu'il n'est souvent guère aisé de savoir si la prescription peut jouer.
a) Les incertitudes entourant le point de départ
(1) Des règles de computation uniformes
Un délai de prescription, qu'elle soit acquisitive ou extinctive, se compte par jours entiers : le jour du point de départ, par hypothèse entamé, n'est pas pris en compte et le délai ne commence à courir effectivement que le lendemain à zéro heures ( article 2260 du code civil ).
La prescription n'est accomplie, le jour de l'échéance, qu'à vingt-quatre heures. Aucune disposition légale ne proroge cette échéance s'il s'agit d'un jour non ouvrable.
Il n'est pas tenu compte du nombre de jours, variable, des mois et des années : le délai court toujours de quantième à quantième ( article 2261 du code civil ).
(2) Un point de départ variable
La prescription acquisitive commence à courir le lendemain du jour où la possession remplit toutes les conditions requises par l' article 2229 du code civil . Ces conditions étant difficiles à apprécier, il n'est guère évident de déterminer avec précision son point de départ.
Les règles applicables à la prescription extinctive sont plus diverses. La rigueur de la loi a été atténuée par la jurisprudence à plusieurs reprises.
En vertu de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, les actions relatives à la filiation se prescrivent en principe par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame ou à commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. Ce délai ne commence à courir à l'égard de l'enfant qu'à compter de sa majorité ( article 321 du code civil ).
Lorsque la possession d'état est conforme au titre, l'action en contestation de la filiation peut être intentée par l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé, cette contestation étant cependant impossible lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement ( article 333 du code civil ). Or l'appréciation des éléments constitutifs de la possession d'état n'est pas toujours évidente. A titre d'exemple, elle peut ne pas cesser après le décès du père dont la paternité est contestée, par exemple si l'enfant se rend régulièrement sur sa tombe et s'il est considéré comme son fils par son entourage.
En matière contractuelle , le point de départ du délai est l'exigibilité de l'obligation 108 ( * ) et non son fait générateur. Conformément à l'adage « actioni non natae », l'obligation soumise à une condition suspensive ne commence à se prescrire que du jour de la réalisation de la condition ; l'obligation à terme ne se prescrit quant à elle qu'à compter de la survenance du terme. De même, la prescription d'une créance périodique doit en principe être décomptée, pour chacun des termes périodiques, du jour de son échéance ( article 2257 du code civil ) : la prescription de l'action en paiement du salaire court ainsi à compter de la date à laquelle ce dernier devient exigible 109 ( * ) . Quant au délai de prescription de l'action en nullité, il ne commence à courir que du jour où cette action est possible ( article 1304 du code civil ).
Toutefois les règles sont complexes . A titre d'exemple, le point de départ de la prescription abrégée des actions relatives aux contrats d'assurance suscite, en pratique, des difficultés dans la mesure où il diffère selon qu'il s'agit d'une assurance de chose, d'une assurance de responsabilité, d'une assurance de personne, ou encore d'une assurance de groupe.
En matière de responsabilité extracontractuelle , la loi prévoit que le point de départ du délai est la manifestation ou l'aggravation du dommage , et non sa réalisation ( article 2270-1 du code civil ). L'aggravation est traitée comme un préjudice nouveau par la jurisprudence 110 ( * ) . Statuant sur un préjudice corporel, la Cour de cassation a décidé que le délai de prescription commençait à courir à compter non de l'accident mais de la consolidation du dommage qu'il avait causé 111 ( * ) . Saisie d'une action en responsabilité contre une banque ayant octroyé un prêt immobilier, elle a cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait retenu comme point de départ de la prescription le fait générateur du dommage, c'est-à-dire l'acte authentique de prêt, en rappelant qu'il fallait se situer au jour de la manifestation du dommage ou à la date à laquelle il a été révélé à la victime 112 ( * ) .
Plus généralement, faisant application du vieil adage « contra non valentem agere non currit praescriptio », la jurisprudence tempère les rigueurs de la loi en indiquant qu' un délai de prescription ne peut courir qu'à compter du jour où celui contre lequel on l'invoque a pu agir valablement 113 ( * ) . La Cour de cassation considère ainsi que « la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant, soit de la loi, soit de la convention, soit de la force majeure 114 ( * ) . »
A titre d'exemple, elle a jugé que le défaut d'autorisation administrative nécessaire à l'acceptation d'un legs universel par l'Ordre de la légion d'honneur avait placé celui-ci dans l'impossibilité d'interrompre la prescription qui courait en faveur de l'assureur garantissant le bien légué 115 ( * ) . A l'inverse, l'isolement, les charges familiales et le niveau socioculturel d'une personne ne sont pas des circonstances constitutives d'une impossibilité d'agir 116 ( * ) .
Le législateur est parfois contraint d'intervenir pour lever les incertitudes nées de la jurisprudence .
Ainsi, alors que les articles 475 et 495 du code civil prévoyaient la prescription par cinq ans de l'action en responsabilité du mineur ou du majeur protégé contre son tuteur , respectivement à compter de sa majorité et de la fin de la mesure de protection, la Cour de cassation avait décidé de reporter ce point de départ, en cas de continuation de la gestion des affaires du mineur ou du majeur protégé par le tuteur au-delà de la fin de la mesure de protection, au jour où cette gestion avait cessé 117 ( * ) .
L'appréciation de la date de cessation de la gestion étant pour le moins délicate, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs est revenue sur cette jurisprudence dans un objectif de plus grande sécurité juridique : à compter du 1 er janvier 2009, la continuation de la gestion au-delà de la fin de la mesure de protection ne reportera plus l'ouverture du délai de prescription de l'action en responsabilité du mineur ou du majeur protégé contre son tuteur ( articles 413 et 423 du code civil ). Bien évidemment, en cas de dol ou de fraude, le délai de prescription ne courra qu'à compter du jour de la découverte du dol ou de la fraude 118 ( * ) .
b) La multiplicité des causes d'interruption et de suspension
Interruption et suspension ont pour point commun de contrarier l'écoulement du temps. Leurs causes et leurs effets diffèrent toutefois sensiblement.
(1) Des causes d'interruption limitativement énumérées mais auxquelles les parties peuvent déroger
L'interruption a pour effet d' anéantir le délai qui s'est déjà écoulé, de sorte qu'une fois sa cause disparue, le délai recommencera à courir pour toute sa durée initiale . Elle peut être naturelle ou civile ( article 2242 du code civil ).
L' interruption naturelle ne concerne que la prescription des droits réels et, parce qu'elle procède d'un simple fait qui peut être l'oeuvre d'un tiers, produit un effet à l'égard de tous. Aux termes de l' article 2243 du code civil , « il y a interruption naturelle, lorsque le possesseur est privé pendant plus d'un an de la jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soit même par un tiers . » Lors de son audition, M. Jean-Jacques Taisne, professeur à l'université de Lille, a relevé à juste titre le caractère inapproprié de la référence à l'« ancien » propriétaire puisque la propriété n'est pas encore transférée au possesseur.
L' interruption civile s'applique non seulement à la prescription des droits réels mais aussi à celle des créances. Elle est en principe dotée d'un effet relatif et ne profite donc qu'à celui dont elle émane et à ses ayants droits 119 ( * ) . Elle résulte soit de la reconnaissance , même tacite 120 ( * ) , du propriétaire par le possesseur ou de la dette par le débiteur ( article 2248 du code civil ), soit d'une citation en justice , même en référé 121 ( * ) , d'un commandement 122 ( * ) ou d'une saisie par le propriétaire ou le créancier, cette énumération étant en principe limitative ( article 2244 du code civil ).
L'interruption est instantanée en cas de commandement ou de reconnaissance et le nouveau délai commence à courir aussitôt. Lorsqu'il s'agit d'une action en justice, l'interruption dure en principe « tant que le litige n'a pas trouvé sa solution définitive ». Une instance en nomination d'expert s'achève dès cette nomination et le délai de prescription recommence à courir avant le dépôt du rapport d'expertise.
Pour être limitative, cette énumération légale des causes d'interruption de la prescription n'est pas d'ordre public et les parties peuvent y déroger dans leurs conventions 123 ( * ) .
(2) Des phénomènes d'interversion
Pour certaines prescriptions extinctives de courte durée , le délai qui recommence à courir après une interruption est le délai de droit commun de trente ans , par exception au principe selon lequel, à la suite d'une interruption, le délai antérieur recommence à courir.
Cette interversion est prévue par la loi pour les prescriptions présomptives de paiement des articles 2271 à 2273 du code civil lorsqu'elles sont interrompues par une reconnaissance écrite et chiffrée de la dette ( article 2274 du code civil ). Dans ce cas en effet, la présomption de paiement sur laquelle repose la prescription se trouve contredite.
Plus généralement, la jurisprudence admet que toutes les prescriptions libératoires, même non présomptives, peuvent faire l'objet d'une interversion chaque fois que la reconnaissance de dette constitue un titre nouveau ayant sa prescription propre. Il en va ainsi, par exemple, des créances périodiques 124 ( * ) .
Enfin, l'interversion peut trouver sa source dans un jugement de condamnation 125 ( * ) .
La jurisprudence récente de la Cour de cassation semble toutefois être marquée par la volonté de circonscrire ces phénomènes d'interversion. En se fondant sur le critère de la nature de la créance, celle-ci a décidé que « si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande 126 ( * ) . » Sur ce même fondement, elle a décidé que « la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance et la circonstance que celle-ci soit constatée par acte authentique revêtu de la formule exécutoire n'a pas pour effet de modifier sa durée 127 ( * ) . » Enfin, elle a précisé que « l'action des avoués en recouvrement des dépens se prescrit par deux ans à compter du jugement des procès sans qu'il y ait lieu à distinguer selon qu'elle est exercée par l'avoué à l'encontre de son mandant ou de l'adversaire condamné aux dépens 128 ( * ) . »
(3) Des causes de suspension légales et jurisprudentielles
La suspension est l' arrêt provisoire du décompte du délai , dont le cours peut reprendre là où il a été arrêté lorsque la circonstance qui le justifie disparaît.
Cette circonstance est en principe déterminée par la loi. La prescription ne court ainsi ni contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle 129 ( * ) ( article 2252 du code civil ), ni entre époux 130 ( * ) ( article 2253 du code civil ), ni contre l' héritier acceptant à concurrence de l'actif net , à l'égard des créances qu'il a contre la succession 131 ( * ) ( article 2258 du code civil ).
Toutefois, la suspension dont bénéficient les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle est inapplicable aux prescriptions des articles 2271 à 2281 du code civil , la personne protégée conservant la possibilité de mettre en jeu la responsabilité de son représentant légal pour n'avoir pas interpellé en temps utile le débiteur ( article 2278 du code civil ). Il s'agit, dans le cas des prescriptions présomptives de paiement, d'empêcher les procès là où les preuves seraient effacées et, dans celui de la prescription des créances périodiques, d'éviter d'écraser le débiteur sous un arriéré trop considérable.
L'application de l'adage « contra non valentem agere non currit praescriptio » par la jurisprudence la conduit à décider non seulement le report du point de départ d'un délai de prescription mais également sa suspension lorsque celui contre lequel il court « est dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant, soit de la loi, soit de la convention, soit de la force majeure ».
S'il en résulte une certaine insécurité juridique, Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'Université du Maine, a toutefois observé lors de son audition par la mission d'information que cette règle prétorienne permettait d'introduire de l'équité et de la souplesse dans la mise en oeuvre de la législation et était appliquée avec discernement et parcimonie par les juridictions.
c) Des butoirs encore rares
Dans la mesure où le point de départ d'un délai peut se trouver retardé et son écoulement contrarié, se pose la question de l'institution de butoirs destinés à assurer l'effectivité de la prescription extinctive. De tels butoirs restent rares dans notre droit.
Le délai butoir de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux , fixé à 10 ans à compter de la mise en circulation du produit ( article 1386-16 du code civil ), a déjà été cité.
L' action en nullité de l'acte par lequel un époux a disposé seul du logement de la famille ou des meubles meublants qui le garnissent est ouverte à son conjoint dans un délai d'un an à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous ( article 215 du code civil ).
Dans le régime de la communauté légale, les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité ; ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations ( article 1424 du code civil ). Si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation dans un délai de deux ans à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans jamais pouvoir intenter son action plus de deux ans après la dissolution de la communauté.
Depuis la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, le délai de prescription de l' action en réduction des libéralités excessives est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ( article 921 du code civil ).
La jurisprudence semble également s'être engagée dans cette voie, puisque la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le délai d'un an de l'action en garantie des vices cachés contre un constructeur de navire était enfermé dans les limites de la prescription décennale de l' article L. 110-4 du code de commerce 132 ( * ) .
3. « L'énigme » des délais préfix
Certains délais, qualifiés de « préfix » par la jurisprudence et la doctrine, sont censés différer des délais de prescription par leur finalité et leur régime, plus rigoureux. Toutefois, leur détermination demeure « l'un des grands mystères du droit français 133 ( * ) », une « énigme » selon M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Par surcroît, les règles qui leur sont applicables ne sont pas uniformes. Il en résulte une grande insécurité juridique.
a) Des contours incertains
Alors que la prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer, les délais préfix sont généralement conçus comme des délais pour agir , débouchant sur la « forclusion », autrefois appelée « déchéance ».
Ont ainsi été qualifiés de préfix des délais aussi divers que ceux qui limitent dans le temps la contestation d'une décision de l'assemblée générale des copropriétaires d'un immeuble bâti, l'action en révocation d'une donation pour cause d'ingratitude ( article 957 du code civil ) ou encore l'action en revendication d'un meuble perdu ou volé ( article 2279 du code civil ) 134 ( * ) .
Le délai de dix ans, à compter de la réception des travaux, pendant lequel le constructeur d'un ouvrage est réputé responsable des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, est considéré comme un délai d'épreuve, donc comme un délai préfix, et non comme un délai de prescription ( articles 1792 et 2270 du code civil ).
Dans une circulaire du 30 juin 2006, la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice a présenté comme un délai préfix, institué à peine de déchéance, la fin de non-recevoir de l'action en contestation de la filiation prévue par l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement.
Toutefois, le critère de la finalité ne permet pas de déterminer la nature d'un délai . Certains délais pour agir sont qualifiés de délai de prescription par la loi ou par la jurisprudence, alors que des délais ayant clairement pour objet la libération du débiteur sont à l'inverse considérés comme des délais préfix.
Ainsi, la faveur pour le débiteur conduit parfois à tenir pour préfix un délai qui, donné pour exercer une action en paiement ou en responsabilité, semblerait devoir être soumis au régime de la prescription du code civil.
A titre d'exemple, l' article L. 311-37 du code de la consommation , relatif aux opérations de crédit à la consommation, prévoit que les actions en paiement engagées à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion.
De même, la Cour de cassation a pu estimer que les demandes en paiement des prestations sociales formées contre les organismes de sécurité sociale étaient enserrées dans des délais administratifs de forclusion et de déchéance et non dans des délais de prescription 135 ( * ) .
A l'inverse, par souci de protéger le titulaire de l'action, la jurisprudence fait échapper au régime des délais préfix l'action en nullité intentée par un époux, sur le fondement des articles 215 136 ( * ) et 1427 137 ( * ) du code civil , lorsque son conjoint a accompli seul certains actes de disposition.
De même, en dépit de la référence légale à la « déchéance », traditionnellement assimilée à la « forclusion », la Cour de cassation a considéré que le délai de deux ans pour l'exercice de l'action en responsabilité contre le transporteur aérien ( article L. 321-5 du code de l'aviation civile ) n'était pas préfix 138 ( * ) .
La durée d'un délai ne constitue pas non plus un critère significatif . Si les délais préfix sont généralement brefs, tous les brefs délais ne sont pas préfix.
A titre d'exemple, l'action en rescision d'une vente pour cause de lésion est enserrée dans un délai préfix de deux ans ( article 1676 du code civil ), supérieur aux délais de plusieurs prescriptions présomptives de paiement. Que dire également de la garantie décennale des constructeurs d'ouvrage !
Compte tenu de ces incertitudes, on pourrait songer à se rallier au seul argument d'autorité : un délai est préfix lorsqu'il est déclaré tel par la loi ou la jurisprudence. Las, souvent les juges ne se prononcent pas précisément sur la qualification d'un délai et se bornent à statuer sur un élément de régime.
b) Des régimes variables
Les délais préfix étaient traditionnellement soumis à des règles plus rigoureuses que les délais de prescription, même s'ils n'obéissaient pas à un régime unique. Depuis quelques années, la Cour de cassation tend à réduire ces différences.
(1) Un écoulement plus inexorable du temps
Il est de coutume d'affirmer que les délais préfix ne sont pas susceptibles d'interruption .
Toutefois, il était également admis qu'un délai donné pour agir en justice était interrompu par une citation en justice 139 ( * ) . Cette solution a été confirmée par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 qui a réécrit l' article 2244 du code civil afin d'étendre aux délais pour agir les causes d'interruption que sont la citation en justice, le commandement et la saisie. Le législateur n'ayant pas modifié l' article 2246 du même code , qui prévoit l'interruption de la prescription en cas de citation en justice devant un juge incompétent, la jurisprudence considérait que ces dispositions n'étaient pas applicables aux délais préfix 140 ( * ) . Dans un arrêt récent, la chambre mixte de la Cour de cassation est néanmoins revenue sur cette jurisprudence et a affirmé que les dispositions de l' article 2246 du code civil étaient applicables à tous les délais pour agir et à tous les cas d'incompétence 141 ( * ) .
Certains délais préfix sont interrompus en cas de reconnaissance de sa dette par le débiteur ; d'autres pas. Ainsi, la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises, à propos de la forclusion biennale en matière de crédit à la consommation, que la reconnaissance du droit n'interrompait pas le délai préfix. A l'inverse, elle considère que la reconnaissance de sa responsabilité par le constructeur d'un ouvrage interrompt le délai d'épreuve de la garantie décennale 142 ( * ) .
De la même manière, il est de coutume d'affirmer que les délais préfix ne sont pas susceptibles de suspension, contrairement aux délais de prescription. Pourtant, l'opposition n'a jamais été aussi tranchée .
Ainsi, la cause de suspension pour incapacité ne s'applique, par décision du législateur, ni aux prescriptions présomptives de paiement ni à la prescription quinquennale des créances périodiques ( article 2252 du code civil ). A l'inverse, la Cour de cassation affirme qu'elle a vocation à s'appliquer dans tous les cas où elle n'est pas exclue par la loi, indépendamment de la nature du délai 143 ( * ) . En outre, selon l'adage « contra non valentem ... », l'impossibilité absolue d'agir constitue une cause de suspension de tous les délais, quelle que soit leur nature.
En revanche, la règle « quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum », selon laquelle l'exception survit à la prescription de l'action, reste tenue pour étrangère aux délais préfix 144 ( * ) , même si cette solution est contestée par la doctrine.
(2) Des considérations d'ordre public très prégnantes
Les délais préfix sont généralement d'ordre public. Ce caractère emporte en principe trois conséquences :
- la prohibition des aménagements contractuels. Ainsi, toute clause du contrat qui aurait pour objet d'exclure ou de limiter la portée des garanties décennale, de parfait achèvement et de bon fonctionnement du constructeur d'ouvrage serait nulle ( article 1792-5 du code civil ) ;
- l'interdiction de renoncer à une forclusion acquise 145 ( * ) ;
- le pouvoir du juge de relever d'office ce moyen 146 ( * ) . Ainsi, la Cour de cassation a estimé que le juge pouvait soulever d'office la forclusion du délai biennal d'exercice de l'action en paiement contre l'emprunteur défaillant, prévu par l' article L. 311-37 du code de la consommation , sous réserve d'inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen 147 ( * ) . Certains délais préfix échappent toutefois à ce pouvoir du juge, par exemple celui de l'action en rescision pour lésion d'une vente d'immeuble 148 ( * ) .
C. DES EFFETS CONDITIONNÉS
Les effets de la prescription acquisitive et de la prescription extinctive sont déterminés par des règles communes et des règles spécifiques.
1. Les règles communes aux prescriptions acquisitives et extinctives
Qu'elle soit acquisitive ou extinctive, la prescription n'opère pas de plein droit ; elle a la valeur probatoire d'une présomption légale.
a) L'absence d'effet de plein droit
Lorsque la prescription est acquise, le législateur considère qu'il n'y a plus qu'une question d'intérêt privé.
Le bénéficiaire d'une prescription acquise peut donc y renoncer , expressément ou tacitement ( articles 2220 et 2221 du code civil ). S'il veut la faire jouer, il doit l'invoquer . Il peut le faire pour la première fois en appel, à la condition de ne pas être considéré comme y ayant déjà renoncé ( article 2224 du code civil ), mais pas en cassation 149 ( * ) .
Le juge ne peut relever d'office la prescription , lors même qu'elle serait d'ordre public 150 ( * ) , sauf dérogations expressément prévues par la loi ( article 2223 du code civil ). L' article L. 142-9 du code de la sécurité sociale permet ainsi au tribunal des affaires de sécurité sociale et à la cour d'appel de soulever d'office l'ensemble des prescriptions prévues par ce code et par les dispositions sociales (livre II) du code rural.
La prescription est très généralement invoquée par voie d'exception , sous la forme d'une fin de non-recevoir permettant de repousser soit une action en paiement, soit une action en revendication. Seule la prescription acquisitive peut également être invoquée en demande. En vertu de l'adage « quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipendium », si l'action est temporaire, l'exception est perpétuelle.
Les conditions de cette invocation peuvent parfois soulever des difficultés. A titre d'exemple, dans le cadre de la prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques, les juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire n'ont pas les mêmes exigences.
La prescription extinctive peut être opposée non seulement par le débiteur mais également, par la voie oblique, par ses créanciers ou par toute autre personne y ayant intérêt ( article 2225 du code civil ).
b) L'effet probatoire d'une présomption légale
La prescription a l' effet probatoire d'une présomption légale . Elle opère un déplacement de l'objet et, en conséquence, un allègement de la charge de la preuve.
Il ne s'agit plus, pour le possesseur, d'établir la chaîne successive des transmissions du bien réclamé mais de démontrer une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire, en personne ou par l'intermédiaire de ses auteurs. A cet égard, la prescription acquisitive tend davantage à conforter les droits du véritable propriétaire, dont il peut avoir perdu les preuves, qu'à favoriser sa spoliation.
De même, le débiteur n'a plus à apporter la preuve de sa libération, qu'il peut avoir jetée ou égarée, mais celle de l'écoulement d'une certaine durée depuis que sa dette est devenue exigible. La prescription extinctive joue un rôle simplificateur.
En principe, la prescription ne souffre pas la preuve contraire . Toutefois, l'effet extinctif d'une prescription présomptive de paiement ne prive pas le créancier de toute action. Lorsque le délai est expiré, il peut encore apporter la preuve du non-paiement de deux manières : la délation au serment et l'aveu du débiteur .
La délation au serment consiste, pour le créancier, à demander en justice au débiteur de confirmer la présomption légale en jurant que la dette a été réellement acquittée. Si le débiteur refuse de prêter ce serment, il ne peut plus opposer la prescription présomptive ( article 2275 du code civil ).
La jurisprudence admet en outre que l'aveu, même tacite, du débiteur permet de renverser la présomption de paiement. Cet aveu peut résulter de la circonstance que le débiteur a commencé par employer un moyen de défense incompatible avec le paiement effectif, par exemple en niant sa dette 151 ( * ) ou en se prévalant d'une remise de dette 152 ( * ) .
2. Les règles propres à la prescription acquisitive
a) Un effet rétroactif
La prescription acquisitive opère rétroactivement .
Le possesseur est censé avoir acquis la propriété de l'immeuble le lendemain du jour où il est entré en possession et non du jour où le délai légal a été achevé :
- les droits réels, par exemple les hypothèques, qu'il avait pu consentir à des tiers vont se trouver consolidés ;
- à l'inverse, les droits réels résultant du comportement du propriétaire lui seront inopposables ;
- il pourra conserver les revenus qu'il avait tirés du bien durant cette période ;
- sa responsabilité civile pourra être engagée si le bien possédé, par exemple un bâtiment en ruine, a causé un dommage.
b) Un effet erga omnes
La prescription acquisitive d'un droit réel immobilier opère à l'égard de tous sans qu'il y ait lieu à publicité foncière 153 ( * ) .
3. Les règles spécifiques à la prescription extinctive
a) L'absence d'effet rétroactif
Contrairement à la prescription acquisitive, la prescription extinctive n'a pas d'effet rétroactif .
La doctrine se divise autour de la détermination de ce qui est éteint par la prescription : le droit en sus de l'action (« conception substantialiste ») ou seulement l'action en justice (« conception processualiste »).
Ce débat emporte des conséquences en droit international privé. Retenir la qualification procédurale de la prescription conduit à désigner la loi du for, c'est-à-dire celle du tribunal saisi du litige. Mettre en avant sa qualification substantielle porte à désigner la loi du fond, c'est-à-dire celle de l'objet du litige.
L'approche substantialiste est privilégiée par les règles du droit international privé français et par les conventions internationales, afin d'éviter le « law shopping ».
Le paiement d'une dette prescrite est valable et ne peut donner lieu à répétition car il n'a pas porté sur l'indu sauf s'il a été obtenu sous la pression 154 ( * ) . On considère que la dette subsiste en tant qu'obligation naturelle ( article 1235 du code civil ).
b) Un effet exceptionnellement translatif
Dans certains cas, la prescription n'a pas pour effet d'éteindre la dette du débiteur mais de transférer à l'Etat le bénéfice de la créance ( article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques ).
Cet effet translatif , justifié par le principe selon lequel les biens vacants et sans maître appartiennent à l'Etat, joue notamment pour :
- les coupons, intérêts ou dividendes, atteints par la prescription quinquennale ou conventionnelle et afférents à des actions, parts de fondateur, obligations ou autres valeurs mobilières négociables, émises par toute société commerciale ou civile ou par toute collectivité privée ou publique ;
- les actions, parts de fondateur, obligations et autres valeurs mobilières des mêmes collectivités, lorsqu'elles sont atteintes par la prescription trentenaire ou conventionnelle ;
- les dépôts de sommes d'argent ou de titres et, d'une manière générale, tous avoirs en espèces ou en titres dans les banques, les établissements de crédit et tous autres établissements qui reçoivent des fonds en dépôt ou en compte courant, lorsque ces dépôts ou avoirs n'ont fait l'objet de la part des ayants droit d'aucune opération ou réclamation depuis trente années.
II. UNE RÉFORME ATTENDUE
La rénovation du droit de la prescription en matière civile est sans conteste une réforme attendue. Cette attente doit beaucoup à l'existence d'un décalage grandissant entre le régime de prescription organisé par le droit français et celui adopté par plusieurs Etats européens.
Si notre législation doit conserver les spécificités qui font sa force et s'enracinent dans son histoire, elle doit également être adaptée, le cas échéant, pour prendre en compte les règles qui s'appliquent chez nos principaux partenaires européens.
Pour formuler ses recommandations, la mission d'information a pu s'appuyer, d'une part, sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, fruit des réflexions d'éminents universitaires dont les travaux ont été coordonnés par M. Pierre Catala, professeur émérite de l'université de Paris 2, d'autre part, sur un projet d'ordonnance élaboré par le gouvernement de M. Dominique de Villepin et reprenant diverses propositions de la Cour de cassation.
A. UN DÉCALAGE DE PLUS EN PLUS ACCENTUÉ DU DROIT FRANÇAIS PAR RAPPORT AUX RÈGLES ADOPTÉES À L'ÉTRANGER
Comme l'a souligné Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'Université de Paris 2, lors de son audition par la mission d'information, des évolutions du droit de la prescription sont en cours tant au niveau transnational qu'au niveau des Etats. Elles concernent, pour l'essentiel, la prescription extinctive et consacrent des règles qui s'éloignent de notre actuelle législation.
1. Des tentatives d'harmonisation au niveau international et européen consacrant une prescription de droit commun courte
Depuis quelques dizaines d'années, une volonté d'harmonisation du régime des prescriptions en matière civile et commerciale -qui s'inscrit dans une démarche plus large visant à créer un droit des contrats uniforme- peut être relevée, tant au niveau international qu'européen. Cette volonté résulte d'une prise de conscience que les relations juridiques transnationales seraient fortement facilitées par l'établissement d'un corpus juridique commun dans le domaine contractuel.
Les règles proposées tant au niveau international qu'européen sont très proches .
a) Les propositions d'harmonisation internationale : les principes d'Unidroit
L'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit), organisation intergouvernementale à laquelle la France est partie, a établi des Principes relatifs aux contrats du commerce international dont la version adoptée en 2004 comporte des dispositions relatives au régime de la prescription. Ces principes, qui n'ont vocation à s'appliquer qu'à des relations contractuelles, n'ont cependant pas de force juridique contraignante , aucun instrument de droit international n'étant venu, à ce jour, en reprendre les dispositions.
Selon les Principes d'Unidroit, la prescription d'une obligation contractuelle n'a pas pour effet d'éteindre la créance . Elle ne peut par ailleurs produire effet que si elle est invoquée par le débiteur.
Les Principes optent pour un délai de prescription unique de trois ans , ce délai pouvant être modifié par accord des parties sans pouvoir être réduit à moins d'un an.
Ils prévoient un délai butoir de dix ans , qui peut être modifié par accord des parties au contrat, sans qu'il puisse être réduit à moins de quatre ans ou allongé au-delà de quinze ans.
Le point de départ de ces délais est fixé au jour « où le créancier a connu ou devait connaître les faits lui permettant d'exercer son droit . »
La suspension de la prescription peut être acquise par l'effet de procédures judiciaires, de procédures arbitrales ou de méthodes alternatives de règlement des différends. Il en est de même en cas de force majeure ou si survient le décès ou l'incapacité du créancier de l'obligation.
En outre, la reconnaissance, par le débiteur, du droit du créancier, constitue une interruption qui fait courir un nouveau délai de prescription de trois années.
b) Les propositions d'harmonisation européenne : les principes du droit européen des contrats
Des projets d'harmonisation au niveau européen du droit des prescriptions sont en cours. Cette volonté est avant tout le fait d'institutions privées , composées majoritairement d'universitaires, et n'a donné lieu à l'édiction d'aucun instrument juridiquement contraignant. Au contraire, ces règles se veulent une source d'inspiration tant pour les législateurs nationaux que pour les négociateurs d'instruments juridiques internationaux. Ils sont le fait de deux instances de travail : la Commission pour le droit européen des contrats et le Groupe de travail sur le code civil européen.
A ce stade, les institutions de l'Union européenne, si elles ont marqué un intérêt réel pour le développement d'un droit européen uniforme en matière contractuelle, n'ont pas adopté de règles spécifiques, si l'on excepte l'hypothèse très circonscrite de la responsabilité du fait des produits défectueux, définie par la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985. La Commission européenne a cependant fait connaître en 2004 qu'elle envisageait d'adopter en 2009 un « cadre commun de référence » qui, parmi d'autres problématiques relatives au contrat, consacrerait des dispositions relatives à la prescription 155 ( * ) .
Le seul projet actuellement abouti est celui de la Commission pour le droit européen des contrats, instituée dès 1980 à l'initiative du professeur Ole Lando, qui a défini des Principes du droit européen des contrats . Ce document comporte, depuis 2003, plusieurs dispositions relatives au régime de la prescription applicable au contrat.
Les Principes du droit européen des contrats retiennent un délai de prescription de droit commun de trois ans , porté à dix ans en cas de créance constatée par un jugement ou une sentence arbitrale.
Le point de départ de la prescription varie selon la nature de la créance. Il est fixé, en principe, au jour où le débiteur « doit exécuter [son obligation] ou, s'agissant d'une créance de dommages et intérêts, de la date du fait générateur de la créance . »
Les Principes prévoient plusieurs causes de suspension du cours de la prescription, notamment l'ignorance par le créancier de l'identité du débiteur ou du fait générateur de sa créance, l'existence d'une procédure judiciaire ou extrajudiciaire ainsi que l'empêchement du créancier.
Ils envisagent par ailleurs des cas de prorogation du délai de prescription. Ainsi en est-il, en particulier, lorsque les parties sont en négociation à propos de la créance concernée, le délai de prescription ne pouvant alors expirer avant l'écoulement d'une année après la dernière communication faite dans le cadre de cette négociation.
En tout état de cause, un butoir est prévu : les éventuelles suspensions ou prorogations ne peuvent conduire à ce que le délai de prescription dépasse dix ans . Ce délai butoir est fixé à trente ans en cas de réparations relatives à des dommages corporels. Il n'est pas applicable lorsque la suspension est liée à une procédure judiciaire ou extrajudiciaire.
Les Principes prévoient des cas de « recommencement » de la prescription en cas de reconnaissance de dette par le débiteur ou de tentative par celui-ci de s'acquitter de son obligation. Le nouveau délai applicable est alors le délai de prescription de droit commun.
Les règles de prescription peuvent être aménagées par les parties sans que le délai de prescription puisse être réduit à moins d'un an ou étendu à plus de trente ans.
2. Un décalage grandissant de la France face à ses partenaires européens
Si elles restent encore relativement disparates, les règles de prescription retenues par plusieurs Etats membres de l'Union européenne se caractérisent par des délais de prescription plus courts que ceux prévus par le droit français. Les récentes réformes intervenues dans plusieurs Etats, qui ont tenté de rationaliser le régime de la prescription, accentuent cet état de fait.
a) Des délais de prescription souvent plus courts
Du fait de réformes plus ou moins récentes, plusieurs Etats européens ont opté pour un délai de prescription de droit commun variant de deux à six ans.
De ce point de vue, l'exemple allemand est le plus symptomatique. La loi du 11 octobre 2001 portant réforme des obligations et modifiant le Bürgerliche Gesetzbuch (BGB) 156 ( * ) , entrée en vigueur le 1 er janvier 2002, a réduit le délai de prescription de droit commun de trente ans à trois ans, tant en matière contractuelle que délictuelle. Toutefois, des délais plus longs restent prévus à titre dérogatoire 157 ( * ) .
En Angleterre et au Pays de Galles, le délai de droit commun est fixé à six ans 158 ( * ) , bien qu'il existe certains délais spéciaux plus courts ou plus longs 159 ( * ) . Toutefois, la Law Commission 160 ( * ) a proposé, en 2001, de retenir un délai de droit commun de trois ans à compter de la date où le créancier peut agir 161 ( * ) .
En Belgique, depuis la loi du 10 juin 1998, le code civil distingue selon la nature de l'action concernée par la prescription. S'il s'agit d'une action réelle, le délai de prescription est de trente ans ; il est en revanche de dix ans pour les actions personnelles, les actions en réparation d'un dommage fondé sur une responsabilité extracontractuelle se prescrivant, quant à elles, par cinq ans.
En revanche, d'autres Etats conservent des délais de prescription plus longs, souvent proches de dix ans.
Ainsi, l'Italie connaît un délai de prescription extinctive de droit commun de dix ans, de nombreuses actions se prescrivant néanmoins au terme d'une période de cinq ans 162 ( * ) .
Il en est de même en Suisse, avec un délai de droit commun de dix ans, assorti de délais abrégés dans certaines hypothèses 163 ( * ) , ainsi qu'en Suède et en Finlande.
Le délai de droit commun prévu par le code civil espagnol est de quinze ans, quoique le code prévoie également des délais raccourcis ou allongés 164 ( * ) .
Le droit luxembourgeois connaît des durées de prescriptions très proches de celles du code civil français, avec un délai de droit commun trentenaire et plusieurs délais abrégés, dont un délai de dix ans en matière commerciale.
Dans ces différents Etats, existent néanmoins des interrogations sur l'opportunité d'une modification des délais, sous l'influence des principes dégagés tant par Unidroit que par la commission Lando.
Certaines législations ont également institué un délai « butoir » ou « plafond » , au-delà duquel l'action ne peut plus être introduite. Son point de départ est en général fixé au jour du fait générateur de la créance. Ce délai est fixé en Allemagne à dix ans ou trente ans, selon le cas.
En Belgique, ce délai butoir est d'une durée de vingt ans à compter de la date du fait générateur du dommage dans le cadre d'une action en responsabilité extracontractuelle.
Au Royaume-Uni, le projet de la Law Commission prévoit également l'institution d'un tel délai, dont la durée serait de dix ans.
b) Une volonté de rationalisation des règles de prescription
Souvent, la réduction du délai de prescription de droit commun dans les Etats membres de l'Union européenne s'est accompagnée d'une volonté de rationalisation du régime des prescriptions. Celle-ci s'est notamment traduite par une certaine généralisation du délai de prescription de droit commun, en réduisant autant que possible le nombre des délais dérogatoires plus courts ou plus longs.
L'Allemagne a, en outre, simplifié sa législation en fixant une règle générale relative au point de départ du délai de prescription. Celui-ci est désormais fixé au jour où le créancier a pris connaissance ou aurait du avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son action et de l'identité de son débiteur.
Parallèlement au raccourcissement des délais de prescription, les Etats ont souvent explicitement consacré l'impossibilité d'agir comme une cause de suspension du cours de la prescription. Si l'Angleterre, la Suède et la Finlande ignorent toujours l'application de l'adage « contra non valentem », nombreux sont en revanche les Etats qui, dans leur législation, ont incorporé cette règle : Allemagne, Grèce, Portugal, Autriche, Espagne, Pays-Bas, Italie et Belgique.
Enfin, plusieurs Etats ont encadré les conditions de mise en jeu de la prescription. L'Allemagne, la Grèce et le Portugal n'autorisent la suspension de la prescription que si la cause intervient à la fin du délai de prescription. En Allemagne et en Grèce, la cause doit intervenir dans les six derniers mois ; au Portugal, elle doit être intervenue dans les trois derniers mois.
B. DES PROJETS NATIONAUX DE RÉFORME INÉGALEMENT AMBITIEUX
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, dont le volet consacré à la prescription a été rédigé par M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, et le projet d'ordonnance élaboré par le gouvernement de M. Dominique de Villepin, ont pour points communs de réduire les délais de prescription et de retenir les mêmes règles de droit transitoire. Ils se distinguent en revanche par l'ampleur inégale des réformes proposées.
Lors de son audition, M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a exposé que cette dernière avait décidé de ne formuler que des propositions pratiques, minimales, nourries par les difficultés constatées dans le traitement judiciaire de la prescription, au motif qu'une réforme plus vaste imposait de faire des choix relevant de la compétence du seul législateur.
M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, a justifié le choix du précédent gouvernement de s'en tenir aux propositions de la Cour de cassation en faisant valoir, d'une part, qu'une réforme de grande ampleur aurait peu de chance d'aboutir en raison des oppositions qu'elle ne manquerait pas de susciter, d'autre part, que la décision de proposer au Parlement de procéder par voie d'ordonnance, justifiée par l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées à la fin de la précédente législateur, ne permettait d'envisager que des modifications a minima .
Dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, souligne à l'inverse qu'« il a paru indispensable de ne pas se cantonner à diminuer la durée de la prescription de droit commun qu'aujourd'hui tout le monde trouve excessive. Cette position minimum présenterait pourtant des avantages : d'abord de rendre facile la réforme, comme toute solution simple. En outre, un consensus général accepterait aisément la modification de l'actuel article 2262 du code civil en réduisant le délai à dix ans ; malgré l'avantage de la simplicité et du consensus, cette solution ne serait cependant qu'une réformette ; la réforme du droit de la prescription appelle une vision d'ensemble beaucoup plus drastique 165 ( * ) . »
1. Une volonté commune de réduire les délais
Qu'il s'agisse de prescription extinctive ou de prescription acquisitive, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit ainsi une réduction des délais bien plus drastique que le projet d'ordonnance du précédent gouvernement.
a) Une réduction sensible des délais légaux de la prescription extinctive
(1) L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription : un délai de droit commun de trois ans, des délais spéciaux inférieurs ou égaux à dix ans et un délai butoir de dix ou trente ans
S'inspirant de la réforme allemande du BGB et des Principes du droit européen des contrats, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription suggère de ramener de trente à trois ans le délai de droit commun de la prescription extinctive.
Selon M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, un tel délai présenterait de nombreux avantages : « d'abord, il traduirait le nouvel esprit du droit civil des pays faisant partie de l'Union européenne et du droit communautaire contemporain (et dont la réforme du Code civil s'impose chaque fois qu'elle est utile) : non seulement une tendance à une certaine unification, mais surtout, de plus en plus attaché à la rapidité des opérations contractuelles et l'on comprend que les milieux d'affaires allemands (non, semble-t-il, tous les universitaires) y soient attachés. En outre, il présente les mérites de la simplification, qui en rendrait la connaissance facile, ce qui est particulièrement précieux dans une société devenue aussi complexe que la nôtre »
Il observe qu'« une réforme de cette ampleur supposera un grand courage politique car elle soulèvera un tollé d'oppositions. Pourquoi par exemple, diront les assurances et la sécurité sociale, passer d'un délai de deux ans, qui donnait satisfaction à tout le monde, à trois ans ? A l'inverse les salariés protesteront lorsque la prescription des dettes périodiques, telles que le salaire, passera de cinq à trois ans. Réponse : il faut absolument simplifier notre droit ; pour échapper à sa fragmentation, il faut trancher dans le vif . 166 ( * ) . »
A l'instar de son homologue allemand, le délai triennal de droit commun souffrirait toutefois de nombreuses exceptions .
Un délai de dix ans serait ainsi prévu pour les actions en responsabilité civile tendant à la réparation d'un préjudice corporel ou de tout préjudice causé par des actes de barbarie, les actions en nullité absolue et les actions relatives à un droit constaté par un jugement ou un autre titre exécutoire.
En outre, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription n'envisage de modifier ni les délais de prescription énoncés par les traités internationaux et le droit européen, en raison de leur supériorité sur la loi française, ni ceux du droit pénal, de la procédure civile, des voies d'exécution, du droit de la presse, du droit cambiaire, des procédures collectives, du droit de la famille, des successions et des régimes matrimoniaux, « qui ont chacun une prescription dont le particularisme est marqué », ni les délais égaux ou inférieurs à six mois pendant lesquels un droit doit être exercé ou une action introduite, à peine de déchéance.
Comme le note M. Philippe Malaurie à propos de la réforme du BGB allemand et des Principes du droit européen des contrats, « cette simplification comporte donc une part d'illusions ».
Tout en conservant une pluralité de délais, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription propose, et l'importance de cette proposition mérite d'être soulignée, d'instituer un délai butoir de dix ou trente ans à compter du fait générateur de l'obligation pour la totalité des prescriptions , les cas d'imprescriptibilité étant maintenus. Le délai de trente ans serait applicable aux actions en responsabilité civile ayant pour objet la réparation d'un préjudice corporel ou résultant d'un acte de barbarie ou d'une atteinte à l'environnement. Ce délai butoir de dix ou trente ans ne serait susceptible ni de report, ni d'interruption, ni de suspension, ni d'aménagement conventionnel .
(2) Le projet d'ordonnance : un délai de droit commun de dix ans et un délai de cinq ans pour l'action en répétition de l'ensemble des créances à terme
Suivant les recommandations de la Cour de cassation, le projet d'ordonnance élaboré par le précédent gouvernement prévoit de fixer à dix ans le délai de prescription de droit commun applicable aux actions mobilières et personnelles .
Lors de son audition par la mission d'information, M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a fait valoir qu'« une telle évolution éviterait l'incohérence actuelle qui aboutit à des prescriptions différentes pour une action en responsabilité trouvant son origine dans le même fait qui, sur le fondement délictuel sera prescrite par dix ans et ne le sera qu'au bout de trente ans pour le tiers victime de l'inexécution contractuelle dont l'assemblée plénière de la Cour de Cassation du 6 octobre 2006 vient de rappeler qu'il peut se prévaloir de l'inexécution d'un contrat qui lui occasionne un dommage . »
Le rapport établi en 2004 par le groupe de travail qu'il présidait observe également que le délai de dix ans est d'ores et déjà retenu dans de nombreux autres cas : pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre les commerçants ou entre commerçants et non commerçants, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes ( article L. 110-4 du code de commerce ), pour la responsabilité civile des constructeurs d'ouvrage, qu'elle soit contractuelle ( article 1792 du code civil ) ou extracontractuelle 167 ( * ) , ou encore pour la responsabilité du fait des produits défectueux ( article 1386-16 du code civil ).
On peut ajouter que le délai de dix ans a été récemment retenu dans le cadre de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, pour l'exercice de la faculté d'option de l'héritier ( article 780 du code civil ) , ainsi que dans le cadre de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, pour les actions relatives à la filiation qui ne sont pas enfermées dans un autre délai ( article 321 du code civil ).
Les durées particulières seraient maintenues . L'exposé des motifs du texte communiqué à la mission d'information souligne que : « s'agissant des actions relatives à l'état des personnes et notamment des actions en nullité du mariage, il paraît indispensable de préserver une prescription trentenaire. En effet le délai de dix ans est manifestement trop court au regard des délais de révélation de certaines causes de nullité du mariage (notamment la bigamie) . »
Suivant toujours les recommandations de la Cour de cassation, le projet d'ordonnance prévoit en outre de fixer à cinq ans le délai de prescription des actions en répétition de l'ensemble des créances à terme , afin de l'aligner sur celui des actions en paiement de telles créances.
L'article 113 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale n'a opéré cette réforme que pour la prescription des actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives.
Les autres actions en répétition qui, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, relèvent donc du régime des quasi-contrats, restent soumises au délai de droit commun. Or le rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, souligne que « cette solution présente de graves inconvénients pour les salariés lorsque l'employeur ou les ASSEDIC engagent tardivement des actions en répétition de salaires ou de prestations indûment versés ».
b) Une réduction plus timide des délais de la prescription acquisitive
(1) Les hésitations de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription : un délai unique de dix ans ou un délai de vingt ans ramené à dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur ?
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription suggère de retenir un délai unique de dix ans pour la prescription acquisitive en matière immobilière.
Un délai de vingt ans, ramené à dix ans lorsque le possesseur a acquis l'immeuble de bonne foi et par juste titre, est toutefois envisagé à titre de variante.
Lors de son audition, M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, a marqué sa préférence pour un délai unique de dix ans, plus conforme au double objectif de réduction et de simplification des délais de prescription recherché par l'avant-projet.
A l'inverse, M. Pierre Catala, professeur émérite de l'université de Paris 2, s'est déclaré favorable à la variante, en soulignant qu'il convenait de maintenir un délai plus bref au bénéfice du possesseur de bonne foi et disposant d'un juste titre.
(2) Le projet d'ordonnance : le maintien du délai de droit commun de trente ans et l'unification à dix ans de la durée de la prescription abrégée
Suivant les recommandations de la Cour de cassation, le projet d'ordonnance élaboré par le précédent gouvernement prévoit de maintenir la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières (acquisition de la propriété immobilière ou extinction des servitudes pour non usage) et de fixer une durée de prescription acquisitive immobilière abrégée unique de dix ans , quel que soit le lieu de résidence du vrai propriétaire.
Lors de son audition, M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, a observé que le délai trentenaire actuel ne suscitait guère de contestations et estimé qu'un délai plus court risquerait de porter une atteinte excessive au droit de propriété.
De même, le rapport du groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, fait valoir que « l'acquisition de la propriété immobilière par possession trentenaire ou l'extinction des servitudes par non usage pendant trente ans correspondent à de véritables règles culturelles de la « Constitution civile des Français » qu'il serait paradoxal de raccourcir alors que la durée de la vie ne cesse de s'allonger et qu'une telle prescription acquisitive ne correspond plus aujourd'hui, statistiquement, qu'à une petite partie de la vie d'un seul individu . »
L'unification du délai de la prescription acquisitive immobilière abrégée s'explique en revanche aisément : les moyens de communication actuels font perdre sa justification au délai de vingt ans fondé sur la domiciliation du propriétaire, hors du ressort de la cour d'appel où est situé l'immeuble.
2. Une évolution du régime de la prescription prévue par le seul avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription
Seul l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit de modifier le régime de la prescription.
a) Le développement et l'encadrement des causes de report ou de suspension
(1) Une consécration de la jurisprudence sur le point de départ que limite l'institution d'un délai butoir
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit de consacrer la jurisprudence selon laquelle la prescription a pour point de départ le jour où le créancier peut agir et de préciser qu'elle ne court pas ou est suspendue tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance .
Toutefois, l'institution d'un délai butoir de dix ou trente ans ayant pour point de départ le fait générateur de l'obligation et ne pouvant ni être suspendu, ni interrompu limite, de fait, les durées de report ou de suspension applicables.
(2) La création de deux nouvelles causes de suspension : la négociation de bonne foi et la citation en justice
Afin d'encourager le règlement amiable des litiges, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue tant que les parties négocient de bonne foi .
Par ailleurs, en prévoyant que « la prescription est suspendue pendant le procès jusqu'à son achèvement », il transforme la citation en justice , qui est actuellement une cause d'interruption, en une cause de suspension . L'objectif recherché est d'éviter un allongement des délais de prescription.
(3) La consécration et l'encadrement de l'adage « contra non valentem... »
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consacre l'adage « contra non valentem » , en prévoyant que la prescription court contre toute personne qui n'est pas dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
S'inspirant de la réforme du droit allemand des obligations et des Principes du droit européen des contrats , il prévoit toutefois de ne faire de la force majeure , lorsqu'elle est temporaire, une cause de suspension que si elle est intervenue dans les six mois précédant l'expiration du délai de prescription .
b) La limitation des causes et des effets de l'interruption
(1) La transformation de la plupart des causes actuelles d'interruption en causes de suspension
S'inspirant de la réforme du droit allemand des obligations, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoit de n'admettre que deux causes d'interruption civile de la prescription , « peu susceptibles d'équivoque » :
- la reconnaissance , même tacite, par le débiteur du bien fondé de la prétention du créancier ;
- la mise en oeuvre par le créancier de voies d'exécution telles qu'un commandement ou une saisie.
(2) La suppression de l'interversion de la prescription extinctive
En prévoyant que l'interruption fait courir une nouvelle prescription de même durée, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription tend à mettre un terme aux phénomènes d'interversion .
M. Philippe Malaurie justifie cette suppression en faisant valoir que : « Cette institution prétorienne, pour traditionnelle qu'elle soit, est compliquée, paraît inopportune et devrait être abandonnée. Elle est un nid à procès, car l'incertitude continue à régner sur ses conditions : quelles sont les prescriptions susceptibles d'interversion ? Quel acte d'interruption vaut interversion ? Faut-il toujours pour qu'il y ait interversion une reconnaissance écrite et chiffrée du débiteur ? En outre, l'intérêt de cette institution apparaît surtout à l'égard des très courtes prescriptions dont la disparition rendrait l'interversion inutile. Enfin, l'interversion a pour conséquence d'allonger le délai nécessaire pour prescrire, ce qui est contraire à un des principaux objectifs de cette proposition de réforme . La récente réforme allemande des dispositions du B.G.B. intéressant le droit des obligations et les Principes du droit européen des contrats l'ont aujourd'hui purement et simplement abandonnée . »
c) Le cantonnement de la prescription dans la sphère privée
(1) L'extension de la liberté contractuelle
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription étend la liberté contractuelle , en prévoyant que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par accord des parties ou de leurs représentants légaux, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans.
(2) La suppression des délais préfix
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription suggère de faire disparaître la notion de délai préfix , au motif qu'« aucun critère précis ne permet de déterminer quels délais sont ou ne sont pas préfix. Sur ce point également, le droit actuel de la prescription extinctive souffre d'incertitudes, causes de contentieux et de discussions parfois interminables . »
(3) Le maintien de l'interdiction faite au juge de soulever d'office la prescription
Enfin, l' interdiction faite au juge de soulever d'office la prescription serait maintenue et confortée par la suppression des délais préfix.
3. Des dispositions transitoires identiques
Le projet d'ordonnance et l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prévoient de consacrer les solutions dégagées par la jurisprudence :
- la loi nouvelle n'a pas d'effet sur une prescription acquise ;
- si l'action n'est pas prescrite au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle qui réduit le délai de prescription, le nouveau délai s'applique sans toutefois que la durée puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
C. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION : RÉDUIRE LES DÉLAIS ET SIMPLIFIER LE RÉGIME DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE
A la suite des nombreuses auditions qu'elle a menées et sur la base des projets de réforme déjà rendus publics, la mission d'information formule plusieurs recommandations tendant à moderniser le droit de la prescription en matière civile afin de lui rendre sa cohérence.
1. Réduire les délais de prescription actuels
La rénovation du droit français de la prescription civile passe nécessairement, selon la mission d'information, par une modification des délais de prescription.
a) Réduire la durée de la prescription extinctive de droit commun et le nombre des délais dérogatoires
(1) Un délai de prescription de droit commun fixé à cinq ans
A titre liminaire, la mission d'information juge opportun, pour des raisons de lisibilité, de conserver un « délai de droit commun » de la prescription extinctive, quand bien même celui-ci devrait inévitablement comporter des exceptions plus ou moins nombreuses.
Cette solution traditionnelle est parfois discutée. Lors de son audition, M. Yves Chaput, professeur de droit à l'Université de Paris 1, a ainsi indiqué qu'il pourrait être envisagé de définir deux délais de prescription : d'une part, un délai d'une durée réduite qui s'appliquerait à toute créance certaine, liquide et exigible ; d'autre part, un délai plus long applicable à toute créance ne présentant pas ces caractères.
Toutefois, la quasi-unanimité des personnes entendues par la mission -universitaires et représentants des consommateurs, des entreprises, des professions juridiques et judiciaires ainsi que des ministères concernés- a souligné la nécessité de réduire le délai de droit commun de la prescription extinctive , sans jamais évoquer sa suppression. Trois arguments principaux militent en faveur d'une telle réforme.
En premier lieu, le délai trentenaire prévu par le code civil n'apparaît plus adapté à un monde où les relations juridiques, qu'elles interviennent entre professionnels ou entre particuliers, se modifient et se succèdent à un rythme sans cesse plus rapide. La sécurité des transactions juridiques s'accommode mal d'une prescription particulièrement longue et désormais d'autant moins nécessaire que les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations qui leurs sont indispensables pour exercer valablement leurs droits.
En deuxième lieu, à l'heure où les effets économiques de la règle de droit sont de plus en plus pris en considération, ainsi qu'en témoignent, en particulier, les rapports annuels Doing Business établis par la Banque mondiale, le coût, pour les acteurs juridiques, d'une prescription longue doit être mis en exergue. Le choix d'un délai de prescription a en effet de fortes incidences en matière de conservation des preuves : le débiteur d'une obligation doit, par précaution, conserver les éléments prouvant qu'il s'en est effectivement acquitté afin de faire face, le moment venu, aux prétentions du créancier poursuivant. Or, ainsi que l'ont souligné tant le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) que l'Association française des entreprises privées (AFEP), un long délai de prescription alourdit considérablement, pour les entreprises, les coûts de conservation de leurs documents internes, dès lors que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) impose des obligations strictes pour la conservation des archives 168 ( * ) .
En dernier lieu, le délai trentenaire retenu par le droit français s'avère en fort décalage par rapport aux délais désormais retenus par nos principaux partenaires européens.
Dans un tel environnement, la réduction de la durée du délai de prescription de droit commun ne pourrait donc que renforcer la sécurité juridique et, de ce fait, encourager l'activité économique, comme l'a souligné, lors de son audition, M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du trésor et de la politique économique.
Si un très large consensus se dessine donc sur la conservation d'un délai de droit commun de la prescription extinctive et la réduction de sa durée, les avis divergent sur la durée idoine .
Les auditions ont ainsi fait apparaître qu'une durée de dix ans -solution envisagée par le gouvernement-, constituerait certes déjà un progrès et serait assez aisée à mettre en oeuvre techniquement, mais ne serait pas pleinement satisfaisante, en particulier eu égard à l'évolution générale du droit de la prescription chez nos principaux partenaires européens.
Or la mission d'information insiste sur l'importance de la concurrence des systèmes juridiques en Europe et sur la nécessité, pour le droit français, de présenter une réelle attractivité par rapport aux autres législations nationales. De ce point de vue, un délai de prescription de droit commun de dix ans pourrait donc être jugé trop long au regard de ce que prévoient, notamment, l'Allemagne et le Royaume-Uni.
A l'inverse, le délai de trois ans, proposé par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription et soutenu par la majorité des universitaires entendus par la mission d'information, a été jugé à plusieurs reprises trop bref. Si cette opposition a été notamment formulée par les associations de consommateurs -Association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV), Association OR.GE.CO et Association Force-ouvière consommateurs (AFOC)- dans le cadre des contributions écrites qu'elles ont faites parvenir à vos rapporteurs, elle l'a également été par plusieurs représentants des milieux économiques, à commencer par le MEDEF et la Fédération bancaire française (FBF).
Au surplus, comme l'a relevé M. Daniel Tricot, président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, fixer un délai de prescription trop court comporte un risque évident de multiplication des recours juridictionnels ayant pour seul but de suspendre ou d'interrompre le cours de la prescription afin de préserver les intérêts des parties à l'avenir. Développant la même analyse, M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a souligné lors de son audition la nécessité de « laisser aux créanciers le temps d'être patients ».
Aussi la mission d'information recommande-t-elle de fixer à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive.
Cette voie médiane, prônée en particulier par MM. Jean-François Weber et Dominique Main, respectivement président de la troisième chambre civile et avocat général à la chambre commerciale de la Cour de cassation, par les représentants du Syndicat de la magistrature ainsi que par le MEDEF et la FBF, permettrait de limiter l'insécurité juridique qui s'attache à toute prescription d'une durée trop longue, sans pour autant être une source d'injustice et de spoliation pour toute personne titulaire d'un droit.
Elle assurerait par ailleurs une harmonisation satisfaisante du droit français avec les droits des Etats membres de l'Union européenne et constituerait, en tout état de cause, une avancée considérable, puisqu'elle réduirait la durée du délai de droit commun de vingt-cinq ans.
Enfin, le délai de cinq ans a été retenu dans diverses réformes récentes du code civil : par exemple, pour les actions en nullité relative du mariage fondées sur un vice du consentement 169 ( * ) ( articles 181 et 185 du code civil ) ; pour l'action en contestation d'une filiation établie par un titre corroboré par la possession d'état 170 ( * ) ( article 333 du code civil ), pour l'action en contestation d'une possession d'état constatée par un acte de notoriété 171 ( * ) ( article 335 du code civil ) ou encore pour l'action en réduction des libéralités excessives 172 ( * ) ( article 921 du code civil ).
Recommandation n° 8 : abaisser de trente ans à cinq ans le délai de droit commun de la prescription extinctive. |
(2) Une généralisation raisonnée du délai de cinq ans aux prescriptions actuelles d'une durée différente
Au-delà de la fixation d'une durée de prescription de droit commun plus courte se pose la question fondamentale de sa généralisation à tout ou partie des délais de prescription qui lui sont supérieurs ou, à l'inverse, inférieurs, tout au moins dans les matières où la durée de la prescription n'est pas fixée par un texte de droit international ou européen dont le respect s'impose au législateur.
Comme l'a souligné Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, lors de son audition, une réforme qui se bornerait à substituer à la prescription trentenaire une prescription d'un délai plus court serait d'une portée trop limitée puisqu'elle ne mettrait pas fin au foisonnement des délais de prescription qui fonde, pour l'essentiel, la complexité actuelle de notre droit. Aussi la mission d'information estime-t-elle que ce nouveau délai de prescription de droit commun devrait faire l'objet d'une généralisation à d'autres hypothèses que celles actuellement régies par la prescription trentenaire.
Le maintien de principe des délais de prescription actuels plus brefs
S'agissant des délais inférieurs à cinq ans actuellement prévus par la législation, la mission d'information juge préférable de ne pas procéder à un alignement d'ensemble et de maintenir, dans leur principe, ces durées plus courtes.
Ces délais de prescription particuliers -fort nombreux- ont été institués pour des motifs propres, tenant en particulier au souci de stabiliser les relations juridiques dans un laps de temps bref. De ce fait, si la mission d'information juge que, dans un souci de rationalisation et de simplification de notre droit, il serait souhaitable de limiter le nombre et la nature des courts délais de prescription, elle reconnaît qu'une telle entreprise ne peut se faire qu'à la suite d'une étude approfondie, matière par matière, permettant de déterminer si la durée actuelle de chacune des prescriptions apparaît encore justifiée. C'est, du reste, la voie qui a semblé recueillir le consensus de la majeure partie des personnes entendues par vos rapporteurs.
Du point de vue de la méthode, il semblerait opportun qu'à l'occasion de réformes sectorielles touchant des matières régies par des délais de prescription inférieurs à cinq ans soit, d'une part, examinée la pertinence du maintien des délais actuels et , d'autre part, envisagée , le cas échéant, une réduction du nombre de ces délais et la fixation de certains d'entre eux à cinq ans.
Une telle démarche pourrait notamment être suivie à l'occasion d'une prochaine réforme du droit des affaires, afin d'étudier la pertinence des nombreux délais brefs mis en place tant par la législation cambiaire que par la législation relative aux sociétés.
Dans ce contexte, interrogé par vos rapporteurs sur le régime de prescription quadriennale institué par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, M. Jérôme Grand d'Esnon, directeur des affaires juridiques au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, a indiqué que le passage d'un délai de prescription de quatre ans à un délai de prescription de cinq ans pourrait être envisagé sans que cette évolution pénalise de façon notable les finances publiques. La mission d'information estime donc que, dans un souci de rationalisation et de simplification, cet alignement pourrait être réalisé, ce qui aurait du reste pour effet de revenir au délai en vigueur jusqu'en 1934 173 ( * ) .
En revanche, la mission d'information n'est pas convaincue de la nécessité de modifier le délai de prescription de deux ans actuellement applicable aux actions nées du contrat d'assurance. Sans doute, par volonté de rationalisation, un alignement sur le délai de droit commun aurait-il pu être proposé dans l'éventualité où ce dernier eût été fixé à trois ans, les représentants de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) ayant d'ailleurs jugé une telle réforme techniquement envisageable. Porter ce délai à cinq ans risquerait de briser les équilibres recherchés par le législateur lorsqu'il avait prévu, pour ce type d'actions, un bref délai compte tenu du nombre considérable d'opérations juridiques dérivant d'un contrat d'assurance pratiquées chaque année.
Recommandation n° 9 : maintenir en principe les délais de prescription extinctive actuellement inférieurs à cinq ans, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence. |
La généralisation de principe du délai de cinq ans aux délais de prescription actuels plus long
Concernant les délais de prescription extinctive actuellement supérieurs à cinq ans, la mission d'information recommande, au contraire, une généralisation de principe du nouveau délai de droit commun .
Il convient en effet, par souci de sécurité juridique, de limiter les prescriptions d'une durée plus longue aux seuls cas où la sauvegarde de l'intérêt des créanciers le commande eu égard aux spécificités de la matière concernée. D'un strict point de vue technique, cette généralisation serait d'ailleurs d'autant plus accessible que le nombre des délais de prescription supérieurs à cinq ans est relativement limité. Selon le tableau des prescriptions existantes établi par la Cour de cassation, on compte environ cinquante prescriptions supérieures à cinq ans et environ deux cents prescriptions inférieures à cette durée 174 ( * ) .
Dès lors, la mission recommande par principe cette généralisation. Celle-ci vaudrait, tout particulièrement, pour le régime de prescription prévu par l' article L. 111-4 du code de commerce à l'égard des obligations entre commerçants , ou entre commerçants et non commerçants , actuellement fixé à dix ans. Sur ce point, l'application d'un délai de cinq ans serait satisfaisante, la mission d'information ne jugeant pas opportun d'établir un délai spécifique plus bref pour les actes intervenus entre commerçants ou, de manière plus large, entre professionnels. Ce choix permettrait d'éviter certaines difficultés actuellement liées à la qualification des actes en cause.
Certains délais de prescription plus longs doivent, selon la mission d'information, être conservés en l'état, nonobstant la réduction du délai de droit commun .
Il en va ainsi, en particulier, de la responsabilité des constructeurs prévue aux articles 1792 à 1792-2 du code civil qui se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux 175 ( * ) . Ce délai, du reste davantage considéré comme un « délai d'épreuve » que comme un véritable délai de prescription, a en effet montré son utilité et le régime organisé par la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 n'appelle donc pas de modification sur ce point.
De même, les délais des actions relatives à l'état des personnes , qui viennent d'être réformés, ne semblent pas devoir être une nouvelle fois modifiés. Imprescriptibles jusqu'à la loi du 3 janvier 1972, les actions relatives à la filiation étaient enserrées dans un délai de droit commun trentenaire jusqu'à l'ordonnance du 4 juillet 2005 et décennal depuis. Le délai de cinq ans a déjà été retenu pour diverses actions. Les choix retenus par le gouvernement ne semblent pas devoir être remis en cause à l'occasion de la ratification de l'ordonnance, sous réserve des difficultés que pourrait déceler notre collègue M. Henri de Richemont, rapporteur au nom de la commission des lois du projet de loi de ratification.
La pérennité ou l'instauration d'autres délais de prescription particuliers supérieurs à cinq ans doit, en revanche, être mise en question.
La mission d'information juge ainsi, en premier lieu, qu'il est permis de s'interroger sur la nécessité de prévoir -comme le suggère l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription- un allongement spécifique du délai de prescription de l'action en réparation des dommages corporels , voire des dommages de toute nature consécutifs à un acte de barbarie.
L'opportunité d'un délai prolongé dans de telles hypothèses peut en effet être discutée : à première vue, dès lors que le point de départ de ce délai est fixé, à l'heure actuelle, à la manifestation, à l'aggravation 176 ( * ) ou à la consolidation 177 ( * ) du dommage, le délai de cinq ans peut apparaître suffisant. La question mérite néanmoins un examen attentif afin de prendre en compte l'hypothèse où l'action en réparation concernerait un dommage résultant d'un fait délictuel ou criminel.
Dans un tel cas, la victime du dommage dispose du choix d'intenter son action devant le juge civil ou devant le juge répressif, soit à titre principal, soit à titre incident concomitamment à l'action publique. Depuis la loi n° 80-1042 du 23 décembre 1980 portant réforme de la procédure pénale relative à la prescription et au jury d'assises, les prescriptions de l'action publique et de l'action civile ne sont plus solidaires : la prescription de l'action civile est régie par les règles du code civil et non par celles du code de procédure pénale. Toutefois, devant le juge répressif, l'exercice de cette action est limité par la prescription applicable à l'action publique 178 ( * ) . Dans la mesure où, actuellement, la prescription de l'action en réparation civile se prescrit par dix ans alors que celle des délits et des crimes est respectivement de trois et dix ans, la victime du dommage peut toujours engager une action devant le juge civil si l'action publique a expiré.
Or, cet état de fait est amené à changer si l'on décide d'appliquer à l'action en réparation du dommage corporel le délai de prescription de droit commun de cinq ans tandis que, dans le même temps, la durée de la prescription des délits serait étendue à cinq ans et celle des crimes à quinze ans, ainsi que le recommande la mission. L'action civile se prescrivant avant l'action pénale pour les crimes, l'action publique pourrait ainsi, dans certaines hypothèses, être mise en oeuvre sans que soit possible la réparation civile du dommage causé par l'infraction.
Cette situation se rencontre déjà de manière exceptionnelle. Elle résulte, dans certains cas, de l'application de conventions internationales instituant des régimes indemnitaires spécifiques. En matière de transports maritimes 179 ( * ) ou aériens 180 ( * ) , ainsi que pour les transports terrestres internationaux de marchandises 181 ( * ) , la Cour de cassation a jugé que la juridiction répressive était incompétente pour connaître d'une action indemnitaire qui trouve pourtant son origine dans un fait constitutif d'une infraction pénale. Il en résulte que l'action indemnitaire peut être éteinte alors que l'action publique née du délit d'homicide ou de blessures involontaires ne le serait pas.
Cet état de fait découle également, de manière plus générale, de l'allongement intervenu en 1995 et 2004 des délais de prescription de l'action publique en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme ainsi qu'à l'égard des crimes sexuels commis contre les mineurs. Ces délais étant désormais de trente ou vingt ans, lorsqu'un préjudice résulte de telles infractions, l'action publique peut donc être engagée dix ou vingt ans après que l'action civile en réparation a expiré.
Prévoir un délai de prescription dérogatoire d'une durée plus longue pour les dommages corporels permettrait d'éviter de généraliser de tels décalages, en se rapprochant des délais de prescription prévus pour l'action publique. Ne concernant que ces seuls dommages, ce délai spécial aurait du reste l'avantage de ne pas présenter les travers de l'actuel article 2270-1 du code civil : il permettrait d'unifier la prescription applicable en matière contractuelle et en matière délictuelle, puisque quelle que soit la relation juridique entre l'auteur du préjudice et la victime, la prescription serait identique.
Afin de garantir au mieux l'indemnisation des victimes d'infractions, il serait peut-être pertinent de suivre une autre piste de réflexion consistant à calquer la durée de la prescription de l'action civile en réparation des dommages résultant d'un crime sur celle de la prescription de l'action publique, soit quinze ans.
En deuxième lieu, lors de son audition par la mission d'information, M. Alain Bénabent, professeur de droit à l'université de Paris 10, a exposé qu'il serait judicieux de soumettre les nullités relatives et les nullités absolues à un même délai de prescription, ce qui présenterait l'intérêt d'éviter tout risque de contentieux sur la nature de la nullité applicable. Il lui a en effet semblé que la qualification de la nullité par le juge était, en pratique, souvent influencée par le délai de prescription susceptible de s'appliquer selon la qualification retenue.
De la même manière, le groupe de travail constitué par les institutions représentatives de la profession d'avocat pour réfléchir sur les propositions contenues dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, qui était coordonné par M. Christophe Jamin, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris, s'est déclaré favorable à la suppression de la distinction entre un délai triennal propre aux actions en nullité relative et un délai décennal pour les actions en nullité absolue par crainte qu'elle n'engendre un contentieux important et somme toute assez artificiel sur la distinction entre les deux nullités.
Si la distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues est parfois difficile à établir, elle conserve toutefois sa justification. Les nullités relatives sont instaurées pour protéger les seuls intérêts des parties, qui peuvent confirmer la validité de leur convention. Elles se prescrivent à compter du jour où le vice entachant cette validité a disparu. A l'inverse, les nullités absolues obéissent à des considérations d'ordre public, qui interdisent la confirmation des conventions illégalement formées. Elles se prescrivent à compter du jour de la conclusion du contrat.
Soumettre l'ensemble des nullités à un délai de droit commun de cinq ans n'irait donc pas sans inconvénient et supposerait, en tout état de cause, de modifier le point de départ de la prescription des nullités absolues. A titre d'exemple, les causes de nullité absolue d'un mariage, énumérées à l' article 184 du code civil , sont : le non respect des conditions d'âge ( article 144 du code civil ), l'absence de consentement de l'un des époux ( article 146 du code civil ), l'absence de l'un des époux lors de la célébration ( article 146-1 du code civil ), la bigamie ( article 147 du code civil ) et la consanguinité ( articles 161, 162 et 163 du code civil ). L'annulation peut être actuellement demandée par l'un des époux, tout tiers intéressé ou le procureur de la République, pendant trente ans à compter du mariage. Réduire la durée de ce délai à cinq ans sans modifier son point de départ ne permettrait sans doute plus d'obtenir l'annulation de mariages contraires à l'ordre public.
En dernier lieu, s'agissant de la prescription applicable aux actions relatives à un jugement , sans remettre en cause la solennité liée à tout acte juridictionnel et le fait que, par le jugement prononcé à son profit, un créancier voit la réalité de son droit établie de manière incontestable, la mission d'information s'interroge sur la nécessité d'un délai long pour exécuter ces actes. A cet égard, le délai de cinq ans pourrait être jugé suffisant si l'on considère que les tentatives d'exécution infructueuses d'un jugement constituent des causes d'interruption de la prescription. Au surplus, un tel délai pourrait avoir pour effet bénéfique d'inciter les justiciables à faire exécuter rapidement les décisions de justice qui leur sont favorables.
Quant aux autres titres exécutoires , par exemple les actes authentiques, la chambre mixte de la Cour de cassation a récemment considéré, à juste titre, que la durée de la prescription était liée à la nature de la créance et non au titre qui la constate 182 ( * ) . La mission d'information ne juge donc pas nécessaire d'instaurer un délai de prescription spécifique pour les créances constatées par un titre exécutoire autre qu'un jugement.
Recommandation n° 10 : étendre le délai de cinq ans aux prescriptions extinctives d'une durée plus longue, notamment aux obligations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, sous réserve d'un examen au cas par cas de leur pertinence. |
b) Réduire le nombre des délais de la prescription acquisitive
La prescription acquisitive n'a guère suscité de commentaires de la part des personnes entendues par la mission d'information. Sans doute est-ce le signe qu'elle suscite moins de difficultés que la prescription extinctive.
Cette absence de commentaires tient également au fait qu'apparemment, la prescription acquisitive n'est pas fréquemment invoquée . Avocats et notaires ont ainsi observé qu'elle jouait principalement en Corse, en raison de l'importance des indivisions et de l'absence de titres de propriété. Les premiers ont également évoqué son utilisation pour l'annexion de parties communes d'immeubles. Quant aux seconds, ils ont rappelé que la chambre des notaires de Paris avait dû invoquer l'usucapion pour faire reconnaître son droit de propriété sur son siège, situé place du Châtelet à Paris, et obtenir un permis de construire.
A l'exception de M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, tous les intervenants qui se sont prononcés sur la prescription acquisitive ont souhaité que le possesseur de bonne foi et muni d'un juste titre soit mieux traité que le possesseur de mauvaise foi et bénéficie en conséquence d'une prescription abrégée .
En revanche, les avis divergent sur les durées à retenir. Ainsi, les représentants de la profession d'avocat et M. Jean-Jacques Taisne, professeur à l'université de Lille, ont soutenu la variante de l'avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, consistant à retenir deux délais de vingt et dix ans. A l'instar du groupe de travail de la Cour de cassation et du gouvernement de M. Dominique de Villepin, le Conseil supérieur du notariat a estimé quant à lui préférable de maintenir le délai trentenaire actuel en l'absence de bonne foi et de juste titre du possesseur et de fixer un délai de prescription abrégée unique de dix ans.
La mission d'information recommande elle aussi de maintenir la prescription acquisitive trentenaire pour les actions réelles immobilières et de fixer une durée abrégée unique de dix ans , quel que soit le lieu de résidence du vrai propriétaire.
Souscrivant aux arguments avancés par la Cour de cassation et le ministère de la justice, elle observe en outre que l'atteinte aux biens portée par l'usucapion constitue, selon la Cour européenne des droits de l'homme, une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lorsque, compte tenu de la marge d'appréciation des Etats, la législation ne ménage pas un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et le droit au respect des biens 183 ( * ) . Il n'est pas assuré qu'un délai de vingt ans, a fortiori de dix ans, soit considéré, en l'absence de bonne foi et de juste titre du possesseur, comme ménageant cet équilibre.
Recommandation n° 11: maintenir à trente ans le délai de droit commun de la prescription acquisitive en matière immobilière et fixer une durée abrégée unique de dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur, quel que soit le lieu de résidence du propriétaire. |
2. Assouplir les régimes de prescription
La mission d'information juge nécessaire d'assouplir les régimes de prescription en rénovant les règles de décompte des délais et en confortant le rôle de la volonté des parties. En revanche, elle n'est pas favorable à la généralisation d'un délai butoir.
a) Rénover les règles de décompte des délais
(1) Des interrogations sur l'intérêt pratique d'une règle générale relative au point de départ des délais de prescription
Consciente de l'importance de cette question et des incertitudes que fait naître le droit en vigueur, la mission d'information s'est interrogée sur l'opportunité de fixer dans la loi une règle générale relative au point de départ du délai de prescription , qui serait applicable à l'ensemble des actions sous réserve de règles particulières contraires.
Ces règles particulières seraient nécessairement nombreuses. En effet, le point de départ d'une action en responsabilité consécutive à un dommage ne peut-être identique à celui d'une action en nullité d'une convention qui ne peut être lui-même identique, par exemple, à celui d'une action relative à la filiation.
S'agissant des créances, l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription préconise de consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation en indiquant que « la prescription a pour point de départ le jour où le créancier peut agir ».
Une telle consécration n'apporterait pas une plus grande sécurité juridique en raison de l'imprécision de la formule retenue. A titre d'exemple, la possibilité d'agir du créancier doit-elle être appréciée de manière objective ou subjective : la prescription commence-t-elle à courir lorsque le créancier est simplement en droit d'agir ou doit-il être également moralement en mesure de le faire ? Cette seconde interprétation a semblé avoir les faveurs de M. Philippe Malaurie, professeur émérite de l'université de Paris 2, lors de son audition. Pourtant, elle ne s'impose pas avec évidence à la lecture du texte proposé. Or la question s'avère essentielle, notamment pour les créances de salaires : faire courir la prescription à compter du versement du salaire ou seulement à compter de la fin du contrat de travail n'a évidemment pas les mêmes conséquences pour garantir les droits du salarié.
D'aucuns, à l'instar de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'université de Paris 2, ou du groupe de travail constitué par les institutions représentatives de la profession d'avocat, ont suggéré de s'inspirer des Principes d'Unidroit et de la réforme du droit allemand des obligations en retenant pour point de départ de la prescription extinctive le jour où le créancier a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance sans faute grave des éléments constitutifs de l'action ainsi que de la personne du débiteur. L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription prend d'ailleurs en compte cette proposition, en prévoyant que la prescription ne court pas ou est suspendue tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance.
Tout en mesurant l'intérêt de cette proposition, la mission d'information observe qu'elle appelle des observations semblables : le juge devra apprécier, dans chaque espèce, la réalité de la connaissance du droit d'agir ou, de manière plus subjective encore, si le créancier ne pouvait l'ignorer.
En définitive, sans être hostile à l'édiction d'une règle générale sur le point de départ de la prescription, la mission d'information s'interroge sur l'intérêt pratique d'une telle évolution législative .
(2) Une rationalisation des règles relatives à l'interruption et à la suspension de la prescription
La mission d'information approuve l'économie générale des propositions de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription relatives aux causes d'interruption et de suspension de la prescription.
La plupart des personnes qu'elle a entendues y ont également souscrit ou, du moins, ne s'y sont pas opposées, à l'exception notable de M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour qui la réduction des délais de prescription doit aller de pair avec le développement des causes d'interruption et non des causes de suspension.
Chacune de ces propositions mérite toutefois d'être examinée dans le détail et, le cas échéant, précisée.
La première innovation, celle à laquelle la mission attache la plus grande importance, est l' octroi d'un effet suspensif aux négociations de bonne foi entre les parties . Une telle mesure est favorable au règlement amiable des litiges et constitue le corollaire indispensable de la réduction de la durée des délais de la prescription extinctive.
A défaut, les créanciers seraient contraints d'assigner rapidement leurs débiteurs en justice et l'engorgement des tribunaux s'en trouverait accru. Or les créanciers n'ont généralement pas l'envie d'ester en justice, comme l'ont souligné aussi bien le MEDEF que l'association de consommateurs OR.GE.CO. Dans sa contribution écrite, cette dernière indique ainsi que : « lorsqu'un consommateur saisit notre association, dans la majorité des cas, il souhaite que son litige soit réglé de manière individuelle et à l'amiable. Or il faut reconnaître que des négociations prennent du temps . En cas d'échec de la phase amiable puis du recours éventuel au médiateur, le consommateur peut donc se retrouver très vite hors délais pour agir en justice et ainsi faire valoir ses droits . »
Toutes les personnes entendues ont approuvé cette proposition, à l'exception de M. Alain Bénabent qui a suggéré de faire des pourparlers une cause d'interruption et non de suspension. Leur donner un effet interruptif risquerait toutefois de favoriser leur enlisement et entraînerait un report de la prescription contraire à l'objectif de réduction des délais que partage la mission d'information.
Le groupe de travail constitué par les institutions représentatives de la profession d'avocat et présidé par M. Christophe Jamin a exprimé la crainte que l'exigence de bonne foi des parties ne soit source de contentieux, en raison de l'imprécision de cette notion, et suggéré de préciser plutôt le moment où débutent et prennent fin les négociations. Cependant, l'exigence de bonne foi est courante dans notre droit positif.
Enfin, M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du trésor et de la politique économique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et les associations de consommateurs CLCV et OR.GE.CO ont souhaité que le recours à la médiation suspende lui aussi la prescription. La mission d'information souscrit bien volontiers à cette précision.
Recommandation n° 12 : faire de la négociation de bonne foi entre les parties une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation. |
La deuxième innovation proposée par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consiste en la transformation de la citation en justice en une cause de suspension, et non plus d'interruption, de la prescription .
Si M. Alain Bénabent s'y est opposé, cette proposition a elle aussi fait l'objet d'un large consensus dans la mesure où elle contribue à la réduction de la durée des délais de prescription.
Toutefois, la plupart des intervenants ont souligné la nécessité de retenir une rédaction plus précise que la formule suivant laquelle la prescription serait « suspendue pendant le procès jusqu'à son achèvement . » Le groupe de travail constitué par les institutions représentatives de la profession d'avocat et présidé par M. Christophe Jamin a ainsi suggéré de prévoir que « la prescription est suspendue à compter de l'assignation en justice, fût-elle donnée en référé ou même devant un juge incompétent, jusqu'à l'épuisement des voies de recours ».
Surtout, M. Jean-Jacques Taisne, professeur à l'université de Lille, a attiré l'attention de la mission d'information sur la nécessité de prendre en compte la procédure de référé aux fins de désignation d'un expert. Dans cette hypothèse en effet, la prescription recommence à courir à compter de la désignation de l'expert et non de la remise de son rapport, qui peut intervenir bien plus tard. Le risque serait grand, si la citation en justice recevait un effet suspensif et non plus interruptif, que la prescription soit déjà acquise au moment de la remise de ce rapport et que le créancier ne puisse plus agir. En conséquence, la mission d'information recommande de conférer un effet suspensif non seulement à la citation en justice mais également à la désignation d'un expert, cet effet courant jusqu'à ce que la décision de justice devienne définitive, dans le premier cas, et jusqu'à la fin des opérations d'expertise, dans le second.
Recommandation n° 13 : transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription et conférer également un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé. |
La troisième innovation proposée par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consiste en la consécration et l' encadrement de l'adage « contra non valentem ... » : la force majeure entraînant une impossibilité d'agir ne serait désormais plus une cause de suspension que si elle intervenait dans les six mois précédant l'expiration du délai de prescription.
Tout en comprenant l'objectif et l'intérêt de cette proposition , la mission d'information n'est pas convaincue de sa nécessité , d'autant que les avis exprimés à son sujet divergent.
Ainsi la chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) a estimé que toute impossibilité d'agir, quelle qu'en soit la cause, devrait survenir ou persister dans les six mois précédant l'expiration du délai de prescription pour recevoir un effet suspensif.
L'association de consommateurs CLCV a pour sa part indiqué, dans sa contribution écrite, que « les dispositions spécifiques prévues pour la force majeure temporaire ne se justifient pas, l'empêchement étant identique quelle que soit la période concernée . »
Exprimant la même opinion, Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, a en outre suggéré que la fraude du débiteur ayant entraîné l'impossibilité d'agir du créancier soit consacrée comme une cause de suspension.
La dernière innovation proposée par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consiste dans la suppression des interversions consécutives à des interruptions, qui sont source d'insécurité juridique. La mission d'information y est favorable , comme la plupart des personnes qu'elle a entendues.
Recommandation n° 14 : supprimer les interversions de prescription. |
b) Ne pas introduire, de manière générale, un délai butoir
L'institution d'un délai butoir de dix ou trente ans à compter du fait générateur de l'obligation, qui serait applicable à l'ensemble des prescriptions et ne serait susceptible ni de report, ni d'interruption, ni de suspension, ni d'aménagement conventionnel, constitue assurément l'une des innovations majeures de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription.
Lors de son audition, M. Pierre Catala, professeur émérite de l'université de Paris 2, a pris soin de préciser qu'en dépit des ambiguïtés résultant de la formulation retenue dans le dispositif proposé, le délai butoir cesserait bien évidemment de courir lorsqu'une action en justice serait engagée et aussi longtemps qu'elle n'aurait pas reçu de solution définitive .
Cette solution présente le double intérêt d'assurer l'effectivité et la prévisibilité de la prescription, donc de renforcer la sécurité juridique, et apparaît comme le corollaire utile d'un assouplissement des règles relatives au point départ et aux causes de suspension.
Telle est sans doute la raison pour laquelle elle a déjà été retenue par l'Allemagne et la Belgique, envisagée au Royaume-Uni et suggérée dans les principes du droit européen des contrats et les principes d'Unidroit.
Plusieurs personnes entendues par la mission d'information s'y sont déclarées favorables , du moins dans son principe : le MEDEF, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), la Fédération bancaire française (FBF), les représentants de la profession d'avocats, ou encore Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, qui a rappelé que la prescription avait pour rôle de « mettre fin aux litiges potentiels ».
Nombre d'entre elles ont toutefois souligné la nécessité de veiller à ce que le titulaire d'un droit ne se retrouve pas forclos sans avoir jamais été en mesure d'agir .
L' importance de ce risque et la difficulté de le prévenir expliquent les vives réserves de plusieurs représentants de la Cour de cassation et de M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, sur l'introduction d'un tel dispositif.
Les premiers ont mis en garde contre une violation possible de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont le premier paragraphe garantit à chacun le droit de faire statuer par un tribunal sur toute contestation portant sur ses droits et obligations de caractère civil. Toutefois, comme le rappelle la Cour de Strasbourg, « ce droit n'est pas absolu et peut faire l'objet de limitations de la part des Etats, si elles tendent aÌ un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé 184 ( * ) . »
Le second a souligné que, dans l'hypothèse où un délai butoir général, même trentenaire, serait institué, le salarié qui s'apercevrait au moment de la liquidation de ses droits à la retraite, en 2007, que son employeur avait omis, entre 1970 et 1975, de verser au régime général les cotisations nécessaires à la constitution de ces droits, ne pourrait plus intenter aucune action.
Sensible à ces arguments et à ce stade de la réflexion, la mission d'information n'est pas favorable à l'institution d'un délai butoir applicable à l'ensemble des prescriptions mais juge préférable d'examiner au cas par cas, selon une méthode déjà éprouvée, l'opportunité d'assortir tel ou tel délai de prescription d'un butoir .
c) Conforter le rôle de la volonté des parties
La mission est en revanche favorable au renforcement du rôle de la volonté des parties, à la condition de protéger les plus faibles.
(1) Etendre la liberté contractuelle, sauf en cas de déséquilibre entre les parties
La proposition de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription consistant à prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par accord des parties ou de leurs représentants légaux, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, suscite des avis divergents .
Mme Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l'université du Maine, la CCIP et l'AFEP, y ont largement souscrit.
Le MEDEF et la FBF ont estimé que les parties devaient être autorisées à diminuer mais non à augmenter contractuellement les délais de prescription.
M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du trésor et de la politique économique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'université de Paris 2, et l'association de consommateurs CLCV ont souligné l'importance du déséquilibre entre les parties dans les contrats d'adhésion. La garantie que représente la prohibition des clauses abusives est apparue trop fragile aux yeux de certains, parmi lesquels M. Dominique Main, avocat général à la chambre commerciale de la Cour de cassation. Aussi a-t-il été suggéré de réserver aux relations entre professionnels la possibilité d'aménager contractuellement des délais de prescription.
Sensible à ces derniers arguments, la mission d'information recommande de prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par accord des parties ou de leurs représentants légaux, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation, domaines privilégiés des contrats d'adhésion où le déséquilibre entre les parties ne permet pas d'envisager une extension de la liberté contractuelle .
Recommandation n° 15 : prévoir que la durée de la prescription extinctive peut être abrégée ou allongée par voie contractuelle, dans la limite d'un plancher d'un an et d'un plafond de dix ans, sauf en droit des assurances et en droit de la consommation. |
(2) Conserver l'interdiction faite au juge de relever d'office la prescription
La mission d'information n'est pas favorable à une extension des pouvoirs du juge, sauf pour renforcer la protection des consommateurs .
Lors de son audition, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, professeur à l'Université de Paris 2, a relevé que ces pouvoirs du juge étaient bien plus importants dans d'autres pays comme le Royaume Uni et l'Allemagne.
Ainsi, en vertu des mécanismes dits de l' estoppel et de la Verwirkung , les juges anglais et allemands peuvent sanctionner l'attitude de l'une des parties lorsque son comportement n'est pas constitutif d'une fraude caractérisée. Faisant application de la maxime « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui », ils peuvent écarter un délai de prescription lorsque le débiteur a empêché le créancier d'agir à temps en lui donnant l'impression qu'il ne l'invoquerait pas ou, à l'inverse, prononcer avant terme la déchéance des droits du créancier qui a donné l'impression à son débiteur qu'ils ne les exerceraient pas.
La méfiance des rédacteurs du code civil à l'endroit du pouvoir d'équité des parlements d'Ancien régime explique que de telles solutions n'aient pas été retenues en France. Si les juges français ont fait revivre l'adage « contra non valentem » afin d'élargir les causes de suspension, ils ne l'appliquent pas pour sanctionner les comportements des parties. Seul l'article 40 de la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises interdit au vendeur de se prévaloir de la prescription « lorsque le défaut de conformité porte sur des faits qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qu'il a révélés à l'acheteur . »
La mission d'information observe ainsi que la transposition en France des solutions anglaise et allemande heurterait trop frontalement nos traditions et risquerait d'alimenter un sentiment d'arbitraire et de défiance de nos concitoyens envers leur justice. Aucune des personnes qu'elle a entendues ne l'a d'ailleurs réclamée.
En revanche, il a été suggéré, de permettre au juge de relever d'office la prescription .
M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a estimé que ce pouvoir devrait leur être reconnu pour l'ensemble des prescriptions, estimant que la prescription répondait avant tout à des considérations d'ordre public.
M. Laurent Bedouet, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats, et l'association FO consommateurs ont réclamé ce pouvoir dans le les litiges de consommation, afin d'assurer la protection de consommateurs généralement peu avertis.
Considérant que les fondements de la prescription sont d'ordre essentiellement privé en matière civile, la mission d'information souhaite conserver le principe de l'interdiction, pour le juge, de relever d'office ce moyen. Elle n'est en revanche pas hostile à ce que ce pouvoir leur soit reconnu au cas par cas.
(3) Poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques
Compte tenu des incertitudes qui entourent leur détermination et des évolutions jurisprudentielles récentes tendant à rapprocher leur régime de celui de la prescription, la mission d'information recommande de poser le principe de la soumission des délais de forclusion aux mêmes règles que les délais de prescription .
Ces délais pourraient ainsi faire l'objet d'aménagements conventionnels, d'interruption ou de suspension. Le bénéficiaire d'une forclusion acquise pourrait y renoncer tandis que le juge ne pourrait la relever d'office.
Retenir un tel principe suppose néanmoins d' envisager le maintien d'exceptions, justifiées non plus par la qualification du délai mais par la particularité de la situation à prendre en compte .
Lors de son audition, Mme Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, a ainsi souligné à juste titre, à propos du contentieux du crédit à la consommation, la nécessité d'éviter que les créanciers laissent s'accumuler les intérêts et les pénalités de retard avant d'intenter leur action contre l'emprunteur défaillant. Elle a donc jugé légitime que le délai biennal de forclusion de l'action en paiement de l'emprunteur défaillant ne puisse être ni aménagé contractuellement, ni suspendu, ni interrompu, sauf en cas de citation en justice devant la juridiction compétente, et puisse être relevé d'office par le juge.
De même, comme l'ont souligné les représentants de la Cour de cassation, le délai de forclusion 185 ( * ) applicable aux déclarations des créances dans le cadre des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires 186 ( * ) , doit être préservé. La volonté de tirer l'entreprise de ses difficultés implique que le juge prescrive rapidement les moyens d'assurer la pérennité de son activité économique et de ses emplois ; au préalable doit donc être déterminé le patrimoine du débiteur, en particulier grâce au mécanisme de la déclaration, auprès des organes de la procédure collective, des sommes restant à devoir aux créanciers. Permettre la suspension ou l'interruption du délai de déclaration des créances irait manifestement contre cet objectif. Du reste, il convient d'observer que le créancier négligent peut obtenir du juge-commissaire, à certaines conditions, d'être relevé de sa forclusion 187 ( * ) .
Recommandation n° 16 : poser le principe de la soumission des délais dits de forclusion ou préfix au même régime que les délais dits de prescription, tout en conservant au cas par cas des règles spécifiques. |
3. Rénover les règles du droit transitoire
Enfin, la mission d'information souscrit aux propositions de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription et du projet d'ordonnance du précédent gouvernement, consistant à consacrer la jurisprudence relative aux règles du droit transitoire :
- la loi nouvelle n'a pas d'effet sur une prescription acquise ;
- si l'action n'est pas prescrite au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle qui réduit le délai de prescription, le nouveau délai s'applique sans toutefois que la durée puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Recommandation n° 17 : consacrer les solutions jurisprudentielles en matière de droit transitoire. |
ANNEXE 1 - DÉLAIS DE PRESCRIPTION APPLICABLES EN MATIÈRE CIVILE
Tableau établi par le groupe de travail de la Cour de cassation présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile (juin 2004)
(mis à jour au 15 juin 2007)
ACTION |
DELAIS |
QUALIFICATION |
POINT
|
SUSPENSION |
INTERRUPTION |
COMMENTAIRES
|
Action en inexistence
|
Imprescriptible |
Proposition doctrinale |
||||
Biens du domaine public |
Imprescriptible |
Art. L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques |
||||
Archives publiques, classées ou historiques |
Imprescriptible |
Art. L. 212-1 et L. 212-20 du code du patrimoine |
||||
Collections de musées de France |
Imprescriptible |
Art. L. 451-3 du code du patrimoine |
||||
Objets mobiliers classés au titre des monuments historiques |
Imprescriptible |
Art. L. 622-113 du code du patrimoine |
||||
Droit d'auteur |
Imprescriptible |
Art. L. 121-1
|
||||
Droit de propriété immobilière |
Imprescriptible, en l'absence d'usucapion |
|||||
Action en retour d'un bien culturel inventorié dans les collections publiques |
Imprescriptible ou 75 ans |
Art. L. 112-10 du code du patrimoine |
||||
Droit commun des actions réelles et personnelles |
30 ans |
Prescription |
Art. 2251 à 2259
|
Art. 2242 à 2250
|
Art. 2262
|
|
Bail rural : toutes les actions (y compris l'action
publique) relatives
|
30 ans |
Prescription |
||||
Action en répétition
|
30 ans |
Prescription |
Arrêt de 2002
|
|||
Responsabilité contractuelle |
30 ans |
Prescription |
Art. 2262
|
|||
Responsabilité contractuelle des avocats, avoués
et huissiers
|
30 ans |
Prescription |
Art. 1147 et 1991
|
|||
Nullité absolue du contrat |
30 ans |
Prescription |
Art. 2262
|
|||
Actions en remboursement
|
30 ans |
Prescription |
||||
Prix du bail
|
30 ans |
Prescription |
Action fondée
|
|||
Bail rural - pas de porte : action en nullité ou en répétition non dirigée contre le bailleur |
30 ans |
Prescription |
||||
Copropriété :
|
30 ans |
Prescription |
Art. 42 de la loi n° 65-655 du 10 juillet 1965 a contrario |
|||
Lotissement :
action pour faire respecter le cahier
|
30 ans |
Prescription |
Pas de prescription particulière : pas de jurisprudence |
|||
Servitude |
30 ans |
Prescription |
Art. 690 et 706
|
|||
Titres, actions, parts, obligations sans opération ni réclamation |
30 ans |
Prescription ? |
Remise à l'Etat des biens et valeurs prescrits (art. L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques) |
|||
Construction : action en responsabilité contractuelle du fournisseur de matériaux |
30 ans
|
Prescription |
||||
Actions concernant les obligations de droit commun nées du bail commercial |
30 ans
|
Prescription |
||||
Bail commercial : action en exécution d'un congé non contesté ou dont l'action en contestation est forclose |
30 ans
|
Prescription |
||||
Bail commercial : action en exclusion d'un occupant sans droit ni titre ou action en paiement d'une indemnité d'éviction non fondée sur l'art. L. 145-28 du code de commerce |
30 ans
|
Prescription |
||||
Acquisition immobilière hors ressort de la cour d'appel |
20 ans |
Prescription |
Art. 2265 et 2266
|
|||
Responsabilité délictuelle : violences contre les mineurs ou actes de barbarie |
20 ans |
Prescription |
Manifestation
|
Art. 2270-1 al. 2
|
||
Droit maritime : réparation des dommages nucléaires des navires |
3, 15 à 20 ans |
Prescription |
Art. 55 et 58 du décret n° 66-1078
|
Art. 16 et 17 de la loi n° 65-956 du 12 novembre 1965 |
||
Actions relatives à la filiation, sauf délais spéciaux |
10 ans |
Prescription |
Jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté |
Pendant la minorité de l'enfant |
Art. 321 du code civil |
|
Action en responsabilité des professionnels
|
10 ans |
Prescription |
Consolidation du dommage |
Art. L. 1142-28
|
||
Droit de reprise de l'administration fiscale de droit commun |
10 ans |
Prescription |
Fait générateur de l'impôt |
Notification d'un redressement (Art. L. 189 du livre des procédures fiscales) |
Art. L. 186 du livre des procédures fiscales |
|
Responsabilité délictuelle des commissaires-priseurs (ventes judiciaires), notaires et des huissiers de justice (hors mandat) |
10 ans |
Prescription |
Art. 1382
|
|||
Responsabilité des experts judiciaires |
10 ans |
Prescription |
Fin de la mission |
Art. 6-3 de la loi n° 71-498
|
||
Responsabilité pour l'assistance et la représentation devant les juridictions |
10 ans |
Prescription |
Fin de la mission |
Art. 2277-1
|
||
Acquisition immobilière dans le ressort de la cour d'appel |
10 ans |
Prescription |
Art. 2265
|
|||
Action en responsabilité délictuelle |
10 ans |
Prescription |
Manifestation ou aggravation du dommage |
Art. 2270-1
|
||
Assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est distinct du souscripteur |
10 ans |
Prescription |
Art. L. 114-1 du code
|
|||
Assurances : contrats contre les accidents atteignant les
personnes dont les bénéficiaires
|
10 ans |
Prescription |
Art. L. 114-1 du code des assurances |
|||
Copropriété : actions personnelles |
10 ans |
Prescription |
Art. 42
|
|||
Action en recouvrement des charges dans une société d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé |
10 ans |
Prescription |
- 3 - |
|||
Lotissement : action tendant à faire constater le caractère non conforme d'une construction en vertu d'un permis de construire irrégulier |
10 ans |
Prescription |
||||
Hypothèques |
10 ans |
Prescription |