N° 417
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 juillet 2007 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le co-développement et les relations entre politique de développement et politique de gestion des flux migratoires ,
Par Mme Catherine TASCA, MM. Jacques PELLETIER et Bernard BARRAUX,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.
INTRODUCTION
Co- : variation de la locution latine cum : avec, réunion, adjonction, simultanéité
« L'ambition est de faire du co-développement un levier essentiel du développement des pays sources d'immigration, complémentaire à la politique traditionnelle de coopération » IIIème rapport au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration.
Mesdames, Messieurs,
Le co-développement désigne traditionnellement les actions des migrants au profit du développement de leur pays d'origine. Il s'agit d'une réalité aussi ancienne que l'émigration elle-même et ses vagues successives. Dès les années 1960, période de développement des flux migratoires vers l'Europe, les migrants ont soutenu des projets au profit de leur famille restée au pays et de leur village d'origine.
À la fin des années 1990, l'appui à ce type d'action par les autorités françaises a été formalisé, par la création de la mission interministérielle sur le co-développement, avec la volonté de renforcer ce levier du développement et de considérer les migrants comme de véritables acteurs du développement. Venue du ministère de l'Intérieur, avec le rapport de M. Sami Nair, l'idée qui sous-tend l'appui public aux actions des migrants est aussi celle de favoriser par là même leur intégration.
Plus récemment, ce concept a fait l'objet d'une fortune nouvelle et a été placé au coeur des débats, notamment ceux de l'élection présidentielle, en recouvrant toutefois des acceptions très différentes, dans un contexte de rapprochement entre les thématiques de migrations et celles du développement.
Une réunion conjointe du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI) tenue le 5 décembre 2006 a mis en relief ce thème du co-développement, comme outil de développement mais aussi comme instrument de gestion des flux migratoires.
La question des migrations étant placée au coeur de la relation entre les Etats européens, et singulièrement la France, et le continent africain, et cette politique étant en cours de refondation, votre commission a souhaité se saisir du dossier du co-développement afin de déterminer ce que recouvre exactement cette politique publique, de mieux en identifier les objectifs, d'en considérer les effets tant sur les politiques de gestion des flux migratoires que sur les politiques de développement et d'examiner les conditions dans lesquelles cette politique, encore largement embryonnaire, pourrait connaître un changement d'échelle à la hauteur des enjeux et des attentes que placent en elle les pays d'origine.
Après une série d'auditions à Paris, vos rapporteurs se sont rendus à Bruxelles puis au Maroc et au Mali, deux pays aux profils très différents à qui s'adresse prioritairement la politique française de co-développement.
Les travaux de votre délégation, décidés en octobre 2006, ont été lancés en mars 2007, antérieurement donc à la constitution d'un ministère compétent sur ce thème. Votre commission devra prendre en compte l'action de ce département ministériel qui entre dans son champ de compétence. S'il est trop tôt pour apprécier dès maintenant les effets de cette innovation, celle-ci suppose certainement une clarification des objectifs et des contours de la politique de co-développement.
I. MIGRATIONS ET DÉVELOPPEMENT : QUELLE JONCTION POSSIBLE ?
A. LA MONTÉE INÉLUCTABLE DES FLUX MIGRATOIRES
La relation entre migration et développement est une relation complexe : l'élévation du niveau de vie du pays tend à augmenter, au moins dans un premier temps, le taux d'émigration ; l'émigration contribue au développement, par les transferts financiers qu'elle permet ; elle prive aussi le pays d'éléments dynamiques confrontés à l'impossibilité d'imaginer leur avenir sur place.
1. Un phénomène multiforme et majoritairement africain
Les parcours des migrants s'inscrivent dans des logiques variées qui rendent d'autant plus malaisée une politique ciblée à l'égard du phénomène des migrations. Leurs motivations peuvent être politiques, les migrants étant alors souvent des réfugiés, économiques ou encore relever de facteurs culturels, l'Afrique étant traditionnellement marquée par la grande mobilité de ses populations.
Ce phénomène multiforme est en mutation sous l'effet des changements sociaux, de l'exode rural et de l'urbanisation. Il est également affecté par la modification dans un sens de plus en plus restrictif des politiques migratoires en Europe ainsi qu'à l'intérieur du continent.
Les routes migratoires ont évolué, des pays d'accueil se transformant en pays d'émigration. Des pays d'émigration, comme le Maroc, dont les populations continuent à migrer, sont devenus des pays de transit, notamment vers l'Europe mais aussi, fait nouveau, des pays de destination où les migrants venus du Sud du Sahara s'installent faute de pouvoir poursuivre leur parcours.
Même s'il ne faut pas sous-estimer les flux en provenance des autres continents et notamment en provenance des pays d'Asie, depuis le début des années 1990, le phénomène de migrations au départ de pays d'Afrique sub-saharienne vers les pays d'Afrique du Nord et à destination de l'Europe tend à s'accélérer et à se renforcer.
Il faut rappeler que la migration sub-saharienne est très majoritairement une migration intra-africaine, vers les grands bassins d'emploi, agricoles, pétroliers ou miniers. On estime que 90 % des migrants africains s'installent dans un autre pays du continent. Les émigrés maliens ainsi sont majoritairement installés en Côte d'Ivoire et dans les autres Etats de la sous-région. A la différence des migrations vers l'Europe, souvent marquées par des allers et retours avec le pays d'origine, les migrations intra-africaines ont un caractère plus définitif.
La migration vers l'Europe ne représente donc a priori qu'une part marginale de l'ensemble des mouvements migratoires. Elle devrait néanmoins croître au rythme d'une croissance démographique très forte.
2. Une ampleur historiquement inégalée
Historiquement datée, l'immigration africaine en France et en Europe, très faible durant la période coloniale, remonte aux lendemains des indépendances, dans une période d'expansion économique aux forts besoins de main d'oeuvre.
Pour les uns, les pays d'origine, l'émigration devient alors un exutoire naturel aux difficultés économiques. Tandis que pour les autres, les pays d'accueil, elle est une réponse simple à un déficit de main d'oeuvre. Entre 1950 et 1975, la France accueille entre 100 000 et 200 000 étrangers par an, principalement en provenance du Maghreb.
En France, la modification de la politique migratoire à partir de 1974 n'a pas réellement conduit à la fermeture des frontières.
Elle a surtout occasionné à partir des années 1980 un changement de nature de l'immigration, passée d'une immigration de travail à une immigration majoritairement familiale, d'une immigration temporaire à une installation durable.
M. Dicko, ministre des maliens de l'extérieur a souligné devant vos rapporteurs les effets, pervers selon lui, de ce changement de politique : en limitant les possibilités d'allers et retours , elle a mis fin au système de la migration temporaire qui permettait à un migrant de retour d'être remplacé par une autre personne ; elle a conduit à fixer en France des personnes qui n'en avaient pas initialement le projet, et ont fait venir leur famille.
Pour l'année 2005, la délivrance des titres de séjour par motifs 1 ( * ) se présentait comme suit : un titre sur deux était délivré pour motif familial, un titre sur quatre attribué à un étudiant, plus d'un titre sur douze attribué à un réfugié ou apatride, moins d'un titre sur seize pour motif économique, moins d'un titre sur huit pour d'autres raisons.
Le rapport entre immigration et immigration de travail enregistre une légère inflexion sur la période récente : d'après le rapport de l'OCDE sur les perspectives des migrations internationales, une légère baisse des entrées pour motif familial, de 109 800 entrées en 2004 (soit 63,1 % du total) à 102 500 en 2005 (60,8 %) s'accompagne d'une augmentation des entrées pour raison de travail qui sont passées de 20 900 en 2004 à 22 800 en 2005, et de 12 % à 13,5 %.
Ce rapport souligne également l'évolution rapide de la provenance des migrants : près des deux tiers viennent d'Afrique, en particulier de l'Algérie et du Maroc, contre un peu plus de la moitié il y a cinq ans. La part des personnes originaires d'Afrique sub-saharienne parmi les immigrés présents sur le sol français, environ 570 000, soit environ 12 % des immigrés est assez faible mais progresse rapidement, de plus de 45 % entre 1999 et 2004. Les deux tiers sont originaires des anciennes colonies françaises.
Les projections réalisées par les Nations Unies, World Population Prospects , laissent augurer une pression migratoire d'ampleur inégalée en provenance du continent africain, alors que les autres continents ont entamé, sinon achevé, leur transition démographique. Entre 1975 et 2003, le nombre de migrants a plus que doublé, s'établissant à 175 millions en 2003.
Aujourd'hui, la croissance démographique se situe à un niveau historiquement élevé. L'Afrique comptait moins de 100 millions d'habitants dans les années 1960, elle en compte actuellement 600 millions d'habitants et devrait en compter un milliard dans 20 ans. La transition démographique pourrait s'y produire vers 2030, à un niveau compris entre 1,2 et 1,5 milliard d'habitants.
Cette croissance de la population africaine est un phénomène inégalé dans l'histoire démographique et elle devrait se traduire mécaniquement par une augmentation de la pression migratoire.
* 1 Extrait du troisième rapport au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration, décembre 2006.