IV. LES OBSERVATIONS DE VOTRE COMMISSION
Alors que la formalisation de la politique de co-développement n'en est qu'à ses débuts, son essor et son utilité impliquent une capacité à résoudre au moins trois écueils.
A. APPROFONDIR LE DIALOGUE AVEC LES PAYS D'ORIGINE
1. Parvenir à un constat partagé
Le premier objectif d'un dialogue avec les pays d'origine est d'aboutir à un constat partagé sur la question des migrations
Pour des raisons diverses, les pays d'origine ont une image positive de l'émigration. Ces raisons peuvent être économiques (les transferts financiers des migrants sont une source de revenus importante et une contribution au développement), sociales (l'émigration fait office d'exutoire face à une croissance démographique que la croissance économique ne peut absorber) ou même culturelles (émigration perçue comme un « rite de passage » dans certains pays).
Comme le relève l'étude réalisée pour le compte de l'Union européenne sur les questions migratoires au Mali 10 ( * ) , « la démographie nous enseigne que face à une baisse durable du revenu par tête, les populations peuvent adopter trois types de stratégies de survie. La première consiste à modifier le mode de production, notamment par l'intégration de modes de production innovants. La seconde consiste en une régulation naturelle par la baisse du niveau de fécondité. Enfin, la troisième stratégie consiste à utiliser la migration comme variable d'ajustement. La stratégie adoptée par les populations sera alors fonction du coût d'ajustement ».
Dans le débat politique interne, le thème de l'émigration est très présent, le plus souvent sous forme de revendication à l'égard des autorités 11 ( * ) pour qu'elles facilitent l'émigration vers l'Union européenne. Dans la campagne en cours pour les élections législatives au Maroc, le Parti pour la justice et le développement, le PJD, parti islamiste modéré a proposé de former les jeunes marocains aux métiers disponibles en Europe.
L'émigration comme symptôme de dysfonctionnement n'est utilisé comme argument par l'opposition que de façon encore très marginale. Cette question émerge cependant comme ont pu le constater vos rapporteurs lors de leur rencontre avec l'ancienne ministre malienne de la culture et du tourisme, Mme Aminata Traoré, qui considérait que l'émigration des jeunes souffrant du chômage et de la pauvreté était « forcée » et qu'il convenait de réfléchir à des alternatives dans le pays, pour autant que les autorités soient prêtes à les envisager et à soutenir des projets locaux concrets.
Au Mali, l'émigration a fait l'objet d'un phénomène intéressant d'appropriation culturelle, elle est désignée sous de nombreux vocables, le « départ », « l'exode » ou encore « l'aventure ». Interrogé sur la « tradition du départ », invoquée de façon systématique au Mali pour expliquer le phénomène d'émigration et souligner son caractère à la fois culturel et irrépressible, le chercheur Christophe Daum a précisé, suscitant des réactions assez vives, qu'il s'agissait de son point de vue, d'une réinterprétation valorisante d'un phénomène subi, la mobilité ayant traditionnellement caractérisé certaines catégories de population, comme les commerçants ou les imams mais n'ayant touché que récemment la majeure partie de la population rurale et de façon historiquement datée, dans les années 1959-1960.
Tout dialogue en vue d'élaborer une gestion concertée des flux migratoires doit donc intégrer cette vision fondamentalement positive de l'émigration tant au sein de la population que chez les autorités et doit apporter la preuve de la crédibilité des alternatives proposées.
2. Élaborer une réponse concertée
Dans sa forme actuelle, le co-développement ne peut constituer qu'une part limitée des réponses apportées dans la mesure où l'implication des pays d'origine fait encore largement défaut.
Les intérêts des pays d'origine et des pays de destination ne peuvent se rejoindre sur une conception du co-développement qui soit fermée aux migrations et sans contrepartie.
La France ne peut impliquer ses partenaires du sud dans une meilleure valorisation de leur diaspora et dans un meilleur contrôle des flux migratoires, sans contreparties minimales en termes d'opportunités de circulation entre les deux espaces dans le souci d'un intérêt commun.
Dans la perspective de la mise en place du Centre d'informations et de gestion de la migration (CIGEM), il serait également souhaitable que des offres d'emploi puisse être proposées à la migration légale dans les secteurs que la France auraient identifiés comme déficitaires. Mettre en place des modalités de gestion concertée des flux migratoires suppose une bonne connaissance des besoins du marché du travail du pays d'accueil mais aussi du pays d'origine, de pouvoir mobiliser conjointement les services de l'Etat à l'étranger et les structures administratives internes compétentes en matière d'emploi, de travailler avec les entreprises implantées dans les deux espaces, de mettre en place un partenariat avec le pays d'origine pour l'orientation et de la formation des personnes et pour s'assurer de leur retour effectif dans le pays d'origine.
Ce n'est que dans un dialogue avec les pays d'origine que pourront être élaborées des stratégies adaptées.
3. Retrouver des marges de manoeuvre crédibles
Ces problématiques souffrent à l'évidence de la contraction de l'aide bilatérale française ajoutée à sa dispersion.
Pays de concentration de notre aide bilatérale, le Mali reçoit à ce titre 51,3 millions d'euros de la France, ce qui est faible, sur un total d'environ 500 millions d'euros d'aide au développement.
La France, qui jusqu'à une période récente était le premier bailleur du Mali, n'est plus que le 6eme bailleur de fonds du pays et le quatrième bilatéral après les Etats-Unis, les Pays-bas et le Canada.
Le Maroc quant à lui reçoit 180 millions d'euros et insiste sur la nécessité d'une politique globale de développement à l'égard de l'ensemble du continent africain. Ce pays a lui-même une politique en direction de l'Afrique au sud du Sahara, à laquelle la France pourrait utilement s'associer
Dans un dialogue sur la migration et le développement, notre pays doit trouver des marges de manoeuvre budgétaires pour répondre aux besoins de ses partenaires historiques. La priorité donnée à l'aide multilatérale oblige à des efforts considérables pour faire venir les bailleurs multilatéraux, notamment la Commission européenne, sur les priorités françaises, avec des résultats mesurés et pas toujours adaptés comme le centre d'informations et de gestion des migrations de Bamako.
De ce point de vue, la dispersion des compétences ministérielles peut être un obstacle. L'organisation administrative du co-développement illustre à quel point notre dispositif d'aide n'a toujours pas trouvé son équilibre.
Le partage des responsabilités sectorielles entre l'AFD et le Ministère des Affaires étrangères sur les crédits du Fonds de solidarité prioritaire est loin d'être clair. Le codéveloppement en constitue une bonne illustration : la logique voudrait que le ministère des Affaires étrangères apporte la réflexion stratégique dans un domaine, le développement du secteur productif, où il ne devrait pas être lui-même opérateur, la responsabilité de ce secteur étant théoriquement confiée à l'Agence française de développement.
* 10 Les questions migratoires au Mali, valeurs, sens et contresens, Omar Merabet, Francis Gendreau, Novembre 2006.
* 11 Voir à titre d'illustration les articles de Philippe Bernard : « Au Sénégal, le thème de l'émigration enfièvre le débat présidentiel » Le Monde, 21 février 2007 ou « A Bamako, une campagne marquée par l'émigration et la « menace Sarkozy » Le Monde, 27 avril 2007.