Rapport d'information n° 23 (2007-2008) de M. Roland du LUART , fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 octobre 2007

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N° 23

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 octobre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l' aide juridictionnelle ,

Par M. Roland du LUART,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Christian Gaudin, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

INTRODUCTION

L'aide juridictionnelle (AJ) est en crise.

Une crise financière doublée d'une crise morale . L'heure n'est plus aux « replâtrages » et encore moins aux effets d'annonce. Le système appelle, bien au contraire, une « remise à plat », qui tienne compte des attentes comme des responsabilités de chacune des parties prenantes. Dans un contexte budgétaire contraignant, cette indispensable réforme ne pourra être conduite que dans le respect de la philosophie d'origine de ce dispositif : l'aide aux plus démunis. Mais elle doit aussi s'appuyer sur deux principes perdus de vue au fil du temps : la transparence et la responsabilisation .

En réalité et d'une certaine façon, l'AJ est victime de son succès . Alors qu'on dénombrait, en 1991, 348.587 admissions, ce nombre s'est élevé, en 2006, à 904.532. Peu de dispositifs d'aide publics ont connu, sur une période aussi courte, une si forte progression, avec toutes les répercussions qu'elle implique sur les acteurs de l'institution judiciaire et les montants financiers concernés.

Lorsqu'en 1991 le législateur forgeait la pierre angulaire du dispositif actuel, la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique , il n'imaginait certainement pas l'ampleur que prendrait cette politique visant à un égal accès au droit et à la justice, quelque soient les ressources des justiciables.

La loi de 1991 s'inscrivait, en effet, dans une continuité et dans une logique déjà ancienne. Dès 1851, le souci de garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice trouvait son inscription dans la loi 1 ( * ) . Rompant avec une vision de l'accès au droit proche d'une mission humanitaire d'assistance, la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972 instituant l'aide judiciaire reconnaît un droit à l'aide judiciaire, totale ou partielle, subordonné à un seuil de revenu.

Ce principe guide encore l'esprit de la loi de 1991 qui ouvre toutefois plus largement le champ de l'accès au droit. Désormais, il ne s'agit plus seulement de réfléchir en termes d'AJ, entendue comme une prise en charge totale ou partielle des frais du procès, mais d'informer et de conseiller, notamment sur les modes de résolution des conflits alternatifs au procès. Ainsi, l'accès à la justice se complète d'un accès au droit au sens large , comme l'illustre notamment la création des conseils départementaux de l'aide juridique (CDAJ).

Si elle se révèle assurément favorable aux justiciables avec les plus faibles ressources en leur garantissant un accès au prétoire et une défense de qualité, cette montée en puissance du dispositif ne va pas sans soubresauts, menaçant parfois de paralyser l'appareil judiciaire dans son ensemble. Ainsi, en 2000, de premiers mouvements dans les barreaux témoignent du mécontentement de la profession d'avocat . La charge assumée par les avocats devient toujours plus lourde sous l'effet de l'augmentation considérable des admissions à l'AJ. Parallèlement, la rétribution correspondante à ces missions couvre de plus en plus difficilement les frais de cabinets soumis à une contrainte de rentabilité financière.

L'année 2006 marque un point de rupture . Longtemps tempérées, les craintes des avocats se font plus vives à l'approche de l'examen du projet de loi de finances pour 2007. La revalorisation de l'unité de valeur (UV), servant de référence pour la rétribution des missions à l'AJ, cristallise les mécontentements. Partout sur le territoire, des barreaux se mettent en grève et manifestent dans la rue. L'augmentation finalement obtenue de la valeur de l'UV (+ 8 %), par un amendement cosigné par votre rapporteur spécial et notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois, apaise le conflit, sans toutefois y apporter de solutions de long terme.

Les enjeux du débat sont lourds de conséquences au regard de l'accès au droit et à la justice comme de l'idée que chacun se fait de l'institution judiciaire dans son ensemble. Le spectre du désengagement de l'Etat , conçu ici comme un soutien financier se réduisant comme « peau de chagrin » sous l'effet de la contrainte budgétaire, est régulièrement agité, notamment par une profession d'avocat consciente de son devoir d'aide aux plus démunis mais légitimement désireuse de ne pas supporter seule le fardeau de cette « mission de service public ». Le souci compréhensible des justiciables bénéficiant de l'AJ de ne pas pâtir d'une défense « au rabais » , de moindre qualité car assurée par des avocats démobilisés, doit également être pris en compte. Tout comme doit être justement mesuré le malaise diffus au sein de classes dites « moyennes » déplorant d'être toujours trop riches pour être aidées, y compris en matière de justice, et toujours trop pauvres pour engager sereinement, c'est-à-dire sans obstacle financier, une action devant les tribunaux pour défendre leurs droits.

Parce que le système mis en place par la loi de 1991 a assurément trouvé ses limites, votre rapporteur spécial a souhaité conduire une mission de contrôle, sur pièce et sur place, dans le cadre de la mission qui lui a été conférée en application de l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Sans une courageuse remise en plat du dispositif de l'AJ, c'est l'existence même de cette aide pour les plus démunis qui pourrait être remise en cause. Il y a urgence à agir !

LES 18 PROPOSITIONS
DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

I - LES AVOCATS ET LES AUXILIAIRES DE JUSTICE

1 - Etablir un « barème horaires » mieux adapté qu'aujourd'hui à la réalité du travail accompli par l'avocat, afin de permettre sa juste rémunération ;

2 - Impliquer l'ensemble de la profession d'avocat autour du bon fonctionnement de l'AJ par la mise en place d'un dispositif fondé sur une participation des avocats soit en temps, « participation temps », soit par le biais d'une contribution financière, « participation financière » ;

3 - Développer « les protocoles de qualité de la défense » passés entre les barreaux, d'une part, et les juridictions, d'autre part, et envisager l'extension de tels protocoles à la matière civile, afin de garantir encore plus largement la qualité de la prestation dont profite le bénéficiaire de l'AJ ;

4 - Envisager le regroupement des Caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) .

II - LES BÉNÉFICIAIRES DE L'AJ ET LES AUTRES JUSTICIABLES

1 - Créer un « ticket modérateur justice » laissant à la charge du bénéficiaire de l'AJ une part de la dépense de justice liée à son affaire ;

2 - Systématiser la conclusion d' une convention entre l'avocat et le bénéficiaire de l'AJ , en vue d'une plus grande responsabilisation de part et d'autre ;

3 - Simplifier la procédure de retrait de l'AJ ;

4 - Mieux organiser l'information du justiciable sur les règles de recouvrement éventuel des sommes engagées, et faire en sorte que, dès l'intervention de la décision de justice, il ait connaissance du montant à rembourser le cas échéant ;

5 - Faciliter, dans les cas de recouvrement , les procédures de paiement dès la sortie du tribunal.

III - L'ETAT

1- Systématiser l'évaluation de l'impact sur les crédits de l'aide juridictionnelle de toute nouvelle loi ;

2 - Enrichir la formation initiale et continue des magistrats et des greffiers par une approche plus complète et plus directe du fonctionnement et des enjeux de l'AJ ;

3 - Lancer une mission d'audit sur l'organisation et le fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) et diffuser les bonnes pratiques ainsi repérées ;

4 - Enrichir l'évaluation de la performance du programme « Accès au droit et à la justice » par un indicateur rendant compte du taux d'émission des états de recouvrement de l'AJ par les juridictions, selon les degrés d'instance, et d'un indicateur mesurant le délai de délivrance de l'attestation de fin de mission (AFM) à l'avocat ;

5 - Tirer profit de la réforme de la carte judicaire pour définir une nouvelle stratégie de répartition des moyens, en particulier humains, dédiés au traitement des demandes d'AJ ;

6 - S'appuyer encore plus largement sur les maisons de la justice et du droit (MJD) et les points d'accès au droit (PAD) afin d'en faire des relais entre les demandeurs de l'AJ et le Palais de justice ;

7 - Imaginer de nouveaux points de relais entre les demandeurs de l'AJ et les Palais de justice : mairies, commissariats , associations d'aide aux victimes, chambres de commerce... ;

8 - Diffuser encore plus largement l'usage des nouvelles technologies au sein du système de l'AJ : dossiers de demande d'AJ téléchargeables en ligne sur internet, plates-formes numériques sécurisées d'échange entre les juridictions, d'une part, et les avocats et les auxiliaires de justice, d'autre part, vidéoconférence... ;

9 - Mettre en conformité la France avec les règles qui s'imposent à tous les Etats membres de la Communauté européenne en matière de TVA à taux réduit (pour les prestations de l'avocat).

I. L'AIDE JURIDICTIONNELLE : UNE MÉCANIQUE COMPLEXE

La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique , entrée en vigueur le 1 er janvier 1992, constitue le socle du système actuel en matière d'AJ. Elle a, d'une part, substitué l'AJ à l'aide judiciaire et, d'autre part, instauré l'aide à l'accès au droit, comprenant l'aide à la consultation, ainsi que l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles.

Afin de mieux comprendre la mécanique complexe mise en oeuvre dans le cadre de l'AJ par ce texte, votre rapporteur spécial se propose de répondre à une série de questions simples permettant de mieux cerner les contours du dispositif comme la logique qui le sous-tend.

A. QUI PEUT BÉNÉFICIER DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE ?

1. Des conditions de nationalité peu restrictives pour les personnes physiques

La loi de 1991, modifiée par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration ainsi que par la loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l'assurance de protection juridique, ouvre largement le bénéfice de l'AJ aux personnes physiques.

Aux termes de son article 3, toute personne physique de nationalité française peut prétendre à l'AJ. Il en va de même pour les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne .

Les personnes de nationalité étrangères peuvent également être admises à l'AJ, à condition qu'elles résident habituellement et régulièrement en France . Cette condition de résidence habituelle et régulière peut cependant faire défaut si leur « situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès ».

La condition de résidence disparaît , en outre, pour les personnes de nationalité étrangère, dès lors qu'il s'agit de mineurs ou que la personne est confrontée à une procédure pénale (témoin assisté, inculpé, prévenu, accusé, condamné ou partie civile, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité).

Cette condition de résidence n'est pas non plus requise dans le cas des procédures prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant le maintien en zone d'attente 2 ( * ) , le refus de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire 3 ( * ) , l'obligation de quitter le territoire ou la reconduite à la frontière 4 ( * ) , l'expulsion 5 ( * ) , la prolongation de la rétention par le juge des libertés et de la détention 6 ( * ) , ainsi que l'appel de décisions d'éloignement 7 ( * ) .

Par ailleurs, la loi précitée du 24 juillet 2006 a modifié les conditions d'octroi de l'AJ devant la commission des recours des réfugiés . En effet, devant cette commission, l'AJ sera désormais accordée, à compter du 1 er décembre 2008, aux étrangers résidant habituellement en France . La loi précitée du 24 juillet 2006 a ainsi supprimé la condition supplémentaire de l'entrée régulière sur le territoire national ou de la détention d'un titre de séjour d'une durée de validité au moins égale à un an.

Cette évolution touchant à l'octroi de l'AJ devant la commission des recours des réfugiés comportera probablement des conséquences sur le nombre des demandes d'AJ ainsi que sur celui des admissions. Un accroissement des demandes d'aide et des admissions à l'AJ doit en être attendu, sans qu'il soit possible pour l'instant de précisément l'évaluer . Au cours de sa mission, ce point a été souligné auprès de votre rapporteur spécial tant par les magistrats et fonctionnaires en charge du traitement des demandes d'AJ que par les représentants de la profession d'avocat.

Votre rapporteur spécial considère d'ailleurs que cet exemple illustre une dérive regrettable sur laquelle il reviendra dans la partie III-C du présent rapport : l'absence d'évaluation en amont de l'impact sur les dépenses d'AJ de tout nouveau texte soumis au vote du Parlement .

Enfin, les litiges transfrontaliers 8 ( * ) , en matière civile ou commerciale, peuvent également donner lieu à octroi de l'AJ (article 3-1 de la loi précitée du 10 juillet 1991 et modifiée par la loi précitée du 19 février 2007).

2. Des personnes morales pouvant également prétendre à l'aide juridictionnelle

L'AJ ne concerne pas uniquement les personnes physiques, même si bien sûr ces dernières représentent la majorité écrasante des demandes et des admissions. Des personnes morales peuvent également y prétendre, aux termes de l'article 2 de la loi précitée du 10 juillet 1991.

D'une part, les personnes morales à but non lucratif (des associations, par exemple) ayant leur siège en France sont susceptibles de bénéficier, sous conditions de ressources, de l'AJ.

D'autre part, les syndicats de copropriétaires d'immeubles peuvent également être admis à l'AJ, lorsque l'immeuble fait l'objet d'un plan de sauvegarde ou lorsqu'un administrateur provisoire est désigné.

Enfin, de la même façon que pour les personnes physiques, les litiges transfrontaliers , en matière civile ou commerciale, peuvent donner lieu à l'octroi de l'AJ à une personne morale (article 3-1 de la loi précitée du 10 juillet 1991 et modifiée par la loi précitée du 19 février 2007).

3. Des conditions de ressources visant à « cibler » les plus démunis

L'octroi de l'AJ est soumis à une condition de ressources. Il s'agit là, naturellement, du ressort principal de ce dispositif , en conformité avec l'objectif recherché, comme le rappelle le premier alinéa de l'article 2 de la loi précitée du 10 juillet 1991 : « Les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle (...). ».

a) La prise en compte des ressources de toute nature, avec toutefois quelques correctifs

Dans ce cadre, les ressources de toute nature , dont le demandeur de l'AJ a directement ou non la jouissance ou la disposition, sont prises en considération (article 5 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

Il est, en outre, tenu compte des « éléments extérieurs du train de vie » (même article). De même, sont estimés « l'existence de biens, meubles ou immeubles, même non productifs de revenus à l'exclusion de ceux qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un grave trouble pour l'intéressé » (même article).

L'appréciation des ressources passe également par celles du conjoint du demandeur à l'AJ , « ainsi que de celles des personnes vivant habituellement à son foyer, sauf si la procédure oppose entre eux les conjoints ou les personnes vivant habituellement au même foyer » (même article).

S'il existe entre eux, eu égard à l'objet du litige, une divergence d'intérêt rendant nécessaire une appréciation distincte des ressources ou si, lorsque la demande concerne l'assistance d'un mineur en application de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, se manifeste un défaut d'intérêt à l'égard du mineur des personnes vivant habituellement à son foyer, alors il n'est pas non plus tenu compte des ressources du conjoint (même article).

b) L'absence de conditions de ressources pour les plus « fragiles »

L'AJ est octroyée sans justification de ressources aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (article 4 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

Par ailleurs, dans toute procédure le concernant, le mineur entendu dans les conditions mentionnées à l'article 388-1 du code civil 9 ( * ) , s'il choisit d'être entendu avec un avocat ou si le juge procède à la désignation d'un avocat, bénéficie de droit de l'AJ (article 9-1 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

De même, les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne 10 ( * ) , ainsi que leurs ayants droit, bénéficient de droit de l'AJ en vue d'exercer l'action civile en réparation des dommages résultant des atteintes à la personne (article 9-2 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

Enfin, une exception à la règle générale de condition de ressources est prévue par l'article 6 de la loi précitée du 10 juillet 1991. En effet, l'AJ peut, à titre exceptionnel, être accordée aux personnes ne remplissant pas les conditions de ressources , dès lors que leur situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès ou bien si, dans les litiges transfrontaliers, elles apportent la preuve qu'elles ne pourraient faire face aux dépenses en raison de la différence du coût de la vie entre la France et l'Etat membre où elles ont leur domicile ou leur résidence habituelle.

c) Un double plafond de ressources

Le système de l'AJ, tel que défini par la loi de 1991, s'appuie sur un plafond de ressources mensuelles conditionnant l'octroi. Plus précisément, ce plafond est double, l'un concernant l'AJ totale et l'autre l'AJ partielle ( cf. infra , partie I-C, pour la définition de l'AJ totale et de l'AJ partielle).

Pour 2007, le plafond de l'AJ totale est fixé à 874 euros , tandis que celui de l'AJ partielle s'élève à 1.311 euros .

En outre, ces plafonds sont affectés de correctifs pour charges de famille . Ainsi, en 2007, ce correctif correspond à 157 euros pour chacune des deux premières personnes à charge, et à 99 euros pour chacune des personnes suivantes.

Une revalorisation annuelle de ces plafonds est prévue, au 1 er janvier de chaque année, et intervient en loi de finances. Cette revalorisation est égale à celle de la tranche la plus basse du barème de l'impôt sur le revenu.

B. QUEL EST LE DOMAINE COUVERT PAR L'AIDE ?

1. Un champ de couverture étendu

L'AJ permet une prise en charge étendue des besoins des justiciables en terme de justice. L'article 10 de la loi précitée du 10 juillet 1991 précise ce champ.

L'AJ est accordée tant en matière gracieuse qu'en matière contentieuse, en demande comme en défense . Elle est également octroyée dans le cas la procédure d' audition du mineur prévue par l'article 388-1 du code civil ( cf. supra , partie I-A-3-c), ainsi que dans celui de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) 11 ( * ) .

Elle peut être accordée à l'occasion de l'exécution sur le territoire français d'une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire, y compris s'ils émanent d'un autre Etat membre de l'UE 12 ( * ) .

Il est à souligner, enfin, que, sous les conditions précédentes, aucun litige n'est exclu, quand bien même son enjeu financier serait faible .

2. Une aide concernant les juridictions judiciaires et administratives à tous les degrés d'instance et permettant également de parvenir à une transaction avant l'introduction de l'instance

La loi précitée du 10 juillet 1991 n'introduit aucune distinction selon que l'affaire relève des juridictions administratives ou des juridictions judiciaires .

Devant les juridictions judiciaires, la matière peut être aussi bien civile que pénale .

L'AJ peut être accordée pour tout ou partie de l'instance, ainsi qu'en vue de parvenir à une transaction avant l'introduction de l'instance (article 10 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

En cas de recours, la personne admise à l'AJ en conserve le bénéfice pour se défendre (article 8 de la loi précitée du 10 juillet 1991).

L'exécution de la décision de justice entre dans le champ de l'AJ. Aux termes de l'article 11 de la loi du 10 juillet 1991 précitée, l'AJ « s'applique de plein droit aux procédures, actes ou mesures d'exécution des décisions de justice obtenues avec son bénéfice, à moins que l'exécution ne soit suspendue plus d'une année pour une cause autre que l'exercice d'une voie de recours ou d'une décision de sursis à exécution ».

C. QUEL EST LE MONTANT DE L'AIDE ?

Le système mis en place par la loi de 1991 distingue deux catégories d'aides , selon le niveau des ressources mensuelles de la personne. On parle ainsi d'« AJ totale » et d'«AJ partielle ».

1. Une aide juridictionnelle totale pour les plus démunis

L'AJ totale vise à couvrir les dépenses qui incomberaient à son bénéficiaire s'il n'avait pas cette aide . Pour 2007, elle est ouverte aux personnes disposant de ressources mensuelles inférieures à 874 euros ( cf. supra , partie I-A-3-c).

L'AJ totale, au 1 er janvier 2007

(en euros)

Ressources mensuelles en 2006

Contribution de l'Etat

Pour une personne seule

Avec 1 personne à charge

Avec 2 personnes à charge

Avec 3 personnes à charge

Avec 4 personnes à charge

Avec 5 personnes à charge

Inférieures à 874

Inférieures à 1.031

Inférieures à 1.188

Inférieures à 1.287

Inférieures à 1.386

Inférieures à 1.485

100 %

Source : Chancellerie

Dans ce cas, ces dépenses sont à la charge de l'Etat . La rétribution de l'avocat (honoraires) est ainsi assurée par l'Etat, selon un barème 13 ( * ) tenant compte de la nature des missions et du nombre d'UV qui leur est affecté. Il en va de même pour l'avoué près la cour d'appel, le notaire, l'huissier de justice, le greffier titulaire de charge et le commissaire-priseur qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l'AJ.

Votre rapporteur spécial détaillera ce mode de rémunération dans la partie I.E.

2. Une aide juridictionnelle partielle pour les plus modestes

Dans le cas où la personne demandeuse de l'aide dispose de ressources mensuelles supérieures à 874 euros mais inférieures à 1.311 euros ( cf. supra , partie I-A-3-c), c'est l'AJ partielle qui est accordée.

La part contributive de l'Etat au profit du bénéficiaire est alors, dans des conditions déterminées par un barème 14 ( * ) , inversement proportionnelle aux ressources du bénéficiaire .

Le barème de l'AJ partielle, au 1 er janvier 2007

(en euros)

Ressources mensuelles en 2006

Contribution de l'Etat

Pour une personne seule

Avec 1 personne à charge

Avec 2 personnes à charge

Avec 3 personnes à charge

Avec 4 personnes à charge

Avec 5 personnes à charge

de 875 à 914

de 1.032 à 1.071

de 1.189 à 2.128

de 1.288 à 1.327

de 1.387 à 1.426

de 1.486 à 1.525

85 %

de 915 à 964

de 1.072 à 1.121

de 1.229 à 1.278

de 1.328 à 1.377

de 1.427 à 1.476

de 1.526 à 1.575

70 %

de 965 à 1.034

de 1.122 à 1.191

de 1.279 à 1.348

de 1.378 à 1.147

de 1.477 à 1.546

de 1.576 à 1.645

55 %

1.035 à 1.113

1.191 à 1.270

1.349 à 1.427

1.448 à 1.526

1.547 à 1.625

1.646 à 1.724

40 %

1.114 à 1.212

1.271 à 1.369

1.428 à 1.526

1.527 à 1.625

1.626 à 1.724

1.725 à 1.823

25 %

1.213 à 1.311

1.370 à 1.468

1.527 à 1.625

1.626 à 1.724

1.725 à 1.823

1.824 à 1.922

15 %

Supérieures à 1.311

Supérieures à 1.468

Supérieures à 1.625

Supérieures à 1.724

Supérieures à 1.823

Supérieures à 1.922

0 %

Source : Chancellerie

L'AJ partielle laisse donc à son bénéficiaire la charge d'un honoraire fixé par convention avec l'avocat ou d'un émolument au profit des officiers publics et ministériels qui prêtent leur concours.

L'honoraire complémentaire , parfois appelé palmerium , de l'avocat est librement négocié. Le bénéficiaire de l'AJ et son avocat s'accordent sur une convention écrite préalable, qui fixe, en tenant compte de la complexité du dossier ainsi que des diligences et des frais imposés par la nature de l'affaire, le montant et les modalités de paiement de ce complément d'honoraires, dans des conditions compatibles avec les ressources et le patrimoine du bénéficiaire (article 35 de la loi précitée du 10 juillet 1991). Cette convention rappelle le montant de la part contributive de l'Etat et indique les voies de recours ouvertes en cas de contestation. Elle doit être communiquée dans les quinze jours de sa signature au bâtonnier, qui contrôle sa régularité ainsi que le montant du complément d'honoraires 15 ( * ) .

Les autres officiers publics ou ministériels (huissiers, avoués près la cour d'appel...) ont droit, de la part du bénéficiaire de l'AJ partielle, à un émolument complémentaire calculé sur la base de leurs tarifs dans des limites fixées par décret en Conseil d'Etat.

L'AJ partielle vise donc à aider le justiciable disposant de ressources mensuelles comprises entre 874 euros et 1.311 euros, tout en laissant à sa charge un complément de rémunération de l'avocat et des autres officiers publics ou ministériels.

D. COMMENT SONT INSTRUITES LES DEMANDES ?

1. Le filtre du bureau d'aide juridictionnelle (BAJ)

Le bureau d'aide juridictionnelle (BAJ), établi au siège de chaque tribunal de grande instance (TGI) ou institué auprès de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat 16 ( * ) ou des commissions des recours des réfugiés, joue un rôle essentiel au coeur du système de l'AJ . Il lui revient, en effet, de prononcer l'admission (ou la non-admission) à l'AJ, qu'elle soit totale ou partielle.

L'organisation du BAJ

Le BAJ comporte plusieurs sections :

- la section statuant sur les demandes portées devant les juridictions de première instance de l'ordre judiciaire ou la cour d'assises ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant le tribunal administratif (TA) et les autres juridictions administratives statuant en premier ressort ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour d'appel ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour administrative d'appel et les autres juridictions administratives statuant à charge de recours devant le Conseil d'Etat.

Chaque BAJ et chaque section de BAJ est présidé, selon le cas, par un magistrat du siège du TGI ou de la Cour d'appel ou par un membre du TA ou de la Cour administrative d'appel 17 ( * ) . En outre, le greffier en chef du TGI ou de la Cour d'appel, selon les cas, est vice-président du bureau ou de la section chargés d'examiner les demandes d'AJ relatives aux instances portées devant les juridictions de première instance de l'ordre judiciaire et la cour d'assises ou devant la Cour d'appel 18 ( * ) .

Le BAJ ou chaque section de BAJ comprend, en outre, deux fonctionnaires ainsi que deux auxiliaires de justice , dont au moins un avocat ou un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Ces représentants des professions de justice sont choisis parmi les avocats, les avocats honoraires, les huissiers de justice, les huissiers de justice honoraires, les avoués, les avoués honoraires, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation honoraires. Les auxiliaires de justice sont désignés par leurs organismes professionnels.

Le BAJ accueille, enfin, une personne désignée au titre des usagers par le CDAJ. Ce membre ne doit être ni agent public, ni membre d'une profession juridique et judiciaire.

En fonction de la taille du TGI et du nombre de demandes d'AJ traitées, le BAJ peut s'appuyer, par ailleurs, sur un nombre d'agent variant de 1 à 10 équivalent temps plein travaillé (ETPT) , selon les estimations recueillies par votre rapporteur spécial auprès du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville (SADJPV) du ministère de la justice.

A titre d'information, votre rapporteur spécial joint en annexe un exemplaire du dossier de demande d'AJ adressé, une fois rempli, au BAJ (annexe 2).

2. L'exemple du BAJ de Pontoise

Au cours de sa mission de contrôle, votre rapporteur spécial s'est rendu au TGI de Pontoise afin d'observer et d'étudier sur place le fonctionnement d'un BAJ. Ce choix a été dicté par le caractère relativement représentatif de ce BAJ placé auprès d'un « petit » TGI à l'échelle de la région parisienne mais d'un « grand » TGI à l'échelle du reste de la France. Par ailleurs, son ressort géographique (sud-ouest du département du Val d'Oise) l'amène à traiter des affaires impliquant des populations aux niveaux de ressources relativement faibles, donc susceptibles de solliciter fréquemment l'AJ.

Les moyens humains du BAJ de Pontoise

Pour mener à bien ses missions, le BAJ de Pontoise s'est appuyé en 2006, pour son secrétariat, sur un magistrat, pour 20 % de son temps, un greffier et deux agents administratifs à temps plein, soit 3,2 ETPT .

La taille de l'effectif mis à disposition du BAJ permet difficilement de faire face à d'éventuels arrêts maladie ou congés maternité et rend donc ardu le lissage de la charge de travail au cours de l'année entre les membres de l'équipe.

Cette gestion des ressources humaines délicate se double d'un sous-effectif persistant souligné par le président du BAJ dans le bilan pour 2006 adressé à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice, le 20 mars 2007.

Afin de palier ce déficit en moyens humains, des affectations de vacataires ont eu lieu au cours de l'année 2006 pour renforcer les effectifs du BAJ. Il a, par ailleurs, été fait recours à deux stagiaires.

Source : TGI de Pontoise

En 2006, le BAJ de Pontoise a ainsi enregistré 13.010 dossiers de demande d'AJ . Sur la même année, sa section civile a rendu 6.361 décisions, tandis que sa section administrative a prononcé 1.038 décisions.

L'objectif de traitement des dossiers, en termes de délai, était fixé pour 2006 à un délai maximum de deux mois ( cf. infra , partie III-H-1). Cet objectif n'a pas pu être atteint, même si le retard dans le traitement des dossiers est passé de six mois en 2005 à quatre mois en 2006 .

Ce résultat, encore inférieur aux espérances, représente toutefois un progrès encourageant et a été rendu possible par une meilleure rationalisation de la chaîne de traitement des demandes .

Des gains de temps et de productivité ont également été réalisés grâce à l'implication du président du BAJ, ainsi que du président de sa section administrative . Ces deux présidents ont, en effet, statué seuls, en application de l'article 22 de la loi précitée du 10 juillet 1991, sur les demandes ne présentant pas de difficultés particulières : demandes émanant de bénéficiaires du RMI, demandes de plein droit et rejet de dossiers incomplets.

Les avancées en matière de délai de traitement des demandes d'AJ résultent également d' un engagement résolu et d'une mobilisation forte des membres et des personnels du BAJ . Votre rapporteur spécial tient ici à saluer leurs efforts .

Les membres du BAJ représentant les services concernés par l'attribution de l'AJ (direction départementale des affaires sanitaires et sociales, services fiscaux) ainsi que les représentants du barreau et des auxiliaires de justice (huissiers) ont ainsi fait preuve d' une grande assiduité aux séances du BAJ et ont assumé, à tour de rôle, l'instruction et le rapport sur chaque dossier.

E. COMMENT EST RÉTRIBUÉ L'AVOCAT ?

1. Un avocat choisi ou « commis d'office »

Aux termes de l'article 25 de la loi précitée du 10 juillet 1991, le bénéficiaire de l'AJ a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours.

Deux cas de figure peuvent alors se présenter. Dans la première hypothèse, le bénéficiaire de l'AJ choisit lui même l'avocat et les officiers publics ou ministériels. Dans la seconde, en l'absence de choix par le justiciable ou en cas de refus de l'auxiliaire de justice choisi, l'avocat et les officiers publics ou ministériels sont désignés par le bâtonnier ou par le président de l'organisme professionnel dont il dépend. On parle alors, notamment, d'avocat « commis d'office ».

A cet égard, il convient de souligner que l'auxiliaire de justice qui prêtait son concours au bénéficiaire de l'AJ avant que celle-ci ait été accordée doit continuer de le lui prêter après l'admission. Il ne pourra en être déchargé qu'exceptionnellement 19 ( * ) .

En cas d'appel , le bénéficiaire de l'AJ est assisté ou représenté par l'avocat qui lui avait prêté son concours en première instance au titre de cette aide, sauf choix contraire de la partie ou refus de l'avocat.

Bien évidemment, l'occurrence de l'une ou l'autre des hypothèses décrites dépend notamment de la familiarité du bénéficiaire de l'AJ avec la mécanique judiciaire et de sa connaissance préalable d'un avocat, ou des officiers publics ou ministériels qu'il souhaite faire intervenir pour le règlement de son affaire. Ainsi, de ce point de vue, le système de l'AJ ne peut totalement écarter une certaine inégalité entre les justiciables, selon leur plus ou moins bonne maîtrise de l'appareil judiciaire .

En outre, il faut souligner que la profession d'avocat, via ses « Ordres » 20 ( * ) , s'organise pour répondre à la demande de désignation de l'un des membres du barreau. Cette désignation, par le bâtonnier, s'effectue essentiellement sur un critère de spécialisation dans la matière dont relève l'affaire du justiciable (droit pénal, droit de la famille...). Ainsi, beaucoup de barreaux ont-ils mis en place, pour les comparutions immédiates, un système de « permanences pénales » , organisées en lien avec la juridiction. Les avocats tiennent alors cette permanence pour assurer la prise en charge des dossiers pénaux, à tour de rôle.

De ce point de vue, le barreau de Paris présente une particularité . A la différence des autres barreaux, les avocats commis d'office y sont désignés parmi une liste composée d'avocats s'étant portés volontaires pour ce type de missions. Cette originalité n'est pas sans conséquence sur la profession d'avocat considérée dans son ensemble, dans la mesure où le barreau de Paris réunit plus de 17.000 avocats sur un total plus de 47.000 à l'échelle nationale 21 ( * ) .

2. Un barème de référence combinant unité de valeur (UV) et poids des missions

L'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'AJ perçoit une rétribution versée par l'Etat .

a) L'aide juridictionnelle totale

La rétribution des avocats qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l'AJ totale est déterminée en fonction du produit de l'UV, fixée par la loi de finances, et des coefficients représentatifs du poids de chaque mission pour l'avocat (article 50 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991).

La valeur de l'UV, au 1 er janvier 2007, est de 22,50 euros ( cf. infra , partie II-C-4).

Le barème présentant les coefficients tient compte, pour chaque type de mission, d'un coefficient de base et prévoit des majorations possibles et cumulables.

Au civil , ces majorations (dans la limite de 16 UV) peuvent résulter de la survenance d'incidents dans la procédure, de mesures de médiation ordonnées par le juge, de l'intervention d'experts, de vérifications personnelles du juge ou d'autres mesures d'instruction (dont les enquêtes sociales).

Au pénal , ces majorations sont liées au nombre de jours supplémentaires d'audience, au déroulement du débat contradictoire ou de l'audience préalable dans un établissement pénitentiaire, au déroulement de l'audience dans une emprise portuaire ou aéroportuaire, aux expertises décidées, aux déplacements réalisés ou au nombre d'auditions supplémentaires décidées.

Votre rapporteur spécial joint en annexe ces barèmes (cf. annexe 3).

b) L'aide juridictionnelle partielle

En cas d'AJ partielle, la part contributive de l'Etat au profit du bénéficiaire est, dans des conditions déterminées par un barème fixé par décret en Conseil d'Etat, inversement proportionnelle aux ressources du bénéficiaire ( cf. supra , partie I-C-2).

Comme votre rapporteur spécial l'a indiqué, l'AJ partielle laisse à son bénéficiaire la charge d'un honoraire librement négocié et fixé par convention avec l'avocat ou d'un émolument au profit des officiers publics et ministériels qui prêtent leur concours.

3. Le rôle pivot des Caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) dans le paiement des avocats

a) La dotation versée par l'Etat

L'Etat affecte annuellement, à chaque barreau, une dotation représentant sa part contributive aux missions d'AJ accomplies par les avocats du barreau. La dotation due au titre de chaque année donne lieu au versement d'une provision initiale versée en début d'année. La dotation est ensuite ajustée, pour chaque barreau, en cours d'année en fonction de l'évolution du nombre des admissions à l'AJ (dotation complémentaire). Elle est liquidée en fin d'année sur la base du nombre des missions achevées.

Le montant de cette dotation correspond au produit du nombre de missions d'AJ accomplies par les avocats du barreau, du coefficient par type de procédure et de l'UV.

Dans le cas des AJ totales , l'UV est majorée en fonction du volume des missions effectuées au titre de l'AJ au cours de l'année précédente au regard du nombre d'avocats inscrits au barreau.

Votre rapporteur spécial joint en annexe la ventilation de ces dotations par barreau pour l'exercice 2006 (annexe 4).

b) Les avocats rétribués via les CARPA

La dotation est versée sur un compte spécial de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), prévue au 9° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Elle est intégralement affectée au paiement des avocats effectuant des missions d'AJ.

Il convient de rappeler que la CARPA n'est pas un établissement financier 22 ( * ) . Mais les avocats exerçant en France doivent obligatoirement y déposer l'argent qu'ils reçoivent pour le compte de leurs clients, dès lors que ces fonds sont accessoires à un acte professionnel, judiciaire ou juridique, et ce quelque soit l'instrument du paiement remis à l'avocat. Elle offre au client de l'avocat la garantie de la représentation des fonds remis à son conseil.

La CARPA, créée sous le statut d'association, fonctionne sous le contrôle de l'Ordre qui l'a instituée. Il existe aujourd'hui 153 CARPA , correspondant aux 182 barreaux de France métropolitaine, des départements d'outre-mer et de Nouméa.

Les CARPA placent les fonds ainsi récoltés . En effet, alors que chaque mouvement individuel de fonds ne recueillerait qu'un produit financier médiocre, la mutualisation de tous les fonds perçus au titre de la rétribution de l'AJ conduit à un solde pouvant être placé sur les marchés financiers avec une espérance de gain substantiel.

II. UN SYSTÈME AU BORD DE L'IMPLOSION ?

Au cours des différentes auditions qu'a pu mener votre rapporteur spécial, un consensus s'est très largement dégagé sur le diagnostic devant être porté sur le système de l'AJ en vigueur depuis 1992.

Ce système va mal, il est proche de l'implosion .

Quelque soit la profession, quelque soit la position des acteurs, de la Chancellerie aux avocats en passant par les BAJ, la conscience nette d'un dispositif ayant atteint ses limites est apparue.

Ce constat pourrait presque être rassurant en ce qu' un diagnostic partagé constitue la meilleure des bases de réforme . Il n'en demeure pas moins inquiétant, dès lors qu'il traduit un profond malaise et de lourdes incertitudes quant à la pérennité d'une mécanique non seulement complexe mais à bout de souffle.

A. UN ACCROISSEMENT CONSIDÉRABLE DU NOMBRE D'ADMISSIONS

1. Un bilan d'ensemble caractérisé par une dynamique de croissance très soutenue

Quel bilan quantitatif tirer de la mise en place de l'AJ au terme de 15 ans d'existence ? Le constat essentiel réside en une forte croissance du nombre d'aides accordées.

Le graphique ci-dessous décrit l'évolution des admissions à l'AJ, quelque soit sa nature (totale ou partielle), depuis 1991.

En 1991, le nombre des admissions s'élevait à 348.587 AJ . Ce total correspondait à une situation antérieure, régie par la loi précitée du 3 janvier 1972 instituant l'aide judiciaire. Au 1 er janvier 1992, la loi précitée du 10 juillet 1991 est entrée en vigueur.

Sous l'empire du nouveau régime législatif, les admissions à l'AJ font un bond dès 1992-1993 23 ( * ) et passent à 512.892 en 1993 . En l'espace de deux ans, la progression ainsi enregistrée est de + 47,1 %, sous l'effet de conditions de ressources plus larges fixées par la loi de 1991.

Cette dynamique à la hausse se confirme au cours des quatre années suivantes , la progression s'élevant à + 13 % en 1994, + 11,5 % en 1995, + 3 % en 1996 et + 6,6 % en 1997.

De 1998 à 2000, le dispositif paraît avoir atteint son régime de croisière avec une quasi stabilité du nombre des admissions : 703.746 en 1998, 704.650 en 1999 et 698.779 en 2000. En 2001, une baisse significative (- 5,9 %) se dessine même.

Le volume des admissions à l'AJ renoue pourtant dès 2002 avec sa dynamique de croissance (+ 4,7 %), celle-ci s'accélérant en 2003 (+ 9,8 %) et 2004 (+ 10 %). Au cours de cette période 2002-2004, non seulement le nombre des admissions à l'AJ progresse, mais le rythme de croissance s'emballe . Au final, 831.754 admissions sont prononcées en 2004.

En 2005 , l'emballement du rythme de la croissance des admissions ne se poursuit pas, mais l'augmentation du volume des admissions à l'AJ demeure très significative : + 6,6 % au cours de l'exercice avec un montant final de 886.533 admissions .

L'année 2006 ne rompt nullement avec le cycle de croissance et voit 904.532 admissions prononcées 24 ( * ) . Entre 2005 et 2006, le nombre d'admissions aura ainsi à nouveau progressé de + 2 %.

Au total, malgré une stabilisation de 1998 à 2000 et même un recul significatif en 2001, le nombre des admissions a connu une hausse considérable entre 1991 et 2006 : + 159,5 % .

Si l'on isole « l'effet rattrapage » lié à la transition entre le régime de la loi de 1972 et celui de la loi de 1991, l'augmentation des admissions demeure à un niveau très élevé : + 76,4 % entre 1993 et 2006 .

Un tel résultat peut diversement s'interpréter . S'il témoigne d'une réussite incontestable du dispositif en place (réponse adaptée à une attente des justiciables, bonne diffusion de l'information quant à l'existence de cette aide), il traduit aussi, en creux, une certaine paupérisation de la population française et fait peser une lourde hypothèque sur la soutenabilité de la dépense consacrée à l'AJ sur le moyen terme ( cf. infra , partie II-C).

2. La très forte progression de l'aide juridictionnelle « totale »

Comment s'explique la dynamique d'ensemble de l'AJ ? L'examen de l'évolution de l'AJ totale apporte un éclairage essentiel sur les raisons de la croissance du nombre des admissions à l'AJ .

Par ailleurs, l'étude du nombre d'admis à l'AJ totale permet non seulement d'apporter une explication quantitative s'agissant de la tendance à la hausse observée depuis 1991, mais elle offre aussi une approche plus qualitative du bilan de la loi précitée du 10 juillet 1991, de par le public concerné par l'AJ totale ( cf. supra partie I-C-1).

Le graphique ci-dessous décrit l'évolution des admissions à l'AJ totale depuis 1991.

La situation de départ correspond à un nombre d'admis à l'AJ totale de 302.986 en 1991 . Ce volume d'AJ totale s'inscrit encore dans la logique du système de la loi de 1972.

Il connaît une très forte augmentation sur les deux premières années d'entrée en vigueur de la loi de 1991, pour atteindre finalement 442.991 bénéficiaires fin 1993 , soit une hausse de + 46,2 % entre 1991 et 1993 25 ( * ) .

La croissance du nombre de décisions d'admission prononcées se poursuit à un rythme soutenu entre 1994 et 1997 : + 14 % en 1994, + 12,1 % en 1995, + 2,9 % en 1996 et + 6,5 % en 1997 (pour 709.606 bénéficiaires de l'AJ totale cette année là).

La tendance s'inverse entre 1998 et 2001 avec une très légère décrue (- 1,3 % en 1998, - 0,1 % en 1999 et - 1 % en 2000), plus marquée toutefois en 2001 (- 5,8 %).

Le mouvement à la hausse reprend cependant dès 2002 avec une augmentation de + 4,7 % du nombre d'admissions (soit un montant total en fin d'année de 688.637). Le rythme s'accélère en 2003 et 2004 avec une progression, respectivement, de + 10,9 % et de + 10,8 %. En 2005, l'augmentation est encore de + 6,7 % pour un nombre total d'admissions de 783.690.

L'année 2006 s'inscrit dans le prolongement de cette tendance avec une hausse de + 2 % du nombre des admissions qui atteint 799.153 bénéficiaires de l'AJ totale 26 ( * ) .

Au final, l'AJ totale aura connu une progression de + 163,8 % entre 1991 et 2006 .

3. L'aide juridictionnelle « partielle » : demi-succès ou demi-échec ?

Après l'étude de l'évolution du nombre des admissions à l'AJ (totale et partielle) et à l'AJ totale, l'examen de la courbe de croissance de l'AJ partielle ne peut pas surprendre . L'AJ partielle correspond en effet, mathématiquement, au complément ajouté à l'AJ totale pour atteindre le nombre des bénéficiaires à l'AJ quelque soit sa nature.

Le graphique ci-dessous décrit l'évolution des admissions à l'AJ partielle depuis 1991.

L'analyse de la hausse de l'AJ partielle révèle une progression plus « linéaire » que celle de l'AJ totale . Entre 1991 et 2006, l'AJ partielle a constamment augmenté, à l'exception de l'année 2001 où elle a enregistré une baisse de - 6,1 % du nombre de ses admissions.

Alors qu'en 2001 elle comptait 45.601 bénéficiaires, elle en dénombre désormais, à fin 2006, 105.379 27 ( * ) , soit une augmentation de + 131,1 % sur la période .

En 2001, dans son rapport sur la réforme de l'accès au droit et à la justice 28 ( * ) , M. Paul Bouchet parlait de « l'échec de l'aide juridictionnelle partielle ». Il constatait notamment que « le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle partielle est limité, correspondant à environ 15 % du nombre de bénéficiaires de l'aide totale (93.000 bénéficiaires pour l'aide partielle, 606.000 pour l'aide totale en 2000) alors que le nombre de ménages couverts peut être évalué de façon grossière à 71 % de celui des ménages entrant dans le champ de l'aide totale ».

Six ans plus tard, le constat chiffré n'a guère évolué pour ce qui est de la part de l'AJ partielle dans l'ensemble des admissions à l'AJ . Le graphique ci-dessous fournit un élément de comparaison entre la situation existante en 1991 et celle prévalant aujourd'hui. On constate que la part de l'AJ partielle dans le nombre total des admissions reste limitée dans le temps.

Comparaison du poids de l'aide totale et de l'aide partielle dans les admissions en 1991 et 2006

1991

2006

Source : répertoire de l'aide juridictionnelle - Sous-direction de la statistique, des études et de la documentation

Pour autant, le bilan de l'AJ partielle doit probablement être nuancé et, alors que le rapport Bouchet préconisait la suppression de cette aide (au profit d'une aide totale améliorée), il convient assurément de préserver ce « filet de sécurité » .

Sa progression entre 1991 et 2006 (+ 131,1 %) témoigne, tout d'abord, d'une demande bien réelle. Son niveau en valeur absolue (105.379 bénéficiaires à fin 2006) impose, en outre, une approche prudente au vu du nombre important de justiciables concernés. Enfin et surtout, les auditions que votre rapporteur général a pu mener au cours de sa mission l'ont conforté dans sa conviction qu' en matière d'accès à la justice les « effets de seuil » doivent être tempérés le plus possible, au risque d'introduire un clivage doublé d'une profonde frustration entre « ceux ayant droit » à la prestation et une classe moyenne exclue brutalement du bénéfice d'aide et de soutien . Or, précisément, le mécanisme de l'AJ partielle permet de limiter une douloureuse fracture en la matière.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial souhaite souligner que s'il y a bien une croissance très forte des admissions à l'AJ depuis 1991 (+ 159,5 %), cette tendance résulte beaucoup plus de l'AJ totale que de l'AJ partielle . En effet, non seulement la première à augmenté dans des proportions supérieures à la seconde (+ 163,8 % contre + 131,1 %), mais son poids est beaucoup plus important dans le nombre total des admissions prononcées au titre de l'AJ.

4. La concentration de l'aide sur certains contentieux

L'AJ se répartit de manière très inégale selon le type de contentieux . Le graphique ci-dessous présente une ventilation en fonction des principales catégories.

Il convient de souligner deux catégories de contentieux se détachant du reste des procédures, de par les masses d'affaires concernées : le contentieux pénal et les procédures devant le juge aux affaires familiales (JAF) .

Le nombre d'AJ accordées au titre du contentieux pénal s'est élevé, en 2006, à 389.485 29 ( * ) .

Les affaires relevant de la compétence du JAF arrivent en deuxième position des admissions à l'AJ avec, en 2006, 224.089 AJ octroyées.

Le tableau ci-dessous présente une ventilation détaille, pour l'année 2005, des admissions à l'AJ selon la nature de la procédure .

L'évolution dans le temps des admissions à l'AJ selon la nature des procédures est présentée par le tableau ci-dessous.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1991, quelques grandes tendances peuvent ainsi être constatées.

Le contentieux administratif comme le contentieux relatif aux conditions de séjour des étrangers (dont les reconduites à la frontière) ont connu une progression régulière au cours de la période observée. En dépit de leur taille restreinte au regard du nombre total des admissions à l'AJ, il convient de souligner leur progression extrêmement forte en proportion. En effet, le contentieux administratif relevant de l'AJ a enregistré une hausse de + 527,8 % entre 1993 et 2006 , tandis que celui touchant aux conditions de séjour des étrangers a augmenté de + 652,6 % .

Le contentieux pénal a, lui aussi, connu une forte progression, quoique dans des proportions moindres que les deux précédents contentieux, dans la mesure où il a progressé de + 113,6 % sur la période considérée.

Le contentieux civil (hors JAF) et celui relevant du JAF ont pour, leur part, cru dans des proportions moins importantes, bien que très significatives, de respectivement + 41,6 % et de + 48,5 % .

B. DES AVOCATS « À LA PEINE »

Les avocats constituent l'un des rouages essentiels du système de l'AJ . Pourtant, depuis plusieurs années, la machine se « grippe ». Les mouvements des barreaux en 2000, puis à nouveau en 2006, agissent comme autant d'électrochocs pour rappeler les difficultés auxquelles la profession est confrontée dans le cadre des missions d'AJ.

Contrainte de rentabilité économique, lourdeurs administratives et incertitudes quant à la pérennité du système actuel placent les avocats dans un dilemme bien compliqué à résoudre, entre le devoir moral d'assister les plus fragiles devant la justice et une logique économique dictant ses impératifs.

1. La survie de certains cabinets en question

Tous les avocats ne contribuent pas au fonctionnement de l'AJ. Cependant, sur les 47.798 répartis sur le territoire, 22.466 avocats ont exercé au moins une mission d'AJ en 2005 (21.489 l'année précédente) 30 ( * ) , soit un peu moins de un sur deux (47 %) .

Alors qu' au moment du vote de la loi de 1991, peu d'informations statistiques étaient à la disposition du législateur sur cette profession et son investissement dans la bonne marche de l'aide judiciaire (telle que définie par la loi précitée du 3 janvier 1972), la situation a connu une sensible amélioration depuis lors. En particulier, le Conseil national des barreaux (CNB), par son Observatoire de l'AJ, produit depuis quelques années des séries statistiques permettant d'apporter un éclairage complémentaire sur la situation des avocats au regard de ces missions. La création d'un tel Observatoire et son activité statistique s'expliquent, d'ailleurs, non seulement par le souhait légitime de mieux connaître les trajectoires des avocats mais aussi, probablement, par une certaine inquiétude de la profession quant aux effets réels de l'AJ sur le fonctionnement des cabinets.

Le taux de 47 % des avocats ayant exercé au moins une mission d'AJ en 2005 ne représente qu' une moyenne nationale pouvant cacher de fortes disparités . En effet, la situation des avocats au regard de l'AJ varie d'un barreau à l'autre, dès lors que chaque barreau est maître de son organisation notamment en matière de désignation des avocats pour les dossiers d'AJ et d'organisation des permanences.

Le nombre de missions accomplies par un avocat peut ainsi différer fortement d'un avocat à l'autre . Tandis que certains n'effectuent que très occasionnellement des missions d'AJ, « d'autres y consacrent une part importante de leur activité professionnelle » 31 ( * ) .

Le tableau ci-dessous permet de mieux cerner cette réalité.

La répartition des missions d'aide juridictionnelle entre les avocats

La segmentation par strates de la profession d'avocat en fonction du nombre de missions d'AJ réalisées permet une analyse plus fine de la diversité des situations. En particulier, elle met en lumière un nombre moyen de missions réalisées par avocat variant entre 6,84 et 284,33 .

Ce mode d'approche souligne, en outre, une concentration des missions d'AJ sur un nombre relativement limité d'avocats . En effet, la segmentation mise en oeuvre met en évidence que 20 % des avocats ayant mené au moins une mission d'AJ (soit 4.492 avocats) assurent 64 % des missions 32 ( * ) .

Rapportée au nombre total d'avocats exerçant sur le territoire (47.798), la proportion d'avocats exerçant 64 % des missions ressort donc à 9,4 % .

Ce chiffre permet, notamment, de remettre en perspective l'affirmation souvent entendue selon laquelle certains avocats vivent essentiellement de l'AJ .

A ce stade de l'analyse, une donnée fait toutefois défaut pour appréhender encore plus finement cette affirmation. En effet, la part de l'AJ dans le montant annuel des bénéfices non commerciaux déclarés par les cabinets n'est actuellement mesurée par aucun indicateur. Cette lacune nuit à une juste appréciation de la situation financière des avocats sur laquelle l'AJ est concentrée.

Toutefois, au cours des auditions qu'il a menées, votre rapporteur spécial estime que les cas de cabinets vivant essentiellement sur l'AJ ne sont probablement pas aussi fréquents que l'image couramment véhiculée .

Il n'en reste pas moins qu'une difficulté économique se pose aux avocats conduisant des missions à l'AJ en termes de « seuil de rentabilité » . Un avocat est aussi un chef d'entreprise, qui ne peut s'abstraire d'une logique économique s'accordant parfois difficilement avec la logique de l'AJ. En particulier, il doit couvrir des charges liées à son activité et dont les principaux postes correspondent à son loyer, son salaire et celui de ses éventuels collaborateurs, ses déplacements, ses assurances et ses sources documentaires. Pour chaque dossier traité, il se livre donc à un calcul de rentabilité simple s'appuyant, notamment, sur l'amortissement de ses charges fixes. De ce calcul résulte l'établissement du niveau des honoraires proposés par convention à son client.

Dans le cadre de l'AJ, cette approche est nécessairement modifiée dans la mesure où la rétribution de l'avocat est fixée par l'Etat (cf. le principe du barème décrit supra, dans la partie I-E-2). Et précisément, la profession d'avocat considère aujourd'hui que le montant de l'UV est notablement inférieur au « point mort » (ie seuil de rentabilité) des cabinets .

Un exemple, tiré du rapport d'étape de la commission « Accès au droit » du CNB adopté les 12 et 13 janvier 2007 en assemblée générale, permet de comprendre l'argumentation développée par la profession.

UV et « point mort » des cabinets d'avocat : un exemple tiré du rapport d'étape de la commission « Accès au droit » du CNB adopté les 12 et 13 janvier 2007
en assemblée générale

Le rapport d'étape de la commission « Accès au droit » du CNB, adopté les 12 et 13 janvier 2007 en assemblée générale, met en lumière l'insuffisance du montant de l'UV au moyen d'un cas pratique à valeur représentative.

L'exemple s'appuie sur un cabinet composé de 2,5 avocats et de 1,5 secrétaire. Le cabinet est situé en province et son taux de charge s'élève à environ 60 % du chiffre d'affaires réalisé. Son taux horaire est de 150 euros hors taxe pour une facturation sur la base de 1.300 heures facturables.

Dans ces conditions, le « point mort horaire » du cabinet est estimé aux alentours de 100 euros .

Le montant de l'UV étant de 22,50 euros et cette UV étant censée correspondre à une demi-heure de travail de l'avocat, la rétribution de ce dernier au titre de l'AJ se monte à 45 euros de l'heure.

Un différentiel de 55 euros existe donc entre le « point mort horaire » du cabinet et la rétribution au titre de l'AJ. L'écart se creuse si la rétribution au titre de l'AJ est rapportée au taux horaire pris pour hypothèse (150 euros hors taxe) puisque le différentiel atteint alors 105 euros.

De cet exemple le CNB conclut que la charge de l'AJ est financée à hauteur de deux tiers environ par le cabinet d'avocat et de un tiers par l'Etat .

Par ailleurs, l'avocat à l'AJ travaille à perte, la rétribution horaire étant inférieure à son « point mort horaire ».

Dans le même rapport, le CNB précise que le nombre d'avocats ayant exercé des missions à l'AJ a augmenté régulièrement au cours des dernières années (de 1,8 point entre 2002 et 2005). Afin d'expliquer cette tendance à la hausse et ce paradoxe apparent (l'avocat travaille à perte sur les missions d'AJ, mais de plus en plus d'avocats font de l'AJ), il souligne qu'« à défaut d'être correctement indemnisée, les missions accomplies au titre de l'AJ ont l'avantage de générer facilement un volume d'activité et, une fois enclenchées, d'être effectivement payées. Avantage pour les cabinets individuels qui trouvent ainsi une source de revenus sûre. ».

Par ailleurs, votre rapporteur spécial estime que, dans une logique strictement économique, l'existence de l'AJ permet également de solvabiliser une demande de justice, qui ne pourrait probablement que difficilement s'exprimer sans la contribution financière de l'Etat .

2. La cristallisation autour du montant de l'unité de valeur (UV)

Les débats autour de l'AJ se sont principalement cristallisés, au cours des derniers mois, sur le montant de l'UV . Ainsi, à l'automne 2006, la profession d'avocat manifestait son souhait de voir l'UV revalorisée de + 15 %.

Dans son rapport précédemment cité, M. Paul Bouchet soulignait déjà en 2001 que la rétribution des avocats avait progressé mais sans que les engagements initiaux aient été tenus en la matière. Il soulignait notamment que l'effort budgétaire avait été multiplié par trois en huit ans (entre 1992 et 2000) au titre de l'AJ alors que, dans le même temps, le nombre de bénéficiaires n'avaient fait que doubler. Il rappelait toutefois que l'objectif initial, qui était d'aboutir sur trois ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi de 1991 à une rétribution horaire de 345 francs (soit 53 euros) n'avait pas été atteint. En effet, alors que l'UV avait été fixée à 125 francs (19 euros) en 1992, elle n'avait fait l'objet que de revalorisations limitées l'ayant finalement portée à un niveau de 134 francs (20 euros) en 2001.

Le tableau suivant permet de retracer l'évolution de l'UV entre 1992 et 2007 .

Evolution de l'UV depuis 1992

(en euros et en francs courants ainsi qu'en euros 2006 et en francs constants 2006)

1992

1993

1995

1998

2000

2004

2007

Montant de l'UV en francs courants

125

128

130

132

134

136,70

147,59

Montant de l'UV en euros courants (*)

19,06

19,51

19,82

20,12

20,43

20,84

22,50

Coefficient de transformation du franc d'une année en euro 2006 (**)

0,19112

0,18722

0,18102

0,17416

0,17041

1,03500

1,00000

Montant de l'UV en euros constants 2006

23,89

23,96

23,53

22,99

22,83

21,57

22,50

Evolution en euros constants par rapport à 1992

+0,3%

-1,5%

-3,8%

-4,4%

-9,7%

-5,8%

Montant de l'UV en francs constants 2006

156,71

157,19

154,36

150,80

149,79

141,49

147,59

(*) 1 euro = 6,55657 francs

(**) Source : INSEE le pouvoir d'achat de l'euro et du franc -Coefficient de transformation de l'euro ou du franc d'une année en euro ou en franc d'une autre année (pour 2007, les données ne sont pas disponibles, le coefficient 2006 a donc été conservé)

Source : Chancellerie

Conformément à l'article 27 de la loi précitée du 10 juillet 1991, le montant de l'UV est fixé par la loi de finances. Au total, depuis 1991, ce montant a été déterminé par sept lois de finances depuis 1991 , la dernière en date étant la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007.

De l'examen des revalorisations successives de l'UV, il ressort que cette unité de référence a progressé en euros courants, mais moins vite que l'inflation. Ainsi, le montant de l'UV en euros constants a régressé de - 5,8 % entre 1992 et 2007 .

3. Un barème de rétribution en voie d'obsolescence

L'impasse financière décrite par la profession d'avocat est concomitante d' une « usure » progressive du barème retenu pour calculer la rétribution des missions d'AJ.

Au-delà de la problématique de la revalorisation de l'UV, la question se pose, en effet, de la base de référence même de ce barème .

L'UV était à l'origine conçue comme représentative d'une demi-heure de travail de l'avocat. Or, cette correspondance semble avoir perdu de son sens au fil du temps. Au point que, désormais, l'UV ne peut plus que s'apparenter de très loin à la rétribution d'une demi-heure de travail de l'avocat . En réalité, cette référence pratique est désormais devenue largement théorique.

Un tel constat n'est pas sans incidence sur le décalage , vigoureusement critiqué par la profession d'avocat, entre le « point mort horaire » et la rétribution des missions à l'AJ.

4. Des lourdeurs administratives agissant comme autant de circonstances aggravantes

Les revendications des avocats en matière d'AJ, parfois même leur exaspération à l'égard du système en place, ne peuvent se comprendre sans un éclairage sur les difficultés et les lourdeurs administratives auxquelles ils sont confrontés dans l'accomplissement de leurs missions.

En la matière, votre rapporteur spécial n'aura pas la prétention de recenser ici toutes les « péripéties » rencontrées dans la conduite d'une mission d'AJ : les anecdotes qui lui ont été rapportées au cours des auditions qu'il a menées sont innombrables et d'inégale importance. Il souhaite à tout le moins relever les plus révélatrices et les plus emblématiques .

La principale difficulté à laquelle sont confrontés les avocats lors d'une mission d'AJ tient à une délivrance souvent tardive de l'attestation de fin de mission (AFM) .

L'attestation de fin de mission (AFM)

L'AFM est délivrée, par le greffier de la juridiction saisie, à l'avocat ayant assisté son client bénéficiaire de l'AJ. Elle mentionne la nature de la procédure, les diligences effectuées et le montant de la contribution de l'Etat à la mission de l'avocat. Une seule attestation, prenant en compte tous les événements survenus pendant le déroulement de l'instance civile ou pénale, est délivrée. Lorsque la mission est achevée avant la saisine du BAJ (cas notamment de l'urgence pénale), l'avocat commis d'office joint à la demande d'AJ l'AFM qui lui a été délivrée.

Cette attestation revêt un caractère essentiel pour l'avocat dans la mesure où le paiement qu'il va demander à la CARPA est subordonné à la transmission de cette pièce .

En matière d'assistance éducative, l'AFM est délivrée lorsque le juge des enfants rend le jugement sur le fond.

En 2006, le CNB a réalisé une consultation de la profession par l'intermédiaire d'un questionnaire 33 ( * ) . Ce « sondage », pour autant qu'il puisse être représentatif, met en lumière que le délai moyen de délivrance de l'AFM au greffier de la juridiction par l'avocat est de un mois. Toutefois, ce délai moyen cache manifestement de fortes disparités et 54 % des avocats ayant répondu au questionnaire du CNB ont fait part de difficultés pour obtenir les AFM . Il ressort de la même étude que, dans certains barreaux, le délai de délivrance peut aller parfois jusqu'à « trois, six ou neuf mois » 34 ( * ) . Souvent, dans de tels cas, les retards sont notamment imputables à un défaut de personnels de greffe affectés à ces tâches et / ou à des effectifs de greffe insuffisants.

Une fois l'AFM reçue, le délai de règlement des AJ varient, en outre, de quelques jours à plusieurs mois 35 ( * ) . Ce délai paraît fluctuer de manière aléatoire en fonction des barreaux.

En bout de chaîne, l'avocat ayant réalisée une mission à l'AJ doit, dans certains cas, patienter plusieurs mois, parfois même plusieurs années si le procès est particulièrement complexe et long, avant de se voir rétribué. Cet état de fait peut, on s'en doute, avoir de graves répercussions sur la trésorerie et la santé financière des cabinets, notamment dans le cas des petites structures effectuant un nombre important d'AJ.

C. UN RISQUE D'ASPHYXIE BUDGÉTAIRE

1. L'enveloppe budgétaire sous la menace d'un dérapage

Dans un contexte budgétaire tendu et sous la nécessité de respecter les règles qui s'imposent aux Etats membres de l'UE en matière de maîtrise des déficits et de la dette publique, les enjeux budgétaires de l'AJ se révèlent particulièrement importants.

L'évolution de l'enveloppe budgétaire consacrée à l'AJ entre 1991 et 2006 est présentée sur la page suivante.

L'analyse de cette évolution dans le temps met, tout d'abord, en évidence un bond des crédits alloués au financement de l'AJ entre 1991 et 1992 , date d'entrée en vigueur de la loi précitée du 10 juillet 1991. Cette hausse est, en effet, de + 114,3 % , la dépense (en euros courants) progressant de 61,14 millions d'euros en 1991 à 131,02 millions d'euros en 1992.

De 1992 à 2006 , cette dépense est ensuite passée de 131,02 millions d'euros à 300,41 millions d'euros, soit une augmentation de + 129,3 % .

Au total, sur la période 1991-2006, l'enveloppe des crédits consommés aura progressé de + 391,3 % .

En euros constants, c'est-à-dire après neutralisation de la variable que constitue l'inflation, cette tendance à la forte hausse est à peine moins marquée . Ainsi, l'augmentation de la dépense s'élève à + 109,3 % entre 1991 et 1992, + 82,9 % entre 1992 et 2006, et + 282,8 % entre 1991 et 2006.

La loi de finances pour 2007 36 ( * ) a ouvert une autorisation en crédits de paiement (CP) à hauteur de 328,7 millions d'euros et prévoit des autorisations d'engagement (AE) pour un montant total de 359,7 millions d'euros. Votre rapporteur spécial reviendra plus en détail ultérieurement ( cf. infra , partie II-C-4) sur la revalorisation de + 8 % , obtenue à l'occasion du débat budgétaire en 2007, de l'UV et donc de l'enveloppe budgétaire dédiée à l'AJ pour 2007.

Ainsi, rapportée aux crédits de la justice en France (6.271,1 millions d'euros de CP ouverts par le PLF pour 2007), la dépense de l'AJ représente, en 2007, 5,2 % de l'enveloppe budgétaire globale consacrée à la justice .

L'aide juridictionnelle dans le projet de loi de finances pour 2008

Le PLF pour 2008 prévoit une ouverture de crédits à hauteur de 318,1 millions d'euros en CP au titre de l'AJ (action n° 1 « Aide juridictionnelle » du programme n° 101 « Accès au droit et à la justice »).

Cette enveloppe budgétaire se situe ainsi en recul de - 3,2 % par rapport aux crédits ouverts pour 2007 , alors que le nombre d'admissions prévues pour 2008 (905.000) est identique à celui anticipé pour 2007 (Cf. projet annuel de performances de la mission « Justice » pour 2008).

Rapportée au total des ouvertures de crédits demandées au titre de la mission « Justice » pour 2008 (6.519,3 millions d'euros de CP), l'AJ représente 4,9 % de l'enveloppe budgétaire globale consacrée à la justice dans le PLF 2008.

Le poids relatif de l'AJ dans le budget de la justice et sa dynamique depuis 1991-1992 font de cette dépense une variable dont l'évolution est très préoccupante .

La maîtrise budgétaire du dispositif actuel est d'autant plus difficile que l'AJ, comme le rappelait votre rapporteur spécial dans son rapport sur les crédits de la mission « Justice » lors de la discussion du PLF pour 2007 37 ( * ) , peut s'analyser comme une dépense dont le justiciable est l'ordonnateur .

A cet égard, votre rapporteur spécial reprend volontiers à son compte l'expression utilisée par un magistrat, lors des auditions qu'il a menées, pour illustrer la situation actuelle : « le robinet coule... et on n'arrive pas à le fermer ! » 38 ( * ) .

2. La France dans une « moyenne basse » au regard du budget moyen consacré à l'aide juridictionnelle

Sous les observations précédentes, un élément de réflexion complémentaire peut être apporté par une comparaison internationale concernant le budget moyen consacré à l'AJ .

En France, la dépense unitaire moyenne pour une mission d'AJ se monte, en s'appuyant sur les données 2006 (904.532 admissions prononcées, 300,41 millions d'euros de crédits consommés), à 332,11 euros .

La Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) 39 ( * ) a réalisé une étude comparative en 2006 sur les systèmes judiciaires européens, en s'appuyant sur les données fournies par les Etats pour l'année 2004. Le résultat de cette étude du point de vue du montant moyen de l'aide judiciaire allouée par affaire est présenté dans le graphique suivant.

Le montant moyen de l'aide judiciaire allouée par affaire en 2004

(en euros)

* budget estimé ou calculé

Source : rapport sur les systèmes judiciaires européens, CEPEJ, Edition 2006

Quelques réserves méthodologiques doivent, certes, être apportées par votre rapporteur spécial concernant cette étude.

En effet, le montant unitaire moyen calculé pour une affaire relevant à l'AJ en France (350 euros) ne correspond pas exactement à l'estimation (329,32 euros) que votre rapporteur peut lui-même réaliser à partir des données à sa disposition et communiquées par la Chancellerie pour 2004 (831.754 admissions prononcées, 273,92 millions d'euros de crédits consommés).

En outre, ce résultat doit bien évidemment être interprété avec un certain recul en tenant compte des fortes spécificités de chaque pays en matière d'AJ, d'ailleurs soulignées par l'étude de la CEPEJ.

Toutefois, cette comparaison permet de dresser un tableau d'ensemble de l'AJ dans les pays membres du Conseil de l'Europe qui, dans les grandes lignes, n'est probablement guère éloigné de la réalité.

On constate ainsi que la France, au regard du budget moyen consacré à une affaire relevant de l'AJ, se situe plutôt dans une « moyenne basse » , devant le Danemark, le Portugal et la Belgique, mais loin derrière l'Islande, l'Angleterre et l'Irlande.

Le dilemme auquel elle est confrontée n'en est que plus compliqué à résoudre.

3. La nouvelle donne induite par la LOLF

Avec la mise en oeuvre de la LOLF, la physionomie de l'AJ a connu des modifications sensibles du point de vue budgétaire.

L'enveloppe consacrée à l'AJ relève désormais d'une action spécifique, l'action n° 1 « Aide juridictionnelle » , au sein du programme n° 101 « Accès au droit et à la justice » relevant de la mission « Justice ».

Par ailleurs, les crédits contenus dans cette enveloppe, qui étaient auparavant simplement évaluatifs, sont devenus limitatifs .

Le circuit de paiement de la dépense en a été modifié . Jusqu'au 31 décembre 2005, ces crédits (évaluatifs) étaient payés directement par le trésorier payeur général (TPG). Depuis le 1 er janvier 2006, la procédure de paiement de droit commun est appliquée. Celui-ci est effectué, après mandatement par le service administratif régional (SAR) de chaque cour d'appel, par le TPG près cette cour.

Un mode de gestion de la dépense renouvelé avec la mise en oeuvre de la LOLF

Le mode de gestion des crédits de l'AJ retenu par le ministère de la justice dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF se singularise par rapport aux autres programmes de la mission. Cette gestion s'effectue à trois niveaux distincts.

Un budget opérationnel de programme (BOP) central , placé sous la responsabilité du responsable du programme « Accès au droit et à la justice » (actuellement Mme Marielle Thuau, chef du SADJPV), est en charge de la gestion des dotations versées aux CARPA, de la dotation à la Caisse Nationale des Barreaux Français (droits de plaidoirie) et de la rétribution des avocats au Conseil d'Etat

Ainsi que l'indiquait l'annexe « Justice » du projet de loi de finances pour 2006, la complexité de l'analyse des données permettant de déterminer les dotations annuelles versées aux CARPA explique que la gestion de ces dépenses relève du BOP central. En effet, les dotations annuelles aux CARPA sont calculées à partir d'une prévision portant sur les missions achevées dans l'année et les missions engagées susceptibles de donner lieu au versement d'une provision. Elles tiennent compte également des reports résultant de la différence entre la dotation versée l'année précédente et la dotation liquidée. La liquidation de la dotation est prononcée à partir des bilans certifiés par un commissaire aux comptes.

Les autres dépenses (frais de procédure, rémunération des avoués de cour d'appel, des huissiers de justice, des notaires, des commissaires priseurs, des greffiers de tribunaux de commerce, des experts, des enquêteurs, des médiateurs, des interprètes et des traducteurs) , qui étaient jusqu'alors payées par les trésoreries générales sans ordonnancement ni engagement, sont désormais gérées par les SAR dans le cadre de BOP déconcentrés (un BOP par cour d'appel, placé sous la responsabilité des chefs de Cour).

Anticipant la mise en oeuvre de la LOLF, un protocole d'expérimentation de la gestion de l'AJ avait d'ailleurs été mis en place à la cour d'appel de Lyon en 2005, avec des résultats encourageants.

Enfin, le BOP de la Cour de cassation , placé sous la responsabilité du Premier Président de la Cour de cassation, regroupe la rétribution des avocats à la Cour de cassation et des huissiers.

Les conditions de délégation des crédits d'AJ aux CARPA ont également sensiblement évolué. Sous le régime de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, cette délégation de crédits s'opérait généralement courant mars / avril. Sous l'empire de la LOLF, elle intervient désormais plus tôt, dès janvier de chaque année.

Ce changement de calendrier n'est pas sans répercussions sur les conditions de gestion des CARPA. Ces caisses s'étaient constitué un fonds de roulement afin de subvenir aux échéances de règlement des AJ aux avocats en début d'exercice, avant la délégation de crédits. En outre, elles plaçaient leurs liquidités sur les marchés financiers afin que le produit de ces placements couvre leurs coûts de fonctionnement. Cette pratique est d'ailleurs toujours en vigueur aujourd'hui. Or, la mise en place de la LOLF s'accompagne d'un rythme de délégation plus proche de la réalité de la gestion de l'AJ au quotidien et d'une réduction des reports de dotation d'une année sur l'autre.

Dans cette perspective, deux questions se posent donc :

- qu'est devenu le fond de roulement des CARPA depuis la mise en oeuvre de la LOLF ?

- soumises désormais à des conditions de gestion plus « serrées », les CARPA parviendront-elles à couvrir désormais leurs coûts de fonctionnement ?

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, M. Pascal Clément, alors garde des Sceaux, ministre de la justice , s'était prononcé, en audition devant votre commission et en réponse à une question de votre président, M. Jean Arthuis, en faveur d'une « étude sur le niveau nécessaire du fonds de roulement » des CARPA 40 ( * ) .

A cet égard, votre rapporteur spécial se félicite que, à son initiative, votre commission ait demandé à la Cour des comptes, dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement prévue à l'article 58 - 2 de la LOLF, une enquête sur le fonctionnement et la gestion des CARPA.

Les conclusions de cette enquête, qui s'inscrit dans la continuité des relations très fructueuses entretenues par votre commission avec la Cour des comptes, permettront d'apporter un éclairage précieux sur, notamment, le devenir du fonds de roulement des CARPA ainsi que sur leurs charges de gestion.

Cette initiative paraît d'autant plus opportune à votre rapporteur spécial que le CNB lui-même, à l'occasion de la communication précitée de sa commission « Accès au droit et à la justice » en date du 24 octobre 2006, a souligné les difficultés de gestion des CARPA en la matière 41 ( * ) .

En s'appuyant sur les résultats du questionnaire adressé aux barreaux, le CNB évoque, dans cette même communication, des charges de gestion des CARPA, au regard de la dotation reçue au titre de l'AJ, variant entre 0,94 % et 6,18 % du montant de cette dotation. Il situe, en outre, les produits résultant du placement de cette dotation à un niveau compris entre 0,18 % et 1,30 % du montant de la dotation 42 ( * ) . La question se pose donc de la « soutenabilité financière » de cette gestion à moyen et long terme.

4. Un effort financier réalisé lors du projet de loi de finances pour 2007 méritoire, mais portant plus sur les symptômes que sur les causes de la crise

La discussion du projet de loi de finances pour 2007 a été l'occasion de clarifier les enjeux financiers de l'AJ tout en soulignant le risque d'impasse budgétaire à laquelle le système, en l'état, risque de se retrouver confronté.

A cet égard, votre rapporteur spécial considère que le débat parlementaire a pleinement joué son rôle et a fortement contribué à une nouvelle prise de conscience de la part de toutes les parties prenantes à ce mécanisme, s'il en était besoin .

Le projet de loi de finances pour 2007 déposé par le gouvernement devant le Parlement 43 ( * ) prévoyait initialement une majoration de l'AJ via une revalorisation de + 6 % du montant de l'UV. Cette revalorisation permettait de fixer le montant de la contribution de l'Etat à la rétribution de l'avocat à 22,09 euros (contre 20,84 euros depuis 2004).

Votre rapporteur spécial avait exprimé son doute quant au caractère suffisant de cette revalorisation 44 ( * ) , étant donnée la dynamique de croissance du nombre de demandes d'admission à l'AJ (+ 9,8 % en 2003, + 10 % en 2004 et + 6,6 % en 2005) et l'année de la dernière revalorisation de cette aide (2004).

Les crédits de paiement du programme « Accès au droit et à la justice » enregistrant un recul de 5,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances présenté initialement par le gouvernement, votre rapporteur spécial avait alors proposé à votre commission un amendement afin d'augmenter (par redéploiement de crédits), dans une proportion plus conforme aux besoins attendus, l'enveloppe consacrée à l'AJ .

L'amendement de la commission des finances du Sénat
au projet de loi de finances pour 2007

L'amendement proposé par votre rapporteur spécial lors de l'examen du PLF 2007 et adopté par votre commission est joint en annexe au présent rapport (annexe 5).

Après adoption par votre commission, il a été cosigné par notre collègue M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des Lois du Sénat pour les crédits du programme « Accès au droit et à la justice ».

Il a finalement été adopté par le Sénat, puis confirmé en seconde délibération et en commission mixte paritaire (CMP) .

Votre rapporteur spécial se félicite de l'adoption définitive de cet amendement qui aura été, au cours de la dernière discussion budgétaire, le plus « lourd financièrement » parmi tous ceux adoptés par le Sénat et confirmés en CMP .

Les crédits de paiement du programme « Accès au droit et à la justice » ont ainsi pu être maintenus à leur niveau de l'exercice 2006, soit 344,1 millions d'euros, et la hausse des crédits de + 5,7 millions d'euros a été affectée à l'enveloppe destinée au financement de l'AJ (action n° 1 « Aide juridictionnelle ») .

Il en a résulté une revalorisation de + 8 % de l'UV, celle-ci passant à 22,50 euros .

L'effort financier ainsi réalisé dans la loi de finances pour 2007 a été, certes, significatif, mais il n'en a, en définitive, permis qu' un « colmatage de brèche » à court terme .

Salué par la profession d'avocat comme un geste encourageant , il ne s'est toutefois pas attaqué à la source même du problème posé par l'AJ et a plus traité un symptôme que réglé la question de fond.

En outre, par son nécessaire « gage » financier 45 ( * ) , l'amendement adopté a eu des répercussions sur d'autres actions devant être engagées par le ministère de la justice .

En effet, l'augmentation de + 5,7 millions d'euros des AE et des CP du programme « Accès au droit et à la justice » a été compensée par une réduction de - 2 millions d'euros des AE et des CP consacrés, au sein du programme « Conduite et pilotage de la justice et organismes attachés » (action n° 4 « Gestion administrative commune »), aux dépenses informatiques hors grands projets (- 1 million d'euros pour le poste « Maintien de l'existant » 46 ( * ) et - 1 million d'euros sur le poste « Renouvellement des matériels » 47 ( * ) ) et d'une réduction de - 3,7 millions d'euros des AE et des CP consacrés, au sein du programme « Justice judiciaire » (action n° 6 « Soutien »), aux dépenses immobilières 48 ( * ) .

D. D'INSUFFISANTS « GARDE-FOUS »

Le système de l'AJ comporte un certains nombre de « garde-fous » permettant de tempérer les rigidités éventuelles du mécanisme et d'assurer la qualité de la défense accordée au justiciable bénéficiaire de l'AJ.

Ces dispositifs, qui reposent largement pour leur mise en oeuvre sur la responsabilisation des acteurs essentiels de l'AJ que sont les magistrats et les avocats, souffrent cependant en pratique de réelles insuffisances dans leur application .

1. Le « retour à meilleure fortune »

La mécanique de l'AJ permet le retrait du bénéfice de l'AJ dans le cas d'un « retour à meilleure fortune » une fois la décision judiciaire rendue et passée en force de chose jugée.

L'article 36 de la loi précitée du 10 juillet 1991 dispose que « lorsque la décision passée en force de chose jugée rendue au profit du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a procuré à celui-ci des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d'aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée, l'avocat désigné peut demander des honoraires à son client après que le bureau d'aide juridictionnelle a prononcé le retrait de l'aide juridictionnelle ».

Un tel cas de figure peut, par exemple, se présenter lorsqu'un jugement de divorce prononcé a accordé au conjoint bénéficiaire de l'AJ une prestation compensatoire ou a procédé à la liquidation de la communauté.

Ce « retour à meilleure fortune » s'entend également au sens large, c'est-à-dire dans le cas où une modification substantielle des ressources du bénéficiaire de l'AJ est intervenue à la hausse en cours d'instance.

Ainsi, l'article 50 de la loi précitée du 10 juillet 1991 prévoit que le bénéfice de l'AJ peut être retiré, en tout ou partie, « s'il survient au bénéficiaire, pendant cette instance ou l'accomplissement de ces actes, des ressources telles que si elles avaient existé au jour de la demande d'aide juridictionnelle, celle-ci n'aurait pas été accordée ».

En pratique, le recours à ces deux dispositifs, dits « article 36 » et « article 50 », paraît toutefois assez limité . Leur application se heurte, en effet, à un certain nombre d'obstacles.

Tout d'abord, la mise en oeuvre du retrait du bénéfice de l'AJ au titre de l'article 36 suppose la transmission, par le tribunal, de la décision rendue au BAJ . Or, cette transmission n'est pas systématique, en dépit notamment du rappel effectué, dans le cadre de la mise en application de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, par la circulaire NOR JUS J0590001C du 12 janvier 2005. En l'absence de transmission, le BAJ n'est pas informé des ressources nouvelles du bénéficiaire de l'AJ suite à la décision de justice rendue.

En outre, l'appréciation par le BAJ de l'évolution de la situation financière des parties en cours d'instance se révèle particulièrement difficile. L'article 50 est donc d'application mal aisée et reste, dans les faits, assez peu invoqué.

2. Le recouvrement sur l'adversaire du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle

La mécanique de l'AJ, définie par la loi précitée du 10 juillet 1991, comporte également un dispositif de recouvrement sur l'adversaire du bénéficiaire de l'AJ, en cas de succès de ce dernier en justice et si son adversaire ne bénéficie pas lui-même de l'AJ .

Ce recouvrement peut intervenir sur l'initiative soit de l'avocat (et des auxiliaires de justice), soit, d'office, de l'Etat.

L'article 37 de la loi précitée du 10 juillet 1991 prévoit, en son premier alinéa, que « les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre ».

Son deuxième alinéa ajoute que « en toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès , et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide ».

Si le juge fait droit à sa demande, l'avocat dispose alors d'un délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée pour recouvrer la somme qui lui a été allouée.

S'il recouvre cette somme, l'avocat renonce à percevoir le montant de l'AJ versé par l'Etat . S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de ce montant.

Au total, l'avocat voulant recouvrer ses honoraires et ses frais sur l'adversaire de son client doit donc présenter des conclusions dans ce sens au juge qui se prononcera sur cette demande.

En pratique, l'avocat fait cependant assez peu fréquemment ce choix . En effet, il redoute souvent une application trop parcimonieuse de cette disposition par le juge et ne veut pas courir le risque de se voir octroyer une somme trop faible au regard du coût de sa mission. En outre, il craint de ne pas pouvoir recouvrer in fine la somme allouée par le juge auprès de l'adversaire de son client.

Ces freins le conduisent, dans la plupart des cas, à préférer le paiement par l'AJ .

L'article 43 de la loi précitée du 10 juillet 1991 prévoit, quant à lui, que « lorsque la partie condamnée aux dépens ou la partie perdante ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle, elle est tenue de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat, à l'exclusion des frais de justice criminelle, correctionnelle ou de police . Toutefois, pour des considérations tirées de l'équité ou de la situation économique de cette partie, le juge peut la dispenser totalement ou partiellement de ce remboursement ».

Malgré une sensibilisation accrue des acteurs de ce recouvrement au cours des dernières années, les montants recouvrés au titre de l'article 43 apparaissent cependant très insuffisants . En 2004 et 2005, ils n'ont représenté que, respectivement, 11,4 millions d'euros et 11,5 millions d'euros, pour un montant théorique maximal estimé à 20 millions d'euros 49 ( * ) .

Parmi les raisons invoquées par les juridictions pour expliquer ce faible niveau de recouvrement, l'insuffisance des effectifs dédiés à cette tâche est avancée, tout comme le manque de temps lié à la nécessité d'accorder la priorité à d'autres missions et la lourdeur de la procédure 50 ( * ) . Ainsi, en 2005, près de 30 % des TGI n'ont émis aucun titre de recette pour actionner ce recouvrement 51 ( * ) ( cf. infra , partie III-E).

3. Les protocoles de qualité de la défense, dits « protocoles de l'article 91 »

En vue de l'amélioration de la défense pénale (intervention de l'avocat au cours de la garde à vue, médiation ou composition pénale) dans le cadre de l'AJ, certains barreaux se sont dotés de protocoles, en accord avec la juridiction, portant sur les permanences organisées par le barreau, les formations dispensées aux avocats en charge de cette défense et la coordination de ce dispositif .

De tels protocoles sont prévus par l'article 91 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi précitée du 10 juillet 1991.

Dans ce cadre, les rétributions allouées pour les missions d'AJ en matière pénale peuvent être majorées , au sein de ces barreaux, jusqu'à 20 % 52 ( * ) . Ces protocoles ont vocation à être renouvelés tous les trois ans et comprennent des objectifs assortis de procédures d'évaluation.

En 2005, la dépense résultant de ces protocoles s'est élevée à 5,3 millions d'euros et est budgétée à hauteur de 6,4 millions d'euros pour 2007 53 ( * ) .

Votre rapporteur spécial ne peut que se féliciter de la mise en place de tels protocoles qui permettent d'accroître les garanties du justiciable dans le domaine de la défense pénale d'urgence . L'outil qu'ils représentent contribue à accompagner efficacement le développement du traitement en temps réel des affaires et l'accélération du déroulement des procédures pénales.

Toutefois, ces accords sont loin de concerner une majorité de barreaux. Seuls 39 barreaux se sont dotés d'un « protocole article 91 » , soit une proportion de 21,5 % des barreaux, et 6 nouveaux protocoles donneront lieu à paiement en 2007 54 ( * ) .

En outre, selon le CNB 55 ( * ) , « la situation des barreaux dotés de protocoles est assez préoccupante pour la plupart ». Sont ainsi notamment évoquées des difficultés liées aux coûts de fonctionnement de ces protocoles non totalement couverts par la majoration de la dotation, à l'absence de tableaux de bords suffisamment précis et réguliers pour suivre la mise en oeuvre de ces protocoles, à la multiplication des exigences en cas de renouvellement desdits protocoles, ainsi qu'à la complexité des documents à rédiger, à compléter et à fournir pour les créer et les faire vivre.

Afin d'apporter aux chefs de juridiction et aux barreaux un ensemble de réponses pratiques aux divers problèmes rencontrés lors de l'élaboration de ces protocoles, de leur exécution ou de leur renouvellement, la Chancellerie diffuse, depuis le 30 janvier 2007, un guide méthodologique , via notamment l'intranet du SADJPV.

4. L'encadrement plus rigoureux du dispositif de l'aide juridictionnelle : les circulaires de 2005

Afin de contribuer à une meilleure maîtrise du dispositif de l'AJ, la Chancellerie a souhaité encadrer plus rigoureusement la pratique de l'admission à l'AJ par le biais de deux circulaires en 2005.

D'une part, la circulaire du 12 janvier 2005 56 ( * ) relative à la mise en oeuvre de la réforme du divorce a souligné la nécessité de prendre en compte tout changement dans la situation financière du bénéficiaire de l'AJ en cours de procédure (reprise d'activité, versement d'une prestation compensatoire).

D'autre part, la circulaire du 25 février 2005 57 ( * ) relative à l'enregistrement et à l'instruction des demandes d'AJ par les BAJ a rappelé que la commission ou la désignation d'office n'avait ni pour objet ni pour effet d'entraîner l'octroi automatique du bénéfice de ce dispositif. Elle a, en outre, précisé que l'avocat commis d'office doit convenir des honoraires qu'il réclamera à la personne qu'il assiste, dès lors que celle-ci dispose de ressources supérieures au plafond pour l'obtention de l'AJ.

Toutefois, la profession d'avocat a exprimé un point de vue critique sur ces deux textes 58 ( * ) . En particulier, les avocats ont regretté, à cette occasion, que ces circulaires aient été élaborées sans concertation. Ils ont, en outre, souligné qu'en cas de retour à meilleure fortune de son client, l'avocat n'a bien souvent aucune garantie de recouvrer ses honoraires. Enfin, ils ont exprimé leurs craintes que ces dispositions ne les placent dans une situation délicate au regard des principes déontologiques de la profession, dès lors qu'ils auraient à « dénoncer » au BAJ un client qui connaîtrait un retour à meilleure fortune.

III. UNE RÉFORME CENTRÉE SUR LES PRINCIPES DE TRANSPARENCE ET DE RESPONSABILISATION

Si le diagnostic portant sur les limites atteintes par le système actuel de l'AJ est largement partagé, les « remèdes proposés » varient considérablement selon les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial au cours de sa mission . Les solutions proposées sont en fait souvent, et de façon frappante, fonction du point de vue de celui qui les avance.

Une piste de réforme relativement évidente et simple, pour ne pas dire simpliste, serait naturellement de réviser à la baisse les plafonds de ressources conditionnant l'aide apportée par l'Etat au justiciable . L'économie pour le budget de l'Etat serait alors immédiate, du fait de l'abaissement mécanique du nombre de bénéficiaires.

Pour autant, votre rapporteur spécial ne privilégie pas cette baisse, dans la mesure où cette solution de facilité remettrait en cause le « contrat social » noué autour de l'AJ depuis maintenant près de 16 ans . Il a, en effet, constaté au cours de sa mission de contrôle qu'un consensus clair se dégage aujourd'hui tant sur la philosophie du système, à laquelle chacun est attaché, que sur le niveau des plafonds. La baisse des plafonds de ressources, qui ne pourraient en tout état de cause qu'être ajustés à la marge, serait perçue comme la soumission pure et simple de l'AJ à une logique budgétaire.

Votre rapporteur spécial estime au contraire que la réflexion à mener en matière de réforme de l'AJ doit être conduite « version grand angle », par une « investigation à 360° » des solutions envisageables .

Il lui apparaît notamment essentiel que cette réforme soit accomplie en s'appuyant sur deux principes fondamentaux : la transparence du système et la responsabilisation des acteurs de l'AJ .

A. LA RÉFORME DE L'ASSURANCE DE PROTECTION JURIDIQUE : UNE AVANCÉE IMPORTANTE MAIS NE RÉPONDANT QU'INDIRECTEMENT À LA PROBLÉMATIQUE DE L'AIDE JURDICTIONNELLE

1. Le principe de l'assurance juridique

L'assurance de protection juridique est un des moyens privilégiés d'accès à la justice . Son régime est défini par les articles L. 127-1 et suivants du code des assurances et procède, notamment, de la transposition de la directive n° 87/344/CEE du Conseil des Communautés européennes du 22 juin 1987 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance de protection juridique 59 ( * ) .

L'assurance de protection juridique se définit comme une garantie de protection juridique permettant la prise en charge, en cas de litige, des frais de procédure ou la prestation de services en vue de permettre la défense de l'assuré partie à un procès ou confronté à une réclamation, ou le règlement amiable de son différend. Le contrat d'assurance de protection juridique met à la disposition des assurés une large palette d'instruments : information, conseil juridique ou encore prise en charge des honoraires de l'avocat.

Ce dispositif de protection se diffuse progressivement depuis le début des années 90 et a rencontré, au cours des dernières années, un succès réel auprès des particuliers et des entreprises . Ainsi, les cotisations relatives à ces contrats ont progressé de plus de 8 % par an depuis cinq ans 60 ( * ) .

L'assurance de protection juridique présente des avantages indéniables au regard de l'accès au droit et à la justice . D'une part, l'assureur joue un rôle déterminant en phase amiable en favorisant le règlement rapide des différends grâce à l'appui de plateaux techniques téléphoniques performants. D'autre part, à l'instar d'autres pays européens 61 ( * ) , l'assurance de protection juridique peut constituer un utile relais à l'AJ.

2. La réforme de l'assurance de protection juridique grâce à la loi n° 2007-210 du 19 février 2007

La loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l'assurance de protection juridique a été adoptée sur proposition de loi conjointe de notre collègue Pierre Jarlier et plusieurs de ses collègues relative aux contrats d'assurance de protection juridique 62 ( * ) et de notre collègue François Zocchetto visant à réformer l'assurance de protection juridique 63 ( * ) .

Elle a permis de répondre à une situation de blocage relatif dont souffrait ce dispositif, en apportant des aménagements limités au régime de l'assurance de protection juridique, principalement pour clarifier les relations entre les assureurs et les avocats.

En effet, ainsi que l'a décrit notre collègue Yves Détraigne dans son rapport sur les deux propositions de loi précitées 64 ( * ) , l'assurance de protection juridique souffrait d'un manque de lisibilité et de transparence de ses contrats pour les assurés . En particulier, beaucoup d'entre eux ignorent qu'ils détiennent une telle protection juridique, celle-ci étant le plus souvent souscrite en contrat accessoire à un contrat support (multirisques habitation, par exemple). En outre, lorsqu'ils en ont connaissance, ils ignorent souvent le contenu des prestations et l'étendue de la garantie à laquelle ils ont droit.

Par ailleurs, comme le décrivait notre collègue Yves Détraigne dans son rapport précité, les avocats apparaissaient comme des acteurs marginalisés dans l'exercice de leurs missions au titre de l'assurance de protection juridique, notamment en cas de règlement du litige à l'amiable. Le marché de l'assurance de protection juridique courrait, en outre, le risque d'être « confisqué » par quelques professionnels liés aux réseaux des assureurs 65 ( * ) , avec des tarifs prédéterminés par les assureurs 66 ( * ) .

Enfin, notre collègue Yves Détraigne, reprenant les conclusions de la commission des clauses abusives 67 ( * ) , déplorait « certains comportements des compagnies d'assurance tendant à opposer, trop facilement, à l'assuré, la déchéance de sa garantie de protection juridique ».

La réforme adoptée par la loi du 19 février 2007 précitée a permis d'apporter des solutions réalistes à ces points de blocage et d'assurer une meilleure compatibilité entre l'exercice du métier d'avocat et les pratiques professionnelles des assurances 68 ( * ) .

3. Un impact encore difficile à mesurer sur l'aide juridictionnelle mais, a priori, limité

La loi du 19 février 2007 précitée pose le principe de subsidiarité de l'AJ par rapport à l'assurance de protection juridique . Aux termes de son article 5, l'AJ n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection 69 ( * ) .

Ainsi que le relevait l'étude de législation comparée du Sénat n° 137 de juillet 2004, ce principe de subsidiarité est assez fréquent au sein des systèmes d'accès au droit parmi nos voisins européens.

Il renvoie à une logique claire : le justiciable qui a fait l'effort financier de régler une prime doit d'abord solliciter sa compagnie d'assurance avant de solliciter la solidarité nationale , quand bien même serait-il éligible à l'AJ.

Ce principe, pour être correctement mis en oeuvre, suppose toutefois en pratique un engagement de l'avocat , qui se doit de vérifier si son client est assuré lorsqu'il se voit confier une nouvelle affaire. Le client peut, en effet, ne pas avoir le réflexe de le vérifier par lui-même ou, tout simplement, être ignorant de la garantie dont il bénéficie. Le niveau des seuils de rémunération prévus par les contrats d'assurance de protection juridique, supérieurs à ceux de l'AJ, devraient d'ailleurs inciter l'avocat à cette précaution préalable.

Pour autant, l'impact de cette réforme de l'assurance de protection juridique sera probablement limité sur le nombre d'admissions à l'AJ et, partant, sur le budget de ce système d'aide.

En effet, ces contrats d'assurance ne couvrent jamais la matière pénale , sauf éventuellement les délits non-intentionnels.

En outre, ils ne couvrent que rarement le champ du droit de la famille . Or, ces deux secteurs du droit représentent les plus forts contingents d'admission à l'AJ ( cf. supra , partie II-A-4).

Votre rapporteur spécial estime qu'il est encore trop tôt pour pouvoir tirer un bilan de cette réforme, même s'il considère que l'assurance de protection juridique constitue plus un complément ou un relais à l'AJ qu'un véritable substitut . A cet égard, votre rapporteur spécial renvoit à l'analyse réalisée par notre collègue Yves Détraigne dans son rapport précité, analyse qui demeure toujours valable quelques mois plus tard.

L'assurance de protection juridique : complément ou substitut à l'AJ ?

Rapport n° 160 (2006-2007) de Yves Détraigne sur les propositions de loi n° 85 (2006-2007) de Pierre Jarlier et plusieurs de ses collègues relative aux contrats d'assurance de protection juridique et n° 86 (2006-2007) de François Zocchetto visant à réformer l'assurance de protection juridique.

« (...) Dans ce contexte, l'assurance de protection juridique pourrait donc relayer utilement l'effort consenti par l'Etat. Comme l'a souligné M. Bernard Cerveau, président de l'association des juristes d'assurance et de réassurance, entendu par votre rapporteur, si l'on considère que le barème proposé pour l'accès à l'aide totale couvrirait un peu plus de 40 % des ménages, ceci signifie que 60 % d'entre eux constituent la base de développement pour les assureurs de protection juridique.

Ce dispositif s'adresse en effet principalement à des citoyens ayant des ressources supérieures aux plafonds d'aide juridictionnelle (du moins s'agissant du plafond fixé pour le bénéfice de l'aide totale) mais insuffisantes pour avoir recours habituellement aux services d'un avocat pour la gestion de leurs affaires .

Toutefois, la mise en place d'un système d'accès à la justice fondé, en fonction du niveau de revenu, sur l'aide juridictionnelle relayée par l'assurance de protection juridique appelle deux évolutions indispensables : l'élargissement de l'étendue des garanties de protection juridique et le développement plus conséquent de l'assurance de protection juridique dont, malgré son dynamisme, la diffusion est encore limitée.

Comme l'avait relevé en 2001 la commission de l'accès au droit et à la justice, « à l'heure actuelle [le] champ [de l'assurance de protection juridique] ne permet pas d'y voir une alternative à l'aide juridictionnelle. En effet, tant la matière pénale que le contentieux familial et notamment le divorce, sont très mal couverts par la protection juridique. » Ce constat vaut encore aujourd'hui, le champ de la garantie n'incluant généralement pas, ou sous des conditions extrêmement restrictives, ces deux matières.

Actuellement, le nombre de procès pris en charge par les assureurs s'établit à environ 50.000 affaires, soit à peine 2 % des affaires nouvelles portées devant les juridictions françaises. Sont principalement concernées des affaires en droit de la consommation, ce qui ne représente qu'une infime partie des contentieux portés devant les juridictions qui touchent toutes les branches du droit.

Ces chiffres démontrent que les champs de l'aide juridictionnelle et de l'assurance de protection juridique se recoupent encore peu . ».

B. L'ACTION DE GROUPE : UNE PISTE NE LAISSANT ESPÉRER QUE DES GAINS ASSEZ RÉDUITS

1. Le principe des actions de groupe ou « class actions »

Le principe des actions de groupe, encore appelées « class actions », repose sur la possibilité offerte à plusieurs plaignants de se regrouper pour faire valoir collectivement des droits à dommages et intérêts à l'encontre d'une seule et même personne présumée être l'auteur d'un ou plusieurs préjudices subis par chacun d'entre eux.

Une telle procédure est fréquemment envisagée afin de renforcer les droits des consommateurs , qui n'ont souvent qu'un intérêt financier très limité à agir individuellement en justice concernant des litiges portant sur des dommages d'un faible montant.

Elle trouve son origine et son inspiration dans le modèle de droit anglo-saxon où elle est largement développée. Ainsi, les Etats-Unis ont introduit les « class actions » en 1966 dans leur législation fédérale, et le Canada connaît également ce type d'action.

L'action de groupe rencontre un certain engouement en Europe depuis le début des années 1990. La Suède, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni se sont dotés de ce type de procédure, avec des particularismes marqués selon les systèmes juridiques concernés. Un des principaux facteurs de différenciation réside en particulier dans certaines spécificités procédurales et dans l'option de représentation (« opt in » ou « opt out ») des plaignants.

Pour l'heure, le droit français ne connaît pas d'action de groupe . Toutefois, diverses dispositions législatives autorisent d'ores et déjà des actions ayant un objet proche.

Ainsi, les associations de consommateurs agréées peuvent exercer des actions dans l'intérêt collectif des consommateurs dans le cadre de l'action civile ou pour faire cesser des agissements illicites. Elles peuvent également intervenir dans le cadre d'actions en réparation aux fins d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi par l'intérêt collectif des consommateurs . Cependant, ces actions ont des effets limités pour les consommateurs individuels , puisqu'elles ne permettent d'assurer que la réparation du préjudice subi collectivement par les consommateurs et non celle du préjudice subi par chacun d'eux 70 ( * ) .

En dehors du droit de la consommation , certaines dispositions particulières assurent l'exercice d'actions en réparation pour le compte d'une pluralité de victimes. Tel est le cas, en particulier, des actions exercées par les associations agréées de protection de l'environnement 71 ( * ) , par les associations de santé agréées 72 ( * ) ou par les associations de défense des investisseurs 73 ( * ) .

2. Des publics distincts : les contentieux de masse pour les actions de groupe, les situations individuelles pour l'aide juridictionnelle

L'action de groupe est présentée par certains comme un moyen de parvenir à mieux réguler les flux d'admissions à l'AJ . Le raisonnement sous-tendu ici s'appuie sur l'espoir que nombre d'affaires relevant actuellement de l'AJ puissent « basculer » sur les « class actions » engagées. Ainsi, M. Paul Bouchet, dans son rapport précité, considérait-il que « la technique de l'action de groupe mériterait d'être développée et étendue à d'autres secteurs du droit (droit du logement, droit administratif...) ». Il précisait qu'elle « s'avère extrêmement intéressante dans tous les cas où la plupart des intéressés renonceraient à faire valoir leurs droits, en raison du coût ou de la complexité de la procédure juridictionnelle ».

L'effet attendu de l'introduction d'une telle novation au sein du système juridique français sur les demandes d'admission à l'AJ dépendrait naturellement, notamment, du champ couvert par le dispositif adopté : droit de la consommation, droit de l'environnement, droit de la santé, droit administratif...

Pour autant, votre rapporteur spécial estime que le développement des actions de groupe en droit français n'aurait qu'un impact très limité sur l'évolution des demandes d'AJ .

D'une part, l'action de groupe présente les mêmes limites que l'assurance de protection juridique au regard de la matière pénale . Les « class actions » n'auraient évidemment aucun effet sur le stock d'affaires au pénal relevant de l'AJ.

D'autre part, l'action de groupe a vocation à traiter des contentieux de masse, alors que l'AJ concerne plutôt des situations individuelles : divorce, mineurs...

Aussi, tout laisse à penser que l'instauration de « class actions » en droit français aurait, outre les interrogations que cette procédure soulève au regard de notre tradition processuelle 74 ( * ) , un impact inférieur à celui de la récente réforme de l'assurance de protection juridique en termes d'effet sur les effectifs de justiciables à l'AJ.

C. DE LA RÉTRIBUTION DE L'AVOCAT À SA RÉMUNÉRATION : LE « BARÊME HORAIRES »

1. Une refonte d'ensemble du barème pour mieux assurer la rémunération de l'avocat

Entre rétribution et rémunération, le débat récurrent autour de la question de l'indemnisation de l'avocat participant au bon fonctionnement de l'AJ n'est pas que sémantique. Il recouvre un véritable enjeu : l'appréciation à sa juste valeur de la prestation de l'avocat auprès du bénéficiaire de l'AJ.

Alors que la loi de 1991 parle de « rétribution » en faveur des avocats et des auxiliaires de justice, le protocole d'accord conclu le 18 décembre 2000 entre le garde des Sceaux, ministre de la justice, et les organisations professionnelles d'avocats arrête « le principe de la rémunération des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle ». Votre rapporteur spécial joint en annexe au présent rapport ce protocole (cf. annexe 6).

Votre rapporteur spécial approuve le principe d'une rémunération des avocats et souhaite que le nouveau dispositif permette de corriger le caractère désormais largement daté, si ce n'est dépassé, du barème actuel permettant l'indemnisation des avocats ( cf. supra , partie II-B-3).

La modernisation du barème a, par ailleurs, pour conséquence de rendre pour ainsi dire secondaire la problématique de la revalorisation de l'UV qui a trop longtemps cristallisé les mécontentements. En effet, dans le cadre d' une refonte d'ensemble du barème , le montant de l'UV correspond surtout à une variable d'ajustement au sein d'une équation plus globale. En devenant plus générale, la réflexion s'écarte aussi des considérations de court terme qui masquent, en définitive, les enjeux les plus décisifs.

2. Une grille de rémunération plus transparente : le « barème horaires »

Le barème actuel repose sur un principe devant être maintenu : un forfait selon le type de procédure . Cependant ce forfait doit être beaucoup mieux adapté qu'aujourd'hui à la réalité du travail accompli par l'avocat afin de permettre sa juste rémunération.

Dans ce but, deux leviers doivent être pris en considération :

- le coût horaire de la prestation de l'avocat ;

- le temps passé par type de mission.

L'objectif poursuivi est de parvenir à l'établissement d' un « barème horaires », principe sur lequel les « Assises de l'accès au droit et de l'aide juridictionnelle » organisées par la Chancellerie le 30 janvier 2007 ont, semble-t-il, permis de dégager un certain consensus.

Le coût horaire , tout d'abord, doit intégrer à la fois la rémunération de la prestation intellectuelle de l'avocat et la couverture de ses frais.

La base de rémunération de la prestation intellectuelle pourrait, dans un tel système, prendre pour référence la rémunération nette d'un magistrat. Ce principe avait d'ailleurs déjà été retenu par M. Paul Bouchet dans son rapport précité et recueille l'assentiment du CNB 75 ( * ) . Cette base de référence pourrait, en outre, être modulée selon l'ancienneté de l'avocat.

Une fois cette base définie, il conviendrait ensuite de déterminer le nombre d'heures à retenir pour en déduire la rémunération horaire. A titre d'exemple, M. Paul Bouchet évoquait dans son rapport un quantum de 1.200 heures facturables par an, compte tenu de l'impossibilité de facturer au client la perte de temps lié au traitement judiciaire de l'affaire (attente, renvoi...) et de la nécessité de prendre en considération le temps consacré à des activités de formation et de gestion du cabinet qui ne peut être affecté à un dossier. Cette base du nombre d'heures à retenir devra, en tout état de cause, s'appuyer sur des données rendant compte objectivement de l'activité des cabinets pour garantir la fidélité du mode de calcul à la réalité du travail accompli.

L'appréciation des frais à retenir dans le calcul du coût horaire est plus complexe. Certains peuvent se mesurer relativement aisément, en particulier les cotisations sociales de l'avocat, la cotisation à son Ordre, les assurances ainsi que la taxe professionnelle. D'autres, en revanche, sont plus difficiles à estimer. Il s'agit, notamment, des frais d'équipement en matériel informatique et de documentation, ou des dépenses de loyer (qui varient fortement selon le lieu d'implantation du cabinet).

Une fois encore à titre d'exemple, le rapport Bouchet proposait de retenir comme référence le taux de charge médian des cabinets dont au moins 25 % du chiffre d'affaires provient de l'AJ . Il conviendrait toutefois de pondérer ce taux de charge par un coefficient incorporant les disparités régionales, liées au coût des loyers notamment.

L'évolution du tarif horaire , garante du maintien du niveau de rémunération dans le temps face aux divers phénomènes d'érosion, serait dans ce dispositif assurée par l'évolution de la rémunération nette d'un magistrat. En matière de charges, la référence pour la prise en compte des frais pourrait être indexée sur l'indice des prix.

Avec la détermination du coût horaire, l'appréciation du temps passé selon le type de mission constitue la seconde variable clef dans l'élaboration du « barème horaires ». Elle devra naturellement procéder d'une étroite concertation avec la profession d'avocat afin de garantir la viabilité du système et son acceptation par toutes les parties prenantes.

Votre rapporteur spécial considère que le « barème horaires » ainsi défini répond non seulement à la nécessité d'une rémunération plus juste et réaliste de l'avocat, mais aussi à un impératif de transparence, dont le dispositif actuel s'est progressivement éloigné .

3. Une politique de protocoles et de conventions d'honoraires plus responsabilisante

La mise en place du « barème horaires » doit s'accompagner d' une politique active de développement des protocoles de qualité de la défense , dits « protocoles de l'article 91 » ( cf. supra , partie II-D-3).

En effet, ainsi que votre rapporteur spécial le soulignait, seuls 39 barreaux se sont dotés d'un tel protocole , soit une proportion encore trop faible de 21,5 % des barreaux, et 6 autres sont en cours de mise en place.

L'instauration du « barème horaires » doit être l'occasion d'impulser une nouvelle dynamique en la matière auprès des barreaux et des juridictions avec, éventuellement, l'extension de ces protocoles à la matière civile , afin de garantir encore plus largement la qualité de la prestation dont profite le bénéficiaire de l'AJ. Une telle extension est d'ailleurs déjà envisagée par la profession d'avocat 76 ( * ) .

L'entrée en vigueur de ces engagements de disponibilité et de qualité pourrait, en outre, donner lieu à une modulation plus incitative des tarifs horaires prévus par le nouveau barème mis en place.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial estime nécessaire de systématiser la conclusion d'une convention entre l'avocat et le bénéficiaire de l'AJ, en vue d'une plus grande responsabilisation de part et d'autre . Le contenu de cette convention pourrait être défini par le législateur et / ou négocié entre la Chancellerie et la profession d'avocat.

Ce document comporterait, notamment, les droits et les obligations de chacune des deux parties et indiquerait le montant de la rémunération versée par l'Etat à l'avocat pour l'affaire traitée.

Cette convention rappellerait également la possibilité du retrait de l'AJ en cas de « retour à meilleure fortune » afin d'insister plus encore sur ce point essentiel auprès du bénéficiaire de l'aide.

Sur ce dernier point, l'instauration d'une telle convention pourrait, en outre, s'accompagner d' une simplification de la procédure de retrait de l'AJ , dès lors que le principe en serait clairement exposé au justiciable. Dans les cas manifestes où la décision de retrait s'imposerait, l'initiative pourrait alors découler de l'accord entre le bénéficiaire et son avocat ou être confiée au bâtonnier de l'Ordre. Une telle proposition est avancée par la profession d'avocat 77 ( * ) et s'inscrirait dans une certaine continuité avec le rôle du bâtonnier, par ailleurs garant de la modération des honoraires des avocats relevant de son Ordre.

D. LA FIN DE L'INÉGALITÉ CHOQUANTE DES AVOCATS DEVANT LES CHARGES DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

1. Une profession « à deux vitesses » au regard de la contribution au fonctionnement de l'aide juridictionnelle

Un rapide retour en arrière est nécessaire pour remettre en perspective la philosophie du système de l'AJ et ses dysfonctionnements actuels.

L'AJ est, en effet, l'héritière d'une pratique relevant tout à la fois de la charité et du devoir de solidarité envers les plus démunis . Tel était, notamment, l'inspiration du législateur en 1851 instaurant une protection juridique afin de garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice. Ce souci était partagé par l'avocat, conscient de son rôle en la matière.

Le vocabulaire juridique a d'ailleurs forgé une expression rendant compte de cet esprit doublé d'une pratique : le « pro bono » . Ce terme, signifiant littéralement « pour le bien public », traduit la démarche de l'avocat consacrant volontairement une partie de son temps, gratuitement ou pour des honoraires modiques, à faire reconnaître ou protéger les droits de personnes défavorisées, à fournir des services juridiques afin d'aider des organisations représentant les intérêts de membres démunis de la collectivité ou à améliorer les lois ou le système de justice.

Cette oeuvre collective de défense des plus démunis a toutefois eu tendance à se déliter au fil du temps pour en laisser finalement peser la charge à un nombre limité d'avocats.

Ainsi que le soulignait votre rapporteur spécial ( cf. supra , partie II-B-1), tous les avocats ne contribuent pas aujourd'hui au fonctionnement de l'AJ . Sur les 47.798 répartis sur le territoire, seuls 22.466 avocats ont exercé au moins une mission d'AJ en 2005, soit un peu moins de un sur deux (47 %). Une concentration probablement excessive est même en cours, dès lors que 9,4 % des avocats (soit 4.492 avocats) assurent 64 % des missions d'AJ.

Cette rupture de l'égalité des charges au regard de ce service public qu'est en réalité l'AJ pèse sur l'ensemble de la profession d'avocat . Elle explique certains des dysfonctionnements actuels et des récriminations formulées par la profession. Ainsi en va-t-il, par exemple, du cas des avocats refusant, ponctuellement ou systématiquement les missions à l'AJ 78 ( * ) , dans la mesure où un tel investissement remettrait en cause la rentabilité et, parfois même, la survie de leur cabinet. Parallèlement et assez paradoxalement, du côté des pouvoirs publics, un soupçon peut également s'insinuer quant à la nature de la contribution de l'AJ à la rentabilité financière de certains cabinets. Il n'est, en effet, pas rare d'entendre que certains d'entre eux « ne vivent que de l'AJ » 79 ( * ) .

Au total, votre rapporteur spécial regrette cette trop grande disparité au sein de la profession d'avocat dans le cadre de la mise en oeuvre de l'AJ et estime nécessaire une plus juste répartition de la charge .

2. Une répartition plus équitable de la charge entre les avocats : le système « participation temps » / « participation financière »

Face aux difficultés auxquelles est aujourd'hui confronté le système de l'AJ, une piste de réflexion est parfois évoquée qui consisterait à réserver purement et simplement les missions à l'AJ à des avocats rémunérés à cet effet. La solution ici proposée est couramment appelée, par la profession, « l'internat pénal » et aurait pour conséquence pratique de créer, en quelque sorte, un sous-groupe d'avocats spécialistes de l'AJ.

Votre rapporteur spécial n'est pas favorable à cette perspective , dès lors qu'elle n'apporterait aucune réponse significative à la question financière posée actuellement par l'AJ. L'internat pénal ne ferait, en effet, que déplacer le problème sur un sous-groupe clairement identifié, mais confronté aux mêmes difficultés...

Par ailleurs, l'internat pénal pourrait présenter, à terme, le risque d'une « fonctionnarisation » de certains avocats , ce qui ne paraît conforme ni à l'esprit de cette profession, ni aux attentes exprimées par le plus grand nombre des avocats aujourd'hui.

Enfin, la création de ce « corps » d'avocats concentrerait encore un peu plus la charge de l'AJ sur certains , avec la crainte de la constitution d'un sous-groupe d'avocats dévalorisé aux yeux du reste de la profession, alors que l'enjeu apparaît au contraire de répartir plus équitablement la cette charge.

Votre rapporteur spécial juge préférable de privilégier un système permettant l'implication de l'ensemble de la profession autour du bon fonctionnement de l'AJ. Un tel système doit naturellement viser à la responsabilisation de chacun dans la plus grande transparence .

Dans cette perspective, le dispositif proposé par votre rapporteur spécial repose sur une participation des avocats soit en temps, « participation temps », soit par le biais d'une contribution financière, « participation financière » .

Ce dispositif repose sur une idée simple : dans la mesure où l'ensemble de la profession participe au bon fonctionnement de l'AJ, les avocats peuvent choisir d'apporter leur contribution à ce fonctionnement soit en acceptant les missions d'AJ (« participation temps »), soit en contribuant financièrement à la bonne marche du système (« participation financière »). Le principe de ce dispositif correspond à un objectif de plus grande équité au sein de la profession . En outre, il convient de souligner que le libre choix entre la « participation temps » et la « participation financière » est laissé à l'avocat.

Ce dispositif requiert une estimation suffisamment précise du temps moyen consacré à l'AJ par un avocat , de manière à établir une norme qui soit la pierre angulaire du système. Une fois cette norme établie (en concertation avec la profession), l'avocat peut alors « fixer le curseur » où il le souhaite entre le nombre de missions d'AJ qu'il décide d'accomplir et la contrepartie financière qu'il préfère reverser au financement de l'AJ.

Lorsque l'avocat n'atteint pas l'objectif cible en termes de « participation temps », sa « participation financière » est calculée, dans le dispositif proposé, en appliquant au chiffre d'affaires réalisé par l'avocat le différentiel entre la « participation temps » (fixée comme cible en concertation avec la profession) et le temps qu'il a effectivement consacré à l'AJ.

Le calcul de la « participation financière » de l'avocat au bon fonctionnement de l'AJ

Dans le cas où le temps effectivement consacré à l'AJ par l'avocat est inférieur à la « participation temps » cible, la formule permettant de calculer sa « participation financière » au bon fonctionnement de l'AJ est la suivante :

PF = CA * (PTC  - TEAJ)

Avec :

- PF = « participation financière »

- CA = chiffre d'affaires

- PTC = « participation temps cible »

- TEAJ = temps effectivement consacré à l'AJ par l'avocat

Afin d'illustrer ce raisonnement, votre rapporteur spécial a travaillé sur un exemple chiffré. Les hypothèses de départ sont certes à prendre sous toutes les réserves qui s'imposent à un tel exercice de simulation , mais cet exemple a le mérite non seulement de mettre en application la logique du dispositif proposé mais aussi de fournir quelques ordres de grandeur.

La « participation temps » et la « participation financière » des avocats au bon fonctionnement de l'AJ - Un exemple de simulation

Hypothèses de travail :

- un avocat consacre en moyenne 10 % de son temps par mois à l'AJ (soit environ deux missions par mois) ; cette proportion correspond à la « participation temps » cible retenue ;

- un avocat A a un revenu de 1.700 euros par mois et consacre 50 % de son temps à l'AJ ;

- un avocat B a un revenu de 3.000 euros par mois et consacre 7 % de son temps à l'AJ ;

- un avocat C a un revenu de 6.000 euros par mois et ne fait jamais d'AJ ;

- il y a 47.798 avocats en France ;

- au sein de la profession d'avocat, il y a 30 % d'avocats A, 60 % d'avocats B et 10 % d'avocats C.

Application du dispositif « participation temps / participation financière » :

- l'avocat A dépasse la cible « participation temps », sa « participation financière » est donc égale à 0 euro ;

- l'avocat B doit s'acquitter d'une « participation financière » de 90 euros, en effet :

Participation financière de B = 3.000 * (10 % - 7 %) = 90

- l'avocat C doit s'acquitter d'une « participation financière » de 600 euros, en effet :

Participation financière de C = 6.000 * (10 % - 0 %) = 600

- le montant total de la « participation financière » versée sur le mois est de 5.448.972 euros ;

- le montant total de la « participation financière » versée sur l'année est de 65.387.644 euros.

La simulation effectuée est assurément très au-delà de l'envisageable , dans la mesure où il en ressort une « participation financière » à hauteur de 65,3 millions d'euros en année pleine, soit 19,9 % du budget de l'AJ pour 2007.

Elle permet toutefois de mettre en lumière la mécanique du système et le déséquilibre choquant qui existe aujourd'hui au sein de la profession d'avocat .

En laissant le libre choix entre la « participation temps » et la « participation financière », le dispositif proposé permet, par ailleurs, de lever l'hypothèque concernant les différentes spécialisations des avocats : aujourd'hui certains d'entre eux ne mènent en effet jamais de mission d'AJ dans la mesure où ils estiment ne pas disposer des compétences requises (spécialisation en droit pénal, en droit de la famille...) pour assurer une défense de qualité sur ces dossiers . Par exemple, avec le dispositif envisagé, un avocat d'affaires ne pouvant être sollicité pour un dossier de défense pénale d'urgence peut, en revanche, apporter sa participation financière au fonctionnement de l'AJ.

E. LA PLUS GRANDE RESPONSABILISATION DES JUSTICIABLES : LE « TICKET MODÉRATEUR JUSTICE » ET LE PRÊT À TAUX ZÉRO

1. La prévention des comportements procéduriers

Parce que le justiciable est au coeur du système de l'AJ, il doit également prendre sa part à la régulation de ce dispositif d'aide et d'assistance.

Si la majorité des justiciables ne font appel qu'en extrême limite à la justice et, le cas échéant, à l'AJ, certains « comportements limites » contribuent toutefois au déséquilibre du système dans son ensemble.

Au cours des auditions qu'il a menées, votre rapporteur spécial a, en effet, pu constater que l'AJ n'était pas épargnée par des abus de justiciables particulièrement procéduriers. Chaque président de BAJ semble être en mesure de livrer quelques anecdotes concernant des bénéficiaires de l'AJ multipliant les actions en justice d'autant plus aisément qu'ils finissent par acquérir une parfaite connaissance de l'appareil judiciaire et disposent d' un « droit de tirage » illimité en matière d'AJ.

Tout se passe alors comme si ces justiciables « tiraient à plein », si ce n'est de manière excessive, profit du système avec un coût entièrement supporté par la collectivité. Outre que toutes ces actions en justice ne sont pas toujours justifiées au regard du sérieux des causes de litige invoquées, elles contribuent, qui plus est, à engorger encore un peu plus les juridictions .

Votre rapporteur spécial estime nécessaire d'endiguer de tels comportements par une plus grande responsabilisation des bénéficiaires potentiels de l'AJ .

2. L'instauration d'un « ticket modérateur justice » plutôt qu'un prêt à taux zéro

D'une manière plus générale, votre rapporteur spécial juge souhaitable une meilleure responsabilisation de l'ensemble des bénéficiaires de l'AJ et dresse, à cet égard, un parallèle avec d'autres systèmes d'aide, eux aussi confrontés à des difficultés de financement .

Si l'AJ constitue un « filet de sécurité » pour les plus démunis en matière d'accès à la justice, elle s'apparente grandement à d'autres dispositifs d'aide et de soutien, notamment ceux relevant de l'assurance maladie 80 ( * ) . Elle présente avec eux de nombreux points communs : une philosophie d'assistance aux plus fragiles, un financement mutualisé reposant sur l'ensemble de la collectivité, des conditions d'accès en fonction des ressources.

Afin de garantir la pérennité de son financement et de renforcer la responsabilité de chacun face au système d'aide, l'assurance maladie s'est toutefois dotée de « mécanismes de rappel » tels que le forfait journalier en matière d'hospitalisation ou le ticket modérateur en matière de dépenses de santé.

Dans un contexte de crise de l'AJ qui n'est pas sans rappeler sur de nombreux points celui de l'assurance maladie, votre rapporteur spécial considère nécessaire de parvenir à une meilleure responsabilisation du justiciable en imaginant une évolution profonde du dispositif existant .

Une première piste parfois évoquée 81 ( * ) consiste en la mise en place d'un mécanisme de « prêt à taux zéro » au bénéfice du justiciable à l'AJ. Le remboursement d'un tel prêt n'interviendrait qu'à l'issue de la procédure et pourrait être recouvré sur la partie adverse succombante, partagé entre les parties, ou laissé à la charge du bénéficiaire. Encore faut-il souligner que, lorsqu'il est envisagé, ce prêt ne concerne dans la plupart des cas que le justiciable à l'AJ partielle et le paiement de tout ou partie des honoraires complémentaires librement consentis entre le justiciable et son avocat.

Votre rapporteur spécial ne privilégie pas cette piste , dans la mesure où elle supposerait le recours à un fonds ou à un organisme prêteur avec compensation par l'Etat du différentiel d'intérêt. Par ailleurs, elle impliquerait probablement des délais supplémentaires, à des fins de constitution de dossier de prêt, peu compatibles avec certaines situations d'urgence traitées à l'AJ. Enfin, cette constitution de dossier de prêt, par son abord relativement complexe, pourrait contribuer à dissuader les publics les plus fragiles, averses au risque financier et peu enclins à s'engager dans une procédure de financement dont ils percevraient peut être mal les contours et l'aboutissement final, de mettre en oeuvre leur droit à la justice.

S'inspirant de la logique de l'assurance maladie, votre rapporteur spécial estime, en revanche, souhaitable d'introduire un « ticket modérateur justice » dans le dispositif de l'AJ .

Ce ticket modérateur laisserait à la charge du bénéficiaire de l'AJ une part de la dépense de justice liée à son affaire. De par son principe, il nécessiterait bien évidemment un reprofilage de l'AJ partielle (redéfinition des niveaux de prise en charge à l'AJ partielle).

Certains publics (outre naturellement les bénéficiaires sans ressources) pourraient être exemptés de ce ticket , par exemple :

- les bénéficiaires des minimas sociaux (revenu minimum d'insertion, allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, revenu de solidarité active...) ;

- les mineurs ;

- les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, ainsi que de leurs ayants droit.

A cet égard, votre rapporteur spécial précise que de telles exemptions ne devraient naturellement pas donner lieu à un éventuel transfert de charges sur le budget des conseils généraux.

Le niveau du « ticket modérateur justice » constitue bien évidemment le noeud de ce nouveau dispositif d'AJ. Trop élevé, il représenterait une barrière à l'accès à la justice et remettrait en cause l'esprit même de l'AJ. Trop bas, il n'aurait qu'un effet de responsabilisation à la marge et resterait sans réelle incidence sur la problématique du financement de l'AJ.

La comparaison avec le système de l'assurance maladie peut ici, une nouvelle fois, se révéler éclairante. Le forfait journalier s'élève à 16 euros par jour dans la majorité des cas et à 12 euros par jour dans les services psychiatriques des établissements de santé 82 ( * ) . Le ticket modérateur, qui définit la part financière restant à la charge de l'assuré après le remboursement de l'assurance maladie, varie en fonction des actes et des médicaments, ainsi que du respect ou non du parcours de soins coordonnés.

La consultation chez un médecin généraliste : un exemple du ticket modérateur de l'assurance maladie

Lorsque l'assuré consulte son médecin traitant qui est un médecin généraliste conventionné en secteur I, il règle 21 euros (tarif au 1 er août 2006).

Sur ce montant, l'assurance maladie lui rembourse 70 % du tarif, soit 14,70 euros, moins 1 euro au titre de la participation forfaitaire.

Son remboursement est donc de 13,70 euros et le montant du ticket modérateur demeurant à sa charge est de 7,30 euros , soit 34,8 % du tarif du médecin.

Afin d'illustrer le raisonnement et de contribuer à la réflexion sur les masses financières en jeu, votre rapporteur spécial a procédé à une simulation selon quatre scénarios en fonction du niveau du « ticket modérateur justice ».

Une fois encore, les hypothèses doivent ici être prises avec toutes les réserves qui s'imposent . En particulier, votre rapporteur spécial n'a pris en compte, dans la simulation qu'il vous propose, que l'effet du ticket modérateur sur l'AJ totale et a laissé de côté son impact sur l'AJ partielle. En outre, en s'appuyant sur les statistiques fournies par le ministère de la justice statistiques suffisamment fines, il a retenu pour hypothèse de travail le nombre total des admissions à l'AJ duquel ont été retranchés les bénéficiaires « sans ressources » (447.218 en 2005) ainsi que les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI), du Fonds national de solidarité et de l'allocation d'insertion (73.321 en 2005).

L'impact du « ticket modérateur justice » sur le budget de l'AJ :
une simulation selon quatre scénarios

Votre rapporteur spécial a retenu quatre scénarios possibles quant au niveau du « ticket modérateur justice » :

- scénario n° 1 - « Ticket bas » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 5 euros ;

- scénario n° 2 - « Ticket moyen - » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 15 euros ;

- scénario n° 3 - « Ticket moyen + » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 30 euros ;

- scénario n° 4 - « Ticket haut » : le « ticket modérateur justice » est fixé à 40 euros.

Le nombre de justiciables concernés est fixé à 278.614 (nombre de bénéficiaires à l'AJ totale en 2006 duquel ont été retranchés les bénéficiaires « sans ressources », les bénéficiaires du RMI, du Fonds national de solidarité et de l'allocation d'insertion).

Le budget de l'AJ est fixé à 328,7 millions d'euros (crédits ouverts en loi de finances pour 2007).

Scénario

Ticket bas

Ticket moyen -

Ticket moyen +

Ticket haut

Recette budgétaire (en millions d'euros)

1,4

4,2

8,4

11,2

Part du budget de l'AJ

0,4 %

1,2 %

2,6 %

3,4 %

En fonction du scénario retenu, on constate donc que la recette budgétaire obtenue via l'instauration du « ticket modérateur justice » varie de 1,4 million d'euros à 11,2 millions d'euros . Rapportés au budget de l'AJ ouvert par la loi de finances pour 2007 (328,7 millions d'euros), ces montants varient de 0,4 % à 3,4 % de l'enveloppe budgétaire consacrée à cette aide .

Afin de remettre en perspective les niveaux envisagés dans la simulation pour le « ticket modérateur justice » , votre rapporteur spécial juge utile de rappeler le montant du revenu minimum d'insertion (RMI), qui s'élève à 440,86 euros pour une personne seule et 661,29 euros pour un couple 83 ( * ) , ainsi que le plafond de l'AJ totale, qui est fixé à 874 euros 84 ( * ) .

F. L'AMÉLIORATION IMPÉRATIVE DU RECOUVREMENT DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. Un recouvrement défaillant de l'aide juridictionnelle

L'article 43 de la loi précitée du 10 juillet 1991 prévoit que les frais avancés au titre de l'AJ sont recouvrables contre l'adversaire du bénéficiaire de l'AJ condamné aux dépens et qui ne bénéficie pas lui-même de l'AJ. Ce dernier est tenu, sauf dispense totale ou partielle du juge, de rembourser au Trésor public, dans la proportion des dépens mis à sa charge, les sommes avancées par l'Etat au titre de l'AJ ( cf. supra , partie II-D-2).

Le recouvrement est effectué par le Trésorier payeur général (TPG) au vu d' un état de recouvrement transmis par le SAR, après avoir été établi et notifié à la personne contre qui les sommes sont à recouvrer par le greffier de la juridiction concernée.

Toutefois, dans les faits, nombre des juridictions n'établissent pas systématiquement d'état de recouvrement, et certaines n'en établissent pas du tout. Ainsi, un tiers des juridictions judiciaires n'établit pas d'états de recouvrement 85 ( * ) . Cette proportion, déjà trop importante, traduit qui plus est une dégradation du recours à cette procédure, puisqu'en 2000-2001 seulement 20 % des juridictions déclaraient ne pas établir d'états de recouvrement.

Au final, comme votre rapporteur spécial l'a déjà indiqué ( cf. supra , partie II-D-2), les montants recouvrés au titre de l'article 43 apparaissent très insuffisants. En 2004 et 2005, ils n'ont représenté que, respectivement, 11,4 millions d'euros et 11,5 millions d'euros, pour un montant théorique maximal estimé à 20 millions d'euros 86 ( * ) .

Montant de l'AJ recouvré

(en millions d'euros)

Année

2002

2003

2004

2005

Montant recouvré

9,8

10,3

11,4

11,5

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - direction générale de la comptabilité publique

Cette défaillance du recouvrement de l'AJ est d'autant plus préjudiciable que, non seulement, elle nuit à la bonne gestion des deniers publics, mais que, par ailleurs, elle ne permet pas de garantir l'égalité entre les justiciables astreints à supporter le coût du fonctionnement de la justice mis à leur charge .

2. Une obligation de plus grande performance

L'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ, dont les conclusions ont été rendues en février 2007, met en évidence une marge de progression de l'ordre de 9 millions d'euros, soit 2,7 % du budget de l'AJ .

Sans reprendre tous les constats dressés par l'audit de modernisation réalisé, votre rapporteur spécial souhaite néanmoins souligner les principaux facteurs de blocage identifiés à l'occasion de cet audit ainsi que les pistes d'amélioration suggérées.

L'audit relève, en effet, la grande complexité de la chaîne de recette correspondant au recouvrement de l'AJ, dont le processus est décrit dans le tableau suivant.

Les acteurs du processus de la chaîne de recouvrement

Décision AJ/ transmission aux juridictions

Mise à jour du répertoire

civil,

enregistrement

des données d'état civil des parties

Vérification, certification, taxation des justificatifs de dépense (AFM, mémoires)

Décision
de
condamnation aux dépens

Etat de frais, notification, état de recouvrement, transmission au SAR

Formule exécutoire du titre de recette

Recouvrement,

poursuite du redevable

BAJ

Oui

Greffier en chef/greffier

Oui

Oui

Oui

Magistrat

Oui

Oui

SAR

Oui

Trésor

Oui

Source : audit de modernisation - rapport sur le recouvrement de l'aide juridictionnelle (février 2007)

Rappelant que l'émission des titres de recette n'est pas le « coeur de métier » des juridictions, l'audit constate que nombre d'acteurs de la chaîne du recouvrement perçoivent mal la finalité de cette émission de recette et y voient même, parfois, comme une injustice pour les personnes astreintes au paiement, notamment pour les moins fortunées d'entre elles.

Plus fondamentalement, les raisons invoquées par les BAJ pour expliquer ces carences en matière de recouvrement renvoient au manque de personnel et de temps , à la méconnaissance des procédures , au manque d'information sur l'adresse du débiteur et à la survenance d'appels et de recours.

Le délai de mise en recouvrement 87 ( * ) traduit ces carences et est couramment supérieur à un an. Dans certains cas, il peut même dépasser deux ans.

Au regard des montants pris en charge par le Trésor public , le taux d'encaissement constaté est de 48,3 % et, après la prise en compte des admissions en non valeur, le taux de recouvrement de l'AJ s'élève à 72,2 % 88 ( * ) .

Ces taux témoignent de la difficulté du recouvrement de l'AJ du fait des caractéristiques socio-économiques et psychologiques des débiteurs de l'AJ, qui présentent des spécificités souvent peu propices à un recouvrement facile . Ainsi, les redevables sont-ils souvent en situation précaire. Comme le souligne l'audit de modernisation, « des délais de paiement sont accordés, mais rarement respectés. Les poursuites mises en oeuvre dans le cas des saisies-ventes (au-dessus de 200 euros) aboutissent souvent à l'établissement de procès verbaux de carence, compte tenu de l'absence de patrimoine du débiteur ».

En outre, le dispositif de récupération des avances d'AJ est méconnu des redevables, qui acceptent difficilement de payer les frais de leur adversaire , tandis que les procédures applicables au recouvrement de l'AJ sont parfois difficiles à mettre en oeuvre lorsque le débiteur refuse de payer. En particulier, elles nécessitent la plupart du temps l'intervention d'un huissier.

Les principales recommandations , auxquelles souscrit votre rapporteur spécial, résultant de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ sont reprises dans l'encadré suivant.

Les principales recommandations de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ (février 2007)

Les principales conclusions de l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ tendent à préconiser de :

- finaliser une circulaire commune au garde des Sceaux et au ministre des finances donnant des instructions précises sur les conditions requises pour un recouvrement efficace ;

- s'appuyer sur des comités de pilotage locaux constitués entre les SAR et les services du Trésor ;

- prévoir un doublement des montants de recouvrement émis par les SAR aux trésoreries ;

- focaliser la politique de recette sur les cours d'appel, dans la mesure où leur rendement potentiel en euros est le plus important parmi l'ensemble des juridictions ;

- inciter tous les TGI à procéder à l'émission de titres ;

- faire des SAR le pivot de l'organisation de la chaîne de recette de recouvrement dans sa phase relevant des juridictions ;

- conduire une expérimentation permettant d'apprécier le dispositif centralisé faisant intervenir le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) attaché au ministère de la justice ;

- mettre en place un dispositif permettant de corriger l'insuffisance ou l'inexactitude des renseignements identifiant le redevable ;

- sensibiliser les acteurs à l'importance du processus de recette ;

- introduire des objectifs et des indicateurs mobilisateurs pour la recette dans les programmes 101 « Accès au droit et à la justice » et 156 « Gestion fiscale » ;

- diffuser auprès des juridictions un guide pratique de la recette établi avec le concours de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) ;

- renforcer la formation des greffiers et des magistrats sur le processus de recette de l'AJ ;

- développer une approche client auprès des redevables visant à mieux informer du caractère potentiellement remboursable de l'AJ, de son montant, de son fondement et des conditions de reversement.

3. Un facteur de progrès dans le recouvrement : l'achèvement de la réforme des bureaux d'exécution des peines (BEX)

L'article 44 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que le recouvrement des sommes dues à l'Etat a lieu comme en matière d'amendes ou de condamnations pécuniaires .

Partant de ce principe, votre rapporteur spécial considère qu'il conviendrait, en matière de recouvrement de l'AJ, de s'appuyer sur les bureaux d'exécution des peines (BEX). La réforme en cours permet d'ores et déjà des progrès substantiels pour le recouvrement des condamnations judiciaires (amendes) dont la partie pratique peut néanmoins être améliorée 89 ( * ) .

En effet, dans le domaine de la recette en matière d'AJ, le dispositif actuel manque de lisibilité pour le redevable et des marges de progrès sont envisageables.

Il convient, notamment, de mieux organiser l'information du justiciable sur la restitution des sommes engagées, et de faire en sorte que, dès l'intervention de la décision de justice, il ait connaissance du montant à rembourser . Un tel dispositif devrait naturellement s'accompagner d'une émission de titre très rapide et réactive, dès l'intervention de la décision de justice, tout en tenant compte toutefois des délais d'exercice de voies de recours. Il s'agirait, enfin, de faciliter les procédures de paiement dès la sortie du tribunal .

Ces objectifs correspondent pour une large part à la vocation des BEX , qui pourraient ainsi être utilement mis à contribution dans le cadre d'un recouvrement plus performant de l'AJ.

G. LA POURSUITE DE L'EFFORT DE SENSIBILISATION DES MAGISTRATS ET DES AGENTS DES BAJ

1. L'effort de formation en direction des magistrats et des greffiers

Les magistrats et les greffiers sont au coeur du dispositif de l'AJ, et le bon fonctionnement de ce système repose pour une grande part sur leur implication. Dès lors, comme pour un certain nombre de questions telles que la mise en oeuvre de la LOLF ou les frais de justice 90 ( * ) , la sensibilisation et l'acquisition des réflexes essentiels passent par un effort de formation et de pédagogie auprès de ces acteurs indispensables à la bonne marche de l'AJ.

Cet effort doit, tout d'abord, porter sur la formation initiale . Il s'agit surtout, à ce stade, de sensibiliser les auditeurs de justice à la problématique de l'AJ, au cours de leur scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), et de permettre l'apprentissage des mécanismes de base aux élèves de l'Ecole nationale des greffes (ENG).

A cet égard, votre rapporteur spécial se félicite que ce sujet soit abordé tant à l'ENM qu'à l'ENG au sein de modules de formation initiale .

C'est à l'ENG que l'insistance sur l'AJ se révèle la plus marquée, avec un module de formation de 4 jours (contre 3,5 jours avant la réforme de la scolarité intervenue en 2003) au cours de la seconde période de scolarité suivie à l'école par les élèves. Ce cours, intitulé « L'aide juridictionnelle et l'accès au droit », s'intègre dans le bloc de formations consacrées aux « Attributions spécifiques du greffier en chef ». Son contenu est présenté dans l'encadré ci-dessous.

Le module « L'aide juridictionnelle et l'accès au droit »
en formation initiale à l'ENG

Le module « L'aide juridictionnelle et l'accès au droit », dispensé sur 4 jours , est orienté vers :

- la compétence du greffier en chef vice-président du BAJ ;

- le contrôle de la délivrance des AFM ;

- le traitement des états de recouvrement ;

- le greffier en chef secrétaire du CDAD ;

- la présentation de l'application informatique.

A l'ENM, aucun cours, en formation initiale, ne porte spécifiquement sur la problématique et les enjeux de l'AJ . En revanche, le module « Economie de la justice » aborde, parmi d'autres thèmes (la LOLF, les frais de justice, les notions d'objectifs et d'indicateur de performance, ainsi que les statistiques judiciaires), le sujet de l'AJ. En outre, l'un des stages prévus dans le déroulement de la scolarité à l'ENM, le stage « Juge au TGI » , donne lieu à la découverte des différentes activités des magistrats du siège, et peut offrir une approche concrète et opérationnelle de la mécanique de l'AJ ainsi que du fonctionnement d'un BAJ.

Au vu de ce constat, votre rapporteur spécial considère que la scolarité à l'ENM gagnerait certainement à s'enrichir d'une approche plus complète et plus directe du fonctionnement et des enjeux de l'AJ. Cette formation, sous la forme d'un nouveau module par exemple, se verrait, notamment, assigner pour objectif de faire comprendre au futur magistrat la spécificité du rôle et des missions de l'avocat dans le cadre de l'AJ .

En formation continue , l'ENM et l'ENG ont proposé, en 2005 et 2006, un module commun exclusivement consacré à l'AJ (session de formation sur une journée).

Toutefois ce module a disparu en 2007, ce que ne peut que regretter votre rapporteur spécial .

Pour expliquer cette absence du catalogue des formations continues, l'ENM a indiqué à votre rapporteur spécial qu'une forte diminution des candidatures (165 places étaient offertes en 2006 pour finalement seulement 45 participants) était à l'origine de cette suppression. Pour autant, votre rapporteur spécial estime qu'un redimensionnement du format de cette action de formation (moins de places offertes) aurait probablement été préférable à sa disparition pure et simple et que cette évolution devrait être envisagée pour 2008 .

Fort heureusement, l'AJ donne lieu à des actions de formation déconcentrées au sein de certaines cours d'appel par les magistrats délégués à la formation continue déconcentrée. Ainsi, le 27 avril 2007, la cour d'appel de Rennes a-t-elle organisée une journée de formation intitulée « L'aide juridictionnelle à l'épreuve des nouveaux textes » au cours de laquelle est intervenu le SADJPV.

Par ailleurs, chaque année, l'ENM organise une action de formation continue ouverte aux « nouveaux chefs de juridiction » 91 ( * ) , laquelle comprend un module de présentation de l'AJ préparé par le SADJPV. Cette action se déroule en deux sessions. Elle permet de présenter le régime de l'AJ et ses récentes réformes, mais également de rappeler la compétence propre des présidents de TGI la matière.

Enfin, l'ENM envisage également la création d'une action de formation, pour 2008, en lien avec l'AJ : « Présider un CDAD » (module d'une journée ouvert à 30 participants maximum).

2. Le lancement d'un audit pour mieux connaître l'activité et l'organisation des BAJ

La sensibilisation des magistrats et des fonctionnaires des BAJ au bon fonctionnement de l'AJ sera d'autant mieux adaptée qu'il sera possible de disposer d' une connaissance précise de l'activité et de l'organisation des juridictions au regard de l'AJ.

Certes, la Chancellerie s'est dotée au fil des années d'un appareil statistique d'ores et déjà performant, mais il conviendrait désormais d' affiner à la fois l'étude et l'outil.

Le niveau d'exigence en matière de constitution d'un dossier d'AJ et des pièces à fournir, comme la démarche et les critères adoptés pour apprécier les ressources du demandeur paraissent fluctuer d'un BAJ à l'autre. De même, les modalités d'organisation du travail, d'émission des états de recouvrement ou de délivrance des AFM semblent présenter des différences sensibles selon les BAJ . Enfin, les moyens humains et informatiques (liaisons informatiques entre les BAJ et les CARPA, par exemple) restent difficiles à apprécier dans une vision d'ensemble de l'activité des BAJ, ce qui ne peut que nuire à la justesse de l'appréciation portée sur la performance du système mis en place 92 ( * ) .

Face à cette apparente hétérogénéité des pratiques et des moyens, votre rapporteur spécial juge souhaitable de lancer une mission d'audit sur l'organisation et le fonctionnement des BAJ . Cette mission couvrirait aussi bien le volet juridique du fonctionnement du BAJ (critères et modalités d'appréciation des ressources des demandeurs, rôle des représentants des usagers au sein des BAJ...) que le volet budgétaire (moyens consacrés à l'AJ dans chaque BAJ, efficience de ces moyens...). Elle devrait avoir pour finalité, notamment, la diffusion des bonnes pratiques ainsi repérées . Une telle mission pourrait, par exemple, être confiée à l'inspection des services judiciaires (ISJ).

H. UN MEILLEUR SUIVI DE LA PERFORMANCE EN VUE D'UNE PLUS GRANDE RESPONSABILISATION

1. Un suivi de la performance encore embryonnaire dans le cadre de la LOLF

Depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, la performance du système de l'AJ est mesurée par trois indicateurs renvoyant à deux objectifs . Ces objectifs et les indicateurs qui s'y rapportent figurent dans le PAP et le rapport annuel de performances (RAP) de la mission « Justice », au titre du programme « Accès au droit et à la justice ».

Le premier objectif correspond à l'amélioration du délai de traitement des admissions à l'AJ . A cet objectif, sont rattachés deux indicateurs de performances présentés ci-dessous.

Délai moyen national de traitement des demandes d'AJ

Unité

2004 Réalisation

2005 Réalisation

2006 Prévision

PAP 2006

2006 Prévision PAP 2007

2006 Réalisation

2009
Cible

PAP 2006

Jour

nd