LES PRINCIPAUX CONSTATS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPECIAL
1) Près d'un diplomate expérimenté sur cinq n'occupe pas un poste correspondant à son expérience. Le sureffectif actuel doit être résorbé par des primes d'incitation au départ pouvant aller jusqu'à deux années de rémunération, dans le cadre de la future loi relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique ;
2) Le surencadrement du Quai d'Orsay a conduit à la création de structures dont le rôle est mal défini. Il en est ainsi du Conseil des affaires étrangères qui doit sans doute être supprimé ;
3) Les diplomates en milieu de carrière attendent un plan « 2 ème carrière » . L'incitation au départ, par le recours à des primes et à des cabinets de reconversion privés, doit intervenir dès 40 ou 45 ans, afin d'amorcer une évolution dans de bonnes conditions, vers le secteur public, les universités ou dans les entreprises ;
4) L'ouverture du métier de diplomate à des profils diversifiés est une nécessité : elle passe par un décloisonnement du corps des conseillers des affaires étrangères, grâce, notamment, à un rapprochement avec le corps des conseillers des affaires économiques ;
5) Les compétences de « leadership », de communication, de négociation sociale et de gestion des ressources humaines sont essentielles dans l'exercice du métier d'ambassadeur . Ces compétences, sur lesquelles le choix doit être opéré, sont incontournables dans un contexte de restructuration du réseau. L'institut diplomatique, organe de formation continue interne du Quai d'Orsay, destiné aux diplomates parvenus à la première moitié de leur carrière, pourrait y consacrer un module d'enseignement.
I. L'ENCADREMENT SUPÉRIEUR DU QUAI D'ORSAY RENCONTRE UN PROBLÈME DE DEBOUCHÉS INCONTESTABLE
Sans que ce phénomène soit spécifique à cette administration, le Quai d'Orsay rencontre depuis plusieurs années des problèmes croissants pour assurer à ses diplomates des débouchés satisfaisants, non seulement en fin de carrière, pour ceux qui ont déjà pu exercer la responsabilité de « chef de poste », et souhaitent se maintenir à ce niveau de responsabilité ou progresser encore, mais aussi dès la seconde moitié de carrière.
Des diplomates confirmés ont ainsi pu confier récemment à votre rapporteur spécial qu'il leur était aujourd'hui proposé des postes qu'on leur proposait déjà 20 ans plus tôt.
A. DES TENSIONS IMPORTANTES DANS L'ACCÈS AUX POSTES A RESPONSABILITÉ
De la liste reçue par votre rapporteur spécial le 7 avril 2008, comportant les affectations de l'ensemble des ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe, on peut considérer qu'il existe une tension sur les carrières persistante et préoccupante .
1. Près d'un diplomate expérimenté sur cinq n'occupe pas un poste correspondant à son grade et son expérience.
Même si ces chiffres peuvent être nuancés, votre rapporteur spécial, s'appuyant sur une évaluation essentiellement qualitative, a souhaité distinguer ce qui relève d'un poste à responsabilité et ce qui n'y correspond pas. On note alors un écart entre les grades (402 ministres plénipotentiaires ou conseillers des affaires étrangères hors classe en activité) et le nombre de postes à responsabilité, d'environ 70 diplomates . Le secrétaire général du Quai d'Orsay, dans une note à votre commission des finances en date du 3 mars 2008, évoquait un écart de 85 entre le nombre d'agents d'encadrement supérieur et le nombre d'emplois qu'ils ont vocation à occuper.
Les fonctions occupées sont réelles, sauf pour 7 diplomates sans affectation 2 ( * ) auxquels il faut rajouter 6 agents entrés dans un dispositif de fin d'activité 3 ( * ) . Mais près d'un diplomate expérimenté sur cinq, en activité 4 ( * ) au Quai d'Orsay, n'occupe pas un poste correspondant à son grade et son expérience.
Ces 70 personnes occupent, en effet, pour partie à des postes pouvant être resserrés (chargés de mission/divers) et, pour partie, des postes devant être occupés par des fonctionnaires plus jeunes (et donc moins coûteux). Or, ces derniers postes permettraient à des diplomates d'avenir d'exercer des responsabilités, ce qui est aujourd'hui difficile en raison de « l'embouteillage » des carrières.
Postes occupés par les 415 ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe (au 7 avril 2008)
Ambassadeurs/Secrétaire général |
177 |
Autres postes |
134 |
Chargés de mission et divers |
32 |
Dispositif de fin d'activité |
6 |
Sans affectation |
7 |
Détachements/mis à disposition |
46 |
Disponibilité |
13 |
Source : ministère des affaires étrangères et européennes
Sur 415 ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe enregistrés au 7 avril 2008, grades ouvrant droit à la promotion au rang d'ambassadeur, dont 13 se trouvent sans affectation, 177 seulement assumaient une fonction d'ambassadeur ou de secrétaire général/secrétaire général adjoint du Quai d'Orsay.
Parmi ces ambassadeurs se trouvent de surcroît des ambassadeurs « thématiques » , dont les premiers ont été créés en 1998 par M. Jacques Chirac, alors président de la République, pour suivre la Conférence du millénaire. La création des ambassadeurs thématiques se poursuit sous l'actuelle présidence : depuis septembre 2007 ont ainsi été nommés M. Alain Le Roy, ambassadeur pour l'Union pour la Méditerranée, M. Brice Lalonde, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, M. Gilles de Robien, ambassadeur chargé de la promotion de la cohésion sociale et M. Renaud Donnedieu de Vabres ambassadeur chargé de la dimension culturelle de la présidence française de l'Union Européenne. La plupart de ces ambassadeurs thématiques ne proviennent pas du Quai d'Orsay . Leur nomination, dès lors qu'elle entre dans le plafond d'emploi du ministère des affaires étrangères et européennes, accroît la pression sur les effectifs de l'encadrement supérieur, car toute nomination suppose la création d'un équivalent temps plein correspondant. Elle a de plus un effet budgétaire, en termes de « frais de représentation » et de personnel de soutien (secrétaires, chargés de mission etc...)
Il ne faut donc pas confondre ces postes d'ambassadeur thématique avec les 32 ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe chargés de missions ou occupant des postes divers .
Certaines des fonctions occupées sont éminentes : il en est ainsi de celle de conseiller diplomatique du gouvernement en charge de la présidence française de l'Union européenne ou de conseiller diplomatique du gouvernement responsable de la mise en oeuvre de la biométrie 5 ( * ) .
D'autres, bien plus nombreuses, suscitent davantage de perplexité de la part de votre rapporteur spécial. Il en est ainsi, par exemple, des huit membres ministre plénipotentiaires, anciens ambassadeurs dans des pays parfois importants, du Conseil des affaires étrangères , créé à l'origine par M. Philippe Douste-Blazy, alors ministre des affaires étrangères, le 17 octobre 2006, pour « formuler des avis sur les grandes orientations de politique étrangère ainsi que sur l'évolution de l'organisation et du fonctionnement de l'action extérieure de l'Etat ». Ce conseil joue aujourd'hui un rôle indéterminé au Quai d'Orsay : il doublonne partiellement avec l'inspection générale des affaires étrangères, et son activité est en pratique réduite. Il vise en réalité à camoufler les difficultés qu'ont certains ambassadeurs à retrouver un nouveau poste et pourrait avantageusement être supprimé.
Décomposition des 134 autres postes occupés par les ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe (au 7 avril 2008)
Consul général |
25 |
Directeur |
21 |
Directeur adjoint |
12 |
Chef de service |
11 |
Adjoint de chef de service |
2 |
Sous-directeur |
10 |
Inspecteur des affaires étrangères |
10 |
Membres de cabinet |
14 |
Numéros 2 d'ambassade |
21 |
Conseiller de coopération et d'action culturelle |
3 |
Conseiller d'ambassade |
5 |
Source : ministère des affaires étrangères et européennes
134 ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe occupaient par ailleurs au 7 avril 2008 d'autres postes, dont le niveau de responsabilité est variable. C'est au sein de ces 134 postes que l'on trouve pour partie des fonctions qui pourraient être assumées par des diplomates plus jeunes , ce qui serait moins coûteux, et permettrait aussi aux « talents de demain » de connaître une progression de carrière satisfaisante, les préparant aux responsabilités les plus élevées.
Assurément, nombre de ces 134 postes correspondent à des profils de diplomates particulièrement expérimentés . Il en est ainsi de certains consulats généraux, des postes de directeur, d'inspecteur des affaires étrangères, de membres de cabinet, ainsi qu'un certain nombre de postes de « numéro 2 » en ambassade. Certains emplois doivent être confiés à des diplomates confirmés, ou le sont traditionnellement : consul général de France à New-York, à Jérusalem, à Hong-Kong, à Barcelone, à Québec, à Casablanca, à Istanbul, ou « numéro 2 » à Washington, Moscou, Londres, Rome, Berlin, à la représentation permanente auprès de l'Union européenne, ou à la représentation permanente auprès de l'ONU.
Mais une fraction significative de ces emplois est occupée par des ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe uniquement parce qu'il n'est pas possible de leur proposer un poste correspondant à leur compétence et à leur expérience, et ce pour des raisons essentiellement démographiques. Ils occupent, en conséquence, des fonctions qui devraient être exercées par des agents plus jeunes.
Au total, on peut considérer qu'à réseau et à structure d'administration centrale constants , les effectifs actuels des ministres plénipotentiaires et conseillers hors classe pourraient être resserrés de l'ordre de 70 unités. Environ 30 des positions occupées pourraient, de surcroît, être supprimées, qu'il s'agisse de certains ambassadeurs thématiques, des trop nombreux chargés de missions ou assimilés, ou de certains responsables de structures pouvant être remises en cause à l'occasion de la revue générale des politiques publiques. Les autres postes devraient être affectés à des agents moins gradés.
2. L'encombrement des carrières est dû à une pyramide des âges inadaptée
Sur 1.056 agents de catégorie A 6 ( * ) au Quai d'Orsay - à rapprocher aux 415 ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères hors classe, ce qui confirme une fois encore l'hypertrophie de l'encadrement supérieur - 332 diplomates, soit 31 % ont plus de 55 ans .
La pyramide des âges des agents de catégorie A du Quai d'Orsay offre un exemple de « pyramide inversée » , où les agents les plus âgés sont bien plus nombreux que les catégories les plus jeunes. Ceci s'explique, pour partie, par une diminution du recrutement au cours des dernières années, mais aussi, pour partie, par un pic démographique résultant de l'arrivée en fin de carrière de la génération du « baby boom ». L'encadrement supérieur du Quai d'Orsay subit dès lors une crise démographique, qui affecte particulièrement les quinquagénaires. Ce faisant, faute de mettre en oeuvre des solutions adaptées, elle crée des effets en « ricochet » sur les générations plus jeunes dont la carrière se trouve à son tour bloquée. La solution aurait consisté à anticiper suffisamment en amont la situation actuelle et à développer une véritable gestion prévisionnelle des compétences dont l'absence se fait aujourd'hui cruellement ressentir.
Pyramide des âges des agents de catégorie A du Quai d'Orsay : un exemple de « pyramide inversée »
Source : ministère des affaires étrangères et européennes
* 2 Selon le Quai d'Orsay, leur nombre fluctue légèrement selon les périodes de l'année mais reste structurellement inférieur à 10.
* 3 Cf infra.
* 4 Sur les 402 ministres plénipotentiaires ou conseillers des affaires étrangères hors classe en activité, 46 sont détachés ou mis à disposition.
* 5 Même si celle-ci pourrait être heureusement confiée au ministère de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire.
* 6 Catégorie bien plus large que celle des ministres plénipotentiaires et conseillers hors classe.