3. Une innovation opportune qui doit être limitée aux dommages non corporels
L'introduction d'une obligation de diminuer le dommage a reçu un accueil relativement favorable de la part des personnes entendues par vos rapporteurs.
Mme Pascale Fombeur, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, tout comme M. Alain Bénabent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, agrégé des facultés de droit, ont accueilli favorablement cette innovation,
M. Patrice Jourdain, professeur à l'université de Paris 1, a souligné que cette obligation n'était pas étrangère à la prise en compte déjà présente en droit français de la situation de la victime, soulignant que la faute de cette dernière lors de la commission du dommage vient réduire son droit à indemnisation. La jurisprudence accepte en effet d'exonérer partiellement le responsable de son obligation de réparation à raison de la faute de la victime, sans pour autant que cette exonération soit totale 65 ( * ) . Toutefois, cette question intervient avant tout dans la détermination du lien de causalité entre le fait dommageable et le dommage subi par la victime.
Seule Mme Gaëlle Patetta, directeur juridique de l'association de consommateurs UFC-Que choisir, s'est montrée ouvertement opposée à cette mesure, estimant qu'elle conduirait, dans les rapports entre consommateurs et professionnels, à ce que ces derniers contestent systématiquement le montant de l'indemnisation demandée par les victimes, en alléguant de la possibilité que celles-ci auraient eue de réduire leur préjudice.
Vos rapporteurs estiment que l'institution d'une obligation de diminuer le dommage en droit français est pertinente.
Elle permettrait ainsi d'introduire un élément de moralisation qui, souvent, peut faire défaut en matière contractuelle . En matière délictuelle , une telle mesure apparaît également souhaitable dans le souci d'assurer un encadrement du coût de l'indemnisation pour l'ensemble de la société.
Le fait que le droit français, à la différence de la common law , prévoie que l'évaluation du dommage intervient au moment où le juge statue, et non au moment où l'acte dommageable a été commis 66 ( * ) , ne semble pas réduire l'intérêt de ce type d'obligation. Néanmoins, compte tenu de la date d'évaluation retenue, l'obligation de diminuer le dommage se traduira avant tout comme une obligation, pour la victime, de prendre les mesures afin que son préjudice ne s'aggrave pas.
Vos rapporteurs jugent néanmoins que cette obligation ne saurait s'appliquer à tout type de dommages.
Si la mise en oeuvre d'une telle mesure en matière de réparation du dommage matériel, voire moral, semble souhaitable, en revanche, son application en cas de dommages corporels apparaît plus problématique .
Mmes Aline Boyer et Claudine Bernfeld, présidente et secrétaire de l'Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels (ANADAVI), ont souligné le risque que l'application de ce principe en cas de réparation du dommage corporel conduise à des contestations de la part des assureurs de la pertinence de certaines prescriptions médicales. Elles ont mis en exergue les difficultés pouvant notamment survenir en matière de psychiatrie, dans l'hypothèse où un malade ne suivrait qu'imparfaitement son traitement. Vos rapporteurs partagent cette inquiétude.
Certes, cette problématique a été partiellement prise en compte par le groupe de travail présidé par M. Pierre Catala, dans la mesure où il écarte l'obligation de diminuer le dommage en cas d'opération comportant un aléa thérapeutique. Néanmoins, ce critère de l'aléa thérapeutique reste, aux yeux de vos rapporteurs, trop imprécis et sujet à des interprétations divergentes.
De fait, des interventions a priori bénignes peuvent elles-mêmes comporter un aléa thérapeutique. Les cas, nombreux, de contaminations lors de transfusions sanguines ou le risque élevé d'affections nosocomiales lors d'un séjour hospitalier sont là pour le montrer.
En outre, dans l'hypothèse où le dommage pourrait être réduit par le biais d'une intervention médicale, se pose la question de la compatibilité d'une obligation pour la victime de s'y soumettre avec le principe général, énoncé par l'article 16-3 du code civil, selon lequel il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne, le consentement de l'intéressé devant être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.
Aussi vos rapporteurs estiment-ils nécessaire d'exclure purement et simplement l'application de l'obligation de diminuer le dommage en présence d'un préjudice corporel.
Par ailleurs, si l'institution d'une telle obligation est souhaitable, il convient qu'elle ne soit pas pénalisante pour la victime. L'obligation de diminuer le dommage constitue une mesure de responsabilisation et de moralisation ; elle ne doit pas se retourner contre la victime en permettant à l'auteur du dommage d'échapper à son obligation de réparation.
En particulier, cette institution ne doit pas entraîner un retournement de la charge de la preuve, la victime étant alors mise dans l'obligation de prouver qu'elle a bien pris toutes les mesures nécessaires pour réduire son préjudice.
Aussi, l'obligation mise à la charge de la victime ne doit-elle être qu'une obligation de moyens , dont l'exécution doit être appréciée in concreto par le juge . Il convient en effet que l'attitude de la victime soit déterminée au regard des circonstances de l'espèce et, en particulier, de sa personnalité et de ses compétences .
En outre, la charge de la preuve que la victime n'aurait pas apporté la diligence nécessaire pour réduire son dommage ou ne pas l'aggraver doit incomber au seul auteur du dommage.
Recommandation n° 20 - Instituer l'obligation pour la victime d'un préjudice non corporel de diminuer ou de ne pas aggraver son dommage, cette obligation n'étant qu'une obligation de moyens, appréciée in concreto eu égard aux circonstances et à la personnalité de la victime. |
* 65 Première chambre civile de la Cour de cassation, 9 octobre 1991, Bulletin n° 259.
* 66 Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, 21 mars 1983, Bulletin n° 88.