3. La question du versement de la réparation sous la forme de rente ou de capital
Pour la liquidation de la réparation, le juge dispose d'une liberté proche de celle qui est la sienne pour son évaluation : il décide souverainement s'il convient d'allouer un capital ou une rente, sans être lié par la demande des parties 136 ( * ) .
a) Le choix de la forme empruntée par la réparation
Chaque type de réparation présente ses avantages : le versement sous forme de capital apporte une réponse définitive et immédiate au dommage et elle évite de devoir se prononcer sur la question de son indexation ou de sa révision future. Pour les dommages les plus graves, elle permet à la victime de faire face aux lourdes charges que nécessitent parfois l'adaptation de son cadre de vie au préjudice qu'elle a subi. Ces différentes raisons expliquent la faveur des tribunaux pour l'indemnisation sous forme de capital.
La rente apparaît quant à elle spécialement adaptée à certains types de dommage ou à certaines victimes : ainsi en cas de préjudice continu, comme une incapacité de travail ou une diminution permanente du revenu, de préjudice appelant l'assistance d'une tierce personne, ou pour des victimes dans l'impossibilité de gérer correctement leur capital pour faire face aux charges de la vie.
La question se pose de savoir s'il convient d'encadrer plus strictement le pouvoir d'appréciation du juge en la matière en l'obligeant soit à suivre la demande de la victime, soit à décider le versement sous forme de rente pour certains préjudices spécifiques.
La première solution est à exclure, car elle ne mettrait pas les parties suffisamment à l'abri de leur propre imprévision : le risque est grand, avec le versement en capital, qu'une gestion insuffisamment prudente ne le dilapide, et la rente, quant à elle, n'est pas adaptée à toutes les formes de préjudice.
L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription a adopté la seconde solution, puisqu'il prévoit que « l'indemnité due au titre du gain professionnel manqué, de la perte de soutien matériel ou de l'assistance d'une tierce personne se fait, sauf décision contraire spécialement motivée, sous forme de rente indexée ». Cette proposition préserve la faculté d'appréciation du juge en la matière.
Tout en considérant qu'il est dans toute la mesure du possible souhaitable que les refus opposés aux prétentions des parties soient motivés, vos rapporteurs ne considèrent pas forcément nécessaire d'inscrire dans la loi la règle explicitée par l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription et ils jugent préférable de laisser intact le pouvoir d'appréciation des tribunaux sur ce point.
En revanche, à des fins de simplification et pour clore rapidement les actions en responsabilité portant sur des dommages minimes, il pourrait être préconisé de poser le principe d'une réparation en capital pour les montants les plus faibles .
b) Le problème de l'évolution de la rente au fil du temps
La question de l'évolution du préjudice au cours du temps ne pose pas véritablement de difficultés lorsque la réparation intervient sous la forme d'un capital . Soit le préjudice diminue, et l'autorité de la chose jugée interdit de revenir sur l'indemnisation apportée, soit il s'aggrave et le juge considère alors que s'ouvre pour la victime une nouvelle action en responsabilité pour le dommage complémentaire intervenu. De la même manière la dépréciation monétaire ne saurait concerner le capital versé une fois pour toutes.
Tel n'est pas le cas en matière de rente . L'aggravation ou la diminution du dommage peut justifier une révision de la rente. Cependant, en cas de diminution du dommage, celle-ci doit expressément avoir été prévue par le juge dans sa décision 137 ( * ) .
L'indexation de la rente vise, quant à elle, à protéger la victime contre l'inflation. Initialement interdite par la Cour de cassation, elle a par la suite été rendue possible par un revirement de jurisprudence 138 ( * ) . Le juge peut en conséquence ordonner d'office l'indexation et en choisit librement l'indice .
La liberté d'appréciation des tribunaux est néanmoins limitée en pratique dans le domaine des dommages résultant d'un accident de la circulation, par les dispositions de la loi n° 74-1118 du 27 décembre 1974, modifiée par la loi précitée du 5 juillet 1985, qui prévoient que les rentes versées sont majorées de plein droit selon les coefficients de revalorisation prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, pour les pensions d'invalidité. Cette restriction à la liberté d'appréciation du juge est parfois critiquée , au motif qu'entrent dans le champ du préjudice corporel des dommages pour lesquels la revalorisation sur la base de ce qui se pratique en matière d'invalidité peut ne pas apparaître totalement adaptée, comme ceux liés à la perte de revenu professionnel. Il pourrait donc être justifié de revenir sur cette limitation.
D'une manière générale cependant, le dispositif actuel permet de sauvegarder la réparation apportée par la rente au fil du temps en offrant aussi la possibilité au juge, lorsqu'il y a incertitude sur l'évolution du préjudice, de réserver le cas où il diminuerait pour éviter que la victime qui se remettrait de son dommage bénéficie ensuite d'une rente qui n'aurait plus la même justification.
Il apparaît donc équilibré, et il semble judicieux de le conforter en le consacrant législativement , comme le propose l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, mais sans nécessairement le réserver, comme le prévoit ce dernier, au cas des préjudices résultant d'une atteinte à l'intégrité physique.
Recommandation n° 27 - Privilégier le versement de la réparation sous forme de capital pour les dommages de plus faible ampleur. Recommandation n° 28 - Conforter la possibilité offerte au juge, lorsqu'il décide le versement d'une rente indexée, de déterminer cet indice et de prévoir, le cas échéant, les conditions dans lesquelles la rente sera révisée en cas de diminution ou d'aggravation du dommage . |
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Au cours de sa réunion du 15 juillet 2009, la commission des lois a approuvé les recommandations du rapport et autorisé sa publication.
* 136 Chambre des requêtes de la Cour de cassation, 11 juillet 1938.
* 137 Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, 12 octobre 1972.
* 138 Chambre mixte de la Cour de cassation, 6 novembre 1974.