2. La difficulté de bâtir une nouvelle architecture destinée à assurer une meilleure réparation des préjudices corporels
La recherche d'une nouvelle architecture du droit de la responsabilité civile est intimement liée au souci d'assurer une meilleure indemnisation des victimes de dommages corporels. Sans doute serait-il toutefois plus simple d'harmoniser davantage les régimes de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle.
a) Une tentation forte
Lors de son audition par le groupe de travail, M. Christophe Radé, professeur à l'université de Montesquieu-Bordeau 4, a souligné la nécessité de proposer aux victimes de dommages corporels une « réponse indemnitaire globale, simple et efficace », dénonçant « l'éparpillement des régimes de responsabilité », « les limites de la technique assurantielle » ou encore « l'expression erratique de la solidarité nationale ». Autant de signes, selon, lui d'une « architecture désordonnée ».
Dans son rapport précité, le groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de reforme du droit des obligations et du droit de la prescription exprime des préoccupations de même nature : « L'objectif d'une indemnisation plus efficace et plus équitable des atteintes à l'intégrité physique est plus dicté par le souci d'une juste protection de la dignité humaine , qu'il n'est commandé, en présence d'une convention entre les parties, par une nécessité de restaurer la loi du contrat. Cette loi contractuelle n'est-elle pas plutôt source de disparités de traitement et, partant, d'une rupture d'égalité particulièrement choquante lorsque la personne est atteinte dans son corps ? Ensuite et plus prosaïquement, l'affirmation selon laquelle l'atteinte à l'intégrité physique constitue un dommage contractuel stricto sensu n'est-elle pas assez artificielle ? En effet, la victime d'un préjudice corporel survenu dans l'exécution d'un contrat n'est pas privée d'un avantage proprement contractuel, car l'exigence de sécurité n'est pas spécifiquement conventionnelle 15 ( * ) . »
Ne pourrait-on dès lors, selon la formule employée lors de son audition par M. André Gariazzo, premier avocat général près la Cour de cassation, aller jusqu'à « supprimer toute distinction de régimes de responsabilité chaque fois qu'il y a non seulement atteinte à l'intégrité physique mais risque encouru par une personne » ?
b) Des réponses ponctuelles
Toute distinction de régimes de responsabilité est d'ores et déjà abolie , pour la réparation des dommages corporels, dans quatre domaines au moins :
- en matière d' accidents de la circulation , la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation édicte des règles spécifiques ;
- en cas dommage corporel causé par un produit défectueux , l'article 1386-1 du code civil pose le principe de la responsabilité du producteur qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;
- en matière de transport de personnes , la jurisprudence retient la responsabilité du transporteur même à l'égard d'un passager dépourvu de titre de transport valable 16 ( * ) ;
- en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs , elle ne fait plus du contrat la condition de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur 17 ( * ) .
c) Des solutions globales difficiles à mettre en oeuvre
Plusieurs solutions ont été présentées à vos rapporteurs pour apporter une réponse globale à cette exigence :
- M. Matthieu Poumarède, professeur à l'université de Toulouse, a ainsi jugé nécessaire de bâtir le droit de la responsabilité civile à partir du préjudice plutôt que du fait générateur ;
- M. Christophe Radé, professeur à l'université de Montesquieu-Bordeaux 4, a suggéré de poser le principe d'un droit à l'indemnisation de toute victime d'un dommage corporel soit au titre de la responsabilité civile soit au titre de la solidarité nationale ;
- les représentants du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ont envisagé la création d'un code autonome de l'indemnisation du dommage corporel qui pourrait intégrer l'ensemble des régimes spéciaux de responsabilité ou d'indemnisation.
Une telle refonte de l'architecture actuelle du droit de la responsabilité civile paraît cependant difficile à mettre en oeuvre .
Dans son rapport, le groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription souligne ainsi qu'« un régime de responsabilité se bâtit logiquement en fonction du fait dommageable (inexécution contractuelle, manquement à une norme générale de comportement, accident de la circulation, défaut affectant un produit...) et non en considération de la nature du préjudice à réparer. La variété des situations dommageables à l'origine d'atteintes corporelles est peu propice à l'établissement d'un régime autonome transcendant complètement les distinctions classiques. Les régimes spéciaux, souvent appelés à régir l'indemnisation de certains dommages corporels, y font pareillement obstacle 18 ( * ) ».
Sans doute serait-il plus simple, comme le propose l'avant-projet de reforme du droit des obligations et du droit de la prescription, de conserver la structure actuelle du droit de la responsabilité civile en éliminant les ruptures d'égalité les plus flagrantes dans l'indemnisation des atteintes à l'intégrité physique.
« Le cantonnement de l'harmonisation poursuivie aux principaux effets de la responsabilité et aux modalités de l'indemnisation stricto sensu » présenterait en outre l'avantage, selon le groupe de travail de la Cour de cassation présidé par M. Pierre Sargos, de « rendre plus aisée une extension du dispositif en droit administratif . »
Recommandation n° 6 - Conserver la distinction classique entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle , en rapprochant leurs régimes. |
* 15 Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription , 15 juin 2007, page 32.
* 16 Première chambre civile de la Cour de cassation, 6 octobre 1998, Bulletin n° 269.
* 17 Chambre sociale de la Cour de cassation, 28 février 2006, Bulletin n° 87.
* 18 Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l'avant-projet de reforme du droit des obligations et de la prescription , 15 juin 2007, page 32.