B. RENFORCER LE PILOTAGE DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE VIH
Le second axe essentiel des observations formulées par la Cour des comptes concerne le pilotage global par le ministère de la santé de la politique de lutte contre le VIH/Sida. Sur ce sujet, la juridiction financière met en évidence certaines faiblesses de l'organisation administrative, ainsi qu'une certaine dilution des crédits accordés aux associations.
1. Une organisation administrative perfectible
Comme l'a noté Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour lors de son audition par la commission des affaires sociales :
« Le système de pilotage de la lutte contre l'infection a été bâti à la suite du rapport présenté par le professeur Claude Got en 1989. Trois institutions ont été créées sur la base de ce rapport : le conseil national du sida (CNS), l'agence française de lutte contre le sida (AFLS) et l'agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). L'AFLS a aujourd'hui disparu et le CNS n'est plus jamais sollicité, mais continue cependant à se réunir et à rendre des avis. La direction générale de la santé (DGS) coordonne l'ensemble du dispositif, la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins ayant des compétences propres en ce qui concerne l'hospitalisation. D'autres institutions interviennent, en particulier l'Inpes, l'InVS et la Haute Autorité de santé (HAS). Le grand nombre d'intervenants nécessite un pilotage assez fort au sein du ministère de la santé pour créer une synergie entre les acteurs et permettre la détermination des principaux axes de la politique. Ce pilotage se révèle difficile pour la DGS. La dimension interministérielle de cette politique est trop peu développée et les ministères de l'éducation nationale, de l'intérieur et de la justice jouent, en particulier, un rôle insuffisant. ». 2 ( * )
La commission des affaires sociales s'étonne que le CNS, dont les travaux font pourtant autorité au sein de la communauté médicale, n'ait plus été saisi de la moindre demande d'avis depuis 2003 et n'ait pas été consulté sur les deux derniers plans de lutte contre le VIH/Sida (2001-2004 et 2005-2008) , alors même que le décret qui l'a créé prévoit qu'il est consulté « sur les programmes d'information, de prévention et d'éducation pour la santé, établis par le Gouvernement et les organismes publics » . Elle souhaite qu'il en aille différemment pour le plan national IST-VIH 2010-2013.
Au cours des dernières années, le CNS a rendu de nombreux avis et rapports de qualité, qui n'ont sans doute pas été exploités autant qu'ils le méritaient. Ainsi, les associations entendues par la commission ont déploré que l'avis du Conseil sur les tests de dépistage rapides, rendu en 2006, ne se traduise par une évolution du cadre réglementaire que quatre années plus tard.
La commission estime souhaitable que les récents avis du CNS portant sur l'intérêt du traitement comme outil novateur de la lutte contre l'épidémie d'infections à VIH 3 ( * ) et sur la prise en compte des personnes vivant avec le VIH dans les politiques du handicap 4 ( * ) soient pleinement exploités par le ministère de la santé.
En ce qui concerne les difficultés de pilotage de la politique de lutte contre le VIH, la Cour met notamment en évidence l'imparfait enchaînement des différents plans mis en oeuvre au fil du temps. Ainsi, le dernier programme s'est achevé en 2008 et le nouveau plan de lutte contre le VIH/Sida et les IST n'a pas encore été mis en oeuvre. Surtout, elle observe que ces plans n'ont pas, jusqu'à présent, été suffisamment assortis d'indicateurs et d'objectifs chiffrés permettant d'en suivre la mise en oeuvre. Elle souligne que le programme national de lutte contre le VIH/Sida et les IST 2005-2008 a bien fixé pour la première fois un tableau de bord comportant quelque soixante indicateurs, mais que le choix de ces indicateurs s'est révélé incomplet malgré son caractère très, voire trop fourni.
La Cour note, en outre, une insuffisante « interdirectionnalité » au sein même du ministère de la santé où la DGS a la responsabilité de concevoir les objectifs de la politique de lutte contre le VIH/Sida. Elle regrette la faiblesse des dimensions interministérielles de cette politique , rappelant qu'un comité interministériel avait été créé au cours des années 1990 avant d'être supprimé : « L'effacement, puis la suppression des modalités de coordination interministérielle paraît priver le ministère de la santé de leviers potentiellement utiles pour inscrire durablement la prévention des risques liés à la sexualité dans les programmes scolaires, affirmer un point de vue de santé publique dans le domaine du traitement administratif des étrangers séjournant de manière irrégulière sur le territoire national ou celui des prostitué(e)s, ou encore veiller à l'effectivité de la mesure d'anonymat qui régit en principe la situation des personnes infectées par le VIH vis-à-vis des codétenus et du personnel pénitentiaire. ».
La commission des affaires sociales souhaite mettre particulièrement l'accent sur la nécessité d'une participation active du ministère de l'éducation nationale à cette politique. Les médecins et infirmières scolaires peuvent exercer un rôle particulièrement utile en matière de prévention.
2. Le saupoudrage des subventions aux associations
Comme le rappelle la Cour dans son enquête, « les associations tiennent dans la lutte contre le VIH/Sida une place sans équivalent pour les autres pathologies. Cette place concourt à la permanence d'un débat public sur la politique de lutte contre le VIH/Sida et au maintien d'une priorité budgétaire en faveur de la prévention et de l'accompagnement social de cette pathologie ».
Indépendamment de l'enquête qu'elle a conduite à la demande de la commission des affaires sociales sur la politique de lutte contre le VIH, la Cour des comptes a examiné en 2009, dans le cadre des dispositions qui lui donnent compétence pour contrôler les comptes d'emploi que doivent établir les organismes faisant appel à la générosité publique, la situation de l'association « Sidaction ». Elle a constaté que l'allocation des fonds de cette association s'appuie sur des comités d'experts indépendants et bénévoles, soumis à des règles déontologiques strictes en vue de garantir l'objectivité et l'indépendance des propositions de financement. Elle a noté que les frais de fonctionnement et de structure apparaissent correctement maîtrisés, mais que les coûts d'appel à la générosité publique connaissent, en valeur absolue, une croissance significative.
Elle a enfin noté que l'association connaît une
progression importante des fonds mis en réserve et a souhaité une
accélération du rythme des versements, conforme aux engagements
de redistribution rapide envers les donateurs.
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Les différentes associations intervenant dans la lutte contre le VIH/Sida peuvent recevoir des subventions dans plusieurs cadres distincts :
- l'Inpes accorde des subventions dans le cadre d'appel à projets pour un montant de 1,3 million d'euros en 2008 ;
- l'Etat attribue des subventions au titre de l'action 13 « Prévention des risques infectieux et des risques liés aux soins » du programme ministériel 204 « Prévention et sécurité sanitaire » de son budget. Ces dépenses se décomposent en crédits centraux gérés par la DGS (6,3 millions dépensés à ce titre en 2008) et en crédits déconcentrés (24 millions dépensés en 2008) ;
- les crédits déconcentrés font eux-mêmes l'objet soit de subventions directes aux associations, soit de concours aux GRSP, qui accordent à leur tour des subventions.
En ce qui concerne ces subventions accordées aux associations, la Cour formule deux observations importantes :
- le ministère de la santé peine à connaître la manière dont sont utilisées les subventions accordées au niveau local par les groupements régionaux de santé publique (GRSP), ce qui rend difficile l'évolution de l'efficacité de ces dépenses ;
- la structure des subventions accordées par les GRSP fait apparaître une forte dispersion, puisque seules 13 % des actions qu'ils soutiennent bénéficient de subventions d'un montant supérieur ou égal à 50 000 euros. Comme le note la Cour, « la dispersion des concours aux associations emporte d'importantes déséconomies d'échelle. Des moyens conséquents sont consacrés à la création d'outils de formation ou de communication qui existent déjà dans la même région ou pourraient être importés d'une autre. Même si internet favorise une réduction des besoins de financement à ce titre, les ressources consacrées à la diffusion des supports de prévention sont pour partie obérées par celles nécessaires à leur production. Plus fondamentalement, un nombre élevé d'actions subordonnées ne paraissent pas avoir une masse critique suffisante au regard de leurs cibles affectées ou potentielles » .
La commission des affaires sociales souhaite que le transfert prochain des compétences des GRSP aux nouvelles agences régionales de santé (ARS), permette de faciliter une remontée vers le ministère des informations relatives à l'utilisation des subventions accordées dans le cadre régional. Il est souhaitable que les subventions accordées puissent faire l'objet d'un suivi et que leur efficacité soit évaluée.
En ce qui concerne la dispersion des subventions, les associations entendues par la commission ont relevé que le critère d'attribution d'une subvention doit être la qualité du projet présenté plutôt que la taille de l'association qui le porte. De fait, certaines associations de faible surface interviennent parfois dans des secteurs où les structures plus importantes ne sont pas présentes. L'analyse des projets présentés et l'évaluation des actions conduites doivent donc être les critères essentiels permettant d'opérer des choix dans l'attribution des subventions.
3. La prise en charge sanitaire et sociale
Certaines des associations entendues par la commission ont regretté que l'étude de la Cour ne contienne que peu de recommandations relatives à la prise en charge sanitaire et sociale des personnes séropositives ou atteintes du sida. Très souvent, ces personnes sont isolées et disposent de faibles sources de revenus. Or, les rapports du groupe d'experts sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH ont montré que l'acceptation et la mise en oeuvre des traitements sont fortement liées aux conditions de vie quotidienne des personnes concernées.
Dans ces conditions, le nouveau plan national devra se montrer ambitieux en matière de prise en charge sanitaire et sociale , notamment en ce qui concerne les propositions d'hébergement aujourd'hui trop limités. En particulier, les appartements de coordination thérapeutique sont en nombre d'autant plus insuffisant qu'ils sont accessibles à d'autres personnes que celles atteintes par le VIH.
Sur ce point, le ministère de la santé a indiqué lors de la présentation des orientations du plan national que « l'accompagnement médico-social des patients permettra aux patients d'être logés ou hébergés dans des conditions correctes pour permettre une bonne observance. Cette année encore, 200 places d'appartements de coordination thérapeutique, hébergeant à titre temporaire des personnes en situation de fragilité psychologique et sociale et nécessitant des soins et un suivi médical, ont été créées, portant le nombre de places à 1200. Une étude visant à évaluer les besoins des personnes vivant avec le VIH en structures d'hébergement et l'adéquation des réponses apportées à leurs besoins vient d'être lancée ».
En définitive, l'enquête réalisée par la Cour des comptes se révèle riche d'enseignements et devrait être dès à présent prise en considération dans le cadre de la préparation du plan national IST-VIH 2010-2013, qui doit être prochainement lancé par le Gouvernement.
Réunie le 24 février 2010 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a approuvé les conclusions de son rapporteur et autorisé la publication du présent rapport d'information. |
* 2 Cf. en annexe au rapport le compte rendu de la présentation faite à la commission, le 17 février 2010, par Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, et Stéphanie Bigas, conseillère référendaire, de l'étude relative à la politique de lutte contre le VIH/Sida, et par Michel Thomas, conseiller référendaire à la cinquième chambre, du rapport « L'association Sidaction : l'impact des recommandations de la Cour ».
* 3 Avis suivi de recommandations adopté par le CNS le 9 avril 2009.
* 4 Avis suivi de recommandations adopté par le CNS le 10 septembre 2009.