UNE RÉALITÉ VÉCUE
Témoignage de Mme Fatou Diouf, auteure de « Le scandale des mariages forcés »
Bonjour à vous tous et à vous toutes. Je m'appelle Fatou Diouf, j'ai vingt-huit ans et demi. Je suis d'origine sénégalaise, née en France, auteure du livre « Le scandale des mariages forcés » . Ce livre a été écrit à la suite d'un vécu, mon vécu, à l'âge de dix-huit ans.
En décembre 1999, je fréquentais un Camerounais non musulman. Mon père qui l'a découvert m'a fait croire qu'il avait gagné un voyage pour deux semaines au Sénégal. Arrivée sur place, ce n'était pas un voyage organisé mais une séquestration de sept mois, pour me marier de force à un oncle qui avait trente-six ans à l'époque. L'oncle était le cousin de ma mère. Il faut savoir qu'en tant qu'Africaines sénégalaises, dès le départ, nous sommes conditionnées. C'est pour cela que je préfère le préciser. Cet oncle avait le double de mon âge. Il m'a connue toute petite.
À l'époque, par chance, j'étais en Afrique et lui en France, je n'ai donc pas été violée, je n'ai pas eu droit à cette nuit de noces. C'est pour cela que je préfère préciser en parlant vraiment d'un viol. Pour moi, je l'aurais considéré vraiment comme un viol. J'ai été mariée religieusement. Il faut savoir aussi que pour un mariage religieux, il n'y a pas besoin de la présence des mariés. A partir du moment où les parents des mariés sont présents, cela suffit amplement. Je n'étais donc pas là le jour de ce mariage.
J'ai réussi à m'en sortir au bout de sept mois, grâce à la solidarité d'une animatrice de radio que j'ai rencontrée sur place, du Consulat de France à Dakar et d'une association parisienne, qui se nomme « Femmes solidaires » et qui m'a aidée dans les démarches administratives. En juillet 2000, j'ai réussi à m'enfuir en escaladant le mur de la maison, en prenant un taxi qui m'a amenée jusque chez un homme qui avait des relations avec le Consulat de France et qui m'y a amenée. Une première phrase m'avait marquée. En traversant le seuil du consulat, il m'a dit : « Tu es sous les lois françaises, tes parents ne peuvent plus rien contre toi » . Je suis de nationalité française, mais je n'avais pas de preuve, parce que je n'avais plus de papiers. Mes seules preuves étaient ma carte Imagine R, ma carte d'étudiante et le fait que je n'aie pas d'accent africain, ce qui m'a sauvée.
Je rejoins ce que disait le docteur Piet. Il n'y a rien de pire vraiment que d'être trahie par les personnes qui nous mettent au monde ; quand je vous en parle, j'en ai la chair de poule. Il n'y a rien de pire ! Honnêtement, j'ai cru en mes parents, je n'ai pas vérifié les billets, je suis partie avec confiance. Arrivée sur place, je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas de confiance. Sur le coup, j'ai pensé tout de suite à me suicider, parce que pour moi il n'y avait rien de pire que cela.
Par la suite m'est venue l'idée d'écrire ce livre. Au départ, c'était parti sur mon témoignage, sur mon histoire. J'ai rencontré Charles-Arnaud Ghosn, un journaliste, qui m'a proposé de faire une enquête plus approfondie sur cette problématique, malheureusement toujours d'actualité. Par ailleurs, je suis l'aînée de quatre frères et d'une petite soeur. J'essaie maintenant de protéger au mieux ma petite soeur.
Au-delà de ce problème de coutume, l'appel du sang est plus fort que tout : j'ai repris contact avec ma famille, mais cela m'a pris du temps. Malheureusement, je me suis rendu compte que quand ce n'est pas la coutume, c'est la religion. Actuellement, je suis avec un Antillais non musulman, cela ne passe toujours pas. J'ai donc coupé les contacts avec ma famille. C'est très dur. J'ai vingt-huit ans et demi, le fait de ne plus dire « maman » ou « papa » me manque. Ne plus avoir ce lien familial, ne plus entendre mes frères et mes soeurs fait vraiment très mal, mais honnêtement, je préfère souffrir et avoir eu le courage d'imposer mon choix de vie, que de me soumettre à une coutume et de ne jamais être heureuse, d'être violée constamment, d'avoir des enfants avec un homme que je n'aime pas, et que mes enfants en souffrent.
Par la suite, j'ai été présidente de l'association « Femmes solidaires » dans le 91. Par l'intermédiaire de cette association, je faisais de la prévention dans les collèges et les lycées pour prévenir contre cette coutume qui existe toujours. A la suite de ces actions de prévention, des jeunes filles sont venues me voir pour me parler de leurs problèmes. Il faut savoir, même si on n'en parle pas, que des hommes, des garçons sont aussi mariés de force. Ce livre contient aussi des témoignages de garçons qui ont vécu ce mariage forcé. Je tenais à le souligner.
Je voulais aussi vous lire la lettre d'une jeune fille à son père. Elle est complète. Cette lettre, c'est moi qui l'ai écrite à mon père, mais je n'ai pas voulu le dire dans ce livre. C'est un petit secret. Je vais la lire très rapidement.
« Cher papa, Lorsque j'étais enfant, tu n'as jamais été sévère avec moi. C'est plutôt maman qui avait la main leste et qui me corrigeait souvent. Toi, tu étais distant, strict. Ton visage se fermait. Tu avais un caractère rude. Tu ne parlais pas beaucoup et moi je n'osais jamais aller vers toi. Tu es arrivé seul du Bénin en 1978. D'abord manoeuvre sur un chantier naval, dans une ville où parfois il neigeait. A force de courage, tu es devenu ouvrier qualifié, puis chef d'équipe. Maman t'a rejoint en 1980. Grâce à toi, je n'ai jamais manqué de rien, sauf de l'essentiel : des bisous, des câlins, de l'amour, quoi. Tu priais souvent sur ton tapis en direction de La Mecque. Est-ce cette pratique qui t'a éloigné de moi ? Dieu te suffisait-il au point que tu pouvais te passer de ta fille ? Voulais-tu que moi aussi je sois une sainte ? A partir de onze ans, je suis devenue comme une seconde épouse. Pas plus haute que trois pommes, je secondais maman, nettoyant, briquant, allant faire des courses, repassant, m'occupant de mes cinq frères et soeurs. Jamais un moment pour m'évader, pour rêver, comme mes copines que je fréquentais à l'école. Un jour, je m'en souviens, tu m'as fouettée avec un fil électrique. Tu m'avais surprise dans la rue à parler avec un Français. Plus je grandissais, plus j'avais le sentiment d'être une étrangère à tes yeux. Tu ne me regardais jamais. En fait, lorsque tu m'as annoncé que tu allais me marier à mon cousin resté au pays, j'ai compris que tu te moquais de mon bonheur et que seuls ton honneur et ton rang de chef t'intéressaient. Pour moi, cela a été un déchirement. Je me suis révoltée, je me suis enfuie pour échapper à mon sort que tu avais décidé à ma place. Je sais que tu en as été blessé, que par ma faute, au village, des proches t'ont mal jugé, que ton honneur a été bafoué, mais je sais aussi que tout ce temps de rupture et de drame t'a fait réfléchir. Nous nous sommes revus. Tu m'as demandé pardon, tu as souhaité repartir à zéro. Pourtant, il est encore bien dur de se parler et surtout de se comprendre. Papa, je ne te demande pas grand-chose, juste de m'aimer comme je suis et d'accepter mon choix de vie. Même si l'homme que je choisirai plus tard ne sera peut-être ni de notre famille, ni de notre religion, tu es mon père, je ne l'oublie pas, je ne te renie pas, mais tu restes enfermé dans les coutumes de notre clan. Normal, tu as grandi dedans. Je peux le comprendre, mais fais aussi l'effort de saisir qu'à notre époque, les hommes doivent évoluer. Si tu ne l'acceptes pas, tu risques de me perdre. Au fond de moi pourtant, je sais que tu peux changer. Je l'ai perçu le jour de mes vingt-cinq ans, sept ans après ma fuite. Ce jour-là, tu m'as appelée pour me dire que j'étais ton sang et que je te manquais. Je ne l'oublierai jamais. » |
(Applaudissements)
Mme Michèle André, présidente
Merci beaucoup Fatou pour ce témoignage émouvant et courageux. Je vais donner la parole à Karima qui va elle aussi nous parler d'elle-même. Elle est l'auteure de « Insoumise et dévoilée » .
Témoignage de Karima, auteure de « Insoumise et dévoilée »
Bonjour à tous et à toutes, je me prénomme Karima, j'ai trente-quatre ans et je suis belgo-marocaine. Mon histoire a commencé dans les années 1980. Mes parents ont décidé de déménager d'une petite ville flamande pour s'installer en Wallonie. Mon père a fait connaissance des voisins qui fréquentaient une mosquée. Petit à petit, ceux-ci ont incité mon père à fréquenter cette mosquée. L'iman a dit un jour à mon père qu'il n'était pas un bon musulman, que pour être un bon musulman il fallait que ses enfants viennent à la mosquée pour apprendre l'islam.
Du jour au lendemain, on s'est retrouvé à la mosquée. Le premier jour, on y est allé sans foulard, car les filles n'étaient pas voilées à la maison. L'imam a dit à mon père que ses filles n'étaient pas voilées et qu'il n'était pas un bon musulman. En rentrant à la maison, mon père a pris deux foulards, nous les a mis sur la tête sans explications, nous disant simplement : « Si vous l'enlevez, je vous tue ! » .
J'avais huit ans, le foulard ne me dérangeait pas à la mosquée, parce que toutes les filles le portaient, mais à l'école c'était différent, car personne ne le portait. Toute petite, j'ai commencé à avoir une double vie. Je l'enlevais en cachette avant d'aller à l'école, mais je le remettais avant de rentrer à la maison.
Vers l'âge de douze ans, j'ai été promise à un cousin. J'ai deux grandes soeurs, je suis la dernière des filles, et j'ai sept frères. Mes deux soeurs se sont mariées. Il restait moi. J'ai donc été promise à un cousin à l'âge de douze ans. Vers l'âge de quatorze ans, mon père avait peur que je tombe amoureuse d'un non-musulman. Il voulait trouver le moyen de me garder à la maison, de ne pas fréquenter l'école, tout en bénéficiant des allocations familiales.
En réfléchissant un petit peu, mes parents ont trouvé le moyen de le faire. Ils ont fait venir le médecin traitant, une femme belge. Ma mère lui a dit simplement qu'elle était malade, qu'elle était fatiguée, qu'elle avait besoin de moi à la maison, que je devais m'occuper de mes petits frères, de mes neveux et qu'il lui fallait un certificat médical. Le médecin, sans contester, sans réfléchir, a fait un faux certificat de trois mois.
J'ai été séquestrée pendant trois mois. Je me suis dit que les trois mois allaient vite passer, que j'allais pouvoir retourner à l'école et que j'en parlerais à l'assistante sociale, à ce moment-là. Les trois mois sont passés, le médecin est revenu à la maison. Ma mère lui a dit que cela n'allait toujours pas et qu'il lui fallait un nouveau certificat. Le médecin en a refait un jusqu'à la fin de l'année scolaire. Je me suis dit qu'avec ce moyen ils allaient poursuivre ainsi jusqu'à mes dix-huit ans. J'étais coincée.
Soit je décidais de me battre, en sachant qu'il y avait un prix à payer, ou alors je me laissais faire, je quittais une prison pour une autre, celle du mari. J'ai décidé de me battre. J'ai rédigé un courrier que j'ai adressé à l'assistante sociale. Comme je ne pouvais pas sortir, il fallait trouver une personne pour pouvoir l'envoyer. Je l'ai donné à la voisine qui venait régulièrement à la maison. La lettre a été envoyée à l'assistante sociale, laquelle a, dans un premier temps, contacté le Service d'aide à la jeunesse (SAJ). Étant mineure à l'époque, c'était le seul organisme qui pouvait intervenir. Elle a expliqué la situation. Le SAJ a tout simplement répondu : « C'est leur culture, c'est leur communauté, on préfère ne pas intervenir » .
L'assistante sociale n'a pas voulu en rester là. Elle a contacté le médecin de quartier. Celui-ci pouvait très bien ne pas intervenir, puisqu'il n'avait pas reçu de dossier, il pouvait dire qu'il ne s'occupait pas de cela. Il est cependant intervenu. Il est venu trouver mon père en rappelant l'obligation scolaire. Grâce à ce médecin, j'ai pu regagner l'école. L'assistante sociale savait que j'étais séquestrée. Elle savait qu'il s'agissait de faux certificats, que je n'étais pas malade, mais elle ne savait pas tout. Elle ne savait pas que j'étais promise à un cousin, que j'étais battue.
J'ai décidé de tout lui raconter. Je suis arrivée à l'école, j'ai enlevé mon foulard en cachette, je suis rentrée dans son bureau et je me suis mise à lui raconter le calvaire que je vivais. Au moment où je lui faisais mon récit, mon père est arrivé. On ne l'avait pas vu arriver. Il m'a vue sans le foulard, s'est mis en colère, m'a insultée, me menaçant devant l'assistante sociale. Il a voulu me ramener à ce moment-là, mais l'assistante sociale s'est interposée physiquement. Elle lui a dit qu'il était hors de question de me ramener, qu'il devait venir me chercher à seize heures, s'il le voulait. Mon père est parti, disant qu'il reviendrait me chercher à seize heures.
L'assistante sociale m'a dit que mon père était énervé, mais qu'il ne ferait rien. Je lui ai montré mes coups, et je lui ai confié que j'étais battue tous les jours. Qu'a-t-elle fait ? Elle m'a amenée chez un médecin pour faire constater les coups. Nous avons eu un certificat, puis on est allé chez le juge de la jeunesse. Nous avons eu à faire à la secrétaire qui nous a dit qu'il fallait passer par le SAJ. L'assistance sociale a expliqué que ce service ne s'occupait pas des personnes d'origine maghrébine parce qu'il ne connaissait pas les coutumes et la culture de cette région.
Nous avons pu rencontrer le juge. Celui-ci a vu le certificat, il a vu les coups, il m'a entendue, il a entendu l'assistante sociale. J'ai été placée dans un centre. Je me sentais libre. Quelques mois plus tard, mes parents m'ont recontactée. Mon père m'a dit de rentrer à la maison, que je ferais ce que je voudrais, que je me marierais avec qui je voudrais, que je pourrais reprendre mes études. J'y ai cru, je suis rentrée à la maison, tout en bénéficiant d'un suivi.
Mon père qui était guide pour pèlerins m'a proposé un voyage en Arabie Saoudite. Il partait chaque année, et je me suis dit : pourquoi pas l'Arabie Saoudite ? Je suis partie avec mes parents. Le voyage s'est superbement bien passé. Je suis restée deux mois avec eux là-bas. Nous sommes revenus. Les mois passaient. Mon père m'a proposé ensuite un voyage au Maroc. Le voyage en Arabie Saoudite s'étant bien passé, je me suis dit que celui au Maroc se déroulerait de la même manière.
Nous sommes partis en voiture et nous avons eu trois jours de route. Tout s'est bien passé. Nous sommes arrivés à la douane au Maroc. Mon père m'a regardée et m'a dit : « Ici, c'est le pays où le père commande à la fille » . Il avait mon passeport, mais je ne l'ai pas pris au sérieux, je l'ai pris à la rigolade. Nous sommes arrivés dans notre maison. Il m'a attrapée dans la cage d'escalier et s'est vengé. On n'a rien pu faire. Il m'a dit : « Ici, tu feras ce que je te dis de faire, c'est-à-dire que tu te marieras avec ton cousin » .
Ma mère s'est interposée, c'était la première fois qu'elle le faisait. Pourquoi s'était-elle interposée ? Mon père voulait que je me marie avec son neveu à lui, tandis que ma mère voulait que je me marie avec son neveu à elle. Cela a été ainsi pendant deux mois. Mes parents se disputaient. J'ai pu quand même revenir après deux mois, grâce à ma mère. Je n'étais plus en obligation scolaire, puisque j'avais dix-huit ans. De nouveau, je me suis retrouvée séquestrée, mais je me disais que j'avais échappé au mariage forcé.
Les semaines passèrent. Un jour mon père a reçu un recommandé du Maroc, tout content, tout heureux. Il m'a demandé de l'accompagner jusqu'à la commune. Là, il m'a sorti le contenu de l'enveloppe : c'était l'acte de mariage. Par procuration verbale, le père avait marié sa fille.
Je me suis retrouvée mariée civilement. Je me suis dit que j'allais voir où cela allait me mener, mais j'étais décidée à ne pas accepter. J'ai réfléchi pour savoir comment j'allais faire, jusqu'au jour où mon père a envoyé la demande de regroupement familial et où mon cousin a envoyé le numéro de visa. Quinze jours après, il aurait pu être en Belgique. Je me suis dit que je devais me battre, qu'il ne devait pas venir ici, car sinon je serais coincée.
J'ai adressé un courrier au Service des étrangers, en expliquant la situation, en mettant le numéro de visa, en disant que c'était un mariage forcé, que si ce cousin venait ici et qu'il m'arrivait quelque chose, ils l'auraient sur la conscience. Très vite, son visa a été bloqué, il n'a jamais pu mettre les pieds ici (en Belgique).
Je me suis dit que je devais partir, que j'étais coincée en restant chez mes parents. Comme j'ai toujours procédé par écrit, j'ai rédigé un courrier comme si un bureau me convoquait. Il fallait penser à tout. Ma mère ne pouvait pas sortir, donc elle ne pouvait pas m'accompagner ; et mon père risquait de m'accompagner.
J'ai donc choisi un vendredi, le jour de la prière à 14 heures. Le jour J, je suis partie et c'est la foi de mon père qui m'a sauvée. J'étais libre, mais j'étais prisonnière de ma vie, car j'étais mariée civilement. J'ai entamé une procédure d'annulation de mariage, pensant que cela irait très vite. La procureure m'a dit que mon père risquait d'être condamné. J'ai arrêté la procédure car mon père reste mon père malgré tout.
J'ai entamé une procédure de divorce pensant qu'en un ou deux ans au maximum, j'obtiendrais le divorce. Quatorze ans après, je n'étais toujours pas divorcée. Mes frères, mon beau-frère m'ont demandé en 2006 de venir passer les vacances au Maroc. Je n'y étais plus retournée, car j'avais peur d'être retenue là-bas. Mes frères ont insisté, me disant qu'ils étaient là pour me protéger. J'ai fait une tentative. Je suis retournée au Maroc et j'ai fait la connaissance d'un juge. Je lui ai expliqué ma situation, que cela faisait quatorze ans que j'étais mariée, que je n'avais jamais vécu avec cette personne, que c'était un mariage forcé.
Il m'a expliqué que je n'avais qu'une seule solution pour m'en sortir, procéder comme mon père, c'est-à-dire acheter le divorce et qu'il pouvait s'en charger. Dès mon retour en Belgique, il m'a demandé de lui envoyer par fax l'acte de mariage. Lui se chargerait de tout. C'est ce que j'ai fait. Quelque temps après, il m'a annoncé qu'il avait mon divorce. Ainsi ai-je pu divorcer.
J'ai toujours voulu écrire mon histoire pour pouvoir me reconstruire. On en garde des séquelles. On ne peut pas oublier. On peut se reconstruire, mais on ne peut pas oublier. Ma thérapie était l'écriture. J'ai mis ma famille au courant. J'ai expliqué que j'allais écrire mon histoire. Ils le prenaient à la rigolade, car cela faisait des années que j'en parlais. Ils ne m'ont pas prise au sérieux, jusqu'au jour où ils ont vu un extrait sur le site de l'éditeur. Ils ont fait comme s'ils tombaient de haut. Ils m'ont insultée, menacée et ils m'ont intenté un procès en référé pour faire interdire la vente du livre. J'ai gagné le procès On m'a demandé des preuves de tout ce que je racontais dans le livre.
Ce n'était pas évident. J'avais la preuve de mon mariage forcé par l'acte de mariage. Il était écrit : « Par procuration verbale, le père a marié sa fille » . L'assistante sociale, le juge, mes anciens professeurs, les voisins sont venus témoigner. Il me manquait la preuve des faux certificats. Ce médecin avait fait des faux pendant onze ans. Je suis allée la trouver, lui expliquant que j'étais en procès et je lui ai demandé si elle se souvenait de ce qu'elle avait fait. Elle m'a dit qu'elle était naïve à l'époque. Je lui ai dit que si elle voulait se « racheter », elle devait attester par écrit qu'elle avait fait des faux pendant onze ans. Elle l'a attesté par écrit. J'ai donc gagné le procès.
En gagnant ce procès, j'ai eu énormément de témoignages de femmes, de filles et de garçons qui ont vécu la même chose que moi. J'ai eu des appels à l'aide. Nous avons fondé une association pour répondre à toutes les demandes d'aide. Lasse d'entendre les médecins dire qu'on ne faisait plus de faux certificats, que cela existait il y a dix ou quinze ans, la première chose que nous avons faite avec l'association a été de sélectionner une dizaine de médecins au hasard sur Internet. J'ai téléphoné, en prenant un accent pour faire croire que je ne comprenais pas bien le français, en disant que j'étais musulmane et que je souhaitais un certificat médical pour que ma fille de huit ans soit dispensée de cours de gymnastique et de natation.
Par téléphone, le premier médecin m'a demandé mon adresse pour m'envoyer par courrier ce certificat d'un an. Sur les dix médecins, sept ont accepté de le faire. J'ai eu trois refus, dont un d'un médecin d'origine marocaine qui m'a répondu que quelles que soient mes convictions, la natation et la gymnastique étaient des cours importants pour la santé des enfants et qu'il ne le ferait pas.
Je ne vais pas vous parler de tous les cas que nous avons traités jusqu'à aujourd'hui. Je peux vous donner les chiffres. Quand on intervient, on fait toujours une déposition à la police. Sans la déposition, on ne peut pas intervenir, car on doit se protéger et on doit protéger la personne. Si je vous dis seize interventions sur quatorze jours, c'est énorme. Il n'y en aurait qu'une seule, que c'en serait une de trop !
Je vais vous parler du cas des personnes qui m'ont accompagnée aujourd'hui. Elles sont ici dans la salle. Fatou a parlé justement de garçons qui sont mariés de force. Il y a un garçon qui a été marié de force, il est ici dans la salle. Je vais vous expliquer leur histoire. La police nous a appelés il y a quatre mois de cela, nous disant que deux personnes d'origine pakistanaise avaient été mariées de force et nous demandant si on pouvait intervenir. Nous avons accepté d'intervenir. Nous sommes allés les chercher, et nous les avons cachées pendant quatre mois.
Dans la communauté pakistanaise, on les fiance dès la naissance. Ces deux personnes ont été fiancées. A l'adolescence, elles sont tombées amoureuses l'une de l'autre, mais il y a eu une embrouille entre les deux familles, et ils ont été contraints d'épouser quelqu'un d'autre. On les a mariés de force au Pakistan. Ils ne se sont jamais oubliés, ils ont continué à s'aimer. Ils sont partis une première fois, ils ont pris la fuite. La famille les a retrouvés grâce à un employé de la banque qui leur a indiqué que leur soeur avait fait un retrait à tel endroit. Ils les ont retrouvés, séquestrés. La personne ne pouvait sortir que si elle avait des convocations de la police. C'est ainsi que la police nous a appelés. Nous sommes allés la chercher.
Comment travaille-t-on ? Les victimes nous appellent, nous allons les chercher, nous les mettons dans les foyers pour femmes battues, mais ce ne sont pas des endroits pour elles, car ce ne sont pas des cas sociaux. Elles se retrouvent avec des droguées, des alcooliques, elles ne peuvent pas se reconstruire.
Très vite, nous avons monté un réseau de familles d'accueil. Nous sommes une trentaine en Belgique. Ces femmes peuvent se reconstruire plus facilement dans une famille d'accueil, bien entourées, plutôt que dans un foyer où elles se retrouvent avec dix ou quinze personnes qui ont des problèmes.
Nous avons caché ces deux personnes pendant trois mois, puis les familles sont remontées jusqu'à nous. Comment y sont-elles parvenues ?
La soeur de la fille a téléphoné à un organisme de paiement, la CSCE, en se faisant passer pour elle, en demandant quelle adresse elle avait dans son ordinateur car elle ne recevait pas de courrier. L'organisme lui a donné l'adresse de sa soeur. Heureusement que quelqu'un de l'association a repéré de nouvelles têtes pakistanaises dans la ville où ils étaient cachés. On a appelé la police, qui a fait un contrôle de la voiture, un contrôle d'identité. Il s'agissait bien des frères. On a évacué ces deux personnes dans une autre famille.
Si on intervient à Bruxelles, par exemple, dans la capitale, on ne laisse jamais la victime dans la même ville. On l'envoie à cent-cinquante, deux cents kilomètres. Il faut la protéger. Nous avons eu énormément de problèmes avec la police. Les filles qui allaient faire une déposition à la police pour dénoncer un mariage forcé, pour dénoncer les violences familiales, etc. étaient sans preuve, et il ne servait à rien de faire une déposition.
On a mis en place récemment, avec la Procureure du Roi, un nouveau dispositif qui permet de prendre au sérieux toutes les requêtes, et de faire bénéficier d'une protection policière toutes les personnes prises en charge dans le cadre de ce dispositif. Lancé à titre expérimental à Verviers, il a commencé à se diffuser sur le reste du territoire.
Nous avons une trentaine de familles d'accueil. Il faut dire que nous sommes tous des bénévoles dans l'association. Ce sont toutes des personnes qui ont vécu ce que j'ai vécu. J'ai trente-quatre ans. Ce sont des personnes de quarante-quatre ans, des personnes de vingt-cinq ans. Ce n'est pas une génération, ce n'est pas deux générations, ce n'est pas trois générations. Sur trois générations, rien n'a changé. Ce n'est pas normal. Si vous avez des questions par rapport à notre travail, j'y répondrai.
Je terminerai en vous lisant deux lettres. Il est très important de faire la différence entre l'islam et les traditions. Le Coran n'a jamais dit qu'il faut marier sa fille de force. Personnellement, quand j'ai subi tout cela, je me suis remise en question par rapport à l'islam. Je me suis demandé ce qu'était cette religion qui impose le voile, le mariage forcé. J'ai voulu rejeter l'islam. J'ai pris le Coran, je l'ai lu attentivement, et je n'ai trouvé nulle part une phrase qui dit que la femme devait se soumettre ou que la femme n'avait rien à dire. Au contraire, j'ai trouvé une religion de paix et d'amour. Il est donc très important de ne pas associer ces problématiques à l'islam. L'islam est une chose, les traditions en sont une autre. Je vais vous lire deux lettres : une que j'adresse à mes parents et à tous les parents, et une autre que j'adresse aux politiques.
Je ne sais pas si certains d'entre vous ont entendu parler de Sadia, la jeune Pakistanaise qui s'est fait assassiner en 2007 par son frère, tout simplement parce qu'elle refusait un mariage forcé. Ensuite, il y a eu Nora. Nora est une jeune fille de dix-neuf ans. Elle s'est jetée par la fenêtre l'année dernière. Elle a voulu fuir un mariage forcé, et elle en est morte. Dernièrement, il y a deux ou trois mois, il y a eu Layla Hachichi. Celle-ci a été brûlée vive par un « expert » du Coran pour la simple raison qu'elle était homosexuelle.
« Sadia, Nora, Layla et toutes les autres dont nous n'avons jamais entendu parler, qui sont mortes ou se laissent mourir de désespoir dans l'anonymat. Elles sont victimes de ces traditions qui enferment parents et enfants, qui déshumanisent, qui écrasent les individus et les familles au nom de valeurs d'un autre âge, au nom du qu'en dira-t-on. On ne les oubliera jamais. Bien sûr, nombreux sont ceux et celles qui instrumentalisent la religion musulmane, comme d'autres instrumentalisent le christianisme, le judaïsme ou d'autres convictions encore, pour assouvir leur soif de pouvoir sur leurs enfants, leurs épouses, leurs proches. Et ce sont précisément ces attitudes destructrices qu'il faut condamner et combattre, au nom de nos valeurs universelles, de valeurs de justice, d'amour et de solidarité. Les musulmans se sentent insultés quand ils entendent que certains d'entre eux manipulent leur religion pour opprimer leurs enfants et leur famille, donnant ainsi de l'islam une image détestable. Selon la religion islamique, le mariage est l'établissement d'un contrat mutuel entre époux, fondé sur l'égalité, le respect, l'amour et la complémentarité, chaque époux apportant sa contribution au bon fonctionnement du couple. Comment une telle relation pourrait-elle naître de la contrainte, de l'obligation de se marier avec quelqu'un que l'on ne connaît pas, que l'on n'aime pas, et parfois même que l'on n'a jamais vu ? Toutes les écoles de droit musulman stipulent qu'aucun mariage ne peut avoir lieu sans le consentement explicite des personnes concernées. Rien ne justifie aujourd'hui ces coutumes tribales que le Prophète avait déjà combattues en son temps, quand les femmes étaient une marchandise et une monnaie d'échange entre familles et tribus. Ces traditions ont pourtant perduré jusqu'à aujourd'hui. C'est inacceptable, intolérable, et il est temps que les parents mettent un terme à ces pratiques. Il en va de même de la violence envers ses enfants en général. Le Prophète fut un exemple en la matière. Jamais il ne leva la main sur ses enfants. Il montra toujours une grande tendresse envers eux, mais également envers tous les enfants. Une famille équilibrée est fondée sur le respect de chacun, parents comme enfants, et sur un amour véritable qui fait grandir et qui n'étouffe pas, n'oppresse pas, ne détruit pas. On en est très loin aujourd'hui. Le message que j'adresse aux parents aujourd'hui : arrêtez ces traditions archaïques pour que nos enfants puissent envisager un avenir plus serein, dans lequel ils seront enfin considérés comme des individus responsables avec leurs droits et leurs devoirs, comme tous les autres, et non comme toujours soumis à la pression de la famille, du groupe, du quartier, du village d'origine. Aujourd'hui, c'est notre combat commun à tous, quelles que soient nos convictions et nos valeurs de départ. » |
Je terminerai par ce message que j'adresse à tous les politiciens :
« Je m'adresse à tous ces hommes qui ont signé la déclaration des Droits de l'Homme. Un appel, un rappel. Est-ce vraiment trop demander ? Mais où sont ces hommes ? Trop de filles ignorent leurs droits. Trop de gens se taisent. Je ne veux pas me taire. Il faut que cesse cet enfer. C'est l'histoire d'une vie, l'histoire d'une fille. C'est peut-être ta vie, peut-être ta fille. Je ne renie pas ma religion, je n'oublie pas mes racines mais je dénonce haut et fort l'instrumentalisation. Ce n'est pas dans la religion. Ce ne sont que des traditions. Ne vous voilez pas la face. La réalité est en face. Faut-il attendre d'autres larmes, attendre d'autres drames ? Combien de filles torturées ont vu leur vie bafouée. Je rends hommage à toutes ces filles qui se sont renfermées. Elles ont payé de leur vie le prix de la liberté. Je demande que l'on m'entende, que les lois soient appliquées. Prenez vos responsabilités, mettez vos coeurs de notre côté ». |
(Applaudissements)
Mme Michèle André, présidente
Merci beaucoup Karima. Merci à toutes les deux, très sincèrement, d'accepter de nous dire ici, en public, et pour un public nombreux qui vous entendra, j'en suis persuadée, ici et sur la chaîne Public Sénat, ce qui fait le combat de votre vie. C'est très précieux. Nous avons bien entendu la lettre aux politiques - on va dire aux politiques, plutôt qu'aux politiciens, car en France ce terme est très mal connoté -.
Nous savons bien, nous femmes politiques, que nous devons convaincre nos collègues masculins de ces réalités. C'est aussi le sens de cette organisation, ce matin. Je salue Alain Gournac, notre vice-président qui vient d'arriver. Il a entendu la lettre, et il est de notre combat depuis déjà bien longtemps.
Je peux prendre une ou deux questions si vous avez des questions précises, sinon nous les gardons pour la fin de matinée après la deuxième table ronde. Y a-t-il des questions importantes à poser, en particulier à nos deux invitées qui viennent de témoigner ?