B. DONNER À L'ÉTAT UN RÔLE DE COORDONATEUR ET DE FACILITATEUR

Votre groupe de suivi a été surpris devant le constat unanime des lourdeurs administratives auxquelles sont confrontés les grands ports maritimes. Un bon connaisseur des services administratifs a estimé que « l'État ne doit pas empêcher les crayons de fonctionner » et que certains comportements de ces services sont « intolérables » car ils bloquent le développement des ports français. Les syndicats eux-mêmes constatent avec regret que « les ports sont asphyxiés par les zones vertes » et qu'il faut de « l'oxygène réglementaire ». Les législations environnementales s'empilent continûment, entravant sérieusement l'émergence et le succès de projets de développement. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont également la source de nombreuses difficultés pour les directeurs des ports car de nombreux projets industriels sont retardés comme à Nantes ou à Rouen. Certes, la logique du PPRT est louable, car il s'agit de maîtriser l'urbanisation autour des sites industriels à hauts risques (appelés également SEVESO seuil haut). Mais la délimitation des zones dans lesquelles la réalisation d'aménagements, d'extensions ou de constructions nouvelles sont interdites, ou subordonnées au respect de prescriptions techniques, apparaissent parfois disproportionnées.

L'idée force du groupe de travail est que « l'État-bloqueur » doit se transformer en « État-facilitateur » au service du développement économique et de la croissance des ports. Son attention s'est concentrée sur quatre thématiques : la législation environnementale (avec Natura 2000), les services douaniers et la réglementation de la navigation en zone fluviomaritime.

1. Simplifier le cadre réglementaire dans le domaine environnemental pour que les ports retrouvent la maîtrise de leur développement foncier

La protection de l'environnement est au coeur des préoccupations de nos concitoyens, mais elle doit se concilier avec le développement économique des ports : les ports doivent avoir une maîtrise stratégique de leur domaine foncier. Le développement des ports nécessite l'acquisition et l'aménagement de terrains. Or, une lecture trop restrictive de la directive Natura 2000 par les services de l'État constitue aujourd'hui un frein au développement des ports français. Le port d'Anvers réserve des zones pour des motifs écologiques tant qu'il n'en pas besoin pour des raisons économiques. Il faut une politique d'aménagement du territoire « à la hollandaise », qui réserve des terrains à moyen terme et prépare leur conversion à l'activité industrielle. La réactivité du port est très importante : quand un industriel a un projet, il faut pouvoir lui proposer de la place disponible rapidement. L'État français a longtemps été le mauvais élève de l'Union européenne pour appliquer Natura 2000. Par souci de simplicité, il a classé de nombreuses zones portuaires en zones Natura 2000 afin de se mettre rapidement en conformité avec les obligations de Bruxelles. Ce choix évitait ainsi de longues et aléatoires discussions avec les collectivités territoriales.

LE RÉSEAU NATURA 2000

Le but principal de la directive 92/43 « Habitats-faune-flore » est de favoriser le maintien de la biodiversité , tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales. Elle contribue à l'objectif général d'un développement durable des activités, grâce à la constitution d'un réseau européen Natura 2000.

Elle a été transposée au niveau national dès 2001, et impose aux États membres de répondre à des obligations en termes de suffisance du réseau de sites, de mise en place des outils de gestion et de régime d'évaluation des incidences. Le réseau Natura 2000 au niveau national est stabilisé et la France a également répondu à ces obligations en terme de gestion et a mis en oeuvre du régime d'évaluation des incidences prévu à l'article 6.3 et 6.4.

Néanmoins, la transposition de la directive Habitats a donné lieu à un important contentieux et pré-contentieux communautaire qui a abouti par deux fois à la condamnation de la France par la Cour de Justice de l'Union Européen (CJUE). En 1999, notre pays a été condamné notamment en raison de l'insuffisance de ses désignations dans les grands estuaires et pour l'absence de prise en compte des chenaux de navigation . En 2010, la France a été condamnée en manquement pour avoir mal transposé le régime d'évaluation des incidences.

Conformément aux directives 92/43 « Habitats-faune-flore » et 79/409 « Oiseaux », et à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, la désignation des sites Natura 2000 doit obéir à de stricts critères scientifiques . Les exigences économiques, sociales, culturelles ainsi que les particularités régionales et locales sont prises en compte dans la gestion des sites Natura 2000, lors de la définition des mesures de conservation des habitats et des espèces, dans le cadre des documents d'objectifs.

Il est donc possible d'aménager la vocation des territoires relevant de la compétence des ports selon leurs besoins, mais cette planification ne peut pas remettre en cause une zone située en site Natura 2000 car le classement d'une zone en site Natura 2000 est indépendant de la planification territoriale qui peut être faite. La planification des activités portuaires est donc possible à l'intérieur d'un site Natura 2000 à condition qu'elle soit compatible avec les objectifs de conservation des habitats et des espèces qui ont justifié la désignation du site. Seuls des critères scientifiques peuvent justifier une modification du périmètre d'un site Natura 2000. Le ministère doit valider cette modification, et l'État doit la transmettre à la Commission européenne en justifiant du point de vue scientifique les raisons de ces modifications. Dans tout les cas, la cohérence globale du réseau doit être maintenue.

Le système de classement Natura 2000 apparaît perfectible. Ses classements sont l'apanage de l'administration française et de la Commission européenne, sans que les élus de terrain et nationaux aient leur mot à dire. Il sanctuarise certaines zones pour des motifs de biodiversité, sans jamais dédier certaines zones au développement économique. Surtout, on constate une accumulation des espèces animales et végétales protégées sans que l'on ne se pose jamais la question d'étudier les conséquences de cet empilement de mesures de classement.

Votre rapporteur considère que le développement des ports nécessite de pouvoir maîtriser des espaces importants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des circonscriptions portuaires . Ces espaces se situent tant dans l'enceinte portuaire elle-même, pour la réalisation de quai et terre-plein et autres installations portuaires, que dans des zones plus éloignées, pour le stockage de marchandises, la création de zones logistiques ou encore la construction d'axes d'acheminement routier ou ferroviaire. Les exemples étrangers montrent que la maitrise du foncier est l'une des clefs de la réussite d'un port. Votre rapporteur considère que, dès lors que les espaces dans le domaine portuaire sont propriétés de l'État, celui-ci doit passer une convention avec la structure de gestion mise en place en lui laissant toute latitude en matière d'utilisation des sols, dès lors que les investissements sont directement liés à l'activité portuaire. L'entité ne pourra bien sûr céder la propriété mise à sa disposition.

C'est pourquoi le groupe de travail demande un assouplissement de l'application de la directive Natura 2000 dans les ports pour ne pas entraver leur développement économique, à travers la création d'un schéma d'aménagement stratégique des ports, de même niveau que les autres documents d'urbanisme. Ce schéma distinguerait les zones protégées pour des motifs écologiques, des zones dédiées à l'activité économique, et des zones mixtes, dont l'usage serait réversible et varierait en fonction des besoins des ports. Il s'agit, mutadis mutandis , de s'inspirer des schémas régionaux de développement de l'aquaculture marine (SRDA), créés par l'article 85 de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui sont de même niveau que les autres documents de planification.

Votre groupe de suivi salue la démarche suivie par le port de Dunkerque, qui a élaboré un schéma directeur du patrimoine naturel, assorti d'un plan d'aménagement et de développement durable. Ce port possède une surface disponible considérable, avec une emprise totale de 7 000 hectares terrestres et 38 000 hectares maritimes et une réserve foncière de 3 000 hectares. Ce schéma a reçu, début 2011, l'aval du Conseil national de protection de la nature. Ce document répond à la recommandation du SNIT d'élaborer, dans chaque port, un plan de gestion des espaces naturels à l'horizon 2013, et aux prescriptions de la loi du 4 juillet 2008, qui confère aux grands ports maritimes « la gestion et la préservation des espaces naturels ». Ce schéma a été précédé d'inventaires naturalistes : dès 2008, la faune et la flore ont été répertoriés et cartographiés par un organisme externe, avec la collaboration d'associations locales ; des zones d'intérêt écologique ont été identifiées et hiérarchisées, en vue d'une planification du développement durable. La zone portuaire n'a pas de zones classées dans son périmètre, mais elle est située à proximité, notamment de trois zones Natura 2000 : le schéma vise à accompagner le développement portuaire, en maintenant la biodiversité du site. En superposant les informations liées aux aménagements et aux milieux naturels, le schéma établit des écobilans avec l'objectif d'équilibrer la biodiversité du port : la baisse des surfaces dédiées aux milieux naturels est compensée par une augmentation de leur niveau d'intérêt écologique - obtenue par une série d'aménagement et de protection . Cette notion de « compensation » constitue un élément-clef de la gestion d'une zone Natura 2000, notamment pour permettre le maintien ou l'implantation d'une activité économique.

En outre, votre groupe de travail souhaite que les services de l'État soient associés en amont à l'élaboration des évaluations environnementales. En Belgique, les études environnementales sont portées par l'État, qui mobilise ses services pour instruire les dossiers, ce qui aide considérablement à la prise de décision : dès lors que les services d'État ont pris sur eux de piloter les études environnementales, les décisions sont plus fiables. En France, c'est aux ports de réaliser ces études, ce qui ralentit l'action et rend incertaine la réussite d'un projet. Il faudrait qu'une instance associant l'État, prenne en charge, à long terme, la préparation à l'aménagement des zones portuaires au sens large, y compris les espaces nécessaires aux relations avec l'hinterland. Pour les autoroutes terrestres, c'est bien l'État qui établit l'avant-projet sommaire, qui démontre l'intérêt de l'infrastructure et ses principes de réalisation ; les ports doivent en passer par une procédure inverse : c'est à eux de démontrer la pertinence de leur projet, et l'impossibilité pour eux de développer leur activité en dehors des zones dont ils disposent déjà.

Enfin, votre groupe de travail estime qu'il faut davantage sanctionner les recours abusifs. Le droit au recours est un principe général du droit français, et il est reconnu dans la Convention européenne des droits de l'Homme et par le droit de l'Union européenne. Mais il n'existe pas de moyen efficace en droit administratif français pour se protéger des recours malveillants ou dilatoires. Le juge administratif déclare abusifs uniquement les recours qui n'ont pas pour objet de se prononcer sur la légalité d'une décision administrative. Autrement dit, la définition même du recours abusif rend rarissime son application et inopérante toute augmentation du montant de l'amende. Il est regrettable qu'aucune statistique n'existe sur ce sujet. Pire, on observe depuis peu l'émergence de comportements inadmissibles : certains représentants d'association n'hésitent pas à abandonner tout recours devant les tribunaux en échange de transactions financières très généreuses. Les ports, comme toutes les personnes publiques en France, subissent à des degrés divers les conséquences de l'explosion du contentieux des associations environnementales. Ce type de comportement, relevant de la sphère pénale, doit être sanctionné.

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