3. La réglementation de la navigation en zone fluviomaritime doit être assouplie
Votre groupe de travail considère que la direction des affaires maritimes, le port du Havre et le Ministère doivent rapidement trouver une solution pour adapter la réglementation imposée aux barges fluviales pour accéder à Port 2000 . La conception de Port 2000 a, pour des raisons d'arbitrage financier, fait l'impasse sur la création d'une écluse fluviale. Ce choix a aujourd'hui des conséquences néfastes sur le développement du transport fluvial sur la Seine, car les barges ne peuvent pas, eu égard à la réglementation en vigueur, directement charger ou débarquer des conteneurs sur les nouveaux terminaux en effectuant le nécessaire trajet en zone maritime au sortir du Port historique pour rejoindre Port 2000 ou en passant par l'estuaire de la Seine.
Les entreprises de transport fluvial ont engagé depuis quelques années une discussion nourrie avec la direction des affaires maritimes pour surmonter cette difficulté. L'attitude de l'administration est mal vécue par les opérateurs portuaires du port du Havre, déjà pénalisés par la conception défaillante de Port 2000 en matière de desserte fluviale. Le rapport de notre collègue Roland Blum remarquait avec raison que les distinctions opérées par l'administration entre le caractère exclusif, habituel ou accessoire de la navigation dans la zone fluvio-maritime est difficilement compréhensible : la sécurité ne dépend pas de la fréquence des sorties en mer 40 ( * ) .
Le Ministère a édicté deux règlements en 2007 qui ne satisfont pas les demandes des entreprises fluviales 41 ( * ) . Ces arrêtés autorisent l'accès de Port 2000 pour les automoteurs fluviaux sous certaines conditions. Mais cette réglementation présente plusieurs inconvénients. Tout d'abord, les convois poussés industriels, qui représentent la plus grande partie du trafic fluvial sur la Seine, sont exclus. En outre, les automoteurs doivent être modifiés de façon assez importante pour obtenir une autorisation des affaires maritimes et un pilotage est nécessaire, ce qui entraine un coût important. Enfin, l'accès du port n'est possible qu'entre 45 et 70 % du temps compte tenu des règles strictes en matière de conditions météorologiques (houle, vent et visibilité). En définitive, ces inconvénients expliquent que depuis 2007, un seul bateau a obtenu l'autorisation des affaires maritimes et qu'une seule escale commerciale ait eu lieu à ce jour.
Trois solutions existent en théorie pour desservir Port 2000 par bateaux à destination de la Seine.
La première solution consiste à utiliser des bateaux maritimes classiques (qui se caractérisent par un tirant d'eau d'au moins 5 à 6 mètres) et un fort tirant d'air entre Port 2000 et Rouen. L'inconvénient de cette solution est double :
- en amont de Rouen, les conteneurs doivent être débarqués, car la Seine n'offre pas suffisamment de tirant d'eau et de tirant d'air entre Rouen et Gennevilliers ;
- le coût d'exploitation de ce bateau est très élevé par rapport à un bateau fluvial. On estime notamment que le coût en personnel est quatre fois supérieur pour un bateau maritime, sans compter les équipements maritimes imposés par la réglementation et l'obligation de recourir à du pilotage, et du lamanage, et de payer des droits de port notamment.
La deuxième solution est de recourir uniquement à des navettes fluviomaritimes pour le trajet entre Port 2000 et Gennevilliers, grâce à un faible tirant d'eau et un tirant d'air peu important leur permettant de passer sous les ponts. Toutefois, ce type de bateau n'existe pas sur le marché français, et son coût d'exploitation demeure très élevé car il est également soumis à la réglementation maritime.
La troisième solution consiste à naviguer avec des bateaux de type « division 229 » : il s'agit de bateaux, proches visuellement de navires maritimes (franc-bord élevé) et pouvant être opérés avec des équipages fluviaux. L'immense avantage de ce bateau est d'être autorisé à aller en mer dans un rayon de 5 kilomètres autour du port de départ ou de destination alors que son armement est fluvial, et non pas maritime. Mais ce type de bateau n'existe pas non plus sur le marché national. Les armateurs, et notamment CFT et Marfret, attendent de valider l'intérêt d'un tel investissement.
En effet, les entreprises attendent avec vigilance de savoir si le port du Havre choisira de construire finalement une écluse fluviale ou une chatière. Ce dernier projet consiste en une digue à l'ouest de Port 2000, il est moins cher que l'écluse fluviale (80 millions d'euros contre 200 selon certains observateurs) et sa construction provoquerait moins de gêne pour la circulation ferroviaire et routière sur le port. Les transporteurs fluviaux rechignent à investir lourdement dans des bateaux maritimes, de type « division 229 » ou des navettes fluviomaritimes si le port se décide finalement dans quelques années à construire l'écluse fluviale, car ces types de bateaux sont difficiles à revendre, en raison du faible débouché des bateaux du type « division 229 », en dehors des réglementations d'estuaire.
Il convient de rappeler que le droit royal belge semble moins restrictif que la réglementation française, puisque les bateaux d'estuaire sont autorisés à aller en pleine mer entre Anvers et Zeebrugge, soit une distance de 50 kilomètres. Certaines garanties sont toutefois demandées en termes de sécurité, notamment pour le franc bord et la forme du bateau. La réglementation française étant apparemment plus sévère que l'arrêté royal belge (présence d'un double fond intégral obligatoire, hauteur du double fond, passage de tuyauteries dans le double fond, hauteur de houle de conception), les bateaux d'estuaire belges ne peuvent pas opérer sur Port 2000 par la route Sud. Il semblerait que des entreprises fluviales belges envisagent d'attaquer la France pour entorse à la libre circulation des marchandises.
* 40 Cf. le rapport de Roland Blum, op. cit., p. 68.
* 41 Cf. l'arrêté du 10 janvier 2007 relatif à la navigation de bateaux fluviaux en mer pour la desserte de Port 2000 et l'arrêté du 30 août 2007 relatif à la navigation de bateaux fluviaux « porte-conteneurs » en mer pour la desserte de Port 2000 par l'estuaire de la Seine.